HISTOIRE DU CHÂTEAU DE VERSAILLES

VERSAILLES AU XVIIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE DEUXIÈME. — LE VERSAILLES DE GABRIEL.

 

 

SI MANSART domine l'histoire architecturale de Versailles, les noms de son prédécesseur Le Vau et de son successeur Gabriel doivent cependant être placés à côté du sien. Les trois grands artistes ont marqué l'empreinte du style de leur temps et de leur art personnel sur nos édifices royaux, et chacun d'eux revendique une part, à la vérité inégale, dans la création du Château. Quoique venu le dernier, Gabriel put se flatter un moment que ses ouvrages y prendraient autant de place que ceux de Mansart ; les plans de reconstruction qu'il a dressés, l'amorce des travaux qu'il a entrepris témoignent, en effet, que le dix-huitième siècle fut tout près de voir, à son tour, une complète transformation de Versailles.

Dès l'époque de l'installation de la Cour, à l'heure même où se réalisait le rêve de Louis XIV, une question s'est offerte à la décision du souverain et à l'ingéniosité de ses architectes. Avec le temps, elle s'est faite plus pressante. La noble façade du Château sur les jardins, où Mansart a remanié savamment les constructions de Le Vau et jeté sur leur flanc les longues ailes, donne toujours matière à l'admiration. Les théoriciens d'un art plus strict et plus soumis aux règles classiques lui adressent bien quelques reproches ; mais sa majestueuse grandeur ne peut être contestée. En revanche, les façades qui regardent les avenues présentent avec celles des jardins une disproportion choquante et imposent à l'esprit un fâcheux contraste. Là, des bâtiments assez bien liés, quoique d'âge différent, où la brique se mêle partout à la pierre, mènent l'œil au centre de l'habitation royale par des cours peu à peu rétrécies. Ils marquent trop visiblement la suite irrégulière des agrandissements du Château. La pente du sol, qui alors n'est point rectifiée, contribue même à détruire l'effet de la cour de Marbre, dont le bas demeure caché aux arrivants. On n'hésite pas à. déclarer ces aspects indignes du prince magnifique, qui réside en ces édifices mal équilibrés, et le sentiment public s'offense pour lui de leurs grâces médiocres. Nul n'apprécie plus l'élégance des façades anciennes aux balustrades chargées de statues, ni l'harmonie colorée de la brique et de la pierre, que rehausse l'or des balcons et des plombs des combles et dont nous saurons goûter sans remords le pittoresque heureux. L'ancien Versailles est âprement critiqué. Dans l'architecture comme dans les lettres, le dix-septième siècle finissant est impitoyable pour les beautés qu'a su créer sa jeunesse et qui sont pourtant d'une qualité si française.

Les architectes ont depuis longtemps conçu des plans plus réguliers. Déjà Claude Perrault, suivant l'anecdote rapportée par son frère Charles, dressait un projet complet, afin d'abattre ce petit château pour achever tout le palais du même ordre et de la même construction que ce qui est bâti de nouveau[1]. Plus tard, au cours de ses propres travaux, Mansart, qui pense aussi grandement que son maître et l'encourage à mettre Versailles entier aux mêmes proportions, s'est hâté de dessiner une réfection générale de la cour Royale, qui dissimulerait la cour de Marbre derrière une riche colonnade et préparerait l'élargissement et l'embellissement de l'avant-cour. Divers projets du même genre se succèdent, tellement paraissent inacceptables, dans la maison de nos rois, le désaccord entre les deux faces et le vaste et l'étranglé cousus ensemble, dont s'indigne Saint-Simon. Nous ne savons rien sur les intentions définitives de Louis XIV et sur le sort qu'il eût réservé aux anciens bâtiments jusqu'alors respectés ; les malheurs de la fin du règne et la détresse financière qui les accompagna écartèrent toute idée de cette reconstruction de Versailles, sans éloigner des esprits les critiques qui l'avaient fait proposer.

Voltaire a plus d'une fois l'occasion de les exprimer. Au cours des fantaisies souvent judicieuses de son Temple du Goût, dont la première édition est de 1733, il place sur l'autel de cette divinité le dessin de Versailles : Mais, ajoute-t-il, il est accompagné d'un arrêt du dieu, qui ordonne qu'on abatte au moins tout le côté de la cour, afin qu'on n'ait point à la fois en France un chef-d'œuvre de mauvais goût et de magnificence. La même observation sur la création jugée incomplète du Grand Roi se retrouve, en 1748, dans les Anecdotes sur Louis XIV : Malgré son goût pour la grande et noble architecture, il laissa subsister l'ancien corps du Château de Versailles, avec les sept croisées de face et sa petite cour de Marbre du côté de Paris. Petit à petit, il en fit le palais immense, dont la façade du côté du jardin est ce qu'il y a de plus beau dans le monde et dont l'autre façade est dans le plus petit et le plus mauvais goût. Enfin, le Siècle de Louis XIV, paru en 1751, résume, en quelques paroles, l'opinion du temps sur Versailles : La nation désirait que Louis XIV eût préféré son Louvre et sa capitale au palais de Versailles, que le duc de Créqui appelait un favori sans mérite. La postérité admire avec reconnaissance ce qu'on a fait de grand pour le public ; mais la critique se joint à l'admiration, quand on voit ce que Louis XIV a fait de superbe et de défectueux pour sa maison de campagne[2].

Voltaire, comme d'ordinaire, n'était que l'écho des artistes et des amateurs les plus autorisés, et l'avis de ceux-ci se trouve formulé, avec toute la précision désirable, dans une page de Blondel. Ce maître des jeunes générations d'architectes a institué une véritable critique de Versailles et distribué, au cours de ses descriptions, l'éloge et le blâme aux artistes de l'époque précédente. La façade des jardins ne trouve pas grâce devant lui ; il en juge l'ordre ionique mesquin et même intolérable dans un bâtiment de cette étendue ; il se dit choqué par la répétition du plein-cintre aux arcades des deux étages, par la hauteur outrée de la balustrade qui écrase l'attique, etc. : Quelque estime, dit-il, que nous fassions d'ailleurs des talents d'Hardouin-Mansart, nous n'avons pas cru devoir passer sous silence autant d'inadvertances ; plus cette façade en impose au vulgaire, plus il nous a paru important de relever les licences qu'on y remarque. Si Blondel est aussi sévère pour une œuvre conçue, en somme, avec une certaine unité, on peut s'attendre à le voir plus dur encore pour ce qu'on appelle communément l'ancien Château. Il s'y constate, croit-il, tant d'irrégularités et de dissonances, parce qu'on a tenu à conserver les vieilles constructions de Louis XIII[3] ; et c'est en vain que les restaurations des divers architectes ont essayé d'y remédier :

Dans le nombre de ces restaurations on doit compter les colonnades pratiquées au-devant des pavillons des extrémités de ce bâtiment et les cinq balcons portés par des colonnes doriques, d'un plus petit diamètre que celles qui soutiennent le grand entablement, mais toutes deux sont exécutées avec une irrégularité également condamnable. La balustrade, les vases et les figures, qui sont posés sur l'attique de l'avant-corps du milieu et l'amortissement qui les couronne, sont encore des additions, aussi bien que la plupart des combles, qui, malgré les ornements dont on les a revêtus, n'en paraissent pas plus supportables par leur excessive hauteur, ni plus convenables à la décoration de ce Palais, ayant prouvé ailleurs combien il était contraire à la bienséance de pratiquer des combles apparents au-dessus de la résidence d'une tête couronnée ; couverture qui ne présente toujours à l'idée du spectateur que des logements en galetas, contraires à la dignité d'un édifice tel que celui dont nous parlons, et qu'Hardouin-Mansart a su éviter dans l'ordonnance de la façade de ce même Palais du côté des jardins :Sans doute, les augmentations, dont nous venons de faire mention, ont rendu cette ancienne façade plus supportable ; mais il faut convenir que, quelqu'amélioration que cela lui ait procurée, cette alliance de l'Architecture moderne avec celle semi-gothique qui y régnait auparavant, forme un contraste qui présente une ordonnance trop imparfaite pour nous déterminer ici à en relever tous les abus[4].

Ces observations, qui ne nous paraissent pas aussi fondées qu'aux contemporains de Blondel et en tous cas ne nous émeuvent plus, amenaient périodiquement dans le service des Bâtiments du Roi de nouvelles études sur Versailles. La reconstruction des cours, dont la tradition sera léguée par le comte d'Angiviller aux architectes de Napoléon, parut trouver sa formule définitive sous le crayon d'Ange-Jacques Gabriel. Cet architecte sut obtenir de Louis XV l'ordre de réaliser ce que ses confrères anciens avaient rêvé ; dans des conférences intimes, il en entretint plus d'une fois le souverain, dont il pouvait flatter librement les manies de bâtisseur. Dès 1739, le marquis d'Argenson note en son journal : Le Roi fait continuellement dessiner devant lui en particulier le jeune Gabriel, de ses Bâtiments[5]. En 1742, l'année même où Gabriel reçoit, à la mort de son père, la charge de Premier architecte, on mentionne avec plus de précision ce que les Bâtiments appellent le grand projet. Un document constatant le mauvais état de l'Escalier des Ambassadeurs en fait prévoir la démolition prochaine, et l'aile du Gouvernement, élevée par Le Vau à droite de la cour Royale, paraît destinée à recevoir celui qui doit le remplacer à la tête des Grands Appartements ; mais le rapport ne propose que la construction d'un degré provisionnel, exigé par les besoins de la Cour et destiné à subsister seulement jusqu'à ce que le grand projet soit exécuté[6]. On peut en conclure qu'à ce moment la reconstruction générale est décidée et qu'elle ne tardera pas à commencer.

En attendant cette heure magnifique, où Gabriel compte bien travailler pour la postérité, une transformation générale des appartements s'accomplit peu à peu, sollicitant son activité par des occasions quotidiennes. Après la Chambre de la Reine, il doit établir une nouvelle chambre à coucher pour le Roi, refaire tous les cabinets intérieurs qui l'avoisinent, l'appartement du Dauphin et de la Dauphine, les petits cabinets de Marie Leczinska et ceux de Louis XV ; il aménage le rez-de-chaussée où s'installeront Madame de Pompadour et Mesdames et dirige, pour tous ces appartements privilégiés, des ouvrages d'art importants et minutieux[7].

 

Un des grands travaux de cette période fut la destruction de l'Escalier des Ambassadeurs et de la Petite Galerie décorée par Mignard, qui faisait jusqu'alors un complément et un dégagement des Cabinets du Roi. Cette galerie, regardée jadis comme une des beautés de Versailles, perdait de son intérêt au goût du temps, et l'on y préférait assurément ces ensembles des boiseries dorées, dont l'élégante richesse, accompagnée de mille commodités nouvelles, régnait dans les intérieurs à la mode. Ce furent précisément des salons de ce genre qui remplacèrent à Versailles la Petite Galerie et le Grand Degré ; Louis XV les destina à loger tout auprès de lui sa fille préférée, Madame Adélaïde, devenue l'aînée de Mesdames par la mort de Madame Henriette (10 février 1752) et qui commençait à jouer un personnage. On aurait tort de croire que le désir de créer un appartement spécial pour Madame Adélaïde ait contribué à la décision prise par le Roi de faire disparaître les grandes œuvres de son aïeul. Celles qu'on démolit alors pouvaient malaisément être conservées et, si quelques amateurs du passé le regrettèrent, le sacrifice fut blâmé de peu de gens, car il était depuis longtemps devenu nécessaire.

L'Escalier des Ambassadeurs, orné des pompeuses peintures de Le Brun et de Van der Meulen, ne servait plus aussi souvent qu'autrefois. Il ne s'ouvrait guère qu'au Jour de l'An, lorsque la procession des Cordons bleus, précédant le Roi, se rendait solennellement à la Chapelle, et à certains jours de fête, où la foule brillante massée sur le passage  de la Cour faisait toujours un beau spectacle. Ces circonstances étaient assez rares et les mémoires ne manquent pas de les noter[8]. La Petite Galerie elle-même était parfois détachée de l'appartement royal, cette partie du château servant, de puis l'hiver de 1747, au théâtre des Cabinets organisé par Madame de Pompadour. La première comédie, le Tartufe, répétée à Choisy en grand mystère par la troupe de la marquise, fut représentée dans la galerie devant Louis XV, le 16 janvier. Il n'y avait que neuf acteurs et quatorze spectateurs, avec un petit orchestre de musiciens[9]. On utilisait le Grand Degré comme passage et quelques-uns des acteurs s'habillaient dans l'ancien Cabinet des Médailles, dont les richesses avaient été transférées depuis peu à la Bibliothèque du Roi, à Paris[10]. Le Roi entrait par le Salon ovale. Les Premiers gentilshommes de la Chambre, qui dirigeaient les officiers des Menus-Plaisirs et tenaient dans leurs attributions tous les spectacles, ne s'étaient pas mêlés de celui-ci ; et c'est le directeur des Bâtiments, Le Normant de Tournehem, oncle de la marquise, qui aménageait tout et fournissait les costumes et les accessoires.

Les représentations se succédèrent, mêlant la comédie à de courts opéras, terminés par de petits ballets où excellait la favorite, alors dans tout l'éclat de ses triomphes. Il fallut augmenter la troupe. Quelques privilégiés plus nombreux se trouvèrent admis à ces soirées ; le Dauphin et la Dauphine y furent invités, puis, au dernier des spectacles de l'hiver, la Reine elle-même. On les reprit au mois de décembre : Le théâtre, écrit le duc de Luynes, est toujours dans la Petite Galerie ; on y a seulement fait quelques changements. La partie de la Petite Galerie qui est du côté de l'appartement du Roi, et où le Roi se place ainsi que tous les spectateurs, formait un trop petit espace, parce qu'on avait pris sur cette partie un retranchement pour placer l'orchestre. Ce retranchement même était trop petit, et les musiciens y étaient fort mal à l'aise. On a donc ôté ce retranchement ; ainsi l'emplacement pour les spectateurs est présentement assez grand. On a placé l'orchestre en avant des spectateurs... Le théâtre est par delà l'orchestre, ce qui fait qu'il est un peu éloigné des spectateurs, et que les acteurs et actrices qui ont la voix faible se font entendre difficilement. Derrière le théâtre, on a construit un retranchement avec des planches, dans lequel deux dames peuvent s'habiller, et plus loin sur le palier de l'Escalier de marbre, près la porte de la Petite Galerie, on a fait un autre retranchement volant avec des planches, qui est assez grand, avec des poêles pour que les hommes puissent s'habiller et se déshabiller sans se refroidir[11]. A partir de ce moment, le théâtre de Madame de Pompadour se développa rapidement et prit dans Versailles une place considérable. La Cour entière en parlait ; on savait que, tous les lundis, il y avait comédie dans les Cabinets ; c'était aussi régulier que l'appartement le mardi ou le grand opéra le mercredi. Le répertoire élargi comprenait toutes les pièces à la mode ; la troupe d'amateurs se renforçait d'acteurs de Paris, et les danses et la musique atteignaient la perfection. Rien n'était épargné pour la richesse des costumes et la beauté de la mise en scène, ce qui mit bientôt la dépense annuelle à cent mille écus. Au reste, il n'y a pas à refaire ici l'histoire si souvent écrite de ce fameux théâtre, dont le duc de Luynes fournit à lui seul une chronique abondante.

Gabriel participa à l'installation nouvelle du théâtre des Cabinets dans l'Escalier des Ambassadeurs, en 1748, alors que le développement des spectacles de Madame de Pompadour exigea une véritable salle à deux étages, et aussi une scène profonde et complètement machinée pour représenter l'opéra. L'orchestre devait être assez grand, à cause des musiciens de la Chambre du Roi, qu'on voulait adjoindre aux anciens exécutants. Quoique de petites dimensions, ce théâtre ne pouvait être aménagé sans quelque danger pour le décor ancien : Il sera achevé pendant Fontainebleau, écrit Luynes le 15 septembre. On l'a élevé dans la cage du Grand Escalier de marbre ou des Ambassadeurs, sans gâter ni le marbre, ni les peintures de cet escalier. On défera ce théâtre pour toutes les occasions de cérémonie où il sera nécessaire, comme par exemple pour les cérémonies de l'Ordre. On compte qu'il faut quatorze heures pour le défaire, et vingt-quatre heures pour le remettre en place. On a défait celui de la Petite Galerie, à laquelle on n'a rien trouvé d'endommagé.

Le 27 novembre, le Roi, qui n'avait pas voulu entrer dans la salle avant la première représentation, assista à un divertissement d'ouverture en trois actes, dont la musique était de Rameau ; mais le grand succès fut pour la salle même, dont Luynes écrivait : M. de La Vallière a beaucoup d'honneur à l'arrangement du théâtre. Il est beaucoup plus grand que celui de la Petite Galerie. Les décorations sont faites avec beaucoup de goût. La place où le Roi se mit avec M. le Dauphin, Madame la Dauphine et Mesdames, est assez grande pour contenir environ vingt-cinq personnes. Des deux côtés de la place du Roi, en allant au théâtre, il y a deux balcons, dont chacun peut tenir douze à quinze personnes. Au-dessous du Roi, en face du théâtre, il y a des gradins, où étaient M. le président Hénault, M. le président Ogier, en tout trente ou quarante personnes. Les musiciens et les spectateurs sont fort à leur aise, et l'on entend de partout facilement la voix des acteurs ; le mouvement des décorations et des machines se fait avec beaucoup de facilité et de promptitude[12]. Cette salle charmante est mise sous nos yeux par une aquarelle célèbre de Cochin, qui montre toute la famille royale dans sa tribune et, sur la scène, Madame de Pompadour jouant dans Acis et Galatée[13].

C'était une véritable salle d'opéra en miniature ; Luynes l'appelait la nouvelle salle d'opéra construite dans l'Escalier des Ambassadeurs, et les spectacles les plus magnifiques y furent donnés. On pouvait démonter le théâtre en quatorze heures, ce qui se faisait pour les cérémonies du Jour de l'An, et on le remontait en vingt-quatre heures aux premiers jours de janvier. Mais les bruits les plus fâcheux circulèrent, dès l'origine, sur les dépenses faites pour l'établir et que la malveillance évaluait à deux millions ; la favorite s'en expliquait un jour à sa toilette : Qu'est-ce que l'on dit que le nouveau théâtre que le Roi vient de faire construire sur le Grand Escalier lui coûte deux millions ? Je veux bien que l'on sache qu'il ne coûte que vingt mille écus, et je voudrais bien savoir si le Roi ne peut mettre cette somme à son plaisir ! En réalité, la construction avait atteint 75.000 livres, car Louis XV, quelques jours après, rappelait au contrôleur général qu'il lui avait donné cinq fois i5.000 livres pour cet objet. Les frais des spectacles montaient à des chiffres bien plus gros, et sans avoir l'excuse d'intéresser un nombreux auditoire. Bientôt le Roi sentit la nécessité de diminuer sa dépense dans toutes les parties : Quoique celle-là soit peu considérable, écrivait Madame de Pompadour, le public croyant qu'elle l'est, j'ai-voulu en ménager l'opinion et montrer l'exemple[14]. Elle achevait alors le délicieux Bellevue, où l'on pouvait jouer la comédie dans une intimité mois surveillée. La dernière représentation d'opéra à Versailles eut lieu le 18 avril 1750, et le théâtre des Cabinets ne se rouvrit plus.

 

On devine quels dégâts avaient dû causer, à la longue, dans le décor du Grand Degré ces installations éphémères. Plutôt que de le restaurer, ne valait-il pas mieux reprendre le projet déjà ancien de transporter ailleurs l'escalier principal du Château ? Depuis la création du Salon d'Hercule, il paraissait convenable de l'y faire aboutir et de placer en cette pièce magnifique l'accès. des Grands Appartements. L'idée, que développera plus tard Gabriel sans avoir le temps de la réaliser, serait encore soutenable de nos jours, cette partie du Château continuant à manquer d'un escalier indispensable. On ne songeait, en tout cas, à supprimer celui des Ambassadeurs que pour le remplacer aussitôt par un degré d'une importance au moins égale ; il eût été bâti dans cette aile parallèle à la Chapelle, dite aile du Gouvernement parce que le gouverneur de Versailles, alors le comte de Noailles, l'habitait. En attendant, l'emplacement de la Petite Galerie servait à faire l'appartement de Madame Adélaïde. Les premières nouvelles de la destruction datent du mois de février 1752, et c'est le duc de Croy qui les consigne en son journal : On commença à démolir le bel Escalier de marbre et à culbuter les belles peintures de Le Brun pour, sans perdre de temps, avec son terrain et tout le côté du Château, faire quatre appartements, pour qu'en deux ans le Roi pût avoir pour ainsi dire dans sa main ses quatre filles. En mars, le duc de Luynes décrit les travaux : On détruit entièrement ce bel escalier — dont les marbres ne pourront point servir, à ce que l'on assure, dans l'escalier que l'on projette dans l'aile de M. le comte de Noailles, auprès de la Chapelle —, en laissant l'ouverture des trois arcades. Les marches mêmes de celui que l'on démonte ne pourront pas servir au nouveau, parce qu'elles n'ont que dix pieds de long et que les autres ont dix-huit pouces de plus. On entrera dans cet appartement par l'escalier qui est du côté de la Chapelle. Le palier formera la première pièce. Le reste de l'appartement sera pris sur la Petite Galerie, dont on recule le mur pour lui donner plus de largeur. L'autre palier de l'escalier fera des garde-robes, et on fait une petite cour dans le milieu pour donner du jour[15]. Jamais problème d'adaptation plus délicat ne fut proposé à Gabriel, qui sut le résoudre avec sa maîtrise ordinaire.

 

L'aspect extérieur des édifices royaux n'était encore modifié nulle part. Les travaux de l'Opéra, ceux de la nouvelle aile vinrent bientôt, comme on va le voir, rouvrir dans Versailles les grands chantiers de maçonnerie. Mais le public fut surtout frappé, en l'année 1765, par la disparition d'un élément intéressant de la ligne générale du Château. La lanterne, qui dressait au milieu du comble de la Chapelle de Mansart son dôme hardi et ses ornements de plomb doré, fut abattue, parce que son poids fatiguait la charpente et en menaçait la solidité, en même temps que la conservation des peintures du plafond. Il fut même question de supprimer, à cette occasion, tous les ornements de plomb sur l'arête du comble, dont l'entretien et la dorure étaient coûteux. On prit le parti de les conserver et d'établir les raccords nécessaires à la place occupée par le pied de la lanterne ; le travail fut terminé dans l'été de 1766, et un rapport à Marigny assura que le nouvel ouvrage faisait très bien sans lanterne, ceux qui l'avaient critiqué au commencement le trouvant très bien actuellement[16]. Il est permis, au contraire, de regretter cette mutilation du comble de Mansart, que ce charmant clocheton rendait encore plus élancé.

L'intérieur de la Chapelle, sous Louis XV, s'enrichit seulement par les bas-reliefs de bronze commandés pour les autels latéraux. On parut cependant attacher de l'intérêt à l'établissement de la médiocre chapelle du chevet dédiée au Sacré-Cœur de Jésus et due à la piété de Mgr le Dauphin. Gabriel la termina en 1773, en la revêtant de marbres de choix. Le tabernacle servait de base à un grand crucifix d'ivoire, envoyé au Dauphin par son beau-père Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne. L'autel, décoré de lys de bronze au naturel, a la forme d'un tombeau antique. On lui sacrifia celui du Saint-Sacrement, placé en face, sous un tableau de Silvestre. Ainsi disparut le bas-relief de Le Pautre représentant les Trois Maries au Sépulcre ; quant aux enfants tenant un candélabre posés sur la table de cet autel, ils vinrent orner celui du Sacré-Cœur, où ils sont encore[17].

 

A l'extrémité nord du Château, un travail de la plus grande importance sollicita le Premier architecte. Il s'agissait d'ajouter à Versailles la grande salle de spectacle que Louis XIV n'avait pas eu le temps d'édifier. La salle de comédie, au fond de la cour des Princes, était de dimensions fort médiocres[18] et à peu près semblables à celles du théâtre de Madame de Pompadour sur l'Escalier des Ambassadeurs. On y donnait des bals, qui eurent à une certaine époque quelque éclat[19] ; mais le grand opéra ne pouvait être représenté devant la Cour que sur des scènes provisoires, du genre de celle qu'on éleva au manège des Grandes-Écuries pour les fêtes de mariage du Dauphin[20]. Versailles exigeait une salle définitive et qui devait, en somme, finir par être moins coûteuse que ces installations de fortune. Un critique toujours partial, le marquis d'Argenson, ne partageait pas cette opinion ; il nous fait connaître, à la date du 13 décembre 1749, les raisons qu'on se plaisait à y opposer : On ne parle plus à la Cour que de bâtiments, de théâtres et de tout ce qui chagrine le public. Le Grand Théâtre à Versailles va se reprendre et finir à l'aile même du Château, où l'on a construit sur ce dessein l'appartement de Madame la princesse de Conti. Pourquoi, dit-on, en construisait-on un si cher au manège, puis un nouveau manège, puis un nouveau petit théâtre des Cabinets ? Que de folles entreprises où le Roi s'engage, depuis qu'il a pris l'oncle de sa maîtresse pour directeur de ses Bâtiments ![21] Louis XV et Le Normant de Tournehem peuvent être défendus au moins sur un point, puisqu'ils ne faisaient que réaliser une pensée de Louis XIV et de Mansart ; et l'événement les justifie davantage, la création de l'Opéra de Versailles ayant produit un incontestable chef-d'œuvre de l'architecture française.

L'emplacement d'une salle des ballets restait réservé, depuis la construction de l'Aile du nord, à l'extrémité voisine des grands réservoirs. Quelques plans antérieurs au milieu du dix-huitième siècle indiquent cette destination ; tous montrent inachevé le bâtiment placé derrière le dernier pavillon de la façade de l'aile sur les jardins[22]. Le 15 novembre 1748, Gabriel, chargé de terminer les projets pour cette partie du Château, les réunissait sous ce titre : Elévations et coupes des bâtiments à construire relativement au projet général de la Salle des ballets. Ces constructions empiétaient sur la cour intérieure, reportaient en avant, sur la rue, les soubassements de l'édifice nouveau et prévoyaient une façade monumentale sur les réservoirs. Des rapports de Lécuyer, adressés en juin et juillet 1750 à M. de Tournehem, constatent que les travaux sont commencés et que les premières assises sortent de terre. Un ordre est donné, le 16 avril 1753, pour faire travailler avec vivacité à la continuation de la maçonnerie de la Salle des spectacles au bout de l'aile ; mais il semble qu'il n'y a de terminé à cette époque que le bâtiment des loges, salles et chauffoirs pour les acteurs, qui s'étend le long de la rue avec seize fenêtres de façade, et qu'on ne tarde pas à transformer en logements pour la Cour. L'achèvement de la salle elle-même est suspendu et les travaux restent interrompus pendant une douzaine d'années[23].

S'ils sont repris, c'est à une circonstance toute particulière qu'on le doit. L'époque du mariage du Dauphin approche et Louis XV, qui sent venir la vieillesse, veut célébrer cet événement par une solennité exceptionnelle. Malgré le médiocre état des finances, il compte donner encore quelques fêtes splendides, le mariage de l'aîné de ses petits-fils devant être suivi de celui de ses jeunes frères. En mai 1767, l'intendant des Menus, Papillon de la Ferté, fournit un mémoire sur les dépenses à faire, dans trois ou quatre ans, pour le mariage de Mgr le Dauphin, et montre combien elles seraient en pure perte, si on ne se déterminait pas à finir la grande salle de Versailles..., surtout lorsque les princes et Madame étaient à marier successivement. L'intendant fait remarquer que les différentes constructions et réparations à faire pourraient coûter plus que la bâtisse d'une salle solide et à demeure, dont la nécessité, d'ailleurs, s'imposerait un jour ou l'autre. Chose singulière, l'opposition à ce projet vient alors de Gabriel : Ce dernier, dit La Ferté, au grand étonnement de M. de Marigny, était fort pour une salle provisoire, prétendant que le temps manquait pour finir celle qui est commencée. L'architecte rêve sans doute une salle de pierre et de marbre, alors que les Premiers gentilshommes de la Chambre acceptent déjà l'idée d'une salle entièrement de menuiserie. Un homme avisé, Arnoult, premier machiniste du Roi, se charge de convaincre Gabriel que celle-ci est réalisable pour l'année 1770 ; enfin, en mars 1768, le Roi donne l'ordre à Marigny de s'en occuper et à Arnoult d'établir le modèle du théâtre, promettant de fixer à temps les fonds nécessaires[24].

Pour construire la salle de théâtre, il faut l'accord de trois services, qui ne s'arrangent guère ensemble et dont Arnoult explique un jour le fonctionnement à la curiosité du duc de Croÿ. Il y a d'abord les Batiments, affaire à part qui dépend du Surintendant des Bâtiments, qui était M, de Marigny, frère de Madame de Pompadour, qui était tout ce qui était resté de sa puissance. La deuxième partie est ce qu'on appelle les Menus, c'est-à-dire ce qui est sur les menus plaisirs du Roi, ce qui est considérable et dépend du Premier gentilhomme de la Chambre de quartier et des quatre ensemble ; c'est de là que toutes les fêtes et spectacles dépendent. La troisième partie est le Garde-Meuble, pour l'ameublement, et cela dépend de M. de Fontanieu, du Garde-Meuble. La nouvelle salle regardant les fêtes et spectacles, non sans grande querelle, dépendit en entier des Menus, et M. Arnoult, célèbre machiniste, eut l'honneur de son invention et de sa conduite[25]. On voit qu'Arnoult ne manquait pas. de s'attribuer le grand rôle, ne reconnaissant à Gabriel que l'unique mérite de la bâtisse ; encore lui reprochera-t-il plus tard d'avoir fait manquer le théâtre, en laissant trop peu de longueur totale, pour avoir voulu faire son inutile galerie d'entrée. Sans diminuer la part du machiniste et du charpentier, l'historien de l'art doit attacher, avant tout autre, à l'Opéra de Versailles le nom de Gabriel.

Ayant reçu de M. de Marigny des instructions précises, l'architecte s'est mis à l'ouvrage sur un plan neuf. Déjà les chantiers se sont rouverts pour exécuter la façade sur les réservoirs, terminée la première[26]. Ses lignes pures, reflétées par l'eau des bassins, et son avant-corps à quatre colonnes supportant un fronton de Pajou s'harmonisent de la façon la plus heureuse avec les façades de Mansart, dont Gabriel a été obligé de respecter l'ordonnance générale. Il a même fait exécuter, pour placer sur la balustrade supérieure, des trophées et des pots à feu semblables à ceux qui ornent le reste du Château. Ses projets pour l'intérieur, dont les dossiers sont conservés au grand complet à partir de 1763, n'ont pas eu à s'adapter à un décor plus-ancien ; on y remarque cependant toute une série de dessins dans le sentiment décoratif du début du règne, qui ont permis au Roi de choisir entre un style abondant, rappelant celui de ses Cabinets et de la chambre de la Reine, et le style, plus sobre et non moins majestueux, vers lequel l'art de Gabriel a évolué et qu'il contribue si fortement à répandre. Louis XV a été bien inspiré en préférant le projet de goût nouveau, qui assure au théâtre de Versailles le mérite de ne ressembler à aucun autre.

Mais une salle de spectacle n'est pas une construction où la décoration seule mette en lumière, pour le public, le talent de ceux qui l'édifient. Elle comporte, en vue de son utilisation spéciale, une quantité d'études de détail pour les services compliqués de la scène. Gabriel fut déchargé de ces travaux préparatoires par Arnoult, qui visita toutes les salles de l'Europe, afin que celle de Versailles les surpassât. Ils eurent un autre collaborateur, auquel il faut bien reconnaître une .certaine part, puisqu'il s'est trouvé des contemporains pour lui attribuer celle même qui revient sans conteste à l'architecte. Bachaumont annonçait à ses lecteurs, le 7 juin 1768, qu'on travaillait à force au théâtre et qu'il s'agissait de le terminer pour les fêtes du mariage du Dauphin fixé, croyait-on, à l'année suivante : C'est M. le chevalier de Chaumont qui a donné le projet de la salle qu'on exécute ; on n'a pu en ôter l'inspection à M. Gabriel, Premier architecte du Roi ; mais il n'est là que comme honoraire. M. de Chaumont est un amateur distingué, né avec un goût naturel pour la mécanique et le dessin. Il est allé l'an dernier en Italie, aux frais du Roi, pour lever tous les plans des différentes salles de spectacle de cette contrée ; et c'est d'après ces connaissances réunies qu'il fait construire celle de Versailles[27]. Le nouvelliste a beau s'échauffer en faveur de cet amateur, que sa fortune et sa naissance mettent dans le cas de ne travailler que pour la gloire ; il ne peut égarer personne et son dernier mot suffit à mettre à néant les prétentions : L'impartialité nous oblige de faire savoir que M. Gabriel a protesté contre cette anecdote. Il en faut retenir seulement que, pour assurer à son théâtre les plus parfaites commodités et les derniers perfectionnements de la mise en scène, surtout pour ces opéras français où les machines prenaient tant d'importance, Louis XV avait confié à M. de Chaumont la mission de rechercher, dans le pays où les arts du théâtre s'étaient le plus développés, tout ce qu'ils comportaient d'extrême raffinement. Gabriel et Arnoult, qui combina les charpentes de la scène, surent faire bon usage des documents réunis sur ce point ; ils obtinrent de tels résultats que cette partie du théâtre de Versailles fait encore, par son étendue et son agencement, l'admiration justifiée des connaisseurs[28].

Arnoult cependant s'occupait du modèle de la salle, qui lui avait été ordonné pour permettre au Roi de juger des détails et pour fixer la besogne de chaque entrepreneur. Ce modèle de dimensions inusitées, au douzième de l'exécution, eut pour auteur principal le sieur Absille, sculpteur de l'Académie de Saint-Luc. Pajou y avait indiqué ses reliefs avec finesse et Du Rameau une esquisse de son plafond. Le 9 juillet 1769, le travail étant achevé à l'hôtel des Menus, à cinq heures, Madame la comtesse du Barry est venue avec M. le prince de Soubise, et M. de Marigny lui a montré et expliqué le modèle. Gabriel et les autres officiers des Bâtiments se sont trouvés présents à cette visite. Après le salut, le Roi est arrivé ; le directeur a répété toutes ses explications, qui ont été longues, et Sa Majesté ayant paru très satisfaite s'est retirée, après avoir visité les magasins des Menus[29]. Il n'y avait plus qu'à exécuter en grand le modèle, qui resta déposé à l'hôtel de l'avenue de Paris.

Les collaborateurs de Gabriel étaient Briant pour la charpente, Yvon pour la couverture, Guesnon et Clicot, Fréget et Guerne pour la menuiserie, Gamain l'aîné, Cahou et Roche pour la serrurerie, La Bussière pour la fonte du fer, Dropsy pour les ouvrages de marbre, François Vernet pour les rehaussés d'or, Brancour pour la peinture et dorure et, bien entendu, Arnoult pour le modèle des charpentes[30]. Rousseau et Guibert sont indiqués aussi pour la sculpture ; mais presque tous les paiements de ce chapitre se rapportent à Augustin Pajou, qui a assumé avec les ressources de son atelier l'ensemble de la décoration de la salle et du foyer.

 

La construction intérieure, hâtée par l'annonce du mariage, était terminée au mois de décembre 1769. Gabriel réunissait le 12, à Versailles, un groupe d'artistes des deux Académies pour arrêter avec eux un programme définitif, réglant avec précision tous les effets de peinture et de dorure. Ses conseillers furent, avec Pierre, Premier peintre du Roi, Du Rameau, Pajou, De Machy, Cochin, Soufflot, Potain et De Wailly ; et leurs délibérations aboutirent à un procès-verbal intitulé : Projet convenu pour la décoration et accords de tous les différents marbres et dorures de la Salle de spectacles de Versailles[31]. Les entrepreneurs durent se soumettre rigoureusement à ces indications, sous les ordres de Du Rameau, seul chargé de décider de tous les tons et mélanges qu'il faudra observer pour former un accord général et une belle exécution. Le projet rédigé par les artistes, où tous les détails d'effet ont été prévus, permet d'évoquer les harmonies anciennes de la salle, aujourd'hui détruites. L'ensemble des fonds et les parties planes étaient peints de verd-verd ; la profusion des sculptures s'atténuaient par l'usage de la dorure mate ; les tons dominants étaient donc le vert clair et l'or, délicatement accordés aux marbrés jaunes et gris et au velours bleu, à franges d'argent, qui garnissait les loges.

Quant aux proportions adoptées pour l'édifice, aux problèmes d'architecture théâtrale résolus par Gabriel, celui-ci n'a laissé à personne le soin d'en parler. Il a décrit son opéra dans un mémoire descriptif inséré, sans nom d'auteur, au Mercure de France du mois d'août 1770. Il annonce d'abord l'intention qu'on a eue d'y donner une idée du progrès des arts sous le règne de Louis XV. On a choisi pour la salle, dit-il, la forme d'un ovale, tronquée dans la partie des loges et carrée dans celle de l'avant-scène, forme d'autant plus favorable qu'étant moins susceptible d'angles et de ressorts, écueil ordinaire de la voix, elle lui fournit moins d'occasions de se perdre, rapproche plus le spectateur de la scène, la lui fait embrasser davantage et donne à l'ensemble du spectacle un coup d'œil plus agréable et plus général. L'ovale tronqué renferme l'amphithéâtre, le parquet et les différents étages de loges ; les loges particulières du Roi, placées à la hauteur des secondes, sont précédées d'un petit salon et d'une garde-robe à son usage et peintes en arabesques colorées et rehaussées d'or. L'avant-scène, dont les retours sont décorés de même, présente deux pans coupés portant de grands trophées de musique et d'autres arts et dorés sur un fond en marbre ; au-dessus de l'entablement sont placées les Armes du Roi, accompagnées de deux anges et de nuages qui les supportent ; elles sont appuyées sur des rayons de gloire, qui s'échappent de tous côtés dans le cintre ; sur les angles rentrants et saillants de la corniche, il y a quatre groupes d'enfants et trophées. En contrebas de cet avant-scène est l'orchestre, qui contient soixante-quinze à quatre-vingts instruments... De la description de la salle par son architecte retenons encore une particularité, que l'aménagement moderne à l'usage d'assemblées parlementaires a fait disparaître : Toute la partie en contrebas dans la hauteur du parquet contient dans son pourtour de petites loges grillées. Ce parquet s'élève dans tout son entier avec des crics pour être mis à la hauteur du théâtre et de l'amphithéâtre, dans les occasions de bals et de fêtes qui demandent toute l'étendue[32]. Cette disposition, due au sieur Arnoult, fut employée dès le premier jour des cérémonies du mariage du Dauphin, pour le festin royal. La scène, de son côté, pouvait être transformée en quelques heures en une seconde salle, garnie de toutes ses loges, et l'on y dansa le bal paré, le troisième jour de ces fêtes mémorables.

Le motif le plus original de la salle est la colonnade ionique, qui forme les troisièmes loges et dont la corniche architravée se raccorde à celle de l'entablement de l'avant-scène. Les colonnes, comme le reste de la salle, sont de bois et creuses, peintes en marbre jaune, et l'or se joue dans les ornements des cannelures. La légère colonnade est interrompue dans son milieu par une haute arcade et un quart de voûte en cul-de-four ; cette sorte de grande loge, décidée après coup dans un dernier projet, au-dessus de celle du Roi[33], est garnie d'un lustre plus gros que ceux qui pendent dans chacun des entrecolonnements et que reflètent des glaces au fond des loges : Ordinairement, observe le duc de Croÿ, pendant le spectacle, une salle est sombre pour ne pas nuire au théâtre ; mais celle-ci reste éclairée de douze grands lustres entre le grand ordre de colonnes, qui anoblit et distingue le dessin de cette salle, ce qui, d'en bas, éclairant un superbe plafond, fait un effet admirable ; et l'enthousiaste visiteur ajoute cependant cette observation : On ne peut aussi trop louer la belle dorure, le bon goût et la richesse des ornements en tout genre, et je 'doute qu'il y en ait une aussi riche nulle part ; mais gare l'humidité et que tout cela perde bien, quand il aura perdu son éclat de dorure et de vernis ![34]

La grande toile ovale qui formait le plafond était un ouvrage de Du Rameau[35] et représentait : Apollon préparant des couronnes aux hommes illustres dans les Arts. On voulut y mettre d'abord les Noces de Psyché ; mais le sujet parut trop particulièrement adapté à la cérémonie du mariage de Monseigneur le Dauphin, et voici comment le bon Cochin décrivait à Marigny l'esquisse de la nouvelle composition présentée au directeur général[36] : Apollon sur des nuages, rayonnant de gloire, accompagné de Vénus, déesse des grâces, et l'Amour, père des plaisirs. Vénus lui donne des couronnes de laurier, de lierre, etc., à distribuer aux Muses qui président principalement au spectacle de l'Opéra, et l'Amour leur jette des couronnes de fleurs ; près d'eux, Pégase s'élève dans les airs. Les Muses de la Tragédie et de la Comédie sont au-dessous ; elles ont à droite les Muses du poème pastoral, de la poésie lyrique et de la danse, et à gauche la Peinture et la Mécanique qui contribuent à l'agrément de ce spectacle. Toutes ces Muses participent aux récompenses dues au succès de leurs productions. Au-dessous, sont des poètes et des musiciens qui implorent les faveurs des Muses. En bas, l'Ignorance et l'Envie sont précipitées et fuient la gloire des Muses ; on y voit les Piérides qui osèrent entrer en concurrence avec les Muses ; elles sont désignées par leur métamorphose en pies. Ce charmant morceau qui, sans être un chef-d'œuvre, était assurément celui de Du Rameau, a été remplacé par un vitrage en 1871, quand l'Opéra de Louis XV, déjà modifié sous Louis-Philippe, fut aménagé pour les séances de l'Assemblée Nationale. L'aspect architectural n'a pas été dénaturé ; seules les petites loges grillées et les banquettes du parterre sont cachées par le plancher actuel, qui est en pente et qui se trouve occuper, dans sa partie la plus basse, la place du plancher mobile qui servait à transformer la salle d'opéra en salle de bal. Aucun détail décoratif n'a disparu, sauf peut-être les fleurs de lys dorées placées çà et là, et que durent proscrire déjà les Jacobins de Versailles, quand ils tinrent leur club dans cette salle. On peut même dire qu'il n'y aurait eu aucune transformation essentielle imposée à l'Opéra de Versailles, si le badigeon rougeâtre du temps de Louis-Philippe, substitué partout aux colorations primitives si savamment étudiées, n'altérait profondément la beauté du chef-d'œuvre de Gabriel. Ici, comme sur tant de points du Château, il n'y a à regretter que les restaurations maladroites de cette époque.

La sculpture décorative de la salle, toute exécutée en menuiserie, est l'œuvre de Pajou. Les divers étages présentent des séries de motifs symboliques et mythologiques ingénieusement diversifiés. Les bas-reliefs des balcons des premières loges, séparés par des têtes de Muses en médaillons, sont consacrés aux douze grands dieux et déesses de l'Antiquité[37]. Aux secondes loges, des scènes, où ne figurent que des enfants, représentent diverses fables familières aux auteurs d'opéras, mais qu'il n'est pas aisé de reconnaître sous ce voile d'étrange fantaisie. Il prête, d'ailleurs, aux arrangements les plus piquants, et la liste dressée par Pajou lui-même permet de retrouver les sujets. Ce sont Castor et Pollux, Bacchus et Ariane, Tithon et l'Aurore, le Triomphe de l'Amour, Renaud et Armide, le Triomphe de Bacchus, Thésée, Pygmalion ou la Sculpture, Orphée et Eurydice ; et aussi l'Astronomie, la Musique et la Peinture. Un treizième bas-relief, placé devant la loge royale, représente la Danse et les Plaisirs. Ces compositions sont séparées par les signes du Zodiaque, entourés de couronnes de fleurs et de fruits analogues aux Saisons. Le grand cartouche des Armes du Roi, soutenues par des anges, et les quatre lunettes de l'avant-scène sont aussi de Pajou[38]. Le grand sculpteur a rencontré là, comme il l'écrira plus tard, une occasion unique dans son genre et qu'un artiste ne peut espérer de trouver deux fois dans le cours de sa vie.

Trois degrés de pierre desservent de fond en comble tout l'édifice. La communication avec le Château est assurée, pour le parquet, par la galerie basse de la Chapelle et, pour les premières et secondes loges destinées à la Cour, par les galeries de plain-pied avec les Grands Appartements[39]. De cette dernière, un grand degré donne accès à une salle des gardes, tendue de cuirs dorés, et à la riche galerie, qui sert d'entrée à la Cour. C'est une sorte de foyer, prenant le jour de haut par quatre fenêtres sur les jardins. Le plafond est peint en jaune antique, et les parois, revêtues de diverses colorations de marbres, en partie changées aujourd'hui comme celles de la salle, portent d'importantes sculptures de grand relief. Ces ouvrages de Pajou, exécutés en bois de chêne peint en blanc et imitant le marbre, présentent tout un ensemble symbolique. Au-dessus de la porte où le Roi passe pour entrer à l'amphithéâtre, est Apollon, père des Muses ; en face, une exquise figure se détache de la muraille ; c'est Vénus qui a désarmé l'Amour. Deux groupes de femmes représentent, l'un la Jeunesse et la Santé, l'autre l'Abondance et la Paix, celles-ci au-dessus d'une cheminée de marbre ornée de bronzes. Quatre figures, de même proportions que les précédentes, symbolisent la Poésie dramatique, la Poésie lyrique, la Poésie pastorale, la Poésie héroïque[40]. Six médaillons ovales portent les emblèmes de ces genres poétiques et des amours. Quatre bas-reliefs d'enfants, dorés et de forme carrée, rappellent la Peinture, la Poésie, la Sculpture et l'Architecture ; un grand ornement, où se mêlent encore des enfants, sert de frise à la cheminée ; enfin, des groupes d'enfants placés sur l'entablement, aux quatre angles de la voûte, complètent cette décoration sculpturale, dont l'exécution paraît un peu froide et qu'il faudrait sans doute replacer dans l'harmonie de l'ancien décor.

Pajou avait obtenu l'entreprise de la sculpture de la salle et de la galerie, entièrement en menuiserie blanche ou dorée. Outre les praticiens envoyés à Versailles sous la direction d'Absille, le maître employa tous ses élèves aux travaux qu'il exécutait dans son atelier du Louvre. Plusieurs ont laissé un nom et des œuvres ; tels sont Roland et Dejoux, qui eurent une part plus importante que les autres, Dardel, Mérard, et le futur sculpteur du Belvédère de Trianon, Pierre Deschamps. Ces artistes furent occupés pour l'Opéra de septembre ou décembre 1768 au 8 mai 1770, sans interruption, compris dimanches et fêtes. L'ouvrage était énorme et exigea, pour être achevé dans le temps voulu, des collaborateurs nombreux, jusqu'à dix, douze ou dix-huit, employés en même temps : J'ai été obligé, écrira Pajou, pour les tenir continuellement en action la nuit comme le jour, de donner aux moindres de ces compagnons douze livres par jour ; comme il n'existe point, à Paris ainsi qu'ailleurs, plus de huit à dix hommes en état de bien travailler le bois dans le genre de la figure, j'ai été obligé de me servir de sculpteurs en ornements pour préparer les morceaux, après quoi ces huit à dix figuristes étaient à même de reprendre pour les terminer[41]. A la vérification des comptes, les Bâtiments consentaient à allouer à Pajou 4.200 journées d'ouvriers, évaluées à 8 livres l'une dans l'autre, et 25.000 livres pour ses honoraires personnels. Son mémoire se trouvait réduit par Gabriel à 83.420 livres ; mais le sculpteur, qui demandait 155.629 livres, refusa cet arrangement et en sollicita à diverses reprises un autre plus équitable auprès de M. de Marigny, puis de M. d'Angiviller, afin d'être mis en état de satisfaire ses artistes devenus ses créanciers. Pendant de longues années, ses réclamations, ses supplications se succédèrent ; le dossier de ses lettres se poursuit jusqu'en 1789. On peut croire que cette pénible affaire pesa lourdement sur sa carrière, cette situation étant, disait-il, très préjudiciable à la liberté d'esprit et à la tranquillité d'âme dont un artiste a toujours besoin. Il se reprochait d'avoir trop tablé sur l'espérance du paiement de ses travaux de la salle de l'Opéra de Versailles ; il constatait qu'il n'y avait travaillé que pour la gloire. Cette gloire même, la postérité la lui marchande, puisque peu d'amateurs aujourd'hui connaissent cet ensemble imposant, qui est assurément l'œuvre maîtresse de Pajou.

 

L'Opéra de Versailles fut inauguré par les fêtes du mariage du Dauphin avec l'archiduchesse Marie-Antoinette. Grâce à l'activité de tous les collaborateurs de Gabriel et au concours prêté par le service des Menus-Plaisirs, tout fut prêt au moment prévu. Les curieux qui vinrent de Paris, où l'on était mécontent de la nouvelle salle de l'Opéra, se plurent à constater que celle de Versailles ne méritait que des éloges[42]. Louis XV l'alla voir aux premiers jours de mai 1770 ; il la visita dans tout son détail, en montant jusqu'aux combles par les commodes escaliers ménagés partout, et fit lever le rideau derrière lequel répétaient les danseurs et demoiselles de la danse ; il put pleinement féliciter les artistes et entrepreneurs qui avaient, en si peu de temps, réalisé œuvre si parfaite[43]. On sait quel éclat elle permit de donner à ces fêtes nuptiales. Le premier jour, qui fut le 16 mai, eut lieu le festin royal dans la salle de spectacle, transformée par le plancher élevant le parterre à la hauteur de la scène. Elle était éclairée d'une profusion de bougies répétées dans lés glaces des galeries hautes. Un salon construit sous l'avant-scène contenait cent quatre-vingt musiciens. Les balcons devant les premières loges et toutes les loges étaient occupés par les dames en grand habit. La table de vingt-deux couverts était entourée d'une balustrade, séparant le service des spectateurs. Une charmante esquisse de Moreau le jeune indique ces dispositions et la richesse de cette première fête. Le duc de Croÿ la décrit avec abondance et insiste sur l'approbation accordée à la salle, au dire général la plus belle salle qu'on eût jamais vue en Europe : Pendant une heure, je ne pus me lasser de l'admirer de tous les côtés et, comme cela restait et était convenable à un pareil château, on était, en la voyant, tenté de ne pas regretter les deux millions et demi qu'elle coûtait, d'autant que cela évitait d'en construire une à chaque occasion[44].

Le lendemain, 17 mai, fut donné l'opéra de Quinault et Lulli, Persée, un peu rajeuni pour la musique. On avait passé la nuit à défaire tout ce qui avait servi au festin. Ce fut le triomphe des machinistes, c'est-à-dire d'Arnoult, dont le personnel était renforcé par deux cents beaux soldats choisis du régiment des Gardes françaises, qui servirent aussi à la figuration sur la scène. On présenta, pour la première fois, à la dauphine Marie-Antoinette les gloires du chant et de la danse, Larrivée, Sophie Arnould, les demoiselles Heinel et Guimard. A la fin de l'opéra, un aigle vint allumer le feu sur l'autel de l'Hymen et les chants célébrèrent le mariage d'un dauphin de France avec une archiduchesse d'Autriche. Le plus magnifique spectacle fut celui de la salle, qui fut reconnue, répète Croÿ, pour la plus belle de ce genre. La Cour et la Ville s'y retrouvèrent le surlendemain pour assister au bal paré. Il fut ouvert par les augustes époux et dansé sur la scène, transformée en une seconde salle non moins brillante, grâce à une décoration mobile dont l'effet nous est conservé par un autre dessin de Moreau. On avait même chargé le peintre Briard de brosser un immense plafond pour cette salle éphémère. Au sortir du bal paré, la Cour se répandit dans les jardins, déjà remplis par la foule ; il y eut un feu d'artifice de Torré et l'illumination la plus complète qu'eût jamais vue Versailles. Le bal masqué d'usage ayant eu lieu le 21 aux Grands Appartements, on ne revint à l'Opéra que le 23, pour entendre Athalie avec les chœurs de Gossec, le 26, pour une seconde représentation de Persée, le 9 juin, pour Castor et Pollux de Rameau ; et ces belles soirées se prolongèrent quelques jours encore, afin de permettre à un nombreux public de venir admirer les ressources dont la Cour de France enrichissait l'art du théâtre.

Au moment où s'achevait l'Opéra de Versailles, Cochin adressait à M. de Marigny la dédicace d'un livre fameux, dans lequel la relation de leur ancien voyage en Italie servait à soutenir à Paris les principes d'une esthétique nouvelle. Il s'y lisait cette phrase à l'honneur du directeur général des Bâtiments : On voit éclore aujourd'hui les fruits de votre zèle, de votre dévouement et de vos réflexions. Le projet, si glorieux au Roi et à la Patrie, d'achever le plus beau palais qui soit en Europe, est enfin suivi de l'exécution la plus rapide[45]. Un tel langage ne vise point uniquement la construction d'une salle de spectacle en bois peint et doré ; il s'applique à ce que le siècle appelle le grand projet, c'est-à-dire à la reconstruction en style classique de toutes les façades des cours de Versailles. Elle se trouvait décidée en principe et universellement approuvée ; mais bien des difficultés s'opposaient à son exécution.

Annoncé en 1749, repris trois ans plus tard par Gabriel, qui en préparait les plans, retardé par les nombreux travaux des divers châteaux, le grand projet semblait ajourné définitivement par le manque de fonds, qui avait entravé à maintes reprises les ouvrages de l'Opéra[46]. Gabriel lui-même n'osait insister et trouvait peut-être plus habile de laisser proposer par d'autres l'énorme entreprise. Un incident mit fin aux hésitations. L'état de délabrement des ailes de la cour Royale, et particulièrement des colonnades qui les terminaient, parut bientôt intolérable. On proposa d'abord la suppression des colonnes de Le Vau et des terrasses qu'elles supportaient. Les documents sur cette question intéressent assez l'étude des aspects anciens de Versailles pour mériter d'être transcrits, à commencer par un rapport à Marigny du 8 juillet 1763 : Lécuyer croit devoir faire de nouvelles représentations à M. le marquis de Marigny sur l'état où se trouvent actuellement les deux terrasses du bout des ailes de la cour Royale, particulièrement celle du côté de la Chapelle, dont le plancher et l'entablement tomberont au premier jour, tous les bois en étant entièrement pourris ; c'est pourquoi il serait très important de prendre au plus tôt un parti sur cela avant leur chute. Marigny met en marge : Je ne veux pas détruire ces colonnes ; elles sont nécessaires à la décoration du Château. Il faut voir comment nous pourrons faire. Mais, l'année suivante, il a changé d'avis, comme l'apprend le mémoire qu'il a présenté au travail du Roi à Compiègne, le 18 septembre 1766. Il y a proposé la suppression de la colonnade qui termine les ailes de la cour Royale, et d'abord celle du côté de la Chapelle. Ce projet procurerait un grand avantage aux logements de dessous, mal éclairés à cause de la saillie des terrasses ; on éviterait ainsi leur reconstruction et de lourdes dépenses d'entretien. Pour mettre Sa Majesté en état d'adopter un projet de décoration pour le bout de ces deux ailes, le directeur général a placé sous les yeux du Roi deux dessins de De Wailly sur lesquels il lui a demandé ses ordres : Sa Majesté a consenti verbalement à la proposition de M. le directeur général, sans néanmoins avoir mis son bon au bas dudit mémoire, qui a été enregistré le 29 septembre 1766. Gabriel intervient alors et Lécuyer en informe Marigny, le premier octobre :

Monsieur, M. Gabriel, ayant appris par le Roi qu'on allait supprimer les deux terrasses du bout des ailes de la cour Royale, vient de me prévenir que cette suppression ferait un très mauvais effet à leur décoration, ce qui occasionnerait des mécontentements et propos désagréables, qu'on pourrait éviter en les conservant. Ma réponse a été, Monsieur, que, ces deux terrasses menaçant une ruine très prochaine, j'avais cru être obligé d'avoir l'honneur de vous en proposer la rétablissement ou la suppression, ne pouvant rester plus longtemps dans l'état qu'elles étaient (sic), vu les risques qu'il y avait de leur chute, et que vos ordres sur cela étaient de les abattre, pour en éviter les réparations dans la suite et donner plus de jour aux logements du dessous qui en manquaient. Si les réflexions de M. Gabriel vous faisaient changer de sentiment, Monsieur, — d'autant que M. le duc de Duras ne manquerait pas de vous faire des représentations et de beaucoup crier, si on venait à lui ôter sa terrasse —, je vous supplierais très humblement de vouloir bien me donner de nouveaux ordres...

 

Marigny répond de Ménars, le 10 octobre, que les observations de Gabriel ne le font point changer d'avis et qu'il ne tient pas à conserver à quelques personnes des commodités particulières. On démolira donc les terrasses, aussitôt qu'on sera débarrassé des travaux les plus urgents[47]. Ces travaux, Gabriel aide sans doute à les prolonger, et l'achèvement de l'Opéra permet d'ajourner la question des colonnades de la cour Royale ; mais, comme elle reste pendante, elle entraîne bientôt celle des ailes tout entières, et c'est ainsi que va s'imposer la reconstruction générale de Versailles.

 

Au mois de mars 1771, l'aile voisine de la Chapelle menaçant ruine, il faut l'étayer sur quelques points, et Lécuyer écrit à M. de Marigny, en lui rendant compte des précautions qu'il a prises : Vous devez juger, Monsieur, qu'étant la nouvelle du jour, chacun y donne son avis ; quant au mien, dont j'ai fait part ce matin au Roi, est que cette aile est à refaire à neuf, ainsi que le pavillon qui la joint. Parmi les avis donnés, il y a évidemment celui de ne pas exécuter un travail qui devra être démoli au jour du grand projet. Le 20 septembre, le Roi, toujours lent à se décider, n'a encore rien résolu ; Gabriel envoie ce billet, où il met de côté son propre sentiment et réclame seulement des ordres précis : Je supplie M. le marquis de Marigny de vouloir bien, dans le travail qu'il se propose de faire avec le Roi sur l'aile neuve à reconstruire dans la cour Royale à Versailles, faire prononcer à Sa Majesté que son intention est qu'il ne soit fait aucune nouvelle décoration qui soit discordante avec le restant du Château de la cour Royale, et qu'en conséquence ladite aile soit reconstruite dans la même forme que celle à démolir. Marigny, piqué au jeu par son architecte, flatté d'unir son nom à un renouvellement de Versailles que tout le monde attend, s'attache plutôt à démontrer au Roi les inconvénients de la réédification pure et simple. De mystérieuses influences s'emploient à l'appuyer, parmi lesquelles il n'est pas difficile d'apercevoir celle de Madame du Barry, qui est au mieux avec Gabriel.

Pendant le séjour de la Cour à Fontainebleau, l'architecte, appelé à fournir un état de la dépense pour la reconstruction de l'aile, le fait mettre sous les yeux du Roi, le 13 octobre. Le total prévu monte à 754.000 livres, à répartir en trois années de travaux ; cependant une note annexe montre qu'on envisage déjà d'autres desseins : Ces détails sont ceux de la dépense à faire dans la supposition où l'on rebâtirait l'aile dont il s'agit suivant la même décoration que l'actuelle. Mais, Sa Majesté s'étant enfin déterminée à adopter un plan général de décoration analogue à celui du côté des jardins, la dépense suivant M. Gabriel montera à environ 100.000 livres de plus, ce qui la portera à environ 850.000 livres. On voit qu'à cette date Louis XV va enfin donner l'ordre de commencer les travaux. Gabriel le reçoit peu de jours après, et c'est en bon courtisan qu'il annonce le succès à son directeur et lui fait partager son triomphe : A Fontainebleau, ce 19 octobre 1771. Il est dix heures, je sors des Petits Appartements du Roi, où j'ai été mandé à l'occasion du projet de Versailles ; et Sa Majesté m'a dit qu'Elle acceptait le grand projet, et que la portion de l'aile à faire fût établie en conséquence ; que je pouvais aller en avant pour faire toute la disposition des places, auxquelles je vais travailler avec vivacité. Vous avez gagné une victoire dont le public vous saura gré, et moi, en mon particulier, je vous dois reconnaissance ; si vous n'aviez pas insisté jusqu'à persuader, il y a très grande apparence que cela ne se serait pas fait[48].

La décision enlevée, il reste à trouver les fonds ; c'est Madame du Barry qui s'en charge, fière d'intervenir dans une œuvre non moins importante que celle de l'École militaire, où Madame de Pompadour jadis a dirigé Gabriel. La correspondance du Premier architecte ne laisse aucun doute sur le rôle de la favorite. Il écrit le 29 octobre, toujours de Fontainebleau : Dans un travail d'hier sur le soir, le Roi s'est décidé à faire dès à présent toute l'enceinte nécessaire pour faire l'aile à construire à Versailles et de profiter du reste du voyage pour cette opération, si cela est possible ; en conséquence, il m'a donné ordre d'en aller former l'établissement ; l'on voulait même me faire partir aujourd'hui, mais ce ne sera que samedi, parce qu'il faut pourvoir à l'argent comptant et que Madame du Barry a dit au Roi qu'elle s'en chargeait et de la voir mercredi à ce sujet... J'ai besoin d'une lettre qui me donne carte blanche. Cette nécessité de payer régulièrement les entrepreneurs préoccupait vivement Gabriel, qui mandait à son contrôleur, le lendemain de sa conversation avec la comtesse : L'on ne cesse d'ordonner de l'ouvrage, on donne pour le faire peu ou point d'argent, et l'on veut que nous soyons responsables de l'exécution ; je vous assure que cette position est douloureuse pour tout le monde... J'ai écrit hier à M. le marquis de Marigny que le Roi voulait que l'on commençât l'enceinte de palis pour clore notre aile à reconstruire à Versailles... et qu'en conséquence je partirai samedi. Madame la comtesse du Barry dit au Roi qu'elle ferait donner des fonds et de lui apporter un petit mémoire de ce qu'il faudrait. Je lui ai porté hier soir sans succès, et j'ai été remis à vendredi... Demain, je lui dirai qu'il vaudrait mieux ne rien faire encore que de ne pas satisfaire à des engagements, si on en prend, parce que je suis très convaincu que l'ouvrage cesserait, si les fonds manquaient, quand bien même on y mettrait tous nouveaux entrepreneurs. Ces observations furent comprises de Madame du Barry, et l'argent arrivait à l'architecte ; mais l'intervention du banquier de la dame ne laissait pas de l'étonner, et il en écrivait à son directeur, le 1er novembre : Monsieur, je viens de recevoir de Madame la comtesse du Barry un mandat conçu en ces termes : Je prie M. de Beaujon de donner à M. Gabriel la somme de cinquante mille livres, dont je lui tiendrai compte. A Fontainebleau, le 1er novembre 1771. Signé : La comtesse du Barry. Je pars demain matin pour Paris et remettrai ledit mandat à M. Cuvillier, qui donnera la forme nécessaire pour que le Trésorier reçoive en conséquence de vos ordres. Cette somme remplit, à 5.000 livres près, l'état que j'ai présenté... Tout cela me paraît fait bien légèrement ; mais il faut de l'argent pour commencer, n'importe comme il vient...

Le 17 décembre, on dresse l'état des menuiseries à enlever des intérieurs par l'entrepreneur Thomas, qui s'engage à payer au Roi 15.000 livres. Les marbres, plombs et glaces sont toujours réservés aux magasins des Bâtiments. Il n'y a dans ces logements de l'aile condamnée, aucune œuvre d'art à regretter ; quant à l'extérieur, nous le savons, il tombe en ruine. Les figures et trophées de pierre de la balustrade sont accordés à M. Bertin, ministre d'État, qui les transporte à sa maison de campagne de Chatou. La démolition commence aussitôt, puis s'arrête. M. de Marigny présente une note au travail du Roi, le 21 décembre : Votre Majesté ayant pu être surprise de ce que la démolition de l'aile de la Chapelle ne se fait pas plus rapidement, je crois devoir prendre la liberté de lui en expliquer la raison. C'est qu'il s'en faut bien que les 50.000 livres qui devaient être payées par le sieur Beaujon l'aient été comptant... Les 20.000 restant ne le seront qu'au 20 janvier prochain. Un pareil retard a dû nécessairement en occasionner un dans cette opération. J'ai eu beau faire assurer les entrepreneurs qu'ils étaient compris, pour les sommes promises, dans la distribution de ces 5o.000 livres, leur faire expliquer la cause du retard, leur terreur est telle qu'ils ne vont qu'en tremblant...[49]

La situation était, en effet, fort périlleuse pour ces braves gens. Ils se débattaient parmi des difficultés inextricables, et les suppliques qu'ils rédigent ne laissent pas d'être touchantes[50]. M. de Marigny, qui savait leurs doléances trop justifiées, expliquait volontiers quelles circonstances désastreuses subissaient alors les Bâtiments du Roi : Elles sont telles, écrivait-il à la comtesse de Noailles, que, depuis dix-huit mois, j'ai à peine pu disposer d'un denier pour soulager une foule de malheureux qui périssent de faim, et à qui il est actuellement dû quatre ans et un quartier de gages et appointements. Il n'est plus actuellement dans les Bâtiments du Roi un seul entrepreneur qui ne soit écrasé de dettes et qui puisse entamer le moindre ouvrage sans être payé à peu près d'avance. Ils implorent tous à grands cris, non le payement des sommes qui leur sont dues, mais au moins quelques légers acomptes sur ces sommes pour avoir du pain et apaiser les poursuites injurieuses de leurs créanciers...[51] Ces détails, donnés pour calmer les impatiences d'une petite Dauphine exigeante, expliquent le retard dans le début des travaux de la reconstruction. On établit en 1772 des fondations puissantes, de vastes souterrains, et l'on vit sortir du sol la nouvelle aile. Gabriel, au mois de novembre, la trouvait avancée autant qu'elle peut l'être et bien construite. Les ouvrages de 1773 furent moins heureux, et l'architecte rendait compte, le 21 juin, d'une émeute des ouvriers de l'aile, qui s'était passée sous les yeux du Dauphin, comme il partait pour Saint-Hubert. C'était la faute de l'entrepreneur La Guépierre, en retard du paiement de trois quinzaines. Gabriel demandait le renvoi immédiat de La Guépierre et ajoutait en terminant : Madame la comtesse du Barry vient de m'envoyer chercher. Elle a pris avec beaucoup de chaleur le désordre de l'atelier, jusqu'à me dire qu'il fallait mettre l'entrepreneur en prison et joindre cette phrase au compte que je vous rendais de l'événement. Je lui ai dit que je croyais le remède un peu fort et que je croyais qu'il serait assez puni d'être renvoyé, ainsi que nous le proposons[52]. Les remplaçants de ce malheureux font preuve d'activité ; les rapports attestent mois par mois l'élévation des murs et, lorsque les froids interrompent les travaux, les assises posées dépassent déjà les frontons des croisées du premier étage[53]. L'année suivante, la mort de Louis XV et les économies imposées par le ministère de Turgot ralentirent tous les ouvrages des Bâtiments du Roi, et le règne de Louis XVI ne suffit point à l'achèvement de l'aile droite de Gabriel.

 

En quoi consistait la reconstruction générale des cours de Versailles, dont un fragment nous permet seulement de comprendre l'importance ? Des études nombreuses, des plans, des dessins, que conservent divers dépôts d'archives, nous gardent le grand projet de Gabriel ; ils le font juger moins sévèrement que cette moitié d'aile, qu'on a terminée après lui et où sa pensée première se trouve probablement altérée[54]. Le principal reproche qu'on doive faire à cette masse de maçonnerie lourde et sans grâce est qu'elle prive de leur lumière normale la Chapelle et le Salon d'Hercule et altère, par conséquent, gravement deux des plus belles parties de Versailles. Gabriel pouvait se faire pardonner, par la perfection de sa création personnelle, la diminution qu'il infligeait à celles de Mansart ; il se trouve, au contraire, que le travail décoratif si médiocre du pavillon et surtout de l'aile ne rappelle rien du soin qu'on remarque en ses autres constructions ; d'autre part, la froideur des lignes classiques irrite le regard, au milieu des chaudes colorations de la vieille architecture française, et se fait d'autant moins tolérer qu'elle ne se rattache point à un ensemble. On accepterait aisément l'idée de voir jeter bas ce morceau qui défigure Versailles. Il n'est pas possible pourtant qu'un aussi grand artiste ait conçu pour ses rois et fait agréer par eux une maison amoindrie et manquée ; mais on ne se rend compte de la beauté rêvée pour elle que par certains dessins, vraiment magnifiques, qui en fixent le souvenir.

Gabriel sacrifie tout le décor de Le Vau et avance la façade du fond jusqu'à l'alignement de la cour de Marbre ; le corps central présente huit colonnes d'ordre corinthien au premier étage, qui soutiennent un grand dôme rappelant nettement celui de l'Ecole Militaire, avec plus de majesté ; au fronton est sculpté en haut-relief le char d'Apollon. De chaque côté de cette façade, deux pavillons flanquent une terrasse surélevée de trois marches qui forme le fond de la cour Royale. L'avant-corps des ailes en retour a quatre colonnes et un fronton, où l'écusson royal est accompagné de deux Renommées. Les pavillons regardant l'avant-cour ont, au premier étage, une élégante colonnade de six colonnes corinthiennes, couronnée par la balustrade qui règne tout autour de l'édifice. L'ordonnance exécutée a été ici fort différente ; le pavillon a quatre colonnes seulement, avec un fronton, où deux figures couchées paraissent soutenir une horloge. Cette disposition, reproduite au pavillon symétrique commandé par Napoléon, nuit à l'effet de la Chapelle que le toit horizontal laissait mieux paraître.

Le dôme doit surmonter le salon central du Château, qui n'est plus la chambre de parade, mais une salle du Conseil ou grand Cabinet du Roi, de chaque côté duquel se développent les deux appartements des souverains. A droite est un salon, puis la chambre du Roi ; à gauche, un salon et la chambre de la Reine. Le côté de cette salle du Conseil qui fait face aux fenêtres s'ouvre sur une belle galerie destinée à recevoir des peintures et à laquelle le jour vient de chaque côté par d'assez grandes cours. Elle se prolonge sur l'emplacement de la chambre de Louis XIV et va rejoindre en son milieu la Galerie des glaces, dont le mur du fond fait un côté de ces deux cours. La Galerie de Mansart, les Salons de la Guerre et de la Paix, les Grands Appartements contenus dans l'enveloppe de Le Vau et bien entendu le Salon d'Hercule, toutes ces parties consacrées par l'histoire des règnes récents sont conservées par Gabriel ; en revanche, rien ne demeure de la cour de Marbre, ni des aménagements faits dans le plus ancien château.

Le décor intérieur de ce Versailles à demi renouvelé ne contrastera pas moins que l'architecture du dehors avec les ouvrages de Louis XIV. On le voit par les dessins de cette Salle du Conseil placée sous le dôme et pour laquelle Gabriel a conçu un fort beau plafond en coupole surbaissée. Des Renommées assises dans les voussures, des trophées et des symboles militaires ornent une riche architecture étudiée dans le style corinthien. Mais le chef-d'œuvre auquel l'artiste a porté tous ses soins, c'est l'escalier monumental qui doit trouver place dans l'aile commencée sous ses yeux. Rien ne manque à son projet, dont l'exécution ne se justifierait plus aujourd'hui. On n'y emploie pas le marbre comme au somptueux escalier des Ambassadeurs, qu'il s'agit de remplacer et même de faire oublier ; tout le vaste vaisseau de la demi-aile entre les deux cours, soutenu au premier étage par de hautes colonnes entre les fenêtres, est bâti de cette belle pierre de France prête à tous les jeux de la lumière, dont Gabriel sait tirer tant d'effet. L'entrée du Château étant au vestibule à colonnes qui s'ouvre sur la cour Royale, l'escalier se développe sur la droite. Onze marches dominées par deux lions de pierre, s'offrent aux pas de l'arrivant ; au premier palier, la montée se dédouble, tourne à angle droit au second palier, prend un troisième repos, et débouche à proximité du Salon d'Hercule, auquel une de ses portes donne accès. Il y a un passage qui traverse le pavillon du bout de l'aile et permet de pénétrer dans le Château sous la colonnade ; ce passage rejoint l'escalier au premier palier, produisant une perspective intéressante, à peu près à la hauteur d'où l'escalier de Le Vau faisait jaillir une fontaine. D'ailleurs, toute cette architecture se suffit à elle-même et n'admet pour ornement que dix bas-reliefs rectangulaires, en même nombre que les fenêtres ; Gabriel en a prévu jusqu'aux sujets, esquissés à la manière de Pajou, figures couchées d'Apollon et des Muses.

On étudiera donc désormais les projets de l'architecte de Louis XV pour l'intérieur comme pour l'extérieur de Versailles. Ce serait un grave oubli que d'omettre parmi ses œuvres celles qu'il a si amoureusement préparées et qu'il pensait avoir le temps et les moyens de réaliser. Le reste du grand projet, il en léguait l'ouvrage à ses successeurs. Quelque jugement qu'on en porte et quelque satisfaction qu'on éprouve à son interruption, on doit reconnaître] qu'il se rattachait plus respectueusement à la tradition du Château que ceux qui furent présentés plus tard ; il est même permis de dire que le Versailles rêvé par Gabriel n'était nullement indigne du Versailles de Mansart.

 

 

 



[1] Histoire du Château de Versailles, t. I, p. 103 ; t. II, p. 8. Il y a, dans ce double Versailles, un effet de contraste qui échappait alors aux esprits ; c'est celui qui résulte de deux façades aussi complètement opposées de style comme d'aspect, et l'une et l'autre dignes d'être admirées. (V. Vaysse de Villiers, Tableau descriptif, historique et pittoresque de Versailles, Paris et Versailles, 1828, p. 156).

[2] Œuvres de Voltaire, éd. Beuchot, t. XII, p. 375 (Temple du Goût) ; t. XXXIX, p. 10 (Anecdotes) ; t. XX, p. 330 (Siècle de Louis XIV). Voltaire rappelle, dans la lettre à Cideville sur le Temple du Goût (t. XII, p. 321), qu'on l'a trouvé mal intentionné pour avoir écrit que le Château de Versailles n'a que sept croisées de face sur la cour, ce qui se trouve cependant exact pour la cour de Marbre.

[3] Il n'est pas inutile de signaler que Blondel attribuait au règne de Louis XIII les ailes de la cour Royale, qui sont de Le Vau. Le service des Bâtiments au avilie siècle, comme on le voit par un plan de superposition de Gabriel, partageait la même erreur, qui s'est perpétuée jusqu'à mes premières recherches sur l'histoire du Château.

[4] Architecture française, t. IV, Paris, 1756, p. 130, 133. Les grandes colonnades doriques, dont parle Blondel, ont été remplacées par celles de Gabriel ; des cinq balcons, que montrent les vues peintes et les anciennes estampes, il ne reste plus que celui de la chambre de Louis XIV.

[5] Journal du marquis d'Argenson, éd. Rathery, t. II, p. 192 (au 8 juillet 1739). Le journal du duc de Croy mentionne plusieurs fois les dessins d'architecture que Louis XV se plaît à faire avec Gabriel. Sur la décision de 1734, qui a attribué au jeune architecte les fonctions de contrôleur du Château de Versailles, et celle de 1740, qui lui accorde un terrain à bâtir dans l'avenue de Montboron, v. Fels, Ange-Jacques Gabriel, p. 18.

[6] Le Château sous Louis XV, p. 234.

[7] Les travaux de Gabriel pour les appartements sont étudiés aux chapitres suivants.

[8] V. le récit du mariage de Madame Infante par le duc de Luynes : La Galerie et tous les appartements étaient extrêmement remplis... Le Roi descendit par le grand escalier de marbre, qui faisait un spectacle admirable par la grande quantité de monde qui y était placé... Au mariage-du Dauphin, en 1745, Luynes ajoute ce détail : C'est le gouvernement [de Versailles] qui donna les places sur cet escalier ; il était bien rempli, et cela faisait un beau spectacle (Mémoires du duc de Luynes, t. III, p. 15 ; t. VI, p. 314).

[9] Luynes, t. VIII, p. 78, 87. Il avait été d'abord question d'utiliser la petite galerie des Petits Cabinets, c'est-à-dire ceux du second étage ; le texte du 8 janvier l'indique expressément. La distinction de la petite galerie d'en bas est faite par Luynes au 24 janvier.

[10] Sur le transfert à Paris du Cabinet des Médailles, en 1741, V. la préface de Mariette aux Pierres gravées du Cabinet du Roi, t. II du Traité des pierres gravées, Paris, 1750. Le plafond de l'ancienne pièce était conservé en 1756 (Blondel, p. 125, note). V. sur ce cabinet [salle 127], l'Histoire du Château de Versailles, t. II, p. 185-187, et Le Château sous Louis XV, p. 88-92.

[11] Luynes, t. VIII, p. 355. Cf. Laujon, Essai sur les spectacles des Petits Cabinets, à la suite de Mémoires de Madame du Hausset, et Campardon, Madame de Pompadour et la cour de Louis XV, Paris, 1867, p. 29. Ce dernier ouvrage présente l'histoire complète du petit théâtre, qu'Ad. Jullien et Dussieux ont fort peu accrue.

[12] Luynes, t. IX, p. 94, 133. Un balcon fut ajouté dans le haut de la salle, au mois de-décembre 1749, et doubla sans doute le nombre des places (t. X, p. 55).

[13] L'aquarelle de Cochin, reproduite plusieurs fois et en dernier lieu dans l'édition illustrée de Louis XV et Madame de Pompadour (Paris, 1903), provient de la vente de M. de Marigny. Elle a fait partie des collections Josse, La Béraudière et Goncourt, et appartient aujourd'hui à M. Joseph Bardac. Elle rappelle exactement la représentation d'Acis et Galatée du il février 174n, à laquelle assistaient la Reine, le Dauphin, Madame Infante et Mesdames, et outre cela l'Infante Isabelle en son rang (Luynes, t. IX, p. 314).

[14] Luynes, t. IX, p. 94, 132, 245. Argenson, t. V, p. 291. Correspondance de Madame de Pompadour, éd. A.-P. Malassis, Paris, 1878, p. 106.

[15] Journal inédit du duc de Croÿ, publié par le vicomte de Grouchy et Paul Cottin, Paris, 1906, t. I, p. 151. Luynes, t. XI, p. 448. On songea à sauver quelques fragments des peintures murales. Le peintre Picault fournit, en 1751, un mémoire pour avoir levé le Siège de-Valenciennes de dessus le mur du Grand Escalier, opération estimée 3.200 livres ; en 1752, il lève un soldat en faction, un homme avec des lunettes, une tête de nègre, une partie du Siège de Saint-Omer, demandant i00 livres pour chaque morceau (Archives Nationales, O1 1932 ; Engerand, Inventaire des peintures commandées, p. 626).

[16] Un dossier sur la démolition de la lanterne a été publié dans Le Château sous Louis XV, p. 235-237. Plusieurs propositions furent faites pour la reconstruction, que certains jugeaient indispensable à l'aspect de l'édifice.

[17] Un Etat de la dépense à faire pour achever la chapelle du Sacré-Cœur en supprimant l'usage de l'ancienne chapelle de la Communion, qui est vis-à-vis, est daté du 20 juin 1772 et s'élève à la somme de 30.000 livres (Archives Nationales, O1 1784. Les bronzes et dorures sont de Desouche (L. Deshairs, Documents inédits sur la Chapelle de Versailles, dans la Revue de l'histoire de Versailles de 1906, p. 43 et 47.) Le crucifix d'ivoire du Dauphin fut donné au pape Pie VII par Napoléon, après son couronnement (Vaysse de Villiers, Tableau descriptif de Versailles, p. 97).

[18] Au temps même où se construisait sur le Grand Degré le théâtre réservé surtout à l'opéra, la salle de Comédie subissait quelques changements. Luynes écrit, le 29 novembre 1748 : L'on a fait une nouvelle entrée pour la loge de la Reine ; on a ouvert une porte dans le palier qui est au milieu de l'escalier qui monte à la galerie des Princes [où sont aujourd'hui les bas-reliefs du monument de Hoche]. L'on passe actuellement par-dessous l'espace qui est entre ce palier et le jardin, c'est-à-dire par-dessous le passage qui conduit chez Madame. Cette nouvelle entrée conduit de plain-pied à la loge de la Reine, que l'on a agrandie en y joignant celle des dames du Palais ; sur le devant de la loge, il y a au moins neuf ou dix places, fort commodes pour le Roi, la Reine et toute la famille royale... Derrière le service, une espèce de banc fort long dans lequel on met des pliants pour dix ou douze darnes... On descendait autrefois dans la loge de la Reine par un petit escalier, dont le tambour s'ouvrait dans le salon au-dessus de la comédie [salle 146]. En 1757, ce salon devient la Salle des Cent-Suisses, sur laquelle Luynes donne divers détails (t. XVI, p. 32 et 348). A cette occasion, tous les petits marchands qu'on avait soufferts depuis longtemps à Versailles, depuis l'escalier de la galerie des Princes jusqu'à la salle des Gardes, se sont retirés.

[19] La mise en état de la salle de Comédie est de 1762. Au mois de septembre, le Roi y a destiné 16.000 livres (Archives Nationales, O1 2262). Elle s'achève en décembre (O1 1785). Des bals y sont donnés par Louis XV, les dimanches, à partir du 16 janvier 1763, et le Premier gentilhomme en fait les honneurs. La Reine y assiste dans sa loge. Les invités sont admis par le rez-de-chaussée de la cour des Princes (Le Château sous Louis XV, p. 264-266). La jolie estampe de Martinet, d'après M.-A. Slodtz, représente le Bal du Mai dansé dans cette salle au carnaval de 1763.

[20] Le théâtre élevé au manège à l'occasion du premier mariage du Dauphin (23 février 1745) est représenté dans un des célèbres dessins de Cochin, gravés par lui, qui sont au Louvre. On donne dans le présent volume un détail de l'étude architecturale moins connue, due à Slodtz et animée de petits personnages de Cochin, ainsi que le dessin de Cochin montrant la salle transformée pour le bal. Sur l'usage fait de cette belle salle de spectacle, on consultera Luynes, t. VI, p. 297, 318, 322, 326,333, surtout p. 340, et t. VIII, p. 113, 116. Croÿ en parle à propos du second mariage du Dauphin (t. I, p. 75) : Il y avait un rang de loges que l'on ôtait et, en vingt-quatre heures, d'une grande salle d'opéra on en faisait une tout autre, superbe, de bal, avec beaucoup de glaces et parfaitement éclairée.

[21] Argenson, t. VI, p. 91. Le Normant de Tournehem était directeur général des Bâtiments depuis décembre 1745, avec M. de Vandières pour survivancier. Gabriel fut fait au même moment inspecteur général des Bâtiments (Luynes, t. VII, p. 151, z00).

[22] Blondel, qui marque, dans son plan de l'aile du Nord, l'appartement de la princesse de Conti 2e douairière au pavillon de l'avant-corps, n'y fait pas figurer la Salle des ballets ; mais au plan général, qui est fort postérieur et gravé en 1755, on la trouve indiquée avec sa scène, dans une forme d'ailleurs différente de celle qui a été réalisée. C'est le premier projet, celui auquel pense Blondel, quand il parle, en 1756, du théâtre qui se construit actuellement sur les dessins et sous la conduite de M. Gabriel, premier architecte du Roi, et dont la disposition, la grandeur et la décoration annoncent le plus grand succès. Gabriel avait fait graver son projet dès 1753.

[23] Le Château sous Louis XV, p. 210. Comte de Fels, Ange-Jacques Gabriel, p. 89. En janvier 1757, on relève dans Luynes (t. XV, p. 392) l'attribution à l'abbé de Bernis, ministre d'Etat, du logement du maréchal de Belle-Isle à côté de la Chapelle, avec une cuisine que l'on construira auprès de l'endroit destiné pour la Salle des spectacles.

[24] Journal de Papillon de La Ferté, publié par E. Boysse, Paris, 1887, p. 204, 213.

[25] Croÿ, t. II, p. 404.

[26] Le fronton de l'avant-corps porte un bas-relief de Pajou : La Poésie Lyrique accompagnée de trois enfants, dont deux se couronnent de fleurs et l'autre plus élevé sur un nuage paraît en vouloir distribuer. Il fut estimé 6.000 livres. L'ouvrage de M. de Fels donne un ancien projet d'élévation de cette façade par Gabriel.

[27] Mémoires secrets de la République des lettres, t. IV, p. 50. Le duc de Croÿ, très au courant d'une question qui l'intéressait particulièrement et lié avec Arnoult, auquel il rend pleine justice, ne nomme même pas le chevalier de Chaumont.

[28] Le duc de Croÿ, étudiant la salle des machines de Versailles, indique que celle de Naples passe seule pour être plus grande : Mais ce n'est qu'une grange ; celle-ci est remarquable par sa charpente et ses deux beaux étages de planches solides en haut, ce qui donne de l'aisance pour tout. et ce qui la distingue, c'est la hauteur qui fait que les treuils peuvent aller du haut en bas, et que les plus hautes décorations peuvent, en même temps, monter et descendre d'aplomb de toute leur hauteur, de sorte que des colonnes ou arbres presque de hauteur naturelle peuvent, en même temps, descendre pour les uns, monter pour les autres par la même machine, et le même ensemble de vingt treuils ou cabestans à bras manœuvrés en même temps et conduits par le même signal..... La Salle étant au bout des galeries, vers où la pente est déjà extrêmement baissée, cela donne.... une très grande profondeur pour le fond ; et ils se sont donnés encore dix pieds plus bas que la rue, de sorte que, du fond de tout au haut du toit, il y a 104 pieds 8 pouces.... Cela fait qu'on peut manœuvrer de 80 pieds de hauteur perpendiculaire. Tout cela fait environ la moitié des tours de Notre-Dame.

[29] Archives Nationales, K 823. Cf. Journal de Papillon de la Ferté, p. 252. Le mémoire détaillé des travaux faits par Pajou pour le modèle de l'Opéra, en 1768 et 1769, monte à 4.656 livres. Il en réclame le paiement par une lettre à M. de Marigny, que signent avec lui le sculpteur Absille et le dessinateur Boguet, le 8 octobre 1771. Ces documents sont publiés par Al. Henri Stein, Augustin Pajou, Paris, 1912, p. 309-312.

[30] Archives Nationales, O1 1786, O1 2268-2272.

[31] Voici quelques extraits du document publié par M. de Fels, p. 99, et par M. Stein, p. 182 :

Avant-scène. Les huit colonnes en marbre de sérancolin. Les chapiteaux, gaines et bases. seront dorés. La frise en marbre de sérancolin. L'architrave et la corniche dorés en plein. Tous les arrière-corps faisant le fond en verd-verd. Les socles des grandes colonnes et tout ce qui environne le parquet, en contrebas du niveau des socles, sera en marbre de porphyre clair ou griotte clair. Tout l'arrière-corps des portes, chambranles, aux retours de l'avant-scène, et toutes les architectures de balcon en sérancolin. Le dessous des plates-bandes du grand cadre, les champs et moulures dorés, le fond du panneau verd-verd. — Dans la salle. ...Tous les corps saillants, ainsi que les colonnes du petit ordre en sérancolin... Tous les grands bas-reliefs des premières et deuxièmes loges dorés en plein, les fonds éteints par un glacis. Les fleurs de lys [détruites] et accompagnements de la balustrade de l'amphithéâtre et galerie seront en bronze. Les médaillons adaptés aux socles seront en lapis clair et la tête bronzée. Les signes du Zodiaque qui environnent en bronze... Tous les murs de la colonnade seront en verd-verd... La voussure des premières loges fond verd-verd, avec mosaïques et sculptures dorées... — Le plafond. Toutes les parties non dorées en verd-verd.

[32] A la bibliothèque de Besançon, dans la collection Paris, sont deux aquarelles signées Jallier, représentant la coupe longitudinale et la coupe transversale de l'Opéra, et divers dessins des charpentes et de la scène par Le Roy (1768).

[33] Gabriel avait d'abord dessiné deux loges superposées à l'usage du Roi, dont la plus haute devait être grillée ; Pajou avait fourni pour ces loges les modèles de groupes qui ne furent pas exécutés (Fels, l. c., p. 99).

[34] Croÿ, t. II, p. 401. On peut tirer de ce journal la plus intéressante description des différentes salles, dont les panneaux et châssis démontables permettaient de varier la disposition t le décor. Le seul reproche exprimé est que le théâtre n'a pas assez de fond pour sa largeur et hauteur, ce qu'on aurait pu éviter en supprimant le foyer. Peu de contemporains ont parlé de ce théâtre. Aux Souvenirs d'un page du comte d'Hézecques peuvent être joints les détails conservés dans la Nouvelle description de Versailles par l'auteur du Voyage de Paris, nouv. édit., Paris, 1821, p. 31.

[35] Le grand plafond de Du Rameau est décrit dans le Mercure d'août 1770. Les troisièmes loges ont encore ceux qu'a peints le même artiste, représentant les Amours des Dieux, c'est-à-dire de petits amours ornant de fleurs les attributs des diverses divinités. Ces douze plafonds, d'une exécution assez sommaire, étaient estimés par l'auteur 12.000 livres, et le grand 24.000 livres (Engerand, Inventaire des tableaux commandés, p. 185).

[36] Lettre de Cochin, 10 décembre 1768 (Correspondance de M. de Marigny, publiée par M. Furcy-Raynaud, t. II, p. 164).

[37] Les bas-reliefs représentent Jupiter, Junon, Mars, Vénus, Neptune, Minerve, Cérès, Mercure, Diane, Apollon, Cybèle et Pluton. Le modèle est compté par l'artiste 450 ou 500 livres, le moulage 120 livres et l'exécution en bois 500 ou 550 livres. Le règlement des Bâtiments réduit ces sommes de près de moitié.

[38] Le mémoire dressé par Pajou mentionne encore quatre têtes de femmes aux consoles des grands balcons de l'avant-scène ; une tête d'Apollon sur l'entablement de cet avant-scène et deux groupes d'enfants, jouant avec les attributs de Mars et ceux d'Hercule et d'Omphale ; les quatre lunettes ornées de sphinx, coquilles et guirlandes ; un enfant tenant une couronne de roses et un carquois, un autre portant des palmes et du laurier ; deux aigles aux piédestaux de la loge grillée du Roi ; deux faisceaux de piques aux pilastres de cette loge, et quelques modèles non utilisés. Comme exemple des réductions opérées par les Bâtiments sur le mémoire, notons que le cartouche des Armes du Roi, estimé par l'artiste 12.000 livres est réduit à 8.000. Les grands trophées de chaque côté de l'avant-scène peuvent être attribués à l'atelier d'Antoine Rousseau, et peut-être aussi ceux qui sont placés dans l'ombre sous les premières loges. Ajoutons qu'Honoré Guibert a participé au détail décoratif de la salle.

[39] Sur la porte du bout de la galerie de pierre est un fronton de Pajou, estimé 25.000 livres : deux enfants auprès de la lyre d'Apollon, avec un globe où les fleurs de lys ont disparu. (Le dessin de ce charmant morceau est dans Stein, p. 181). Le salon ovale précédant les loges royales contient deux petites peintures, l'Amour des Arts et une tête de Flore ; elles sont de Touzé (O1 2271).

[40] La plupart des dessins de Pajou pour les groupes et figures de bois du foyer de l'Opéra sont au Musée des Arts décoratifs et dans la collection Alexis Godillot. M. Stein en a reproduit plusieurs. Les figures d'Apollon et de Vénus étaient estimées ensemble par l'artiste 14.724 livres, réduites à 10.000 ; les quatre Poésies, 16.636 livres, réduites à 8.000.

[41] Stein, p. 187 et 336. Les mémoires détaillés de Pajou et toute la correspondance relative à cette affaire sont publiés p. 312 et suiv. Un document de 1779 donne la liste complète des collaborateurs de l'artiste, appelés par lui à attester la véracité de ses estimations. Roland, à lui seul, avait gagné 23.000 livres et Dejoux prés de 10.000 livres.

[42] Mémoires secrets, au 26 février 1770. La salle de Paris était de Gabriel et de Soufflot.

[43] La visite de Louis XV a eu lieu probablement le 7 mai, jour de la troisième répétition de Persée. Aux deux premières, le duc d'Aumont avait laissé entrer tout le monde sans billet pour voir la salle, et il y avait eu une foule horrible. Sur les essais d'éclairage et de décors, voir le Journal de Papillon de La Ferté, p. 268-271. Un plan détaillé de la scène et de l'orchestre, avec l'indication de tous les artistes à la date de 1773, se trouve dans un précieux recueil sur la Chapelle du Roi, appartenant à la Bibliothèque de la ville de Versailles.

[44] Croÿ, t. II, p. 398. Les détails sur les fêtes de 1770 sont tirés du Journal de Croÿ, du Journal de Papillon de La Ferté, de l'opuscule fort rare de celui-ci intitulé : Description des fêtes et spectacles donnés à Versailles à l'occasion du mariage de Monseigneur le Dauphin. Le dessin de Moreau le jeune et celui qui est cité plus loin sont reproduits au catalogue de la collection Jacques Doucet, Paris, 1912.

[45] Cochin, Voyage d'Italie, Paris, 1769, préface du tome I.

[46] Note de Marigny remise au travail du Roi du 28 décembre 1769 : Tous les entrepreneurs... sont dans le dernier découragement. Je ne puis cacher à Votre Majesté que l'entrepreneur de la maçonnerie de la Salle de spectacle a retiré 200 de ses ouvriers, de 250 ou 260 qu'il y avait ; et que le peintre et doreur, ne pouvant avoir de matière qu'argent comptant, a déclaré qu'il cesserait de travailler dès que ce qu'il a d'or serait employé. L'entrepreneur de la menuiserie de l'appartement de M. le Dauphin et de Madame la Dauphine a annoncé qu'il ne commencerait à travailler que quand on lui donnerait de l'argent. Le 2 avril 1770, Marigny informe l'abbé Terray que les appartements de Compiègne sont sur le point d'être absolument abandonnés. (Archives Nationales, O1 1069).

[47] Archives Nationales, O1 1064, O1 1800.

[48] Le Château sous Louis XV, p. 239. Fels, Ange-Jacques Gabriel, p. 112.

[49] Archives Nationales, O1 1803. Fels, p. 113, 114. Le Château sous Louis XV, p. 240, 245.

[50] Les plus anciens entrepreneurs de Versailles adressent une supplique à M. de Marigny à l'occasion de leurs commandes pour les bains du Roi, la chambre de la Reine et les appartements de Monseigneur le comte de Provence. — Ils représentent l'impuissance où ils sont d'entreprendre ces travaux, si les fonds qui v sont destinés ne sont pas plus certains que ceux qui ont été faits pour tous les travaux ordonnés depuis nombre d'années. La supplique, fortement motivée, se termine ainsi : Voilà, monsieur, la situation de nombre de malheureux qui devraient avoir un morceau de pain à laisser à leur famille, après avoir fait des millions de travaux. Il y a quinze signatures, dont celle du sculpteur Rousseau (Archives Nationales, O1 1800).

[51] Lettre de Marigny à la comtesse de Noailles, dame d'honneur de Marie-Antoinette, écrite de Ménars, le 20 septembre 1770 (Archives Nationales, O1 1800). Nous avons publié dans Le Château sous Louis XV, p. 213, des réclamations de Marigny à l'abbé Terray, datées du 2 avril de la même année, contre les difficultés qu'il éprouve à régler les dépenses de son service ; il y fait l'exposé de la misère des Bâtiments du Roi.

[52] Archives Nationales, O1 1804. Le Château sous Louis XV, p. 241.

[53] Lécuyer écrit, le 24 octobre 1773 : L'aile neuve près de la Chapelle va autant bien qu'il est possible, n'avant plus que deux assises à poser pour être à la hauteur du dessus des frontons des croisées, et l'on continue à travailler avec toutes les précautions possibles aux reprises du mur de refend, sur lequel était porté le grand tableau de Paul Véronèse au Salon d'Hercule (Archives Nationales, O1 1802). Beaucoup d'autres rapports mentionnent ces travaux. Au temps de M. d'Angiviller, les frères Rousseau sollicitaient la commande des sculptures de l'aile neuve. La sculpture extérieure du pavillon, fronton et chapiteaux, n'a malheureusement été exécutée qu'après la Révolution.

[54] Il faut étudier le grand projet de Versailles dans les beaux dessins d'ensemble conservés aux bureaux de l'architecte du Château ; l'obligeance de M. Chaussemiche m'a permis de reproduire le plus pittoresque. Ils sont restés inconnus du comte de Fels, qui a donné trois dessins déjà instructifs des Archives Nationales. (La meilleure documentation sur l'escalier de Gabriel est dans le carton O1 1789).