LA COMMUNE

 

PAR LOUISE MICHEL

PARIS - P.-V. STOCK - 1898.

 

 

AVANT-PROPOS.

 

PREMIÈRE PARTIE. — L'AGONIE DE L'EMPIRE.

I. Le réveil. — II. La littérature à la fin de l’empire. Manifestations de la paix. — III. L’Internationale. Fondation et procès. Protestations des internationaux contre la guerre. — IV. Enterrement de Victor Noir. L’affaire racontée par Rochefort. — V. Le procès de Blois. — VI. La guerre. Dépêches officielles. — VII. L’affaire de la Villette (Sedan).

DEUXIÈME PARTIE. — LA RÉPUBLIQUE DU 4 SEPTEMBRE.

I. Le 4 septembre. — II. La Défense Nationale. — III. Le 31 octobre. — IV. Du 31 octobre au 22 janvier. — V. Le 22 janvier. — VI. Quelques républicains dans l’armée et dans la flotte. Plans de Rossel et de Lullier. — VII. L’Assemblée de Bordeaux. Entrée des Prussiens dans Paris. — VIII. Soulèvement par le monde pour la liberté. — IX. Les femmes de 70.

TROISIÈME PARTIE. — LA COMMUNE.

I. Le 18 mars. — II. Mensonges de Versailles. Manifeste du comité central. — III. L’affaire du 22 mars. — IV. Proclamation de la Commune. — V. Premiers jours de la Commune. Les mesures. La vie à Paris. — VI. L’attaque de Versailles. Récit inédit de la mort de Flourens par Hector France et Cipriani. — VII. Souvenirs. — VIII. Le flot monte. — IX. Les communes de province. — X. L’armée de la Commune. Les femmes de 71. — XI. Derniers jours de liberté. — XII. Les francs-maçons. — XIII. Affaire de l’échange de Blanqui contre l’archevêque et d’autres otages. — XIV. La fin.

QUATRIÈME PARTIE. — L'HÉCATOMBE.

I. La lutte dans Paris. L’égorgement. — II. La curée froide. — III. Des bastions à Satory et à Versailles. — IV. Les prisons de Versailles. Les poteaux de Satory. Jugements.

CINQUIÈME PARTIE. — DEPUIS.

I. Prisons et pontons. Le voyage new-calédonia. Évasion de Rochefort. La vie en Calédonie. — II. Le retour.

 

APPENDICE.

I. Récit de Béatrix Excoffons. — II. Lettre d’un détenu de Brest. — III. Manifeste de la Commune à Londres.

 

AVANT-PROPOS

 

Quand la foule aujourd’hui muette,

Comme l’Océan grondera,

Qu’à mourir elle sera prête,

La Commune se lèvera.

Nous reviendrons foule sans nombre,

Nous viendrons par tous les chemins,

Spectres vengeurs sortant de l’ombre,

Nous viendrons nous serrant les mains.

La mort portera la bannière ;

Le drapeau noir crêpe de sang ;

Et pourpre fleurira la terre,

Libre sous le ciel flamboyant.

(L. M., Chanson des prisons, mai 71.)

 

La Commune à l’heure actuelle est au point pour l’histoire.

Les faits, à cette distance de vingt-cinq années, se dessinent, se groupent sous leur véritable aspect.

Dans les lointains de l’horizon, les événements s’amoncellent de la même manière aujourd’hui avec cette différence, qu’alors, surtout la France s’éveillait, et qu’aujourd’hui c’est le monde.

Quelques années avant sa fin, l’Empire râlant s’accrochait à tout, à la touffe d’herbe comme au rocher ; le rocher lui-même croulait ; l’Empire, les griffes saignantes, s’accrochait toujours, n’ayant plus au-dessous de lui que l’abîme, il durait encore.

La défaite, fut la montagne qui tombant avec lui l’écrasa.

Entre Sedan et le temps où nous sommes, les choses sont spectrales et nous-mêmes sommes des spectres ayant vécu à travers tant de morts.

Cette époque est le prologue du drame où changera l’axe des sociétés humaines. Nos langues imparfaites ne peuvent rendre l’impression magnifique et terrible du passé qui disparaît mêlé à l’avenir qui se lève. J’ai cherché surtout dans ce livre à faire revivre le drame de 71.

Un monde naissant sur les décombres d’un monde à son heure dernière.

Oui, le temps présent est bien semblable à la fin de l’Empire, avec un grandissement farouche des répressions, une plus féroce acuité de sanglantes horreurs, exhumées du cruel passé.

Comme si quoi que ce soit pouvait empêcher l’éternelle attirance du progrès ! On ne peut pas tuer l’idée à coups de canon ni lui mettre les poucettes.

La fin se hâte d’autant plus que l’idéal réel apparaît, puissant et beau, davantage que toutes les fictions qui l’ont précédé.

Plus aussi, le présent sera lourd, écrasant les foules, plus la hâte d’en sortir sera grande.

Écrire ce livre, c’est revivre les jours terribles où la liberté nous frôlant de son aile s’envola de l’abattoir ; c’est rouvrir la fosse sanglante où, sous le dôme tragique de l’incendie s’endormit la Commune belle pour ses noces avec la mort, les noces rouges du martyre.

Dans cette grandeur terrible, pour son courage à l’heure suprême lui seront pardonnés les scrupules, les hésitations de son honnêteté profonde.

Dans les luttes à venir on ne retrouvera plus ces généreux scrupules, car à chaque défaite populaire, la foule est saignée comme les bêtes d’abattoir ; ce qu’on trouvera, ce sera l’implacable devoir.

Les morts, du côté de Versailles furent une infime poignée dont chacun eut des milliers de victimes, immolées à ses mânes ; du côté de la Commune les victimes furent sans nom et sans nombre ; on ne pouvait évaluer les monceaux de cadavres ; les listes officielles en avouèrent trente mille, mais cent mille, et plus serait moins loin de la vérité.

Quoiqu’on fît disparaître les morts par charretées, il y en avait sans cesse de nouveaux amoncellements ; pareils à des tas de blé prêts pour les semailles, ils étaient enfouis à la hâte. Seuls, les vols de mouches des charniers emplissant l’abattoir, épouvantèrent les égorgeurs.

Un instant, on avait espéré dans la paix de la délivrance, la Marianne de nos pères, la belle, que disaient-ils, la terre attendait et qu’elle attend toujours ; nous l’espérons plus belle encore ayant tant tardé.

Rudes sont les étapes, elles ne seront point éternelles ; ce qui est éternel c’est le progrès, mettant sur l’horizon un idéal nouveau, quand a été atteint celui qui la veille semblait utopie.

Aussi notre temps horrible eût semblé paradisiaque à ceux qui disputaient aux grands fauves la proie et le repaire.

Comme le temps des cavernes a passé, le nôtre sombrera ; d’hier ou d’aujourd’hui, ils sont aussi morts l’un que l’autre.

Nous aimions en nos veillées des armes parler des luttes pour la liberté, aussi, à l’heure présente dans l’attente d’un germinal nouveau, nous dirons les jours de la Commune et les vingt-cinq ans qui semblent plus d’un siècle, de l’hécatombe de 71 à l’aube qui se lève.

Des temps héroïques commencent ; les foules s’assemblent, comme au printemps les essaims d’abeilles ; les bardes se lèvent chantant l’épopée nouvelle, c’est bien la veillée des armes où parlera le spectre de mai.

 

Londres, 20 mai 1898.