PRISONS D’AUTREFOIS

 

PAR FRANTZ FUNCK-BRENTANO

Membre de l'Institut

PARIS - FLAMMARION - 1935.

 

 

CHAPITRE PREMIER. - Châteaux du roi. — CHAPITRE II. - Citadelles militaires. — CHAPITRE III. - Abbayes et Monastères. — CHAPITRE IV. - Les cages de fer.

CHAPITRE V. - Couvents de femmes. — CHAPITRE VI. - Les refuges. — CHAPITRE VII. - Les mendiants. — CHAPITRE VII. - Les hôpitaux.

CHAPITRE IX. - Dépôts de mendicité. — CHAPITRE X. - Renfermeries enfantines. — CHAPITRE XI. - Prisons de droit commun. — CHAPITRE XII. - Saint-Lazare.

CHAPITRE XIII. - Le For-l'Évêque. — CHAPITRE XIV. - Chartes privées. — CONCLUSION. — BIBLIOGRAPHIE.

 

PRISONS D'AUTREFOIS

 

Une grande dame, écrit le comte de Tilly, salue dix personnes en se ployant une seule fois et en donnant de la tête et du regard à chacun ce qui lui convient. Elle a un salut pour les femmes de condition, un pour les femmes de qualité, un pour les femmes de la Cour, un pour les femmes titrées, un pour les femmes d'un nom historique ; un autre pour les femmes d'une grande naissance personnelle mais unies à un mari au-dessous d'elles, un autre pour les femmes qui ont changé par leur mariage leur nom commun en un nom distingué, un autre encore pour les femmes d'un bon nom dans la robe, un autre enfin pour celles dont le relief principal est une maison de dépenses et de bons soupers.

C'est l'image de l'ancien régime. Il méprise les codes rigides, les lois uniformes, inflexibles, qui ne se plient pas à la diversité infinie des circonstances, aux nuances de la pensée, aux émotions du sentiment. Il s'efforce de s'adapter à la vie réelle en ses variétés infinies. Et c'est l'histoire de ses prisons. Le gouvernement casait ses hôtes dans les lieux les plus divers : châteaux du roi, citadelles militaires, abbayes et couvents, refuges pour personnes désireuses de se retirer du monde, renfermeries, hôpitaux, dépôts de mendicité, prisons de droit commun sous l'autorité de tribunaux réguliers, chartes privées ou maisons de détention tenues par des particuliers sans titre aucun, des manières de pensions de famille ; il en arrivait même à emprisonner les gens chez eux, dans leur propre logis.

Supposons des arrestations provoquées par une publication illicite : l'auteur, s'il est homme de mérite, sera mis à la Bastille ou à Vincennes, tels Voltaire, La Beaumelle, Marmontel, l'abbé Morellet, Diderot, le marquis de Mirabeau, vingt autres ; le libraire, l'imprimeur seront enfermés au For-l'Évêque ; les colporteurs, camelots de l'époque, seront envoyés à Bicêtre. Parlant d'un certain Beaumanielle, le ministre Voysin écrit au lieutenant de police d'Argenson qu'il ne mérite pas assez de ménagement pour être mis à la Bastille. Un secrétaire d'Etat écrira au lieutenant criminel, à propos de deux individus accusés d'assassinat : La Bastille ! il serait contre l'ordre et la dignité du roi de les y enfermer.