ÉTUDES CHRONOLOGIQUES POUR L'HISTOIRE DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

DEUXIÈME PARTIE  — DATE DE LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST

CHAPITRE PREMIER — Époque de la mort du roi Hérode Ier.

 

 

Avant, de rechercher directement la date de la naissance du Sauveur, il est absolument nécessaire de connaître celle de la mort du roi Hérode Ier. L’époque de cette mort servira ensuite de base pour les autres recherches, qui se borneront souvent à voir combien de temps a dû s’écouler entre les événements qui ont accompagné la naissance du Sauveur et le décès de son premier persécuteur.

1° On connaît l’année où commence le règne d’Hérode, et la durée de ce règne ; il est donc facile de trouve r l’époque de sa fin en ajoutant la durée du règne à la date de son commencement.

2° On connaît pareillement la durée des règnes des trois fils et successeurs immédiats d’Hérode, ainsi que les dates où ces règnes finissent on pourra donc vérifier triplement l’époque de la mort d’Hérode, en retranchant de leur date finale la durée de chacun de ces trois règnes.

On a ainsi quatre manières différentes de trouver la même date de la mort d’Hérode, et si ces quatre recherches différentes aboutissent au même résultat, il est clair que ce résultat sera d’une certitude incontestable.

I. Josèphe nous apprend (Antiq., XIV, 26) qu’Hérode fut nommé roi de Judée par le sénat romain, sur la proposition des triumvirs Marc-Antoine et Octave, sous le consulat de Domitius Calvinus et d’Asinius Pollion, c’est-à-dire en l’an 4674 de la période julienne ou 40 avant l’ère chrétienne[1], et (Ibidem, XI, 28) qu’il commença son règne effectif en s’emparant de Jérusalem trois ans après sa nomination, sous le consulat de Vipsanius Agrippa et de Canidius Balbus, c’est-à-dire l’an 4677 P. J.

Nous pouvons encore mieux préciser ces dates en indiquant en outre à quelle époque de l’année il faut rapporter ces deux avènements différents.

En fait, ils doivent se placer tous deux dans la seconde moitié de l’année julienne où ils arrivèrent, et en voici la raison :

1° Pour la nomination d’Hérode, décrétée par le sénat romain en l’an 4674, il est certain qu’elle n’a put avoir lieu qu’à la fin de cette année, car jusque-là, les deux protecteurs d’Hérode, Antoine et Octave, étaient absents de Rome, et même en guerre l’un contre l’autre. Ils ne se réconcilièrent et ne vinrent à Rome qu’après le siège de Brindes (Dion, LVIII, p. 417-429). Or cette réconciliation n’avait pas encore eu lieu lorsque Hérode partit d’Alexandrie (Josèphe, Antiq., XIV, 25) ; la saison était alors très avancée, et l’on commençait à craindre les tempêtes de l’hiver, χειμών (ibid.). La nomination d’Hérode, proposée par Antoine et Octave, n’a donc pu avoir lieu que dans les derniers jours de cette année.

Quant à la prise de Jérusalem, en l’an 4677, Josèphe dit positivement que les travaux du siège de Jérusalem se faisaient au milieu de l’été, θέρος (Antiq., XIV, 28), et cela soixante-cinq jours environ avant la prise de la ville, il est donc certain que cet événement arriva aussi pendant les derniers mois de l’année.

On pourrait peut-être préciser encore davantage ces deux époques, mais cette approximation suffit pour établir en droit, et suivant la manière de compter des Juifs, le double commencement du règne d’Hérode à un jour près, et voici comment :

Les Juifs, ainsi que les autres peuples d’Orient[2], avaient pour règle de compter les années de leurs rois, non du jour vrai de leur avènement, mais du premier jour de l’année de cet avènement, c’est-à-dire du premier jour du mois de Nisan. C’est ainsi que la dernière année d’un prince compte, en même temps, comme première de son successeur, et fait ainsi double, emploi.

Cette règle est confirmée par ce passage du Talmud :

La première année des rois se compte à partir du premier jour du mois de Nisan précédent. Ainsi, lors même que l’élection ou la confirmation du nouveau roi aurait en lieu un mois, une semaine, ou même un seul jour avant le mois de Nisan de l’année suivante, ce jour, cette semaine ou ce mois sont regardés comme une année entière, et on compte la seconde année à partir du premier Nisan qui suit[3].

Ainsi, quoique en fait le règne nominal et le règne effectif d’Hérode Ier n’aient commencé que dans la seconde moitié des années 4674 et 4677 de la période julienne, néanmoins, en droit, il faut en reporter le commencement au premier Nisan de ces mêmes années, c’est-à-dire au 4 avril de l’an 4674 pour le règne nominal, et au premier avril de l’an 4677 pour le règne effectif[4].

Ces dates étant ainsi précisées, nous savons, par Josèphe, qu’Hérode mourut la trente-septième année de son élection au trône, et la trente-quatrième de son règne effectif depuis la prise de Jérusalem[5]. Cela nous reporte donc à l’an 4710 de la période julienne, exprès le premier Nisan. Or, cette année-là, la néoménie astronomique de Nisan eut lieu le 7 mars, à 6 h. 32 m. du matin au méridien de Jérusalem, et c’est ce jour-là seulement que la dernière année d’Hérode a commencé.

Mais Hérode m’est pas mort longtemps après le premier Nisan, car le septième gour de ses funérailles tomba un jour ou deux avant la Pâque, fête que les Juifs célébraient le 15 du même mois (Antiq., XVII, 10). Ainsi Hérode est mort vers le 6 de ce mois lunaire, c’est-à-dire vers le premier avril de l’an 4710 de la période julienne, et 4 avant l’ère vulgaire.

Cette date est encore confirmée par une autre circonstance bien remarquable, mentionnée par Josèphe (Antiq., XVII, 8), Hérode, pendant sa dernière maladie, ayant fait mettre à mort deux célèbres docteurs, Judas, fils de Sariphée, et Mathias, fils de Margalothi, les Juifs remarquèrent une éclipse de lune pendant la nuit qui suivit cette exécution, et la mort d’Hérode arriva peu de jours après cette éclipse.

Or il y eut, en effet, une éclipse de lune visible en Judée, le 13 mars de cette année, à 1 h. 52 m. du matin. Depuis cette époque jusqu’au 10 janvier de l’an 4713, il n’y eut aucune autre éclipse de lune visible en Judée[6].

Ainsi, l’éclipse du 13 mars est bien celle dont parle Josèphe, et la mort d’Hérode qui arriva peu après, avant la fête de Pâque, doit être fixée vers le 1er avril 4710 P. J.

La date de la mort d’Hérode se trouve aussi parfaitement confirmée par sa concordance avec celle de l’avènement de ses trois fils et successeurs immédiats Archélaüs, Hérode Antipas et Philippe, comme nous allons le voir dans les numéros suivants.

II. Dion Cassius (LV, p. 649) et Josèphe (Ant., XVII, 15, et XVIII, 1) nous apprennent que l’ethnarque Archélaüs fit dépouillé de ses états et banni dans les Gaules, sous la consulat de M. Emilius Lepidus et de L. Arruntius, la trente-septième année de la bataille d’Actium. C’est alors que la Judée fut réduite en province romaine. Lepidus et Arruntius furent consuls en l’an 4719, et la trente-septième année d’Actium commence, en effet, en cette même année 4719, le 2 septembre, jour anniversaire de la bataille. C’est donc pendant les quatre derniers mois de cette année qu’Archélaüs fut banni.

L’abbé de Vence (Bible de Vence, t. X, Dissert. sur les années de J.-C.) objecte, il est vrai, contre cette date une médaille frappée en l’an 39 d’Actium, et représentant la Judée réduite en province romaine. Mais la médaille a très bien pu être frappée en l’an 39, sans que cette date soit celle de l’événement même qu’elle devait rappeler. Bien plus, le dénombrement et les mutations faites à l’occasion de cette réduction ont dû prendre un temps assez long et la médaille, frappée plus tard, ne prouve rien contre la date du bannissement d’Archélaüs, lorsque deux historiens différents s’accordent à rapporter cet événement à la fin de l’an 4719, P. J. Cet accord est ici une preuve suffisante et décisive de la vérité.

Ceci posé, nous voyons ensuite, par le témoignage plusieurs fois répété du même Josèphe (Ant., XVII, 15, etc.), qu’Archélaüs avait régné neuf ans, et qu’il était dans la dixième année de son règne, quand il fut dépouillé et banni.

Ainsi, en retranchant ces dix années commencées de la date de 4719, nous avons l’année 4710, comme première d’Archélaüs et dernière d’Hérode.

III. Nous savons également pas l’historien juif (Ant., XVIII, 16) que le tétrarque Philippe mourut en la vingtième année de Tibère[7], après avoir régné trente-sept ans sur la Trachonite, etc.

La vingtième année de Tibère court depuis le 19 août 4748, au même jour, 4747, P. J. En supposant que Philippe ait commencé son règne au mois de Nisan, 4718, sa trente-septième année expire, en effet, au milieu de la vingtième de Tibère, c’est-à-dire au 1er Nisan (8 avril) 4747, P. J., et 34 de l’ère chrétienne.

Cette coïncidence confirme suffisamment la date de l’année 4710, comme étant la première de Philippe, et, par conséquent, la dernière d’Hérode.

IV. Ce qui regarde Hérode-Antipas, troisième fils d’Hérode Ier, nous fournit l’occasion de joindre le témoignage des médailles à celui de l’histoire.

Le musée du Vatican et le cabinet spécial de la Bibliothèque impériale possèdent plusieurs médailles semblables aux empreintes ci-jointes.

Ces médailles ne représentent aucune effigie humaine, à cause de la susceptibilité religieuse des Juifs à l’égard de toute apparence d’idole. La face porte ; ΉΡΏΔΗΣ ΤΕΤΡΆΡΧΗΣ (Hérode Tétrarque), et au milieux une branche de palmier, avec le sigle : L, ΜΓ, c’est-à-dire année 43. Au revers, dans une couronne de laurier, on lit : ΓΑΙΩ. ΚΑΙΣΑ. ΓΕΡ. ΣΕΒ. (Caïus Germanicus Auguste.) C’est une dédicace à l’empereur Caïus Caligula.

Le célèbre numismate Vaillant, dans une dissertation insérée au second volume des Mémoires de l’Académie des inscriptions, mentionne et décrit une médaille parfaitement semblable, mais indiquant une date encore plus élevée, L, Μ Δ, année 44. (Voir ci-contre.)

Cette dernière médaille n’ayant pas été retrouvée, quelques critiques ont pensé qu’elle n’avait jamais existé, ou qu’on l’avait confondue avec une autre de l’an 34. Nous répugnons à croire que Vaillant ait décrit cette médaille sans être sûr de son authenticité, et l’empreinte, telle qu’il l’a donnée et telle que nous l’avons reproduite, montre qu’il est difficile de la cofondre avec les médailles de l’an 34 (ΛΔ).

De plus, Frérot mentionne (Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. XXI, p. 293) une médaille peu près semblable trouvée en Palestine en 1674, et il ajoute :

Les lettres de l’époque Μ Δ (44) sont très nettement marquées et figurées dans le manuscrit, et absolument, séparées l’une de l’autre.

Ainsi il parait bien constaté, par le témoignage de ces médailles, que le tétrarque Hérode resta possesseur de sa principauté jusqu’en la quarante-quatrième année.

Voici maintenant les données de l’histoire. L’empereur Caligula, en la quatrième année de son règne (4753, P. J., et 40, E. C.), au mois de septembre, se trouvant à Baies, en Campanie, dépouilla de ses états Hérode le tétrarque, et l’envoya en exil à Lyon. (Voir note justificative n° 1)

Les médailles décrites plus haut indiquent les années du règne de ce prince ; mais, pour trouver à ce règne une durée de quarante-quatre années au moins commencées, il faut absolument en rapporter l’origine, au mois de Nisan 4710, P. J.

Ainsi, par le témoignage des médailles et des monuments les plus authentiques, il reste prouvé que la mort du roi Hérode Ier eut lieu vers le 1er avril de l’an 4730, P. J., ou 4 avant l’ère chrétienne.

C’est donc par une erreur manifeste, comme on l’a reconnu depuis longtemps, que Denys le Petit, et d’autres après lui ont placé la naissance du Sauveur au 1er décembre de l’an 4713, et qu’ils ont fixé l’origine de l’ère chrétienne vulgaire au premier janvier de l’année suivante, 4714 de la période julienne, 751 de Rome.

Il faut nécessairement reconnaître que Notre Seigneur est né quatre ans au moins avant cette époque, puisque sa naissance a précédé la mort d’Hérode, arrivée en l’an 4710.

Mais, outre cette erreur de quatre années, il peut encore très bien se faire, comme nous allons le voir, que la naissance du Sauveur ait eut lieu un an ou deux avant la mort de ce prince (4710).

Nous avons seulement un an ou deux avant cette époque, parce que nous verrons bientôt qu’il est impossible de placer trois années entre les deux événements.

 

 

 



[1] Lorsque, dans le calcul des temps, il se présente des dates avant et après Jésus-Christ, les chronologistes, pour éviter la confusion, ont généralement adopté le comput de la période julienne inventée par Scaliger.

Cette période commençant 4713 ans avant l’ère chrétienne, l’an Ier de l’ère chrétienne coïncide avec l’an 4714 de la période julienne, et il suffit d’ajouter le nombre 4713 aux années de l’ère chrétienne pour avoir les mêmes dates suivant la période julienne. Nous avons préféré cette période à l’ère de la fondation de Rome, parce que tous les historiens ne s’accordent pas pour cette ère, les uns la faisant commencer un an ou deux plus tard que les autres, ceux-ci au mois d’avril et ceux-là au mois de janvier.

Toutes les fois cependant que nous aurons à mentionner les ans de Rome, nous le ferons suivant le calcul le plus ordinaire, lequel fait commencer ces années au mois de janvier, et correspondre identiquement l’an 754 de Rome avec l’an 1er de l’ère chrétienne vulgaire.

Dans les abréviations, P. J. signifie période julienne et E. C. ère chrétienne

[2] Voir Mémoires de l’Académie des sciences de l’Institut, t. XXII, année 1850, p. 277. Résumé de chronologie astronomique de Biot.

[3] Voir Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XXI, p. 295.

[4] En l’an 4674, la néoménie du mois de Nisan arriva le 4 avril, et en l’an 4677 elle arriva le premier avril.

[5] Le texte porte qu’Hérode mourut trente-quatre ans, τέσσαρα καί τριάκοντα έτη, après avoir chassé Antigone du trône. La circonstance de l’éclipse qui précéda se mort, ainsi que la constatation des années d’Archélaüs, etc., ne permettent pas d’ad mettre un règne de trente-quatre années entières. La première et la dernière de ces années furent incomplètes, suivant le manière de compter des Juifs. C’est pour cela que nous avons mis la trente-quatrième année. Cette version est affirmée par d’autres passages de Josèphe où les nombres ordinaux sont ordinairement remplacés par des nombres cardinaux.

[6] Voici, à quelques minutes près, les éléments de cette éclipse, suivant le méridien de Jérusalem :

Le 13 mars 4710, P. J, commencement de l’éclipse à 0 h. 35’ du mat., milieu, 1 h. 52’, fin à 3 h. 9’. Conjonction vraie à 2 h.

Grandeur de l’éclipse, 5 doigts 20, dans la partie boréale de la lune. La pénombre couvrit le reste du disque pendant quelque temps.

Voir, à la fin du volume, Restitution du calendrier hébraïque, années 4709, 4710, etc., de la période julienne.

Et dans l’Art de vérifier les dates, la table des éclipses pour les années 5, 4, 3, 2 et 1 avant l’ère vulgaire, suivant l’heure du méridien de Paris.

Les éclipses de lune arrivées le 5 septembre de l’an 4710, à 2 heures et demie du soir, le 20 janvier, à 2 heures du soir, en l’an 4712, et le 17 juillet, même année, à 7 heures du soir, furent toutes invisibles en Judée. Il n’y en aucune en l’an 4711. Les autres années ne peuvent entrer en discussion.

[7] L’Art de vérifier les dates, et Langius (De annis Christi, l. II, c. 18) placent la mort du tétrarque Philippe en la vingt-deuxième année de Tibère. Le principal fondement qu’on donne à cette opinion est l’autorité de Rufin, historien du Ve siècle, lequel parait avoir lu, dans Josèphe, la vingt-deuxième année et non la vingtième. Mais tous les exemplaires de l’historien juif contredisent cette version, et, comme il est plus difficile de supposer une erreur de date dans Josèphe que dans Rufin, on doit nécessairement préférer la date donnée par Josèphe.