HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VIII. PRÉPARATIFS DE L'INSURRECTION DU 10 AOUT 1792.

 

 

EXTRAITS DES REGISTRES DES SECTIONS DE PARIS PENDANT LES PREMIERS JOURS D'AOÛT.

 

Comme il était impossible de publier  le texte complet des procès-verbaux des quarante-huit sections de Paris pendant les dix premiers jours du mois d'août 1792, nous avons choisi parmi leurs délibérations celles qui nous ont paru les plus caractéristiques. MM. Buchez et Roux ont déjà donné des extraits tronqués du procès-verbal de la section des Quinze-Vingts. A la page 236 de ce volume, nous avons rétabli le texte véritable de ce procès-verbal, dont, on ne sait pourquoi, les auteurs de l'Histoire parlementaire avaient omis une partie essentielle.

 

SECTION DU PONT-NEUF.

Séance du 2 août 1792.

Une députation de la section de Mauconseil a été introduite elle a demandé à faire part à l'assemblée de l'arrêté pris par ladite section, ainsi que son adresse aux citoyens de Paris. Pendant la lecture de la première partie, qui a été couverte d'applaudissements et de murmures, le président a consulté l'assemblée pour savoir si la lecture serait continuée, oui ou non. Les débats les plus vifs ayant eu lieu et tous les citoyens abandonnant leurs places, le calme n'a pu se rétablir dans l'assemblée. Les députés ayant voulu se retirer en ont été empêchés par une partie des citoyens et vivement invités par d'autres à sortir. Nombre de citoyens ont marqué, par les murmures les plus violents, leurs sentiments contre l'imprimé laissé sur le bureau.

Les députés de la section Mauconseil s'étant retirés, le calme s'étant rétabli, un membre a demandé la parole pourparler contre le président sur ce qu'il avait mis aux voix si la lecture dudit écrit serait continuée, et ajoutant que c'était une injure faite à la section Mauconseil que de n'avoir pas voulu entendre paisiblement son arrêté. Il a conclu par engager tous les citoyens qui étaient de son avis, à se transporter sur-le-champ à ladite section pour lui en faire réparation, et il est en effet sorti sur-le-champ suivi de plusieurs citoyens. Le calme s'étant enfin rétabli, le président a demandé à être entendu sur l'inculpation qui venait de lui être faite ; il a été écouté dans le silence. Plusieurs citoyens ont annoncé que l'assemblée restait composée de cent quarante citoyens actifs, qu'elle était toujours compétente pour continuer la délibération. Plusieurs membres ont de suite émis leur opinion sur l'écrit déposé sur le bureau par les députés de la section Mauconseil et, après plusieurs avis, l'assemblée, consultée par son président et résumant les motions des divers opinants, a arrêté que l'écrit intitulé : Extrait du registre de la section Mauconseil, et commençant par ces mots : L'an quatrième de la liberté, le 31 juillet,  l'assemblée réunie, et finissant par ceux-ci : Dumoulin, président, serait dénoncé à l'accusateur public pour poursuivre les fauteurs, imprimeurs et adhérents, comme tendant à soulever le peuple contre les autorités constituées ; qu'au préalable il serait nommé cinq députés pour s'informer si ledit arrêté était réellement de la section Mauconseil. Et ont été nommés commissaires à cet effet : MM. César Mattets, Preault, Saint-Martin, Duru, adjudant, et Duvergier.

 

SECTION DES ARCIS.

Séance du 6 août 1792.

L'abbé Danjou a été nommé président, M. Lefèvre de Gineau, premier vice-président, et M. Maire, second vice-président. M. Danjou a été appelé à la présidence et s'est approché du bureau requis par M. l'ex-président de prêter le serment ordonné par la loi, M. Danjou, après avoir entendu la formule prononcée par M. l'ex-président, a dit : qu'il consentait à la prestation en ce qui concernait le serment à la nation et à la loi, mais non au roi, attendu que les circonstances actuelles imposaient cette réticence à sa conscience ; il a demandé à cet égard le vœu de l'assemblée. M. l'ex-président a consulté l'assemblée, qui a consenti, à la presque unanimité, la réticence proposée par M. Danjou, demandant qu'il fut motivé dans le procès-verbal que tel était le vœu de l'assemblée, par la raison qu'elle avait, dans une séance précédente, voté la déchéance du roi, et que M. Danjou avait été l'un des commissaires rédacteurs de l'adresse à la maison commune. En conséquence, M. Danjou a prêté le serment tel qu'il l'avait demandé.

M. Maire, second vice-président, a prêté le même serment que M. Danjou.

M. Lefèvre de Gineau, premier vice-président, a prêté dans toute son intégralité le serment ordonné par la toi. n

 

SECTION MAUCONSEIL.

Séance du 31 juillet 1792.

L'assemblée, pénétrée de douleur de la conduite de Louis XVI, a déclaré qu'elle abjurait la partie du serment civique qui regarde le roi et la loi, s'en tenant expressément à la partie de ce serment qui regarde la nation, renouvelant à cet égard ce serment si cher à son cœur.

Et, pour donner plus de poids à sa conduite, elle déclare que la raison qui la détermine à cette action, c'est qu'après avoir réfléchi profondément sur, la conduite sinueuse et cruel le de Louis XVI, elle s'est persuadée que ce tyran, dix fois parjure, était l'ennemi le plus redoutable de la patrie.

Quant à la loi, l'assemblée, ne pouvant plus y reconnaître l'expression de la volonté générale, a cru devoir attendre la manifestation nouvelle de cette volonté par toutes les parties intégrantes du souverain. En conséquence, elle déclare qu'elle vote une adresse à l'Assemblée nationale pour la déchéance de Louis XVI et la convocation d'une convention nationale.

 

Séance du 7 août 1792.

M. Lhuilier a demandé la parole et a dit que, plein de reconnaissance de l'intérêt que nombre de personnes avaient pris à sa sûreté à la suite de son accident, il leur en renouvelait l'assurance et, en même temps, il leur faisait part d'une démarche qu'il avait faite ce matin chez M. Pétion, sur l'avis que plusieurs personnes lui avaient donné de projets contre la sûreté de sa personne ; afin de prévenir les suites des mauvaises intentions de ses ennemis qui pourraient exciter une rixe générale, il avait invité M. Pétion à envoyer un officier municipal afin de prévenir l'effet d'une rixe qui pourrait s'engager, et que le vœu de tout citoyen en versant son sang pour son pays devait être d'éviter.

L'assemblée a adopté, à l'unanimité, un projet d'arrêté, dont la teneur suit :

A toutes les sections du département de Paris.

Vos frères de la section Mauconseil sont toujours éveillés sur les dangers de la capitale ; ils voient, avec indignation, un petit nombre d'hommes lâchement cruels méditer de sang-froid le sac de la première ville du royaume.

Pour déjouer l'exécution de leurs sinistres projets, l'assemblée générale arrête

Qu'invitation serait faite, par des commissaires, aux quarante-sept autres sections d'adhérer à la proposition suivante :

Nommer dans chaque section six commissaires, moins orateurs qu'excellents citoyens, qui, par leur réunion, formeraient un point central à l'Hôtel de Ville ;

Que les fonctions de ces commissaires seraient de s'entendre avec la municipalité sur les moyens d'entretenir le calme et la tranquillité, sans pouvoir, cependant, s'immiscer d'aucune manière dans les fonctions municipales

Que l'objet principal de leur mission serait de communiquer, lors de la réunion des commissaires au point central, les arrêtés de leurs sections respectives et d'en poursuivre l'exécution auprès de la municipalité

Ils devront encore choisir parmi eux des commissaires pour assister aux séances des corps administratifs, dont la publicité est ordonnée par décret du Corps législatif.

Arrête, en outre, que des instructions seront imprimées pour développer les avantages de ces propositions.

 

Séance du 9 août 1792.

Les Gravilliers, Montreuil, les Quinze-Vingts, Bonne-Nouvelle, les Innocents, les Gobelins, les Tuileries, envoient des commissaires pour faire part à la section qu'ils sont tous debout, qu'à minuit le souverain se lève pour reconquérir ses droits.

L'assemblée générale, composée de plus de deux mille citoyens qui expriment unanimement le même vœu[1], ordonne au président de déclarer en son nom que telle est aussi leur volonté et qu'à minuit ils se réuniront tous ensemble.

La députation des Quinze-Vingts annonce que trente sections leur ont fait savoir qu'à minuit le tocsin et la générale battraient, et que tous les citoyens se réunissaient déjà en armes.

M. Lhuilier a proposé différentes mesures pour entretenir l'accord et l'union entre tous les citoyens, pour les préserver des embûches que pourraient nous tendre nos ennemis pour nous diviser.

Il a demandé que, sur-le-champ, trois commissaires fussent choisis pour aller à la maison commune pour aviser aux moyens de sûreté et aux mesures générâtes que trois personnes aillent avec eux à la commune pour reporter successivement les nouvelles de la commune a la section et entretenir toujours la communication la plus active entre les extrémités et le centre que des commissaires se répandent dans toutes les sections pour leur faire part de ces dispositions et les inviter à prendre les mêmes mesures.

L'assemblée a adopté à l'unanimité toutes ces dispositions et a nommé pour commissaires à la ville MM. Lhuilier, Gomé et Bonhomme, avec pouvoir de tout disposer pour le salut public.

Les citoyens vont successivement s'armer et se rassemblent couverts de toutes armes. — Minuit sonne.

Toute l'assemblée demande de faire rassembler les citoyens au son de la caisse et que la cloche d'alarme soit ébranlée.

M. Lhuilier approuve cette proposition et demande que le signal du combat à mort de l'esclavage et de la tyrannie soit donné, qu'il faut que le soleil, avant le milieu de sa course, éclaire la France libre ou la France asservie ; il dit : Veuillez la liberté, citoyens, levez-vous tous ; la tyrannie expirante est à vos pieds !

 

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La suite du procès-verbal, tenu heure par heure, constate les faits suivants :

1° A trois heures, Lhuilier et les autres commissaires invitent les sections à envoyer vingt-cinq hommes bien armés à l'Hôtel-de-Ville

2° A quatre heures et demie, l'on dépêche des canonniers au poste Henri IV, pour inviter les gardes nationaux qui l'occupent à faire tirer le canon d'alarme

3° A cinq heures et demie, ces commissaires reviennent et annoncent les dispositions peu favorables des citoyens postés au Pont-Neuf ; ils disent même que l'on a voulu les retenir en otage ;

4° A six heures et demie, l'assemblée reçoit l'avis, par la voie d'un des commissaires pour la correspondance entre la section et le point central, que l'assemblée générale des commissaires, d'après les pouvoirs qu'ils ont tous reçus d'employer tous les moyens pour la sûreté générale, vient de suspendre la municipalité et le conseil général.

 

SECTION DE L'ARSENAL.

Séance du 1er août 1792.

... Pendant que l'assemblée était occupée à la discussion des articles ci-dessus, est arrivée une députation se disant de la section de Mauconseil, apportant un arrêté, pris le 31 du mois dernier, dont elle a donné lecture cet arrêté contient des principes si contraires à la constitution et au repos du royaume, que ce n'est qu'avec peine que l'on a pu en soutenir la lecture jusqu'à la fin ; enfin, cet arrêté mis en délibération, il a été arrêté à une très-grande majorité d'improuver ledit arrêté.

VIVRAUX, président ; BOULA, secrétaire.

 

Séance du 9 août 1792.

Les soussignés, de service au comité de l'Arsenal à cause de la permanence de la section, réunis à M. le président de l'assemblée générale et à M. le commissaire de la section, de service, attestent que, pour satisfaire à la demande portée en l'arrêté de la section des Quinze-Vingts, rendu cejourd'hui, à onze heures du soir, M. Joliberteau, commissaire, envoyé par l'assemblée générale de la section de l'Arsenal vers la section des Quinze-Vingts, ira sur-le-champ, en cette qualité, avec M. Concedieu, président, et M. Barucaud, que nous lui adjoignons comme commissaire, à la maison commune, connue pour le point de réunion proposé par ledit arrêté de la section des Quinze-Vingts.

Fait au comité à la section de l'Arsenal, ce neuf août mil sept cent quatre-vingt-douze, l'an quatrième de la liberté, vers minuit. Les pouvoirs délivrés sont signés Concedieu, président, Caillouët et Violet, commissaires de la section.

A trois heures, M. Barucaud, l'un des commissaires, qui vient d'être nommé ci-dessus, arrive avec un pouvoir de l'assemblée des commissaires de dix-neuf sections à la maison commune.

 

Séance du 10 août.

Aujourd'hui, 10 août 1792, l'an quatrième de la liberté, les citoyens de la section de l'Arsenal, assemblés en vertu de la loi, la séance a été ouverte par la lecture du procès-verbal de la séance précédente et adopté sans réclamations.

M. Rivière fait rapport de ce qui s'est passé cette nuit au comité de permanence de la section.

Ensuite, M. le président demande si l'assemblée adopte la nomination faite cette nuit des trois commissaires, — nommés par lui et MM. Violet, commissaire de garde du comité, Caillouët et Rivière, commissaires adjoints à celui du comité par l'assemblée générale permanente, et représentant ladite assemblée, — des personnes de MM. Joliberteau, Concedieu et Barucaud, pour se rendre au désir de l'arrêté de la section des Quinze-Vingts à la maison commune. L'assemblée à l'unanimité approuve et confirme cette nomination. Il fait ensuite lecture d'un extrait de l'arrêté de l'assemblée générale des comités réunis de la majorité des sections de la commune de Paris, du 10 du présent, signé Martin, secrétaire, dont la teneur suit, et demande qu'en conséquence de cet extrait, pour satisfaire au vœu de la commune, l'assemblée arrête la nomination de trois commissaires adjoints aux trois premiers qui se rendront dès ce soir à la commune pour y procéder conjointement avec eux. L'assemblée arrête cette proposition et enjoint à ses six commissaires de prendre part à toutes les délibérations qui pourront y être faites.

L'assemblée a nommé pour ses commissaires MM. Blin, Vincent et Léger, et leur a fait délivrer à l'instant des pouvoirs conformes à son arrêté.

CONCEDIEU, président ; RIVIÈRE, secrétaire.

 

SECTION DE LA FONTAINE DE GRENELLE.

Séance du 9 août 1792.

Lecture faite de l'arrêté des Quinze-Vingts, du 4 de ce mois, et de la lettre de M. le maire de Paris à ce sujet, l'assemblée après une mûre délibération a nommé MM. Audouin, Rivallier, Petitgeorges, Lefuel, Tauzin, Sabatier, commissaires, à l'effet de se transporter dans l'assemblée générale de la section des Quinze-Vingts, où ils emploieront tous les moyens que leur suggérera leur prudence et leur patriotisme pour démontrer aux citoyens de cette section les dangers qui peuvent résulter de la démarche qu'ils se proposent de faire cette nuit. Mais cependant, attachés par les liens de l'estime et de la fraternité aux généreux habitants des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel, les commissaires leur déclareront, au nom de leurs frères de la section de la Fontaine-de-Grenelle, qu'ils préféreraient mille morts au supplice d'être en opposition avec des patriotes aussi éprouvés, et que dans toutes les crises d'une révolution trop prolongée sans doute par de perfides ennemis, ils marcheront toujours à côté des intrépides citoyens des deux faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel.

Que le présent arrêté sera communiqué aux sections des Gobelins et du Théâtre-Français et que l'assemblée attendra, séance tenante, la réponse de ses commissaires.

Deux officiers municipaux sont introduits ; l'un d'eux, M. Imbert, annonce que ses collègues et lui se sont répandus dans toutes les sections pour y rétablir le calme. Ils se retirent au milieu des marques d'estime qui leur sont données par leurs concitoyens.

A onze heures, les commissaires envoyés à la section des Quinze-Vingts reviennent ; ils annoncent que convaincus, par la réunion de l'avis de tous les commissaires de la majorité des sections, que le danger de la patrie ne pouvait être écarté que par le réveil du peuple entier de cette ville, l'arrêté de la section des Quinze-Vingts devait être exécuté.

A l'instant, tous les citoyens présents courent aux armes ; ils reviennent accompagnés de plusieurs autres, tous font le serment solennel de mourir pour la liberté et l'égalité, et de se réunir à leurs frères des autres sections pour déjouer la conspiration dont Paris et M. le maire, en particulier, sont menacés. L'assemblée autorise ses trois commissaires à se rendre à l'instant à la maison commune et leur donne plein pouvoir pour, de concert avec ceux des autres sections, employer tous les moyens possibles de sauver la patrie.

Les commissaires partent ; l'horloge annonce l'heure de minuit ; le tocsin sonne ; la générale est battue ; tous les citoyens accourent en armes, les fédérés logés dans l'arrondissement de la section se joignent à eux ; en un instant l'église est remplie de citoyens animés du même esprit tous présentent l'aspect touchant de la fraternité, tous ne respirent que pour la liberté, tous veulent combattre les traîtres. Le plus grand calme règne au milieu d'une réunion aussi considérable et le jour trouve les citoyens dans ces heureuses dispositions. Tout reste en cet état jusqu'au vendredi, six heures du matin, que M. Audoin, l'un des commissaires, de retour, rend compte que le peuple s'est porté en foule sur la place de la maison commune, qu'il a demandé que les commissaires de la majorité des sections réunis fussent les administrateurs provisoires de la commune ; que les considérant comme tels, des patrouilles des postes des divers quartiers de Paris avaient amené devant eux les prévenus qu'elles avaient arrêtés ; que, dans cette situation impérieuse, les commissaires ont écouté la voix toute-puissante d'une grande portion du souverain, et qu'au nom de la majorité des sections, ils se sont constitués représentants de la commune, ont supprimé la municipalité, cassé le commandant général, élu à sa place le patriote Santerre, dont la nomination a été confirmée par les transports de joie du peuple assemblé. L'assemblée approuve la conduite de ses commissaires et leur continue tous pouvoirs.

Signé ; BLONDEL, vice-président ; LAUGIER, secrétaire ; NICOLAS GRANDMAISON, secrétaire adjoint.

 

 

 



[1] Il n'y avait dans la section Mauconseil que dix-sept cents citoyens actifs ; si l'assemblée générale se composait le 9 août de deux mille citoyens, c'est qu'il y en avait un très-grand nombre qui étaient étrangers à la section ou n'avaient pas droit de voter.