ÉTUDES CHRONOLOGIQUES POUR L'HISTOIRE DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

DEUXIÈME PARTIE  — DATE DE LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST

CHAPITRE III — Le dénombrement général.

 

 

En ces jours-là arriva un édit de César-Auguste ordonnant le dénombrement général de l’univers. Ce dénombrement est le premier qui se fit sous la direction de Quirinius en Syrie[1].

Or, tous allaient se faire inscrire, chacun en sa propre ville ; et Joseph aussi monta de Nazareth, ville de Galilée en Judée, dans la ville de Bethléem parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie son épouse alors enceinte.

Et il arriva que pendant qu’ils étaient, les jours de son enfantement s’accomplirent et elle enfanta son fils premier-né, elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’avait pas pour eux de place dans l’hôtellerie (Saint Luc, II, 1-8).

Toutes les indications données ici par l’historien sacré sont très précieuses, et il importe de les bien constater

Ainsi : 1° le dénombrement qui a coïncidé avec la naissance du Sauveur a été général pour toutes les provinces de l’empire romain.

2°, Ce dénombrement a été fait dans le gouvernement de Syrie sous la direction de Quirinius.

3° Le même Quirinius a dirigé plus d’un recensement semblable, et celui dont il s’agit ici a été, d’après le texte, le premier que ce magistrat fit exécuter en Syrie.

Ce dénombrement a-t-il aussi été absolument le premier de tous en Judée ? Saint Luc ne le dit pas et nous n’avons point à nous en occuper ici.

4° Pour opérer ce dénombrement, Quirinius a exercé une certaine autorité dans tout le gouvernement de Syrie ; mais on doit reconnaître que le terme dont se sert saint Luc gour exprimer cette autorité n’implique aucunement que Quirinius ait été en même temps le gouverneur ordinaire de cette province.

Enfin c’est à l’époque où le recensement s’opérait à Bethléem, et probablement le jour même de l’arrivée de Joseph et de Marie que le Sauveur est né. Nous disons le jour même de leur arrivée : car, si la naissance de l’Enfant n’eût pas eu lieu presque aussitôt, Joseph et Marie, repoussés des hôtelleries de Bethléem, auraient eu le temps de retourner à Jérusalem qui n’en est distante que de deux lieues, ou dans tout autre village, moins encombré d’étrangers. Mais ce temps même ne leur fut pas donné : la Providence voulait que le Dieu, père et protecteur des pauvres, naquit dans une étable et fût couché dans une crèche.

Saint Luc ne nous donne pas, il est vrai, la date de ce dénombrement, mais en le mentionnant, il nous transporte sur la scène du monde romain, et là nous allons trouver une foule de documents qui vont servir de commentaires naturels au texte sacré, et nous désigner l’année précise où ces faits doivent se placer.

Le texte relatif au dénombrement est d’une importance capitale pour la chronologie évangélique, et d’autre part c’est contre lui que de modernes impies, aveuglés par une ignorance plus ou moins volontaire, ont soulevé le plus d’objections. En présence de cette importance et de ces objections, la religion et la vérité demandent que l’on répande sur cette question toutes les lumières de l’histoire et de la critique. D’autres écrivains l’ont déjà fait, mais en oubliant des faits essentiels ; aussi ce ne sera pas un hors-d’œuvre dans cet ouvrage que de rétablir tous ces faits et de démontrer la rigoureuse exactitude glu texte de saint Luc, avant d’en tirer les conclusions chronologiques qui en découlent.

Nous partagerons cette étude, en quatre paragraphes, sous les titres suivants : 1° Notions historiques sur les dénombrements ou recensements romains ; 2° Dénombrement général de l’an 4706, P. J., et mission spéciale de Quirinius en Syrie ; 3° Extension du dénombrement romain au royaume de Judée ; 4° Solution de la question chronologique, touchant l’époque de la naissance du Sauveur.

 

§ Ier. — Notions historiques sur les dénombrements ou recensements romains[2].

I. Pratique habituelle du recensement chez les Romains. — Le dénombrement ou recensement, dont il est question dans l’évangile de saint Luc, n’est pas quelque chose d’insolite dans l’histoire romaine. Tout le monde sait que cette opération, connue sous le nom de cens, avait lieu en temps ordinaire tous les cinq ans à Rome, et c’est même de là qu’on avait pris l’habitude de compter par lustre, c’est-à-dire par période de cinq années.

On voit aussi par l’histoire que plusieurs des recensements quinquennaux de Rome furent étendus au dehors, soit aux alliés de l’Italie, soit à toutes les provinces de s’empire. Ainsi, il en est plusieurs fois question hors de Rome, surtout depuis le règne d’Auguste[3].

Nous citerons seulement pour exemples : Le recensement général de l’an 4 de l’ère chrétienne, sous Claude (Tacite, Ann., XI, 25) ; celui de l’an 59, sous Néron (Ibid., XIV, 46) ; celui de l’an 74, sous Vespasien et Titus (Censorin, XVIII, Pline, VII, 49, 50) ; celui de l’an 305, lorsque Dioclétien établit la tétrarchie dans l’empire (Lydus de Magistr. Rom., 1, 4) ; et enfin le dernier dont il soit parlé expressément et qui fut opéré en l’an 400, sous le règne d’Arcadius, comme on le voit par une loi du 9 février de cette année-là (Code Théod., lib. XIII, titul. 11, leg, 10).

Nous verrons plus bas que ces recensements généraux eurent lieu sous Auguste tous les vingt ans. Ils se firent mains régulièrement sous les autres empereurs ; et à partir du règne de Titus, le recensement devint une opération purement fiscale, n’ayant d’autre objet que la fixation des impôts. Enfin une loi portée en 313 par Constantin ordonna le renouvellement du recensement général tous les quinze ans. Cette loi ayant pris le nom d’indiction, l’usage s’introduisit dès lors de compter par indiction, comme on avait auparavant compté par lustre, et cet usage est encore suivi aujourd’hui dans le comput ecclésiastique.

II. Nature des recensements sous le règne d’Auguste. — Les recensements romains avaient pour premier but de constater officiellement l’origine, le rang et la fortune de tous les habitants libres de l’empire. Mais, outre ce caractère général, les recensements, sous le règne d’Auguste, présentaient une différence essentielle suivant qu’ils s’appliquaient aux citoyens romains ou au peuple des provinces. Les citoyens romains formaient alors une caste privilégiée, exempte de tout impôt direct, et sous ce rapport le cens n’avait pour elle rien d’onéreux.

Auguste s’efforçait encore de conserver au cens des citoyens son ancienne influence morale et d’en faire une digne contre l’envahissement croissant du vice ; mais l’histoire ne parle guère de ces efforts que pour en signaler l’impuissance.

Un résultat plus facile était de constater au moyen du cens le chiffre de la population romaine.

C’est ainsi que nous savons que le nombre des citoyens romains était, vers cette époque, de quatre millions environ pour toutes les villes de l’empire ayant droit de cité romaine[4], et ce nombre de quatre millions indique pour toutes les villes romaines une population totale de douze millions au moins d’habitants, en y comprenant les esclaves[5]. L’histoire ne nous a pas transmis le chiffre de la population libre, mais non romaine, des provinces et des royaumes de l’empires les magistrats du peuple vainqueur paraissent avoir négligé ce chiffre par mépris ou par des raisons de prudence politique. Mais il n’en est pas moins certain que tous les sujets et toutes les terres de l’empire furent soumis plus d’une fois sous Auguste à l’enregistrement officiel du recensement. Cette opération faisait dès lors, dans les preuves, la base de la fixation des impôts, qui même prirent de là le nom de CENS, census. C’est ainsi que les Juifs disent à Notre-Seigneur (Matth., XXII, 17) : — Est-il permis ou non de payer le cens à César ? Licet censum dare Cæsari, an non ? — et que Notre-Seigneur leur répond : — Montrez-moi la monnaie du cens, Ostendite mihi numisma census. Nécessaire pour établir l’impôt, le recensement des provinces avait encore d’autres avantages bien précieux pour les Romains.

Ainsi, chaque individu qui se présentait pour être inscrit faisait acte de soumission au gouvernement de Rome ; il se reconnaissait sujet de l’empire, et la déclaration du recensement était même accompagnée d’un serment de fidélité[6].

Il n’est pas étonnant que ces impôts et ce serment aient soulevé parfois les répugnances des peuples jaloux de leur indépendance et c’est ce qui eut lieu en effet chez les Gaulois, les Bretons, les Espagnols et les Salasses, vers l’an 4687, P. J., et plus tard chez les Juifs et les Ciliciens[7]. Sans ces exigences, le recensement aurait été insignifiant aux yeux de ces populations, il n’aurait rencontré aucune difficulté, et les historiens n’en auraient peut-être jamais parlé, Une étude approfondie de l’histoire nous montre au contraire que presque tous les soulèvements intérieurs, qui troublèrent le règne d’Auguste, furent provoqués par l’application du recensement dans les provinces.

III. Relation du recensement avec d’autres mesures administratives, — Statistique de l’empire, — Cadastre. — Réforme des calendriers des provinces. — L’empereur Auguste, qui avait le génie de l’administration, attachait, plus que tout autre, une grande importance à ces recensements sur lesquels il réglait les autres mesures de son gouvernement politique.

Ainsi Dion, Suétone et Tacite[8] nous assurent, qu’il avait écrit une véritable statistique de l’empire. Ce mémoire, que Tacite nomme simplement libellum, mais que Suétone désigne avec plus de précision par le titre de Breviarium totius imperii, contenait le résumé de toutes les ressources de la république, le nombre des soldats, l’état des flottes, des provinces, des royaumes, des impôts de toute nature, des dépenses nécessaires et même des gratifications. Auguste avait écrit le tout de sa propre main, en y ajoutant le conseil de ne plus étendre l’empire (Tacite, Annales, I, c. 11). Un tel abrégé (breviarium) suppose nécessairement des données plus considérables, que les recensements pouvaient seuls fournir.

Aussi c’est Auguste lui-même qui nous a fourni, dans un monument officiel, l’indication la plus authentique sur le recensement général que nous avons spécialement en vue ; nous reproduisons à la fin de ce paragraphe cette précieuse indication, telle qu’elle se trouve gravée sur les marbres d’Ancyre.

Les recensements des provinces faisaient partie d’un grand système d’opérations auquel on doit avec Cassiodore[9] rattacher une description cadastrale de tout l’empire, exécutée vers la même époque. Les différentes mentions de cette description autorisent même à penser qu’elle a dû se renouveler plusieurs fois sous Auguste.

Pline l’ancien, cinquante ans plus tard, donne minutieusement les mesures de toutes les provinces romaines avec une précision et dos détails qui prouvent bien l’existence des documents officiels rédigés au temps de cet empereur.

Il dit, en parlant de la Bétique, qu’Agrippa lui-même fut chargé d’en lever le plan ; comparant ensuite ce plan d’autres plus récents, il attribue les différences qu’on y trouve à une délimitation de province et il ajouta : Qui pourrait penser qu’Agrippa, homme d’une si grande exactitude et qui donnait tous ses soins au projet de mettre sous les yeux de l’univers le tableau de l’univers lui-même, ait pu se tromper ainsi et avec qui le divin Auguste car ce prince acheva le portique qui avait été commencé, d’après l’intention et les notes du même Agrippa, pour recevoir ce tableau (III, 3).

Le géomètre Frontin, contemporain de Pline, cite les livres officiels d’Auguste où se trouvaient inscrites toutes les mesures des provinces ; il donne même le nom de l’ingénieur en chef qui fit l’une de ces descriptions cadastrales. Balbus, dit-il, pendant le règne d’Auguste, a consigné clam ses registres les plans et les mesures de toutes les provinces, de toutes les cités ; c’est aussi lui qui a rédigé et publié les lois qui régissent la propriété foncière clams tout l’empire[10].

Un exemplaire de ce cadastre était même déposé dans les archives du palais, et on pouvait y recourir dans les contestations, tant il offrait de précision dans ses détails[11].

La première idée de ce grand travail est attribuée à Jules César, qui en l’an 4670, P. J., l’avait fait ordonner par un sénatus-consulte. En vertu de cet édit, l’empire divisé en quatre parties avait été mesuré : l’Occident par Didyme, l’Orient par Zénodore, le Nord par Théodote et le midi par Polyclète[12]. Cette première opération, qui fut sans doute interrompue par les guerres civiles de ce temps, ne se termina que vingt-cinq ans plus tard, sous Auguste (4694, P. J.).

La Judée avait-elle été comprise dans ce premier travail ? Il est possible que les Romains aient alors respecté l’indépendance nominale du royaume d’Hérode ; mais il est certain qu’il n’en fut pas ainsi, pour l’opération du recensement, l’époque de la naissance du Sauveur ; il semble même que les petits royaumes de l’Orient furent alors soumis à la description cadastrale en même temps qu’au recensement, car Pline place précisément à cette époque la mission de Denys le géographe, envoyé par l’empereur pour tout enregistrer dans les provinces d’Orient. (Hist. nat., VI, 31)

Une autre mesure qui se rattache encore au recensement général, quoique d’une manière indirecte, c’est la réforme universelle des calendriers usités dans l’empire, lesquels furent tous modelés sur le calendrier Julien de Rome. Cette réforme fut ordonnée par Auguste à la suite et à l’occasion du premier recensement général qui commença en l’an 4686 et dura plusieurs années.

C’est ça qu’atteste saint Isidore de Séville en ces termes : L’étendue des différentes années a été fixée par César Auguste lorsqu’il acheva le premier recensement et fit la description de l’univers[13].

Si maintenant nous consultons l’histoire pour y découvrir l’application ale cette réforme, nous voyons en effet que ce fut en l’an 4689 que les Égyptiens, les Grecs, et sans doute aussi les autres peuples adoptèrent pour la première fois l’année solaire fixe des Romains, qui était de 365 jours et 6 heures[14].

Le principal motif de cette réforme parait avoir été la collection des impôts établis par le recensement. Ces impôts se payaient chaque mois, alors comme aujourd’hui, et il était important de fixer exactement cette échéance mensuelle en établissant l’uniformité des calendriers. Outre cet avantage général, on pouvait ainsi prévenir plus facilement l’abus reproché à Licinius, l’un des intendants envoyés dans les Gaules, lequel avait trouvé moyen de compter quatorze mois au lieu de douze dans une année, et cela afin de faire payer deux mois d’impôts en plus.

On voit par toutes ces mesures administratives que, si les Romains avaient eu à leur disposition les moyens d’action que donnent les inventions modernes, leur administration aurait été encore plus minutieuse que la nôtre. Mais aussi quelle n’aurait pas été la tyrannie d’une autorité qui se fût ainsi exercée partout et toujours, surtout dans des siècles où la conscience chrétienne n’aurait ni modéré, ni dirigé cette excessive puissance !

IV. Lieu prescrit pour le recensement. — Lorsqu’il s’agissait da recensement des personnes, l’usage consacré, en 4525, P. J., par un édit du consul Claudius, exigeait que chacun fût inscrit dans le lieu de sa naissance.

Ainsi, en l’an 4541, P. J., lorsque les censeurs voulurent clore le lustre, le consul L. Postumius Albinus ordonna du haut de la tribune à tous les alliés d’origine latine de retourner dans leur pays, afin qu’aucun d’eux ne fût porté sur le cens de Rome, mais bien sur celui de leurs cantons respectifs[15].

Velleius Paterculus dit même qu’à l’époque du cens on faisait revenir des provinces en Italie les citoyens qui devaient être inscrits à Rome[16]. Plus tard, les absents trop éloignés furent facilement dispensés du retour, mais cette dispense même n’était qu’une exception à la loi.

Quant à la déclaration des biens fonds, le droit romain (Ulpien, au Digeste, l. L, tit. XV), nous apprend que de son temps elle devait être faite au chef-lieu du territoire où ces biens se trouvaient. Mais il est peu probable que saint Joseph ait été appelé à Bethléem pour une déclaration de biens-fonds, et le recensement des biens parait avoir été fait beaucoup plus tard[17].

Ainsi on voit, en comparant le texte de saint Luc avec les usages de l’empire romain, que saint Joseph devait être non seulement originaire, mais encore natif de Bethléem. L’Évangéliste semble même avoir voulu énoncer ce fait, lorsqu’il ajoute, en parlant de ce saint Patriarche, qu’il était de la maison et de la famille de David, έξ οΐκου καί πατριάς Δαβίδ. Ces deux mots, maison et famille, doivent naturellement avoir un sens différent, car autrement ils constitueraient un pléonasme tout fait contraire aux habitudes des historiens sacrés. Le P. Patrizzi, qui fait cette remarque, se fonda sur l’autorité du philologue Suidas pour attribuer au mot πατριά le sens de patrie, tout en donnant à οΐκος le sens figuré de descendance ou famille (Diss., XVIII, 9). Nous préférons éviter le pléonasme, tout en admettant la traduction de la Vulgate et, laissant ces deux mots leur signification naturelle, nous traduisons πατριά par famille et οΐκος par maison, dans le sens réel et non figuré.

Cette remarque de saint Luc donne ainsi à entendre que, conformément aux mœurs des Juifs, la maison patrimoniale de David était restée à ses descendants et que saint Joseph, issu en ligne directe de ce prince, y avait pris naissance.

V. Étendue de la déclaration exigée pour le recensement. — Quant la déclaration même exigée pour le recensement, on voit par les historiens et les lois de cette époque qu’elle comprenait des détails très étendus. Ainsi tous les hommes de condition libre devaient donner leurs noms et, après avoir prêté un serment déterminé, indiquer leur domicile, la valeur de leurs biens, le nom de leur père, de leur mère, de leur femme et de leurs enfants (Denys d’Halic., IV, 5 et 15).

Le jurisconsulte Ulpien, né à Tyr en Phénicie, environ 150 ans après Jésus-Christ, donne en outre le renseignement qui suit :

L’âge des personnes doit être compris dans la déclaration du recensement, parce que l’âge peut quelquefois exempter du payement de l’impôt, comme cela a lieu en effet dans les provinces du gouvernement de Syrie, où l’impôt de la capitation n’est exigé qu’après l’âge de quatorze ans pour les hommes, et l’âge de douze ans pour les femmes. (Ulpien, I, 11, De censibus, au Digeste, l. L, tit. XV, 3).

Toutes ces prescriptions nous montrent que les Pères, saint Justin, Tertullien, Orose[18] et autres étaient parfaitement renseignés quand ils disent que Jésus fut inscrit sur les registres romains, quoiqu’il ne fit que naître. Nous voyons aussi que par suite de cette inscription il dut payer l’impôt de la capitation quatorze ans plus tard, suivant l’usage du gouvernement de Syrie dont la Judée faisait partie.

VI. Obligation pour les femmes de condition libre de faire en personne la déclaration du recensement[19]. — Nous venons de voir que les femmes étaient soumises à l’impôt personnel aussi bien que les hommes, et de plus que la connaissance de leur âge était nécessaire pour satisfaire aux indications requises ; il est dès lors naturel de conclure qu’elles devaient aussi se présenter en personne et faire elles-mêmes leur déclaration devant les commissaires du recensement.

On ne peut refuser d’admettre cette obligation pour les femmes, quand on sait d’autre part que, dans les villages de l’empire romain, elles devaient aller elles-mêmes, une fois l’an, payer l’impôt de la capitation, le numisma census.

Voici en effet ce que Denys d’Halicarnasse, l’un des contemporains d’Auguste, dit ce sujet : Dans chaque village, Servius Tullius institua des magistrats chargés de connaître les contribuables et leur fortune, de convoquer les habitants, de les appeler aux armes et de lever les impôts... Il institua aussi une fête annuelle qu’on célèbre avec la plus grande solennité, sous le nom de paganalia, et les Romains observent encore aujourd’hui les lois qu’il établit pour les sacrifices de cette fête. Lorsque les habitants se réunissent en cette occasion, il leur est ordonné d’apporter chacun une pièce de monnaie, et cette pièce est différente pour les hommes, pour les femmes et pour les enfants, de telle sorte que ceux qui président aux sacrifices connaissent ainsi le nombre des habitants de chaque bourg, suivant leur âge et leur sexe (IV, 4).

Si les femmes devaient se présenter en personne dans cette occasion, à bien plus forte raison devaient-elles être obligées pour l’opération du recensement.

Sozomène, parlant d’une opération semblable exécutée à Césarée, sous Julien l’Apostat, s’exprime en ces termes : La multitude des chrétiens, avec les femmes et les enfants, avait reçu l’ordre de se faire inscrire. (Hist. ecclés., V, 4.)

Un passage de Cicéron parait, aussi indiquer la même obligation ; il dit, en parlant d’un affranchi de Verrès chargé de diriger le recensement dans quelques villes : Les alliés du peuple romain ont dû remettre à la merci de Timarchis les enfants, les mères de famille, les biens et les fortunes de tous. (In Ver., II, 56.)

Ces textes paraissent décisifs, et quand bien même cette opération n’aurait pas été imposée aux femmes dans tous les dénombrements, elle a dû l’être dans quelques-uns, et surtout dans celui qui fut le premier de tous en Judée. N’oublions pas non plus que la sainte Vierge et saint Joseph étaient de la famille royale de David, et que cette origine pouvait rendre plus graves à leur égard les obligations du recensement.

Quant au lieu prescrit pour cette déclaration, la condition de la femme suivant celle du mari, il est encore tout naturel de conclure que celle-ci devait se faire inscrire avec ses enfants au même lieu que ce dernier, et cela sans que ce lieu fût pour elle celui de sa naissance.

C’est ainsi que la sainte Vierge Marie, quoique née à Nazareth suivant la tradition, a dû cependant venir à Bethléem, afin de s’y faire inscrire avec saint Joseph, son époux.

VII. Délégués impériaux chargés de faire exécuter le recensement dans les provinces. — L’empereur Auguste, tout en affectant la plus grande modération, avait su concentrer en sa personne tous les pouvoirs et toutes les principales dignités de la république, il était souverain pontife, et empereur, et dieu, et tout dans l’État. Quant au titre de censeur, il avait la modestie de le refuser ; mais l’histoire nous apprend que c’était en son nom et par ses ordres que le recensement s’exécutait partout.

Suidas, commentant le mot άπογραφή dans son Lexique, décrit ainsi le mode employé par l’empereur pour cette opération : — César Auguste, ayant établi la monarchie dans l’empire, choisit vingt personnages des plus distingués par leur vie et leur probité, et il les envoya dans toutes les provinces soumises à sa puissance pour faire, en son nom, le recensement des personnes et des biens ; il ordonnait en même temps de prélever d’après cette opération, un tribut pour le trésor public.

Les faits historiques confirment parfaitement l’indication de Suidas ; ils nous montrent que l’opération du recensement était complètement en dehors des attributions ordinaires des préfets ou proconsuls qui gouvernaient les provinces, et que presque toujours l’empereur la confiait à un délégué spécial.

Il n’est pas difficile de deviner les motifs de cette délégation particulière : outre les raisons politiques qui portaient les empereurs à ne pas donner tous les pouvoirs au même fonctionnaire, les gouverneurs des provinces, si souvent accusés de concussion, avaient trop d’intérêt à fausser les indications touchant la rentrée des impôts, pour qu’on pût leur confier l’entière exécution du recensement.

Ces délégués extraordinaires étaient des lieutenants de l’empereur ainsi désignés : Legatus Augusti pro prœtore ad census, — ad census accipiendos. — Censitor[20].

Les titres de propréteurs et de légats d’Auguste, donnés aux censiteurs des provinces, montrent bien que ses fonctionnaires étaient revêtus d’une dignité au moins égale à celle des légats ou gouverneurs ordinaires. Sous les premiers empereurs, la fonction de censiteur n’était attribuée qu’à des personnages consulaires ou tout au moins honorés de la préture[21]. Une inscription trouvée à Lyon et citée par Gruter (355, 6) et par Henzen (6944) remarque, comme un titre d’honneur, que Marcianus Antistius est le premier des chevaliers auquel l’opération du recensement ait jamais été confiée. Or ce fait remonte au plus tôt au règne de Marc-Aurèle.

Ces hauts fonctionnaires se faisaient aider dans cette opération par des officiers subalternes que les inscriptions de cette époque appellent adjutores ad census[22].

Ulpien, dans ses livres sur le cens (Digeste, l. L, tit. XV, 4), nomme toujours les commissaires du recensement, censitores, censiteurs ; c’est le nom que nous leur donnerons nous-mêmes pour les distinguer des censeurs de Rome et des lieutenants ordinaires, envoyés comme préfets dans les provinces.

Nous pouvons, en nous bornant au seul pays des Gaules, trouver de nombreux exemples de cette mission spéciale pour le recensement. Ainsi les six provinces des Gaules avaient chacune un propréteur ou gouverneur spécial, lorsqu’en l’an 4687, P. J., l’empereur alla à Narbonne diriger lui-même le recensement, et lorsqu’il délégua ensuite Drusus pour continuer dans ces mêmes provinces la même opération. (Dion, III, p. 512, Tite Live, Epitomé, 136, 137.)

Pareillement, en l’an 4727, Tacite, après avoir cité les commandants militaires Silius et Cecina, qui occupaient les provinces du Rhin, nous apprend que Germanicus, muni d’un pouvoir suprême, exécutait alors le recensement de toutes les Gaules (Annales, I, 31 et 33). Cette opération ayant été interrompue par les séditions qui suivirent la mort d’Auguste, et par différentes expéditions militaires, Germanicus la fit terminer deux ans plus tard en subdéléguant à sa place P. Vitellius et Cantius (Annales, II, 6).

Pareillement, en l’an 4774, Tacite relate le recensement des Gaules opéré par des personnages éminents, Quintus Volusius, Sextus Africanus et Trebellius Maximus ; tandis qu’un peu plus haut il mentionne les propréteurs ou gouverneurs ordinaires de ces provinces savoir Dubius Avitus et Curtilius Mancina pour les deux Germanies, Ælius Gracilis pour la Belgique, et Lucius Vetus pour la Celtique ; il faut joindre Sulla, désigné un peu plus bas comme gouverneur de la Narbonnaise, le propréteur de l’Aquitaine restant seul inconnu. (Ibid., XIV, 46 et sqq.)

Il en fut de même pour le recensement de la Syrie, à l’époque de la naissance du Sauveur ; cette province avait son gouverneur ordinaire qui était Sentius Saturninus, et après lui Quintilius Varus, ce qui n’empêcha pas que Quirinius et Denys le Géographe n’y fussent envoyés pour exécuter le recensement.

On voit par ces exemples, et notamment par ceux de Germanicus et d’Auguste lui-même prenant part au recensement des Gaules, que cette opération était considérée comme l’une des plus importantes, et que les premiers personnages de l’empire étaient appelés à la diriger. Aussi il n’est pas étonnant que Germanicus, alors chargé de remplir cette fonction, ait reçu en même temps le commandement suprême des armées du Rhin. Regimen summœ rei penes Germanicum, agendo Galliarum censui tum intentum. Il n’est pas étonnant non plus que saint Luc ait pu, dans une occasion semblable, attribuer au censiteur Quirinius, en Syrie, une très grande autorité, sinon la principale.

VIII. Date des recensements quinquennaux de Rome sous le règne d’Auguste. — On peut prouver, par les historiens du règne d’Auguste, que ce prince fit observer tous les cinq ans, à Rome, l’opération du recensement, et même qu’il l’étendit plusieurs fois au reste de l’Italie et à toutes les provinces de l’empire.

Ainsi il est question du recensement en l’an 4686, P. J., ou 28 avant l’ère chrétienne. Le nombre des citoyens romains, dans tout l’empire, s’élève alors à 4.063.000. (Dion, LIII, p. 512. Chronic. Eusebii ad hunc ann. — Inscription d’Ancyre.)

Pareillement cinq ans après, en l’an 4691, nouveau cens à Rome ; Auguste refuse le titre de censeur perpétuel et nomme, pour exercer les fonctions du lustre, Minucius Plancus et Paulus Emilius. Ce furent les derniers particuliers investis de cette dignité que le pouvoir impérial devait ensuite absorber. (Dion, LIV, p. 521, et Velleius Paterc., II, 49.)

Cinq ans après, en l’an 4636, P. J., l’Empereur soumet les membres du sénat à une révision sérieuse, et fait en même temps porter des lois sévères contre le dérèglement des mœurs. (Dion, LIV, p. 529.)

Cinq ares après, en l’an 4761, Auguste complète le nombre des sénateurs pair de nouvelles nominations. (Ibid., p. 540.)

Cinq ans après, en l’an 4706, le nombre des citoyens romains répandus dans tout l’empire s’élève à 4.293.000 (Inscription d’Ancyre citée plus bas). C’est ce recensement dont l’exécution est mentionnée en Judée par Saint Luc, comme ayant concordé avec l’époque de la naissance du Sauveur.

Cinq ans après, en l’an 4711, a lieu le recensement dont parle Orose (Hist., VIII, 2) et auquel un grand nombre d’auteurs anciens et modernes ont rapporté la naissance du Sauveur. C’est à l’occasion de ce même recensement, qu’Auguste réduisit à 200.000 le nombre des prolétaires qui participaient, à Rome, aux distributions gratuites de blé. (Dion, LV, p. 554.)

Cinq ans après, en l’an 4716 de la période julienne, ou 3 de l’ère chrétienne, Auguste rétablit la fortune de plusieurs patriciens, laquelle était tombée au-dessous du cens, sans qu’il y eût faute de leur part. Dion Cassius (Ibid., p. 557) explique comment et pourquoi ce recensement ne fut étendu qu’aux habitants de l’Italie.

Cinq ans après, en l’an 4721, P. J., l’empereur fait porter des lois sévères contre les célibataires nobles qui, cédant à un libertinage honteux, laissaient les grandes familles de Rome s’éteindre faute d’héritiers (Ibid.).

Enfin, cinq ans après, en l’an 4726, P. J., eut lieu le dernier recensement opéré sous Auguste. La clôture s’en fit l’année suivante 4727, quelques mois seulement avant la mort de ce prince. Il y avait alors 4.137.000 citoyens romains, chiffre inférieur de prés de 100,000 au nombre obtenu vingt et un ans auparavant, en 4706. (Ibid., p. 588. — Inscript. d’Ancyre.)

Tel est le relevé historique des recensements quinquennaux opérés sous Auguste, depuis la bataille d’Actium jusqu’à sa mort.

IX. Date des recensements généraux opérer dans tout l’empire sous le règne d’Auguste. — Parmi les recensements que nous venons d’énumérer, il y en a trois, beaucoup plus importants que les autres, parcs qu’ils furent étendus à toutes les villes de l’empire ayant droit de cité romaine.

V’est l’empereur lui-même qui a pris soin de nous donner la date et le résultat de ces trois recensements principaux.

Auguste, dit Suétone, avait laissé trois volumes écrits de sa propre main ; le premier contenait des dispositions pour ses funérailles ; le second était un TABLEAU DES ACTES DE SON RÈGNE, Indicem rerum a se gestarum, et il ordonnait de le graver sur deux tables d’airain que l’on devait placer devant son Mausolée ; le troisième était une statistique de tout l’empire.

Le second volume, dont parle ici Suétone, ce précieux tableau des actes d’Auguste, que cet empereur avait écrit lui-même pour être ensuite gravé sur l’airain, a été retrouvé depuis à Ancyre, copié sur les marbres du temple de Rome et d’Auguste, et il a acquis une immense célébrité sous le nom d’Inscription d’Ancyre.

C’est ce monument, unique dans l’histoire du monde, par son importance et la majesté de son style[23], qui nous donne la date ries trois principaux recensements opérés sous Auguste ; nous reproduisons ici cette partie de la célèbre inscription, telle qu’elle se lit encore à Ancyre ; le temps en a détruit quelques lettres ; mais le sens général reste clair et il est confirmé, du reste, par deux autres inscriptions grecques qui ne sont que la traduction de l’inscription latine[24].

INSCRIPTION D’ANCYRE.

première partie, douzième colonne, à gauche en entrant dans le pronaos du temple.

En voici la traduction :

Étant consul pour la cinquième fois, j’ai augmenté le nombre des Patriciens d’après l’ordre du peuple et du sénat ; j’ai fait trois fois la révision du sénat, et durant mon sixième consulat (4686, P. J., et 728 de Rome), j’ai fait le cens du peuple, ayant Marcus Agrippa pour collègue ; j’ai accompli les cérémonies du lustre, après quarante et un ans d’intervalle, et dans ce lustre quatre millions cent soixante-trois mille citoyens romains ont été inscrits.

UN AUTRE LUSTRE A ÉTÉ CLOS PAR MOI SEUL, AVEC POUVOIR CONSULAIRE, CENSORINUS ET ASINIUS ÉTANT CONSULS (4706, P. J., et 746 de Rome, 8 avant l’ère chrétienne), et dans ce lustre, quatre millions deux cent trente-trois mille citoyens romains ont été inscrits.

Un troisième lustre a été clos par moi, avec pouvoir consulaire, et ayant Tibère César pour collègue, sous le consulat de Sextus Pompée et de Sextus Apuleius (4727, P. J., et 767 de Rome) ; dans ce lustre, quatre million cent trente-sept mille citoyens romains ont été inscrits.

Suétone confirme parfaitement les données de cette inscription quand il dit dans la Vie d’Auguste :

Ce prince fut aussi chargé à perpétuité de la surveillance des mœurs et du soin de faire exécuter les lois ; c’est en vertu du droit que lui conférait cette charge, quoiqu’il ne fût pas revêtu du titre de censeur, qu’il procéda TROIS FOIS au recensement du peuple, la première et la troisième fais avec un collègue, et LA SECONDE FOIS SEUL.

Comme il est historiquement certain qu’Auguste a fait plus de trois fois par lui-même le cens quinquennal de Rome, on voit que Suétone veut seulement indiquer ici sommairement les trois grands dénombrements relatés dans l’inscription d’Ancyre. Cela est confirmé par cette remarque du même historien, savoir qu’Auguste fit le premier et le troisième dénombrement avec un collègue, c’est-à-dire avec Agrippa en l’an 4686, et Tibère en l’an 4727, tandis que le second dénombrement, celui de l’an 4706, fut présidé par lui seul, comme le marque l’inscription.

Le chiffre seul de quatre millions de citoyens romains nous indique aussitôt que ces trois dénombrements furent étendus à toutes les villes de l’empire ayant droit de cité romaine telles qu’Antioche, Bérythe en Syrie, Tarse en Cilicie, etc. Dans un recensement fait sous la république, quarante et un ans avant le premier d’Auguste, le nombre des citoyens s’élevait seulement à 450.000, parce qu’il n’y en avait alors que dans l’Italie centrale. Sous Auguste, ce nombre était presque décuplé par la concession du droit de cité faite à un grand nombre de villes dans toutes les parties de l’empire.

Mais les autres habitants libres furent-ils aussi soumis à ces trois recensements d’Auguste ? Il est facile de s’en convaincre en observant que c’est précisément aux mêmes époques que les historiens mentionnent cette opération dans les provinces de l’empire[25].

Il faut toutefois remarquer que le recensement est appliqué aux habitants des provinces après avoir été clos et terminé pour les citoyens romains ; aussi quand les historiens partent du recensement dans les provinces, c’est ordinairement l’année qui suit son exécution à Rome.

Ainsi le recensement général des citoyens romains ayant -au lieu en 4686, 4706 et 4727, P. J., ce n’est que les adnées suivantes qu’il en est question dans les Gaules et un Syrie. Enfin lorsqu’il survient des troubles ou d’autres obstacles, comme il arriva dans les deux Germanies après 4657, et à l’époque de la mort d’Auguste, le recensement interrompu ne se termine alors que plusieurs années plus tard[26].

X. Conclusions chronologiques pour le recensement général coïncidant avec la naissance du Sauveur. — Il est temps de conclure et de clore ce paragraphe en proclamant la date que nous cherchons, la date initiale du recensement général mentionné par saint Luc.

Le roi Hérode Ier est mort en l’an 4710, P. J.

D’après l’Évangile de saint Matthieu, le Sauveur est né environ trois ans avant la mort d’Hérode, vers 4707.

OR, SOUS LE CONSULAT DE CENSORINUS ET D’ASINIUS, EN L’AN 4706, un édit envoyé par César-Auguste ordonna le dénombrement de tout l’univers, et ce dénombrement, exécuté l’année même de l’édit pour les citoyens romains, n’a dû être étendu que l’année suivante, 4717, aux autres habitants libres de l’empire. La concordance est parfaite, et les paragraphes suivants l’établiront encore mieux.

Une autre circonstance nous confirme encore l’année 4707, P. J., comme date initiale du recensement des provinces : Auguste affecta, pendant tout le temps de son règne, d’accepter du sénat le gouvernement de l’empire pour dix années seulement, au bout desquelles le même mandat lui était renouvelé pour dix autres années. Or, la troisième période décennale commençait avec l’an 4707 et Auguste, cédant alors aux ordres du sénat, reprit une quatrième fois la charge du gouvernement. Comme l’opération du recensement dans les provinces durait plusieurs années, Auguste n’a pas dû l’ordonner à l’époque de l’expiration de son troisième mandat, mais bien au commencement de la nouvelle période décennale, immédiatement après le cens des citoyens romains, c’est-à-dire en 4707.

Cette rénovation des pouvoirs impériaux explique aussi parfaitement pourquoi les habitants des provinces devaient alors renouveler leur serment de fidélité à l’empereur, et cela en même temps qu’ils obtempéraient à l’ordre du recensement. Il nous parait Même certain que la rénovation des pouvoirs d’Auguste était l’occasion déterminante du recensement dans les provinces si, en 4607 et 4717, le recensement n’a pas été général, c’est que des guerres ou des craintes de guerres y ont mis obstacle, comme Dion Cassius le dit formellement pour le recensement de l’an 4717. Peut-être aussi les recensements commencés en 4687 et 4707 n’étaient-ils pas encore terminés dix ans après.

Ainsi l’année 4706 n’est que la date initiale de l’opération au plus tôt ; nous allons, dans les paragraphes suivants, chercher à préciser le temps de l’application même du cens faite par Quirinius au royaume de Judée.

 

§ II. — Recensement général ordonné en l’an 4706, P. J., et mission spéciale de Quirinius en Syrie.

I. Détails particuliers au recensement général de l’an 4706, P. J. — Nous connaissons la date des trois principaux recensements ordonnés par l’empereur Auguste, et il n’est pas besoin d’étude pour constater que, parmi ces trois recensements, celui qui a commencé en l’an 4706, pour les citoyens romains, est le seul auquel puisse et doive se rapporter la mention de saint Luc.

Malheureusement l’histoire profane ne nous donne aucun récit détaillé et suivi sur ce recensement. Dion Cassius, qui raconte les événements du règne d’Auguste, année par année, se tait presque entièrement sur cette époque, ou plutôt, son livre 55, qui va de l’an 4705 à l’an 4725, P. J., a été perdu et il t’en est resté qu’un abrégé fort incomplet, surtout pour la période comprise entre 4707 et 4717.

Nous pouvons, cependant, en réunissant tous les détails épars dans les auteurs du temps, reconstruire ici un récit exact et authentique. Quelque court qu’il soit, ce récit suffira pour notre but, et même les circonstances, au milieu desquelles nous verrons s’opérer le cens de l’an 4706, nous montreront qu’il eut réellement une importance exceptionnelle parmi tous les recensements qui furent jamais exécutés dans l’empire romain.

En effet, Rome était alors l’apogée de sa puissance, et Auguste, arrivé au milieu de son règne de 45 ans, en parcourait l’époque la plus fortunée. Pendant le cours de cette année 4706, le sénat lui renouvelle solennellement le pouvoir impérial pour dix ans, et décrète que le mois sextile portera désormais le nom d’Auguste (mois d’août). Le calendrier romain était, alors en avance de trois jours, contrairement aux règles établies par Jules César, 3 ans auparavant ; Auguste, devenu depuis pesa souverain pontife, profite de ce titre et de ses nouveaux pouvoirs pour rendre l’année julienne sa première exactitude[27].

Dans le même temps arrivaient à Rome la nouvelle des victoires de Tibère en Germanie et celle de la paix glorieuse qui rendait les Romains maîtres du cours du Rhin. Pour la troisième fois, depuis la bataille d’Actium, Auguste ferme les portes du temple de Janus et, lorsqu’elles seront rouvertes douze ans plus tard, le temps en aura tellement rouillé les serrures qu’il faudra les forcer[28]. Cette trêve de douze années est la plus longue période de paix générale qui ait jamais reposé l’univers. C’est au milieu de cette paix générale que le recensement s’accomplit dans toutes les provinces, et que tous les sujets de l’empire sont obligés de jurer fidélité à l’empereur. Rome est alors tellement prospère que le nombre de ses citoyens répandus dans tout l’empire dépasse notablement le chiffre qu’il atteignait vingt ans plus tôt comme vingt ans plus tard dans les autres dénombrements. Quant au recensement des provinces, Auguste y fait alors comprendre des peuples conservant encore un semblant d’indépendance et qui, tels que les Ciliciens du royaume d’Archélaüs, ou les Juifs du royaume d’Hérode, paraissent avoir échappé jusque-là à l’inscription du cens.

A Rome, l’empereur veut vraiment donner à ce recensement la plus grande solennité. Pour les autres opérations de ce genre, il se contente ordinairement de la puissance proconsulaire, mais, pour présider celle-ci, il se fait décerner par le sénat un pouvoir consulaire, consulari cum imperio[29]. De plus, dans les autres recensements généraux, il se donne toujours un collègue, Agrippa dans le premier et Tibère dans le troisième ; mais pour celui-ci, il veut avoir l’honneur de le présider seul. Cette dernière circonstance est remarquable en ce qu’elle confirme l’exactitude du texte évangélique car saint Luc relate que l’édit du recensement fut envoyé par César-Auguste, et il a soin de ne mentionner aucun collègue agissant avec l’empereur, ce qu’il aurait dû faire pour les autres dénombrements. Nous verrons plus bas les auteurs profanes confirmer les autres circonstances du récit de saint Luc : savoir, que le recensement impérial fut étendu au royaume d’Hérode, et que ce recensement fut réellement effectué par Quirinius, légat-censiteur de la Syrie.

Pour compléter ces détails, nous devons ajouter ici, qu’outre Quirinius, Auguste envoyait dans le même temps, en Syrie, Denys le Géographe, avec mission d’enregistrer toutes choses[30]. Pline l’Ancien, en nous apprenant cette particularité, laisse supposer que la mission de Denys avait pour but une description cadastrale plutôt que l’opération du recensement. Mais ces deux opérations se complétaient l’une l’autre et paraissent avoir été simultanées.

Cette mission tout extraordinaire du censiteur Quirinius et du géographe Denys n’empêchait pas la Syrie d’avoir, en ce même temps, son gouverneur ordinaire, lequel était le propréteur Sentius Saturninus, auquel succéda Quintilius Varus, en l’an 4712. Les principaux intendants de la province étaient alors Titus Volumnius, Fabatus et Sabinus, qui jouèrent aussi un rôle important dans les affaires de la Judée à la même époque[31].

II. Notice biographique sur Quirinius. — Ce personnage célèbre avait pour véritables noms Publius Sulpitius Quirinius ; mais ce dernier nom, qui était l’appellation vulgaire, a été diversement écrit par les historiens grecs et latins. Saint Luc et Josèphe le traduisent par Κυρήνιος ; Strabon écrit tantôt Κυρίνιος (XII, 5), et tantôt Κυρινος (XII, 2, p. 539) ; les meilleures éditions de Tacite portent Quirinus, Florus a préféré écrire Quirinius et le traducteur de la Vulgate, Cyrinus, ce qui répond au Κυρινος, de Strabon. Toutes ces variantes nous montrent qu’il ne faut pas attacher une grande importance à la vraie orthographe de ce nom dans les monuments, et qu’on est assez peu fondé à rejeter, avec Orelli et M. Renan, une inscription relative au recensement de Quirinius, parce qu’il manque un i à ce dernier nom (voir l’inscription, n. j., n° 2).

Voici comment Tacite résume la biographie de œ magistrat :

Vers le même temps (4734, P. J., 21, E. C.), Tibère pria le sénat de décerner à Publius Sulpitius Quirinus des funérailles publiques. Quirinus n’appartenait point à l’ancienne famille des Sulpices, si distinguée parmi les patriciens. Il était né à Lanuvium, ville municipale d’Italie. Homme infatigable à la guerre et habile à remplir les missions les plus difficiles, il avait su rendre au divin Auguste des services dont le consulat fut le prix, (4702, P. J.). QUELQUE TEMPS APRÈS, LA DÉFAITE DES HOMONADES, PEUPLE DE CILICIE, QU’IL FORÇA DANS SES RETRANCHEMENTS, LUI VALUT LES INSIGNES DU TRIOMPHE. Placé auprès de Caïus César, en qualité de directeur, lorsque ce jeune prince fut envoyé en Arménie (4712, P. J.), il ne laissa pas de faire sa cour à Tibère, alors retiré à Rhodes. Tibre raconta cette particularité dans le sénat après la mort de Quirinus ; il loua les bons offices qu’il en avait revus et accusa Lollius comme étant la cause des travers de Casus César et l’auteur de toutes les discordes. Mais la mémoire de Quirinus n’était pas aussi chère au public ; on ne pouvait oublier le caractère sordide et despotique de ce vieillard, ni les persécutions qu’il avait exercées contre Lépida, sa femme. (Ann., III, 48.)

Le même Tacite (Ann., II, 30, et III, 22, 23), Dion Cassius (LIV, p. 541), et Strabon (XII, 5) confirment quelques-uns de ces détails biographiques ; Florus en cite quelques autres, qui sont sans importance pour le sujet qui nous occupe. (Epitomé, Hist. rom., IV.)

Mais Josèphe nous apprend sur le même personnage un fait important, savoir que Quirinius reçut le gouvernement de Syrie, à l’époque du bannissement d`Archélaüs, ethnarque de Judée, qu’il réduisit alors la Judée en province romaine et qu’il y fit, ainsi que dans toute la Syrie, une estimation des biens, dont il rapporte la date à la 37e année de la bataille d’Actium (du 3 sept. 4719 au 3 sept. 4720). C’est alors seulement que Quirinius fût gouverneur ordinaire de Syrie pendant quelques années, de 4719 à 4724, P. J.

Quelques auteurs ont pensé que l’estimation des biens dont parle ici Josèphe était identique avec la première inscription de Quirinius, mentionnée par saint Luc dans son évangile.

Maïs les époques indiquées par le récit des deux historiens sont bien différentes ; l’inscription dont parle saint Luc a eu lieu sous le règne d’Hérode et l’estimation rappelée par Josèphe ne s’est faite qu’après le bannissement d’Archélaüs, successeur d’Hérode. Il y a par conséquent une différence de dix années au moins entre les deux événements, et cela seul doit empêcher de les confondre.

On arrive encore à la même distinction, en considérant que saint Luc parle d’une inscription GÉNÉRALE, ordonnée pour tout l’empire, et Josèphe d’une estimation de biens PARTICULIÈRE au gouvernement de Syrie. Or, nous venons de voir qu’il eut en effet un recensement ou inscription générale de l’empire romain, précisément à l’époque où se rapporte le récit de saint Luc et longtemps avant la date où Josèphe place l’estimation des biens en Syrie. Enfin saint Luc parle de la première inscription de Quirinius ; il en connaissait donc une seconde, et cette seconde ne peut être que l’estimation des biens faite ensuite par le même magistrat, et dont parle Josèphe.

Il y a donc eu deux opérations différentes. Mais plusieurs critiques pensent que cette conclusion même ne détruit pas toute la difficulté ; ils sont portés à croire que Quirinius n’a pas fait la première opération, et cela d’abord parce qu’il a fait la seconde, et ensuite parce qu’il n’était pas gouverneur ordinaire de Syrie, l’époque où la première fut effectuée.

Disons-le ce raisonnement est fort peu concluant, car il parait bien plus logique de dire que Quirinius a dû faire la première opération, précisément parce qu’il a été choisi pour faire la seconde, et s’il n’avait pas le titre de gouverneur ordinaire de Syrie à l’époque de la première, c’est une raison de plus de penser qu’il a pu être chargé de l’effectuer, puisque les Romains avaient l’habitude de confier les fonctions de censiteur à un légat impérial, différent du gouverneur de la province (voir plus haut).

Un simple coup d’œil, jeté sur l’histoire profane du temps, confirme cette première mission de Quirinius, et une étude sérieuse l’établit même avec une complète évidence.

En effet, les témoignages des historiens montrent que Quirinius était un homme d’une grande activité, habile, souple et surtout dévoué aux Césars. Personne, dès lors, ne réunissait mieux que lui toutes les qualités désirables pour être nommé censiteur provincial.

Cela étant, il a dû être envoyé en Syrie plus que partout ailleurs. On le voit, en effet, constamment occupé dans cette contrée à partir de cette époque : quelque temps après l’an 4702, date de son consulat, il apparaît guerroyant en Cilicie, province alors comprise dans le gouvernement de Syrie : de l’an 4712 à l’an 4717, il accompagne, en qualité de directeur, rector, le prince Caïus César dans ses voyages en Syrie, à Jérusalem (Suétone, in August., 93) et en Arménie : enfin, de 4719 à 4723, il est chargé du gouvernement de Syrie et de la réduction de la Judée en province romaine (voir n. j., n° 2).

Cette permanence de Quirinius en Orient s’accorde parfaitement avec le rôle que lui attribue saint Luc à la même époque. Mais, pour certains critiques, les affirmations d’un saint, surtout d’un évangéliste, sont nécessairement des mensonges, si l’histoire profane ne vient pas les confirmer avec une évidence irrécusable. On juge les autres d’après soi-même, et ces critiques pensent que saint Luc leur ressemblait. Cependant l’histoire profane peut ici répondre à ces impertinences ; elle les satisfait sur le rôle de Quirinius, comme elle l’a fait sur mille autres points. Sortons donc du vague et du probable, et arrivons au certain.

Pour cela, il faut revenir l’expédition de Quirinius en Cilicie. Cet épisode est un trait de lumière qui découvre des solutions inattendues.

Il prouve en effet : 1° que Quirinius était dans le gouvernement de Syrie à l’époque du dénombrement général ; 2° qu’il avait alors des pouvoirs extraordinaires, tels que le rôle de légat censiteur peut seul les expliquer ; et, que ces pouvoirs s’étendaient sur les royaumes alors compris dans la vaste étendue du gouvernement de Syrie, sur le royaume d’Hérode en Judée, comme sur celui d’Archélaüs en Cilicie. Ces conséquences vont ressortir de l’ensemble des numéros suivants. Nous prions seulement le lecteur de nous pardonner la longueur de cette digression, vu son importance.

II. Expédition de Quirinius en Cilicie. — Strabon, dans sa Géographie (XII, 5), donne sur cette expédition quelques détails, d’autant plus précieux que l’auteur était contemporain, et qu’il avait lui-même habité la Cilicie,vers la même époque.

Quirinius, dit-il, réduisit par la famine la peuplade rebelle des Homonades ; il leur fit 4.000 prisonniers qu’il distribua dans les villes voisines, et il ne laissa dans ce canton aucun homme en état de porter les armes.

Le même géographe cite encore un monument de l’expédition de Quirinius : c’est une ville qu’il appelle le Camp de Cyrinus, τό Κυρίνου τό στρατόπεδον, et dont il fixe la position à six lieues au sud de la ville de Tyane, c’est-à-dire au nord-est de la Cilicie, près des frontières de la Cappadoce (XII, 2).

Pline l’Ancien, de son côté, nous apprend que la capitale des Homonades, Homona, était située l’ouest de la Cilicie, dans les montagnes du Taurus qui séparent cette province de l’Isaurie et de la Pamphylie. Nous voyons, par la situation de ces deux places, que l’action de Quirinius a dû s’étendre à toute la Cilicie.

Quant à la question chronologique, la donnée la plus précise nous est fournie par le texte même de Tacite, où cette expédition est placée quelque temps après le consulat de Quirinius (4702, P. J.), et quelque temps avant le départ du prince Caïus César en Orient (4712), c’est-à-dire vers l’époque du dénombrement général.

Quelques historiens, notamment le docteur Sepp (Vie de N. S., part. I, c. IV), ont prétendu fixer cette date, en observant que les lois romaines, à cette époque, ne permettaient aux personnages consulaires de gérer un gouvernement que cinq ans après leur sortie du consulat. Ainsi Quirinius, ayant été consul en l’an 4702, n’aurait pu diriger son expédition contre les Homonades qu’en l’an 4708 au plus tôt, et il serait sorti de la Cilicie en l’an 4712 au plus tard, pour accompagner le prince Caïus César.

Mais la loi romaine qu’on invoque ici n’est pas applicable au cas de Quirinius, elle ne concerne que les gouverneurs envoyés comme proconsuls par le sénat et dans les provinces dévolues au sénat ; elle ne regarde aucunement les propréteurs ou légats, que l’empereur envoyait, suivant son bon plaisir, dans les provinces qu’il s’était réservées, et la Cilicie était de ce nombre.

Nonobstant cette erreur, nous croyons aussi que cet épisode militaire lait se placer pendant les années qui s’écoulèrent de 4707 à 4712. Malheureusement l’histoire de ces années manque dans les livres de Dion Cassius, tandis que celle des années précédentes nous a été conservée dans un récit minutieusement détaillé. Or ce remit ne parlant pas de l’expédition de Quirinius, un tel silence contribue prouver qu’elle arriva plus tard, à la fin de l’intervalle indiqué par Tacite.

Mais comment l’expédition de Quirinius en Cilicie démontre-t-elle la présence de ce magistrat dams le gouvernement de Syrie ? Pour bien le comprendre il est nécessaire de connaître quel était alors l’état politique de la Cilicie.

III. État politique de la Cilicie sous les premiers empereurs. — En l’an 4687, P. J., Auguste, étant seul maître de l’empire, se partagea avec le sénat le gouvernement des provinces ; dans ce partage, les trois provinces de l’extrême Orient : la Cilicie, la Syrie et la Phénicie furent dévolues à l’empereur ; mais, par une disposition très remarquable et cependant très peu remarquée, ces trois provinces, pendant plus d’un siècle, ne formèrent qu’un seul gouvernement militaire dont le chef résidait à Antioche, commandait à quatre légions, et avait le titre assez embarrassé de légat d’Auguste, faisant fonction de préteur pour la Syrie, legatus Augusti proprœtore Syriæ. Ce titre officiel est ordinairement remplacé dans l’histoire par celui de préfet ou gouverneur, prœfectus.

La juridiction générale de ce préfet n’empêchait pas qu’il n’y eût, dans les trois provinces, un assez grand nombre de princes décorés du titre de rois, et d’autres plus nombreux portant les noms de tétrarques, ethnarques, toparques, etc. Rien que dans la province de Syrie, Pline comptait encore, vers l’an 4785, P. J., plus de dix-sept tétrarchies, et cependant un grand nombre de ces principautés avaient été supprimées peu à peu depuis l’avènement d’Auguste.

Parmi ces rois soumis à la suzeraineté du préfet de Syrie, et que Tacite se plaît à appeler des reguli, les deux principaux étaient Hérode, roi de Judée, dans la province de Phénicie, et Archélaüs, roi de Cappadoce, dans la province de Cilicie.

Toute la Cilicie, à l’exception de quelques cités romaines, obéissait à des princes indigènes, parmi lesquels les plus puissants étaient Tarcondimote et Archélaüs ; celui-ci avait sous sa dépendance, non seulement la Cappadoce, mais encore toute la Cilicie Trachée, excepté Séleucie ; cette région, qui comprenait le pays des Homonades et des Clites, lui avait été concédée par Auguste, en l’an 4694, P. J.[32] La capitale d’Archélaüs, Eleuse ou Sébaste, était située dans une île de la Cilicie, et la côte voisine de cette île appartenait à ce prince depuis la Pamphylie jusqu’à la ville de Soles, autrement dit Pompéiopolis.

Tous ces détails géographiques sont empruntés à un auteur contemporain, Strabon, qui était né en Cappadoce et avait longtemps habité la ville même de Séleucie, dans la Cilicie-Trachée. Il ajoute : La nature de ces lieux étant très favorable aux brigands et aux pirates..... les Romains ont pensé qu’il valait mieux les laisser sous la domination de quelques rois, que les confier à des commandants romains, lesquels ne pourraient suffire, d’un côté, à rendre la justice, et de l’autre à se transporter en armes partout où il serait nécessaire. (Strabon, Géographie, XIV.)

En l’an 4750, Archélaüs fut dépossédé par l’empereur Tibère. La Cappadoce, qui composait la plus grande partie de ses états, fut réduite en province romaine ; mais le légat envoyé pour administrer cette province n’était qu’un simple procurateur (Tacite, Ann., II, 56, et XII, 49), et ce procurateur comme celui qui administrait alors la Judée, l’ancien royaume d’Hérode, était sous la dépendance du préfet ou propréteur de Syrie. Quant à la Cilicie-Trachée, elle parait même alors avoir échappé à la réduction, pour conserver un semblant d’autonomie sous des princes indigènes, les reguli, que Tacite nous montre quelques années plus tard. (Ibid., II, 78 et 80.)

Vingt ans après, Caligula donnait et reprenait cette province au roi de Commagène, Antiochus. Claude la lui rendit en 4754, P. J. Il en fut de nouveau dépouillé, en 4785, par Césennius Petus, préfet de Syrie. C’est alors seulement que la Cilicie est réduite en province romaine, et que l’on y voit apparaître des propréteurs ou préfets ; le premier que cite l’histoire est le père de Dion Cassius, Apronianus, qui vivait sous Trajan.

Quant à la suzeraineté exercée par le préfet de Syrie sur les rois et la province entière de Cilicie, au temps des premiers empereurs, il n’est pas possible de la révoquer en doute. Le royaume même d’Archélaüs passait alors pour être une dépendance de la Syrie, et ses habitants étaient appelés Leuco-Syriens. (Strabon, XII et XIV.)

Josèphe met Archélaüs, roi de Cappadoce, au nombre des principaux seigneurs de Syrie, et nous montre Hérode interposant ses bons offices pour réconcilier ce prince avec Titius, gouverneur de Syrie, mal disposé contre lui. (Antiq., XVI, 12.)

Après la mort de Germanicus, Pison, en sa qualité de préfet de Syrie, écrit aux petits rois de la Cilicie qu’ils aient à lui amener les forces militaires dont ils disposent. (Tacite, Ann., II, 78.) Le même Pison, se voyant impuissant à lutter contre les amis de Germanicus, se renferme dans une place farte de la Cilicie, dans Célendéris, et c’est là que les généraux romains de Syrie viennent combattre et assiéger leur ancien préteur.

L’épisode suivant jette encore une plus grande lumière sur les relations de la Cilicie avec les préfets de prie, et même sur toute la question du recensement.

Laissons parler Tacite :

Dans le même temps (sous Tibère), la nation des Clites, soumise au cappadocien Archélaüs, se retira sur les hauteurs du Taurus, parce qu’elle se voyait obligée rie supporter les recensements et les tributs suivants nos usages. Ainsi protégée par la difficulté des lieux, elle se défendait sans peine contre les troupes mal aguerries du roi. Enfin, le lieutenant M. Trébellius y fut envoyé par Vitellius, préfet de Syrie, avec quatre mille légionnaires et l’élite des alliés. Les barbares occupaient deux collines : la moins haute nommée Cadra, et l’autre Davara. Il les environna d’une circonvallation et tailla en pièces ceux qui hasardèrent des sorties. La soif obligea les autres à se rendre. (Ann., VI, 41.)

Ce fait offre la plus grande analogie avec l’expédition du censiteur Quirinius dans le même pays et pour la même cause.

Citons encore Tacite :

Peu de temps après (sous Claude), les tribus sauvages de la Cilicie, connue sous le nom de Clites, et qui s’étaient soulevées déjà plus d’une fois, se révoltèrent de nouveau, conduites par Trosobor, et campèrent sur des montagnes escarpées[33]... La ville d’Anemurium fut assiégée par ces barbares, et des cavaliers envoyés de Syrie, avec le commandant, Curtius Severus, pour la secourir, furent mis en déroute... Enfin le roi Antiochus, en flattant la multitude et en trompant son chef, parvint à désunir les forces des rebelles, et, après avoir fait mourir Trosobor et quelques autres des plus marquants, il ramena le reste par la clémence. (Ann., XII, 55.)

Ainsi les Clites, dont il est ici question, habitaient la même partie de la Cilicie où Quirinius avait autrefois vaincu et dispersé la tribu des Homonades. Cette tribu, qui tirait son nom de la ville d’Homona, devait même faire partie de la nation des lites, au milieu desquels Homona se trouvait située.

Ces citations suffisent pour établir la suzeraineté des préfets de Syrie sur les petits rois de la Cilicie. Pendant plus d’un siècle, ces trois provinces de Cilicie, de Syrie et de la Phénicie ne forment qu’un seul gouvernement et ont pour gouverneur ordinaire le même légat impérial, appelé propréteur de Syrie. Aussi : c’est ce même propréteur qui, en l’an 4719, P. J., fait la réduction de la Judée en province romaine, et c’est lui pareillement qui, en l’an 4786, dépossède le roi Antiochus et réduit pareillement la Cilicie.

IV. Conclusions logiques de l’expédition de Quirinius en Cilicie à l’époque du recensement général commencé en l’an 4706, P. J. — Nous pouvons maintenant tirer les conclusions suivantes :

1° Quirinius se trouvait dans les provinces du gouvernement de Syrie à l’époque du dénombrement général.

2° Les petits royaumes inclus dans l’empire, notamment celui d’Archélaüs en Cilicie, étaient soumis aux recensements des empereurs : nostrum in modum deferre census... adigebatur gens Archelao regi subecta (Tacite, Ann., VI, 41). Il en était de même de la Judée, et les petits souverains de ces pays, qui portaient le nom d’alliés de Rome comme autrefois les peuples de l’Italie, étaient en réalité comme ces derniers de vrais sujets de l’empire et, comme ces derniers aussi, soumis au recensement.

3° Les peuplades ciliciennes, si opposées au recensement sous Tibère, ont dû le repousser encore plus vivement, lors de sa première application sous Auguste. Voilà bien la cause de la guerre et de l’expédition de Quirinius chez ces peuples à l’époque même de cette grave opération. Est-il possible, en effet, d’expliquer autrement la présence de ce consulaire romain, bataillant chez un roi allié et recevant d’Auguste les insignes du triomphe, faisant des conquêtes et laissant cependant les mêmes peuples soumis au même roi ? Est-il possible de trouver alors un autre motif de cette guerre sans conquête que l’opposition au recensement, opposition si vraie qu’elle existait encore quarante ans plus tard ? Enfin quel autre titre que celui de légat-censiteur pouvait avoir un consulaire qui n’était pas le gouverneur de la province, et qui cependant y exerçait les plus grands pouvoirs à l’époque d’un recensement[34] ?

Ainsi donc, Quirinius a bien été envoyé par l’empereur César-Auguste dans le gouvernement de Syrie, et dans les royaumes de ce gouvernement, à l’époque du recensement général ; l’autorité qu’il exerçait dès lors était telle qu’il a pu diriger une expédition militaire et recevoir les insignes du triomphe indépendamment du gouverneur ordinaire, et il est impossible d’expliquer, sa présence et sa mission, si ce n’est en acceptant le texte de saint Luc : Ce dénombrement est le premier qui ait été fait sous la direction à Quirinius en Syrie. Voilà comment ici encore l’histoire profane confirme l’histoire sacrée et comment celle-ci explique la première.

Quant l’ordre des événements relatifs à cette mission de Quirinius, il est certain, d’après les usages de l’empire, que ce magistrat commença en l’an 4706 par procéder au recensement des citoyens romains, et ils devaient être assez nombreux en Syrie, car outre les individus d’origine romaine, plusieurs villes avaient dès lors le droit de cité. Ce ne dut être que la seconde année que commença le recensement des habitants libres de la province et ensuite des royaumes alliés. Il est ainsi tout à fait probable que la guerre des Homonades n’a eu lieu qu’à la suite de toutes c opérations, c’est-à-dire de l’an 4708 l’an 4712, P. J., comme nous l’avions déjà prés amé plus haut.

V. Explication du titre donné par saint Luc au censiteur Quirinius : Αΰτη ή άπογραφή πρώτη έγένετο ήγεμονεύτος τής Συρίας Κυρηνίου. Littéralement : Cette inscription arriva la première, Cyrénius ayant la direction de la Syrie.

Ce texte que nous avons traduit ainsi : ce dénombrement est le premier qui se fit sous la direction de Quirinius en Syrie ; ce texte, disons-nous, a singulièrement exercé la science et la foi des commentateurs. La plupart, ignorant l’usage romain de confier les fonctions de censiteur à un légat impérial différent du gouverneur de la province, ont cru que ce dernier titre était le seul qui pût ici convenir à Quirinius. Mais Quirinius n’était certainement pas gouverneur ordinaire de Syrie à l’époque où naquit le Sauveur. Comment alors expliquer cette en contradiction ? Hic opus, hic labor.

Pour cela, on a proposé différentes interprétations, ingénieuses, il est vrai, mais qui s’éloignent plus ou moins du sens réel et littéral. Notes citons les deux principales.

La première suppose que le recensement général, commencé en l’an 4706, sous le gouvernement du propréteur Sentius Saturninus, fut ensuite interrompu et ne reçut sa clôture définitive que treize ans plus tard lorsque Quirinius fut envoyé tout à la foie comme propréteur et censiteur de Syrie. Le texte de saint Luc s’expliquerait alors ainsi : C’est ce même premier dénombrement qui fut (ACHEVÉ), Quirinius étant gouverneur de Syrie.

L’hypothèse, qui réunit les deux dénombrements de Quirinius dans un même ensemble d’opérations, nous parait avoir une grande probabilité, mais quand bien même cette hypothèse serait conforme à la vérité des faits, toujours est-il qu’il faut torturer et amplifier le texte de saint Luc pour arriver au sens proposé.

La seconde interprétation consiste à donner au mot πρώτη la signification d’antérieure et à traduire ainsi : Cette inscription fut ANTÉRIEURE à (celle de) Quirinius, gouverneur de Syrie.

Mais cette interprétation a toujours été inconnue des Pères et la première autorité qu’on invoque en sa faveur est celle de Théophylacte Simocatta, archevêque de Bulgarie en 1070[35]. Herwært la proposa de nouveau en 1612 et depuis lors elle fut adoptée par un nombre imposant de savants interprètes[36]. On cherche à la défendre et à la confirmer par des exemples analogues où le mot πρώτος se trouve avoir la même signification.

Il faut toutefois nécessairement reconnaître ici que, dans le sens littéral et habituel, πρώτος signifie premier et non antérieur, que saint Luc, en lui donnant ce dernier sens aurait singulièrement négligé la clarté d’expression, cette qualité admirée et bien connue de son style ; enfin que toute l’antiquité chrétienne s’y serait trompée.

Nous n’hésitons pas à rejeter ces deux interprétations et nous croyons que celle que nous avons donnée plut haut est bien plus conforme à la lettre du texte et à la vérité même des faits.

En, effet, Quirinius a dirigé le recensement général ordonné en l’an 4706, P. J. ; il a reçu pour remplir cette mission une juridiction semblable à celle des censiteurs des Gaules Drusus et Germanicus ; or, la juridiction de ces derniers était supérieure à celle des gouverneurs ordinaires qui administraient alors les mêmes provinces et c’est en vertu d’une telle juridiction que Quirinius a réduit à l’obéissance la tribu des Homonades. Dès lors, le mot propre pour désigner cette juridiction militaire et extraordinaire est précisément le mot ήγεμονεύων qui signifie étant général ou commandant.

Au contraire, pour traduire le titre ordinaire de préfet, les historiens grecs emploient de préférence le mot άρχων comme on peut le voir dans Dion Cassius, notamment à propos du préfet ou propréteur de Syrie. Il est vrai que quelques historiens ont aussi employé le mot ήγεμών dans le même sens. Ainsi Josèphe dans son histoire nomme ordinairement ήγεμόνες les préfets de Syrie. Mais on voit en même temps que ce terme a une signification très large, car sans aller chercher bien loin, à la même époque, le même Josèphe (Antiq., XVI, 12, 13, 16, etc.) donne plusieurs fois le titre de ήγεμών τής Συρίας à Titus Volumnius et même à plusieurs autres. Cependant, il nous apprend lui-même, que le véritable gouverneur de Syrie était alors Sentius Saturninus et que Titus Volumnius n’était qu’un simple intendant, έπίτροπος, procurator, de la province[37].

Hérode Ier, lui-même, avait reçu d’Auguste ce titre d’intendant de toute la Syrie, Συρίας όλης έπίτροπος (Guerre, I, 15) et c’est en vertu de ce titre qu’il prenait part au conseil des gouverneurs de Syrie pour toutes les mesures importantes que ceux-ci avaient à ordonner.

Personne n’a jamais songé à accuser Josèphe d’inexactitude, pour avoir appelé ήγεμών τής Συρίας un officier qui n’était pas le véritable gouverneur, mais seulement un des intendants de la province et nous ne voyons pas pourquoi on porterait une pareille accusation contre saint Luc à propos de Quirinius qui était alors en Syrie beaucoup plus qu’un intendant ordinaire.

Il serait à souhaiter que les Zoïles des écrivains sacrés ne soient pas plus inexacts que saint Luc ; cela leur épargnerait bien des bévues humiliantes, surtout dans leurs frivoles accusations.

Nous concluons donc tout ce paragraphe en disant hautement que la mention de Quirinius, faite ici par saint Luc, loin d’être une méprise, est au contraire parfaitement juste et qu’elle doit être regardée comme une éclatante confirmation de sa véracité[38].

 

§ III. — Extension du gouvernement romain au royaume de Judée.

I. État politique de la Judée à l’époque de la naissance du Sauveur. — Lorsque l’empereur Auguste ordonna les dénombrements ou recensements généraux de 4686 et 4706, P. J., la Judée était soumise au roi Hérode Ier. Mais ce prince, comme plusieurs autres petits rois de la même époque, était bien plutôt le sujet que l’allié des Romains.

Suivant l’ancienne coutume du peupla romain, dit Tacite, les rois mêmes étaient des instruments politiques pour tenir les peuples en servitude (Vie d’Agricola, XIV).

Hérode avait été fait roi des Juifs (4674, P. J.), à l’insu même de ce peuple, par le sénat de Rome, et lorsque le dernier des Asmonéens occupait encore le trône de Jérusalem. C’était avec le secours d’une armée romaine qu’il avait pris d’assaut la ville de Jérusalem et établi son autorité en Judée. Cet envahissement avait porté un coup terrible à l’indépendance nationale, et dès lors Josèphe nous montre à chaque instant les gouverneurs de Syrie paraissant en maîtres à Jérusalem et dans tout le royaume. Hérode est sans cesse occupé à faire sa cour à l’empereur ainsi qu’à tous les lieutenants de l’empereur, et les actes importants de son administration ont toujours besoin de la sanction impériale. C’est ainsi qu’en 4707 et 4710, P. J., lorsque ce prince veut faire juger et condamner ses propres enfants, il a soin chaque fois de demander la permission d’Auguste.

Malgré cet état de choses, la Judée parait avoir échappé au recensement de l’an 4686. Du moins on n’en retrouve aucune trace dans l’histoire. Mais il n’en fut pas ainsi pour le recensement général ordonné en 4708.

Cette année-là même, Hérode ayant détruit quelques bandes arabes qui infestaient ses états, cet acte de légitime défense fut mal vu à Rome, et l’empereur lui fit savoir que désormais il ne le traiterait plus en allié mais en sujet. La politique envahissante des Romains suivait ainsi son cours, et la Judée fut soumise au recensement général. Cette extension du recensement aux petits royaumes de l’empire entrait du reste dans le plan de l’administration d’Auguste, lequel fixait sur cette base le tribut qui devait ensuite lui être payé par ces rois et les troupes qu’ils devaient lui fournir en cas de guerre. Toutefois, pour ne pas trop blesser par cette opération la susceptibilité des Juifs, on joignit le nom d’Hérode à celui d’Auguste dans la formule du serment de fidélité, comme on le voit d’après l’historien Josèphe.

II. Témoignage de l’historien Josèphe, touchant le recensement général opéré sous Hérode. — Voici en quels termes et à quel propos l’historien juif parle de cette opération :

Il avait alors une secte de Juifs qui prétendaient avoir une connaissance plus exacte de la loi, et les femmes de la cour avaient grande confiance en eux, les croyant chéris de Dieu au point de connaître l’avenir. On les appelait Pharisiens. L’audace et la dissimulation augmentaient encore leur influence au point de la rendre redoutable aux rois eux-mêmes[39].

Tandis que batte la nation des Juifs PRÊTAIT SERMENT DE FIDÉLITÉ au roi et À CÉSAR, ces mêmes pharisiens au nombre de plus de six mille s’y refusèrent absolument, et ce refus les fit condamner à l’amende par le roi ; mais la femme de Phéroras paya pour eux cette amende. Afin de l’en récompenser, ces mêmes Pharisiens faisaient les prophètes et annonçaient que Dieu avait décrété qu’Hérode serait chassé du trône et la royauté transférée à cette femme, à Phéroras, son mari, et leurs enfants.

Le roi fut averti de toutes ces menées par Salomé, sa sœur ; elle lui apprit aussi qu’on cherchait à corrompre certains officiers de sa maison. Quelques Pharisiens ayant été trouvés coupables de ce dernier fait, Hérode les fit mettre à mort. Outre les auteurs de ces intrigues, il fit aussi mourir l’eunuque Bagoas et un favori nommé Carus qu’il aimait passionnément à cause de sa beauté. Enfin il condamna au dernier supplice tous ceux de sa maison qui avaient conspiré contre lui ou qui en avaient été accusés par les Pharisiens dans les tortures.

Quant à Baguas, il s’était laissé persuader qu’il porterait un jour le titre d’Évergète (Bienfaiteur) et qu’il serait le père du Roi futur, attendu que Dieu, le prédestinant à la puissance souveraine, devait lui rendre le pouvoir de se marier et d’avoir des enfants. (Antiq., XVII, 3.)

Nous citons ce passage en son entier pour montrer la profonde conviction qu’avaient alors les Juifs de voir bientôt naître miraculeusement le Roi futur, le Messie promis et attendu depuis si longtemps. Suivant la prophétie de Jacob mourant, la venue de ce grand libérateur devait coïncider avec la perte de l’indépendance nationale. Or, le sceptre sortait alors de la nationalité juive et l’indépendance était détruite par le serment que César-Auguste exigeait du peuple entier. On pouvait donc en conclure, même sans se donner comme prophète, que le temps du Messie était proche sinon déjà arrivé.

Quant au serment lui-même dont il est ici question, il importe de prouver deux choses pour arriver à notre démonstration : 1° qu’il est l’indice d’un recensement, opéré alors chez les Juifs et 2° qu’il a eu lieu à la même époque que le dénombrement dont parle saint Luc.

Le nom seul de César trahit ici l’origine romaine de cette mesure. Ce qui prouve ensuite que ce serment a été prêté l’occasion d’un recensement de tous les Juifs, c’est que l’on connaît le nom et le nombre des six mille Pharisiens opposants. Tous les Juifs ont donc été appelés individuellement devant des commissaires chargés de recevoir leur déclaration de fidélité. C’est ainsi seulement que l’on peut comprendre comment les six mille Pharisiens ont tous été condamnés nommément à une amende.

Ainsi le serment été accompagné de l’enregistrement de tous ceux qui le prêtaient et si Josèphe ne parle pas de recensement, c’est qu’il convenait de désigner cette mesure par ce quelle renfermait de plus grave, savoir le serment lui-même, prêté alors par les Juifs à un prince étranger. Ce sont presque les mêmes formes, dit M. Wallon[40] : dans l’inscription du recensement on jurait ; dans ce serment on s’était fait inscrire.

Il n’y a donc pas de difficulté sur cette première condition de la démonstration.

Cette induction, déjà si voisine de l’évidence, se trouve encore confirmée par d’autres indices bien remarquables.

Le principal but du recensement était, comme on sait, d’établir l’assiette des impôts directs et d’en fixer le chiffre. Or, une opération de ce genre a certainement eu lieu dans le royaume d’Hérode à cette époque ; car on voit dès lors l’historien Josèphe indiquer avec précision le montant du revenu fiscal des villes et des principaux cantons de la Judée[41].

Bien plus, quelques lignes plus bas que celles que nous venons de citer textuellement, il nous donne le nom même de l’un des affranchis d’Auguste qui fut chargé de recevoir les contributions romaines dans le royaume de Judée. Hérode, dit-il, fit recevoir par Fabatus les impôts ordonnés par César. (Guerre, I, 18.)

Enfin, moins de trois ans plus tard, lorsque Auguste partage le royaume d’Hérode entre les enfants de ce prince, l’empereur remit, de sa propre autorité, le quart des tributs aux Samaritains. Il était donc le maître de ces tributs, et tous ces actes d’autorité suprême montrent bien qu’il avait dû intervenir pareillement à l’époque du recensement général pour faire déterminer régulièrement la quotité de ces impôts dans la Judée, comme dans les autres parties de l’empire.

Quant à l’époque du serment des Juifs, elfe correspond parfaitement avec celle du recensement général, puisqu’elle eut lieu vers la fin de l’an 4707, P. J., comme on peut en voir la démonstration dans le paragraphe suivant. Qu’il nous suffise d’ajouter ici que la date de ce recensement est demeurée tellement célèbre dans les petits royaumes de Syrie, qu’elle a même servi pour leur chronologie, ainsi Moïse de Khoren, dans son Histoire de l’Arménie, voulant établir la date de l’avènement d’Abgar, roi d’Edesse, dit simplement qu’il commença à régner un an avant l’opération du recensement général[42]. Or d’autres renseignements ramènent en effet la date de cet avènement à l’an 4706 ou 4707, P. J., comme nous le verrons plus bas (IIIe partie, 5).

III. Témoignage de Tertullien. — C’est un fait constant que les opérations du recensement ont été faites alors en Judée, sous Auguste, par Sentius Saturninus, et ils (les Marcionites) auraient pu se renseigner sur la naissance du Christ dans les registres de ce recensement[43].

Les saints Pères ont souvent parlé du recensement indiqué par saint Luc, comme d’un fait avéré de leur temps, et contre lequel personne n’avait jamais fait la moindre objection. Mais parmi tous ces auteurs, Tertullien est le seul qui ait ajouté au récit évangélique une circonstance évidemment puisée à une source étrangère et profane. Cette circonstance bien importante pour nous est l’intervention du gouverneur ordinaire de Syrie, Sentius Saturninus, dans le recensement de la Judée. Cette mention de Saturninus a cela de remarquable qu’elle semble contradictoire avec celle de Quirinius, dans saint Luc, et contradictoire avec le système chronologique de Tertullien lui-même ; car il prétend, dans un autre endroit, que le Sauveur est né quinze ans avant la mort d’Auguste, ce qui revient à dire quatre ans après que Saturninus avait quitté la Syrie.

La contradiction apparente de Tertullien avec saint Luc disparaît facilement en observant que le censiteur Quirinius, envoyé avec de pleins pouvoirs l’instar de Drusus et de Germanicus, devait nécessairement se faire aider dans l’accomplissement de sa mission par le gouverneur de la province, lequel était alors Sentius Saturninus. La mention de ce gouverneur doit donc être invoquée ici pour confirmer la date et l’authenticité du fait ; et la contradiction réelle de cette date avec la chronologie de Tertullien, ainsi que la contradiction apparente du rôle de Saturninus avec celui de Quirinius contribue à montrer que cette circonstance a été réellement empruntée à des documents officiels.

Ce qui achève de le prouver, c’est que Tertullien, en parlant du recensement, renvoie lui-même ses adversaires aux archives de l’empire[44], et il invoque le témoignage irrécusable de ces archives dans un ouvrage où il accuse l’hérétique Marcion d’altérer les Écritures et d’ignorer l’histoire ; il devait donc être bien assuré de ne pas être trouvé en défaut lui-même.

Ainsi l’histoire profane, juive et ecclésiastique concourt unanimement à prouver, avec saint Luc, que le recensement général, exécuté en 4706-4707, P. J., a été réellement appliqué au royaume d’Hérode, lorsque Sentius Saturninus était encore gouverneur de Syrie et Publius Sulpitius Quirinius, légat-censiteur dans la même province.

IV. Corrélation probable des deux recensements de Quirinius en Syrie. — La conclusion que nous venons d’établir pourrait suffire pour le but de ces études ; mais il n’est pas sans utilité, pour une complète intelligence de l’histoire, et même de la question présente, de rechercher quels rapports ont pu exister entre le premier et le second recensement de Quirinius en Syrie.

Disons-le tout d’abord : l’assertion de Josèphe sur ce dernier fait, présente quelques difficultés. D’abord les Romains n’avaient pas l’habitude de confier la mission du recensement aux gouverneurs ordinaires des provinces, et ensuite cette seconde opération qui s’explique, il est vrai, pour la Judée, alors réduite, en province romaine, s’explique difficilement pour le reste de la province de Syrie, d’autant plus que les autres documents historiques ne trahissent aucun indice de recensement à cette époque (4719, P. J.). Ah ! si Josèphe était un de nos écrivains sacrés, c’est ici que la critique anticatholique en prendrait à son aise et le traiterait carrément d’ignorant ou de faussaire. Elle l’a bien fait pour saint Luc, et certes de pareilles accusations étaient plus difficile à porter contre saint Luc, attendu que Josèphe n’est pas, comme l’Evangéliste, contemporain des événements qu’il raconte, et que son récit isolé n’est appuyé par aucun autre document de l’histoire.

Faut-il pour cela nier le récit de Josèphe ? Non, certainement, et aucun écrivain catholique n’aura jamais de ces aveuglements. Josèphe est un écrivain sérieux, qui doit être cru tant qu’il n’est pas absolument convaincu d’erreur. Il y a dolce eu, en l’an 4719, P. J., une estimation des biens et un second recensement fait par Quirinius dans toute la Syrie. Pour expliquer ce fait, nous partageons entièrement l’opinion de ceux qui le regardent comme étant la suite et la clôture du premier recensement effectué douze ans auparavant, et ce qui autorise penser ainsi, c’est que les premiers recensements généraux ont demandé un temps assez long pour leur exécution complète, surtout lorsque des peuples variés et nombreux multipliaient les difficultés de cette opération dans la même province. C’est ainsi que le recensement des Gaules, terminé par Drusus en l’an 4702, est regardé par les historiens comme le complément de celui que l’empereur Auguste avait lui-même commencé quinze ans auparavant, en 4687, P. J.[45] Il en aura sans doute été de même en Syrie pour le recensement général de 4706.

À l’époque du second recensement de Quirinius et de la confiscation des biens de l’ethnarque de Judée Archélaüs, l’histoire nous apprend que l’empire subissait une crise pécuniaire, la plus difficile peut-être qu’il ait jamais eu à traverser. Il est ainsi naturel de conclure que, Quirinius ayant alors à fixer définitivement l’estimation avec l’impôt des biens en Syrie et en Judée, ces deux provinces ont eu supporter une surtaxe onéreuse, qui rendit cette dernière opération beaucoup plus sensible et beaucoup plus mémorable que la première. Aussi cet excès d’imposition provoqua-t-il des plaintes nombreuses, qui furent même, l’un des motifs du voyage de Germanicus en Orient. (Tacite, Ann., II, 42.) Chaque opération est ainsi signalée dans l’histoire par son caractère le plus saillant : pour la première, c’est l’inscription des personnes dont parle saint Luc et le serment dont parle Josèphe, et pour la seconde c’est l’estimation des biens et la fixation définitive de l’impôt foncier.

Cette hypothèse, qui rattache les deux recensements au même ensemble d’opérations, nous explique parfaitement pourquoi nous voyons Quirinius rester continuellement dans les provinces du gouvernement de Syrie, depuis l’an 4706 jusqu’à l’an 4722, P. J., et pourquoi il a pu y faire la dernière opération dix recensement, bien qu’il fût alors gouverneur ordinaire de ces provinces.

Cette hypothèse nous donne aussi à penser qu’Eusèbe et d’autres anciens peuvent, ne pas être dans une véritable erreur, quand ils semblent confondre le dénombrement indiqué par saint Luc avec celui que mentionne Josèphe. Il est toutefois aussi étonnant que regrettable qu’un historien tel qu’Eusèbe n’ait pas distingué ces deux opérations, ni établi la date de chacune.

Mais, quoi qu’il en soit, il suffit, pour notre but, d’avoir établi cette distinction et prouvé authentiquement la présence de Quirinius dans les petits royaumes du gouvernement de Syrie, dés l’époque du recensement général de 4706-4707, P. J. Nous avons ainsi toutes les données historiques relatives à ce point d’histoire. Tous les fils de la question chronologique sont dès lors entre nos mains ; nous n’avons plus qu’à les suivre, et une solution complète et certaine va nous être acquise.

 

§ IV. — Solution de la question chronologique.

I. Exposé Préliminaire. — Nous avons vu, dans les paragraphes précédents, que le seul recensement général auquel on puisse rapporter la naissance du Sauveur avait été ordonné par l’empereur Auguste, en l’an 4706, P. J.

Ainsi, première conclusion certaine : La naissance du Sauveur ne peut être placée avant l’an 4706.

Nous savons, d’autre part, que le Sauveur est né quelque temps avant la mort du roi Hérode Ier, arrivée au commencement d’avril 4710, P. J.

Par conséquent, seconde conclusion certaine : ire premier recensement de Quirinius, ainsi que la naissance du Sauveur, ont eu lieu à Bethléeln quelque temps avant l’an 4710.

L’an 4706 et I’an 4710, voilà donc les deux termes extrêmes entre lesquels il faut nécessairement placer l’époque de ces événements.

Pour préciser cette époque, nous pourrions, dès maintenant, mettre hors de discussion les années 4708 et 4709, puisque le récit de saint Matthieu exige moralement un intervalle de plus de deux années entre la naissance du Sauveur et la mort du roi Hérode. Nous pourrions pareillement mettre lors de discussion l’an 4706, par cette simple observation que, dans tous les autres recensements généraux cette époque, la première année a été consacrée au dénombrement des citoyens romains, et que le dénombrement des autres personnes libres de chaque province n’est venu qu’après.

Resterait alors l’an 4707, P. J., comme date sinon absolument certaine, du moins la plus approchée et la plus probable du premier recensement de Quirinius en Judée et de la naissance du Sauveur.

Avant d’établir cette date par une déduction encore plus précise, nous observerons qu’elle se trouve confirmée par le seul fait de la prestation d’un serment de fidélité à l’empereur Auguste. C’est, en effet, le 7 janvier de l’an 4707, P. J., que l’empereur recommençait malgré lui à exercer les pouvoirs impériaux pendant une nouvelle période de dix années ; or il est contraire à toute vraisemblance qu’un souverain exige un serment de fidélité à l’expiration de ses pouvoirs plutôt qu’à leur renouvellement, et Auguste, moins que tout autre, n’a pu le faire, lui que les historiens nous montrent alors affectant de toutes manières de refuser l’empire.

Mais nous avons une troisième preuve bien plus positive et plus précise encore : c’est le double témoignage de Josèphe et de Tertullien, tel que nous l’avons cité dans le paragraphe précédent ; il suffit en effet pour prouver que la naissance du Sauveur a eu lieu quelque mois après la fin de l’an 4706, et quelques mois avant la fin de l’an 4708, et, si l’on a égard à la tradition qui fixe l’anniversaire de ce précieux événement au vingt-cinquième jour de décembre, la date du 25 décembre 4707, P. J., apparaît dès lors comme étant la seule possible. Nous verrons, dans le chapitre suivant, les raisons qui appuient cette tradition du 25 décembre, et lors même que cet anniversaire ne paraîtrait pas absolument certain, la fin de l’année 4707 serait toujours, d’après ce double témoignage, l’époque très approchée et même la date certaine à six mois près du grand et divin événement qui fait le sujet de nos recherches.

II. Exclusion du 25 décembre 4708 et même de plusieurs mois précédents. — Les deux auteurs que nous venons de citer s’accordent à démontrer que le premier recensement, dont parle saint Luc, a en lieu, Sentius Saturninus étant gouverneur ordinaire de Syrie. Or Sentius Saturninus fut remplacé dans cette charge par Quintilius Varus, en l’an 4708, assez longtemps avant la fin de l’année.

Les témoignages de l’histoire écrite ne suffisent pas, il est vrai, pour prouver cette assertion ; mais on peut la démontrer par des médailles citées et reproduites par Vaillant, au tome II des Mémoires de l’Académie des Inscriptions, p. 497.

Elles portent toutes, d’un côté, la tête de Jupiter, sans aucune légende ; de l’autre côté se trouve une figure de femme assise sur des rochers, la tête ornée d’une couronne formée de plusieurs tours, et tenant dans la main droite une branche de palmier ; c’est le génie de la ville ; à ses pieds on voit un fleuve les bras étendus, c’est la figure de l’Oronte, et tous ces symboles distinguent la capitale de la Syrie de quelques autres villes portant comme elle le nom d’Antioche. Autour de cette figure est la légende : ΆΝΤΙΟΧΕΩΝ ΈΠΊ ΟΎΑΡΟΥ. — Antiochensium sub Varo, et dans le champ de la médaille sont les deux lettres numériques de l’année : ΕΚ, 25, pour la première : ϚΚ, 26, pour la deuxième, et ΖΚ, 27, pour la troisième.

Il est nécessaire d’avertir ici que les Antiochéniens comptaient alors leurs années partir de la bataille d’Actium (2 septembre 4683, P. J.). Ce qui confirme ce fait, c’est qu’Antioche mettait également sur les médailles d’argent ce même génie de la ville, avec des dates analogues et cette inscription plus explicite ; ΈΤΟΥΣ ΝΊΚΗΣ, Anno victoriœ[46].

La vingt-cinquième année finissait donc vers l’automne de l’an 4708, P. J., et la première médaille atteste ainsi que Varus était déjà gouverneur quelque temps avant cette époque. Il ne parait pas toutefois qu’il le fût depuis longtemps, car l’histoire de Josèphe prouve, avec la même évidence, que Saturnines tenait encore le gouvernement de cette province au commencement de cette même année 4708.

Il est vraisemblable que Varus fut envoyé de Rome pendant le printemps de cette année, époque principale des voyages d’outre-mer, et que le changement de gouverneur a eu lieu en Syrie, vers le mois de mai. Varus aurait ainsi occupé le gouvernement sic la province pendant les derniers mais de la vingt-cinquième année d’Actium, comme le prouvent les médailles d’une manière irréfragable.

III. Exclusion du 25 décembre 4706 et de quelques mois postérieurs. — Cette exclusion résulte de la chronologie même des faits racontés par l’historien Josèphe. Nous regardons comme une chose évidente l’identité du recensement avec le serment de fidélité prêté par les Juifs à César et mentionné par cet historien ; or cette importante mesure a dû s’effectuer quelque temps après le commencement de l’année 4707.

La seule difficulté que nous rencontrons, pour fixer exactement une date, vient de ce que Josèphe, tout en suivant l’ordre chronologique des faits[47], ne nous a cependant pas donné la date formelle des événements qui nous occupent ; mais, hâtons-nous de le dire, la chaîne des faits nous est si minutieusement transmise, qu’il est facile d’en établir la chronologie, à cinq ou six mois près, et encore tout au plus.

Pour avoir une date clairement désignée par Josèphe, avant la prestation du serment, il faut remonter jusqu’à la dédicace de Césarée, cet événement mémorable arriva pendant la 192e Olympiade, en la vingt-huitième année du règne d’Hérode. Or cette vingt-huitième année commença le 3 avril de l’an 4704, P. J.

Depuis cette dédicace jusqu’à l’année 4706, l’intervalle est, abondamment rempli par les faits historiques racontés par le même auteur : dissensions intestines dans la famille d’Hérode, voyage et séjour du roi de Cappadoce à Jérusalem, voyage d’Hérode à Antioche, puis démêlés politiques de ce prince avec les Arabes, et enfin guerre véritable avec ce peuple de pillards.

Cette guerre provoqua plusieurs ambassades à Rome auprès du maître commun. Or il est certain que ces ambassades ne furent reçues par Auguste qu’après le commencement de l’an 4706 ; car Josèphe dit formellement que ce prince leur donna audience à Rome et dans son palais, et Dion Cassius nous apprend, d’autre part, que l’empereur ne rentra à Rome qu’au commencement de cette année 4706, après deux ans d’absence (l. 55, p. 551).

A la suite de la première audience, Auguste, trompé par l’arabe Sylleus, écrit une lettre de reproches à Hérode, et cette lettre oblige le roi des Juifs à envoyer quatre ambassades successives à l’empereur. Tous ces voyages doivent ainsi se placer à partir des premiers mois de l’année 4706, et, en supposant un intervalle de deux ou trois mois pour chacun, il est évident que la fin de l’année était bien proche, sinon déjà passée, à l’époque de la dernière ambassade.

Dans celle-ci, Hérode demandait l’empereur, entre autres choses, la permission de faire juger et punir ses deux fils Alexandre et Aristobule. Cette permission lui ayant été envoyée de Rome, le jurement eut lieu à Bérythe, et l’exécution capitale se fit quelque temps après le retour d’Hérode en Judée (Antiq. Jud., XVI, c. 16 et 17). Cette exécution doit donc être placée au plus tôt au commencement de l’an 4707, P. J.

Mais cette exécution précède la prestation du serment ou le recensement des Juifs, et même il faut placer entre les deux plusieurs autres événements qui exigent encore moralement un intervalle de quelques mois et il s’ensuit, d’une manière évidente, que le recensement a eu lieu en Judée quelques mois après le commencement de l’an 4707.

D’un autre côté, le petit nombre de faits arrivés entre la prestation du serment et l’arrivée de Varus, vers le mois de mai 4708, confirme parfaitement la date du 25 décembre 4707 comme étant la date la plus approchée et même la date certaine, à six mois près, des événements qui nous occupent.

Ainsi l’histoire sacrée et l’histoire profane, par un accord admirable, nous donnent la fin de l’an 4707 comme la date vraie et précise, à quelques mois prés, de la naissance du Sauveur.

Ainsi saint Matthieu et saint Luc, racontant des faits différents, s’accordent cependant parfaitement l’un avec l’autre sur le lieu et sur le temps de cette divine naissance ; leurs récits convergent vers la même date, et, par contrecoup, cet accord prouve leur exactitude historique sur le reste.

IV. Une page de M. Renan. — Sortons maintenant des études sérieuses et voyons un peu comment, les sophistes du dix-neuvième siècle traitent les questions évangéliques. M. Renan parle du recensement de saint Luc dans sa prétendue Vie de Jésus, et tout naturellement il en parle comme de tout le reste, en entassant les erreurs avec les contradictions.

M. Renan est mort depuis longtemps et, en le citant, nous n’avons ni le désir ni la prétention de le faire revivre. La page suivante de cet auteur doit cependant être réfutée ici ; c’est celle qui renferme l’objection la plus spécieuse du livre, et, jusqu’à présent, l’absence d’un travail complet sur le recensement de Quirinius nous semblait diminuer, sur ce point, l’évidence victorieuse des réfutations.

Jésus naquit à Nazareth..... et ce n’est que par un détour assez embarrassé qu’on réussit dans la légende à le faire naître à Bethléem.....    

Le recensement opéré par Quirinius, auquel la légende rattache le voyage de Bethléem, est postérieur d’au moins dix ans à l’année où, selon Luc et Matthieu, Jésus serait né. Les deux évangélistes, on effet, font naître Jésus sous le règne d’Hérode (Matth., II, 4, 49, 22 ; Luc, I, 5). Or, le recensement de Quirinius n’eut lieu qu’après la déposition d’Archélaüs, c’est-à-dire dix ans après la mort d’Hérode, l’an 37 de l’ère d’Actium (Josèphe, Ant., XVII, XIII, 5 ; XVIII, I, 4 ; II, 4). L’inscription par laquelle on prétendait autrefois établir que Quirinius fit deux recensements est reconnue pour fausse (V. Orelli, Inscr. lat., n° 623, et le supplément de Henzen, à ce numéro ; Borghesi, Fastes consulaires [encore inédits], à l’année 742). Le recensement en tout cas ne se serait appliqué qu’aux parties réduites en province romaine, et non aux tétrarchies. Les textes par lesquels on cherche à prouver que quelques-unes des opérations de statistique et de cadastre ordonnées par Auguste durent s’étendre au domaine des Hérodes, ou n’impliquent pas ce qu’on leur fait dire, ou sont d’auteurs chrétiens, qui ont emprunté cette donnée à l’Évangile de Luc. Ce qui prouve bien, d’ailleurs, que le voyage de la famille de Jésus à Bethléem n’a rien d’historique, c’est le motif qu’on lui attribue. Jésus n’était pas de la famille de David (v. ci-dessous, p. 237-238), et, en eût-il été, on ne concevrait pas encore que ses parents eussent été forcés, pour une opération purement cadastrale et financière, de venir s’inscrire au lieu d’où leurs ancêtres étaient sortis depuis mille ans. En leur imposant une telle obligation, l’autorité romaine aurait sanctionné des prétentions pour elle pleines de menaces.

Cette page est remarquable. M. Renan a su y renfermer un peu plus d’erreurs que de phrases. Relevons seulement celles qui ont trait notre sujet.

Jésus naquit à Nazareth. — Cette affirmation est erronée et sans preuve aucune. Au contraire, saint Matthieu, saint Luc, et tous les auteurs des premiers siècles disent unanimement que le Sauveur est né à Bethléem. Tertullien ajoute même que ce fait était constaté de son temps dans les registres encore subsistants du recensement romain. Nous le demandons : qui faut-il croire ? ou plutôt que faut-il penser de la négation ignorante et gratuite qui vient, après dix-huit siècles, contredire de telles autorités ?

Le recensement de Quirinius est postérieur d’au moins dix ans à l’année où Jésus serait né. — Le dernier recensement de Quirinius, sans doute. Mais saint Luc affirme qu’il parle du premier (voir plus haut), et nous avons prouvé que ce premier recensement est arrivé précisément à l’époque où les évangélistes font naître le Sauveur.

L’inscription par laquelle, etc. — Nous ignorons pourquoi M. Renan donne tant d’importance à cette inscription qu’il accuse de fausseté. Cette inscription, qui parle d’un recensement de Quirinius, n’a jamais pu prouver qu’il en ait fait deux. Vraie ou fausse, elle est parfaitement inutile pour confirmer l’authenticité du point contesté, et M. Renan se donne ici le plaisir de se battre contre un fantôme. Les deux recensements faits par Quirinius sont prouvés par d’autres preuves, mais, quant à cette inscription, si nous la reproduisons au numéro 3 des notes justificatives, c’est à titre de simple curiosité.

Le recensement, en tout cas, ne se serait appliqué qu’aux parties réduites en provinces romaines et non aux tétrarchies. — Il y a ici deux erreurs : 1° la Judée n’était pas alors une tétrarchie, mais un royaume ; et 2° Quirinius appliquait le recensement aux royaumes comme aux parties réduites en provinces romaines. Qu’allait-il donc faire, parmi les Homonades, dans le royaume d’Archélaüs ? et que signifie ce passage de Tacite : Nostrum in modum deferre census … adigebatur gens Archelao (regi) subjecta (Ann., VI, 41) ? Il en était de même pour le royaume d’Hérode, et Josèphe atteste assez que la Judée fut dès lors soumise au recensement romain, puisqu’il mentionne le serment de fidélité et les impôts que l’empereur Auguste fit alors exiger chez les Juifs, du vivant même d’Hérode. Le recensement n’était pas autre chose que l’application de cette double mesure.

Jésus n’était pas de la famille de David. (Voir ci-dessous, p. 237.) — Voyons cet important ci-dessous :

Page 237. — La famille de David était, À CE QU’IL SEMBLE, éteinte depuis longtemps. — (Cet IL SEMBLE appuie bien piteusement l’affirmation carrée qui précède et qui ne repose que sur lui.) — Ni Hérode, ni les romains ne songent un instant qu’il existe autour d’eux un représentant quelconque des droits de l’ancienne dynastie.

Cette dernière assertion, comme toutes ses compagnes, se pose avec une assurance fort peu fondée. Hérode n’a que trop songé à l’héritier de David, comme le prouvent et le massacre de Bethléem et la fuite en Égypte. Il en est de même pour les Romains : les empereurs Vespasien et Domitien, entre autres, ont pris des mesures rigoureuses contre les descendants de David, et c’est d’après les ordres de l’empereur que les petits-fils de l’apôtre saint Jude furent emmenés à Rome et interrogés par Domitien. (Voir Crevier, Hist. des empereurs, t. XVII, § 4, d’après Eusèbe et Hégésippe.)

Continuons la citation de la note, page 237 :

Il est vrai que certains docteurs, tels que Hillel, Gamaliel, sont donnés comme étant de la race de David. Mais ce sont là des allégations très douteuses. Si la famille de David formait encore un groupe distinct et ayant de la notoriété, comment se fait-il qu’on ne la voie jamais figurer à côté des Sadokites, des Boéthuses, des Asmonéens, des Hérode, dans les grandes luttes du temps ?

Comment qualifier une telle argumentation ? M. Renan se plaint qu’il ne trouve, à l’époque du Sauveur, aucun descendant de David figurant à côté des Sadokites et des Boéthuses ; et, deux lignes plus haut, il en cite lui-même plusieurs et entre autres Hillel et Gamaliel qui furent beaucoup plus célèbres que tous les Boéthuses réunis ! Nous y ajouterons le Sauveur et sa famille. N’a-t-elle pas joué un certain rôle et subi d’assez notables persécutions ? Enfin le Talmud lui-même atteste que l’on avait coutume, à cette époque, de choisir, parmi la race royale de David, les présidents des écoles théologiques[48].

En eût-il été ; on ne concevrait pas encore que ses parents eussent été forcés, pour une opération purement cadastrale et financière, de venir s’inscrire au lieu d’où leurs ancêtres étaient sortis depuis plus de mille ans. — Ils étaient sortis, oui, bien des fois, et RENTRÉS AUSSI, depuis plus de mille ans ! Bethléem n’est qu’à deux lieues de Jérusalem, et tout porte à croire que les descendants de David, comme les autres Juifs, avaient conservé leur héritage patrimonial. Nous avons vu précédemment que le texte de saint Luc (quand il appelle Bethléem la ville propre de saint Joseph) et de plus l’inscription de la sainte famille portée sur le cens de cette ville, donnent clairement à penser que saint Joseph était né à Bethléem.

Finissons-en avec toutes ces objections gratuites. Les passages que nous avons cités nous avaient d’abord paru les plus hardis et les plus difficiles à réfuter historiquement ; c’est pour cela que nous avons voulu, dans une digression un peu longue, mais nécessaire, établir les faits qui s’y trouvent niés.

Ces faits paraissaient être complètement en dehors des documents qui nous restent de l’histoire profane. Comment, en effet, retrouver la liste des censiteurs romains en l’an 4707, et montrer Quirinius exerçant alors cette fonction dans les royaumes du gouvernement de Syrie ? C’était impossible : M. Renan, du moins, le croyait ainsi, et quelle bonne affaire pour lui ! Il faut voir avec quelle superbe assurance il exploite ce silence prétendu des historiens, et comme il oppose hardiment, ses négations au récit évangélique. Hélas ! les vieux historiens ne sont pas aussi muets qu’on aurait pu le croire, et Tacite seul peut suffire pour châtier cette outrecuidance.

Concluons : il a eu et il y aura toujours des impies, ennemis systématiques de la religion comme de la vérité et de la vertu. C’est Jésus-Christ lui-même qui nous en avertit. Mais nous savons aussi que la religion, la vérité et la vertu finissent toujours par triompher. Dieu juge ces hommes tour à tour et, même avant son jugement, il nous permet déjà de démasquer ici-bas l’hypocrisie de leur science. Quand on les voit se couvrir impudemment de ce manteau de l’érudition pour attaquer l’Évangile de vérité et la religion reine des sciences, on se rappelle involontairement l’animal que La Fontaine nous montre se déguisant sous une peau de lion pour effrayer ses maîtres. En examinant de près ce fier mais faux déguisement, un observateur attentif découvre bientôt des oreilles honteuses, et cette découverte le met en droit de leur donner, en passant, la coup de fouet qu’ils méritent.

 

 

 



[1] Αΰτη ή άπογραφή πρώτη έγένετο, ήγεμονεύοντος τής Συρίας Κυρηνίου, littéralement : Cette inscription arriva la première, Cyrenius exerçant l’intendance de la Syrie. D’après la contexture de la phrase grecque, le mot πρώτη est l’attribut du verbe έγένετο et non pas le qualificatif immédiat de άπογραφή. Pour préciser ce dernier sens, saint Luc devait, d’après les règles de la syntaxe grecque, placer πρώτη immédiatement après l’article ή et dire par exemple : Αΰτη ή πρώτη άπογραφή ou αΰτη πρώτη ή άπογραφή έγένετο, κ. τ. λ. Au contraire, la construction adoptée par l’écrivain sacré justifie pleinement notre interprétation, pour ne pas dire qu’elle l’exige exclusivement. Cette différence de sens est importante ; le latin, qui n’a pas d’article ne le fait pas ressortir dans la Vulgate, et beaucoup d’auteurs s’y sont laissé tromper,

Ensuite nous avons dû éviter de traduire ήγεμονεύοντος par gouverneur ; car le terme propre correspondant à ce mot français est άρχων, comme on le voit par les textes nombreux de Dion Cassius et autre ; il n’y à fait qu’un seul άρχων dans un gouvernement, tandis qu’on voit simultanément plusieurs ήγεμόνες généraux, procurateurs ou intendants de la province. Ce mot grec indique toute espère de juridiction (voir § 2).

Telles sont les raisons qui nous ont guidé dans l’interprétation littérale de ce passage qui a tant occupé les commentateurs. Quant à l’application de ce texte à la réalité des faits, nous nous en occuperons dans les paragraphes 2 et 3 du présent chapitre.

Dans le traduction française nous avons dû conserver le mot dénombrement consacré par la prescription de plusieurs siècles ; mais dans le cours des paragraphes suivants nous employons de préférence les mots : cens ou recensements.

Les expressions : inscription ou déclaration se rapportent aussi à la même opération considérée dans sa mise en pratique.

[2] Voir, pour l’étude de cette question, Huschke, Üeber den zur Zeit der Geburt Jesu Christi gehalten Census, Breslau, 1840. — Patrizzi, De Evangeliis, III, XVIII. — Wallon, De la croyance due à l’Évangile, IIe partie, ch. III. — Dureau de la Malle, Économie politique et sociale des romains, 1 vol., p. 109. — Egger, Examen critique des historiens d’Auguste, c. 1, § 2.

[3] Le recensement des provinces se faisait déjà sous la république, notamment en Sicile, et son exécution concordait avec le retour du lustre à Rome. Sicilia quinto quoque anno tota censetur, Cicéron, In Ver., II, c. II, § 56.

[4] Voir l’Inscription d’Ancyre citée plus loin. Le nombre des citoyens était de 450.000 en l’an 4644 P. J. et de 6.964.000 sous Claude (4763). Les empereurs avaient accordé ce titre à un grand nombre de villes et Caracalla l’étendit plus tard à l’empire, mais sans exempter de l’impôt.

[5] Le nombre des esclaves était alors triple au moins de celui des citoyens. Voir Encyclopédie du XIXe siècle au mot Esclave.

[6] In hoc unum Cæsris nomen universa magnarum genitum creatura juravit, simulque per communionem census unius societatis effecta fat. (Orose, VII, 3.) Voir aussi plus bas, § III.

[7] Voir plus loin, même chapitre, § 2 et 3.

[8] Dion, LVI, 33, p. 677 ; Suétone, Auguste, 101 ; Tacite, Annales, I, 11.

[9] Augusti siquidem temporibus, orbis romanus agris divisus censuque descriptus est, ut possessio sua nulli haberetur incerta, quam pro tribu forum susceperat quantitate solvenda. Hoc auctor hyrum (sic) metricus redegit ad dogma conscriptum (Variarum, III, ep. 52).

[10] De colon., ap. Gæs., p. 109.

[11] Quod si quis contradicat, sanctuarium principis respiti solet. Omnium enim et agrorum et divisionum commentarios principatus in sanctuario habet (Sicul. Flacc., De condit. agr., ap. Gæs., p. 16. — Voir M. Egger, Examen critique des historiens d’Auguste, p. 50, et M. Wallon, De la croyance due à l’Évangile, p. 304.)

[12] Voir le travail de M. d’Avezac sur Æthicus et sur les ouvrages cosmographiques intitulés de ce nom, Mémoires de d’Acad. des inscript. (savants étrangers) 1ère série, t. II, p, 230 et suiv.

[13] Etymolog., l. V, c. XXXVI, n. 4. — Le sens du mot æra, dans ce passage, est parfaitement défini par l’explication donnée dans un autre endroit du même auteur, lorsque après avoir rappelé le même fait, il ajoute : Æra a die kalenderum januarii accrescit. (De natura rerum, c. VI, n. 7.)

[14] Voir au supplément, Restitution du calendrier hébraïque, art. II, 2, 3 et 4.

[15] L. Postumius consul pro concione edixerat qui socium latini nominis ea edicto C. Claudii consulis redire in civitates suas debuissent, ne quis eorum Romæ, set omnes in suis civitabus censerentur. (Tite-Live, XLII, 10)

[16] Ut cives romanos ad censendum et provinciis in Italiam revocarent. (Velleius Paterc., II, 25. Cf. Cicéron, Verres, Act. I, 18.)

[17] Il est très probable qu’au temps d’Auguste la déclaration des biens se faisait, comme celle des personnes, au lieu même de la naissance du propriétaire. Il est certain du moins que tel était encore l’usage au temps de Cicéron. Dans un recensement de cette époque, un certain Decianus avait fait inscrire sur le cens de Rome des biens situés sur le territoire d’Apollonis, et dont la possession lui fut contestée. Ces biens appartenaient en effet à un autre propriétaire résidant dans cette dernière ville ; de sorte, dit Cicéron, que si dans un cas extrême on eût imposé ces biens, la même contribution aurait été payée à Apollonis et à Rome. (Pro Flacco, 32.)

C’est une raison de plus de penser que saint Joseph ne fut appelé à Bethléem que parce que cette ville était sa patrie.

[18] Tunc igitur natus est Christus, romano censui statim ascriptus ut natus est. (Orose, VI, 22.)

[19] L’histoire sainte mentionne plusieurs recensements opérés chez les Juifs avant la domination romaine ; mais alors les femmes n’y prenaient aucune part. Il n’en était pas de même dans les recensements romains et c’était un recensement romain ordonné par l’empereur César Auguste qui amenait saint Joseph à Bethléem.

Les historiens et les lois romaines disent expressément que les femmes étaient inscrites dans ces recensements. (Denys d’Hal., IV, 15, etc.) Tite-Live prouve également cet usage en rendant compte de plusieurs de ces opérations, en ces termes ou en d’autres équivalents : Censa civium capita centum quatuor millia et ducenta quatuordecim præter orbos ORBASQUE (III, 3), ou præter pupillos et VIDUAS (LIX).

[20] Voir les nombreux exemples de ces titres officiels dans Orelli, Inscriptionum latin. collectio, 3 vol. in-8° avec le supplément de Henzen.

Voici ses titres, avec les numéros des inscriptions qui les contiennent :

Legatus Augusti pro prœtore, ad census accipiendos. 364, 2213, 5201, 6512.

Legatus Augusti pro prœtore censuum accipiendorum. 3044, 3659.

Legatus Augusti pro prœtore, censitor. 6049.

Censitor. 205, 3052, 4212, 6926, 5927, 6948.

A censibus, 3180, 6944, 6518, 6929, etc.

[21] Voir Borghesi, Inscriptions de Fuligno, Annales de l’Instit. arch. de Rome, 1846, p. 314.

[22] Orelli et Henzen, 2156, 6519. — Gruter, 403, 5. — Borghesi, Annales, etc., p. 316 et suiv.

[23] Egger, Examen critique des historiens d’Auguste, travail couronné par l’Académie des Inscr., en 1839. L’Inscription d’Ancyre est reproduite à la fin de cet ouvrage, dans le Recueil de Gruter et dans plusieurs autres recueils.

Le texte que nous citons ici a été vérifié sur le fac-simile magnifique, que MM. Perrot, etc., ont joint à leur grand ouvrage intitulé : Exploration Archéologiques en Galatie, etc. in-folio, Paris, 1664.

[24] Ces deux textes grecs ont été retrouvés, l’un à Ancyre même, et l’autre à Apollonie de Pisidie. MM. Perrot, etc., les reproduisent aussi dans l’ouvrage indiqué ci-dessus.

[25] L’usage de faire suivre le cens général des citoyens par celui des colonies italiennes et des autres habitants libres fut observé avant comme après Auguste.

Tite-Live parle du commencement de cet usage, 4510, P. J. (XXIX, 37.) Et le cens de la Sicile concorda avec celui de Rome, jusqu’en l’an 4622, P. J. (Cf. Cicéron, In Ver., Act. II,  56 et les dates des cens romains avent cette époque.)

Il en est de même après Auguste : ainsi en l’an 59, E. C., il y a recensement général des citoyens, et aussitôt après nous voyons la même opération s’effectuant dans les provinces. (Tacite, Annales, XIV, 46.)

[26] Dans un discours prononcé par l’empereur Claude, à l’occasion du cens de l’an 48, E. C., il est question des difficultés que rencontraient les premiers recensements sous Auguste. Illi (Galli) petri meo Druso Germaniam subigenti tutam quiete sua securamque a tergo pacem prœstiterunt, et quidem cum a CENSU, NOVO TUM OPERE ET INADSUETO GALLIS, ad bellum avocatus esset, quod opus quam arduum sit nobis, nunc cum maxime, quamvis nihil ultra quam ut publice notœ sint facultates nostræ exquiratur, nimis magno experimento cognoscimus. (Inscription lyonnaise ; voir Juste Lipse, Comment. sur Tacite, ad lib. XI Annal., n. 24.)

L’Epitomé de Tite-Live (l. 136 et 137) parle aussi des difficultés que rencontre ce recensement de Drusus, et les paroles de l’empereur Claude laissent à entendre que ce recensement, chose nouvelle chez les Gaulois, était le premier, ou plutôt la continuation du premier commencé par Auguste lui-même, en l’an 4687. Ainsi les recensements d’Auguste auraient été beaucoup plus étendus et auraient duré beaucoup plus longtemps que ceux qui furent opérés après lui.

D’après une autre opinion, le recensement provincial des Gaules, en 4702, se rattacherait au cens quinquennal de l’année précédente à Rome.

Ces deux opinions sont assez indifférentes pour les questions évangéliques que nous voulons résoudre. La première toutefois nous parait la plus probable.

[27] Voir Tillemont et les sources qu’il indique, Hist. des empereurs, t. I, p. 18, la 8e année av. J. C.

[28] Orose, Hist., VI, c. 22.

[29] Cf. l’Inscription d’Ancyre et Dion Cassius, LV, p. 557.

[30] C'est là qu'est né Denys, l'auteur le plus récent d'une description de la terre; le dieu Auguste l'envoya en Orient recueillir tous les renseignements, pendant que son fils aîné se préparait à aller en Arménie pour régler les affaires des Parthes et des Arabes (Pline, Hist. nat., VI, XXXI, 14). Caïus César étant parti pour les provinces d’Orient, en l’an 4712, et Denys le Géographe ayant été envoyé avant Lui, cette mission doit par conséquent être placée entre 4706 et 4712, dans le temps même où Quirinius opérait le recensement dans les mêmes provinces.

[31] Josèphe, Antiq., XVII.

[32] Cf. Strabon, Géographie, XIV, Dion, LIV, p. 526.

[33] L’opération du cens parait encore avoir été la cause de cette nouvelle révolte ; car elle s’éleva dans le temps où l’on devait appliquer à ces peuples le recensement général commencé par Claude en 4761, P. J.

[34] Nous pouvons encore mentionner ici un petit fait de l’histoire des Juifs, qui semble se rattacher à la présence de Quirinius en Cilicie, vers la fin de l’an 4709, P. J. Antipater, fils aîné d’Hérode, revenait alors de Rome en Judée, et, sachant que de graves accusations avalent été portées contre lui pendant son absence, il voulut se procurer des renseignements et des conseils avant d’arriver à Césarée de Palestine. Pour cela, chose remarquable, il alla prendre terre dans cette même province de Cilicie, et, après un certain temps d’arrêt, il se rembarqua à Célendéris.

Cependant le Cilicie et Célendéris, en particulier, étaient bien plus éloignées du trajet direct de Tarente à Césarée que les provinces de Syrie ou d’Égypte, et Antipater aurait trouvé dans les villes d’Antioche ou d’Alexandrie un plus grand nombre de juifs et de personnages considérables. De plus, cette partie de la Cilicie avait alors pour roi Antiochus, ennemi déclaré d’Antipater, auquel il avait à reprocher la mort de son gendre Alexandre. Mais la préférence d’Antipater pour la Cilicie s’explique parfaitement si nous noud rappelons que Quirinius s’y trouvait alors et que ce personnage consulaire venait de présider peu auparavant le dénombrement de la Syrie et de la Judée. Antipater ne pouvait donc mieux faire que de s’adresser à lui et de lui demander conseil et appui dans le situation critique où il se trouvait.

[35] Theophylactus, Bulgarorum Archiepiscopus, anno Christi 1070 clarus, in commentariis in quatuor Evangelistas his verbis interpretatur : Τουτέστι προτέρα ήγεμονεύοντος, ήγουν πρότερον ή ήγεμόνευε τής Συρίας Κυρηνίου (Reinold, cens. habit, nasc. Christo, p. 451.)

[36] Herwært, Nova vera chron., c. 241-242. — Huschke, ouvrage cité, I, 1, p. 80. — Lardner, Credibility of the Gospel, II, I, 3, n° 6. — Kepler, De anno natali Christi, p. 116-117, etc., et de nos Jours, M. Wallon, ouvrage cité, p. 287 et suiv. ; les historiens Rohrbacher et l’abbé Darras, etc.

[37] Les intendants de provinces, en grec έπίτροποι, en latin procuratores, étaient les assesseurs et les conseillers du gouverneur ordinaire ; la rentrée des impôts leur était confiée, ils avaient aussi quelquefois le commandement d’un district particulier. Il y avait plusieurs intendants en Syrie, tandis qu’il n’y avait qu’un seul gouverneur.

[38] L’interprétation que nous avons suivie et justifiée dans ce paragraphe est conforme non seulement à la lettre du texte de saint Luc et à la vérité des faits, mais encore au sens traditionnel suivi par toute l’antiquité chrétienne ; nous nous contentons seulement d’après de savants interprètes, d’ajouter, pour la juridiction de Quirinius, la nuance explicative du mot extraordinaire.

La même interprétation, avec la même explication, est pareillement donnée par les interprètes modernes les plus autorisés ; il nous suffira de citer Cornelius a Lapide et Jensenius, dans leurs Commentaires sur saint Luc, Usserius, Petau, le docteur Sepp (Hist. de N. S. J. C., part. I, cap. 4), Le P. Patrizzi (De Evang., III, diss., 18), etc.

[39] Ce passage de Josèphe fait un contraste visible avec les louanges qu’il donne partout ailleurs aux Pharisiens, avouant du reste qu’il est lui-même Pharisien. Ce contraste si peu naturel donne à conclure que tout le passage que nous citons a été emprunté textuellement aux mémoires plus anciens de Nicolas de Damas. C’est une garantie de plus en faveur de son authenticité.

[40] De la Croyance, etc., ouvrage cité, p. 333.

[41] Hérode Antipas obtint d’Auguste (4710) la Galilée et le pays situé au delà du Jourdain, et le revenu de ses possessions montait à 200 talents, Philippe eut la Bathanée, etc., et le revenu de ses possessions montait à 100 talents, Archélaüs reçut la Judée, l’Idumée et la Samarie, à laquelle Auguste remit la quatrième partie des impôts qu’elle payait auparavant,... et Archélaüs retirait de ses possessions un revenu annuel de 600 talents... Salomé eut les trois villes de Jamnia, Azot et Phazaëlide,... et son revenu annuel était de 60 talents. (Josèphe, Antiq., XVII, 13.)

[42] Moïse de Khoren, Hist. armen., II, XXV, XVVI, et Saint-Martin, fragments d’une Histoire des Arsacides, première partie, p. 116.

[43] Adv. Marcion., IV, 19.

[44] Adv. Marcion., IV, 7.

[45] Voir Tillemont, Hist. des empereurs romains, t. I, p. 27.

[46] La comparaison des dates fournies par les médailles syriennes prouve d’une manière incontestable que les Antiochéniens faisaient commencer la première année de l’ère actiaque pendant les derniers mois de l’an 4683, Sanclemente pense qu’ils comptaient cette ère non de la bataille même d’Actium, main de la soumission de l’Orient qui eut lieu quelques mois après. C’est ainsi que, suivant des usages de remonter au premier jour de l’année courante (1er dius ou 1er novembre), ils durent la rapporter au 1er novembre 4683 et non 4682, P. J. (Voir De vulg. œr. Emend., p 229.)

[47] Voir plus bas, cinquième partie, c. I.

[48] Talmud, Traité du Sanhédrin, fol. 5, A. — Citation de M. Cohen, auteur israélite, La Bible, t. II, préface, p. XVIII, édition de 1832. — Hillel, Siméon et Gamaliel, tous trois de la race royale de David, ont présidé le Sanhédrin de Jérusalem pendant près d’un siècle et sont restés très célèbres dans le Talmud.