HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

I. — ANARCHIE ADMINISTRATIVE.

 

 

1° DÉFIANCE CONTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF.

 

Lettre adressée en duplicata, le 20 juin 1792, par le directoire du département des Basses-Pyrénées, à MM. Mourgues et Terrier, se disant l'un et l'autre ministre de l'intérieur.

 

Nous recevons, monsieur, par le même courrier, une lettre du ministre de l'intérieur signée Mourgues[1], et une autre du même ministre, signée Terrier. Est-ce erreur ou changement de ministère ? Cette singularité est propre à entraver les opérations et à déconcerter les coopérateurs. Nous vous prions de nous dire avec qui nous devons correspondre.

Si c'est avec vous, monsieur, nous ne vous dissimulerons pas que vous avez une tâche difficile à remplir. Le ministre auquel vous succédez[2] emporte les regrets de la nation ; vous ne pouvez mériter ses suffrages qu'en suivant exactement les traces de votre prédécesseur.

Pour copie conforme,

SERPAUD, secrétaire général.

 

2° LUTTE ENTRE LE DÉPARTEMENT D'EURE-ET-LOIR ET LA MUNICIPALITÉ DE CHARTRES.

 

Les péripéties de la procédure qui fut suivie contre Pétion et Manuel, les débats qui s'engagèrent entre la municipalité de Paris et le directoire du département se reproduisirent dans la patrie même de Pétion, à l'occasion de la proclamation royale relative aux événements du 20 juin. C'est, on peut le dire, la petite pièce après la grande ; elle finit de la même manière, par le triomphe de la municipalité.

Nous donnons le document principal in extenso ; nous analysons les autres.

 

MUNICIPALITÉ DE CHARTRES.

Séance du conseil général de la commune des 28 et 29 juin 1792, an IVe de la liberté.

 

Du 28 juin 1792.

M. le maire a dit : Messieurs, j'ai reçu ce matin une lettre du procureur syndic du district de Chartres, conçue en ces termes : Je vous envoie des exemplaires d'un acte du corps législatif, du 23 de ce mois, non sujet à sanction, relatif au maintien de la tranquillité publique ; je vous prie de le faire publier le plus tôt possible.

J'y joins des exemplaires d'une proclamation du roi sur les événements du 20 juin, dont le département a ordonné la publication.

A cette lettre étaient effectivement joints plusieurs exemplaires de cette proclamation, au bas de laquelle se trouve un arrêté du département d'Cure-et-Loir, du 25 de ce mois, portant qu'elle sera lue et transcrite sur les registres du département et envoyée aux directoires des districts et aux municipalités pour y être lue, transcrite, publiée et affichée.

Ne croyant pas que cette proclamation dut être publiée ni affichée, je me suis rendu avec le procureur de la commune au directoire du district pour consulter les administrateurs et savoir ce qu'il y aurait à faire.

Le directoire, regardant comme nous que la publication pourrait être dangereuse, a nommé deux de ses membres qui se sont transportés avec nous auprès du département.

Nous y avons exposé nos craintes sur les suites de la publicité de cette proclamation et nous avons engagé l'administration à retirer l'arrêté du 25. Le directoire, après nous avoir communiqué une lettre du ministre de l'intérieur, en date du 23 de ce mois, portant envoi de cette proclamation et injonction de la publier et enregistrer, nous a déclaré qu'il ne pouvait accueillir notre réclamation et qu'il persistait dans son arrêté.

J'ai cru, messieurs, devoir vous réunir pour vous rendre compte de ce qui s'est passé et pour vous prier de délibérer sur la conduite que peuvent vous dicter les circonstances.

Le conseil général, après avoir entendu le procureur de la commune, regardant ta proclamation du 20 de ce mois, la lettre ministérielle du 23 et t'arrêté du département du 25 comme également inconstitutionnels, mais pénétré de la nécessité te maintenir l'union et la concorde entre les autorités constituées, arrête :

De députer quatre de ses membres auprès du directoire du département pour y exposer de nouveau et au nom du conseil général les réflexions qui lui ont été soumises ce matin et y réitérer la demande du rapport de son arrêté.

MM. Letellier, officier municipal, Maras, procureur de la commune, Durand et Lesage, notables, ont été députés. Eux de retour, le conseil générât, instruit que les administrateurs n'étaient point au directoire, s'ajourne à demain dix heures du matin pour entendre le rapport de ses députés.

 

Du 29 juin 1792.

 

Le conseil général assemblé, les commissaires nommés par l'arrêté d'hier ont dit : Qu'ils sortaient de l'administration du département, à laquelle ils avaient exposé les vues du conseil général sur la proclamation du roi, sur la lettre ministérielle et sur l'arrêté du directoire ; que leur discours fini, ils avaient aussitôt reçu cette réponse du vice-président de l'administration : Le directoire, prévenu dès hier de votre députation, m'a chargé de vous dire qu'il persistait dans son arrêté.

Sur quoi l'un des députés ayant demandé si la députation rendrait compte au conseil générai que la réponse avait été faite sans qu'il eut été pris de délibération, le vice-président a répliqué : Vous direz au conseil général ce que bon vous semblera, pourvu que vous lui rendiez ma réponse.

Le conseil général s'est livré à la discussion de savoir si la proclamation du roi, la lettre ministérielle et l'arrêté du département sont constitutionnels.

Le procureur de la commune entendu, et en conformité de ses conclusions, le conseil général,

Considérant que par la constitution du royaume, le chef du pouvoir exécutif suprême a reçu le droit de faire des proclamations, mais qu'elles doivent être conformes aux lois et tendre à en ordonner ou rappeler l'exécution qu'il suit de ces termes que toute proclamation doit contenir le texte même de la loi à laquelle elle est conforme et dont elle ordonne ou rappelle l'exécution que celle du 20 juin n'a aucun de ces caractères qu'elle ordonne bien à tous les corps administratifs et municipaux de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés, mais que cette injonction vague, conçue dans des termes généraux, n'est dans )a proclamation la conséquence d'aucune loi citée, mais la suite d'un exposé de faits, dénués de circonstances, présentés avec exagération et même démentis par les actes antérieurs du roi ;

Que le rassemblement du 20 est criminel aux yeux de la loi ; que rien ne peut le justifier, mais qu'il est au moins douteux qu'il ait été, comme on le prétend dans la proclamation, t'ouvrage de quelques factieux dont le but était d'attenter à la tranquillité, à la liberté et même a la vie du roi, quand les députés envoyés par l'Assemblée nationale auprès de sa personne ont rapporté qu'elle était tranquille au milieu du peuple, et que, d'après son propre témoignage, le roi n'avait couru aucune espèce de danger ;

Considérant que la constitution donne encore au roi le droit de proposer à l'Assemblée nationale telles mesures de législation qu'il croit utiles, que le roi a usé de ce droit en écrivant le 20 à l'Assemblée pour t'engager à prendre les moyens capables de réprimer les rassemblements ; que par cette lettre, le roi ayant consommé (sic) le droit que lui donne la constitution, il devait attendre la décision de l'Assemblée, qui se trouvait à. son tour obligée de délibérer sur la proposition qu'ainsi il ne pouvait pas faire à l'avance une proclamation et statuer sur un objet dont il avait constitutionnellement investi l'Assemblée ;

Considérant que le pouvoir exécutif, en faisant des proclamations, exerce des fonctions qui lui sont déléguées par la constitution, qu'il parle au nom du peuple comme son premier magistrat ; mais que dans la proclamation dont il s'agit le roi parle pour lui-même et comme citoyen lésé, que les faits qu'il y rapporte ne sont relatifs qu'à lui seul, et que sous ce point de vue, les plaintes du roi ne peuvent être offertes à la nation sous le titre de proclamation, mais bien dans les formes ordinaires et communes à tous les citoyens ; qu'elles doivent être adressées non à toutes les administrations, non à tous les tribunaux, mais à l'autorité spécialement instituée par la loi pour connaître des délits de la nature de ceux dont le roi peut se plaindre ;

Considérant que la proclamation suppose des projets de crimes dont l'idée seule fait frémir ; qu'elle annonce des forfaits dénués de vraisemblance, puisqu'il est reconnu que, s'ils eussent existé, la force publique qui se trouvait alors au château des Tuileries était insuffisante pour en arrêter l'exécution ; que leur consignation dans les registres de toutes les administrations de l'empire, leur publicité dans toutes les municipalités, attesteraient à l'Europe entière que des factieux ont voulu attenter aux jours du roi et qu'il ne leur restait plus que ce dernier crime à commettre ; qu'au surplus, il n'appartient pas aux administrations inférieures, éloignées des événements et du lieu de la scène, de prononcer sur ces grands points controversés, et que ce serait évidemment le faire à la manière des ministres actuels que de publier et afficher la proclamation

Considérant que l'infraction faite à la loi, dans la journée du 20, n'est pas une raison de publier cette proclamation dans toute la France, et surtout dans les lieux paisibles ou le peuple ne s'est jamais écarté du respect qu'il doit au représentant héréditaire de la nation et on les personnes et les propriétés n'ont jamais cessé d'être sous l'égide de la loi ;

Considérant que la proclamation du roi forme déjà, dans les mains des prêtres hypocrites et de tous les ennemis de )a chose publique, une arme dangereuse qu'ils emploient pour persuader aux bons citoyens que le roi n'est pas libre ; qu'en donnant la sanction aux décrets du Corps législatif, il obéit moins au vœu national qu'à la volonté de quelques factieux que cette arme deviendrait bien plus terrible si les administrations, en publiant cet écrit insidieux, semblaient approuver les inductions perfides des ennemis de notre liberté

Considérant, sur l'arrêté du département d'Eure-et-Loir, que la mesure adoptée par cette administration est inconstitutionneite.que les proclamations du pouvoir exécutif ne doivent être transcrites sur les registres d'aucun corps. administratif, que cette formalité d'ordre public est réservée aux lois seules par la constitution ;

Considérant enfin qu'il est difficile d'expliquer par quelle singulière prédilection la proclamation du 22 se trouve imprimée à Chartres, envoyée à tous les districts et reçue par la municipalité de Chartres le 28 de ce mois, quand les décrets de l'Assemblée nationale ne lui sont envoyés qu'avec un retard affecté ; qu'il en est qui n'ont été reçus que deux ou trois mois après leur date ; que celui singulièrement qui accordait aux créanciers de l'État jusqu'au 1er juin pour remettre leurs titres de créance sur la nation n'a été envoyé aux districts, pour le faire passer aux municipalités, que le 2 de ce mois, c'est-à-dire deux jours après l'expiration du terme fatal ; quand enfin la municipalité n'a pas encore reçu la lettre du ministre Roland ni aucune des adresses patriotiques dont l'impression et l'envoi ont été décrétés bien avant le 22 juin :

Le conseil général arrête de recourir à l'Assemblée nationale et de lui remettre sous les yeux la proclamation inconstitutionnelle du pouvoir exécutif du 22 de ce mois, la lettre du sieur Terrier, ministre de l'intérieur, du 25, et l'arrêté du département d'Eure-et-Loir, du 25 ;

Arrête, au surplus, qu'il n'y a lieu, pour l'instant, à consigner sur les registres de la municipalité et à faire publier et afficher la proclamation du roi du 22 de ce mois, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale en ait ordonné ;

Arrête, enfin, qu'expéditions du présent seront, à la diligence du procureur de la commune, envoyées à l'Assemblée nationale et aux administrations de département et de district.

Pour expédition conforme :

Signé : HOYAU.

 

Aussitôt que le directoire du département d'Eure-et-Loir eut connaissance de cette étrange délibération, le 2 juillet, il mit en demeure la municipalité de Chartres de publier la proclamation royale, lui déclarant que, faute par elle de le faire, il serait forcé de prononcer contre elle la peine portée par les articles 8 et 9 de la loi du 27 mars 1791.

La municipalité chartraine ne tint aucun compte de ces injonctions, et, le 10 juillet, le directoire du département, ayant constaté l'inexécution flagrante de ses arrêtés, suspendit provisoirement le maire et le procureur de la commune de Chartres.

Ces deux magistrats n'avaient pas attendu leur suspension pour s'adresser directement à l'Assemblée nationale, que tous les corps administratifs, en révolte ouverte contre les autorités hiérarchiquement supérieures, prenaient pourpoint d'appui. Le 1er juillet, ils lui avaient dénoncé les prétentions, selon eux, exorbitantes, du directoire du département. Après la suspension prononcée le 10, deux citoyens de Chartres allèrent, le 15, dénoncer ce directoire à l'Assemblée ils furent soutenus par le montagnard Laporte (du Bas-Rhin) qui proposa que la proclamation royale, relative au 20 juin, fût déclarée nulle et non avenue qu'il fût voté des éloges aux administrations qui avaient refusé l'enregistrement de cette proclamation et qu'on improuvât celles qui l'avaient enregistrée.

Ainsi, pour mettre le comble à l'anarchie du royaume, les Jacobins ne proposaient rien moins que d'ériger les trente-six mille communes du royaume en autant de parlements au petit pied, auxquels on aurait reconnu le droit de voter ou de refuser à leur gré l'enregistrement des actes du pouvoir exécutif. L'Assemblée n'alla pas si loin ; mais, émue de la prétendue persécution exercée contre les magistrats chartrains, autant que de la suspension de Pétion et de Manuel, elle décréta que le pouvoir exécutif rendrait compte de sa décision sur t'arrêté du directoire du département d'Eure-et-Loir. Louis XVI, qui venait de voir l'arrêté royal, pris à l'occasion du maire de Paris, outrageusement cassé par t'Assemblée, ne voulut pas susciter un nouveau conflit, et, par une proclamation du 19 juillet 1792, il leva la suspension provisoire dont le maire de Chartres et le procureur syndic avaient été frappés.

 

3° PROTESTATION RÉVOLUTIONNAIRE CONTRE LE DIRECTOIRE D'UN DÉPARTEMENT.

 

EXTRAIT DES REGISTRES DU CONSEIL GENERAL DU DEPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS.

Séance du 4 juillet 1792.

Vers sept heures et demie, on a annoncé qu'une députation de citoyens demandait à être introduite, et à l'instant lesdits citoyens sont entrés au nombre de dix, savoir MM. Augustin-Bon-Joseph Robespierre, François Ridez, François Carlier, Liévin Bacqueville, Philippe-Albert Macy, Louis Lavollé, Antoine Deshuy, Joseph Detenroix, Sébastien Boisin et Guilain Griner.

L'un d'eux, M. Robespierre, a dit que les dix pétitionnaires étaient chargés d'être l'organe d'un grand nombre de signataires pour présenter au directoire la déclaration dont la teneur suit :

Déclaration des citoyens d'aras soussignés au directoire du département.

Administrateurs,

Votre réponse dérisoire à notre cinquième ou sixième pétition, sur la publicité de vos séances[3], nous prouve combien vous méprisez vos concitoyens ; nous ne nous abaisserons pas à réfuter votre prétendue incompétence[4]. Ce motif, présenté à des hommes éclairés, est une injure, il est une fourberie présentée à ceux qui ne le seraient pas. Vos commettants conserveront leur dignité tout entière en ne relevant pas cette grossière insulte. Sachez seulement que, s'il vous a été facile de renoncer à leur estime, vous ne pourrez les faire renoncer à leurs droits, et que, dussent-ils succomber sous les coups que vous leur préparez, ils ne montreront que plus de courage et d'énergie pour résister à l'oppression.

Vous venez de vous placer au rang des conspirateurs contre l'égalité et la liberté, votre conduite en ces circonstances nous démontre que vous êtes contre le peuple ; vous vous liguez avec les ennemis déclarés de la nation, vous appuyez leur cause ; vous sollicitez, par votre démarche inconstitutionnelle, l'usage arbitraire du veto. Vous êtes donc les ennemis du peuple qui vous a fait ce que vous êtes. Nous pardonnerions à des esclaves nommés par le roi de soutenir par toutes sortes de moyens la cause criminelle de leur maître ; mais nous ne souffrirons point que nos suffrages vous servent à trahir la nation.

Vous nous traiterez tant qu'il vous plaira de brigands et de factieux : contents de ne point mériter ces injures, nous agirons toujours avec fermeté, parce que notre conduite a pour base les droits imprescriptibles de l'homme et du citoyen. Ceux-là seuls sont factieux, qui violent les lois ; nous vous défions de spécifier quelle est celle violée par nous. Vous n'oseriez nous porter le même défi, car nous vous lirions la loi qui défend aux administrations de correspondre entre elles[5]. Vous venez de la violer audacieusement et publiquement en provoquant une coalition coupable pour insulter nos frères de Paris et donner des leçons à nos représentants.

Nommés pour faire exécuter les lois, vous vous êtes rendus coupables de forfaiture en les violant : dès lors vos pouvoirs doivent vous être retirés, et nous avons demandé à t'Assemblée nationale votre destitution.

Mais, en attendant, nous ne pouvons laisser creuser la mine sous nos pas. Vos travaux ténébreux mettent vos commettants en danger : il est temps que l'œil du maître surveille ses agents. Nous vous déclarons donc que nous nous présenterons à vos séances pour y être témoins de vos opérations. Ce droit ne nous est point ôté par la constitution. Son esprit, même de votre aveu, nous le conserve. Aucune loi ne défend aux citoyens d'assister à vos séances nous ne serons donc pas factieux en y assistant, et vous ne serez point, d'après votre réponse à notre cinquième ou sixième pétition, compétent pour leur en défendre l'entrée.

Si cette détermination vous blesse et qu'il vous faille des victimes, jetez les yeux sur nous, prenez nos noms, et que ceux qui défendent le plus ardemment les droits de l'humanité tombent les premiers sous le couteau des tyrans. C'est la gloire que nous nous disputons tous.

Signé : A.-B.-J. ROBESPIERRE, J. GUFFROY[6].

 

Le directoire étant resté debout pour entendre la lecture de ladite déclaration, le président, après avoir entendu ces mots : vous venez de vous placer au rang des conspirateurs, a dit aux membres du directoire : Messieurs, asseyons-nous, nous entendrons aussi bien des injures assis que debout.

Après quoi M. Robespierre, ayant continué la lecture qu'il avait été chargé de faire de ladite déclaration, s'est interrompu pour observer qu'il pouvait citer la loi qui défend de faire des pétitions en noms collectifs.

Et la lecture étant finie, lesdits pétitionnaires ont demandé ce qu'ils pouvaient aller dire aux pétitionnaires ; à quoi le président a répondu : Rien. Le directoire prendra sa détermination et la fera connaître.

Ensuite les pétitionnaires étant sortis, ils sont rentrés un instant après, introduits par le secrétaire, et ont demandé qu'il fût tenu en leur présence procès-verbal de ce qui venait de se passer, et qu'à cet effet le directoire prit note de leurs noms ; ce qui a été fait.

Les pétitionnaires retirés, les administrateurs, à peine revenus de la surprise que leur a causée la déclaration laissée sur le bureau par lesdits pétitionnaires, arrêtent, après avoir entendu M. Saint-Amour, remplissant momentanément les fonctions du procureur-général-syndic absent pour cause de maladie, d'envoyer ladite déclaration à l'Assemblée nationale et de la prier d'examiner si ce n'est pas abuser de  !a manière  !a plus audacieuse du droit sacré de pétition, que de s'introduire dans le lieu des séances des corps administratifs comme délégués par d'autres citoyens, et là, sans respect pour le peuple, dont les administrateurs sont les agents, exhaler contre eux toutes les injures qu'une bile amère peut suggérer, les abreuver d'outrages, les accuser de crimes qui méritent toutes les répressions des lois, sans apporter aucune preuve de ces prétendus délits, et, malgré l'art. IX de la déclaration des droits qui veut que tout homme soit présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, chercher ainsi à leur faire perdre la confiance publique qui leur est nécessaire dans leurs fonctions s'annoncer comme voulant exercer sur eux un pouvoir que le véritable souverain, le peuple, dont ils ne sont qu'une faible parcelle, ne s'est pas réservé, puisqu'il a établi le pouvoir judiciaire pour poursuivre et punir les délits, et qu'il détruirait la constitution s'il reprenait et voûtait exercer lui-même les pouvoirs qu'il a délégués.

Les susdits administrateurs, consternés de voir quelques-uns de leurs concitoyens se livrer à de si coupables excès, sans examiner s'ils ont droit d'invoquer contre les porteurs et signataires de ladite déclaration l'article 17 du chapitre V de la constitution, s'en réfèrent à t'Assemblée nationale sur les mesures à prendre pour empêcher une violation aussi ouverte des principes et sur la répression du délit commis envers un pouvoir constitué, dans le lieu même de ses séances ; et néanmoins ne pouvant rester sous le poids d'une inculpation aussi atroce, ni souffrir que leur destitution ait été sollicitée par des citoyens sans qu'il ait été fait droit sur cette pétition, lesdits administrateurs demandent à l'Assemblée nationale d'être suspendus sur-le-champ des fonctions qu'ils ne peuvent plus remplir honorablement jusqu'à ce qu'ils aient été purgés par un jugement ; qu'en conséquence leur procès leur soit fait, afin qu'ils puissent être réintégrés dans leurs susdites fonctions avec tous les honneurs qui appartiennent à l'innocence ou punis par toute la rigueur des lois s'ils sont coupables.

 

F. DUBOIS, président, CARON, DEFREMICOURT, DEMORY, L.-A. DUPIRE, LE FRANÇOIS, PARENT, THUILLIER DE SAINT-AMOUR, et GALAND, secrétaire général.

 

 

 



[1] Mourgues, nommé le juin, était sorti du ministère le 18 et avait été immédiatement remplacé par Terrier-Monciel.

[2] Le ministre, auquel ces deux ministres succédaient, était le vertueux Roland.

[3] On voit que les démagogues d'Arras avaient devancé de beaucoup les décisions de l'Assemblée nationale, puisque, le 4 juillet, ils en étaient déjà à leur cinquième ou sixième pétition sur la publicité des séances des corps administratifs.

[4] Il parait que les membres du directoire avaient déclaré qu'ils n'étaient pas compétents pour décider que leurs séances seraient publiques, et ils en avaient référé à l'Assemblée, ce qui était aussi légal que raisonnable. Mais Robespierre jeune, comme son frère aine, faisait bon marche de la légalité et de la raison, lorsqu'on prétendait les opposer aux envahissements de la démagogie.

[5] Les Jacobins entretenaient à travers la France entière une correspondance extra-légale, ils étaient donc malvenus à rappeler la loi aux administrations de départements, lorsqu'ils étaient les premiers à en encourager la violation par les municipalités, et surtout par celle de Paris.

[6] Les signatures de Guffroy et de Robespierre jeune sont suivies de celles de cent vingt-cinq habitants d'Arras et de deux volontaires du département de la Haute-Vienne, en garnison dans cette ville ceux-ci déclarent approuver ladite pétition, qui ne tend qu'au bonheur du peuple. Robespierre jeune et Guffroy figurèrent à la Convention parmi les plus fougueux montagnards. Guffroy était un ignoble folliculaire qui avait change son nom en celui de Rougyff, par anagramme, et qui rivalisait de fureur avec Marat et Hébert.