L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

 

CHAPITRE VI. — LA QUESTION DES JÉSUITES À LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS ET À LA COUR ROMAINE.

 

 

I. La situation à la fin de 1844. M. de Salvandy ministre. Condamnation du Manuel de M. Dupin. Déclaration d'abus contre le cardinal de Bonald. — II. Le rapport fait par M. Thiers sur la loi d'instruction secondaire. Pourquoi s'en était-il chargé ? Premier échec de sa tactique. — III. M. Thiers se sert de la question des jésuites pour attaquer M. Guizot. Le Juif-Errant. Le procès Affnaer. — IV. L'embarras du gouvernement. Il se décide à recourir à Rome. M. Rossi. — V. La discussion de l'interpellation sur les jésuites. L'ordre du jour motivé. Les catholiques se préparent à la résistance. Débat à la Chambre des pairs. Note du Moniteur annonçant le succès de M. Rossi. — VI. M. Rossi à Rome. Le Pape refuse ce qu'on lui demande, mais conseille aux jésuites de faire quelques concessions. Equivoque et malentendu sur les résultats de la négociation. — VII. Les mesures d'exécution en France. Les jésuites s'en tiennent aux concessions en général, et M. Guizot finit par s'en contenter. Satisfaction du gouvernement. Irritation des catholiques. En quoi le résultat final a pu nuire, ou profiter à la question religieuse.

 

I

Après la discussion du projet de 1844, il y eut comme un moment de halte dans l'armée catholique. Évêques et laïques avaient pris position et dit ce qu'ils avaient à dire. Ils comprenaient qu'un résultat immédiat n'était pas possible et qu'il fallait laisser mûrir les idées nouvelles. Le rapport lu par M. Thiers, eu juillet 1844, sur la loi d'enseignement ne ranima pas la polémique et ne fit point sortir l'épiscopat de son silence. Cependant les journaux et les pamphlets hostiles au clergé étaient plus Violents  que jamais. Le scandale des cours de MM. Quinet et Michelet, au Collège de France, continuait et s'aggravait, au point de gêner les universitaires les plus passionnés. Certaines municipalités, à Sens, à Tulle, à Avignon, commençaient à faire aux religieux et aux religieuses une petite guerre qui paraîtrait du reste aujourd'hui timide et bénigne. En septembre 1844, le conseil municipal de Paris dénonçait, comme contraires à la loi, des pensionnats ou asiles tenus par des sœurs de charité ou des ursulines ; presque à la veille de 1848, pendant que le socialisme fermentait, chaque jour plus redoutable dans les classes populaires, le conseiller rapporteur, donnant une fois de plus la preuve de cette clairvoyance du péril social qui a toujours distingué la bourgeoisie parisienne, disait des pauvres religieuses : Ce sont là des dangers qui nous menacent, dangers aussi grands, pour le moins, que ceux des sociétés secrètes et subversives qui s'agitent dans la politique. Les meneurs auraient aussi désiré obtenir certaines manifestations des conseils généraux ; mais ils échouèrent et ne purent mettre en mouvement que neuf conseils sur quatre-vingt-six.

L'attitude du gouvernement était toujours la même. Il avait la faiblesse de s'associer à quelques vexations municipales, et l'on remarquait qu'il faisait poursuivre les écarts de la polémique ecclésiastique[1], tandis que les violences du parti adverse demeuraient impunies. Il n'avait cependant pas plus que dans le passé d'intention vraiment hostile. Au fond, il regrettait le mouvement antireligieux. Certains de ses actes semblaient même indiquer alors comme un désir de se rapprocher des catholiques. Dans les derniers jours de décembre 1844, une nouvelle sinistre s'était répandue dans Paris : M. Villemain, fléchissant sous le poids aussi bien des chagrins de famille que des préoccupations et des déboires politiques, avait perdu la raison, et s'était précipité par l'une des fenêtres de l'hôtel ministériel ; quelques instants auparavant, il avait fait appeler ses enfants dont il s'occupait beaucoup, depuis qu'il avait dû placer dans une maison de santé leur mère, elle aussi devenue folle, et on l'avait entendu murmurer : Pauvres enfants ! le père et la mère ! Son mal se manifestait surtout par deux idées fixes : la crainte d'être soupçonné d'avoir fait enfermer sa femme arbitrairement ; la croyance qu'il était persécuté par les jésuites. Cet événement ne semblait-il pas appartenir à quelque drame de Shakespeare ? II commençait cette série étrange et fatal de malheurs qui des ah nt marquer les dernières années de la monarchie de Juillet. La consternation fut générale. Chacun se demandait, dit un contemporain[2], ce que c'était que la raison humaine, en la voyant chanceler ainsi comme la flamme sur le candélabre d'or. Dans un temps où l'on n'a plus d'oraisons funèbres de Bossuet, de tels événements en tiennent lieu et disent assez lequel est le seul grand... On est tenté d'en vouloir à la politique, d'avoir ainsi détourné de sa voie, abreuvé et noyé dans ses amertumes une nature si fine, si délicate, si faite pour goûter elle-même les pures jouissances qu'elle prodiguait. Quant au Constitutionnel, il montrait tout simplement dans cette maladie une trame des jésuites. Ce fut pour M. Guizot l'occasion d'un acte significatif : il ne se contenta pas de désigner un intérimaire avec une promptitude que M. Villemain devait, une fois rétabli, lui reprocher non sans aigreur, il remplaça définitivement le ministre dont il avait eu tant de fois à subir et à regretter le zèle universitaire. Son choix se porta sur M. de Salvandy, l'un des hommes politiques du régime de Juillet qui montraient le plus de bienveillance pour les personnes et les idées du monde religieux, étranger à l'Université, membre de la minorité dans la commis don qui avait nommé naguère M. Thiers rapporteur de la loi d'instruction secondaire[3] ; nature un peu vaine et pompeuse, mais généreuse et sincère, manquant parfois de tact et de mesure, non d'esprit ni de cœur. Nul, même parmi les catholiques les plus exigeants, ne pouvait douter des bonnes intentions du nouveau ministre ; la seule question était de savoir s'il aurait l'habileté et la force de les réaliser. L'un de ses premiers actes fut de suspendre le cours de M. Mickiewicz, ce que rendait facile sa qualité d'étranger, et d'écrire à l'administrateur du Collège de France des remontrances sévères, mais impuissantes, au sujet des cours de MM. Quinet et Michelet, dont les désordres, disait-il, étonnaient et blessaient le sentiment public.

Ce n'est pas que le cabinet eût enfin pris son parti de suivre, dans les questions d'enseignement, une politique nouvelle et résolue. Tout ajourner sans rien terminer, tout assoupir sans rien résoudre, tell paraissait être encore sa trop modeste ambition. M. Martin du Nord, notamment, ne voyait guère rien au delà ; aussi se félicitait-il de la réserve gardée par les évêques, dans la seconde moitié de 1844, et s'imaginait-il déjà avoir obtenu ce silence qu'il appelait la paix. Mais son illusion devait être de courte durée. Comment en effet les catholiques eussent-ils pu longtemps désarmer, alors que non seulement on ne faisait pas droit à leurs plaintes, mais que leurs adversaires les attaquaient chaque jour plus violemment ? Aussi, dès janvier 1845, dans la discussion de l'adresse, le ministre des cultes dut-il de nouveau essuyer le feu de M. de Montalembert. L'orateur catholique, racontant longuement les injures de l'Église, n'accusait pas le ministère d'en être l'auteur ; il l'accusait d'en être le complice, non par malveillance contre la religion, mais par faiblesse ; il lui reprochait, non d'avoir la malice des persécuteurs, mais de n'avoir ni le courage ni l'intelligence de la liberté.

Ce ne fut pas tout. Le h février 1845,1e cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, publia un mandement fort étendu dans lequel il condamnait solennellement le Manuel du droit public ecclésiastique de M. Dupin, comme contenant des doctrines fausses et hérétiques, propres à ruiner les véritables libertés de l'Église. Ce livre, publié pour la première fois sous la Restauration, était la collection des textes dans lesquels, depuis Pithou jusqu'à Napoléon Ier, s'était formulé le gallicanisme des légistes, répudié de tout temps par le clergé, même le moins ultramontain ; compilation terne, lourde et fastidieuse, recouverte en quelque sorte d'une poussière d'ancien régime et imprégnée d'une odeur de basoche, auxquelles l'auteur était seul à se complaire ; M. Dupin avait publié, en 1844, une seconde édition du Manuel, sous prétexte de répliquer à M. de Montalembert. La démarche du cardinal pouvait être diversement appréciée. Pendant que les ardents applaudissaient, d'autres, parmi lesquels l'archevêque de Paris, se demandaient si, pour atteindre un livre vieux de plusieurs années et dont la réédition n'avait eu aucun succès, c'était la peine de faire un acte si insolite et que la situation de l'auteur condamné devait rendre si retentissant. Quoi qu'on pensât néanmoins sur cette question d'opportunité, il n'y avait pas deux sentiments sur le parti que le gouvernement, effrayé des criailleries de M. Dupin, prit aussitôt de déférer le mandement au Conseil d'État. Celui-ci déclara, le 9 mars, qu'il y avait abus, donnant ainsi le spectacle au moins étrange de laïques, peut-être non catholiques, qui contrôlaient et réformaient les doctrines théologiques d'un évêque, et qui prétendaient prononcer, entre M. Dupin et Mgr de Bonald, sur ce que devaient être la croyance et l'enseignement de l'Église.

Le gouvernement fut d'ailleurs aussitôt à même de voir quelle maladresse il avait commise. M. Beugnot eut beau jeu à dénoncer, devant la Chambre des pairs, l'absurdité de l'appel comme d'abus en matière de doctrines, sous un régime de liberté des cultes, la bizarre contradiction de cet État qui tenait tant à se proclamer laïque et qui voulait en même temps faire le théologien. Au lendemain de la sentence, le 11 mars, le cardinal de Bonald écrivit au garde des sceaux une lettre publique, plus railleuse et dédaigneuse encore qu'irritée : J'ai reçu, disait-il, l'ordonnance royale du 9 mars que Votre Excellence a cru devoir m'envoyer ; je l'ai reçue dans un temps de l'année où l'Église retrace à notre souvenir les appels comme d'abus qui frappèrent la doctrine du Sauveur, et les sentences du Conseil d'État de l'époque contre cette doctrine. Puis, après avoir malmené ce corps politique et laïque qui prétendait lui enseigner la religion, et après avoir invoqué les libertés publiques, il terminait en déclarant ne reconnaître qu'au Pape le droit de juger son jugement. Jusque-là, ajoutait-il, un appel comme d'abus ne peut pas même effleurer mon âme. Et puis, que peut-on contre un évêque qui, grâce à Dieu, ne tient à rien, et qui se renferme dans sa conscience ? J'ai pour moi la religion et la Charte : je dois me consoler. Et quand, sur des points de doctrine catholique, le Conseil d'État a parlé, la cause n'est pas finie. C'était l'un des caractères de cette lutte, qu'on ne pouvait toucher un évêque, sans que tous les antres prissent fait et cause pour lui ; on revit ce qu'on avait déjà vu à propos de la réprimande adressée par M. Martin du Nord à l'archevêque de Paris et à ses suffragants : en quelques jours, plus de soixante évêques déclarèrent adhérer aux doctrines proclamées par le cardinal de Bonald et blâmées par le Conseil d'État. Bientôt aussi, on put annoncer que, le 5 avril, la congrégation de l'index avait condamné le Manuel.

Pour l'amour de la théologie de M. Dupin, le gouvernement s'était donc mis en conflit avec l'Église tout entière, et il n'avait même pas pour soi l'opinion des indifférents et des frivoles. Cette fois, en effet, la cause religieuse n'avait pas seulement les théologiens, mais aussi les rieurs de son côté. Dans deux de ses pamphlets les plus vivement enlevés, Oui et non et Feu, feu, Timon s'était chargé, à la grande surprise et au vif déplaisir de ses amis de la gauche, de montrer, à un public qui ne lisait pas les mandements, où étaient non seulement la justice et la liberté, mais le bon sens. Son succès fut considérable. On en put juger au chiffre des éditions qui s'éleva, en un an, à seize et à dix-sept ; on en jugea également au nombre et à la rage des réponses, à l'espèce de charivari de presse sous lequel la gauche, déconcertée et furieuse, essaya vainement d'écraser l'écrivain qu'elle avait naguère tant applaudi pour avoir servi ses plus vilaines passions[4]. Tout ce tapage ne profitait pas à la cause des appels comme dahus ; en tout cas, c'était une singulière façon de réaliser le rêve de silence caressé par M. Martin du Nord. Aussi n'est-on pas étonné d'entendre alors celui-ci déclarer, à la tribune, que c'était une des époques les plus pénibles de sa vie. Le gouvernement eut au moins la sagesse de corn-prendre qu'il s'était engagé dans une sotte campagne, et de ne s'y pas obstiner : bravé, raillé, il se tint coi, avec une prudence tardive, mais méritoire. Quant à M. Dupin, il se consolait avec cette pensée, notée dans ses Mémoires, que le Manuel devait à ce bruit de trouver des acheteurs qu'il n'avait pas auparavant.

Le mandement est et demeure supprimé, disait solennellement l'ordonnance. Singulière suppression, dont le seul résultat était d'augmenter la publicité du document. Le comité pour la défense de la liberté religieuse n'en faisait pas moins réimprimer le mandement, y joignait toutes les lettres d'adhésion des évêques, et répandait ce volume par toute la France[5]. S'il y avait quelque chose de supprimé, c'était l'appel comme d'abus, surtout en matière doctrinale. Le gouvernement de Juillet se le tint pour dit, et ne s'exposa pas désormais à pareille mésaventure. Si vives qu'aient été, de 1845 à 1848, certaines luttes avec le clergé, il ne fut plus question de déclaration d'abus[6].

 

II

Le conflit né de la condamnation du Manuel était à peine terminé, que le gouvernement se voyait en face d'une difficulté plus redoutable encore. M. Thiers allait l'interpeller au sujet des jésuites. Cette interpellation était le dernier acte d'une campagne parlementaire qu'il convient de reprendre à son origine. Les embarras trop visibles que le ministère rencontrait dans les questions religieuses et qu'il aggravait par les maladresses et les incertitudes de sa politique, devaient être, pour l'opposition, comme une invitation à porter la lutte sur ce terrain. Pendant les premières années, les débats sur la liberté d'enseignement avaient eu cet avantage, d'être demeurés en dehors et au-dessus de toutes manœuvres de partis et compétitions ministérielles. De là sans doute, la gravité approfondie, élevée, sincère, de la discussion qui avait eu lieu à la Chambre des pairs en 1844, et où la question avait été traitée pour elle-même : de là l'attrait nouveau, l'intérêt inattendu d'un tel débat, pour un public blasé sur ces duels oratoires de la Chambre des députés, où il s'agissait trop clairement, non de la doctrine, de. la réforme ou de l'intérêt national, objets apparents du clé-bat, mais du portefeuille que M. Thiers voulait arracher à M. Guizot. Cet état ne devait pas durer. La discussion de 1844 n'avait pas été une révélation seulement pour le public ; elle en avait été une pour M. Thiers, qui jusqu'alors n'avait guère pris garde à cette querelle de cuistres et de bedeaux. Il avait aussitôt jugé utile d'intervenir dans une question qui apparaissait si importante. Frappé de l'irritation des universitaires, de leur désir et de leur espoir de trouver, à la Chambre des députés, une revanche des échecs subis dans l'autre assemblée, il s'était offert à prendre leur cause en main ; il s'était fait nommer membre et bientôt rapporteur de la commission chargée d'examiner le projet voté par les pairs.

Le rapport de M. Thiers fut en effet la contrepartie du rapport du duc de Broglie[7]. Celui-ci avait proclamé les théories les plus libérales sur les droits respectifs de la famille et de l'État, et c'était visiblement à regret qu'il n'avait pas immédiatement tiré toutes les conséquences de ces théories. Celui-là insistait, au contraire, sur le droit qu'il revendiquait pour la puissance publique de former de l'enfant ; il ne dissimulait pas ses préférences pour le système en vertu duquel la jeunesse serait jetée dans un moule et frappée à l'effigie de l'État[8] ; il n'y renonçait que par l'obligation où il était de se tenir dans la vérité de son temps et de son pays ; au moins, pour s'en rapprocher, cherchait-il à restreindre et à entraver, autant que possible, la liberté qu'il n'osait entièrement refuser. Aux méfiances témoignées par la Chambre des pairs sur l'enseignement philosophique, M. Thiers opposait une apologie sans réserve de l'éducation intellectuelle, morale et même religieuse des collèges. Le duc de Broglie avait soustrait en partie les établissements libres à la domination de l'Université et axait substitué à celle-ci des autorités plus impartii.les ; M. Thiers rétablissait cette domination, déclarait que les établissements libres devaient être compris dans la grande institution de l'Université, qui avait mission de les surveiller, contenir et ramener sans cesse, à l'unité nationale. Rien sans doute de moins libéral. Mais M. Thiers alors n'aimait pas à se dire libéral : c'eût été s'enfermer dans un programme, s'assujettir à des principes qui auraient pu lui devenir gênants. Il se proclamait plus volontiers révolutionnaire[9]. Surtout sa prétention, presque sa manie, était de se dire national. L'expression, pour être vague, ne s'en prêtait que mieux à la mobilité de sa tactique. Avec ce mot, revenant sans cesse sur ses lèvres et répété par tous ses journaux, il attaquait la politique étrangère de M. Guizot. Tel il se posait dans son rapport, prétendant tout subordonner, dans l'éducation publique, à la préoccupation de conserver l'esprit national qui, selon lui, n'était autre que l'esprit de la révolution. L'Université lui paraissait seule propre à cette œuvre, et l'enseignement ecclésiastique lui inspirait une méfiance qu'il ne dissimulait pas. Sans doute, pour parler du clergé, il usait rie plus de politesse que n'en attendaient les sectaires qui s'étaient flattés de voir M. Thiers se confondre dans leurs rangs. Toutefois n'était-ce pas la menace qui dominait ? L'Église, disait en terminant le rapporteur, est une grande, une haute, une auguste puissance, mais elle n'est pas dispensée d'avoir le bon droit pour elle. Elle a triomphé de la persécution à des époques antérieures, cela est vrai, et cela devait être pour l'honneur de l'humanité. Elle ne triomphera pas de la raison calme, respectueuse, mais inflexible.

Deux motifs peuvent dispenser d'examiner et de discuter plus à fond les doctrines du rapport ; le premier, c'est qu'aucune suite n'y a été donnée ; le second, c'est que, peu d'années après, M. Thiers, mieux éclairé, a contredit lui-même toutes ces idées et les a fait écarter de notre législation. D'ailleurs, peut-on parler de doctrines à propos de ce rapport ? Sans doute, par ses origines intellectuelles à la fois voltairiennes, révolutionnaires et bonapartistes, M. Thiers pouvait être naturellement prévenu contre une réforme chrétienne, conservatrice et libérale. Cependant, en 1844, il n'avait aucune opinion bien mûrie sur ces questions d'enseignement qui se présentaient pour la première fois à son esprit. Pendant ses ministères, il n'avait montré pour le catholicisme ni bienveillance ni mauvais vouloir. En réalité, les problèmes débattus lui importaient peu, et il n'y voyait qu'une question de tactique.

Pour lui, l'opposition n'était pas l'action d'un parti ayant des principes et un programme à garder dans la bonne et dans la mauvaise fortune, à défendre persévéramment, à propager et à tâcher de faire prévaloir. Non, c'était la manœuvre d'une troupe mobile, se dégageant de toute doctrine propre et permanente comme d'un bagage qui gênerait la liberté de ses évolutions et de ses coalitions, n'ayant d'autre but que d'enlever le pouvoir à ceux qui le possédaient, soulevant au jour le jour la question, arborant le principe, avec lesquels on pouvait, pour le moment, le mieux faire échec au ministère, sans se piquer de suite ni de tenue. Sans doute, dans cette politique ainsi réduite à une stratégie de tribune et de scrutin, M. Thiers se montrait admirablement souple, alerte, adroit et fécond ; mais ce n'en était pas moins l'abaissement et la perversion du régime parlementaire. Combien en souffraient les esprits élevés de la gauche, M. de Tocqueville notamment ! Vers 1844, M. Thiers se trouvait précisément un peu gêné dans l'application de sa tactique ; il était à court d'objets sur lesquels il pût faire porter son opposition. Il évitait les questions de réforme intérieure, car dès cette époque il aurait pu dire à ses soldats et à ses alliés, comme plus tard aux républicains de l'assemblée de 1871, que, sur aucune de ces questions, il n'avait avec eux une seule idée commune. Les affaires étrangères semblaient plus commodes, il s'en était beaucoup servi ; mais il y avait été battu, et puis elles présentaient aussi leur danger ; il craignait, en critiquant trop obstinément une politique fondée sur l'entente cordiale avec l'Angleterre, d'exciter dans ce pays des ressentiments qui pourraient rendre son retour au pouvoir plus difficile ; à ce moment même, n'était-il pas en coquetterie avec l'Anglais qui détestait le plus la France, avec lord Palmerston ? Aussi avait-on remarqué que, depuis la discussion de la loi de régence, en 1842, M. Thiers avait gardé le silence ; il s'était absorbé dans la préparation des deux premiers volumes de son histoire du Consulat qu'il publia en mars 1844. Il n'avait, disait-on, reparu à la tribune, au commencement de cette année, que parce que ses amis, mécontents, M. Duvergier de Hauranne entre autres, l'avaient en quelque sorte poussé par les épaules. C'est alors qu'à la suite de la discussion de la Chambre des pairs, la question d'enseignement lui parut excellente à saisir pour masquer le vide de son opposition ; il crut y trouver un terrain d'attaque propice, sans danger, et où il pouvait renverser M. Guizot, en réservant toutes les questions sur lesquelles il était bien aise de ne pas s'engager. Sans cloute il se mettait mal avec le monde religieux, mais M. Thiers, qui jugeait inutile de s'arrêter à ménager les faibles, n'avait pas encore reconnu, dans le catholicisme, la puissance considérable dont il devait, après 1MS, implorer le secours avec des accents si désespérés. La force lui paraissait ailleurs, du côté de la révolution. Comme Louis-Philippe le pressait, à cette époque, de soutenir la loi telle qu'elle était présentée, lui donnant pour raison qu'il fallait accorder quelque chose au clergé, que c'était encore quelque chose de très fort qu'un prêtre, M. Thiers lui répondit : Sire, il y a quelque chose de plus fort que le prêtre, je vous assure, c'est le jacobin[10].

Telle avait été la raison de pure tactique, étrangère à toute conviction réfléchie aussi bien qu'à toute passion haineuse, qui poussait M. Thiers à mettre la main sur la question universitaire ; la même raison le fera, quelques mois plus tard, se jeter sur l'affaire Pritchard, et l'aurait conduit à saisir tout sujet de débat propre à renverser ou seulement à gêner M. Guizot. Peut-être aussi faut-il voir là un effet de cette curiosité merveilleusement active, parfois un peu brouillonne et présomptueuse, de ce désir de tout connaître, de tout comprendre, de tout manier, puis aussitôt de tout expliquer et de tout enseigner, qui n'était pas l'un des aspects les moins remarquables de cette riche et mobile nature. Les questions d'enseignement étaient entièrement neuves pour lui ; il voulut être un pédagogue comme il était devenu un financier, un stratégiste ou un diplomate. Peu de semaines lui suffirent pour improviser sa petite enquête en faisant causer quelques professeurs[11], et il fut aussitôt en mesure d'écrire un volumineux rapport, où il crut sincèrement apprendre le problème scolaire au monde, qui l'ignorait avant lui.

Le rapport fit un moment quelque bruit ; les journaux que M. Thiers avait toujours l'habileté d'avoir dans la main le portèrent aux nues ; des universitaires vinrent en députation remercier leur avocat ; puis le silence se fit sur ce document. Les catholiques eux-mêmes n'en parurent pas très émus. Aucun mouvement n'en résulta, ni dans le parlement ni en dehors. Les derniers mois de 1844 s'écoulèrent, sans que les journaux en parlassent, et, dans la session de 1845, nul ne sembla empressé de le faire mettre à l'ordre du jour. L'attitude plus que prudente du ministère indiquait d'ailleurs qu'il n'était point disposé à engager son existence sur cette loi ; du moment où le rapport était, non le premier acte d'un débat purement politique, mais seulement le préliminaire d'une controverse de doctrines qui ne viendrait peut-être qu'à longue échéance, M. Thiers n'y avait plus aucun intérêt ; il lui importait peu que la liberté d'enseignement fût réglée d'une façon ou de l'autre, si la question ministérielle n'y était pas mêlée, et il fut le premier à enterrer ce rapport d'une célébrité si éphémère.

 

III

M. Thiers avait mal réussi en abordant directement le problème de la liberté d'enseignement ; ne pouvait-il pas être plus heureux en exploitant les passions mauvaises qui s'étaient soulevées à côté, en portant au parlement cette question des jésuites qui, depuis deux ou trois ans, agitait tant l'opinion ? Certains de ses amis le lui insinuèrent en 1845, et peut-être s'y sentait-il poussé par la mortification de son premier échec et par l'impatience de son ambition. Cependant il hésita beaucoup, dit-on, avant de s'engager dans cette voie, qui lui répugnait. Les jésuites en eux-mêmes lui étaient absolument indifférents : il avait tenu à se distinguer publiquement de leurs vulgaires accusateurs : Je ne pense pas des jésuites tout le mal qu'on en dit, déclarait-il, en 1844, dans un des bureaux de la Chambre ; il y a là-dessus beaucoup d'exagération. Et, dans son rapport, il avait affirmé n'être pas animé, à l'égard de ces religieux, d'un petit esprit de calomnie et de persécution. Au pouvoir, il leur avait été plutôt bienveillant, et l'on parlait de certaines lettres fort favorables aux congrégations qu'il avait écrites, étant ministre, aux préfets des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse. Mais, en sommant le ministère d'appliquer contre les jésuites ce qu'on prétendait alors être les lois du royaume, il croyait l'obliger ou à se poser en protecteur de ces religieux devant l'opinion ameutée, ou à commencer une persécution moralement et peut-être juridiquement impraticable ; alternative des cieux côtés également périlleuse, et d'où l'on semblait pouvoir se tirer seulement par une énergie de décision et de conduite que l'expérience montrait n'être pas dans le tempérament des ministre3. C'était assez pour triompher des scrupules de M. Thiers. Les motifs qui le décidaient étaient si visibles qu'ils n'échappaient pas même aux étrangers ; le plus important des journaux allemands disait alors :

Il y a beaucoup de faux dans tout ce bruit qu'on fait à propos du clergé et des jésuites. Les véritables lutteurs, ceux qui se battent sérieusement, sont un reste de jansénistes, un reste de gallicans à la façon des anciens parlements, irrités contre les théologiens. Ajoutez-y quelques célébrités littéraires blessées dans leur amour-propre, comme MM. Dupin, Cousin, Michelet, Quinet et compagnie... Quant M. Thiers, au fond, la chose lui est parfaitement indifférente. Si les jésuites s'accommodaient de lui, il s'en accommodait fort bien à son tour ; car il les laissait jouir de la tranquillité la plus profonde, pendant qu'il était ministre. Aujourd'hui les jésuites lui sont utiles pour renverser M. Guizot. De toute évidence, il existe, entre lui et la coalition, un pacte secret pour faire un coup fourré et le porter au ministère, aux dépens des jésuites. De cette façon, il deviendrait le premier auteur des fortifications et l'homme qui les ferait armer. Une fois ministre, M. Thiers se montrerait des plus rebellés à l'endroit du clergé, qui ne lui est pas le moins du monde odieux[12].

 

La feuille allemande ajoutait, il est vrai, non sans raison, que M. Thiers, arrivé au pouvoir par de tels moyens, avec des passions ainsi irritées, n'y trouverait pas la position aussi facile qu'il se l'imaginait. Mais il était dans la nature de cet homme d'État de n'envisager guère les choses qu'au jour le jour, se confiant en son adresse pour éluder les difficultés du lendemain. En ce moment, il ne pensait qu'à s'emparer du gouvernement conte que coûte.

Pour préparer et appuyer l'attaque parlementaire, il fallait produire ou tout au moins feindre un mouvement d'opinion : c'était la tâche de la presse ; M. Thiers avait l'habitude de préluder ainsi aux campagnes de chaque session. Cette fois, rien de plus simple ; les journaux avaient depuis longtemps commencé à crier Au jésuite ! et, sauf quelques scrupuleux de l'école de M. de Tocqueville, ils étaient tout disposés à continuer plus bruyamment encore. D'ailleurs n'avait-on pas mieux que des articles de discussion ou d'invective ? À cette époque, le propre journal de M. Thiers, le Constitutionnel, publiait en feuilleton le Juif-Errant de M. Eugène Sue. Toutes les infamies débitées depuis deux ou trois ans contre les jésuites, le romancier les mettait en action, les faisait vivre, les jetait aux passions de la foule, avec un nom et un visage d'homme tels que nous en rencontrons tous les jours : forme bien autrement meurtrière et irréfutable de la calomnie. Dans un récit aussi absurde qu'odieux, la Compagnie de Jésus était représentée dominant le monde par les moyens les plus vils et les plus criminels, fomentant et exploitant la luxure, organisant le vol et l'assassinat, ayant pour agents les étrangleurs de l'Inde, le tout assaisonné d'excitations socialistes et imprégné de cette sensualité malsaine et impudique, de cette odeur de crapule dont M. Sainte-Beuve avait déjà parlé à propos des Mystères de Paris. Le Juif-Errant achève de révolter, écrivait le même critique, en 1845. Il y avait à la vérité, des juges moins sévères : le Journal des Débats se gardait bien d'adresser un blâme à un allié aussi utile, et dont l'œuvre, par le sujet et l'intention, appartenait, disait-il, à la croisade anti-jésuitique. — Laissons toute liberté au pinceau de M. Eugène Sue, ajoutait-il ; et il racontait avec complaisance qu'on reproduisait le roman en Belgique et qu'on frappait une médaille en l'honneur de l'auteur[13]. M. Véron, l'impresario du Constitutionnel, calculait avec satisfaction les 15 à 20.000 abonnés que lui l'apportaient les 100.000 francs payés à l'auteur. Il sentait bien qu'il n'avait pas fait une fort honnête opération[14] ; mais était-il tenu à montrer plus de délicatesse que naguère le Journal des Débats, avec les Mystères de Paris ? Quant à M. Sue, il se vantait à bon droit de n'avoir pas fait une œuvre moins moralisatrice que MM. Libri, Génin, Quinet et Michelet ; il leur faisait l'honneur de les saluer comme ses inspirateurs, et il déclarait avoir été déterminé par leurs hardis et consciencieux travaux sur les funestes théories de la Compagnie de Jésus, à apporter aussi sa pierre à la digue puissante élevée contre un flot impur et toujours menaçant. Il n'a jamais été dans les habitudes de M. Thiers d'être scrupuleux sur la moralité de ses instruments ; toutefois, on veut croire qu'il n'était pas toujours flatté de la publication qui semblait être ainsi entreprise à son service et sous son patronage, et qu'il ne faisait pas fière figure quand M. de Montalembert parlait, à la tribune des pairs, de ce journal redevenu fameux, où trois anciens ministres du 1er mars, l'honorable M. Thiers, l'honorable M. de Rémusat et l'honorable M. Cousin, avaient l'avantage d'être les collaborateurs de l'honorable M. Sue[15].

Cette calomnie en quelque sorte vivante, publiée chaque matin à vingt mille exemplaires, favorisée par la vogue qu'avaient alors le roman-feuilleton et le nom de M. Sue, reproduite, illustrée de toutes façons, collée aux vitres de mille boutiques, ne pénétrait pas impunément partout dans les salons, les ateliers, les cabarets. Il en devait sortir un nuage de préventions et de haines contre le jésuite et contre le prêtre en général. Néanmoins on serait plutôt frappé de voir combien, avec des moyens si violents, l'émotion produite était factice et superficielle. Il était visible que si les meneurs cessaient d'alimenter ce feu de paille, il s'éteindrait de lui-même. Aussi, à cette époque, l'abbé Dupanloup pouvait-il écrire, après avoir rappelé le trouble autrement profond de 1827, 1828 et 1829 :

Eh bien ! aujourd'hui les temps sont meilleurs ; et, malgré une agitation violente qui n'est manifestement excitée qu'à la surface, au fond les préventions ne tiennent pas ; les calomnies ne sont crues qu'à moitié ; le peuple, malgré tout ce qu'on fait pour l'émouvoir, ne s'émeut pas ; le bon sens résiste avec plus de force qu'on ne s'y attendait, malgré les habiletés et les fureurs contraires ; il proteste invinciblement, et cela parmi les hommes les plus éclairés, jusque dans les plus humbles régions, où la foule, sans bien s'en rendre compte, ni sortir de son indifférence, sent toutefois qu'il y a trop de stupidité et de mensonge dans tout ce qu'on lui dit, et que les erreurs dont on veut la nourrir sont pour elle une pâture trop grossière[16].

 

Tous les moyens étaient bons aux adversaires des jésuites, tout leur servait de prétexte : témoin le procès Affnaer. Cet Affnaer était un fripon vulgaire qui, employé à l'économat des religieux, leur avait escroqué 200.000 francs. Dénoncé et arrêté, il crut pouvoir exploiter en sa faveur les passions régnantes et se mit à calomnier ceux qu'il avait volés. La presse accueillit ce concours déshonorant, et, sur la foi du misérable, prétendit dévoiler les mystères de la fortune et de l'organisation intérieure de la Compagnie. Cette fantasmagorie dut s'évanouir au plein jour des débats publics. Mais la condamnation, prononcée le 9 avril 1845, n'en fut pas moins l'occasion d'un redoublement d'attaques : s'être laissé voler et surtout s'être plaint, c'était, disait-on, braver insolemment une législation qui ne permettait aux jésuites ni de posséder ni même d'exister. Ce procès ne sera-t-il pas l'un des arguments qu'invoqueront bientôt les ministres, dans leurs discours ou dans leurs dépêches, pour expliquer comment ils avaient été obligés à sévir contre ces religieux ? Ceux-ci étaient plus attaqués pour avoir été volés que d'autres ne l'auraient été pour avoir volé eux-mêmes.

 

IV

On crut alors le moment venu de saisir le parlement. Cinq jours après la condamnation d'Affnaer, à propos d'une pétition des catholiques marseillais contre les cours de MM. Quinet et Michelet, M. Cousin déclara, à la Chambre des pairs, que le vrai désordre n'était pas cc qui se passait au Collège de France, mais l'existence des jésuites en violation des lois : il demanda l'exécution de ces lois ; puis, après avoir accompli cet acte de courage civique, il s'écria d'un ton dramatique qui fit sourire l'assemblée : Je n'hésite pas à me déclarer l'adversaire de cette corporation : il m'en arrivera ce qui pourra ! Le ministère tâcha d'abord de faire la sourde oreille ; à la fin, contraint de parler, M. Martin du Nord se borna à répondre vaguement qu'il y avait bien d'autres associations non autorisées, qu'il convenait d'apprécier les faits et de ne pas céder à des impatiences irréfléchies. La Chambre haute, peu disposée à suivre le véhément philosophe, se contenta de cette défaite. Mais ce n'était qu'une escarmouche préliminaire. Chacun savait que la grande bataille devait être livrée à la Chambre des députés par M. Thiers lui-même. Chacun aussi savait que les jésuites, appuyés par tous les catholiques, contestaient l'existence des lois qu'on prétendait leur appliquer ; qu'ils avaient pris l'avis de jurisconsultes, qu'ils étaient résolus à résister et à porter avec éclat le débat devant la justice et devant l'opinion.

Un tel conflit était fait pour émouvoir singulièrement le ministère. M. Guizot n'avait consenti qu'à regret, dans le projet de 1844, à interdire l'enseignement aux congrégations ; au moins s'était-il flatté que, moyennant cette sorte de rançon, la Compagnie de Jésus ne serait pas inquiétée dans son existence. Il l'avait dit alors, et d'autres défenseurs du projet, M. Portalis par exemple, l'avaient dit avec lui. Or voilà que les ennemis des jésuites, encouragés et non désarmés par cette concession, manifestaient des exigences plus grandes. Quelque temps, le ministre avait espéré pouvoir se tenir coi : Il y a une grande tempête, disait-il au P. de Ravignan : je m'y opposerai. J'ai parlé au roi, au conseil. Il ne faut pas commettre une grande injustice. Aucune mesure n'a été prise. Laissons passer le flot. Mais ce flot grossissait chaque jour davantage. Quand il fut connu que M. Thiers était décidé à parler, le ministère fut bien obligé de s'avouer qu'il ne pourrait éluder la mise en demeure par quelques paroles vagues, comme M. Martin du Nord avait fait à la Chambre des pairs, en répondant à M. Cousin.

Quel parti prendre ? Défendre, non les jésuites, mais leur liberté, se mettre hardiment en travers du préjugé et de la passion, c'eut été une noble et peut-être habile politique ; elle était en tous cas conforme aux sympathies personnelles de M. Guizot et à l'idée si haute qu'il se faisait d'un homme d'État, quand il en traçait ainsi les devoirs :

Quiconque ne conserve pas, dans son jugement et dans sa conduite, assez d'indépendance pour voir ce que les choses sont en elles-mêmes, et ce qu'elles conseillent ou commandent, en dehors des préjugés et des passions humaines, n'est pas digne ni rapide de gouverner. Le régime représentatif rend, il est vrai, cette indépendance d'esprit et d'action infiniment plus difficile pour les gouvernants, car il a précisément pour objet d'assurer aux gouvernés, à leurs idées et à leurs sentiments comme à leurs intérêts, une large part d'influence dans le gouvernement ; mais la difficulté ne supprime pas la nécessité, et les institutions qui procurent l'intervention du pays dans ses affaires lui en garantiraient bien peu la bonne gestion, si elles réduisaient les hommes qui en sont chargés, au rôle d'agents dociles des idées et des volontés populaires. La tache du gouvernement est si grande, qu'elle exige quelque grandeur dans ceux qui en portent le poids, et plus les peuples sont libres, plus leurs chefs ont besoin d'avoir aussi l'esprit libre et le cœur fier[17].

 

Toutefois, après ce qui s'était passé depuis quatre ans, pouvait-on s'attendre à voir les ministres pratiquer cette grande politique ? Ils croyaient les esprits si montés contre les jésuites. ils craignaient tant d'être, sur cette question, abandonnés par leurs propres amis, qu'ils jugeaient toute résistance impossible, périlleuse pour la religion, mortelle peut-être pour la dynastie ; il leur semblait que la monarchie de Juillet serait compromise, comme l'avait été celle de Charles X, en associant à une cause trop impopulaire, et Louis-Philippe déclarait ne pas vouloir risquer sa couronne pour les jésuites. Ô brièveté de la sagesse politique, quand elle prétend discerner ce qui perd et ce qui sauve les gouvernements ! On jetait des religieux pardessus bord pour alléger le navire qui portait la fortune de la monarchie ; et quand, peu après, soufflera la tourmente, ce sera ce grand et beau navire qui sombrera, tandis que la petite barque des jésuites arrivera au port ; la révolution qui jettera la famille d'Orléans en exil. fera disparaître les derniers vestiges de proscription pesant sur la Compagnie de Jésus, et M. Thiers lui-même proclamera, devant le pays, cette sorte d'émancipation. Singulier et saisissant contraste, qui fournira à un jésuite l'occasion de rappeler une anecdote, racontée par les pieux biographes du fondateur de son ordre. A son retour de Jérusalem, saint Ignace s'étant arrêté à Chypre, fut fort en peine de trouver une voile amie pour le reconduire aux rivages italiens. Il y avait pourtant là un beau navire de Venise, bien appareillé ; et ceux qui étaient venus avec Ignace priaient le capitaine de le recevoir sur son bord, par charité, attendu que c'était un saint. — Si c'est un saint, répondit le capitaine, il n'a que faire de mon navire. Qu'il se mette sur la mer, et les eaux le porteront. Ignace monta sur une chétive embarcation qui, violemment battue par la tempête, aborda pourtant en Italie. On apprit depuis que le navire vénitien, surpris par l'orage et voulant rentrer au port, avait échoué sur des rochers.

Si le gouvernement ne croyait pas pouvoir défendre les jésuites, il ne voulait pas s'engager dans une de ces luttes du pouvoir civil contre les influences religieuses, qui, suivant la parole de M. Guizot, prennent aisément l'apparence et aboutissent souvent à la réalité de la persécution. Sur ce point, sa prudence ne parlait pas moins haut que sa justice. Rien de plus aisé que de pérorer sur les lois du royaume frappant la Compagnie de Jésus ; rien de plus incertain, de plus difficile et de plus périlleux que leur application, pour un gouvernement dont l'honneur était de ne pouvoir ni de vouloir jamais faire acte d'arbitraire. D'ailleurs M. Guizot n'avait pas la vue assez courte pour ne point discerner que, si M. Thiers le poussait dans cette aventure, ce n'était pas avec l'espérance de l'en voir sortir ; il sentait que l'opposition lui tendait un piège, où elle comptait bien enlever au ministère la vie et l'honneur.

Dans ce redoutable embarras, le cabinet chercha s'il ne se trouverait pas quelque moyen détourné et pacifique de supprimer en quelque sorte la matière du conflit. Déjà plusieurs fois, pendant les dernières années, il avait demandé, en vain il est vrai, aux évêques de sacrifier eux-mêmes les jésuites. Ce que les évêques refusaient, ne pourrait-on l'obtenir du Pape ? On avait d'ailleurs l'exemple. du gouvernement de la Restauration qui, placé, après les ordonnances de 1828, en face des résistances de l'épiscopat, s'était adressé à la cour romaine pour sortir de peine[18]. Il n'est question de blâmer ni le procédé, ni l'intention ; M. Guizot a déclaré plus tard n'avoir agi que dans l'intérêt de la liberté d'association et d'enseignement qui eussent souffert d'une intervention directe de l'autorité civile ; tandis que, ajoutait-il[19], porter la question devant le pouvoir spirituel, supérieur religieux des jésuites, c'était faire appel à la liberté même et aux concessions volontaires. Mais quand on voit tous les gouvernements, à tour de rôle, provoquer ainsi eux-mêmes la papauté à régler, dans les affaires françaises, la conduite du clergé et des catholiques, peut-on ensuite leur reconnaître grand droit à se plaindre de ce qu'ils appellent les progrès de l'ultramontanisme ?

L'idée de ce recours à Rome s'était présentée, déjà depuis quelque temps, à l'esprit de M. Guizot, et il avait, pour ce cas, choisi in petto son négociateur, M. Rossi. Ce personnage s'était distingué, à la Chambre des pairs, dans la discussion de 1844, où il avait pris adroitement position entre M. de Montalembert et M. Cousin, visant évidemment la succession de M. Villemain, compromis et usé. Il n'eut pas le portefeuille : l'ambassade de Rome lui échut en place. La Providence, qui se joue des calculs les plus habiles, le conduisait ainsi à une destinée qu'il eût été alors le dernier à prévoir : envoyé à Rome pour y arracher, au nom des préjugés voltairiens et de la timidité ministérielle, le sacrifice des jésuites, il devait y rester pour succomber martyr de l'indépendance pontificale, et dire en allant au-devant des assassins : Qu'importe, la cause du Pape est la cause de Dieu ! Existence singulière entre toutes que celle de cet Italien au pale visage, au regard de lynx, au profil d'aigle, si souvent transplanté et déraciné, poussé, par les hasards de la vie, dans les paf s les plus divers, les sociétés les plus dissemblables, chaque fois y reconstruisant à nouveau l'édifice de sa fortune, et partout, eu dépit de difficultés souvent immenses, s'élevant an premier rang ! Jeune homme, à Bologne, il est à la tête du barreau. Émigré en 1815, il se réfugie à Genève ; professeur, député, il devient l'homme le plus important de la république. 1830 l'appelle en France : accueilli d'abord par les sifflets des étudiants, il est, au bout de peu d'années, pair de France, membre del' Institut, doyen de la Faculté de droit, ambassadeur et comte. En 1848, il perd tout ; il reçoit ce coup avec le sang-froid d'un joueur pour lequel la fortune n'a plus de surprises ; ce sexagénaire change une fois de plus de patrie et recommence une nouvelle carrière ; ministre de Pie IX, il rencontre, pour couronner et ennoblir une existence honorable, mais où l'ambition avait paru parfois tenir plus de place que le sacrifice, l'héroïsme tragique de sa mort. Vie plus agitée et plus remplie que féconde, ou les événements  semblent n'avoir jamais permis à M. Rossi de donner sa mesure : il n'eu a pas moins laissé à ceux qui l'ont approché, l'impression d'un homme d' État qui eût été égal aux plus grands rôles, et l'histoire doit reconnaître en lui le dernier descendant de ces politiques que jadis l'Italie donnait ou plutôt prêtait aux autres nations.

Dès la fin de 1844, M. Rossi, qui avait peut-être suggéré lui-même à M. Guizot l'idée de s'adresser à Rome, était parti en touriste pour l'Italie, afin de rapprendre en quelque sorte les hommes et les choses de sa première patrie. Le 2 mars 1845, le gouvernement, l'accrédita officiellement auprès du Pape, avec mission d'obtenir la dissolution et la dispersion des jésuites de France. Il fut tout d'abord froidement accueilli. Son passé, sa qualité d'émigré, son mariage avec une protestante, son indifférence notoire dans les questions religieuses, tout en lui était fait pour éveiller les ombrages de la cour et de la société pontificales. Mais il n'était pas de ceux qu'une telle réception pouvait démonter. Que de fois n'avait-il pas dit, se pousser dans des milieux hostiles ! Il avait l'art de plaire avec souplesse et dignité, la hardiesse sensée, la sagacité froide et prompte, dans la volonté comme dans l'action une persévérance impassible qui donnait bientôt aux autres le sentiment qu'il finirait par l'emporter. Il avait aussi cette patience qui est peut-être la qualité la plus nécessaire pour traiter arec Rome : deux mois durant, il resta dans une sorte d'inaction, laissant les mauvaises volontés s'émousser, les curiosités ou les prudences s'étonner, puis s'inquiéter de son silence, se bornant à se faire sous main des amis dans la prélature et la curie.

Mais, pendant ce temps, les événements se précipitaient à Paris. L'approche du jour fixé pour les interpellations avivait encore la polémique. M. Thiers avait la fortune étrange de voir la campagne qu'il dirigeait contre le ministère, secondée passionnément par le principal organe de ce ministère : le Journal des Débats dépassait en violence toutes les feuilles de gauche. M. Cuvillier-Fleury y traitait les jésuites d'hypocrites patentés, de marchands d'indulgences, de pourvoyeurs d'absolutions, de colporteurs de pieuses calomnies. — Vous êtes, leur criait-il, un monument vivant du mépris de la loi ; rien qu'à ce titre, je vous repousse. Car vous n'êtes pas des proscrits honteux qui cachent leur nom et qui implorent la générosité d'un adversaire[20]. Ces excitations n'étaient pas sans produire quelque émotion dans la populace. Des placards injurieux et menaçants étaient collés sur la porte des jésuites. Des bruits d'émeute circulaient dans certains quartiers. La police avait dû se mettre sur ses gardes.

 

V

Enfin le jour de la discussion arriva. Le 2 niai 1845, M. Thiers monta à la tribune, pour développer son interpellation sur l'exécution des lois de l'État à l'égard des congrégations religieuses. Il fut courtois et relativement modéré dans la forme, par souci évident de se distinguer de ceux avec qui il faisait campagne. Remontant jusqu'à l'ancien régime, il prétendit rechercher quelles lois étaient applicables contre les jésuites. Ne mettait-il pas une sorte de coquetterie à montrer qu'il pouvait aussi être un juriste ? Mais, malgré la clarté habituelle de son talent, il ne resta de sa longue dissertation qu'une impression confuse et incertaine. Sa gêne fut plus grande encore, quand il fallut donner la raison de fait qui justifiait l'application de la loi. Il n'en indiqua pas d'autre que la lutte soutenue par les évêques contre l'Université. Mais pourquoi frapper les jésuites, non les évêques ? C'est, disait M. Thiers, que les jésuites étaient probablement les auteurs du trouble. A l'égard du gouvernement, il affecta ne vouloir que l'aider ; il n'ignorait pas qu'il est aussi fatal à un cabinet de se laisser protéger que de se laisser vaincre par l'opposition ; ces protestations lui paraissaient d'ailleurs le meilleur moyen de cacher le piège qu'il tendait. La discussion dura deux jours. On remarqua que M. Thiers y fut appuyé par deux procureurs généraux : celui de la cour de cassation et celui de la cour royale de Paris ; le premier, M. Dupin, tout meurtri encore des condamnations récentes du Manuel, soutenait presque une cause personnelle : on le vit à l'amertume vulgaire de son langage. La gauche, par l'organe de son chef, n'exprima qu'un regret : c'est qu'on voulût encore garder des ménagements, et qu'on s'en prît seulement aux jésuites.

La cause de la liberté était perdue d'avance : toutefois elle fut défendue par M. de Lamartine avec quelque incohérence, par M. de Carné avec une vaillante droiture, par M. Berryer avec une puissance éloquente. C'était la première fois que le l'État, passe à l'ordre du jour. Une trentaine de députés furent seuls à protester. Les conservateurs ministériels, incapables, du moment où les ministres baissaient la tête, de résister à eux seuls, votèrent en masse avec la gauche. Mais ils en souffraient visiblement : Je rougis, disait l'un d'eux à M. Beugnot, du rôle que le ministère nous a fait jouer. Quant au gouvernement, il s'était fait une idée telle du péril, qu'il se déclarait satisfait du résultat. Vous appelez cela une défaite, disait le roi au nonce. En effet, dans d'autres temps, c'en eût été une peut-être ; aujourd'hui, c'est un succès, grâce aux fautes du clergé et de votre cour. Nous sommes heureux de nous en être tirés à si bon marché[21]. L'opposition ne s'employait pas pourtant à diminuer, pour le ministère, les humiliations de la capitulation. Dès le lendemain, le journal de M. Thiers, le Constitutionnel, notait que l'opposition avait fait une fois de plus l'office de gouvernement. Le cabinet, disait-il, n'a agi, comme toujours, que par peur. Il a trouvé la Chambre plus redoutable encore que les jésuites ; il aura contre les jésuites le courage du poltron acculé à l'abime. Il ajoutait, en parlant du discours ministériel : C'est toujours et plus que jamais de la politique plate, très platement défendue. Le Siècle faisait à M. Martin du Nord un reproche, assez, piquant en cette circonstance, il l'accusait de jésuitisme. M. Thiers lui-même trouvait-il le plaisir de sa victoire sans mélange, et certaines paroles un peu inquiètes de la fin de son discours ne laissaient-elles pas entrevoir chez lui comme une impression tardive de ce que cette campagne avait de peu honorable et de dangereux pour sa cause ? En somme, triste discussion chacun en avait plus ou moins le sentiment ; les témoins avaient observé que, pendant ces cieux jours, la Chambre avait été visiblement mal à l'aise, indécise, étonnée de sa froideur et de sa gêne, et l'abbé Dupanloup pouvait écrire à ce moment[22] : On voulait du bruit, du scandale, une manifestation ; on a eu tout cela ; mais on en a été médiocrement satisfait ; c'est un spectacle curieux aujourd'hui d'étudier l'embarras où cette discussion laisse tout le rende.

Les moins embarrassés étaient peut-être les catholiques. Ils croyaient entrer dans l'ère de la persécution ; leurs organes les plus modérés le proclamaient hautement[23] ; mais leur courage ne s'en troublait pas. Ils n'en étaient plus à ces époques de timidité plaintive où, devant une menace, ils ne savaient guère que réclamer dans un bureau ou gémir aux portes d'un palais. C'était en quelque sorte sur la place publique qu'ils étaient résolus à porter leur protestation et leur résistance. Ils avaient pris les mœurs en même temps que les idées de la liberté. Et vraiment parfois, en dépit de leur petit nombre, en dépit de l'impopularité trop réelle attachée à ce nom de jésuite sur lequel ils étaient réduits à livrer la bataille, ils semblaient éprouver un frémissement joyeux à la pensée de paraître, devant l'opinion et devant la justice, comme les confesseurs de la liberté religieuse. N'espéraient-ils pas même, à la faveur de ce rôle, rompre cette tradition d'impopularité ? Ne se voyaient-ils pas déjà soutenus par les journaux anglais qui, malgré leurs préventions, blâmaient l'ordre du jour motivé et y opposaient, non sans quelque ironie, l'énergie libérale avec laquelle leur gouvernement protestant faisait justice aux catholiques irlandais ! Du reste, pas de divergence dans le sein du parti religieux. Laïques, évêques, congréganistes de tous les ordres, étaient d'accord pour se défendre par les armes du droit commun et de la liberté. Mgr Parisis conjurait publiquement les jésuites de ne faire aucune concession et de subir plutôt tous les genres de persécution que de sacrifier le principe de liberté qui est humainement aujourd'hui le boulevard de l'Église ; et il ajoutait : Plutôt cent ans de guerre que la paix à ce prix[24]. Les jésuites de France étaient pleinement entrés dans ces sentiments. Appuyés sur une consultation qui établissait leur droit et la manière de le faire sauvegarder par les tribunaux[25], ils avaient envoyé toutes leurs maisons, pour le cas où le pouvoir voudrait y porter la main, un programme de résistance légale et des formulaires de protestation où ils tenaient ce viril et libéral langage :

Français jouissant des droits de la cité, nous invoquons l'appui protecteur des lois communes à tous, et nous protestons, avec toute l'énergie de notre conscience, contre une violation inexplicable des droits religieux et des garanties constitutionnelles les plus avérées. Nous ne pouvons croire que des clameurs aveugles et un nom calomnié, sans coupables désignés, sans délit imputé, sans un fait articulé, suffisent, dans un pays libre, pour faire expulser et proscrire des religieux, des prêtres, des Français, égaux devant la loi à tous les autres Français[26].

 

Les catholiques ne se contentaient pas de préparer la défensive, ils prenaient hardiment l'offensive. En même temps que plusieurs évêques protestaient publiquement, MM. de Montalembert, Beugnot et de Barthélemy soulevaient la question des jésuites devant la Chambre des pairs (11 et 12 juin 1845). Tous trois, le premier avec un éclat la liberté. Et vraiment parfois, en dépit de leur petit nombre, en dépit de l'impopularité, trop réelle attachée à ce nom de jésuite sur lequel ils étaient réduits à livrer la bataille, ils semblaient éprouver un frémissement joyeux à la pensée de paraître, devant l'opinion et devant la justice, comme les confesseurs de la liberté religieuse. N'espéraient-ils pas même, à la faveur de ce rôle, rompre cette tradition d'impopularité ? Ne se voyaient-ils pas déjà soutenus par les journaux anglais qui, malgré leurs préventions, blâmaient l'ordre du jour motivé et y opposaient, non sans quelque ironie, l'énergie libérale avec laquelle leur gouvernement protestant faisait justice aux catholiques irlandais ! Du reste, pas de divergence dans le sein du parti religieux. Laïques, évêques, congréganistes de tous les ordres, étaient d'accord pour se défendre par les armes du droit commun et de la liberté. Mgr Parisis conjurait publiquement les jésuites de ne faire aucune concession et de subir plutôt tous les genres de persécution que de sacrifier le principe de liberté qui est humainement aujourd'hui le boulevard de l'Église ; et il ajoutait : Plutôt cent ans de guerre que la paix à ce prix[27]. Les jésuites de France étaient pleinement entrés dans ces sentiments. Appuyés sur une consultation qui établissait leur droit et la manière de le faire sauvegarder par les tribunaux[28], ils avaient envoyé à toutes leurs maisons, pour le cas où le pouvoir voudrait y porter la main, un programme de résistance légale et des formulaires de protestation où ils tenaient ce viril et libéral langage :

Français jouissant des droits de la cité, nous invoquons l'appui protecteur des lois communes à tous, et nous protestons, avec toute l'énergie de notre conscience, contre une violation inexplicable des droits religieux et des garanties constitutionnelles les plus avérées. Nous ne pouvons croire que des clameurs aveugles et un nom calomnié, sans coupables désignés, sans délit imputé, sans un fait articulé, suffisent, dans un pays libre, pour faire expulser et proscrire des religieux, des prêtres, des Français, égaux devant la loi à tous les autres Français[29].

 

Les catholiques ne se contentaient pas de préparer la défensive, ils prenaient hardiment l'offensive. En même temps que plusieurs évêques protestaient publiquement, MM. de Montalembert, Beugnot et de Barthélemy soulevaient la question des jésuites devant la Chambre des pairs (11 et 12 juin 1845). Tous trois, le premier avec un éclat de passion dédaigneuse et vengeresse, le second avec un sens politique des plus remarquables, le troisième avec une connaissance étendue du problème juridique, mirent en vive lumière l'inanité des griefs allégués contre la Compagnie de Jésus, l'illégalité et le péril des mesures qu'on voulait prendre contre elle. Ils flétrirent la conduite de l'opposition libérale, donnant un démenti à tous ses principes, et aussi la faiblesse du ministère, livrant la liberté religieuse à des passions qui n'étaient ni les siennes ni même celles de ses amis, mais celles de ses ennemis. Ils terminaient par un cri de défi et d'espoir : Quoi qu'il arrive, disait M. de Montalembert, l'avenir sera à nous, parce qu'il est à la liberté et au droit commun ; et M. Beugnot rappelait, comme un avertissement, ce mot du seizième siècle : L'Église reçoit les coups et ne les rend pas ; mais prenez-y garde, c'est une enclume qui a usé bien des marteaux. Contre une attaque si puissante et malheureusement si justifiée, que pouvait la parole timide, plaintive et embarrassée du ministre des cultes ? Obligé de dire pourquoi il frappait les jésuites, il ne sut guère leur reprocher que d'être ventis hautement à la face du pays déclarer ce qu'ils étaient[30]. Singulier grief, en vérité, dans un temps de publicité, et tout au moins fort différent du reproche de dissimulation qu'on avait d'ordinaire adressé à ces religieux. Si crime il y avait, le ministre s'en apercevait un peu tard : dix-huit mois, en effet, s'étaient écoulés depuis que le P. de Ravignan, provoqué et non provocant, avait, en réponse aux calomnies du Collège de France, exposé simplement et noblement ce qu'étaient les jésuites. M. Martin du Nord se proclamait, du reste, avec une sincérité parfaite, bon catholique ; il tâchait de se persuader et de persuader aux autres que tout tournerait au bien de la religion et du clergé, surtout si l'on se gardait de causer tant d'embarras au mieux intentionné des gardes des sceaux.

Pour les clairvoyants du ministère, la conclusion d'une telle discussion devait être un désir plus vif encore que la cour de Rome les tirât de l'impasse où ils s'étaient fourvoyés. De ce côté étaient leur unique ressource et leur espoir. Je compte beaucoup sur le Pape, disait M. Martin du Nord à un évêque, vers le milieu de juin ; je parierais trois contre un qu'il tranchera la difficulté. Au contraire, en dehors du gouvernement, ni les catholiques ni les opposants de gauche ne croyaient au succès de M. Rossi. De temps à autre, le Constitutionnel annonçait, avec une satisfaction non dissimulée, que la négociation ne marchait pas Le 2 juillet, l'Univers recevait une lettre de Rome, én date du 20 juin, annonçant que la congrégation des affaires ecclésiastiques avait repoussé la demande du gouvernement français et que, dès ce moment, la mission de M. Rossi était terminée. plupart des journaux acceptaient cette nouvelle, et le Constitutionnel publiait, le 5 juillet, un grand article où il triomphait, contre le ministère, de l'échec des négociations, et le menaçait, s'il n'agissait pas directement contre les jésuites, d'une injonction explicite dans la prochaine adresse. Mais le lendemain, 6 juillet, chacun lisait dans le Moniteur, avec une stupéfaction mêlée d'incrédulité, la note suivante : Le gouvernement du roi a reçu des nouvelles de Rome. La négociation dont il avait chargé M. Rossi a atteint son but. La congrégation des jésuites cessera d'exister en France et va se disperser d'elle-même, les maisons seront fermées et ses noviciats seront dissous. L'émotion fut vive, les catholiques consternés, les opposants déroutés, les ministériels triomphants. On n'y comprenait rien. Que s'était-il donc passé à Rome ?

 

VI

M. Rossi était sorti de sa réserve après l'interpellation de M. Thiers[31]. La discussion et le vote qui l'avait suivie lui servaient d'argument auprès du Pape. Tracer un tableau plus menaçant qu'exact des passions soulevées contre les jésuites, en se gardant du reste, de prendre à son compte les reproches adressés à cet ordre ; faire entrevoir les plus grands périls pour la religion, notamment la dissolution légale de toutes les congrégations et même le schisme, si l'on ne faisait pas quelque sacrifice aux préjugés régnants ; insinuer que ce sacrifice ne serait que temporaire, et qu'on se contenterait d'une sécularisation de six mois ; faire miroiter, comme compensation, toutes sortes de faveurs pour le clergé, la solution de la question d'enseignement et la modification des articles organiques, — tels étaient les moyens par lesquels le négociateur cherchait à agir sur Grégoire 1XVI et sur son entourage. D'abord insinuant, il avait pris peu à peu un ton plus raide. De Paris, le roi le secondait : Savez-vous ce qui arrivera, disait Louis-Philippe au nonce, si vous continuez de laisser marcher et de marcher vous-même dans la voie où l'on est ? Vous vous rappelez Saint-Germain-l'Auxerrois, l'archevêché saccagé, l'église fermée pendant plusieurs années. Vous reverrez cela pour plus d'un archevêché et d'une église. Il y a, me dit-on, un archevêque qui a annoncé qu'il recevrait les jésuites dans son palais, si on fermait leur maison. C'est par celui-là que recommencera l'émeute. J'en serai désolé, ce sera un grand mal et un grand embarras pour moi et pour mon gouvernement. Mais, ne vous y trompez pas, je ne risquerai pas ma couronne pour les jésuites ; elle couvre de plus grands intérêts que les leurs. Votre cour ne comprend rien à ce pays-ci ni aux vrais moyens de servir la religion[32]. Au fond, le roi ne croyait pas la situation aussi noire, et surtout il n'était nullement disposé à laisser faire l'émeute, comme en 1831 ; mais il jugeait utile d'effrayer.

Un tel langage était fait pour jeter quelque trouble dans l'esprit du vieux pape et de ses conseillers. Ces hommes d'un autre âge ne se sentaient pas sur un terrain connu et sûr, quand il leur fallait prendre un parti au sujet de la France de 1830. Leur finesse italienne pressentait une exagération dans les paroles de M. Rossi. Mais comment discerner l'exacte vérité, au milieu de ces batailles de presse et de parlement si étrangères à leurs mœurs ? Comment mesurer la force réelle de cette puissance, avec laquelle leur chancellerie n'était pas accoutumée à traiter, l'opinion publique ? ils entendaient bien les catholiques de France les conjurer de tout refuser ; ils n'auraient pas voulu les contrister ; mais ils ne pouvaient s'empêcher de trouver un peu étrange et inquiétante leur manière si nouvelle et si hardie de défendre la religion ; on avait remarqué que, malgré certaines sollicitations, le Pape n'as ait jamais voulu approuver ni encourager la conduite du nouveau parti religieux[33], et M. Rossi savait bien toucher la corde sensible, quand il répétait toujours que ce parti était la coda di Lamennais. Le gouvernement pontifical était froissé de la pression que l'on prétendait exercer sur lui par M. Rossi ; mais il savait gré à la monarchie de Juillet du mal qu'elle n'avait pas fait et qu'elle avait empêché après 1830, et il désirait la ménager par prudence autant que par justice, par prévoyance autant que par gratitude. Du reste la politique constante de Rome, depuis quinze ans, n'était-elle pas de transiger avec les puissances sur les questions de liberté religieuse ? Ne l'avait-on pas vu dans les affaires de Pologne, de Prusse et d'Irlande ? Par tous ces motifs, la cour romaine était, en face de la demande qui lui était adressée, indécise et anxieuse ; elle usait alois de sa ressource habituelle en pareil cas : elle ne disait rien, et attendait.

Mais le ministère français ne pouvait s'accommoder de ce silence : il devint plus pressant. La congrégation des affaires ecclésiastiques fut alors convoquée ; à l'unanimité, elle décida que le Pape ne pouvait accorder ce qui lui était demandé. C'est la délibération que, quelque temps après, faisait connaître l'Univers. Était-ce donc un échec complet pour M. Rossi ? Une mesure aussi extrême et absolue n'eût pas été dans les traditions de la vieille diplomatie pontificale. En même temps qu'on sauvegardait le principe par la décision de la congrégation, on donnait à entendre au négociateur français que, si le Pape ne devait rien ordonner, il serait probablement possible d'obtenir des jésuites eux-mêmes quelques concessions volontaires[34]. Sans doute il était assez bizarre, pour un gouvernement qui se prétendait en face d'une congrégation à l'état de révolte contre les lois, de solliciter de cette congrégation, par voie diplomatique et à titre de concession, une soumission plus ou moins complète à ces lois ; il était piquant de voir ceux qui faisaient un crime aux religieux d'obéir à un supérieur étranger, invoquer, fût-ce indirectement et par intermédiaire, l'autorité de ce supérieur. Mais M. Rossi était tenu de réussir à tout prix : il savait que son gouvernement, sans passion propre en cette affaire, serait heureux de tout expédient qui, à défaut d'un succès réel, en donnerait l'apparence, permettrait de déjouer la tactique de M. Thiers, et sortirait tant bien que mal les ministres d'embarras. Il accepta donc avec empressement l'ouverture qui lui était faite. Ses demandes, bien moins absolues qu'au début, finirent par se réduire à ceci : que les jésuites se missent dans un état qui permît au gouvernement de ne pas les voir, et qui les fit rester inaperçus, comme ils l'avaient été jusqu'à ces dernières années. Le cardinal secrétaire d'État estimait un accord possible sur ce terrain : il répondait que les maisons peu nombreuses pourraient très facilement être inaperçues, que les grandes et celles qui sont placées dans les localités où les passions sont trop violentes, seraient réduites à un petit nombre d'individus.

Dès le 13 juin, au lendemain de la réunion de la congrégation des affaires ecclésiastiques, deux cardinaux s'étaient rendus chez le général des jésuites et l'avaient engagé, de la part du Pape, à faire quelques concessions pour avoir la paix et pour laisser passer la tourmente. Le général avait aussitôt invité les supérieurs français à disperser les maisons de Paris, Lyon et Avignon. A la suite d'une nouvelle démarche faite par d'autres cardinaux, le 21 juin, il avait ajouté la maison de Saint-Acheul et les noviciats trop nombreux. Nous devons, écrivait-il, tâcher de nous effacer un peu, et expier ainsi la trop grande confiance que nous avons eue à la belle promesse de liberté qui se trouve dans la Charte et qui ne se trouve que là. Il n'était du reste question que de déplacer des religieux, nullement de fermer des maisons : l'existence de la Compagnie en France ne recevait aucune atteinte. A ceux qui lui demandaient davantage, le général répondit que des mesures plus radicales dépassaient son pouvoir et qu'il faudrait un ordre du Pape. Cet ordre ne vint pas.

Tel fut le dernier mot des concessions faites par les jésuites, dont la conduite apparaît très nette et très correcte. Combien on était loin de la note du Moniteur, qui annonçait que la congrégation cesserait d'exister en France, que ses maisons seraient fermées et ses noviciats dissous ! Cette note avait été rédigée sur une dépêche de M. Rossi qui disait seulement : Le but de la négociation est atteint... La congrégation des jésuites va se disperser d'elle-même, les noviciats seront dissous, et il ne restera dans les maisons que les ecclésiastiques nécessaires pour les garder, vivant d'ailleurs comme des prêtres ordinaires.

Dans la préoccupation de frapper plus vivement le monde parlementaire, le rédacteur de la note n'avait pas fait une traduction fidèle de la dépêche, où, comme on le voit, il était bien question de congrégation dispersée et de noviciats dissous, mais non de congrégation cessant d'exister et de maisons fermées. La rédaction même de M. Rossi, bien que plus réservée que celle du Moniteur et se rapprochant davantage des concessions consenties par le Père général, les dépassait cependant sur certains points. Ce malentendu tenait sans doute à ce que M. Rossi n'avait voulu traiter avec les jésuites que par intermédiaires. 11 avait, il est vrai, lu à deux reprises sa dépêche au cardinal Lambruschini, le secrétaire d'Etat, qui l'avait approuvée, après discussion. Celui-ci ne devait pas ignorer que les jésuites n'avaient pas autant concédé. Pourquoi donc n'avait-il pas averti de l'erreur ? Était-ce de sa part timidité ou finesse ? Avait-il craint le conflit qu'aurait pu provoquer une trop pleine lumière ? Avait-il considéré que cet éclaircissement ne rentrait pas dans son rôle, qui était celui d'un témoin, non d'un acteur direct ? Avait-il cru deviner qu'après tout le négociateur français aimait mieux un malentendu dont on verrait plus tard à se tirer, qu'un échec immédiat ? Avait-il pressenti que les religieux menacés gagneraient plus qu'ils ne perdraient dans la confusion de cet imbroglio ? On ne saurait le dire. Interrogé par les jésuites français, il a tenté de justicier sa conduite, dans une dépêche ultérieure au nonce du Pape à Paris[35] : il y prouvait facilement qu'il n'avait jamais connu ni accepté ce qu'on avait mis dans la note du Moniteur ; mais ses explications sur l'approbation donnée par lui à la dépêche du négociateur français n'éclaircissaient rien. M. Rossi était bien Italien, et il l'avait montré dans cette négociation. Peut-être Mgr Lambruschini ne l'était-il pas moins.

 

VII

Dès le lendemain de la note du Moniteur, les journaux catholiques recevaient de Rome des nouvelles qui leur permettaient d'en contester l'exactitude. Seulement, ils ne savaient, sur la négociation, que ce que les jésuites pouvaient leur en apprendre ; ils ignoraient quel avait été au juste le rôle de la cour romaine ; celle-ci, qui redoutait sans doute pour la paix qu'on arrivât trop tôt à préciser le malentendu, gardait le silence. Les autres journaux pressentaient bien qu'il y avait là quelque équivoque, peut-être une sorte de mystification : mais qui en était victime ? Le ministère lui-même aurait été bien embarrassé de faire pleine lumière et surtout de justifier la rédaction de sa note. Interrogé, à la Chambre des pairs, par M. de Boissy, le 16 juillet, M. Guizot resta dans les généralités, rendant hommage à la sagesse du Pape, même à celle des jésuites, et M. de Montalembert, tout frémissant et irrité qu'il était, déclara n'avoir pas de données assez certaines pour contredire les assertions ministérielles. Du reste, la fin de la session vint bientôt dispenser le gouvernement de toute explication embarrassante.

Restait l'exécution matérielle : les jésuites de France étaient prêts à obéir à leur supérieur, avec cet esprit de discipline qui est l'honneur et la force de leur Compagnie ; mais ils le faisaient, la mort dans l'âme, presque la rougeur au front. Jamais la soumission n'avait été si dure à l'âme du P. de Ravignan. Il disait ne pouvoir plus se montrer à aucun des pairs de France, des députés et des avocats qui avaient préparé et approuvé la consultation de M. de Vatimesnil. — Je baisserai la tête sous le joug en silence, écrivait-il au Père général ; mon âme est bien triste... Que je serais heureux si Votre Paternité m'envoyait hors de cette France !... Mais pardon ! quelle que soit mon affliction, je ne veux qu'obéir pleinement et toujours. Dès le 10 juillet, les jésuites faisaient donc savoir au gouvernement, par l'entremise du comte Beugnot, que, par un motif de paix et en réservant leurs droits, ils étaient disposés à exécuter les instructions de leur général, mais rien de plus ; au cas d'exigences plus grandes, on serait, déclaraient-ils, nécessairement replacé sur le terrain des discussions et des résistances légales. Le ministre, ne fut pas satisfait. Il s'en tenait à la note du Moniteur ; il lui fallait toutes les maisons fermées, ou du moins gardées chacune par trois religieux au plus, les noviciats dissous, sauf un pour les missions, les jésuites n'existant plus à l'état de congrégation. Il ajouta, à la vérité, qu'il ne voulait pas user de violence ; que, si les jésuites ne s'exécutaient pas d'eux-mêmes, il adresserait ses plaintes au pape, assuré d'en obtenir tout ce qu'il demanderait[36].

La difficulté se trouvait donc de nouveau reportée à Rome. M. Guizot sentait où était son point faible : il n'avait aucune pièce écrite du gouvernement pontifical à l'appui des affirmations de M. Rossi ; aussi avait-il chargé ce dernier de tâcher d'en obtenir une, et avait-il suggéré, dans ce dessein, les procédés les plus ingénieux. Mais la cour romaine était sur ses gardes ; elle répondit adroitement et poliment, sans se laisser surprendre la déclaration désirée, et en renvoyant soigneusement aux jésuites eux-mêmes les remerciements qu'on lui adressait. D'ailleurs elle témoignait alors un vif mécontentement des inexactitudes de la note du Moniteur. M. Rossi, interpellé, avait dû la désavouer et même faire savoir indirectement au couvent du Gesù qu'il ne fallait pas prendre à la lettre les termes de cette note. Interrogé d'un autre côté par les jésuites de France, le cardinal Lambruschini leur faisait dire par le nonce qu'il n'avait jamais été question, à Rome, d'accepter des mesures indiquées par le Moniteur, et qu'à toute demande de ce genre, le Pape ferait une réponse négative. Sa dépêche se terminait par ces paroles : Votre Excellence pourra dire aux jésuites, sous forme de conseil, de s'en tenir à ce que le Père général leur écrira de faire ; car ils ne sont pas obligés d'outrepasser les instructions de leur chef. Or le Père général déclarait au P. de Ravignan que les sacrifices consentis étaient le nec plus ultra, et il ajoutait : Si le gouvernement ne s'en contente pas, nous ferons valoir nos droits constitutionnels. L'un de ses assistants, le P. Rozaven, écrivait à M. de Montalembert : Nous imiterons M. Martin (du Nord) qui se croise les bras et nous laisse agir. Nous croiserons aussi les bras et le laisserons venir. Quand on veut assassiner quelqu'un, il faut qu'on ait le courage d'immoler la victime ; la plier de s'immoler elle-même, pour s'en épargner la peine, c'est pousser la prétention trop loin.

Le gouvernement rencontrait donc quelque résistance à Rome aussi bien qu'à Paris. Il essaya quelque temps d'en triompher, mais avec une mollesse dont il faut faire honneur à sa bienveillante prudence. D'ailleurs, pendant ce temps, les Chambres s'étaient séparées : les journaux parlaient d'autre chose. Le ministère, plus libre de suivre ses propres inspirations, renonça sans bruit aux mesures annoncées avec tant d'éclat dans le Moniteur, et finit en fait par se contenter de celles qu'avait consenties le Père général. L'exécution, commencée en aoùt, était terminée au 1er novembre : elle ne toucha que les maisons de Paris, Lyon, Avignon et les noviciats de Saint-Acheul et de Laval. Il y eut des déplacements, des disséminations, des morcellements gênants, pénibles et coûteux pour la Compagnie, mais pas un jésuite ne quitta la France, pas une maison ne fut fermée : le résultat fut plutôt d'en ouvrir de nouvelles[37]. M. Guizot laissa faire et n'exigea pas davantage. On ne devait revenir sur cette affaire dans les Chambres que deux ans plus tard. Le 10 février 1847, un député. M. de la Messe, appuyé par M. Dupin, demanda où en étaient les négociations commencées avec la cour de Rome, relativement à l'existence de certaine corporation religieuse. M. Guizot put se borner à répondre, en termes vagues, que les négociations continuaient, mais que le changement de pontificat avait amené une suspension dans les négociations et dans leurs effets. Aucune suite ne fut donnée à cet incident, dont le seul résultat fut de faire constater que la question n'intéressait plus personne et qu'elle était, suivant le mot de la langue parlementaire, définitivement enterrée. Il convient, en cette circonstance, de louer la modération par laquelle le ministère avait effacé en partie les effets de sa faiblesse. M. Guizot s'en est plus tard fait honneur ; parlant de cette exécution si restreinte et si peu en rapport avec ce que le gouvernement avait d'abord annoncé : J'ai fait en sorte, en 1845, dit-il[38], que le gouvernement et le public français s'en contentassent, et j'y ai réussi. Je demeure convaincu, en 1866, que par là j'ai bien compris et bien servi, dans un moment très critique, la cause de la liberté d'association et d'enseignement.

Le gouvernement estimait d'ailleurs alors avoir atteint le but qu'il s'était immédiatement proposé, et se félicitait d'être ainsi sorti d'une aventure un moment fort inquiétante. Il avait pleinement déjoué la tactique de M. Thiers. Cet homme d'État qui, au lendemain de son interpellation, croyait le ministère pris au piège, était une fois de plus réduit à opérer lestement sa retraite. Ce terrain ne lui était décidément pas propice. Il s'exécuta complètement et d'assez bonne grâce. Du moment où les jésuites ne pouvaient plus lui servir contre M. Guizot, il n'avait aucun goût à s'en occuper davantage ; il ne prononcera plus leur nom, jusqu'en 1850. Le ministère avait une autre satisfaction non moins vive, il faut le dire à sa louange, que celle d'avoir battu et dérouté M. Thiers : il avait écarté toute éventualité de persécution religieuse. Il suffit de lire les paroles prononcées par M. Guizot, à la Chambre des pairs, le 16 juillet, pour voir combien le ministre était pénétré des périls qu'aurait fait courir une action directe contre les jésuites, combien il était heureux d'en être débarrassé et d'avoir suivi la conduite la plus pacifiante, combien il désirait se remettre, avec le clergé, sur un pied de paix confiante. Aussi, après ce discours, le Constitutionnel raillait-il, avec quelque amertume, le zèle de M. Guizot pour l'Église.

Les catholiques n'étaient pas, au premier abord, disposés à se laisser convaincre qu'eux aussi devaient être satisfaits. Dans leur camp, le désarroi et le dépit n'étaient pas moindres que du côté de M. Thiers ; ils avaient pris position, préparé leurs armes, échauffé leurs troupes, délié leurs adversaires, et au moment où, devant le public attentif à l'éclat de ces préliminaires, la bataille allait s'engager, voici que, suivant la parole de Montalembert, leur avant-garde devait tout d'un coup, par l'ordre de son chef, poser les armes et défiler sans mot dire sous le feu de l'ennemi. Que leur importait que le mal matériel fut peu de chose ? Il y avait là une mortification plus sensible que bien des défaites, parce qu'elle paraissait toucher à l'honneur. D'ailleurs ne pouvait-on pas craindre que l'armée tout entière ne fût dissoute du coup, ou que du moins on ne pût lui rendre l'élan et la confiance ? Ne dirait-on pas que Rome donnait raison par là à ceux qui traitaient M. de Montalembert et ses amis d'irréguliers compromettants ? Aussi la note du Moniteur avait-elle produit, chez les catholiques, une émotion douloureuse et irritée, dont il est difficile après coup de s'imaginer la vivacité. Ce fut un moment terrible, a dit plus tard M. de Montalembert. Le respect seul empêchait que cette émotion ne se traduisît en plaintes publiques contre la papauté. Mgr Parisis écrivait à un prélat romain une longue lettre, destinée à être montrée, où il exposait, avec une fermeté triste et parfois un peu âpre, comment la conduite suivie risquait de blesser, de décourager les catholiques, de les rendre défiants envers Rome[39]. Il s'étonnait que l'autorité suprême, qui jusqu'alors n'avait cru devoir donner aucun encouragement aux défenseurs de la liberté religieuse en France, ne fût sortie de sa réserve que pour les frapper, sur la demande de leurs ennemis. Ma raison en est confondue, s'écriait-il, autant que mon cœur en est broyé. Il insistait principalement sur le caractère de ce procédé offensant pour l'épiscopat français que le Pape n'avait même pas consulté, dans une question qui le touchait de si près. N'est-il pas piquant que ce soit un gouvernement se prétendant gallican qui ait demandé, imposé à la cour de Rome un acte qu'un évêque ultramontain trouvait trop autoritaire et pas assez respectueux des droits du clergé national ?

Parmi les catholiques, il eu était un cependant qui approuvait la conduite du Pape, et se félicitait après tout, étant donnée la situation, des résultats de la négociation : ce n'était ni un timide ni un tiède, c'était Lacordaire. Son opinion, alors tout à fait isolée, est intéressante à connaître. On la trouve dans les lettres qu'il écrivait, en juillet et août 1845. Il déclarait tout d'abord n'admettre pas aisément que le Saint-Siège ne fût pas éclairé d'une lumière très particulière et très précise, quand il s'agissait des intérêts de l'Église. Il ne niait pas que la résistance extrême n'eût pu avoir plus de grandeur et de fierté ; mais ne risquait-on pas d'y perdre tout ce qu'on avait gagné pour l'existence des ordres religieux ? Puis il ajoutait :

Au contraire, en cédant quelque chose, on consacrait ce qui n'était pas touché, ou apaisait les esprits, on donnait au gouvernement la force de se séparer de nos ennemis, on lui ôtait les chances terribles d'une persécution, on rentrait dans la voie de conciliation suivie depuis 1830... Il fallait au gouvernement, aux Chambres, une porte pour sortir du mauvais pas où tous s'étaient jetés : cette porte leur est ouverte. Dans le cas présent, le gouvernement n'ayant pas une intention persécutrice, mais seulement une mauvaise position à lui faite par ses adversaires et sa propre faiblesse originelle, il était utile de ne pas le pousser à bout dans une lutte à mort, où il aurait eu pour auxiliaire la Chambre des députés et presque toute la presse.

 

Il constatait qu'en fait les jésuites eux-mêmes n'étaient pas sérieusement atteints. Nous sommes battus en apparence, victorieux en réalité... je crois qu'en matière religieuse, le succès sans le triomphe est ce qu'il y a de mieux[40]. Un tel jugement, porté au moment même, dans l'agitation des événements et dans l'émotion des esprits, révèle en tous cas une intelligence singulièrement ouverte, libre et équitable. Qui oserait affirmer que, sur plus d'un point, les faits n'aient pas donné raison à Lacordaire ? Sans doute, il aurait mieux valu pour tous et surtout pour la monarchie de Juillet, que le gouvernement eût eu le courage ou la force de tenir tête dés le début aux préjugés et aux passions ; mais, dans la situation que faisait à chacun le vote de l'ordre du jour de M. Thiers, sait-on quelle eût été la lutte, conséquence d'un refus de toute concession ? C'était au moins l'inconnu. Grâce aux résultats quelque peu équivoques, et pour le moment fort déplaisants aux catholiques, de la négociation de M. Rossi et des demi-concessions consenties par Rome, la question des jésuites disparaissait, sans que les jésuites disparussent eux-mêmes. Presque aussitôt il se faisait sur eux un silence complet, qui révèle d'ailleurs combien le tapage de tout à l'heure était factice et superficiel. La diversion tentée par les défenseurs du monopole et dont nous avions signalé les débuts en 1842, était terminée ; elle aboutissait pour eux à une victoire apparente, mais à une défaite réelle : désormais la question de la liberté d'enseignement se posait, mieux dégagée des passions et des mots par lesquels on avait cherché et trop souvent réussi à l'obscurcir et à l'irriter[41]. Des religieux français ont souffert moralement dans leur honneur de citoyen, matériellement dans leur repos : est-on assuré que cette épreuve, sur le moment si vivement ressentie, n'ait pas été en somme plus profitable que nuisible à leur cause particulière ? Tel est du moins le sentiment de M. Guizot, et il est curieux de l'entendre se faire après coup un mérite d'avoir préparé ainsi cette émancipation définitive des jésuites qui devait être proclamée au lendemain de la révolution de février : Si j'avais agi autrement, a-t-il écrit en 1866[42], si les lois civiles avaient été appliquées et exécutées, quelle eût été, en 1848, la situation des jésuites ? Croit-on qu'il eût été facile au gouvernement nouveau, quelles que fussent ses dispositions, d'abolir des lois formellement reconnues, des arrêts récents, et de ressusciter une congrégation naguère frappée ? J'ai ajourné le coup, j'ai tenu la question en suspens, et il a été infiniment plus facile de la résoudre selon le vœu et le droit de la liberté. Enfin, si la tactique du parti catholique était un moment désorientée par cette surprise, si l'élan de ses troupes en était ralenti, par contre ne faisait-on point un pas vers cette pacification religieuse dont, à cette heure même, l'abbé Dupanloup allait inscrire le nom, alors nouveau, sur le drapeau catholique ? La guerre, qui ne devait être après tout que le moyen, était peut-être rendue plus difficile ; mais la paix, qui était le but, devenait plus facile. Aussi M. de Montalembert, qui avait été si animé en 1845, écrivait-il vingt ans après : L'événement prouva que nos alarmes étaient exagérées[43].

 

 

 



[1] Le 15 février 1845, l'abbé Souchet, chanoine de Saint-Brieuc, était condamné à quinze jours de prison et à 100 francs d'amende.

[2] Chroniques parisiennes de M. Sainte-Beuve, p. 292.

[3] Cette minorité se composait de MM. de Salvandy, O. Barrot, de Tocqueville et de Carné.

[4] On publia contre Timon : Feu Timon, Saint Cormenin, le R. P. Timon, Feu contre feu, Eau sur Feu, etc.

[5] Tome IV des Actes épiscopaux.

[6] A la suite de ces événements, Mgr Affre fit paraitre son ouvrage de l'Appel comme d'abus (1845). C'était plus qu'une œuvre de circonstance. Le savant et sage prélat montrait par l'histoire, la raison et les principes, ce qu'avaient d'absurde ou d'odieux la plupart dos cas d'abus. Il précisait los circonstances où une répression des actes du clergé pouvait être légitime, et il indiquait quels moyens seraient alors préférables à la déclaration d'abus.

[7] Le rapport de M. Thiers fut déposé et lu à la Chambre en juillet 1844.

[8] Gardons-nous, disait-on dans le rapport, de calomnier cette prétention de l'État d'imposer l'unité de caractère à la nation, et de la regarder comme une inspiration de la tyrannie... On pourrait presque dire, au contraire, que cette volonté forte de l'État d'amener tous les citoyens à un type commun s'est proportionnée au patriotisme de chaque pays. Et M. Thiers en donnait cette preuve : Si nous avons songé un moment à imposer d'une manière absolue le joug de l'État sur l'éducation, c'est sous la Convention nationale, au moment de la plus grande exaltation patriotique.

[9] Je dois tout à la Révolution, disait à la tribune M. Thiers, elle m'a fait ce que je suis ; c'est la cause de ma vie entière. Et encore : J'appartiens au parti de la Révolution française : c'est la seule cause qui soit vraiment chère à mon cœur.

[10] Chroniques parisiennes de M. Sainte-Beuve, p. 228.

[11] Ce fut, raconte-t-on, l'origine des relations entre Jules Simon et M. Thiers.

[12] Gazette d'Augsbourg du 2 mai 1845.

[13] Journal des Débats du 11 mai 1845, article de M. Cuvillier-Fleury.

[14] Le docteur Véron dit dans ses Mémoires : Le grand désir de redonner de la popularité au Constitutionnel, par l'éclat d'un grand nom, ne me rendit exigeant ni sur le sujet ni sur le but moral de l'ouvrage. J'apportai certainement dans cette affaire autant d'imprévoyance que de légèreté. Que ceux qui n'ont jamais commis de faute dans la vie nie jettent la pierre !

[15] Discours du 14 janvier 1845.

[16] De la Pacification religieuse (1845).

[17] Guizot, Mémoires, t. VII, p. 1.

[18] On pourrait noter du reste, entre les deux époques, des analogies curieuses. En 1828, le négociateur français fut, comme en 1845, un personnage d'origine italienne, M. Lasagni, jurisconsulte éminent qui a laissé les meilleurs souvenirs dans la magistrature française. Les résultats de la négociation, la conduite de la cour romaine et du gouvernement français, l'imbroglio qui en résulta, furent à peu près les mêmes dans les deux cas. Voyez sur la négociation de 1828, Les Jésuites et la liberté religieuse sous la Restauration, par Antonin Lirac.

[19] Lettre au R. P. Daniel (Études religieuses, septembre 1867).

[20] Journal des Débats, passim, notamment le n° du 13 avril 1843. — Ce journal disait encore, quelques jours après les interpellations, le 10 mai, par la plume du même rédacteur : Voyez ce qui se passe en Belgique où le jésuitisme est un pouvoir de l'État... Ce ne sont que de pauvres prêtres, je le veux bien, mais en eux vit l'esprit de propagande à tout prix, qui s'étend par la domination des femmes et l'abêtissement des enfants ; esprit insinuant, cauteleux, souriant et flatteur, tant qu'il lutte contre l'obstacle ; qui avance en rampant sous le pied qui l'écrase ; mais esprit d'orgueil, d'intolérance, de persécution, le jour où il se relève pour convertir et dominer sou oppresseur :

Trepidusque repente refugit

Attollentem iras et cærula colla turnentem.

Ce serpent dont parle Virgile, ce n'est pas le jésuite peut-être ; c'est l'esprit de son ordre. Ne laissez donc pas à cette colère contenue le temps d'éclater ; n'attendez pas que ce venin se répande. Sachez que, sous cette robe, il y a le cour d'un fanatique lui peut changer de visage, mais dont l'âme est immuable comme sa doctrine, et dont le bras est toujours prêt à jeter la férule du pédagogue, pour brandir le fer sacré du sectaire.

[21] Guizot, t. VII, p. 413.

[22] Des associations religieuses (1845).

[23] Correspondant, t X, p. 337, 343.

[24] Un mot sur les interpellations de M. Thiers (juin 1845).

[25] La consultation signée de MM. de Vatimesnil, Berryer, Béchard, Mandaroux-Vertamy, Pardessus, Fontaine, J. Gossin, Lauras, H. de Riancev, a été publiée, à cette époque, à la fin d'une brochure renfermant les débats qui eurent lieu, à la Chambre des pairs, sur la question des jésuites, dans les séances des 11 et 12 juin 1845.

[26] Vie du P. de Ravignan, par le P. de Pontlevoy, t. Ier, p. 314 à 317.

[27] Un mot sur les interpellations de M. Thiers (juin 1845).

[28] La consultation signée de MM. de Vatimesnil, Berryer, Béchard, Mandaroux-Vertamy, Pardessus, Fontaine, J. Gossin, Lauras, H. de Riancey, a été publiée, à cette époque, à la fin d'une brochure renfermant les débats qui eurent lieu, à la Chambre des pairs, sur la question des jésuites, dans les séances des 11 et 12 juin 1815.

[29] Vie du P. de Ravignan, par le P. de Pontlevoy, t. Ier, p. 314 à 317.

[30] A la même époque, dans un Mémorandum adressé à la cour romaine, M. Rossi reprochait aux jésuites la confiance inexplicable ce laquelle ils avaient déchiré le voile qui les couvrait et avaient voulu (sic) que leur nom vint se mêler à la discussion des affaires du pays.

[31] Sur les faits assez obscurs de cette négociation, ou peut consulter d'une part les Mémoires de M. Guizot, t. VII, qui renferment des extraits précieux de la correspondance diplomatique, et d'autre part : La liberté d'enseignement, les jésuites et la cour de Rome en 1845, lettre à M. Guizot sur un chapitre de ses Mémoires, par le P. Ch. Daniel, qui contient comme annexe une Note importante du P. Rubillon ; la Vie du P. de Ravignan, par le P. de Pontlevoy ; la Vie du P. Guidée, par le P. Grandidier, et l'Histoire de la Compagnie de Jésus, par M. Crétineau-Joly, t. VI. C'est en rapprochant ces renseignements, venus en quelque sorte des deux parties en présence, qu'on se fait une idée un peu exacte de ce qui s'est passé. Tous les documents que nous allons citer ou analyser se trouvent dans ces diverses publications.

[32] Guizot, Mémoires, t. VII, p. 413.

[33] A plusieurs reprises, les évêques français avaient consulté Rome sur la façon dont ils prenaient part aux débats sur la liberté religieuse. Rome avait refusé de répondre. Mgr Parisis s'est plaint avec vivacité de ce silence, dans une lettre considérable, adressée à un prélat romain, le 1er novembre 1845. Cette lettre n'a pas été publiée, mais nous en avons le texte sous les yeux.

[34] M. Crétineau-Joly a prétendu que le Pape n'avait pas voulu donner un conseil aux jésuites : c'est inexact. Nous ne voulons pour preuve du contraire que ce passage d'une lettre écrite par le Père général au P. de Ravignan : Le Seigneur ne permettra pas qu'un parti conseillé et suggéré par le Souverain Pontife... tourne contre nous. Vie du P. de Ravignan, par le P. de Pontlevoy, t. Ier, p. 332.

[35] Voir le texte complet de cette dépêche, dans la Vie du P. Guidée, par le P. Grandidier, p. 251 à 257.

[36] Lettre inédite du P. de Ravignan au Père général, 11 juillet 1843.

[37] C'est ainsi que la division du personnel de la maison de la rue des Postes amena, à Paris, la fondation de la maison de la rue du Roule supprimée en 1850, et de celle de la rue de Sèvres, devenue l'une des résidences importantes de la Compagnie.

[38] Lettre de M. Guizot au R. P. Daniel (Études religieuses, septembre 1867).

[39] Lettre inédite du 1er novembre 1845.

[40] Lettres diverses. Voir Correspondance avec Mme Swetchine, p. 120, et Foisset, Vie du P. Lacordaire, t. II, p. 101 et 107.

[41] M. de Montalembert lui-même le reconnaissait, quand il disait, à la Chambre des pairs, le 16 juillet 1845, en s'adressant aux ministres : La question de l'enseignement et celle de la liberté religieuse restent entières. Elles couraient grand risque d'être absorbées tout s deux dans la question des jésuites, et peut-être d'y périr. Eh bien ! on ne le pourra plus ; vous les avez dégagées. Je ne vous en remercie pas, bien loin de là ; je ne vous en félicite pas ; je constate seulement, à mon point de vue, la véritable portée du résultat que vous avez obtenu. Et rappelant l'impopularité injuste des jésuites, il avouait que ç'avait été un embarras pour les catholiques. Nous l'avions accepté avec courage, avec honneur, disait-il ; eh bien ! cet embarras, vous nous en avez délivrés.

[42] Lettre au R. P. Daniel.

[43] Notice sur le comte Beugnot (1865).