HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VII. — PROTESTATION DE LA SECTION DE L'ARSENAL CONTRE L'ADRESSE À L'ARMÉE ET LA PÉTITION RELATIVE À LA DÉCHÉANCE.

 

 

EXTRAITS DES PROCÈS-VERBAUX DE LA SECTION DE L'ARSENAL.

 

Séance du 2 août 1792.

Plusieurs citoyens ont représenté que l'adresse à l'armée avait été adoptée avec quelques modifications dans l'Assemblée tenue le 28 du mois dernier, lorsque la plus grande partie des votants s'était déjà retirée ; ils ont demandé, en conséquence, le rapport dudit procès-verbal et qu'il soit fait une nouvelle lecture de ladite adresse. Cette motion appuyée et discutée, il a été arrêté, à la très-grande majorité, que le procès-verbal serait rapporté et que lecture de ladite adresse serait faite de nouveau. Après cette lecture, il s'est élevé de très-grandes discussions, les uns voulant qu'elle soit rejetée et désapprouvée sur-le-champ, les autres demandant l'ajournement ; mais, sur ce qu'il a été représenté que cette adresse avait eu la majorité des sections et que si l'envoi n'en avait pas encore été fait il ne tarderait pas à l'être, il a été arrêté, à la très-grande majorité, que l'adoption de cette adresse par un petit nombre de citoyens ne pouvait exprimer le vœu généra) que l'assemblée désapprouvait cette adresse, et que, pour faire mieux connaître son vœu. il serait nommé deux commissaires pour présenter un projet de désaveu, tant à t'Assemblée nationale qu'à la municipalité, dont le but serait que la section de l'Arsenal n'approuve ni les principes ni la rédaction du projet d'adresse à t'armée ; qu'elle désapprouve également le projet de pétition à l'Assemblée nationale au nom de la commune de Paris. Les deux commissaires nommés sont MM. Grillot et Lavoisier, qui ont accepté.

 

Séance du 3 août 1792.

L'ordre du jour invoqué, MM. les commissaires nommés la veille et chargés de présenter un projet de désaveu à l'Assemblée nationale ont eu la parole, et l'un d'eux en a fait lecture. Plusieurs membres entendus pour et contre, motion a été faite du projet de désaveu. La question préalable invoquée, appuyée et mise aux voix, a été rejetée à la majorité.

On a demandé que la discussion soit fermée ; ce qui, appuyé et mis aux voix, a été adopté à la majorité. Demandé, ensuite, que le projet soit adopté cette demande, appuyée et mise aux voix, l'Assemblée, à la majorité, en a adopté la rédaction ainsi qu'il suit :

Législateurs,

La section de l'Arsenal nous a députés vers vous pour vous offrir son hommage et ses vœux, pour déposer dans votre sein paternel ses inquiétudes sur les audacieuses menées des intrigants, des factieux et des ennemis de l'ordre.

Deux projets d'adresse ont été envoyés aux sections de Paris pour en délibérer l'une était destinée pour l'armée, l'autre pour le Corps législatif. Les citoyens de cette section, toujours fidèles à leurs principes, toujours constants dans leur amour pour les lois et pour la constitution qu'ils ont juré de maintenir, ont lu ces projets et les ont voués au mépris qu'ils leur ont paru mériter. Mais leur silence passerait pour un acquiescement, dans un temps surtout où la majorité de quelques citoyens réunis, soit dans une section, soit dans une ville, est indiquée, proclamée par l'esprit de parti comme le vœu unanime de tous les citoyens de cette section, de cette ville, quelquefois même d'un-département.

C'est à la faveur de cet abus qu'on cherche journellement à vous tromper sur l'opinion publique, que le caprice d'une poignée de citoyens devient le vœu d'une immense population ; et c'est cet abus contre lequel la section de l'Arsenal veut vous prémunir à son égard.

Une pétition adroitement, insidieusement tournée, est répandue dans les sections de Paris ; elle a pour but de vous proposer, au nom de cette capitale, la subversion de la constitution par la création d'une dictature ministérielle que vous éliriez, en attendant ou la déchéance du roi ou la convention nationale.

Nombre de citoyens, éblouis par l'éloquence, ne voient que les fleurs et non le précipice qu'elles couvrent. Fatigués depuis longtemps par les clameurs des intrigants contre les autorités constituées, ces citoyens, trompés, saisissent avec empressement le vœu perfide de l'adresse, et bientôt ce vœu vous est présenté comme étant celui de tous les citoyens de la capitale, de ces citoyens dont le caractère distinctif est l'amour des lois, et qui, se parjurant, viennent vous proposer de les détruire avec la constitution.

Déjà, messieurs, une adresse à l'armée a été rédigée et arrêtée de cette manière. Déjà cet assemblage ridicule de flagorneries, de mensonges impudents et d'absurdités, a été envoyé à l'armée comme l'émission du vœu combiné des citoyens de Paris, tandis que la majeure partie rougit peut-être de voir les lumières et le patriotisme distingué de cette ville compromis par un ouvrage aussi méprisable que contraire aux lois.

Les citoyens de l'Arsenal apprennent à l'instant, et non sans surprise, que la seconde de ces deux adresses vous a été offerte avec autant d'impudeur que d'irrégularité avec impudeur, car elle est présentée au nom des quarante-huit sections, tandis qu'elles délibéraient encore, sans attendre leur vœu un acte d'incivisme et d'outrage à la constitution vous a été lu comme l'opinion des citoyens réunis dans toutes les sections ; avec irrégularité, car la commune de Paris, consultée dans ses sections, n'a point émis un vœu général sur la rédaction de l'adresse, et, cependant, elle se trouve rédigée, lue et publiée en leur nom collectif.

La section de l'Arsenal désavoue cette première adresse, parce qu'elle contient des principes erronés, des faits faux, hasardés ou calomnieux ; parce qu'elle tend à avilir les autorités constituées, à diminuer, à anéantir même le respect religieux que tout citoyen doit à la loi ;

Parce qu'on ose vous proposer de créer une dictature ministérielle, au mépris de la constitution qui la repousse ;

Parce qu'on ose vous proposer d'avilir un pouvoir constitué dont on entrave la marche, que l'on dégrade, que l'on paralyse, pour lui reprocher ensuite son inaction et les propres fautes qu'on lui fait commettre ; un pouvoir que l'on veut vous faire anéantir avant que vous le jugiez suivant la loi ;

Parce qu'enfin de si dangereux principes, professés hautement dans un moment de danger, n'ont d'autre but, ou au moins d'autre effet que de diviser les citoyens de l'empire, d'allumer, s'il se peut, la guerre civile, et de substituer à la constitution que vous avez jurée la plus horrible anarchie.

La section que nous représentons désavoue l'adresse à l'armée, parce qu'elle tend à semer parmi les soldats de la liberté la défiance et l'indiscipline qui la suit ; à les tromper sur les faits d'une journée qui fera le désespoir des vrais citoyens, tant que vous n'aurez pas dirigé le bras vengeur des lois sur ses fauteurs et instigateurs.

Non, messieurs, la section de l'Arsenal ne saurait faire d'adresse à l'armée que pour rappeler aux soldats qu'ils sont citoyens français, qu'ils combattent pour la liberté, pour les lois, et non pour aucun parti qu'ils combattent pour maintenir tous les pouvoirs constitués, et non pour les avilir ou les méconnaître ; que des généraux, qui ont mérité la confiance de la nation, de ses représentants actifs et héréditaires, doivent être obéis jusqu'au moment ou ils sont jugés ; que, sans la discipline, il n'y a point d'armée que, sans la confiance, il n'y a point de victoire, et que ceux-là sont coupables qui prêchent la désobéissance et le désordre, pour amener des défaites et l'anarchie.

Voilà ce que pensent, tes citoyens de l'Arsenal, et vous sentez combien il importe à leur honneur qu'ils le déclarent hautement. L'amour de l'ordre égale en eux celui de la liberté que tous deux soient publics. La haine qu'ils ont vouée au despotisme égale leur horreur pour les factions et l'anarchie ; que tous deux soient encore publics.

Législateurs, la patrie est en danger, mais le danger n'est pas seulement ou l'on cherche à vous le faire voir il est dans les divisions intestines que l'on fomente, dans l'égarement de quelques-uns de nos frères, dans cet esprit de vertige et d'exagération que l'on propage avec hardiesse parmi les citoyens esprit qui, s'il n'est comprimé, nous ramènera au despotisme par l'anarchie.

La constitution est notre seul point de ralliement, et l'on ose vous proposer de l'altérer, à vous qui avez juré de la maintenir, à vous qui avez déclaré infâme quiconque vous proposerait une modification. Maintenez-la dans sa pureté, vous serez secondés par les vrais citoyens ; maintenez-la en suivant la marche qu'elle vous trace. Prononcez-vous en législateurs sur cette question importante de la déchéance du roi, s'il est dans un des cas prévus par la constitution. Prononcez, nous vous en conjurons, et, d'avance, nous respectons votre décision ; mais, jusqu'à ce qu'elle soit rendue, nous proscrirons toute atteinte à un pouvoir constitué. Nous le respecterons parce que nous avons juré.de le maintenir et que nous sommes fidèles à nos serments. Nous le respecterons et nous vous dénoncerons les clameurs, les voies de fait, les écrits scandaleux, les propos incendiaires qui ne tendent qu'à désorganiser l'empire et à le précipiter vers sa ruine.

Vous, nos frères d'armes, dont les bras victorieux combattent au dehors pour notre liberté, volez au champ de l'honneur et de la victoire. Nous, amis fidèles de la constitution et des lois, nous veillerons à ces dépôts précieux ; nous combattrons, avec le courage des hommes libres, et les tyrans et les ennemis presque aussi dangereux qui, se parant du manteau de la constitution, ne cherchent qu'à la détruire et à nous rendre parjures.

Législateurs, les citoyens de la section de l'Arsenal ont cru devoir, ont cru se devoir à eux-mêmes, à la France entière, cette exposition franche de leurs principes attachement sincère à la constitution et aux lois ; respect inviolable pour toutes les autorités constituées ; guerre aux despotes ; guerre aux factieux de toute espèce. Telle est leur profession de foi. Puissent tous les citoyens se rallier sous de tels drapeaux ; puissent-ils cesser toutes divisions d'opinions et de principes pour s'attacher aux lois : la France est sauvée ! Puissent-ils, sous de tels auspices, en repoussant les audacieux ennemis du dehors, en réduisant ceux de l'intérieur au silence, faire naître les jours paisibles du règne des lois et de la liberté, ramener la paix avec l'abondance, propager les vertus civiques et, dans les plus doux épanchements de la fraternité, renouveler le serment si beau Vivons libres ou mourons tous ensemble !

 

Plusieurs membres ont demandé que le projet soit imprimé et envoyé aux quarante-sept autres sections, ce qui a été appuyé aussitôt par plusieurs autres, mis ensuite aux voix, adopté à la majorité.

Un membre a fait la motion de faire signer ledit désaveu par ceux qui l'ont adopté. Cette motion appuyée, un autre membre a sur-le-champ invoqué la question préalable sur cette motion, laquelle, appuyée et mise aux voix, a été adoptée à la majorité, fondée sur ce qu'on était en assemblée générale et que l'on pourrait croire que ce désaveu, signé par ceux qui l'ont adopté, fut regardé comme une coalition et non comme le vœu de l'assemblée générale.

Il a aussitôt été proposé de nommer douze commissaires pour porter ledit désaveu à l'Assemblée nationale. Cette proposition, appuyée et mise aux voix, a été adoptée à la majorité, et aussitôt ont été nommés MM. Grillot, Lavoisier, Samson, Trécourt, Lardin, Lesueur-Florent, Bussi, Musnier-Descloseaux, Comperot, de La Lette, Vigneux et Hébert, qui ont accepté.

MM. les commissaires ont prié l'Assemblée de vouloir bien remettre à un autre temps la lecture du second désaveu, vu qu'il était dix heures et demie, ce à quoi l'Assemblée a consenti.

VIRVAUX, président ; BOULA, secrétaire.

 

Séance du 8 août 1792.

... Il (le président) dit ensuite que, le calme et l'ordre rétablis[1], hier, il a attendu avec impatience le moment de réclamer contre une opération qui s'est faite dans le trouble des jours précédents il parle du désaveu fait, au nom de la section, de l'adresse des citoyens de Paris à l'armée française et de l'adresse de la commune à l'Assemblée nationale pour la déchéance de Louis XVI. Il prouve facilement que ce désaveu serait déshonorant pour la section, si on ne s'empressait de déclarer à la commune et à la France entière que ce ne sont point les sentiments qu'elle contient, mais seulement ceux de quelques intrigants. L'Assemblée applaudit. On annonce une députation de la section des Quinze-Vingts. M. le président demande un peu de suspension à la délibération, pour entendre la députation qui demande à être entendue ; Les députés remettent la délibération de l'assemblée générale des Quinze-Vingts ; le secrétaire donne lecture de cet arrêté, l'un du 3 et un autre du 5 du présent, portant que si, le jeudi soir, à minuit, l'Assemblée nationale n'a pas prononcé sur le sort du roi, le tocsin sonne, la générale bat et tous les citoyens se lèvent et marchent à l'Assemblée nationale. Cet arrêté est pour être communiqué aux quarante-sept autres sections. On en remet la discussion à demain jeudi, pour reprendre celle des propositions ci-dessus faites, et l'assemblée, en donnant à l'examen de ce qui la concerne particulièrement les premiers moments dont elle peut disposer, arrête à l'unanimité ;

1° Qu'elle désavoue, comme fruit de la coalition, les délibérations des 2 et 3 de ce mois, relativement à l'adresse des citoyens de Paris à l'armée française, et celle de la commune à l'Assemblée nationale pour la déchéance de Louis XVI ;

2° Qu'elle improuve et annule le désaveu de ces adresses qu'il paraît qu'on a fait à l'Assemblée nationale et à la municipalité, comme n'étant pas dans ses véritables principes et ne pouvant tendre qu'à troubler l'harmonie entre les sections ;

3° Qu'elle rejette sur les intrigants le mépris et l'opprobre dont, par leurs mesures, ils ont couvert la section pour quelques instants ;

4° Qu'elle est indignée que les sieurs Lavoisier, régisseur des poudres et salpêtres, commissaire à la Trésorerie nationale, ci-devant fermier général, et Grillot, avoué, aient rédigé un pareil désaveu, et que ces deux commissaires rédacteurs et les sieurs :

Vigneux, directeur aux poudres et salpêtres ;

Lecosquino-Bussi, caissier des poudres et salpêtres ;

Trécourt, ancien commis aux impositions et électeur ;

Lesueur-Florent, entrepreneur des ponts et chaussées, commissaire de la section et électeur ;

Delalette, commandant en chef du bataillon ;

Meunier-Desctoseaux, homme de loi et notable adjoint ;

Lardin, ancien notaire, administrateur à la municipalité ;

Hébert, payeur de rentes ;

Samson, marchand de soieries et électeur ;

Et Comperot, commissaire de la section et électeur, se soient chargés de porter ce désaveu à l'Assemblée nationale et à la municipalité ;

5° Que, séance tenante, il sera rédige une adresse à l'Assemblée nationale dans le sens du présent arrêté ;

6° Que cette adresse adoptée, elle sera, avec ledit arrêté, portée à l'Assemblée nationale par une députation que cet arrêté sera aussi porté à la municipalité par la députation ;

Et 7° que, vu la très-grande publicité qui a été donnée au désaveu des adresses de la commune, le présent arrêté sera sur-le-champ envoyé à l'impression, placardé dans l'arrondissement de la section et envoyé aux quarante-sept autres sections, aux départements et aux sociétés populaires, et inséré dans les papiers publics.

L'Assemblée a nommé pour rédiger son adresse à l'Assemblée nationale MM. Concedieu, Deray et Rivière[2], lesquels se retirent pour faire la rédaction de l'adresse.

MM. les commissaires-rédacteurs, qui s'étaient retirés pour rédiger l'adresse, rentrent ; l'un d'eux en fait la lecture, ainsi conçue :

Législateurs,

Une insolente coalition de personnes intéressées à l'ancien ordre des choses a calomnié, dimanche, auprès de vous la section de l'Arsenal. Cette section, jouissant maintenant d'un calme qui lui rend la liberté des opinions dont elle a été privée depuis l'ouverture des assemblées permanentes, nous a chargés de venir désavouer et l'arrêté du 2 de ce mois, comme le fruit de cette coalition, et les principes de l'adresse de désaveu qui en est résultée. Ce n'était pas assez que l'assemblée du 28 juillet, légalement convoquée, eut été influencée à ce point de n'adopter l'adresse à l'armée qu'avec des modifications relatives aux généraux et que, le 2 de ce mois, on eût empêché la manifestation des opinions pour déclarer qu'on n'adoptait point celle que la commune vous a présentée le 3 ; il a fallu encore que les intrigants obtiennent, toujours aux dépens de la gloire de la section de l'Arsenal, le plaisir d'attaquer de leur souffle empoisonné, mais heureusement impuissant, le vœu prononcé par la très-grande majorité des sections pour l'adoption des adresses à l'armée et au Corps législatif. Ces adresses expriment les sentiments et les désirs des bons citoyens ; elles ne peuvent être contredites que par des hommes tels que ceux sur lesquels notre section rejette le mépris et l'opprobre dont elle a été couverte quelques instants par leurs menées.

Après quelques observations sur la rédaction de cette adresse, elle a été mise aux voix et adoptée à l'unanimité.

On demande qu'il y ait six commissaires nommés pour porter cette adresse, dimanche prochain, à l'Assemblée nationale, et de suite à la municipalité. La demande est appuyée, mise aux voix et adoptée.

L'assemblée nomme pour commissaires MM. Concedieu, Rivière, Tiblemont, Routtaut, Deray et Caillouët.

CONCEDIEU, président ; RIVIÈRE, secrétaire.

 

 

 



[1] Dans l'intervalle du 3 au 8 août, le parti démagogique avait fait des progrès, grâce aux désordres journaliers qu'il excitait aux abords des sections c'est ce à quoi fait allusion le procès-verbal du 8, en parlant du calme et de l'ordre rétablis. Les meneurs jacobins trouvaient que le calme était rétabli lorsqu'ils s'étaient rendus les maîtres exclusifs des délibérations d'une section.

[2] Concedieu était contrôleur an Mont-de-Piété ; Deray, pâtissier ; Rivière, géomètre.