HISTOIRE DU CHÂTEAU DE VERSAILLES

VERSAILLES AU XVIIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE SEPTIÈME. — LES JARDINS AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

 

 

LES JARDINS de Versailles au temps de Louis XV s'offraient au promeneur singulièrement différents de ceux d'aujourd'hui. Si les arbres plantés par Le Nôtre à l'intérieur des charmilles avaient magnifiquement grandi, celles-ci, toujours entretenues avec soin et renouvelées à propos, continuaient à donner aux perspectives un aspect rectiligne, que nous évoquons à grand peine de nos jours. Les estampes de l'époque complètent ici le témoignage d'albums de plans remplis de révélations curieuses. La suite des compositions de Jean Rigaud montre l'état de ces parterres, de ces terrasses, de ces bosquets, que nous faisaient connaître, sous leur forme primitive, le burin d'Israël Silvestre et le pinceau des peintres du Grand Roi. Ils sont animés de petits personnages de cour, dames et gentilshommes portant les aimables modes françaises de 1730 à 1740 et formant, dans les attitudes les plus variées, les groupes de la promenade ou de la conversation ; mais l'artiste n'oublie pas qu'il s'est donné la mission de reproduire l'exacte figure des belles maisons et des jardins de France, et son principal mérite à nos yeux est de nous en garder la fidèle image[1].

Sur beaucoup de points, que de détails inattendus ![2] Le parterre de Latone n'est point écrasé par des ifs démesurés, qu'un jardinier ancien n'eût jamais conçus ; une rangée de très petits arbustes, taillés en pyramides et en boules, tient leur place au bord du mur de soutènement ; il y en a une cinquantaine de chaque côté. Les deux vases des degrés ne sont gênés par aucun voisinage et les statues, visibles de partout, gardent à ce paysage rationnel le caractère voulu par ses créateurs. Toutefois, à présent, le fond de verdure sur lequel elles se détachaient est caché derrière des ifs, plantés cinq par cinq entre chaque piédestal et qui ont fort poussé en hauteur. On en voit de semblables à la demi-lune du Tapis-Vert. Les grands termes du bas du parterre s'alignent devant une longue charmille percée d'ouvertures, qui introduisent aux bosquets géométriques du Dauphin et de la Girandole. L'Allée d'eau, sur laquelle retomberont de nos jours de libres masses de feuillage, qu'on trouverait sans surprise dans un paysage de Fragonard ou d'Hubert Robert, descend alors entre deux murailles de charmilles rigoureusement taillées ; celle qui borde de même façon le Parterre du nord s'échancre de hautes niches carrées pour contenir les statues, disposition conservée aux villas d'Italie pour les antiques. Le principe de détacher les marbres sur un fond uniforme de verdure domine encore dans tout le jardin. On en varie cependant l'application, comme à l'Allée Royale, où vases et figures, encastrés dans une bande de gazon, sont séparés de la charmille par un rideau de petits arbres, et au pourtour du Bassin d'Apollon, où les arbres se trouvent plantés un peu en arrière des termes. Partout ailleurs, laissés à la nature, ils se dissimulent derrière les charmilles, que les feuillages commencent à dépasser abondamment. Souvent le rideau se trouve doublé, car dans toutes les allées principales on a dressé, devant la barrière taillée limitant les massifs, la palissade qui forme avec elle d'étroites contre-allées, sablées avec soin et invitant à la promenade. Ces palissades, qui donnent leur caractère aux jardins du temps, atteignent parfois trente pieds de haut ; elles occupent, de chaque côté des maîtresses allées, l'alignement où l'on doit planter un jour les rangées d'arbres encore .existants, qu'on sait défavorables à la prospérité des charmes et qui les ont, en effet, peu à peu chassés du sol.

Embellis par les charmilles nouvelles et par les feuillages des hauts massifs qui les dominaient partout, les jardins gardaient encore leur éclat, quand Louis XV ordonna l'achèvement de la pièce d'eau de Neptune, dont les dernières œuvres d'art furent terminées en 1740 : Celles-ci restent dans l'esprit des créations de Louis XIV, malgré que les sculpteurs, Adam l'aîné, J.-B. Lemoine et Bouchardon, aient traité le plomb avec plus de souplesse et de pittoresque que leurs devanciers. Quand le marbre eut son tour, on commanda plusieurs figures pour les bosquets : un Ganymède à Francin, une Aurore à Vinache et une Iris attachant ses ailes à Adam le jeune. Les trois artistes moururent sans terminer leur ouvrage ; l'Iris, que possède à présent le Château, fut achevée par Clodion[3]. La décision prise par Orry en 1743 montre que certains usages se maintiennent en faveur de Versailles et qu'on regarde ses jardins comme destinés à recevoir encore de nouvelles sculptures. Cette tradition tend, il est vrai, à s'éteindre et les marbres de cette dernière commande ne seront même jamais mis en place.

Les essais de bosquets neufs se réduisent à peu de chose et ce qu'on tente n'est que dans le plus petit goût. Le Labyrinthe de Louis XIV étant plutôt une promenade remplie d'œuvres d'art qu'un plaisant et véritable labyrinthe, au sens que les architectes de jardins attachent à ce nom, on en a dessiné un autre dans le massif au-dessus de l'Arc-de-Triomphe. Ses méandres offrent sans doute assez de surprises savantes pour égarer les pas ; mais c'est un amusement éphémère qu'on ne se souciera pas d'entretenir[4]. Le bosquet dit des Bains de Diane n'aura aussi que peu de durée. Piganiol l'a décrit en détail, parce que sa destination a intéressé le public. C'est à l'usage particulier du jeune Dauphin qu'on a aménagé, au-dessous des petits Bains d'Apollon, dans le terrain en pente où se dressera plus tard le rocher d'Hubert Robert, un parterre en fer à cheval, avec un pavillon octogone, décoré de peintures à l'extérieur et renfermant un salon de sculpture vernie. A côté sont deux volières d'un goût nouveau et de la dernière magnificence, où l'eau jaillit nuit et jour et qu'ornent deux paysages de Millet, dit Francisque, le fils. Sur des piédestaux de marbre de Languedoc sont les statues de Louis XV en Jupiter et de Marie Leczinska en Junon ; ces œuvres des Coustou, qu'on a transportées des jardins de Petit-Bourg, où les tenait le duc d'Antin, iront ensuite à Trianon. Une cascade de rocaille faite par le sculpteur Rousseau et, au milieu d'un bassin, un enfant chevauchant un dauphin complètent le décor de ce bosquet, où l'on élève, pour l'amusement du jeune prince, des canards exotiques, des tortues d'eau et des tortues de terre, qui vivent des légumes que le Dauphin a semés dans les plates-bandes. Gabriel a dessiné en 1736 ce parterre et son pavillon, qui sont détruits assez vite et remplacés par une pelouse[5].

 

Dès le milieu du dix-huitième siècle, les jardins commencent à dépérir. Sur plusieurs points, les plantations de Le Nôtre ont cessé de prospérer et quelques grands arbres disparaissent. Les parties monumentales ont souffert du temps et des déprédations. On s'est décidé, vers 1730, à rétablir la fermeture des bosquets par des grilles de fer : Il eût été à désirer, écrira Blondel, qu'on eût pris plus tôt ce parti ; bien des figures de marbre, mutilées aujourd'hui, auraient été conservées dans leur entier. D'ailleurs, celles de métal, les conduites de plomb, les robinets de cuivre, rien n'était en sûreté et, malgré l'attention des fontainiers à cet égard, il est arrivé plus d'une fois que plusieurs pièces d'eau rendaient imparfaitement leur effet, la plupart des tuyaux qui étaient à découvert ayant été enlevés la veille. C'est assurément cette raison qui a fait sacrifier les fameux effets du Théâtre d'eau, que Rigaud représentait encore et qui ont disparu complètement, ainsi que leurs groupes décoratifs, au temps où Blondel rappelle le souvenir de ce bosquet admirable, une des grandes curiosités des jardins de Louis XIV[6].

Le Normant de Tournehem a signalé au Roi, en 1750, le dépérissement général de ses jardins, en lui faisant connaître un mémoire détaillé du contrôleur des Bâtiments, l'attentif Lécuyer. Louis XV a répondu qu'il fallait voir à y remédier ; mais on n'a rien fait et, en 1755, Lécuyer revient à la charge auprès de M. de Marigny, par une lettre insistant sur les réparations les plus urgentes et la nécessité d'y consacrer un fonds annuel. Marigny lit cette lettre au Roi, qui l'approuve et la remet à M. de Séchelles, contrôleur général des finances, pour prendre les arrangements convenables. Le cas paraît grave et l'on est d'accord pour empêcher la perte d'une maison de l'importance de celle de Versailles, lui a fait jusqu'à présent l'admiration de toute l'Europe et que Messieurs les Ambassadeurs étrangers, députés des États et autres, demandaient à voir en arrivant de chez eux. La guerre survient, qui sera celle de Sept-Ans, interrompant les projets de Marigny ; mais, à la fin de l'année 1757, Lécuyer, inquiet de voir le mal augmenter, croit devoir faire de nouvelles représentations sur la ruine prochaine de cette maison, si Sa Majesté n'a pas la bonté de faire donner tous les ans un supplément de fonds particulier, qui ne soit employé uniquement qu'à cet objet... Si l'on remet encore à prendre ce parti, il est certain que les dégradations augmenteront à un point qu'il en coûtera des sommes considérables pour parvenir à ce qu'on pourrait faire actuellement avec beaucoup moins de dépense. L'état fourni à Marigny, le 21 novembre, indique les parties du parc les plus atteintes et les sommes à prévoir pour les sauver :

L'Orangerie dépérissant de jour en jour par la filtration des eaux à travers les voûtes, murs et marches du perron, les orangers en souffrent au point qu'ils périront, si on ne remédie promptement à la cause de leur mauvais état... C'est un objet de cent mille écus, que l'on pourrait entreprendre en plusieurs années par proportion aux fonds qu'on obtiendrait, étant même nécessaire d'avoir du temps d'avance pour faire tirer des carrières les morceaux de pierre d'échantillon qu'il faut pour les marches des perrons : 300.000 livres. — Le bassin d'Apollon au bout de l'allée du Tapis-Vert, près la tête du Canal, dont les groupes en plomb s'affaissent si considérablement par la faiblesse de leurs armatures de fer, qui ne peuvent plus les soutenir étant pourries par la rouille, il ne serait pas moins important d'y travailler l'année prochaine pour prévenir la destruction d'un aussi beau morceau, dont la dépense serait considérable s'il fallait un jour refaire à neuf, laquelle ne serait actuellement qu'un objet de 10.000 livres — plus 6.000 livres pour la réfection du mur de ce bassin. — Les figures en plomb des deux bassins du Parterre du Nord tombant en morceaux par le mauvais état de leurs armatures de fer que la rouille a aussi pourries, il serait très nécessaire d'y remédier au plus tôt pour prévenir une plus grande dépense, laquelle actuellement serait de 4.000 livres — plus 5.000 livres pour la réfection des murs de ces deux bassins et tablettes de marbre tombant en ruine. — Les bordures et socles de marbre du pourtour des bassins en face du Château étant en très mauvais état, il est important d'y travailler au printemps prochain pour empêcher la chute de plusieurs des groupes de bronze et celle desdites bordures. 6.000 livres. — Le mur du pourtour du grand bassin de l'Ile-Royale tombant en ruine depuis plusieurs années avec les tablettes de dessus, il serait nécessaire d'y remédier au plus tôt pour empêcher la ruine totale de cette pièce d'eau. 9.500 livres. — Total : 340.500 livres.

 

Il est curieux de remarquer que le vaste programme de travaux ainsi tracé, et dont les ressources du Trésor ne permirent alors qu'une réalisation incomplète, correspond exactement à celui que nous avons vu exécuter à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième[7]. Il s'appliquait à des parties du domaine royal sur la conservation desquelles il n'y a jamais eu d'hésitation, car elles sont essentielles au décor architectural de Versailles. Mais le reste des jardins tombait peu à peu dans l'abandon, et le danger qu'ils couraient n'était pas médiocre, car leur prestige semblait épuisé, le goût public se détachait d'eux et l'on se mettait à déprécier, parfois avec une extrême violence, une œuvre longtemps reconnue comme le modèle incomparable.

Les premières critiques étaient venues d'Angleterre, où une épître de Pope opposait nettement à Versailles le parc de Stowe, où le Spectator d'Addison, traduit chez nous en 1720, protestait contre le genre artificiel imposé par nos architectes et demandait au jardin d'être seulement un joli paysage. Mais ce furent surtout les voyageurs français qui rapportèrent d'Angleterre des comparaisons, dont devait souffrir l'art de Le Nôtre. L'abbé Le Blanc, par exemple, repassait la Manche plein de mépris pour l'air peigné et les dessins recherchés de nos parterres, et allait jusqu'à leur préférer ces rochers informes et sauvages, ces arbres vénérables de la forêt de Fontainebleau. Le rédacteur de l'article des jardins dans l'Encyclopédie, qui reconnaît les mérites de l'art régulier, sait louer à la fois Le Nôtre et l'Angleterre, nation chez qui les jardins de bon goût sont aussi communs que les magnifiques palais y sont rares ; ce qui inquiète cet écrivain, c'est de voir prévaloir chez nous un goût ridicule et mesquin ; les grandes allées droites nous paraissent insipides, les palissades, froides et uniformes ; nous aimons à pratiquer des allées tortueuses, des parterres chantournés et des bosquets découpés en pompons ; les plus grands lieux sont occupés par de petites parties toujours ornées sans grâce, sans noblesse et sans simplicité[8]. Cette décadence momentanée de l'art français explique que les essais d'imitation anglaise soient favorablement accueillis. On ne tarde pas à se, dégager des complications du jardin à la chinoise, qui ont été quelque temps à la mode ; mais de bons esprits, sans revenir aux grands modèles du passé, veulent que l'architecte s'occupe surtout de mettre en valeur un site naturel heureusement choisi. C'est ce qu'indique Jean-François Blondel, en 1752, dans une page peu citée, où l'éloge de nos jardins est déjà mêlée de réserves significatives :

On reconnaîtra l'agrément de cette préférence par la comparaison que l'on pourra faire des jardins de Marly, de Versailles et de Trianon, où l'art parait contraindre et soumettre partout la nature, au lieu que dans les jardins de Meudon, de Sceaux, de Chantilly et de Liancourt, la nature paraît présider et n'avoir appelé l'art à son secours que pour rendre ces lieux susceptibles de quelque régularité. Quand je fais cette réflexion, ce n'est pas que je pense qu'il faille négliger d'embellir les jardins des maisons de plaisance : il est sans doute nécessaire de marquer de la distinction entre eux et un Parc, une Forêt, un Bois. Mais j'ose avancer qu'une promenade n'est véritablement belle qu'autant qu'elle peut rassembler des points de vue vastes, intéressants et variés ; de manière qu'il me semble qu'après avoir orné les parties qui environnent le bâtiment, l'on doit trouver dans la nature de quoi satisfaire la vue par des objets opposés, qui présentent par leur diversité autant d'intervalles pour passer alternativement de la régularité des formes à ce beau désordre que produisent les vallées, les coteaux, les montagnes, l'un faisant valoir l'autre par son opposition et transportant, pour ainsi dire, le spectateur de la vie tumultueuse à la vie tranquille. On est touché de ce sentiment à l'aspect des jardins de Saint-Germain-en-Laye et ceux de Meudon, et même de ceux de Marly et de Saint-Cloud ; mais il n'en est pas de même des jardins de Versailles et de Trianon, qui sont limités de toutes parts, et qui deviennent tristes pour tous ceux qui ne sont pas amateurs des beaux-arts. Tous les trésors qu'ils renferment présentent plutôt aux yeux l'effort de l'esprit humain que la simplicité de la nature, suivant laquelle les talus de gazon, les rampes, les escaliers, les berceaux et les palissades, où l'industrie ne paraît pas beaucoup, sont souvent préférables à l'affectation des murs de terrasse, aux grands escaliers de pierre ou de marbre, aux fontaines revêtues de bronze, à quantité de berceaux de treillage élevés à grands frais, aussi bien qu'à une profusion de vases, de figures de diverses matières précieuses, plus propres à manifester la magnificence d'un grand Prince qu'à présenter à l'idée une promenade tranquille et une retraite convenable à la Philosophie[9].

 

Les attaques contre Versailles ont, dès cette époque, une telle vivacité qu'elles ne seront pas dépassées, même au moment de l'engouement le plus général pour le jardin anglais. Elles sont résumées dans l'Essai sur l'Architecture du P. Laugier, jésuite attaché à la cour lorraine du roi Stanislas. Ce théoricien, qui n'écrit pas seulement pour flatter les goûts et la vanité de son maître, a publié en 1753 la première édition de son ouvrage ; on verra qu'il formule avec force, et bien avant que Rousseau ne les répande par la Nouvelle Héloïse, des idées devenues courantes dans certains cercles et dont il importe de dater la propagation :

Les jardins de Versailles ont longtemps passé parmi nous, et passent encore parmi les étrangers, pour une des merveilles du monde. Je dirai de ce jardin ce que j'ai déjà dit du Château : on y trouve des chefs-d'œuvre à chaque pas. Un Puget, un Girardon et bien d'autres y ont répandu tant d'éclat par leurs productions inimitables, que, tandis qu'il y aura parmi les hommes des amateurs du beau, ils viendront de toutes les parties du monde rassasier leurs yeux de la vue de ces prodiges, qui élèvent le génie français au niveau du génie grec et romain. Mais ces jardins ont-ils, d'ailleurs, de quoi fournir aux plaisirs de l'âme et à l'amusement des yeux un agréable et riant spectacle ? On en jugera par l'examen que je vais en faire.

Si la richesse des bronzes et des marbres si la nature étouffée, ensevelie sous un appareil outré de symétrie et de magnificence, si le singulier, l'extraordinaire, le guindé, l'ampoulé font la beauté d'un jardin, Versailles mérite d'être préféré à tout. Mais jugeons-en par sentiment : que trouvons-nous, en nous promenant dans ces superbes jardins ? De l'étonnement et de l'admiration d'abord, et bientôt après de la tristesse et de l'ennui. D'où vient cette fâcheuse impression dans un lieu où l'embellissement a coûté des sommes immenses ? C'est ce qu'il convient d'examiner, et nous allons apercevoir une multitude de défauts qui, en ôtant à un jardin le riant et le gracieux, lui ôtent la beauté la plus essentielle.

Un premier défaut, qui saute aux yeux de tout le monde, c'est la situation de ces jardins. Cette vallée étroite, toute environnée de montagnes arides et de lugubres forêts, n'offre qu'un désert rebutant, et ne peut fournir que des points de vue sauvages. Dès lors, quelque dépense qu'on ait pu faire, il a été absolument impossible de réparer cette difformité du local. Il a fallu faire toutes choses en dépit de la nature, et les richesses qu'on y a prodiguées y siéent aussi mal que la frisure et les pompons à un laid visage. On n'aura jamais d'agréables jardins, si l'on ne choisit déjà des lieux embellis par la nature.

Un second défaut, c'est la régularité trop méthodique de ces jardins. Ce grand air de symétrie ne convient point à la belle nature. Il faut à la vérité du choix, de l'ordre, de l'harmonie, mais il ne faut rien de trop gêné et de trop compassé. Le fer-à-cheval, les parterres, les bosquets, les allées, tout est fait avec une exactitude et une contrainte infiniment éloignée de l'heureuse négligence et de la piquante bizarrerie de la nature dans ses productions. L'art, bien loin d'être caché, s'annonce de toutes parts et de toutes les manières. C'est un de ces discours pleins d'afféterie, dont tous les tours sont étudiés, toutes les périodes arrondies, où tout est mesuré à l'équerre. Ce défaut est encore assez universel dans nos jardins, et en diminue tellement le plaisir que, pour faire de jolies promenades, on est obligé de sortir de ces bocages, où l'art est trop marqué, pour aller chercher la belle nature au milieu d'une campagne parée naïvement et sans artifice.

Le goût des Chinois en ceci me paraît préférable au nôtre ; la description de la Maison de plaisance de leur Empereur, que l'on lit dans les Lettres édifiantes, annonce de leur part une grande naïveté dans la décoration de leurs jardins.

Un troisième défaut des jardins de Versailles, c'est qu'on y est trop renfermé. On va dans un jardin pour y prendre le grand air et respirer à son aise ; or, dans ceux-ci, on se trouve toujours comme entre quatre murailles. Partout ce sont des massifs de verdure qui ne laissent aucune liberté, ni aux regards de s'étendre, ni à l'air de se renouveler. Les palissades de charmille font de vrais murs, dont l'alignement et la hauteur font d'une allée une rue très ennuyeuse. On a senti le désagrément de ces murailles vertes ; on s'en est dégoûté et on a eu raison. On a cherché à se donner de l'ombre sans s'ôter la vue, à se dérober aux ardeurs du soleil sans se renfermer entre deux murs. On est venu à bout, en faisant des plantations d'arbres dont la tige fût entièrement libre et dégagée et dont les têtes, en se joignant, formassent de mille manières différentes le couvert que l'on souhaite. De là ces quinconces charmants, où l'on est fraîchement et à l'abri, sans que la vue y soit aucunement gênée. De là ces portiques, ces berceaux qui présentent une voûte de verdure supportée par autant de colonnes qu'il y a de troncs d'arbres. Je ne prétends pas qu'il faille exclure complètement les épaisseurs et les massifs ; la nature nous en présente plusieurs dans les forêts. Ce que je prétends, c'est que ces massifs doivent être employés avec économie, comme ayant par eux-mêmes quelque chose de triste et de sauvage ; il faut s'en servir comme dans un tableau on se sert des ombres pour faire valoir les clairs ; comme dans la musique on emploie les dissonnances pour relever les accords consonnants ; car il y a une harmonie en tout. Les jardins de Versailles sont comme ces tableaux du Caravage, où le noir domine à l'excès, ou comme la musique moderne, où la profusion des dissonnances opère un terrible effet sur les sens.

Un quatrième défaut de ces jardins, c'est que la verdure y manque de vivacité et de fraîcheur et que tout y est d'une aridité extrême. Rien ne fait sur les yeux une sensation si voluptueuse qu'un beau vert. Veut-on pousser cette sensation jusqu'au degré de volupté le plus piquant ? il n'y a qu'à disposer le vert par nuances depuis le plus vif jusqu'au plus tendre. Dans les parterres de Versailles, on ne voit que des broderies dont le trait est marqué par des cordons de buis, et dont le fond sablé de différentes couleurs porte des fleurs assez médiocres. Rien de plus triste, de moins naturel que ces broderies. J'aime mieux un pré tout simple ; j'y trouve du moins de la verdure et une verdure fraîche ; au lieu que, dans ces parterres à broderies, je ne vois presque que du sable qui fatigue mes yeux, et quelque peu de buis dont le vert est trop fade pour être de quelque agrément. Il n'y a de beaux parterres que les parterres en gazon.

Dans les bosquets de Versailles, le vert est quelquefois mal choisi et toujours mal distribué. Le vert des ifs est trop mélancolique et trop sombre. Autrefois, on était fort amoureux de ces pyramides d'ifs, taillées de mille manières bizarres et qui représentaient dans un jardin comme les différentes pièces d'un jeu d'échecs. Le bon goût a chassé ces colifichets ridicules ; on en voit pourtant encore bien des restes à Versailles. Le vert des bosquets est trop uniforme ; il faudrait y mettre et plus de variété et plus d'ordre. Les différents arbres nous donnent différentes teintes de vert. Quoi de plus riant et de plus gracieux que de combiner judicieusement ces teintes, de manière que le clair-obscur y fût presque aussi exact et aussi séduisant que dans un beau tableau ? Il faudrait qu'un jardinier fût un excellent peintre, ou du moins qu'il possédât éminemment cette partie de la peinture, qui consiste à bien connaître la sympathie des couleurs différentes et les différents tons de la même couleur ; alors il assortirait la verdure de manière à causer des surprises et à nous faire goûter des plaisirs extraordinaires.

Dans les jardins de Versailles, il n'y a point d'eau ; et qu'est-ce qu'un jardin sans eau ? Elle seule peut en entretenir la fraîcheur, en ranimer les beautés, lui donner l'âme et la vie. Le murmure des eaux fait compagnie dans le plus solitaire jardin ; on croit être spectateur du badinage des nymphes et des naïades, quand on est sur le bord d'une fontaine ou d'un ruisseau, qui par ses divers bouillons et cascades nous amuse, nous parle, nous captive et nous fait rêver. Que n'a-t-on pas dépensé pour amener de l'eau à Versailles ? On a mis à contribution les pays circonvoisins ; les canaux, les aqueducs, la Seine élevée par machines sur une très haute montagne, tout a été mis en œuvre à grands frais pour suppléer l'eau qui manquait entièrement. Après avoir employé à ce travail des sommes innombrables, tout s'est réduit à être en état, deux ou trois fois l'année, de faire sortir, par une infinité d'ajustages de toute espèce, des eaux sales qui jaillissent miraculeusement dans les airs l'espace de quelques minutes ; et qui, de là, vont se perdre dans différents égouts qui forment ce qu'on nomme le Canal et les eaux plates ; le reste du temps, on ne voit pas une goutte d'eau couler, on ne rencontre que fontaines à sec et bassins à moitié remplis d'eau croupie et puante. Dans la belle saison, on a à la vérité assez fréquemment le spectacle de ce qu'on nomme les Petites Eaux ; et il faut convenir que cette quantité de bassins, d'où l'eau sort avec abondance et fracas, égaye infiniment les tristes jardins de Versailles. Mais il est bien malheureux qu'on ne soit pas assez bien en fonds pour faire tous les jours la même dépense. On est réduit à briller les dimanches et fêtes ; le reste de la semaine, on figure pauvrement ; il n'est question ni de grandes, ni de petites eaux. On habite le lieu le plus sec de l'univers. Il vaut infiniment mieux avoir en eau de beaucoup moindres spectacles et les avoir pour en jouir habituellement. Une belle eau vive, qui coule ici par petites nappes, là qui se précipite en cascades, plus loin qui jaillit dans les airs, de ce côté qui suinte à travers les rochers d'une grotte, de l'autre qui se joue par petits bouillons, par petites goulottes, qui prend en un mot toutes sortes de formes, qui joue toutes sortes de jeux, voilà ce qui est préférable à tous les miracles instantanés de Versailles[10].

 

L'exagération de ces attaques, d'ailleurs pour nous si instructives, appelait une réponse ; elle fut faite par un amateur expert à mettre en valeur les trésors de l'ancienne France. Dans son Voyage pittoresque des environs de Paris, qui date de 1755, Dargenville défendit à sa manière la création de Le Nôtre et de Mansart :

Il y aurait de l'injustice à ne pas accorder à la France la supériorité pour les jardins sur toutes les provinces de l'Europe. Quel naturel dans ceux de Saint-Cloud, de Sceaux et de Chantilly ! Quelle élégance dans ceux de Marly et de Bellevue ! Quelle grandeur, quelle noblesse, quelle magnificence dans les jardins de Versailles ! Telle est du moins l'idée qu'on en a eue jusqu'à présent. Cependant, un auteur vient d'avancer que ces derniers n'ont rien qui puisse fournir au plaisir de l'âme, ni à l'amusement des yeux un agréable et riant spectacle ; et qu'en s'y promenant, on trouve de l'étonnement et de l'admiration d'abord, et bientôt après de la tristesse et de l'ennui. Qui ne voit que cette critique n'est juste qu'en égard à la situation de Versailles ? Il aurait été assurément facile à Louis XIV d'embellir un lieu orné par la nature ; mais ce prince a voulu faire voir, en choisissant un terrain qu'elle a le plus disgracié, qu'un roi est plus grand lorsqu'Il sait se former des aspects aussi heureux que magnifiques, que lorsqu'il ne fait que parer la nature qui se présente belle et riante aux yeux même du villageois. En convenant que la situation de Versailles est extrêmement ingrate, n'est-ce pas une occasion de relever les beautés de l'Art qui en ont fait le plus magnifique endroit du monde ?

Notre critique trouve que la verdure y manque de vivacité et de fraîcheur, et que tout y est d'une aridité extrême. Dans les jardins de Versailles, dit-il, il n'y a point d'eau ; et qu'est-ce qu'un jardin sans eau ? Cette critique tombe d'elle-même. Il suffit d'avoir été une fois à Versailles, pour avoir remarqué la vivacité et la fraîcheur de la verdure, qui se conserve jusqu'au mois de novembre presque sans altération. A l'égard des eaux, on pourrait dire qu'elles y sont en trop grande quantité. Qui les reconnaîtrait dans cette description d'eaux sales qui jaillissent miraculeusement dans les airs l'espace de quelques minutes seulement, de fontaines à sec et de bassins à moitié remplis d'eau croupie et puante ? Il est vrai que, lorsque ces eaux commencent à jouer, elles forment des bouillons jaunes, mais ce n'est qu'à l'instant de leur sortie des ajustages ; et cette couleur jaune n'est causée que par la rouille inséparable des tuyaux de fer qui les amènent ; le reste du temps, elles sont fort belles et fort claires. Sans doute, l'auteur de l'Essai sur l'architecture a peu vu ces beaux jardins, ou il s'y est malheureusement trouvé durant l'absence du Roi, temps auquel on raccommode les fontaines. Il faut donc l'inviter à y retourner dans des moments plus favorables. Je ne doute point que, judicieux comme il est, il ne réforme alors ses idées, fruits d'une imagination poétique. Il verra qu'à l'exception de quelques bosquets qui jouent plus rarement, les eaux ordinaires jouent presque tous les jours, et plus que l'espace de quelques minutes seulement[11].

 

Ces opinions diverses alimentèrent les polémiques pendant la dernière partie du règne de Louis XV, qui vit triompher le goût nouveau. A l'heure où cette victoire était définitive, au moment où Watelet publiait l'Essai sur les jardins, où le marquis de Girardin écrivait son traité De la composition des paysages sur le terrain et Morel, architecte du prince de Conty, sa Théorie des jardins, quand se multipliaient des créations comme Monceau ou Tivoli, Betz ou Ermenonville, et que se créait le Petit-Trianon, une voix s'élevait encore pour proclamer les mérites de Versailles ; et c'était celle de Duchesne, le jardinier le plus autorisé du temps. Le substantiel traité Sur la formation des jardins, qui donne en peu de pages la théorie essentielle du genre régulier et du genre libre, analyse avec la plus grande clarté l'esprit de la formation de Versailles et rend un digne hommage à Le Nôtre, en exposant simplement les idées qu'il réalisa : l'ouverture des grandes perspectives, l'équilibre du dessin général uni à l'heureuse différence des parterres du Nord et du Midi, la noblesse du prodigieux soubassement que l'Orangerie fait au Château, etc. Un tel juge des beautés de Versailles doit être écouté, lorsqu'il en relève les défauts :

Les terrasses du Tapis-Vert, seuls lieux où l'on jouit des beautés de cet ensemble, sont aussi les seuls lieux fréquentés, Un cri général déclare ennuyeuse la promenade dans les bas du jardin et, ce qui est encore plus décisif, on les abandonne. Quelles en peuvent être les raisons ? L'uniformité dans la décoration des Allées des Saisons, jusqu'à des distances dont la correspondance ne saurait être aperçue ; l'étendue peut-être un peu trop grande des lieux qu'elles occupent, qui les fait trouver déserts et inhabités, tandis qu'à l'aspect des grilles qui terminent les allées, on sent toujours avec chagrin qu'on est enfermé ; le défaut de point de vue extérieur ; enfin le déplaisir encore plus grand de trouver l'entrée des Bosquets barrée par des enceintes particulières, offensantes pour les promeneurs auxquels elles en proscrivent l'entrée, et incommodes même à ceux auxquels on en confie des clefs... — Je ne m'arrêterai pas sur l'entière et ridicule conformité du Bosquet Dauphin et de celui de Girandole, plantés par Louis XIII à la naissance du Dauphin son fils [?], et dont la conservation fut une loi imposée rigoureusement au génie de Le Nôtre ; conservation d'où résulta le peu de largeur de l'ouverture du Tapis-Vert, qui n'embrasse que les neuf croisées du milieu de la Galerie, et l'impossibilité de l'élargir au moins autant que le canal qui en embrasse quatre de plus. Comme on semble, par la position de la Colonnade et du Bosquet des Dômes, avoir voulu conserver la facilité d'élargir ce percé, lorsqu'on sera dans le cas, où il en faudra venir tôt ou tard, d'abattre et replanter tous les Bosquets à la fois, il est à croire qu'alors on fera ce qui ne fut pas possible d'abord.

 

Duchesne annonce ici la replantation générale, qui se prépare, et jette, comme en s'excusant, quelques idées dont elle pourrait profiter. Il veut qu'on utilise les arbres d'ornement inconnus ou trop rares dans le siècle dernier, pour varier les plantations, non seulement des bosquets, mais encore de la bordure des grandes allées ; il faudrait alors supprimer dans quelques-unes les charmilles, presque nécessaires dans les endroits ornés de figures de marbre, auxquelles elles servent de fond, mais dont la répétition ailleurs devient fatigante. On pourrait encore, dans le voisinage de l'Obélisque, où l'expérience a appris que les arbres sont d'une si belle venue, former une partie de quinconce ; distribuer hors du parterre de l'Orangerie une partie des arbustes qu'elle contient, au pourtour des deux bassins de l'Ile-Royale, entremêlés avec d'autres arbres, dont la mi-ombre leur serait si profitable et dont le contraste de hauteur, de figure et de couleur ferait un délicieux effet ; ménager à la famille royale un agrément dont le roi de France, presque le seul entre les gens riches de son royaume, se trouve constamment privé dans son séjour habituel, savoir la possibilité de prendre l'air en liberté, dans un jardin particulier contigu aux appartements[12]. L'opinion la plus générale, celle qu'on exprime partout, c'est qu'il faut supprimer la plupart des charmilles, qui ont donné jusqu'à présent au parc son principal caractère.

Ce ne sont pas seulement les parties basses des jardins qui sont déclarées ennuyeuses par les courtisans et par le public, c'est Versailles tout entier. On se rappelle comment le déprécie le prince de Ligne : Versailles est triste ; mais le plus grand des rois et le roi du plus beau pays ne peut guère avoir d'habitation traitée autrement... Pourquoi Louis XIV a-t-il si mal choisi son terrain ? Tous ses descendants en souffrent dans leurs petits jardins, qu'ils ne font que pour se consoler d'avoir été condamnés par lui à la magnificence de Versailles[13]. Le marquis de Girardin ne retient même point l'excuse de la majesté : Le Nôtre, écrit-il, a massacré la nature ; il a inventé l'art de s'entourer à grands frais d'une enceinte d'ennui. Ce qualificatif d'ennuyeux revient, bien avant Alfred de Musset chez les petits poètes du temps de Louis XVI, dés qu'ils nomment Versailles ; Saint-Lambert l'emploie dans les Saisons, comme Lezay-Marnésia dans son Essai sur la nature champêtre :

Le Nôtre aligna tout dans le parc de Versailles,

Et Le Nôtre enferma l'ennui dans ses murailles 14[14].

D'autres se plaignent que Versailles manque de promenades : Le croira-t-on ? écrit Marmontel. Ces jardins magnifiques étaient impraticables dans la belle saison, surtout quand venaient les chaleurs ; ces pièces d'eau, ce beau canal, ces bassins de marbre entourés de statues où semblait respirer le bronze, exhalaient au loin des vapeurs pestilentielles et les eaux de Marly ne venaient, à grands frais, croupir dans ce vallon que pour empoisonner l'air qu'on y respirait. J'étais obligé d'aller chercher un air pur et une ombre saine dans les bois de Verrières ou de Satory[15].

Le sentiment des gens de cour est tellement unanime qu'il suffirait à dégoûter le souverain d'entretenir ces coûteuses magnificences. Seuls quelques écrivains indépendants savent unir aux goûts de leur temps l'intelligence et le respect de ceux d'autrefois. Parmi eux, l'abbé Delille n'ose décider entre Kent et Le Nôtre et rend aux jardins de Louis XIV, malgré ses préférences d'homme sensible, plus d'un hommage éloquent. André Chénier les célébrera en termes trop vagues, pendant les quelques mois de la Révolution où un séjour à Versailles lui procurera du repos et de la sécurité ; mais son ami Roucher a interprété sans doute leurs sentiments communs en plusieurs morceaux d'un poème sur les Jardins resté inédit et dont quelques pages seraient dignes d'être connues. S'il y condamne le suranné et l'artificiel de l'ancien style, il ne manque point d'en analyser les grâces durables :

Artistes des jardins, tombez devant celui

Que dans Versailles même on insulte aujourd'hui ;

Rendez gloire à Le Nôtre et l'adoptez pour maître ;

Et quel autre en effet serait digne de l'être,

Alors qu'il faut orner la demeure des rois... ?[16]

Un homme de l'ancienne cour, le duc de Croy-, amateur vraiment instruit et créateur de jardins à l'anglaise dans son domaine de l'Ermitage, garde un enthousiasme sans réserve pour ceux de Louis XIV, en même temps qu'une admiration raisonnée du grand goût français. C'est le plus fidèle ami de Versailles ; sa promenade favorite est le tour de la pièce d'eau des Suisses, où le coup d'œil du fond est admirable et que saura goûter aussi Mirabeau[17]. Il constate avec chagrin que la plupart des contemporains dédaignent de telles beautés : C'est, dit-il, une de ces grandes et nobles idées que nous ne verrons plus exécuter, et que nous ne savons même plus sentir. Pour lui, il ne cesse de fréquenter avec délices, en toute saison, ce parc qu'il préfèrera toujours au nouveau Trianon et qu'il lui arrive de voir plus majestueux que jamais en une circonstance mémorable. C'est du haut des toits du Château, le matin du mariage du Dauphin, alors que l'on vient de préparer cette illumination générale, demeurée célèbre et que rappellent les dessins de Moreau le jeune. Un médiocre écrivain a fixé, ce jour-là, des images dignes d'être recueillies : Voyant que cela devait être unique, par cette belle matinée de printemps, à voir des loges que je remarquais sur les toits de la Galerie, je cherchai par le Cabinet du Roi une issue, je parvins sur les terrasses des plombs et je m'assis au milieu, au haut des gradins couverts au-dessus du toit. Je ne crois pas que rien dans le monde ait égalé la beauté du coup d'œil, dont la fraîcheur de la naissante verdure augmentait l'effet ; et c'est de là qu'il faudrait voir Versailles. L'ensemble de cette immense décoration du feu de devant, bien cadrant au dessin des jardins, la dégradation le long du Tapis-Vert, le Canal entouré et bordé de décorations et couvert de bateaux, de girandoles, de lanternes rejaillissant au soleil, et terminé au fond par une très simple et noble décoration pour la masse des réverbères, étaient des choses qu'on ne peut assez bien rendre.

La beauté végétale des parcs n'avait jamais été plus complète qu'au moment où elle allait disparaître. L'heure des grandes transformations approchait. Un des derniers mémoires adressés par Gabriel à M. de Marigny, celui du 6 novembre 1772, assure qu'on ne peut tarder davantage à les entreprendre ; les restaurations seront maintenant fort dispendieuses : Leur multiplicité effraye ; pour l'Orangerie seule, il faudrait dépenser 5 à 600.000 livres. Quant aux autres ouvrages de jardins, ajoute Gabriel, j'estime qu'il faut au moins dix-huit mois pour connaître, autant qu'on en pourra approcher, à quoi ils pourront monter. La connaissance que l'on en aura déterminera peut-être à supprimer bien des choses de faste et à simplifier des effets. Dix-huit mois plus tard, les études étaient terminées, le projet mûri ; et le nouveau directeur général, M. d'Angiviller, faisait approuver par Louis XVI, dès le début de son règne, la replantation de Versailles. Le voici donc arrivé, s'écrie Duchesne, ce moment prévu depuis plus de trente années, et dans lequel il sera possible de rectifier les légères imperfections d'un des plus beaux lieux de l'univers !

L'événement était d'importance ; il fut annoncé par une affiche, qui portait la date du 20 novembre 1774 : De par le Roi et M. le comte d'Angiviller, Directeur et Ordonnateur général des Bâtiments, on fait savoir que, le jeudi 15 décembre 1774, il sera procédé à la vente et adjudication des bois de haute futaie, de ligne, de décoration et taillés en massifs, dont sont plantés les jardins de Versailles et de Trianon. L'adjudicataire devra vider les terrains en moins de six mois, afin qu'on puisse replanter sans aucun retard.

L'affaire fut engagée suivant les règles de cette administration modèle, et tout un dossier permet d'en suivre le développement. Dès le 25 novembre, le directeur général donnait l'ordre de faire enlever tous les fers et plombs de clôture ou décoration des Bosquets, sauf à la Colonnade. Le 11 décembre, il convoquait les intendants dès Bâtiments, avec le Premier Architecte et MM. Picquais et Montet, notaires. Voici la lettre reçue par Gabriel : Je vous invite, Monsieur, à vous trouver jeudi prochain 15 de ce mois, onze heures du matin, chez moi, à la Surintendance, à Versailles, pour assister à l'adjudication que je compte prononcer ce jour-là, en exécution des ordres du Roi, de l'exploitation des jardins de Versailles et de Trianon au plus offrant et dernier enchérisseur, et sous les conditions énoncées par l'affiche... J'appelle également les deux intendants et contrôleurs généraux qui ont l'exercice de l'année courante. Le 15 décembre, à l'hôtel de la Surintendance, les sieurs Cronier, jardinier du Roi, et Berte étaient acceptés comme adjudicataires. La coupe commençait aussitôt au Bosquet Dauphin, où l'on signala, dès le 5 janvier 1775, les premiers dangers pour les figures et bassins du voisinage. Un poste de gardes-suisses, chargé d'une surveillance spéciale, fut installé par le comte d'Affry, colonel des Suisses. Au mois de mai, époque où les adjudicataires entreprenaient le défoncement des tranchées pour les plantations nouvelles, on suggérait la précaution d'enclore de grilles de fer le socle des statues ; M. d'Angiviller s'y refusait en ces termes : Ne serait-ce pas faire une dépense inutile que celle d'enclore les statues de Versailles de quelque manière que ce soit, puisque la replantation du jardin les remettra dans leur ancienne position, qui écartait toute idée de clôture ?[18]

Tout ce travail de destruction qui s'accomplissait dans Versailles y créait un pittoresque particulier, dont un peintre comme Hubert Robert était tenté de tirer parti. Les deux tableaux, qui eurent tant de succès au Salon de 1777, lui furent commandés pour le service du Roi : Ils représentent, dit son mémoire, le jardin de Versailles, lorsqu'on en abattait les arbres... Le point de vue de l'un est pris au haut du Tapis-Vert à gauche, entre le Milon de Puget et le groupe de Castor et Pollux ; on voit le Canal dans le lointain. Le point de vue de l'autre est pris des Bains d'Apollon, dont on voit, sur le devant du tableau à droite, un des groupes de chevaux ; le Château est dans le fond, ainsi que d'autres accessoires qu'on a pu découvrir de ce point de vue. On a placé dans ces deux tableaux beaucoup de personnages analogues aux lieux où ces tableaux ont été exécutés[19]. L'artiste a rempli ces toiles de renseignements précieux. Il a quelque plaisir à rendre les longs alignements de statues, semblables à ceux des villas romaines ; il marque de grands vases décorés de bas-reliefs, des groupes importants déplacés aujourd'hui ; il fait apparaître, par delà les taillis ébranchés, les arceaux de la Colonnade et les pavillons dorés du Bosquet des Dômes ; il mêle à ses bûcherons affairés des groupes élégants et oisifs de la Cour ; et l'on reconnaît, à côté de la balançoire improvisée par des enfants sur le tronc d'un arbre abattu, le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette, qui cheminent sans apparat, parmi d'autres promeneurs, dans leur parc encombré de débris. Ces spectacles, qui amusent le peintre, émeuvent le poète, et Delille les décrit au second chant des Jardins, avec des traits d'assez touchante mélancolie :

Ô Versailles ! ô regrets ! ô bosquets ravissants,

Chefs-d'œuvre d'un grand Roi, de Le Nôtre et des ans,

La hache est à vos pieds et votre heure est venue !

Ces arbres dont l'orgueil s'élançait dans la nue,

Frappés dans leur racine et balançant dans l'air

Leurs superbes sommets ébranlés par le fer,

Tombent, et de leurs troncs jonchent au loin ces routes

Sur qui leurs bras pompeux s'arrondissaient en voûtes.

Ils sont détruits, ces bois dont le front glorieux

Ombrageait de Louis le front victorieux,

Ces bois où, célébrant de plus douces conquêtes,

Les arts voluptueux multipliaient les fêtes !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ces dieux dont le ciseau peupla ces verts portiques,

D'un voile de verdure autrefois habillés,

Tout honteux aujourd'hui de se voir dépouillés,

Pleurent leur doux ombrage et, redoutant la vue,

Vénus même une fois s'étonna d'être nue...[20]

Cédant à de faciles souvenirs, le poète regrettait l'asile enchanté des amours de La Vallière et de Montespan, peuplé d'oiseaux fiers d'habiter ces bois ; il célébrait, avec son abondance ordinaire, des feuillages qui comptaient cent printemps et avaient vu périr et Corneille et Turenne. Avec une précision plus grande, un vieil admirateur de Le Nôtre, le duc de Croy, revenant à la Cour après l'hiver de la déplantation, constatait que le parc dépouillé n'avait pas entièrement perdu la beauté qu'il tenait de ses lignes : Tous les beaux arbres du jardin de Versailles, qui n'étaient qu'à leur perfection, étaient abattus. Je n'osais regarder de ce côté dans la Galerie, les ayant laissés si beaux, et le cœur m'en saignait. Cependant, il faut avouer que cela faisait bien mieux que je n'aurais cru, hors la muraille qui paraissait trop, et trop près. Cela devant était le plus superbe couvert, les arbres placés d'abord dans la terre rapportée étant les plus hauts et les plus beaux que j'aie vus ; mais il faut reconnaître que tout avait l'air un peu confus et étouffé. Alors, tout abattu, le pays paraissait mieux ; on avait des vues et, tous les marbres du jardin étant visibles à la fois, il y avait un superbe ensemble à découvert. Si l'on m'avait consulté... on n'eût point replanté partout, mais en laissant des percées et des côtés découverts en belle vue et verdure basse, et tout n'eût plus été du même ton ; mais on parlait de remettre tout comme devant. Ce joli tableau est du mois de décembre 1775 ; en mars 1777, M. de Croÿ retrouve les mêmes sensations dans une de ses matinales promenades : Je ne pouvais me consoler de la perte de tant de beaux arbres ; mais alors, par ce grand nu, les statues paraissaient mieux et plus propres et faisaient ainsi, au lever du soleil, l'effet le plus imposant[21]. Le chevalier de Lespinasse a dessiné une vue prise du Bassin d'Apollon, qui présente ce curieux effet d'un Versailles où la nature apparaît violemment subordonnée à l'art, les marbres dominant partout la faible hauteur des feuillages.

Personne n'avait songé sérieusement à transformer en parc à l'anglaise les jardins de Le Nôtre[22] ; mais on n'hésitait pas à en changer entièrement le caractère par le mode de replantation adopté. A la place des charmilles avancées des grandes allées, on mettait des arbres de ligne destinés à donner bientôt une ombre abondante ; et l'on meublait les massifs des essences les plus propres à y apporter de la variété. Ces choix furent longuement étudiés et débattu entre les spécialistes les plus qualifiés. L'abbé Nolin, directeur de la pépinière du faubourg du Roule, fournit d'abord son avis sur les propositions des entrepreneurs : Il sera bon de choisir les espèces selon le terrain, dont la nature varie beaucoup à Versailles ; il y en a de secs, il y en a d'humides. Si on faisait venir de Compiègne des plants de hêtres, on ferait de belles charmilles. Les arbres seront fournis des pépinières du Roi. Au nombre des arbres de ligne... le frêne et le peuplier d'Italie conviendront le mieux. Près de l'Ile d'Amour [Ile Royale], il sera utile de mettre le blanc de Hollande, le platane, et encore mieux le peuplier du Canada, l'eau étant là à deux fers de bêche du niveau du terrain. M. d'Angiviller voulut recueillir d'autres avis et pria son ami Le Roy, lieutenant des chasses du Roi, de réunir dans sa maison de la rue des Réservoirs le jardinier de l'Orangerie, Lemoine, et celui du Jardin royal de Paris, Thouin, pour fournir des renseignements détaillés sur les diverses parties à replanter. Une lettre écrite de Fontainebleau, le 15 octobre 1775, montre la variété des problèmes qui préoccupaient le directeur général :

La plantation des jardins de Versailles me fournit, Monsieur, quelques objets d'examen qui m'embarrasseraient dans ce moment où je me trouve éloigné, si je n'avais la ressource de votre amitié pour moi et de vos connaissances en ce genre. Je n'ai pas besoin de vous dire avec quelle confiance je réclame vos bons offices. Mon objet principal est de me déterminer sur les natures de plant qui peuvent convenir le mieux, soit en général, soit relativement à la qualité respective des différents cantons du jardin. J'excepte de la spéculation du moment la partie jadis occupée par le Labyrinthe, parce que j'en renvoie l'arrangement à l'an prochain et que mon Intention est, comme vous le savez, d'en faire une espèce de jardin particulier de décoration, d'agrément et même d'utilité par le genre de sa plantation.

Pour vous mettre au fait des propositions et à portée, soit de choisir entre elles, soit de substituer d'autres idées, je joins à cette lettre le dépouillement que j'ai fait faire des spéculations qui m'ont été présentées. D'un autre côté, comme c'est sûrement entrer dans vos vues que de réunir à vos réflexions celles de gens que leur état met à portée d'en faire d'utiles, j'écris au sieur Lemoine, de l'Orangerie, et au sieur Thouin, jardinier du Jardin royal, de se rendre auprès de vous pour coopérer à la visite du terrain et vous proposer leurs idées. Quoique je sois bien éloigné d'admettre dans cette plantation si importante une économie qui puisse en compromettre le succès, je serais pourtant fort aise, si nous pouvions nous pourvoir de plants sans nous jeter dans des frais d'importation aussi considérables que le seraient ceux des plants tirés de Bourgogne. Au reste, vous êtes trop instruit de toutes mes vues pour que j'aie besoin d'ajouter ici de plus grands détails, et je les termine en vous répétant avec le plus sensible plaisir l'expression du tendre et inviolable attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur,....[23]

 

Ayant examiné le terrain des divers bosquets, le lieutenant des chasses et les jardiniers tombèrent d'accord sur les points principaux qui guidèrent la replantation : Nous pensons, écrivait Le Roy, qu'on doit planter : le bosquet de l'Arc-de-Triomphe en chêne ; les Trois Fontaines en chêne ; le Théâtre en chêne ; les Bains d'Apollon en chêne ; le Bosquet Dauphin en hêtre et frêne ; l'Etoile en chêne ; l'Obélisque, le haut en chêne, le bas en orme ; les Dômes, l'Encelade en chêne ; le bosquet de la Colonnade et de la salle des Marronniers, par le haut en chêne, par le bas en hêtre et frêne ; le Bosquet de la Girandole en frêne, hêtre et orme, excepté le haut qui doit être en chêne ; la tête de l'Ile Royale en chêne ; la partie en dessous de la chaussée en orme et frêne ; les deux parties entre le Mail et la clôture du parc en orme et frêne... Il paraît que ce qui doit être en quinconce sera bien, partie en tilleuls, partie en marronniers. — L'épine blanche doit réussir très bien en parement le long des massifs, les lignes isolées devront être exclusivement en charmilles. Le meilleur plant qu'on puisse employer et qui viendra le plus également dans la plus grande partie des jardins, c'est le chêne et le chêne seul. D'accord avec ses confrères pour l'usage des arbres forestiers d'une seule espèce dans les massifs, à l'exclusion des arbres étrangers, Thouin suggère pourtant un usage discret de ces derniers : Comme il est question de faire différentes salles, il serait bon pour les former de choisir parmi les arbres étrangers les plus beaux, des platanes par exemple, quelques espèces d'érable ; cela jetterait de la variété et de l'intérêt... On pourrait aussi parsemer les lisières d'arbres étrangers les plus analogues à ceux des massifs. C'est une innovation qu'appliquent à ce moment même les savants jardiniers Richard, le père et le fils, occupés à planter le Petit-Trianon de la Reine.

 

L'apparition des arbres exotiques à Versailles se manifeste dès la première création de M. d'Angiviller, en ce bosquet qui devait remplacer le Labyrinthe de Louis XIV. On achevait alors d'en détruire les charmantes merveilles, qui tombaient de vétusté, les fontaines de rocaille et les groupes de plomb représentant les fables d'Esope. Pour utiliser ce beau massif, l'architecte Hazon avait imaginé de l'unir à l'Ile Royale dans un grand décor d'ensemble ; il y établissait une suite ininterrompue de terrasses et de salles régulières, ornées de statues, de bassins et de rigoles d'eau courante, et aussi de rotondes et de pavillons. L'exécution d'un tel projet eût entraîné de fortes dépenses, que la disette de fonds ne permettait pas d'envisager. Cette raison suffit au directeur général pour l'écarter ; il se plut cependant à en retenir quelque chose : Mes idées sur ce bosquet, écrit-il de Fontainebleau à Hazon, le 22 octobre 1775, se borneront à le décorer d'une rotonde justement proportionnée, comme par exemple sur une hauteur d'environ 25 pieds, dans le milieu de laquelle je ferai placer ou la figure de l'Amour ou les Enfants de Sarrazin, en garnissant la circonférence de bancs ou sièges de quelque forme que ce soit, pour l'usage de la famille royale dans ses promenades. Je conçois la construction de cette rotonde en pierre de Conflans. Mais il se ravise en post-scriptum, pour imposer courtoisement à l'architecte la plus stricte économie : Plus je réfléchis sur votre beau projet, plus je tiens à le réserver dans son entier et à ne pas le mutiler. Dès lors, il vaut mieux faire un recessus agreste, dans lequel je placerai l'Enfant et le bouc de Sarrazin. Je désire par la même raison que cette espèce de salon soit fermé, afin que la famille royale puisse s'y reposer... Il faut nous défendre des grandes ouvertures, y pratiquer des retours, des petites salles, des tortillets. Tout cela prêtera à la variété des plants en arbustes et arbres à fleurs et à fruits, avec des goulottes qui donnent là de la fraîcheur, en les faisant couler dans les plants même, se perdre et reparaître[24]. Sauf les goulottes, auxquelles on renonça également, ce programme est assez voisin de celui qu'on réalisa dans le bosquet nouveau. Comme il devait être réservé à la famille royale, et par conséquent aménagé suivant ses goûts, on s'efforça d'y suivre en quelques parties le genre anglais. Ainsi s'expliquent les petites allées tournantes, aux bancs arrondis, tracées autour de la belle salle carrée qui occupe le centre des plantations.

Le changement des idées sur l'art des jardins se révèle aussi dans le choix et la variété des arbres. On y voit encore des tulipiers, des pins, deux cèdres géants, dont les feuillages heureusement diversifiés gardent quelque chose du charme d'autrefois. La salle des tulipiers, au milieu du bosquet, était particulièrement admirée et tous les guides au début du dix-neuvième siècle la signalent au visiteur. Ils donnent à ce bosquet le nom de Bosquet de la Reine, qui a prévalu ; sous Louis XVI, on parait l'avoir désigné seulement comme Bosquet de Vénus, à cause d'une statue de la déesse qu'on y avait mise ou projeté d'y mettre[25]. C'est là que se passa, une nuit d'août 1784, vers les dix heures, la scène fameuse où le cardinal de Rohan crut voir la Reine, en la personne de la demoiselle Oliva, et reçut une rose de sa main. Les complices de cette comédie étaient M. de Lamotte, sa femme, et le sieur Rétaux de Villette, qui s'étaient donné rendez-vous sur la terrasse et descendirent au Bosquet de Vénus, avec la demoiselle, par l'allée qui longe les murs du parterre et ceux de l'Orangerie[26].

 

Les nouveaux Bains d'Apollon furent une création plus importante et plus exactement conforme à l'esthétique du Petit-Trianon. Ils occupèrent tout le grand massif à droite du Parterre de Latone, qui n'avait jamais été aménagé définitivement. Louis XIV avait eu l'idée d'y placer un rocher du Parnasse et d'y utiliser les masses d'eau disponibles après les effets supérieurs. Louis XVI décida aussi d'y faire un rocher, mais en le disposant pour recevoir les marbres de l'ancienne Grotte de Théthys. Ils étaient abrités, depuis 1705, dans la partie haute du même massif, sous trois dômes charmants, mais trop mesquins pour des ouvrages de cette importance. Duchesne indiquait déjà l'usage qu'on pouvait faire de ce coin des jardins, dans lequel se trouvent déposés plutôt que placés les trois superbes groupes du Bain d'Apollon, pour rassembler les arbres et les plantes qui conservent leur verdure en hiver et procurer, dans les beaux jours de cette saison, une salle de repos qui ne se ressente point de l'engourdissement de la nature[27].

Un premier projet, d'exécution peu coûteuse, fut proposé par Mique dès le 13 août 1776 ; on en demanda un autre à Hubert Robert, en lui donnant comme programme un rocher orné de chutes d'eau et disposé de manière à pouvoir placer les trois groupes de marbre des Bains d'Apollon. Robert fit un premier dessin, où s'arrangent déjà fort bien les nymphes de Girardon et les chevaux du Soleil, des frères Marsy et de Gilles Guérin. Le sculpteur Boucher, pour la construction du rocher, prépara selon l'usage un petit modèle et l'entrepreneur Thévenin fit une soumission, que M. d'Angiviller donna à examiner à trois architectes de l'Académie, Mique, Soufflot et Hazon. Ces artistes s'étant réunis approuvèrent le projet, par un mémoire remis au directeur général le 25 février 1778, et évaluèrent la dépense à 180.000 livres, ce qui n'empêcha pas le public, mal intentionné maintenant pour tout ce qui se faisait à la Cour, de parler du gaspillage d'un million et demi[28]. Les sieurs Berte et Cronier passèrent un marché pour les ouvrages de terrassement, qui devaient être considérables ; enfin, le 1er mars, M. d'Angiviller adressa à Hubert Robert l'ordre suivant, où se trouve établie la part de chacun des collaborateurs de ce grand ouvrage :

Le Roi ayant agréé, Monsieur, l'exécution du projet que je vous avais chargé de vous former pour les Bains d'Apollon et dont Sa Majesté a pris la peine de voir le modèle exécuté de concours avec vous par le sieur Boucher, sculpteur, je viens de charger M. Thévenin d'aller en avant. Je ne pouvais confier cet objet important en de meilleures mains et le succès ne peut en être douteux au moyen de la surveillance que je vous demande dans le cours de l'exécution. Comme le sieur Boucher réside à Versailles, il pourra suivre journellement d'après les avis et les réflexions que vous suggéreront vos visites successives. Je m'en remets là-dessus à tout ce que j'ai droit d'attendre de vos connaissances, de votre goût et de votre zèle pour le service du Roi.

 

La montagne artificielle s'éleva, ménageant dans une grotte l'entrée d'une sorte de palais de Théthys, où s'abrite le groupe d'Apollon servi par les Nymphes de la déesse. Les chevaux du Soleil prennent place sur d'autres points du rocher, d'où l'eau descend en nappe abondante dans un bassin rustique creusé au milieu de la pelouse. Des arbres d'essence étrangère sont plantés en grand nombre et destinés à encadrer un jour, par de riches feuillages, ce tableau où se mêlent de façon inattendue les compositions de Le Brun et de Girardon et le caprice agréable du peintre de Marie-Antoinette. Les travaux se prolongent jusqu'en avril 1781. Dès le mois de septembre 1780, M. d'Angiviller convoque à Versailles Pajou et Pierre, Premier Peintre du Roi, pour le jour où doit se faire l'essai des eaux. Il désire que tous les artistes concertent sur le lieu même toutes les mesures à prendre pour la translation des groupes, en profitant de ce que la saison peut donner encore de temps favorable[29]. Les marbres sont donc disposés sur le rocher avant l'hiver, par les soins du sculpteur Boucher et d'Hubert Robert. Celui-ci est récompensé par des honoraires de 6.000 livres, l'attribution d'un logement au Louvre et le titre de dessinateur des jardins du Roi. Autant que la Cour, le public paraît apprécier son œuvre ; on s'amuse à prévoir, devant le décor un peu nu, ce que l'artiste a préparé pour l'avenir : En général, écrit Delille, on ne peut bien imiter les rochers, pas plus que tous les grands effets de la nature. Elle ne permet à l'art de tenter ces hardiesses que lorsqu'il combat avec toutes les ressources du génie et de l'opulence. C'est ainsi que s'est formé, d'après les dessins de M. Robert, le superbe rocher de Versailles, dont l'effet ne peut être deviné que par l'imagination, qui sait le voir d'avance coiffé de beaux arbres et orné de ce que le temps seul peut lui donner de vraisemblance et de beauté. Mais déjà le goût moins complaisant d'un connaisseur princier formule avec sévérité des réserves nécessaires : Je souhaite qu'on pardonne le rocher des Bains d'Apollon. Je le trouverais superbe à Fontainebleau, ou peut-être plus loin du Château. Qu'on prenne garde de se laisser séduire par des tableaux ! Il y a de quoi en faire un magnifique de ce morceau de jardin ; mais les plus beaux chevaux et les plus belles figures de marbre y ont l'air de biscuits, en proportion des énormes masses de pierre où on les a placés. Il est aisé de se tromper aux effets[30].

Le prince de Ligne ne s'y trompait point. Certains effets ne pouvaient trouver leur place dans la création de Louis XIV sans en détruire l'équilibre ou y produire de choquants contrastes. Le Bosquet d'Apollon se présentait alors, il est vrai, de la façon la plus fâcheuse ; des fenêtres du Château, des parterres et presque de tout le parc, on apercevait sa masse irrégulière, que ne voilait à ce moment aucun rideau de verdure. Aujourd'hui isolé, comme il l'est, dans les jardins de Le Nôtre et n'en rompant plus aucune ligne, il peut être goûté, pour sa beauté propre et les comparaisons qu'il provoque, par le visiteur qui doit le chercher pour le découvrir. La disposition même des groupes célèbres à l'entrée du rustique palais de Théthys n'a rien de déplaisant aux yeux ; et, si l'idée des anciens sculpteurs est assurément trahie par ce pittoresque d'un autre temps, on doit admettre que leur ouvrage s'y trouve du moins présenté avec noblesse.

 

Les jeunes plantations du règne de Louis XIV privaient nécessairement les jardins d'une part de leur majesté. Elles demeurèrent longtemps très basses, dominées partout par les marbres et laissant apparaître de loin tous les ornements des bosquets. Du Bassin d'Apollon, par exemple, on voyait les pavillons des Dômes et les arcades de la Colonnade, plus loin le nouveau rocher ; de même, l'ensemble des façades du Château se découvrait de ce point éloigné dans sa monotone longueur, ainsi que les rampes de Latone[31]. Le temps allait corriger peu à peu ces imperfections ; mais il menaçait Versailles d'un danger tout autre et d'un dommage irréparable. Mis en goût par le succès des transformations de quelques bosquets, le comte d'Angiviller avait résolu de les attaquer tous, les uns après les autres ; l'approche du déficit, qui fut si funeste à l'Ancien Régime, eut pour Versailles l'avantage d'arrêter l'exécution de ces inquiétants projets, qui eussent achevé de défigurer l'œuvre de Le Nôtre[32].

Ce fut le plus grand risque couru par nos jardins, plus grave même que la menace révolutionnaire, un instant apparue à la tribune de la Convention, de labourer le parc des tyrans et d'y semer le blé national. Le déplorable travail, il est vrai, fut entrepris ; on planta d'arbres fruitiers quelques allées et l'esplanade du Bassin d'Apollon, mais pour reconnaître bientôt qu'il valait mieux entretenir à l'ancienne mode ces beaux lieux réservés par la loi de 1792 aux plaisirs du peuple. Le péril reparut avec Napoléon. L'Empereur, qui méprisait sincèrement les grâces du passé, voulait chasser des bosquets ce qu'il appelait ces nymphes de mauvais goût, ces ornements à la Turcaret ; il rêva de construire, à la place, des panoramas en maçonnerie de toutes les capitales où nous étions entrés victorieux, de toutes les célèbres batailles qui avaient illustré nos armes. Que serait-il resté après cela de la création de Louis XIV ? Pour exécuter ce plan de vandalisme grandiose, le loisir manqua à l'Empire, comme l'argent avait manqué à la Monarchie, et, pour la troisième fois, le chef-d'œuvre français échappa à la destruction.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Une partie des dessins originaux au lavis, faits par Rigaud pour sa série des Jardins de Versailles, se trouve dans une collection parisienne. Les cuivres appartiennent à la Chalcographie du Louvre. Les aquarelles de Portail, représentant le Bassin de Neptune et l'Orangerie et datées de 1750, sont au Musée de Versailles ; on les verra reproduites dans la grande édition de notre livre sur Les Jardins de Versailles, Paris, 1906. D'autres documents peuvent être consultés, notamment les gravures de certaines éditions de Piganiol et le plan des Bosquets de l'abbé Delagrive, gravé en 1753. Les plans de détail des parterres et des bosquets se trouvent dans l'album de Dubois, formé en 1732 et conservé à la Bibliothèque de la ville de Versailles, et dans celui qui est aux archives du Musée, relié aux armes de Louis XV (Recueil des Châteaux, Jardins, Bosquets et Fontaines de Versailles, Trianon et la Ménagerie. Année 1747).

[2] Parmi tant d'aspects des jardins que les plans seuls permettent d'évoquer en l'absence de vues gravées, on peut citer le Mail, qui a laissé son nom à l'allée parallèle à la route de Saint-Cyr, dont la séparent les jardins dits de Folichencourt. Nos manuscrits montrent le jeu installé à l'endroit où se déroule la pelouse d'aujourd'hui ; il commençait auprès des grands degrés de l'Orangerie, avait ses clôtures coupées un instant à la hauteur de l'allée du Miroir, tournait au bas du jardin dans l'allée d'Apollon et se terminait vers le Bassin d'Apollon.

[3] L'Iris d'Adam le jeune, terminée par Michel Clodion en 1780 et estimée alors 10.000 livres, a figuré en 1792 au Louvre, dans la Salle des Antiques, et, de l'an IV à l'année 1870, aux jardins de Saint-Cloud ; elle est aujourd'hui au Château de Versailles. L'Aurore de Vinache, terminée par Gillet en 1757, fut donnée à M. de Marigny, qui la plaça à Ménars, et a été achetée en 1851 par le baron Edmond de Rothschild au prix de 61.050 francs. Le Ganymède de Francin, estimé 10.000 livres et terminé par Dupré, fut donné en 1777 à M. de Maurepas pour ses jardins de Pontchartrain, où ce marbre ne figure plus (Furcy-Raynaud, Deux musées de sculpture française à l'époque de la Révolution, Paris, 1907, p. 19).

[4] Le recueil de plans manuscrits du Musée de Versailles, de 1747, est le seul où figure le dessin assez curieux de ce Labyrinthe ; il n'est pas sur les plans gravés de Delagrive en 1746 et 1753.

[5] Une vue de l'éphémère bosquet du Dauphin figure dans la septième édition de Piganiol. La disposition du pavillon et des volières est fort nette dans le plan général de Delagrive (1746) ; dans celui des Bosquets (1753), ils ont disparu, mais on voit encore les statues de Louis XV et de Marie Leczinska. Sur ces deux plans, un réseau de petites allées monte dans tout le massif derrière le bosquet des Bains d'Apollon. Blondel écrit en 1756 : On avait élevé, il y a environ quinze ans, un petit Belvédère pour M. le Dauphin, qui a été détruit depuis quelques années (Architecture françoise, t. IV, p. 104).

[6] Architecture françoise, t. IV, p. 105 et 108.

[7] Le Château sous Louis XV, p. 231, 233. Aucun travail ne paraît avoir été exécuté à Royale, dont la vaste pièce d'eau, devenue marais fangeux, continua à se combler peu à peu, pour disparaître dès la fin du dix-huitième siècle. Elle a été remplacée en 1816 par le Jardin du Roi, dont la pelouse et les plantations furent inspirées par Louis XVIII lui-même et reproduisent, dit-on, le jardin anglais de sa maison d'Hartwell.

[8] V. les observations réunies par G. Desjardins, Le Petit-Trianon, Versailles, 1885, p. 43, 88 et suivantes, et par Nolhac, Le Trianon de Marie-Antoinette, Paris, 1914, p. 47 et suivantes.

[9] Architecture françoise, t. I, p. 45. Au t. IV de son ouvrage, Blondel se borne à décrire assez brièvement l'ensemble des jardins.

[10] Essai sur l'Architecture, nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, par le P. Laugier, de la Compagnie de Jésus, Paris, 1755, p. 236-248. Cette diatribe est suivie de l'éloge des jardins d'un grand prince, qui n'est autre que Stanislas Leczinski.

[11] Préface du Voyage pittoresque des environs de Paris, par M. D[argenville], Paris, 1755, p. 9-15. L'auteur ajoute ces observations judicieuses : Que penserait-on du goût de ce critique, si on en jugeait par l'idée qu'il nous en donne, en préférant à la magnificence et à l'abondance des fontaines de Versailles, les colonnes, les stores et les lustres d'eau des jardins du roi Stanislas en Lorraine ? Il exalte fort ces nouveautés, qui font renaître le petit goût des grottes et de la mécanique hydraulique, effets d'eau que le bon goût a proscrits des grands jardins, et en particulier de Versailles, où l'on voyait autrefois la Grotte de Thétis avec un jeu d'orgue et des chants d'oiseaux, un chêne vert jetant de l'eau par toutes ses feuilles, et d'autres petites fontaines qu'on a supprimées pour n'y rien laisser que de grand.

[12] Sur la formation des Jardins, par l'auteur des Considérations sur le Jardinage, Paris, 1775, p. 25-36. Suivent deux pages sur les défauts du Petit Parc : monotonie, manque de vues, d'eaux courantes, de futaies. Le passage prévu par Duchesne pour le jardin particulier du Roi se placerait à l'extrémité de l'Aile du Nord, le long de laquelle on supprimerait le pavé de l'ancien chemin de Marly (et de Trianon), et le jardin lui-même pourrait s'étendre tout autour du Bassin de Neptune.

[13] Prince de Ligne, Coup d'œil sur Belœil, nouv. édit., 1786, p. 127. Delille dit de même :

Les Rois sont condamnés à la magnificence.

[14] Délerot, Ce que les poètes ont dit de Versailles, 2e éd., Versailles, 1910, p. 49-50.

[15] Marmontel, Mémoires, éd. Tourneux, t. II, p. 7. Le caractère insalubre des eaux est nettement indiqué dans un rapport de l'abbé Tessier, rédigé au nom de la Société royale de Médecine, en 1781, sur la demande de M. d'Angiviller : Les eaux du Petit- Parc peuvent être regardées comme croupissantes, puisque la plupart ne se renouvellent pas. Celle même du Parterre d'eau, la plus pure en apparence, n'est pas exempte d'infection ; à plus forte raison celle de l'Ile Royale, de l'Encelade, du Théâtre d'eau, etc. Il serait important de les renouveler, en les faisant jouer le plus qu'il serait possible (J.-A. Le Roi, De l'état de Versailles avant 1789, Versailles, 1871, p. 60).

[16] Le poème inédit de Roucher est commenté par J.-M. Morel dans la préface de la deuxième édition de la Théorie des Jardins, Paris, 1802 (p. xlj-lvj). Cette édition est dédiée à Madame Bonaparte ; le complément du titre nouveau (ou l'Art des Jardins de la nature) indique l'accentuation des idées de l'auteur depuis sa publication de 1776. La préface analyse aussi le poème anglais de Masson, ceux de Delille et de Lezay-Marnézia. Elle cite, parmi les passages de Roucher, des vers sur l'usage et l'abus des charmilles taillées et sur les jeux d'eau,

Qui, d'un goût dépravé chef d'œuvres hydrauliques,

Défigurent souvent les jardins italiques,

Et ce Versailles encor, je le dis à regret,

Où l'art dans ses détails montre un luxe indiscret.

[17] L'ennui de ce somptueux Versailles fait souvent gémir sur la méprise de Louis XIV ; mais ses beautés font toujours admirer Le Nôtre... Je n'ose appeler tous les peintres à ce beau vallon mélancolique orné d'un lac appelé la pièce des Suisses, et que Le Nôtre voulait animer par une vraie cascade... Considérez ce choix des verdures, ces pins, ces larix, cette montagne qui enferme et enveloppe toute la scène, et à l'opposite, au delà de la voie publique, cette admirable masse de l'Orangerie, ces deux escaliers-montagnes, et au-dessus la façade du palais qui finit et couronne la vue. (Archives des Affaires Etrangères, papiers de Mirabeau. Communication de M. Louis Lumet.) — Bibliothèque de l'Institut, mss. Croÿ, t. XXV, p. 226. Journal, éd. Grouchy et Cottin, t. IV, p. 76.

[18] Tout le dossier administratif est aux Archives Nationales, O1 1770.

[19] Hubert Robert reçut 5.000 livres pour ce travail (Engerand, l. c., p. 427). Les deux tableaux sont aujourd'hui au Musée de Versailles ; le fragment représentant Louis XVI et Marie-Antoinette est reproduit en couleur dans notre livre sur Hubert Robert, Paris, 1910. Il existe une répétition de ces œuvres dans les collections impériales de Russie ; on y trouve des variantes assez nombreuses et les personnages royaux n'y figurent point ; ce sont apparemment les toiles envoyées à l'impératrice Catherine, qui valurent à l'artiste la proposition d'aller s'établir à Pétrograd.

[20] Delille, Les Jardins ou l'Art d'embellir les paysages, poème, Paris, de l'imprimerie F.-A. Didot l'aîné, 1782, p. 42.

[21] Journal inédit du duc de Croÿ, t. III, p. 219, 310. Cf. t. IV, p. 382.

[22] L'architecte J.-M. Morel lui-même, théoricien du jardin naturel, demande qu'on replante les jardins de Versailles sur leurs anciennes traces (Théorie des Jardins, 1re éd., Paris, 1776, p. 8). Il écrit : Ce serait manquer à la convenance que d'en changer le genre : 1° parce que cette habitation de nos Rois n'est pas un château, quoiqu'elle en porte le nom, mais un magnifique palais ; 2° parce que, comme Maison Royale, ses jardins sont publics et... que ceux-ci doivent être symétriques ; 3° parce que le luxe des arts, la richesse des matières, en un mot les beautés factices annoncent la puissance humaine, ce que ne font pas les beautés de la nature, qui ne lui furent jamais soumises. Plus familièrement, le duc de Croÿ disait de même, à propos du ton anglais : Le fait est qu'il faut celui de Le Nôtre pour accompagner des palais et le ton de grandeur, et le ton anglais ou chinois pour les retraites champêtres. (Journal, t. IV, p. 263.)

[23] Archives Nationales, O1 1790. Les documents cités plus loin proviennent des mêmes dossiers. V. aussi une note de M. Fennebresque sur la replantation des parcs de Versailles, dans son Versailles royal, p. 150.

[24] Archives Nationales, O1 1790. Le plan de Hazon paraît être celui que M. Auguste Jehan a publié dans son étude sur Le Labyrinthe de Versailles et le bosquet de la Reine, Versailles, 1901, p.41. Une lettre de M d'Angiviller à M. Russet, de Montpellier, du 14 septembre 1782, donne les détails suivants : L'intention de S. M. n'a jamais été de rétablir le Labyrinthe, dont la suppression a été nécessairement entraînée par la coupe des bois du parc. S. M. a préféré un jardin particulier planté en arbres et arbustes à fleurs, la plupart exotiques ; ce qui a été exécuté, il y a trois ou quatre ans, et commence à produire un effet fort agréable. (Archives Nationales, O1 1916).

[25] Un bronze de la Vénus de Médicis, fondu par les Keller en 1687, s'est trouvé dans le bosquet depuis l'époque de Louis-Philippe jusqu'en 1882, avec quatre aiguières de bronze provenant de Fontainebleau, aujourd'hui placées au Louvre ainsi que la Vénus. Les principales œuvres d'art qu'on y voit aujourd'hui sont une fonte ancienne du pseudo-gladiateur combattant et une Diane chasseresse d'Anselme Flamen, signée et datée de 1714, qui a figuré au milieu d'un bassin de Marly.

[26] Campardon, Marie-Antoinette et le procès du Collier, Paris, 1863, p. 65. Funck-Brentano, L'affaire du Collier, Paris, 1901, p. 154.

[27] [Duchesne], Formation des Jardins, Paris, 1775, p. 34. Sur les anciennes dispositions des groupes dans les jardins, v. l'Histoire du Château de Versailles, t. I, p. 94 ; t. II, p. 35 et 205.

[28] Archives Nationales, O1 1790. Nous sommes loin de la légende qui veut que le rocher d'Apollon ait coûté un million et demi, ainsi que l'autre rocher de Versailles, celui du beau jardin de Madame de Balbi, payé par le comte de Provence (Vaysse de Villiers, Tableau descriptif... de Versailles, 2e éd., 1828, p. 36).

[29] Nolhac, Hubert Robert, p. 57. Correspondance de M. d'Angiviller avec Pierre, publiée par M. Furcy-Raynaud, Paris, 1906, t. I, p. 299.

[30] Delille, Les Jardins, éd. Didot, 1782, p. 141 (notes). Prince de Ligne, Coup d'œil sur Belœil, nouv. éd., Belœil et Bruxelles, 1786, p. 126.

[31] Cette vue des jardins est celle qu'a dessinée le chevalier de Lespinasse et qui a été gravée pour l'ouvrage d'Alexandre de Laborde. Le duc de Croÿ constate en 1781 cet état des jardins, qui commence à consoler de l'ancien, mais où les statues ne sont pas encore assez nichées et accompagnées par la verdure et où rien ne peut rendre et ne rendra plus les beaux arbres qu'il y avait. En juillet 1783, il trouve son cher jardin bien tenu, les arbres croissant et faisant effet. (Journal, t. IV, p. 262 et 302.)

[32] Une lettre de Mique, adressée à M. d'Angiviller au mois de septembre 1780, rappelle l'intention de celui-ci de faire rétablir successivement tous les bosquets du Jardin de Versailles. (Archives Nationales, O1 1790.) M. d'Angiviller projetait aussi de reprendre, pour assurer le service des eaux dans les jardins et dans la ville de Versailles, les grands travaux d'adduction de l'Eure entrepris et abandonnés sous Louis XIV. Parmi les documents publiés par J.-A. Le Roi (De l'état de Versailles avant 1789), avec les observations hydrologiques de l'abbé Tessier, on a un mémoire historique de Heurtier et Coulomb, de 1784, relatif au projet d'annexer à Versailles les eaux de la rivière d'Eure ; il conclut à la reprise du projet de Vauban et de Louvois.