HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XVI. — NOTICE SUR LES TROIS GÉNÉRAUX QUI COMMANDAIENT LA 17e DIVISION MILITAIRE AU 20 JUIN ET AU 10 AOÛT 1792.

 

 

WIETINGHOFF — le Moniteur l'appelle inexactement Wittinckoff — était né en Pologne, le 30 juin 1722. Il avait donc soixante-dix ans en 1792. Appelé en France par le maréchal de Lowendal, dont il fut le protégé, il était maréchal de camp depuis 1780, et lieutenant général depuis le 20 mai 1791. Après les événements du 20 juin, à l'occasion desquels il n'avait su prendre aucune disposition défensive, il donna sa démission de commandant de la 17e division militaire. A la fin de 1792 et en 1793, on le retrouve faisant les campagnes de Belgique et de Vendée. Dans le milieu de cette dernière année, il fut suspendu de ses fonctions par le comité de salut public, et mis à la retraite. En l'an X (1802), il vivait encore à Versailles.

 

DE BOISSIEU, né en juillet 1741, avait cinquante-un ans en 1792. Il avait fait la campagne de 1769 en Allemagne, et celle de 1780 dans l'Inde. Maréchal de camp depuis 1788, au 10 août 1792 il commandait par intérim la 17e division militaire. Les divers récits de cette journée mentionnent sa présence et ses actes. Il ne paraît pas qu'il ait été inquiété par les vainqueurs ; ils se contentèrent de le mettre en retrait d'emploi le 7 septembre 1792. A partir de ce jour nous perdons sa trace et nous n'avons pu découvrir ni où ni quand il mourut.

 

JACQUES DE MENOU, né à Boussay, en Touraine, Je 9 septembre 1750, avait été député de la noblesse aux États généraux, et s'était fait plus d'une fois remarquer, à t'Assemblée constituante, par l'excentricité de ses motions.  !l était maréchal de camp depuis le 8 mai 1792, lorsqu'il fut appelé à commander en second la défense des Tuileries. Il accompagna le roi à l'Assemblée, tandis que de Boissieu restait au Château. Il ne paraît pas avoir été l'objet d'aucune poursuite après le triomphe de l'insurrection. Servan le mit, comme de Boissieu, en retrait d'emploi en septembre 1792.

Il était resté néanmoins dans la faveur de quelques-uns des puissants du jour, car il fut placé le 1er octobre sur une liste de candidats dressée pour le remplacement de Servan au ministère de la guerre. Mais Chabot l'en fit rayer, en disant qu'il n'était pas possible de songer à nommer ministre de la guerre l'homme qui commandait aux Tuileries dans la nuit du 9 au 10 août (Moniteur du 3 octobre). Menou écrivit pour se défendre (séance du 6 octobre), et il s'engagea entre le général et l'ex-capucin une correspondance qui se termina par une lettre de Chabot que nous avons retrouvée et qui donne une idée assez exacte du personnage :

Paris, le 30 décembre 1792.

Citoyen, vous avez eu tort de ne pas me citer plus tôt au tribunal de ma conscience, j'aurais déjà rempli toute justice. Je ne vous écris qu'après avoir fait auprès du ministre de la guerre tout ce qui dépend de moi pour vous faire restituer la place que vous avez perdue par mon inconsidération. Je voudrais que cette restitution dépendit totalement de moi et de mes amis. Je connais peu le ministre Pache que j'estime ; mais j'espère qu'il aura quelques égards aux raisons que je lui donne pour votre activité. Je vous salue fraternellement, mais avec des remords bien cuisants.

FRANÇOIS CHABOT.

 

Menou rentra enfin en grâce auprès des démagogues, protégé sans doute par Chabot ; il fut nommé générât de division le 15 mai 1793, et employé en cette qualité comme chef d'état-major général de l'armée de l'Ouest. Il y fut blessé, mais malgré les preuves de dévouement qu'il avait données, il ne tarda pas à retomber une seconde fois en disgrâce auprès de la montagne en ce moment toute-puissante. Mais, lors delà réaction thermidorienne, il fut rappelé à l'activité, et nous le retrouvons en vendémiaire an IV général de l'armée de l'intérieur, commandant la division militaire de Paris.

Il était dans la destinée de cet officier d'être mêlé à trois années d'intervalle, à deux des plus grands événements de notre histoire à la chute de la royauté, à l'apparition sur la scène politique de celui qui devait devenir un instant le maître du monde. C'était pendant les derniers jours de la longue et laborieuse session de la Convention nationale. Plusieurs sections anti-jacobines, notamment la section Lepelletier, s'étaient mises en révolte ouverte contre l'Assemblée souveraine. Chef de la force armée, alors à Paris, Menou entassa la majeure partie des troupes dont il pouvait disposer dans la rue Vivienne, devant l'entrée principale de l'ancien couvent des Filles-Saint-Thomas, qui occupait la presque totalité de l'emplacement de la place actuelle de la Bourse ; il fut, durant toute la journée du 12 vendémiaire, tenu en échec par les volontaires des. sections, retranchés dans le couvent, et finalement obligé de battre en retraite. Irritée de son incapacité et de sa faiblesse, la Convention le destitua, ordonna son arrestation et nomma Barras à sa place. Celui-ci avait fait, au siège de Toulon, la connaissance d'un jeune officier qui, quoique déjà promu au grade de général de brigade, était tombé en défaveur depuis la mort de l'un de ses plus puissants protecteurs, Robespierre le jeune, et, pour le moment, se trouvait à Paris occupant un obscur emploi au bureau topographique du comité de salut public.

C'est là que Barras envoie chercher Bonaparte tout le monde l'a reconnu avant que nous l'ayons nommé. Celui-ci prend aussitôt la direction complète des préparatifs qui doivent changer la face des choses pour le lendemain. Il se fait amener Menou déjà en arrestation, et passe la nuit à se renseigner sur le nombre et la disposition des forces que l'on a sous la main. Menou était incapable de commander en premier, mais il était assez bon chef d'état-major ; grâce à ses indications, Bonaparte se met rapidement au courant de tout ce qu'il lui importe de savoir pour combiner les mouvements qu'il médite, et avoir raison de la troupe sans discipline et sans direction, mais non sans courage, qu'il va avoir à combattre.

Général en chef, premier consul, empereur, Napoléon n'oublia jamais ceux qui, directement ou indirectement, avaient pu lui rendre quelques services dans cette nuit du 13 au 13 vendémiaire, où il fixa la fortune, jusqu'alors inconstante envers lui.

Nous avons vu (tome Ier) le premier consul rétablir Santerre dans son grade et dans son traitement de général, parce que le célèbre agitateur du faubourg Saint-Antoine avait su lui rappeler à propos le souvenir de vendémiaire.

Bonaparte fut encore plus reconnaissant vis-à-vis de Menou. Celui-ci avait été traduit devant un conseil de guerre pour sa conduite du 12 ; le nouveau général de l'armée de l'intérieur le fit acquitter et le couvrit de sa protection désormais toute-puissante.

Lors de l'expédition d'Égypte, Bonaparte emmena Menou avec lui. Après le départ du général en chef et la mort de Kléber, Menou se trouva investi du commandement en chef de l'armée, comme étant le plus ancien divisionnaire ; il fut, du reste, confirmé dans cette position éminente par un arrêté spécial du premier consul (19 fructidor an VIII). Se sentant appuyé en haut lieu, Menou n'eut garde de discontinuer ses excentricités il alla jusqu'à embrasser l'islamisme. Les soldats ne l'appelaient plus qu'Abdallah Menou. Ce fut ce triste personnage qui signa avec les Anglais la capitulation en vertu de laquelle les débris de l'armée d'Egypte furent ramenés en France. Malgré toutes les folies que Menou avait faites, l'empereur ne se montra pas envers lui moins bienveillant que le premier consul. II le nomma gouverneur général de la Toscane et des départements au delà des Alpes, avec deux cent mille francs de traitement annuel.

Menou mourut, aux environs de Venise, en 1810 ; un accès de fièvre pernicieuse l'enleva à une disgrâce qu'il avait cent fois méritée, et dont l'avaient toujours préservé les souvenirs de vendémiaire.