ÉTUDES CHRONOLOGIQUES POUR L'HISTOIRE DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

QUATRIÈME PARTIE — CONCORDE DES QUATRE ÉVANGILES

CHAPITRE PREMIER — Examen général des Évangiles - Documents historiques.

 

 

§ I — Documents historiques.

I. En l’an 210, E. C., Origène écrivait : Voici ce que la tradition nous apprend au sujet des quatre évangiles, seuls admis comme authentiques par l’Église de Dieu répandue dans tout l’univers ; le premier fut écrit par Matthieu, celui qui de publicain devint apôtre. Il le composa en hébreu pour les Juifs convertis au Christ. Le second est l’évangile de Marc, qui l’écrivit suivant qu’il l’entendait exposer par Pierre dans ses prédications, et c’est de cet auteur que Pierre parle quand il dit : l’Église de Babylone et Marc, mon fils, vous saluent ; le troisième évangile composé par Luc est loué par Paul[1] ; le quatrième est celui de Jean[2].

Tels sont les auteurs des quatre évangiles, et tel est l’ordre dans lequel i’Église et toute la tradition des siècles chrétiens nous les ont transmis. Cet ordre n’est point fondé sur la dignité des auteurs, car saint Jean, l’apôtre bien-aimé du Sauveur, devrait y occuper la première place, et il est au contraire relégué à la dernière. Les quatre évangiles ont donc été classés d’après l’ordre chronologique de leur rédaction. Un simple coup d’œil jeté sur les documents historiques des premiers siècles chrétiens va nous montrer avec quelle irrésistible évidence l’authenticité et même l’ordre de ces quatre rédactions nous sont attestés ; l’examen interne des mêmes écrits viendra ensuite, dans le paragraphe suivant, confirmer ces témoignages de l’histoire.

II. On trouve des citations, visiblement empruntées aux trois premiers évangélistes, dans l’épître de l’apôtre saint Barnabé et dans celles du pape saint Clément[3]. La date de ces écrits s’éloigne peu de la ruine de Jérusalem (70, E. C.), et, si l’évangile de saint Jean ne s’y trouve pas cité, c’est par la raison péremptoire qu’il n’était pas encore composé.

Un peu plus tard, saint Polycarpe et saint Ignace, tous deux disciples de l’apôtre saint Jean, inséraient dans leurs lettres des testes évidemment empruntés à l’évangile de ce dernier, ainsi que d’autres passages tirés de saint Luc et de saint Matthieu[4]. Ils le font, il est vrai, sans indiquer encore le nom de l’auteur ; mais on voit déjà, par ces lettres, que les quatre récits de la mission divine sont reçus dans toute l’Église, d’un consentement unanime, et généralement désignés sous le nom significatif d’Évangile ou de Bonne Nouvelle. Dès cette époque, saint Ignace déclarait avoir pour l’Évangile le même respect que pour la chair du Christ[5].

Quelques contemporains et disciples du Sauveur vivaient encore, lorsque saint Papias, évêque d’Hiéraple en Phrygie, recueillait de la bouche même de l’un d’entre eux de précieux renseignements sur les temps apostoliques et notamment sur la composition des deux premiers évangiles.

Chaque fois, dit-il, qu’il m’est arrivé de rencontrer quelques disciples des Apôtres, je m’informais avidement de ce qu’avaient enseigné leurs maîtres. — Que disaient André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean et Matthieu ? Que disent Aristion et Jean l’Ancien, ces disciples de Jésus-Christ ? Ainsi je parlais, estimant recueillir plus de fruit de la parole des témoins encore survivants que de la lecture des livres...

Jean l’Ancien rapportait que Marc, interprète de Pierre, avait exactement écrit tout ce qu’il tenait de ce dernier et dont il gardait un fidèle souvenir, que toutefois il n’avait point suivi l’ordre même dans lequel le Seigneur avait parlé et agi ; car il n’avait ni entendu ni suivi le Seigneur ; mais il accompagnait Pierre, lequel distribuait ses enseignements suivant l’utilité de ses auditeurs et non suivant l’ordre historique. Ainsi Marc n’est pas à reprendre d’avoir écrit plusieurs choses d’après le seul ordre de ses souvenirs ; il n’avait d’autre souci que de ne rien omettre et de ne rien dire d’inexact.

Voilà, dit l’historien Eusèbe, ce qui a été raconté à Papias, touchant Marc, et voici ce qui lui fut dit sur Matthieu : “ Matthieu écrivit en langue hébraïque les prédications du Seigneur, et chacun les interpréta comme il pouvait ”[6].

III. Dans la tradition, l’évêque saint Papias donne la main au philosophe saint Justin, son contemporain, mais plus jeune de quelques années. Celui-ci, dans ses écrits, se réfère sans cesse aux Évangiles, qu’il appelle les Mémoires des Apôtres[7] ; il déclare qu’ils sont lus avec les écrits des Prophètes dans les assemblées des fidèles[8] ; il en possède à fond la connaissance, et il en multiplie les citations, comme jamais aucun autre apologiste ne l’a fait après lui[9].

Vers l’an 172, Tatien, disciple de saint Justin, faisait la première concorde sur les Évangiles et l’intitulait le Diatessaron, Διά Τεσσάρων, ou l’Évangile selon les quatre[10].

Les évangiles étaient alors bien connus des païens eux-mêmes, et déjà, sous le règne d’Adrien (117-138), Celse, écrivant contre la religion chrétienne, citait les évangiles, afin, disait-il, d’égorger les chrétiens avec leurs propres armes. Origène a reproduit ces citations et d’autres passages de Celse où l’on voit que, si cet adversaire des chrétiens attaquait les faits évangéliques, il reconnaissait du moins l’authenticité des évangiles[11].

Parmi les écrivains du second siècle qui citent les évangiles, saint Irénée mérite une mention spéciale ; il les désigne expressément tous les quatre en les énumérant suivant l’ordre chronologique de leur composition ; il prétend de plus que le premier a été composé par saint Matthieu, à l’époque où saint Pierre et saint Paul fondaient l’Église de Rome, et que saint Marc n’a écrit qu’après la mort des deux apôtres[12]. Il retarde ainsi d’environ quinze ans l’époque généralement attribuée à la composition des deux premiers évangiles. Mais, si ce passage de saint Irénée n’a pas été altéré quant aux époques indiquées, comme le pensait Grotius[13], on doit reconnaître que ce retard est contredit par la tradition unanime des autres Pères. Tous s’accordent à dire que saint Marc a écrit durant le pontificat de saint Pierre à Rome. Nous avons vu plus haut, sur ce sujet, le témoignage de Jean l’Ancien, contemporain des évangélistes. De même Clément d’Alexandrie, contemporain de saint Irénée, et mieux, instruit que lui sur l’histoire de saint Marc, premier évêque de cette ville, affirme positivement que cet évangéliste écrivit à Home, tandis que saint Pierre y prêchait[14].

L’autorité des évangiles, dit Tertullien, nous est garantie par les Églises que les Apôtres ont fondées et qui nous les ont transmis ; je parle ici surtout des écrits de Matthieu et de Jean, quoique celui de Marc soit attribué à Pierre dont Marc était le secrétaire, comme aussi la narration de Luc est attribuée à Paul. (Adv. Marc., IV, 5.)

Le même auteur s’étend longuement sur l’autorité et la canonicité de ces écrits ; il leur emprunte, lui aussi, des milliers de citations et il réfute énergiquement l’hérétique Marcion qui avait osé altérer quelques textes de l’évangile selon saint Luc.

IV. Nous avons vu plus haut le témoignage d’Origène. Cet illustre savant dépensa la prodigieuse activité de sa vie à étudier les saintes Écritures. C’est par ses soins que toutes les versions de l’Ancien Testament furent alors recueillies et placées en regard les unes des autres pour former ainsi les fameuses éditions des Hexaples et des Octaples. Il soumit. Pareillement les Livres du Nouveau Testament à une révision sérieuse. Il y avait alors cent trente ans que saint Jean avait terminé, à Patmos, le dernier de ces Livres, et déjà les copies des manuscrits originaux avaient été répandues par milliers dans tout le monde connu. Origène, en les comparant, nota quelques variantes et signala quelques fautes ; mais ces fautes et ces variantes ne se trouvent être ni plus graves, ni plus nombreuses qu’elles ne le sont d’ordinaire dans les manuscrits actuels. Norton a recueilli ces observations d’Origène, et, dans son livre sur les Évidences de l’Évangile, il en constate le résultat comme une preuve incomparable de l’intégrité de nos Livres saints[15].

V. Après Origène, les témoignages se multiplient avec le nombre des écrivains sacrés ; ces témoignages proclament tous les mêmes traditions sur les Évangiles et sur les évangélistes ; il deviendrait dés lors aussi fastidieux qu’inutile de les réunir ici. Qu’il nous suffise de reproduire le témoignage d’Eusèbe, celui qui, en matière d’histoire, résume tous les autres avec l’autorité la plus compétente.

Parmi tous les Apôtres du Seigneur, deux seulement, Matthieu et Jean, nous ont laissé par écrit la narration des faits évangéliques, et tous deux ne l’ont fait, dit-on, que par la contrainte des circonstances. Ainsi Matthieu, après avoir tout d’abord prêché la foi chez les Hébreux, voulant ensuite passer chez d’autres nations, écrivit son évangile dans la langue vulgaire de ses premiers néophytes, afin de combler ainsi le vide qu’allait produire son absence. Longtemps après, et lorsque Marc et Luc avaient déjà publié leur récit, Jean, qui jusque-là s’était contenté de prêcher, résolut aussi d’écrire, poussé, dit-on, par le motif suivant :

Les trois premiers évangiles ayant été publiés et portés ainsi à la connaissance de cet apôtre, la tradition rapporte qu’il les approuva et en confirma la vérité par son propre témoignage ; il regretta seulement de ne pas y trouver les faits arrivés au début de la prédication du Christ et avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste... Ce fut pour combler cette lacune et raconter les faits qui avaient précédé cet emprisonnement que les prières de ses amis le déterminèrent à composer le quatrième évangile... (Hist. ecclés., III, 24.)

Le même historien raconte aussi, comme il suit, la publication de l’évangile selon saint Marc : La lumière de la foi, dit-il, avait fait une si vive impression sur les fidèles de Rome que, non contents d’avoir reçu la doctrine évangélique de la bouche de Pierre, ils supplièrent encore Marc, son disciple, de la leur laisser par écrit. Saint Pierre, ayant appris par révélation ce qui s’était passé, fut ravi de joie de voir le zèle que les chrétiens témoignaient pour la parole de vérité, et il approuva l’évangile de Marc pour être lu dans toutes les Églises. (Ibid., II, 15.)

VI. Après ces données générales sur les évangiles, il nous reste à ajouter quelques mots sur les évangélistes eux-mêmes.

Saint Matthieu. Peu de temps avant l’élection des douze Apôtres, Jésus, traversant la ville de Capharnaüm, vit un homme, nommé Matthieu, siégeant au bureau des impôts. Suis-moi, lui dit-il, et le publicain le suivit aussitôt. Ce fut sans doute cette prompte obéissance qui, quelques jours plus tard, valait à saint Matthieu l’honneur de faire partie du Collège apostolique.

Voici la notice que saint Jérôme a consacrée à cet évangéliste :

Matthieu, appelé aussi Lévi, et qui de publicain devint apôtre, est le premier qui ait composé un évangile ; il le fit en Judée pour les Juifs convertis, et l’écrivit dans la langue et avec les lettres hébraïques. On ne sait pas au juste qui le traduisit en grec ; mais, quant à l’original hébreu, on en conserve encore aujourd’hui un exemplaire à Césarée, dans la bibliothèque que le martyr Pamphile a mis tant de soin à composer. Les Nazaréens de la ville de Bérée, en Syrie, se servent aussi de cet évangile et m’ont donné la faculté de le transcrire. On y remarque que toutes les citations de l’Ancien Testament, soit qu’elles viennent du Sauveur ou de l’évangéliste lui-même, sont toujours faites d’après l’hébreu et non d’après la version des Septante ; les deux suivantes en sont un exemple : J’ai rappelé mon fils de l’Égypte, et il sera appelé Nazaréen. (De viris ill., III.)

A ces détails nous ajouterons que la publication du premier évangile est rapportée à la huitième année après l’Ascension (44 ou 41, E. C.). Cette date est ainsi marquée à la fin de presque tous les anciens manuscrits grecs de cet évangile[16] ; elle se trouve également dans la chronique d’Eusèbe traduite par saint Jérôme.

Contrairement au sentiment de plusieurs modernes, nous pensons que saint Matthieu a généralement suivi, dans ses récits, l’ordre chronologique, et nous en donnons les preuves au chapitre suivant.

Après avoir composé son évangile, l’Apôtre quitta la Judée pour aller en Ethiopie répandre les semences de la bonne Nouvelle, et c’est là qu’il fut martyrisé[17].

VII. Saint Marc. Marc, le disciple et le secrétaire de Pierre, écrivit à Rome, et sur la prière des fidèles de cette ville, un évangile abrégé, qui reproduisait les récits de Pierre lui-même. Cet Apôtre l’ayant appris, approuva cet évangile et le donna pour être lu dans les Églises...

Marc alla plus tard en Égypte, emportant avec lui l’évangile qu’il avait composé. Le premier, il annonça l’Évangile du Christ dans Alexandrie ; il y fonda uns Église, et la vertu de ses enseignements et de ses exemples entraîna même les fidèles à imiter sa perfection. Comme ils avaient conservé les pratiques du judaïsme, le plus éloquent des Juifs, Philon, témoin de leur ferveur, en fit honneur à sa nation ; il composa un livre pour décrire leur genre de vie et ce que Luc raconte des fidèles de Jérusalem, qui mettaient leurs biens en commun, Philon le raconta pareillement des fidèles d’Alexandrie vivant sous la direction de Marc.

Il mourut en la huitième année de Néron (62), fut enseveli à Alexandrie, et eut pour successeur Anianus. (De viris ill., VIII.)

D’après la chronique d’Eusèbe, saint Marc écrivit son évangile en l’an 44, E. C. Sans regarder cette époque comme certaine[18], on peut assurer que cet écrit est antérieur à celui de saint Luc[19], et on ne peut retarder la publication de ce dernier plus loin que l’an 61.

VIII. Saint Luc. 4 Luc était originaire d’Antioche, médecin et bien instruit dams les lettres grecques, comme l’attestent ses récits. Disciple de Paul, il l’accompagna dans tous ses voyages. C’est de Luc et de son évangile que parle Paul, quand il dit (ad. Corinth., II, VIII, 18). Nous vous avons envoyé, avec Titus, le frère dont l’évangile est connu et loué dans toutes les Églises. On lit aussi dans l’épître aux Colossiens (IV, 14) : Le médecin Luc, qui m’est très cher, vous salue ; et dans celle à Timothée (IV, 11) : Luc seul est avec moi. Après son évangile, Luc a écrit un autre livre excellent intitulé les Actes des Apôtres, et dont les récits vont jusqu’à la seconde année du séjour de Paul à Rome, c’est-à-dire jusqu’à la quatrième de Néron[20] ; par où nous voyons que ce livre fut écrit dans cette ville...

Quelques-uns pensent que toutes les fois que Paul, dans ses épîtres, écrit ces mots : selon mon évangile, il veut parler de l’œuvre de Luc. Mais cet auteur n’a point appris les faits évangéliques de Paul seul, lequel n’a point connu le Seigneur dans sa vie mortelle ; il les a encore recueillis de la bouche même des autres Apôtres[21], comme il le déclare lui-même, dés les premières lignes de son livre, par ces mots : Suivant ce que nous ont transmis ceux qui ont vu les choses dés le commencement et ont été faits ministres de la parole.

Ainsi Luc nous a donné l’évangile sur le témoignage des autres et les Actes des Apôtres sur le sien propre.

Le corps de Luc repose actuellement à Constantinople, où il a été transporté (de Patras, en Achaïe) avec celui de l’apôtre André, en la vingtième année de Constantin (De viris ill., VII).

Dans cette notice, saint Jérôme contredit l’opinion de saint Épiphane, qui met saint Luc au nombre des soixante-douze disciples du Sauveur (Hœres., XXIII), et celle de saint Grégoire le Grand qui voit le même évangéliste dans l’un des deux disciples auxquels Jésus apparut allant à Emmaüs. Bien que l’opinion commune des Pères soit avec saint Jérôme, on doit cependant reconnaître que le sentiment de saint Epiphane trouve de la vraisemblance dans la précision et la multiplicité des détails que donne l’évangéliste à partir de la mission des soixante-douze disciples.

Saint Luc ayant écrit l’évangile avant les Actes, et ce dernier livre s’arrêtant en l’an 61, E. C., on est fondé à croire que le premier écrit a été composé avant cette dernière date (voir plus loin, § II).

IX. Saint Jean. Jean, l’apôtre bien-aimé de Jésus, était fils de Zébédée et frère de Jacques, que le roi Hérode (Agrippa) fit décapiter après la passion du Seigneur. Il écrivit l’évangile le dernier, sur la prière des évêques d’Asie, et pour réfuter plusieurs hérétiques, notamment Cérinthe et la secte naissante des Ebionites, lesquels niaient l’existence du Christ avant son incarnation. C’est pour cela qu’il eut à exposer la génération divine du Verbe. Suivant la tradition, Jean fut aussi porté à écrire par le motif suivant. Après avoir lu les évangiles de Matthieu, Marc et Luc, il approuva le texte de ces auteurs, confirma la vérité de leurs récits par son propre témoignage, mais en regrettant qu’ils n’eussent écrit l’histoire que de l’année comprise entre l’emprisonnement de Jean-Baptiste et la passion du Seigneur[22]. C’est pourquoi lui-même, omettant les faits accomplis dans cet intervalle et déjà publiés, il entreprit de raconter ce qui avait précédé, comme on peut s’en convaincre en comparant attentivement cet évangile avec les autres, et c’est ce qui nous explique le défaut de concordance qui paraît exister entre eux.

Jean écrivit aussi une épître commençant par ces mots : Quod fuit ab initio, et qui est reçue dans toutes les Églises et par tous les hommes instruits.

Les deux autres épîtres, dont l’une commence par Senior Electæ dominæ, et l’autre par : Senior Gaio clarissimo, ont, dit-on, pour auteur Jean le Prêtre, dont on montre aussi le tombeau à Ephèse, et que quelques-uns confondent avec l’évangéliste également inhumé dans cette ville. Mais nous parlerons de cette confusion de personnes dans la notice consacrée à Papias, le disciple de ce prêtre.

En la quarantième année de Domitien, durant la seconde persécution, l’évangéliste fut exilé dans l’île de Patmos, et ce fut là qu’il écrivit l’Apocalypse que Justin le martyr et Irénée ont interprétée. Domitien ayant été tué, et les actes cruels de son règne annulés par le sénat, Jean revint à Ephèse, sous Nerva, il y vécut jusque sous l’empire de Trajan, instituant et gouvernant les Églises de toute l’Asie. Consumé de vieillesse, il mourut l’an 68 de la passion du Seigneur (100, E. C.[23]), et fut enseveli dans la même ville (De viris ill., IX).

Dans cette notice, saint Jérôme place la composition du quatrième évangile avant la persécution de Domitien ; c’est aussi l’opinion de M. Darras dans la nouvelle histoire de l’Église (t. IV, p. 440), et cette opinion nous parait aussi la plus probable, bien que l’autre soit la plus commune. Il est toutefois certain que cette composition est postérieure de plusieurs années à la ruine de Jérusalem (Voir plus loin, p. 279).

Après avoir recueilli les principales lumières de l’histoire, nous pouvons maintenant ouvrir les évangiles ; nous y trouverons une éclatante confirmation de ce qui précède ; et, en examinant ainsi les saints Livres, d’autres lumières, plus abondantes encore, viendront éclairer les solutions chronologiques que nous cherchons.

 

§ II — Examen interne des Évangiles.

I. Évangile selon Saint Luc. — Plusieurs ayant déjà entrepris de raconter les choses dont la vérité nous est pleinement connue[24], suivant le témoignage de ceux qui les ont vues dès l’origine et ont été faits ministres de la parole, j’ai conçu, moi aussi, le même dessein, et, après avoir suivi toutes choses dès le principe et soigneusement, j’ai cru devoir vous les écrire avec ordre, très excellent Théophile, afin que vous reconnaissiez vous-même la vérité des enseignements que vous avez reçus.

Ainsi commence l’évangile selon saint Luc, le troisième dans l’ordre des temps, et cet évangile n’est lui-même que la première partie d’une histoire dont les Actes des Apôtres forment le second livre, comme on le voit par le prologue même de ces Actes :

J’ai composé mon premier récit, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné, jusqu’au jour où, ayant donné aux Apôtres choisis par lui ses dernières instructions, il fut enlevé au ciel.

Si l’évangile de saint Luc n’est point daté, on voit du moins qu’il est antérieur aux Actes des Apôtres, et cette dernière partie est elle-même évidemment antérieure à la ruine de Jérusalem (70, E. C.) : depuis la première page, en effet, jusqu’à la dernière, partout nous voyons vivre et grandir une même œuvre, une même pensée, la propagation de l’Évangile du Christ parmi les Juifs et les païens. C’est le christianisme en face du judaïsme encore debout et en face des nations idolâtres parmi lesquelles il ne fait que pénétrer.

Pendant près de trente années, cette magnifique épopée des Actes des Apôtres se déroule à travers les pays et les mers de l’ancien monde ; elle donne des détails minutieux sur les lieux, les peuples et les temps, et partout on retrouve une exactitude telle que la composition de ce livre doit nécessairement être attribuée à un contemporain et à un compagnon des Apôtres. Les Actes présentent de plus, avec les épîtres de saint Paul, des rapports tellement intimes, que reconnaître l’authenticité de celles-ci, c’est aussi reconnaître l’authenticité des Actes. Or il est bon de rappeler que les épîtres de saint Paul, sauf la dernière, celle aux Hébreux dont l’origine apostolique est contestée par quelques protestants[25], les épîtres de saint Paul, disons-nous, sont partout reconnues authentiques, et, si elles sont incontestées, c’est qu’elles sont en effet parfaitement incontestables. L’ardent prosélytisme de leur auteur et surtout cette éloquence du cœur qui, indépendamment de toute rhétorique, subjugue et entraîne, ce style où la pensée éclate sans aucun artifice de langage, les nombreux hébraïsmes qu’on y remarque, tout dans les épîtres offre un cachet d’originalité qui ne permet pas de les attribuer à un autre auteur que saint Paul[26].

II. Or, nous l’avons vu, l’auteur des Actes est aussi l’auteur du troisième Évangile ; les deux écrits ne sont que les deux parties ou les deux livres d’une même histoire dédiée au même personnage, nommé Théophile dans l’un comme dans l’autre ; cet auteur c’est évidemment l’un des compagnons de saint Paul, et parmi eux, saint Luc, le médecin grec originaire d’Antioche, qui après avoir été prosélyte juif à Jérusalem embrassa le christianisme et partagea les travaux et les missions du grand apôtre. Lors même que toute l’antiquité chrétienne ne serait point là pour l’attester, on le devinerait, parmi tous les autres compagnons de l’apôtre, à son style pur et élégant, quoique mêlé de quelques hébraïsmes, à sa vaste érudition, à sa profonde connaissance de la religion juive et de l’état politique des provinces de l’empire.

III. Mais à quelle époque précise a-t-il composé l’évangile et les Acres, puisque ces deux écrits vont ensemble ?

Le livre des Actes, répondrons-nous avec M. Vallon[27], porte avec lui sa date. À la fin (XXVIII, 30 et 31), il est dit de saint Paul mené prisonnier à Rome : Et il demeura deux ans dans la maison qu’il avait louée, et il y recevait tous ceux qui venaient chez lui, prêchant le royaume de Dieu et enseignant ce qui est du Seigneur Jésus-Christ en toute confiance et sans empêchement ; ce qui suppose que la rédaction de l’ouvrage se termine au temps même où le récit finit. Si saint Luc avait écrit après la mort de saint Paul, comment n’y aurait-il pas fait au moins allusion dans un livre consacré pour la plus grande partie à l’histoire de sa vie[28] ? Si même il avait écrit après la mise en liberté de l’Apôtre, comment n’aurait-il rien dit d’un événement qui faisait la conclusion naturelle de ce procès, de cet envoi à Rome, si minutieusement racontés dans les chapitres précédents ? Dira-t-on que la suite s’est perdue ou que l’auteur s’est arrêté lui-même $ Mais le récit ne porte point la trace d’une telle coupure ni d’une semblable interruption. La narration n’est pas brusquement suspendue. Le livre a sa conclusion sommaire. L’auteur rappelle en peu de mots les événements des deux dernières années et l’on ne comprendrait pas que, dans cette forme abrégée, la délivrance de saint Paul ne se trouvât point au moins indiquée, si cette délivrance eût été dès lors accomplie... Le récit finit là, parce que là s’arrête la suite des événements. Ides Actes ont donc été rédigés vers la fin de la captivité de saint Paul, c’est-à-dire vers l’an 63, pendant les loisirs que cette interruption dans les voilages de l’Apôtre donnait à saint Luc, son compagnon.

Mais l’Évangile a été rédigé avant les Actes. Il faut donc en figer l’époque, soit en cette même année, soit pendant cette autre captivité de deux ans que saint Paul subit à Césarée (57-55, E. c.), avant d’être envoyé à Rome. Saint Luc, qui est arrivé avec saint Paul en Palestine et qui en part avec lui pour Rome, aura pu profiter de ce séjour forcé sur la terre où s’accomplit la mission du Sauveur, pour achever l’information dont il parle lui-même (Ev., I, 4) et mettre son récit par écrit.

IV. Ainsi l’évangile de saint Luc aurait été rédigé vers l’an 60 de l’ère chrétienne, moins de trente ans après l’accomplissement de la mission du Sauveur. Telle est aussi, à quelques années près, l’époque que les historiens et les premiers Pères de l’Église ont toujours attribuée à la composition de cet évangile. Saint Grégoire de Nazianze et saint Jérôme[29] la font même remonter quatre ou cinq ans plus haut, puisqu’ils disent que saint Luc écrivit son Évangile durant le séjour qu’il fit alors en Grèce avec saint Paul. Ce témoignage est fortifié par le texte même des Actes des Apôtres qui paraît accuser vers cette époque un temps d’arrêt dans sa composition : l’histoire des dernières années présente en effet un contraste frappant avec ce qui précède, elle ressemble à des notes recueillies et ajoutées par l’auteur à mesure que les évènements se déroulent sous ses yeux. L’Évangile et la première partie des Arles auraient donc été écrits avant le temps où l’auteur recueillait ces dernières notes Une autre opinion qui nous semble au moins aussi probable place la composition de l’Évangile et des Actes à Rome même pendant le séjour de saint Luc dans cette ville, vers l’an 60. Ces deux écrits sont en effet dédiés au même personnage, le très excellent Théophile (ami de Dieu), mais le voile de ce surnom religieux doit cacher quelque noble Romain : noble, comme l’indique l’épithète de κράτιστοσ, très excellent, et Romain, d’abord parce que des titres aussi élevés étaient alors l’apanage presque exclusif des Romains, et ensuite parce que saint Luc ne lui donne sur la topographie de l’Italie et sur le séjour de saint Paul à Rome aucun de ces détails qu’il a soin d’ajouter à ses récits lorsqu’il s’agit d’autres pays.

Les deux opinions peuvent se concilier aisément en disant que saint Luc a écrit son évangile en Grèce, mais qu’il y a mis la dernière main et ajouté son prologue dédicatoire en même temps qu’il achevait les Actes, pendant son séjour à Rome. Quoi qu’il en soit ; nous sommes toujours dans le vrai, en concluant que le troisième évangile a certainement été composé par saint Luc, moins de trente ans après l’ascension du Sauveur.

V. Mais tout se tient dans les livres du nouveau Testament : l’authenticité et la date de l’un confirme d’une manière irrécusable l’authenticité et la date de plusieurs autres, ainsi l’évangile de saint Luc confirme les évangiles de saint Matthieu et de saint Marc ; il leur est même nécessairement postérieur, comme il est antérieur à l’évangile de saint Jean. L’examen des textes peut encore nous donner cette démonstration.

Lorsque l’on compare entre eux les trois premiers évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, on est frappé de l’identité fréquente des faits racontés et parfois de la similitude des textes. C’est même en raison de ces analogies que les Allemands appellent nos trois premiers évangiles les trois synoptiques. On trouve, il est vrai, des différences assez sensibles entre saint Matthieu et saint Luc ; mais saint Marc est entre eux comme un terme moyen ; il offre un grand nombre de textes complètement semblables à ceux des deux autres, et son évangile se trouve reproduit en grande partie dans l’un comme dans l’autre (voir N. J., n° 8). Certains critiques en ont conclu que l’évangile de saint Marc devait être l’évangile primitif, et que les auteurs des deux autres n’avaient fait que l’amplifier à une époque postérieure. Mais un examen attentif des textes rétablit l’ordre chronologique des trois écrits, tel qu’il est donné par la tradition.

VI. Le fait qui ressort avec le plus d’évidence dans cette comparaison, c’est que saint Luc est postérieur aux deux autres. Saint Luc reproduit dans son évangile, à très peu près, tous les faits relatés par eux, plus un grand nombre d’autres qui lui sont propres[30] (voir les n° 6, 7 et 8 des notes justificatives), Lorsque les deux premiers font un récit semblable, saint Luc s’accorde avec eux et reproduit alors généralement le texte même de saint Marc[31]. Lorsque les deux premiers différent pour l’ordre des faits ou pour les détails du récit, saint Luc abandonne saint Matthieu et se range du tété de saint Marc[32]. En comparant ainsi saint Marc et saint Luc, on arrive à cette conclusion que l’un des deux avait sous les yeux le récit de l’autre et qu’il le reproduit souvent textuellement. L’histoire nous explique ce fait, en nous apprenant que ces évangélistes ont dû se connaître à Rome. Lequel a suivi l’autre ? Est-ce saint Marc qui aurait reproduit saint Luc ? Mais alors, comment s’expliquer que saint Marc aurait omis les faits que saint Luc ne tirait pas de saint Matthieu (v. N. J., n° 7) ? Saint Marc après saint Luc n’aurait plus rien de nouveau, ni même aucune raison d’être. Le contraire est seul rationnel et possible : saint Marc a écrit avant saint Luc et celui-ci s’est largement aidé de l’évangile de saint Marc.

VII. Mais on ne peut dire que saint Luc ait eu pareillement l’Évangile de saint Matthieu sous les yeux. Il reproduit bien pour le fond presque tous les faits et les discours rapportés par saint Matthieu, et qui avaient été omis par saint Marc ; il y ajoute même un grand nombre d’autres traits qui lui sont propres[33] : double preuve qu’il est postérieur à saint Matthieu aussi bien qu’à saint Marc ; mais les faits et les discours, dont le fond est identique en saint Matthieu comme en saint Luc, différent absolument dans la forme, toutes les fois que saint Marc ne s’entremet pas en donnant un récit parallèle[34]. Il y a même des parties notables totalement dissemblables : la généalogie, donnée par saint Luc, n’est pas identique à la généalogie donnée par saint Matthieu ; autres sont aussi les détails recueillis par les deux auteurs sur l’enfance du Sauveur[35], et, quand les faits sont les mêmes, alors ce sont les détails qui différent.

Les exégètes concilient ces différences ; mais il n’en est pas moins évident pour nous que, si saint Luc avait eu l’évangile de saint Matthieu sous les yeux, en composant le sien, il nous aurait donné lui-même la clef de ces différences. Mais ignorait-il les récits de saint Matthieu ? Non, puisqu’il les reproduit pour le fond, même quand saint Marc les omet. Comment donc expliquer tant de dissemblances vis-à-vis de saint Matthieu et si peu vis-à-vis de saint Marc ? La seule hypothèse qui nous semble admissible, c’est que l’auteur du troisième évangile avait sous les yeux, non pas le texte du premier, mais bien un ensemble de notes sur les discours et les faits relatés par lui. D’après le témoignage de Jean l’Ancien, on aurait été longtemps sans avoir une traduction exacte et complète du texte hébreu de saint Matthieu[36], et d’autre part saint Luc nous apprend lui-même, dans le prologue de son évangile, qu’au temps ode il le composait, plusieurs écrivains avaient déjà entrepris de rédiger les mêmes récits. Ces divers essais réunis devaient reproduire à peu près tout l’évangile de saint Matthieu, et saint Luc, en fondant le tout dans son propre travail, aura rendu ces essais inutiles et inconnus.

Cette hypothèse présente à nos yeux tous les caractères de la vérité ; elle enlève à saint Luc la connaissance directe et immédiate du premier évangile ; elle nous autorise de plus à ne pas suivre aveuglément l’ordre adopté par le troisième évangéliste, toutes les fois que cet ordre différa de celui de saint Matthieu. Ne doit-on pas s’opposer en effet que, pour bon nombre de faits, l’ordre de ce dernier n’aurait pas été modifié si saint Luc avait eu sous les yeux le texte formel d’un témoin oculaire tel que cet apôtre ?

VIII. Évangile selon saint Marc. Le second évangile semble être un abrégé de celui de saint Matthieu, dont il reproduit les principaux récits. Mais, s’il est plus court, c’est surtout parce qu’il omet généralement les discours étendus du Sauveur ; il ne dit rien non plus de la généalogie royale de Jésus, ni de l’adoration des Mages, ni de la fuite en Égypte, probablement parce que ces détails intéressaient assez peu les Romains pour lesquels il écrivait. Mais, bien qu’il omette ces faits et d’autres encore, il en est de plus nombreux où il donne des détails beaucoup plus explicites et plus précis que saint Matthieu (voir le tableau synoptique, n° 10 des N. J.). Il ajoute aussi quelques faits dont celui-ci n’avait point parlé. la délivrance du démoniaque de Capharnaüm (I, 23), la parabole de la semence fructifiant d’elle-même (IV, 26), la guérison de l’aveugle de Bethsaïde (VIII, 22), l’aumône de la veuve (XIX, 41) et l’apparition du Sauveur ressuscité aux deux disciples d’Emmaüs (XVI, 12).

Si saint Marc néglige parfois l’ordre des temps, comme Jean l’Ancien le faisait autrefois remarquer[37], on doit cependant reconnaître que son évangile est très utile pour rectifier et éclaircir, en plusieurs endroits, l’ordre suivi par saint Matthieu. Saint Marc précise l’époque de la guérison de la belle-mère de saint Pierre ; il sépare l’élection des douze Apôtres de l’époque de leur mission et cette mission de leur retour ; enfin il éclaircit l’obscurité dans laquelle le récit de saint Matthieu laisse les faits qui suivent la décollation de Jean-Baptiste[38]. Dans tous ces passages, saint Marc rétablit évidemment l’ordre des temps laissé vague et confus par saint Matthieu.

Ces éclaircissements, les nombreuses similitudes des textes, les différences qui existent entre les deux évangiles et qui consistent surtout dans l’addition de détails secondaires aux faits principaux, tout cela réuni nous montre suffisamment que l’œuvre de saint Marc est un libre remaniement de celle de saint Matthieu et qu’elle lui est par là même postérieure en date.

IX. Saint Marc, parti de Jérusalem en l’an 42, a-t-il emporté avec lui une copie complète du premier évangile ? Il est probable que non. Possesseur d’un tel manuscrit, il se serait contenté d’y ajouter ce qu’il aurait appris de saint Pierre ; mais évidemment il n’en aurait rien retranché. Il ne le possédait pas. L’évangile de saint Matthieu avait bien été composé et publié à Jérusalem en l’an 41, un an avant le départ de saint Marc ; mais il faut aussi se rappeler que les Apôtres et leurs disciples n’avaient pas l’imprimerie pour multiplier immédiatement les livres nouveaux et même qu’au milieu de leurs missions ils s’inquiétaient fort peu d’écrire. L’inspiration divine leur suffisait pour prêcher et convertir. Toutefois, avant de quitter Jérusalem, le futur disciple de saint Pierre a certainement connu l’écrit de saint Matthieu et il est assez probable qu’il en aura noté rapidement au moins les principaux faits. Lors donc que, dans la suite, les instances des fidèles de Rome le portèrent à écrire lui-même un évangile, ce sont ces notes qu’il aurait reproduites, en les enrichissant des additions et des éclaircissements donnés par saint Pierre. Cette hypothèse nous paraît plus vraisemblable que celle quine voit, dans saint Marc, qu’un abréviateur systématique de saint Matthieu.

X. Les documents historiques, cités plus haut, montrent que l’écrit de saint Marc peut à juste titre être attribué à saint Pierre. Hug a même remarqué que, lorsqu’il arrive à saint Marc d’ajouter ou de changer quelque chose aux récits de saint Matthieu, il signale indirectement son auteur, en faisant paraître saint Pierre comme témoin dans la narration[39] et, chose également remarquable, cet évangéliste, qui raconte avec le plus de détails le triple reniement de saint Pierre, est le seul qui ne dise rien dé la primauté et des prérogatives spéciales du chef de l’église.

XI. L’Évangile de saint Marc et tous les autres livres du Nouveau Testament, excepté le premier évangile, ont été composés en langue grecque. Cette langue vulgaire dans tout l’Orient était encore celle des hommes lettrés dans tout le reste de l’empire ; à Rome même, elle était aussi commune que la langue latine ; les femmes la connaissaient et beaucoup de sénateurs et d’illustres Romains affectaient de n’en parler point d’autre. Mais le style de saint Marc trahit tout à la fois son origine et le milieu où il se’ trouvait ; car, avec des mots latins grécisés[40], on y remarque les plus durs hébraïsmes[41].

XII. Évangile selon saint Matthieu. L’auteur du premier évangile paraît avoir été le membre le plus lettré du Collège apostolique ; les fonctions fiscales, qu’il exerçait avant sa conversion, exigeaient une certaine instruction. Aussi est-il le premier des Apôtres qui ait entrepris d’écrire, et la beauté classique de ses récits dénote une plume bien exercée. Surtout les discours du Sauveur paraissent avoir profondément pénétré son âme ; il les possède et les reproduit au long dans toute leur force et toute leur majesté.

Le premier évangile a conservé quelques traces de la personnalité de son auteur : ainsi cet ancien collecteur des impôts nous apprend transitoirement (XXII, 19) que le denier était la pièce de monnaie exigée pour le cens ; l’humilité chrétienne le porte à reconnaître le vice de son ancienne profession regardée comme un crime chez les Juifs (IX, 10 et 11), et, quand il donne la liste des Apôtres du Sauveur, il se nomme lui-même Matthieu le publicain. Les autres évangélistes, au contraire, omettent cette qualification ; ils réservent le nom de Matthieu pour désigner l’Apôtre, et ils semblent voiler respectueusement le publicain, avant sa conversion, en lui donnant le nom oublié de Lévi. Dans l’appel des Apôtres, le Sauveur, qui les envoyait deux à deux, les nomme aussi deux à deux ; saint Matthieu se trouve ainsi associé avec saint Thomas, et tous deux sont placés au quatrième rang. Mais, suivant saint Matthieu (X, 13), l’apôtre saint Thomas devrait être le premier des deux, tandis qu’il n’est que la second suivant saint Marc (III, 18) et saint Luc (VI, 15).

Saint Matthieu écrit évidemment pour les Juifs de la Judée : il ne donne aucune explication ni des usages comme saint Marc, ni des lieux comme saint Luc ; ses lecteurs connaissent suffisamment les uns et les autres, ils connaissent également bien les livres de l’Ancien Testament, et l’auteur en multiplie les citations.

XIII. Parmi les trois premiers évangélistes, c’est lui qui, selon nous, a le mieux suivi l’ordre chronologique, et nous donnons plus loin les preuves de notre opinion. L’interversion la plus notable, dans son évangile, se trouve être celle des chapitres X et XI. Quelques auteurs ont aussi prétendu voir une interversion des plus graves et des plus évidentes, dans le passage qui termine le chapitre XXIII, notamment dans ces paroles : Vous ne me verrez plus jusqu’au jour où vous direz : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur[42]. Une telle interversion serait grave, en effet, si ces paroles étaient, comme on le prétend, la prophétie des acclamations du jour des Rameaux, car le récit de ces acclamations a été fait précédemment dans le même évangile. Mais l’immense majorité, des interprètes[43] voit au contraire dans ces paroles une prophétie de la conversion des Juifs à la fin des temps.

Le P. Patrizzi, qui admet un nombre très considérable de faits intervertis en saint Matthieu, prétend excuser l’auteur, en disant qu’il se proposait de composer non pas une histoire, mais une thèse[44], et de donner aux Juifs non pas un récit, mais une démonstration des caractères messianiques de Jésus. Une pareille excuse nous parait encore plus mal fondée que le grand nombre d’interversions. La principale preuve que le même auteur apporte à l’appui de son assertion, c’est que saint Matthieu cite vingt fois les prophéties, tandis que saint Luc, véritable historien, ne les cite que huit fois. Mais quelle force peut avoir cette preuve ? Saint Matthieu est un Juif écrivant en Judée pour des Juifs familiers avec les Écritures, tandis que saint Luc, le prosélyte grec, s’adresse aux Gentils, lesquels ignorent profondément ces mêmes Écritures. Le premier ne peut-il donc les citer plus fréquemment sans pour cela perdre son caractère d’historien ? Faudra-t-il aussi dénier à saint Jean cette qualité d’historien parce que son évangile composé pour des Grecs cite onze fois les Écritures et conclut beaucoup plus expressément à la divinité de Jésus-Christ ? Cependant saint Jean suit l’ordre historique des faits et ne commet aucune interversion. Non, le premier évangile n’est pas une thèse plutôt qu’une histoire ; il possède au contraire, au plus haut degré, tous les caractères de l’histoire ; il ne plaide pas, il expose, et il nous semble qu’il suffit de lire cet évangile pour être frappé de ce fait et pour en convenir. Tableau sublime, parce qu’il est exact, il représente au naturel la mission divine, les faits et les discours du Sauveur des hommes. Toute sa force probante vient même de ce qu’il est purement et simplement une histoire.

XIV. Les témoignages unanimes de toute l’antiquité chrétienne, à commencer par celui de Jean l’Ancien, disciple du Seigneur, nous apprennent que saint Matthieu a écrit son évangile pour les Juifs et dans le dialecte hébreu vulgaire qui était alors le syro-chaldéen[45]. Mais il parait certain qu’il fut traduit en grec, dès les temps apostoliques, et la Synopse de saint Athanase attribue même cette traduction à saint Jacques, premier évêque de Jérusalem. Cette assertion n’offre rien d’invraisemblable : on sait par les Actes des Apôtres (VI, 1) que l’Église de Jérusalem comptait un grand nombre de Juifs hellénistes, et que l’apôtre-évêque saint Jacques écrivit en grec l’épître qui porte son nom.

Nous serions même tenté de regarder comme un indice du travail de saint Jacques la suppression, dans la traduction grecque, d’un fait que saint Jérôme a retrouvé dans les exemplaires hébreux. On sait par la première épître de saint Paul aux Corinthiens (XV, 7) que le Sauveur, après sa résurrection, apparut à saint Jacques en particulier. Or ce fait se trouvait ainsi raconté dans l’évangile hébreu des Nazaréens : Le Seigneur, ayant remis son linceul au serviteur d’un prêtre, se rendit auprès de Jacques. Or Jacques avait fait le serment de ne pas prendre de nourriture depuis l’heure où il avait bu le calice du Seigneur, jusqu’à ce qu’il eût vu Jésus ressuscité des morts. Le Seigneur étant donc prés de lui : “ Apportez, dit-il, la table et le pain. ” Prenant ensuite le pain, il le bénit, le rompit et le présenta à Jacques le Juste, en disant : “ Mon frère, mangez ce pain, car le Fils de l’homme est ressuscité ” (De viris illust., II).

L’humilité de saint Jacques ne serait-elle point la cause de l’omission d’un fait aussi glorieux pour lui ?

XV. Évangile selon saint Jean. — Saint Matthieu a composé son évangile avant saint Marc, et celui-ci avant saint Luc ; tel est l’ordre de la composition des trois évangiles synoptiques, et l’examen interne de ces écrits nous révèle cet ordre avec la même facilité que l’étude de la géologie montre la priorité des diverses couches qui ont formé l’écorce du globe.

Reste le quatrième évangile ; mais pour celui-ci, l’examen du texte donne des résultats qui rendent superflus tous les témoignages de l’histoire.

Le quatrième évangile présente, comme les épîtres de saint Paul, un caractère éminemment original, où l’auteur se trahit à chaque page. C’est un vieillard : les redites fréquentes et la longueur de ses récits le révèlent ; mais, quand il parle de son Sauveur et de son Dieu, ce vieillard retrouve la jeunesse de l’aigle, la jeunesse qui s’est renouvelée aux sources de l’éternel amour. C’est bien l’âme pure et fervente du disciple bien-aimé qui respire dans toute cette quatrième histoire du Verbe fait homme ; c’est bien l’apôtre vierge, le confident de Jésus et le fils adopté de Marie, qui a su se rappeler et reproduire aussi minutieusement les actes et les paroles du bon Maître.

Témoin oculaire des faits, il en suit parfaitement l’ordre ; il aime à citer les fêtes qui arrivent, l’époque et même l’heure des événements[46]. Il était parmi les disciples de Jean-Baptiste, lorsque celui-ci leur montra le Christ en disant : Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui efface le péché du monde. En entendant ces mots, le fils de Zébédée s’offrit aussitôt à Jésus pour être son disciple[47]. Or, dit-il, il était la dixième heure du jour. Heure à jamais mémorable en effet, car elle commença pour saint Jean la série de ces grâces qui firent de lui le disciple aimé de Jésus, et qui l’élevèrent à la triple dignité d’apôtre, d’évangéliste et de prophète. Saint Jean est donc un témoin de premier ordre, il a suivi le Sauveur dés le début de sa mission divine ; il l’a accompagné sur le Thabor au jour de sa transfiguration, sur le mont des Oliviers dans son agonie, et sur le Calvaire dans sa passion ; il a recueilli son dernier soupir sur la croix et, le dimanche de Pâque, il a devancé saint Pierre au tombeau du Calvaire pour constater la résurrection. Faut-il après cela s’étonner si saint Jean, dans son évangile, nous initie aux mystères les plus sublimes de la divinité ? Les autres évangélistes s’étaient contentés de considérer le Christ agissant sur la terre, mais le premier regard de saint Jean le découvre dans l’éternité, existant avant tous les temps ; sa première parole nous le montre Dieu dès le commencement et vivant avec Dieu son père (I, 1-18).

C’est après ce sublime exorde que s’ouvre l’histoire des faits évangéliques ; là encore l’auteur a pour but de démontrer la céleste origine de Jésus et son amour infini pour nous ; mais rien ne lui parait plus propre À atteindre ce double but que le pur exposé des faits ; il se contente donc de donner cet exposé, et il s’en acquitte avec une exquise simplicité.

XVI. Nous avons dit que cet écrit était l’œuvre de sa vieillesse ; il doit être par là même postérieur à la ruine de Jérusalem, et encore plus à la publication du troisième évangile ; car, d’après la tradition, saint Jean, le plus jeune des Apôtres, touchait à peine aux premières limites de la vieillesse, en l’an 70, lorsque la ruine de Jérusalem arriva. Plusieurs passages du quatrième évangile supposent en effet Jérusalem déjà détruite : l’auteur y parle du village de Béthanie et du jardin des Oliviers comme n’existant plus : Béthanie, dit-il (XI, 18), ÉTAIT proche de Jérusalem, à la distance de soixante stades. Et plus loin (XVIII, 1) : Il vint au delà du torrent de Cédron, où il y AVAIT un jardin. Il est vrai qu’il parle au présent de la piscine de Bethsada, mais cette piscine avait en effet échappé à la ruine générale, et, près de trois siècles après, Eusèbe, qui l’avait visitée, employait pour la décrire les mêmes termes que saint jean (Onomat. de loc. sacr., v° Βηζαδά).

En parlant des Juifs de Palestine, le médecin grec saint Luc disait encore : le peuple ou la foule ; saint Jean dit toujours : les Juifs, comme pour rappeler un peuple qui n’est plus. Il croit utile de traduire les termes employés par ce peuple et même les noms de Messie (I, 41) et de Rabbi (I, 38), de dire que les Samaritains et les Juifs étaient ennemis, que les Galiléens venaient à Jérusalem pour les grandes fêtes (IV, 9 et 45), et enfin d’expliquer les usages du peuple juif, comme les ablutions (II, 6) et le mode de sépulture (XIX, 40). D’après tous ces indices réunis, on peut affirmer que le quatrième évangile est postérieur à la ruine de Jérusalem.

XVII. On voit en même temps que les trois autres évangiles sont parfaitement connus de l’auteur du quatrième. Il leur donne des éclaircissements : par exemple, quand il ajoute cette remarque, à propos de la simultanéité des prédications de Jean-Baptiste et de Jésus : Car Jean n’avait pas encore été mis en prison. Une telle observation ne peut avoir trait au récit de l’auteur, attendu qu’il n’y parle jamais ailleurs de l’emprisonnement de Jean-Baptiste ; elle se rapporte donc au récit des premiers historiens du Sauveur. Le quatrième évangile n’est même qu’un supplément aux trois premiers : il expose les faits et discours qu’ils ont omis, et il omet à peu près tout ce qu’ils ont raconté, et cependant c’est ce qu’il y a de plus important dans la vie du Sauveur.

Les premiers évangélistes relatent ce qui s’est passé en Galilée pendant les deux ans qui s’écoulèrent depuis l’emprisonnement de saint Jean-Baptiste (29 novembre 30) jusqu’à la fête de la Dédicace (17 déc. 32) ; ils omettent les premières prédications de Jésus en Judée, comme aussi les incidents qui signalèrent ses derniers voyages à Jérusalem. Saint Jean s’attache, au contraire, à raconter ce qui s’est passé en Judée, au commencement et à la fin de la prédication évangélique. Quand Jésus retourne en Galilée, après l’emprisonnement du Précurseur, (29 nov. 30), l’auteur du quatrième évangile le suit jusqu’en Samarie, il s’arrête aux frontières de la Galilée et ne reprend son récit que lorsque Jésus revient en Judée, environ un an après. Pendant cet intervalle, saint Jean n’a pas un mot pour raconter les miracles et les discours du Sauveur sur les bords célèbres du lac de Génésareth, l’élection et la mission des douze Apôtres, la députation de Jean-Baptiste au Sauveur et bien d’autres faits importants. Même silence pour la troisième année de la prédication du Sauveur, elle aussi passée en Galilée. Il faut cependant faire une réserve pour, les récits qui ouvrent le chapitre VI ; mais on voit aussitôt pourquoi l’évangéliste voulait exposer un discours de la plus haute importance sur la sainte Eucharistie et toutefois omis par les autres. C’est pour amener ce discours, et le relier aux autres faits, qu’il reprend le récit des premiers évangélistes, qu’il raconte la multiplication des pains et la marche de Jésus sur les flots du lac.

XVIII. Pour trouver d’autres récits communs, il faut aller jusqu’au chapitre XII, oh il est parlé du sixième jour avant la Passion. L’auteur replace à cette date précise le repas de Béthanie et l’effusion des parfums sur les pieds du Sauveur, double fait interverti en saint Matthieu (XXVI, 6) et en saint Marc (XIV, 3). Le quatrième évangéliste se retrouve alors sur le même terrain que les trois autres ; comme eux, il doit nécessairement raconter la passion du Sauveur ; mais, toujours fidèle au même plan, il ne fait qu’indiquer ce qu’ils ont dit, et au contraire il fait un récit complet des faits omis par eux.

Ainsi il décrit brièvement l’entrée triomphale du Sauveur à Jérusalem, et passe aussitôt à d’autres faits oubliés ; il omet, en parlant de la cène, de rappeler l’institution de la sainte Eucharistie, et il raconte longuement le lavement des pieds, le morceau de pain donné à Judas, le discours et la prière de Jésus après la sortie du traître, en un mot, tout ce dont les autres n’avaient point parlé. Lui seul raconte la comparution du Sauveur devant Anne, le beau-père de Caïphe, et, quant à l’interrogatoire de Jésus par-devant ce dernier, il se contente de l’indiquer sommairement, en ajoutant : Et Anne l’envoya, les mains liées, au grand-prêtre Caïphe.

Aurait-il pu se dispenser de raconter le jugement du sanhédrin, chose capitale dans l’histoire de la Passion, si d’autres ne l’eussent fait avant lui ? Dans le reste du récit, tout en donnant la suite des faits, comme les autres évangélistes, il s’attache visiblement à relever les détails négligés par eux : il reproduit les deux interrogatoires que Pilate fait subir à Jésus hors de la présence des Juifs ; il n’a garde d’oublier la parole par laquelle le Sauveur lui confie sa mère et le coup de lance qui ouvre son côté. Les autres évangélistes n’avaient fait qu’indiquer les apparitions du Sauveur après sa résurrection ; saint Jean précise les quatre apparitions les plus importantes, et les raconte avec des détails très circonstanciés[48].

Pourquoi l’auteur entre-t-il dans ces minutieux détails, toutes les fois qu’il s’agit d’un fait ou d’un discours omis par les autres ? Pourquoi, d’autre part, ces énormes omissions qui laissent dans l’ombre des années presque entières et les périodes les plus importantes de la mission évangélique. Encore une fois, de telles omissions d’une part, et des récits aussi détaillés de l’autre seraient inexplicables, si l’on ne présupposait la connaissance des trois premiers évangiles.

XIX. Les trois premiers évangiles se trouvent ainsi complétés par le quatrième, et tous les quatre réunis nous présentent un ensemble historique et authentique où nous sommes sûrs de retrouver toute la mission divine du Sauveur.

En les étudiant encore de plus près, nous allons bientôt voir tous les événements de cette mission se dérouler sous nos yeux et venir se replacer dans le même ordre qu’autrefois.

Mais avant d’entrer dans cette nouvelle discussion, nous ne saurions mieux clore celle-ci qu’en empruntant les paroles suivantes de M. Wallon :

Ce que nous avons voulu surtout maintenir comme étant le point dominant du débat, c’est que, dans les évangélistes, nous avons des témoins, et de quelque façon que l’on juge leurs récits, nul doute ne doit rester sur leur personne. Ceux qui nous parlent sont bien saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean. C’est à eux, si l’on refuse de les croire, qu’il faut donner un démenti. Nous n’ajouterons qu’un mot : c’est que si l’on montrait, à l’égard des livres anciens ou nouveaux, les exigences qu’on a pour le Nouveau Testament, l’histoire serait encore à faire, faute de témoins dûment constatés ; nous en serions toujours à l’âge mythologique. L’histoire est vieille pourtant ; mais en vérité, quand on a parcouru le cercle entier de nette discussion, on devient si difficile en matière de preuve, qu’on serait tenté de ne plus croire à, rien qu’à l’Évangile. (De la Croyance, etc., p. 463 et 464).

 

§ III — Autorité diverse des évangélistes pour le classement chronologique des faits.

I. L’un des disciples du Sauveur, Jean l’Ancien, rapportait que Marc, interprète de Pierre, avait exactement écrit tout ce qu’il tenait de ce dernier et dont il gardait un fidèle souvenir, que toutefois il n’avait point suivi l’ordre dans lequel le Seigneur avait agi ou parlé ; car il n’avait ni entendu ni suivi le Seigneur ; mais il accompagnait Pierre, lequel distribuait ses enseignements suivant l’utilité des auditeurs et non suivant l’ordre historique. Ainsi Marc n’est pas à reprendre d’avoir écrit plusieurs choses suivant le seul ordre de ses souvenirs, car il se proposait seulement de ne rien omettre et de ne rien dire d’inexact. (Eusèbe, Hist., III, 39.)

Ce jugement, porté sur l’évangile de saint Marc par un témoin oculaire des faits évangéliques, mérite d’être pris en sérieuse considération : il condamne non seulement l’ordre suivi par saint Marc, mais encore celui de saint Lac, puisque ce dernier a reproduit les récits de saint Marc sans en modifier l’ordre. Le jugement du vieux disciple du Sauveur frappe donc l’ordre adopté par ceux des évangélistes qui n’ont écrit que sur les récits d’autrui ; il confirme au contraire la présomption légitime que l’on doit accorder sur ce point aux deux autres évangélistes, saint Matthieu et saint Jean, tous deux témoins oculaires et parfois acteurs dans les faits racontés.

II. Certes tous les exégètes s’accordent à reconnaître un ordre chronologique sûr et régulier dans l’évangile de saint Jean. Il est vrai que cet auteur n’a guère l’occasion d’être en désaccord avec les trois premiers, puisqu’il ne donne généralement que des faits oubliés par eux ; mais, sans cela, le doute même ne peut exister sur l’ordre de ses récits, tant il a soin de marquer les époques successives où ils viennent se placer.

Il n’en est pas de même pour l’évangile de saint Matthieu ; les faits et les discours que cet évangile reproduit se retrouvent presque en totalité dans saint Luc, mais ils s’y retrouvent distribués suivant un ordre différent. De là aussi deux systèmes différents pour le classement de ces faits, l’un qui s’appuie principalement sur l’autorité de saint Matthieu, et l’autre sur celle de saint Luc. Il y a même des concordes qui suivent uniquement et partout l’ordre de saint Luc ; telles sont celles de l’abbé de Vence, de Hug et du P. Patrizzi[49].

Comme une concorde ne peut être utile qu’à la condition d’avoir, en faveur de l’ordre qu’elle présente, sinon la certitude, au moins la plus grande somme de probabilités, l’examen des arguments probables ou certains devient ici plus nécessaire que partout ailleurs.

III. Toute l’autorité de saint Luc pour le classement des faits repose sur un mot ; il promet dans son prologue d’écrire l’histoire évangélique avec ORDRE (ΚΑΘΕΞΉΣ γράψαι.) Cette promesse doit-elle être entendue rigoureusement et au pied de la lettre ? Là est toute la question.

Or nous ne croyons pas devoir admettre une interprétation rigoureuse du mot καθεξής ; car, pour ne parler que de faits évidents, saint Luc, dès son troisième chapitre (v. 19), commet une interversion notable : l’emprisonnement de saint Jean-Baptiste est raconté par lui avant le baptême du Sauveur ; pareillement, au chapitre IX (v. 51), il relate un incident arrivé pendant le dernier voyage de Jésus à Jérusalem, et cependant, après cet incident, le même évangéliste nous montre plusieurs fois encore le Sauveur en Galilée. Ces deux transpositions sont évidentes et ne sont pas les seules. Nous en concluons que la déclaration de saint Luc comporte une certaine latitude d’interprétation. Mais, au contraire, en l’appliquant d’une manière générale, on doit convenir que l’auteur l’a grandement réalisée. Depuis l’annonce de la naissance de saint Jean-Baptiste jusqu’à la captivité de saint Paul à Rome, son histoire embrasse une période de près de soixante-dix ans ; or, pendant la seconde moitié de cette période, dans les Actes des Apôtres, saint Luc suit évidemment l’ordre des temps ; il le suit encore généralement, dans la première moitié qui est l’évangile, et, si nous découvrons quelques interversions parmi les faits pressés et nombreux arrivés durant les trois ans et demi de la prédication du Sauveur, ces interversions sont rares et ne sont séparées de leur véritable date que par un intervalle de quelques jours ou de quelques mois au plus. Ajoutons que saint Luc semble indiquer lui-même ces interversions, car la formule assez ordinaire de ses transitions, καί έγένετο, et il arriva, ne démontre aucune succession bien précise dans les faits racontés.

IV. Il est bien vrai encore que saint Marc se trouve d’accord avec saint Luc pour l’ordre des faits ; mais nous avons vu que, d’après le témoignage formel d’un disciple du Sauveur, cela même est un argument péremptoire contre saint Luc, attendu que l’ordre de saint Marc est fautif. L’accord des deux évangélistes a du reste une explication historique qui lui enlève toute sa valeur : tous les deux ont écrit à Rome, et saint Luc a eu sous les yeux l’évangile de saint Marc, tandis qu’il n’a dû connaître qu’indirectement celui de saint Matthieu ; rien donc de moins étonnant qu’il ait suivi uniquement l’ordre donné par le disciple de saint Pierre, et cela ne préjuge rien contre l’autorité de saint Matthieu.

VI. Quant à ce dernier, s’il n’a point mis de préface à son évangile, il ne faut pas oublier que tel était l’usage des écrivains hébreux. Il n’a donc fait aucune déclaration préalable ; mais est-ce une raison pour lui dénier l’intention de suivre l’ordre des temps dans ses récits ? Nous regardons comme un principe incontestable que tout historien a naturellement l’intention de suivre cet ordre et si ce principe doit être appliqué spécialement, c’est aux auteurs hébreux qui ont écrit l’histoire. Depuis Moise jusqu’à saint Jean, tous ces auteurs se font remarquer parle soin qu’ils mettent à suivre l’ordre des temps. Saint Matthieu et saint Luc sont historiens ; tous deux ont eu cette intention, et certes elle n’a pas été vaine quant à l’effet, car tous deux s’accordent pour le classement de la plupart des faits. Mais quand le désaccord existe, une critique éclairée doit nécessairement tenir compte de l’autorité de saint Matthieu.

VII. Certes nous sommes loin de prétendre que ce dernier n’a transposé aucun fait, et que l’ordre donné par lui doit être aveuglément suivi, mais nous croyons

[ici, il manque les pages 288 et 289 du livre]

synagogue s’approcha en disant : Seigneur, ma fille vient de mourir... etc. Au contraire saint Luc (V, 39, et VIII, 41) et saint Marc (II, 28 et V, 22) rapportent le même miracle longtemps après, et séparent ainsi les faits que saint Matthieu unit expressément. Or le texte de ce dernier est formel, impossible à éluder, et soie témoignage inattaquable sous tous rapports ; le fait s’est passé en sa présence, dans sa propre maison, le jour même de sa conversion, c’est-à-dire dans la circonstance la plus mémorable de sa vie ; il est donc impossible qu’il se trompe sur le classement de ce fait.

On voit par là, une fois de plus, que la promesse faite par saint Luc de raconter les faits par ordre, καθεξής, doit s’entendre dans un sens large et général, puisque d’autres textes plus formels, comme le montre l’exemple précédent, prouvent que saint Luc a réellement interverti quelques faits.

 

 

 



[1] Epist. II. ad Corinth., VIII, 18.

[2] Orig. In Matth., Patrologie grecque de Migne, t. XIII, col. 828.

[3] Voir pour toute cette discussion : Lardner, Credibility of the Gospel, part. II, t. II à VII de l’édition de 1838 ; et Norton, The Evidences of the Gen. of the Gospel, Cambridge, 1846.

Comparez, pour saint Clément, Epist. ad Corinth., I, § 46, et Matth., XVIII, 6, ainsi que Marc, IX, 42, et Luc, XVII, 2. — Cf. saint Clément, ibid., § 13, et Matth., VII, 1, 2 et 12, et Luc, VI, 36.

[4] Cf. Polyc., ad Philipp., § 2, Matth., VII, 12, et Luc, XVII, 2. — Cf. Polyc., ibid., § 6 et 7, et Matth., VI, 12 et 13, VII, 44, et XXVI, 41.

Cf. Ignat., ad Ephes., § 14, et Matth., XII, 33, — Ignat., ad Smyrn., § 1, et Matth., III, 16 — Ignat., ad Trall., § 11, et Matth., XV, 13. — Ignat., ad Roman, § 7, et Joan., XII, 31 ; XIV, 30 ; XVI, 11. — Ignat., ad Philad., § 9, et Joan., X, 19.

[5] Epist. ad Philadelph., § 5.

[6] Voir Eusèbe, Hist. ecclés., l. III, c, 39. Saint Papias avait lui-même été disciple de Jean le Prêtre ou l’Ancien, comme nous l’attestent saint Irénée qui a vécu dans le même siècle (V, 33) et Eusèbe (III, 39).

[7] Apologie, I, 66, p. 83, B ; édit. Paris, 1742.

[8] Apologie, I, 61, p. 83, D.

[9] Saint Justin, édit. Paris, 1742, Apologie, I, 16, p. 53, E, et Matth., VII, 21. — Dialog. c. Tryph., 107, p. 201, G, et Matth., XII, 39 et XVI, 4. Ibid., 49, p. 145, E, et Matth., XVII, 12, etc., etc.

Voir, pour toutes les autres citations, Norton, Evidences or the Genuin, of the Gospel, part. II, 10, p. 200, et M. Wallon, De la croyance, etc., c. I, p. 37-44.

Dans sa Vie de Jésus, M. Renan avait prétendu que l’évangile de saint Matthieu, au temps de Papias, n’était pas le même qu’aujourd’hui. Les citations de saint Justin, contemporain de Papias, celles de saint Irénée, de Tertullien, et surtout les travaux d’Origène montrent trop la fausseté d’une pareille assertion.

[10] Asaémani a découvert une version arabe de cette concorde, et l’a fait publier à la fin du tome I de la Bibliothèque orientale.

[11] Voir l’ouvrage d’Origène intitulé : Contre Celse. — Celse, dit-il, convient que toutes ces choses ont été écrites par les disciples de Jésus. (Ibid., II, 16).

[12] C’est du moins le sens probable de ces mots : Μετά τούτων έξοδον. Plusieurs critiques pensent que ce passage de saint Irénée a pu être altéré par les copistes quant à l’indication des époques. Voir sur ce sujet Tillemont, Hist. ecclés., t. I, p. 647, et t. II, p, 546, et le P. Patrizzi, De Evang., l. I, c. II, p. 15.

Il est plus probable que saint Irénée, mal informé ou mal servi par ses souvenirs, aura commis lui-même une inexactitude. Cf. saint Irénée, l. III, c. 1.

[13] Grotius affirme avoir lu dans un ancien manuscrit de saint Irénée : Μετά δε τήν τούτου (l’évangile de saint Matthieu) έκδοσιν. Cette version détruirait la principale difficulté. (Comment. in Matth., init.)

[14] Marcus Petri sectator, prœdicante Petre, Evangelium palàm Romæ scripsit ex his quæ dicta sunt, Evangelium quod secondum Marcum vocatur (Clément d’Alexandrie, Stromates, l. IV).

[15] Voir The Evidences of the Genuineness of the Gospel, note B, p. XCVIII.

[16] Voir Dom Ceillier, Auteurs sacrée, saint Matthieu, art. II, 1.

[17] Rufin, l. X, c. 9, et Socrate, I, 19.

[18] Nous n’examinons point ici l’opinion assez problématique de l’identité de Marc l’évangéliste et disciple de Saint Pierre, avec Jean-Marc qui fut longtemps disciple de saint Paul, et que celui-ci retrouva à Rome vers l’an 60, E. C. (Epist. ad Coloss., IV, 10). Même dans l’hypothèse de cette identité, il est vrai de dire que Marc a quitté Jérusalem en l’an 42. Mais alors il aurait commencé par accompagner saint Paul et non saint Pierre, et il faudrait reculer de quelques années la date de l’an 44 que donne Eusèbe à la publication du second Évangile, et celle de 62, à laquelle saint Jérôme rapporte ici la mort de saint Marc.

[19] Clément d’Alexandrie, cité par Eusèbe (Hist., VI, 14), a paru contredire ce fait, en rapportant que, suivant une tradition, les Évangiles contenant des généalogies (Matth, et Luc) étaient antérieurs aux deux autres (Marc et Jean). Cette tradition vague disparaît, en ce qui touche saint Marc et saint Luc, devant l’unanimité des témoignages historiques qui constatent l’antériorité de saint Marc. La même chose est pleinement confirmée par l’examen interne des Évangiles (voir plus loin, au § II).

[20] Ce rapport entre les deux années est erroné ; la quatrième année de Néron (Octobre 57, E. C.) est antérieure à la première captivité de Paul a Rome (59-61, E. C.).

[21] Eusèbe dit pareillement. Luc a vécu dans la plus étroite intimité avec Paul et a eu des relations suivies avec les autres Apôtres. (Hist., 94.)

[22] Saint Jérôme resserre dans l’espace d’une seule année les faits écoulés entre l’emprisonnement de Jean-Baptiste et la mort du Sauveur. L’intervalle entre ces deux événements fut réellement de deux ans et quelques mois. (Voir plus haut toute la troisième partie et spécialement le chapitre IV.)

[23] Cette date est une nouvelle preuve que le Sauveur à souffert en l’an 33 et non en l’an 29 ; car alors saint Jean, mort l’an 68 de la Passion, n’aurait pu voir le règne de Trajan (98), comme le disent saint Jérôme ici et, avant lui, saint Irénée et d’autres historiens.

[24] Le texte latin porte : quæ in nobis completa sunt rerum (les choses qui se sont accomplies parmi nous). Cette version serait décisive en faveur de l’opinion qui met saint Luc au nombre des soixante-douze disciples. Mais le texte grec que nous avons suivi est loin d’être aussi explicite.

[25] Nous pouvons enregistrer ici les aveux arrachés par l’évidence à la critique la plus hostile :

Les épîtres de saint Paul ont en effet un avantage sans égal en cette histoire ; c’est leur authenticité absolue. Aucun doute n’a jamais été élevé par la critique sérieuse contre l’authenticité de l’épître aux Galates, des deux épîtres aux Corinthiens, de l’épître aux Romains. Les raisons par lesquelles on a voulu attaquer les deux épîtres aux Thessaloniciens et celle aux Philippiens sont sans valeur (Renan, Les Apôtres, Introd. XII).

Et plus loin : Une chose hors de doute c’est que les Actes ont eu le même auteur que le troisième évangile et sont une continuation de cet évangile. On ne s’arrêtera pas à prouver cette proposition, laquelle n’a jamais été contestée.

Après une longue discussion, l’auteur conclut ainsi : Nous pensons donc que l’auteur du troisième Évangile et des Actes est bien réellement Luc, disciple de Paul.

Ce nom même de Luc ou Lucain, et la profession de médecin qu’exerçait le disciple de Paul ainsi appelé, répondent bien aux indications que les deux livres fournissent sur leur auteur (Ibid., p. 18).

[26] Saint Paul et l’auteur des Actes sont deux témoins qui suffiraient à eux seuls pour défendre contre toute attaque les bases de la loi catholique. N’y eût-il que leurs écrits, tous les mystères du christianisme : la Trinité, l’incarnation, la Rédemption, la vie, la mort et la résurrection de Sauveur ainsi que l’origine apostolique de l’Église se trouveraient invinciblement établis.

[27] De la croyance due à l’Évangile, p. 182 et 183.

[28] Que penserait-on, dit Tholurk, d’une histoire de Napoléon qui raconterait sa captivité à Sainte-Hélène, sans parler de sa mort ? On penserait qu’elle a été écrite avant sa mort. — La même conclusion doit être appliquée au récit des Actes par rapport à la mort de saint Paul.

[29] Saint Grégoire, Carmina, 33. — Saint Jérôme, Prolog. Comme in  Matth.

[30] Il y a cependant une partie notable de l’histoire évangélique où, saint Matthieu et saint Marc étant d’accord pour les faits et pour l’ordre des faits, saint Luc se tait absolument ; c’est la partie comprise entre la multiplication des cinq pains et celle des sept pains qu’Il ne donne pas. Hug (II, 41) suppose que l’omission résulte de l’analogie des deux miracles et de la similitude des phrases qui en terminaient le récit dans le manuscrit original. Le copiste, trompé par cette similitude aura passé du premier à la fin du second sans s’apercevoir de sa méprise. Cette partie comprend cinquante-deux versets en saint Matthieu (du ch. XIV, v. 22, au ch. XV, v. 39), et cinquante-huit en salut Marc (du ch. VI, v. 45, au ch. VIII, v. 9).

[31] Cf. Matth., XIII, 14-17 ; Marc, I, 21-39, et Luc, IV, 31-44. — Matth., IX, 1-13 ; Marc, II, 1-17 ; Luc, V, 17-32, et généralement tous les récits parallèles indiqués par le numéro 8 des pièces justificatives.

[32] Cf. Matth., VIII, 28 ; Marc, V, 2, et Luc, VIII, 27. — Matth., XX, 30 ; Marc, X, 46, et Luc, XVIII, 35, etc. Voir, pour ces comparaisons, les passages indiqués par le numéro 9 des notes justificatives.

[33] Voir, au numéro 6 des notes justificatives, les récits que l’on ne trouve que dans saint Luc seul.

[34] Voir, au numéro 7 des notes justificatives, l’indication des récits communs à saint Matthieu et saint Luc, et au numéro 8, les récits communs aux trois synoptiques.

[35] Voir les deux premiers chapitres de saint Matthieu et de salut Luc, et de plue la généalogie donnée par ce dernier, c. III, 23-38.

[36] Matthieu écrivit en hébreu les prédictions du Seigneur, et chacun les interpréta comme il put. (Eusèbe, Hist. ecclés., III, 39.)

[37] Voir le témoignage de Jean l’ancien rapporté par Papias et Eusèbe et cité plus haut.

[38] Voir, pour toutes ces corrélations de textes, d’une part saint Matthieu, VIII,14-17 ; X ; XI, 21-30 ; XIV, 1-14, et d’autre part saint Marc, I, 21-34 ; III, 18-19 ; VI, 1-13, 14-29 et 30-32.

[39] C’est ce qu’on voit quand saint Marc précise le jour où la belle-mère de saint Pierre fut guérie (I, 36) et celui où le figuier stérile fut maudit (XI, 21). Saint Pierre est aussi nommé par saint Marc, dans beaucoup de circonstances où son nom est omis par salut Matthieu. (Cf. Marc, V, 87 ; XIII, 3 ; XVI, 7, et Matth., IX, 26 ; XXIV, 1, XXVIII, 7.)

[40] On a remarqué les mots suivants : Κεντυρίων, Centurio (XV, 39) ; σπεκουλατώρ, speculator (VI, 31) ; κοδράντης, quadrans (XII, 42).

[41] On y trouve des constructions de phrases telles que celle-ci : Γυνή... ΉΣ εΐχε θυγάτριον ΑΎΤΉΣ πνεΰμα άκάθαρτον (VII, 25).

[42] Voir Patrizzi, De Evang., l. I, c. I, n. 22.

[43] Maldonat dit même que l’unanimité des interprètes pense ainsi (Comment. in Matth., loco citato).

[44] Matthæi itaque opus non ίστορικόν est, sed έλεγκτικόν, eoque tendit quo diximus ut Judæis probet Jesum esse Messiam (Patrizzi, De Evang., lib. I, c. I, n. 23.)

[45] Cette assertion a été contestée par plusieurs critiques, la plupart protestants. Nous avouerons humblement ici n’avoir jamais bien compris la force des raisons qu’ils allèguent en faveur de leur opinion. Le texte hébreu, disent-ils, n’existe pas, et ensuite les libres allures du texte grec, les citations de l’Ancien Testament, souvent différentes du texte conservé par les Juifs, prouveraient l’originalité du texte grec de saint Matthieu. Mais : 1° si le texte hébreu n’existe plus aujourd’hui, comme tant d’autres ouvrages écrits dans cette langue, saint Jérôme, saint Épiphane et d’autres nous assurent qu’il existait encore de leur temps, au quatrième siècle, et que l’évangile des Nazaréens n’était autre que ce texte lui-même ; 2° nous ne voyons pas en quoi les allures du texte grec seraient incompatibles avec l’aisance d’une bonne traduction ; et 3° quant aux citations que l’auteur emprunte à l’Ancien Testament, si elles ne s’adaptent pas toujours parfaitement aux exemplaires hébreux actuels, les différences sont cependant moins fréquentes et moins sensibles que celles de la traduction de ces mêmes textes, dans les Septante.

[46] Voir ch. I, 29, 35, 39,43 ; II, 1, 13, 20, 23 ; III, 24 ; IV, 1, 85 ; V, 1 ; VI, 4 ; VII, 2, 14, 37 ; X, 22 ; XII, 1, 12 ; XIII, 1 ; XIX, 14, 31 ; XX, 1, 19, 26.

[47] Voir évangile de saint Jean, I, 35-40. — Tous les interprètes ont reconnu saint Jean dans le disciple qui était avec saint André dans cette circonstance.

[48] Voir, pour la comparaison des textes, les trois derniers chapitres de chaque évangéliste.

[49] Bible de Vence, édit. in-8°, t. 19, p. 421. Hug, Einleitung in die Schriften des Neuen Testaments, et Patrizzi, De Evangeliis, l. II.