HISTOIRE DES INSTITUTIONS CAROLINGIENNES

LIVRE PREMIER. — ORIGINES MÉROVINGIENNES.

CHAPITRE IV.

GUERRE DES DACES ET DES MARCOMANS.

 

 

L’avènement de Domitien en donna le signal. Vespasien, comme Auguste, avait conquis l’Empire romain, et venait de le raffermir en pacifiant la Judée et en désarmant la Gaule. Titus maintint ces résultats ; Domitien les compromit de nouveau par une double attaque contre la Bretagne et la Germanie. La guerre de Bretagne fut heureuse ; et Agricola, après avoir parcouru toute la partie méridionale de file, crut avoir exterminé ses derniers défenseurs aux pieds des monts Grampians, avec le vieux Caractacus, leur général ; mais la guerre de Germanie prit une autre tournure. Les Cattes, dont le pays venait d’être dévasté, se jetèrent sur le lieutenant de l’empereur, le battirent et le forcèrent à se retirer sur la rive occidentale du fleuve ; pendant que l’empereur retournait tranquillement à Rome, sans avoir même vu l’ennemi[1]. Chariomer, roi des Chérusques, avait conclu une alliance avec lui, et venait d’entrer en campagne. Il fut accablé par les Cattes et sa nation anéantie[2]. Les Bructères eurent le même sort : plus de soixante mille de leurs guerriers furent exterminés sous les yeux, et en quelque sorte pour le plaisir des Romains[3]. Domitien n’en triompha pas moins des Cattes[4], qui venaient de vaincre ses alliés, et traîna au Capitole une prodigieuse quantité d’esclaves achetés dans les marchés de la Gaule et déguisés en Germains[5]. Il continua pendant quelque temps de se montrer dans les rues de Rome avec sa robe germanique, et il présida ainsi aux jeux du Cirque[6].

Cependant. la grande guerre des Daces venait de commencer. Les Daces et les Gèles occupaient toute la rive septentrionale du Danube, depuis le Pathisus (la Theis) jusqu’à la Morawa[7], et formaient à l’occident l’avant-garde des nations sarmatiques qui s’étendaient à l’est jusqu’aux frontières de l’Asie[8]. Liés à la plupart des tribus placées sur la rive méridionale par la communauté d’origine, de moeurs et de langage[9], nous les voyons, dès avant le siècle d’Alexandre, intervenir dans toutes les querelles qui les avaient divisés[10], et prêter aux rois de Macédoine le secours de leurs soldats mercenaires pour assujettir la Grèce et conquérir l’Orient, comme ils l’offrirent plus tard à Mithridate pour marcher sur l’Italie, à Philippe et à Persée, pour défendre contre Rome la succession d’Alexandre. Et pendant que la domination romaine s’étendait lentement sur leurs frères de la Thrace, de la Mœsie, de l’Illyrie et de la Pannonie, ils étaient restés libres et barbares derrière le cours du Danube, et pour ainsi dire sous la protection de ses eaux. De là, ils ne cessèrent de harceler l’Empire par une guerre de petites ruses et de petits combats, mettant à profit, avec une grande adresse, chaque mécontentement des provinces, chaque révolte des légions, chaque éclipse de la puissance et de la fortune de Rome. Ils se défendaient avec le même courage contre la séduction de ses vices ; et le gète Bœrebistès persuada à ses compatriotes d’arracher toutes leurs vignes pour ne point laisser subsister parmi eux un si dangereux auxiliaire des armes et de la politique romaine[11]. Le voisinage des nations germaniques auxquelles tant d’intérêts les unissaient, leur prêtait un puissant appui pour résister aux unes et pour déjouer les combinaisons de l’autre[12]. Ainsi, chaque mouvement qui éclatait sur le Rhin avait à l’instant même son contrecoup sur le Danube, et le sang des légions coulait presque toujours en même temps sur les deux fleuves. Dernièrement encore, pendant que Domitien entreprenait sa ridicule expédition contre les Cattes, les Daces s’étaient jetés sur l’armée d’Appius Sabinus, et l’avaient taillée en pièces[13]. L’année suivante, ils massacrèrent une autre armée romaine, et laissèrent sur la place le préfet du prétoire Cornelius Fuscus, qui la commandait[14]. Trois ans après, Domitien se crut à la fin en mesure de les exterminer. L’usurpateur L. Antonins, qui s’était fait proclamer sur le Rhin, venait d’être accablé par L. Maximus, avant l’arrivée des Germains, qui avaient promis de le conduire jusqu’à Rome ; et l’heureux Domitien reçut la nouvelle de sa défaite et de sa mort lorsqu’il était déjà en route pour aller à sa rencontre[15]. Il résolut donc de tourner ses préparatifs contre les Daces, qui restaient encore à vaincre, et, pour rendre le châtiment plus terrible, il se chargea de l’infliger en personne[16]. On le vit en effet partir de Rome dans un appareil formidable ; mais il s’arrêta prudemment dans la Pannonie, pendant que son lieutenant Julianus en venait aux mains avec les Barbares. Julianus essuya une défaite, et l’empereur n’en fut pas plutôt informé, qu’il envoya à Rome une lettre triomphale pour annoncer une victoire[17]. Il triompha[18], puis il envoya son docile lieutenant essuyer en son nom une dernière défaite dans le pays des Sarmates[19]. Ce fut la fin de ses exploits contre les peuples du Nord ; et c’est à cela que se rapportent ces tristes paroles de Tacite :

Et les temps qui suivirent furent tels que le nom d’Agricola se trouva encore dans toutes les bouches. Que d’armées perdues dans la Mœsie, dans la Dacie, dans la Germanie, dans la Pannonie, et perdues par l’imprudence ou la lâcheté des chefs ! Que de soldats, que de cohortes entières mises hors de combat et obligées de se rendre ! Ce ne fut plus pour les bornes de l’Empire et les rives du fleuve, mais pour les quartiers d’hiver de nos légions et les propriétés des citoyens que l’on trembla[20].

Il ne fallait rien moins qu’un Trajan pour relever l’Empire, après les victoires et les triomphes de Domitien. Il suffit pendant vingt ans à cette tâche laborieuse avec un succès et un éclat inconnus depuis Jules César. Cet homme héroïque, qui, en revenant du Rhin après une lutte de cinq ans contre les Barbares, pour prendre possession de l’Empire, entrait à pied dans sa capitale[21] et reconnaissait ses amis[22], porta la terreur des armes romaines plus loin qu’aucun de ses prédécesseurs, franchit successivement le Danube et l’Euphrate, visita les sources de la Vistule et du Tigre, toucha à le mer Caspienne et à la mer des Indes, soumit les Daces, les Ibères, les Sarmates, les Parthes, les Arabes, toutes les nations, du Caucase, tous les déserts de la Haute-Asie, et déplaça, à l’orient comme au nord, les bornes d’un empire qui n’avançait plus depuis Auguste, et qui ne cessa de reculer depuis Trajan. Et pourtant la conquête de la Dacie semblait préluder à celle de la Germanie entière ; mais cette espérance fut encore trompée, et le conquérant mourut en revenant de sa lointaine expédition d’Asie, ne laissant aux Romains d’autre fruit de ses victoires qu’une gloire embarrassante pour ses successeurs, et cette colonne triomphale qui nous en a transmis une si magnifique image[23]. Il est heureux que le bronze en ait été un gardien plus fidèle que les hommes ; car les hommes s’en sont montrés peu soigneux ; et le héros de tant de batailles n’a trouvé qu’un panégyriste, et pas un historien[24]. Le génie de Tacite était seul digne de nous raconter ces merveilles, et c’est Pline que nous avons.

Après Pline, le plus grand ennemi de la gloire de Trajan fut Adrien, son successeur. Ce prétentieux auteur de petits vers et d’élégantes frivolités, n’avait garde de songer à réduire les Germains ou les Parthes. ; et de peur d’avoir quelque chose à démêler avec eux, il se hâta de ramener les légions de Syrie en deçà de l’Euphrate, et de couper le beau pont que Trajan avait jeté sur le Danube, pour rattacher à l’Empire sa glorieuse conquête[25]. Il rompait ainsi prudemment avec des souvenirs dangereux, et se mettait à l’aise dans son heureuse et tranquille médiocrité. Ce sage épicurien borna son activité à courir en chaise de poste les pacifiques provinces de la Gaule, de l’Espagne, de l’Egypte, de l’Asie Mineure et de la Grèce, bâtissant des temples et des villes avec Apollodore, causant de rhétorique et de grammaire avec Favorinus et Suétone, de religion et de philosophie avec les bourgeois d’Alexandrie et d’Athènes, et dictant modestement ses commentaires à Phlégon, son affranchi, à l’exemple de Jules César et de Sylla[26]. Au lieu d’armées, il n’opposa aux Barbares que des murailles et de l’argent ; et pour n’avoir plus à y songer, il prit le parti de pensionner pour toute la durée de son règne tous ceux qui se trouvaient en mesure d’en troubler le repos[27]. A ce prix il put mourir d’hydropisie, et laisser à d’autres le soin de résoudre les difficultés d’une situation dont il avait si considérablement augmenté les embarras.

Il légua ce cruel souci, avec la succession de l’Empire, à Antonin le Pieux et au sage Marc-Aurèle. Le premier, à force de prudence et de modération, réussit à prolonger de vingt années encore ce calme précaire si chèrement acheté par son prédécesseur ; et parmi tous les souvenirs de sa vie, nous ne trouvons que trois mots, dans Capitolin, qui puissent nous faire soupçonner qu’il ait eu quelque chose à démêler avec les Germains[28]. Mais l’orage éclata sur la tète de Marc-Aurèle avec la guerre des Marcomans.

Cette cruelle guerre, qui occupa Marc-Aurèle et toutes les forces de l’Empire pendant vingt ans, se rattache, comme celle des Suèves qui la précède, comme celle des Goths qui la suit, à un mouvement général de toutes les nations germaniques, et se fit sentir à la fois sur le Danube et sur le Rhin. C’était la seconde fois depuis Auguste que cette situation se reproduisait ; et déjà les plus éclairés der Romains avaient senti qu’elle renfermait le secret de leurs destinées, et que la fatale énigme finirait un jour par en sortir[29]. Elle en sortit en effet à la troisième épreuve, et la seconde sembla déjà annoncer la dernière ; car la guerre des Marcomans n’était que le prélude de la guerre des Goths. Les premiers paraissent être restés jusqu’à ce moment sous l’influence de la terreur que leur inspirait le souvenir des cruelles victoires de Tibère et le spectacle de cette puissance romaine qui naguère encore venait d’accabler les Daces sous leurs yeux ; lorsque les seconds, en descendant du nord, bouleversèrent sur leur route toutes les tribus de la Germanie, et rejetèrent sur l’Empire toutes celles qui jusqu’alors en avaient pour ainsi dire protégé les frontières[30].

Ils venaient par de longs détours, à travers les forêts et les grands fleuves de l’Allemagne, des rivages de la Baltique où le marseillais Pythéas les avait déjà rencontrés vers le milieu du IIIe siècle avant J. C.[31], et où Tacite les retrouva encore au commencement du IIe siècle de notre ère[32]. Pendant qu’une partie de la bande s’arrêtait nonchalamment sur les bords de la Vistule, dans les fies verdoyantes qui en parsèment le cours[33], l’autre traversait le fleuve, et se répandait de là jusqu’aux Palus-Mœotides et jusqu’à la Mer-Noire. Les chants nationaux de la horde avaient consacré la mémoire de cette lointaine et poétique expédition au milieu de peuples et de pays inconnus ; et l’on dirait que la prose de Jornandès a conservé comme un écho affaibli de cette Iliade barbare[34]. Les tribus étrangères, qu’ils poussaient pêle-mêle devant eux, se présentèrent sur la rive septentrionale du Danube, avec une effrayante variété de noms bizarres et de prétentions menaçantes[35] : c’était comme le front de bataille d’une immense armée dont les ailes s’appuyaient sur l’Euxin et la mer du Nord, et dont le centre plongeait dans la Germanie, jusqu’aux flots de la Baltique[36]. Rome se crut ramenée aux plus mauvais jours de la guerre des Suèves et de la révolte des Bataves. Déjà les deux Pannonies étaient envahies par des flots de Marcomans, de Quades, de Vandales et de Sarmates[37] ; les Costoboques avaient pénétré dans la Grèce[38] ; les Caltes dévastaient la Gaule et la Rhœtie[39] ; les Séquanes se soulevaient ; la Bretagne était menacée d’une nouvelle attaque des Barbares[40] ; l’Espagne était ravagée par les Maures, l’Egypte par des brigands[41], et les projets d’Avidius Cassius remuaient déjà toute l’Asie[42]. Le pieux Marc-Aurèle songea d’abord à désarmer les dieux. Il commença par purifier la ville, appela à son secours les prêtres de toutes les religions, toutes les superstitions de Rome, toutes celles des nations étrangères, et fit couler à flots le sang des victimes[43] ; puis il enrôla les esclaves, les gladiateurs, les voleurs de grands chemins, des bandes indisciplinées de Barbares[44] ; mit à l’encan, au pied de la colonne Trajane, les ornements impériaux, l’or et le cristal de son palais, les bijoux, les parures, les vêtements de sa femme[45], et partit de Rome avec Lucius Verus son collègue, revêtu de sa cote d’armes[46]. Il s’arrêta à Aquilée, et y pain tout l’hiver, entre la peste et les Barbares[47]. Les Barbares, intimidés, firent un pas en arrière, mirent à mort les fauteurs de ce tumulte, et demandèrent quartier[48]. Lucius Verus en profita pour dire que la guerre était terminée, et se bêta de revenir ; mais Marc Aurèle franchit les Alpes, et ne fut rappelé en Italie que par la mort inopinée de l’indigne frère qui venait de l’abandonner[49]. L’année suivante, il rencontra les Marcomans et les Quades sur les ruines d’Oderzo (Opitergium). Ainsi un des boulevards de l’Italie avait été renversé, et Aquilée elle-même se trouvait assiégée à son tour[50]. D’un autre côté, les Cattes, les Allemans et les Suèves débouchaient par les gorges des Alpes, et mettaient enfin le pied en Italie[51]. L’Italie fut encore sauvée par Pertinax, qui refoula les Caftes, les Allemans et les Suèves sur la rive orientale du Rhin[52] ; pendant que le préfet Vindex taillait en pièces six mille Lombards qui venaient d’entrer en Pannonie[53]. Dix rois barbares, conduits par Ballomère, le roi des Marcomans, se présentèrent le même jour en suppliants dans la tente d’Ælius Bassus, gouverneur de la Pannonie, pour implorer leur pardon et demander la paix[54]. Les Quades l’achetèrent en restituant tout d’abord aux Romains treize mille captifs et une innombrable quantité de boeufs et de chevaux[55]. Restaient les Iazyges et quelques autres tribus sarmatiques, qui, réunies aux Marcomans, venaient, dans l’intervalle, de massacrer le préfet Vindex avec une partie de son armée[56]. Un furieux combat, livré sur la glace même du Danube, les rejeta de l’autre côté du fleuve[57] ; et les Quades, qui pour la troisième fois avaient repris les armes, se virent accablés par la foudre et les traits des Romains, dans les mêmes défilés où ils croyaient les tenir prisonniers[58]. L’empereur songeait déjà à réduire en province le pays des Marcomans et celui des Sarmates[59] ; mais la révolte d’Avidius Cassius vint en aide aux Barbares, et empêcha Marc Aurèle d’achever leur ruine. Quelques années auraient peut-être suffi pour les dompter ou pour les anéantir, et les bornes de l’Empire auraient été ainsi reportées du Danube à la Baltique, comme elles avaient été portées autrefois des rives de la Durance aux bords du Danube et du Rhin. Il fallut toutefois se contenter d’en interdire l’approche aux Germains, non plus par des fortifications ou des armées, mais par de vaines négociations et des traités impuissants. Les Marcomans s’obligèrent à se tenir à la distance de trente-huit stades du fleuve[60] ; les Iazyges et les Quades se soumirent aux mêmes conditions[61] : ces derniers rendirent cent mille captifs à la paix[62], et fournirent un corps auxiliaire de huit mille cavaliers aux armées de l’Empire[63]. Les Iazyges et les Bures furent chargés de contenir les Quades, leurs voisins[64] ; pendant que la Dacie, la conquête de Trajan, la Mœsie, la Pannonie et l’Italie elle-même, étaient parsemées de colonies barbares, destinées à rendre à l’Empire épuisé tout le sang qu’elles venaient de lui coûter[65]. D’autres reçurent des exemptions de tribut pour un temps ou pour toujours ; d’autres des subsides annuels ; d’autres enfin le droit de cité romaine[66].

Les victoires et les traités de Marc-Aurèle avaient maintenu l’intégrité de l’Empire romain, et peut-être agrandi, son influence. Rome, il est vrai, avait rappelé ses armées de ces contrées lointaines qu’elles venaient de parcourir en poursuivant les Quades et les Marcomans dispersés ; et ses légions étaient rentrées dans les vieilles limites que la prudence d’Auguste avait tracées à l’ambition de ses successeurs. On peut dire même qu’elles avaient reculé d’un pas depuis Trajan ; puisque la Dacie, sa conquête, à moitié délaissée par les Romains, venait d’être à peu près abandonnée aux Barbares qui l’avaient si cruellement dévastée dans la dernière guerre. Mais l’influence de ses idées et de ses institutions s’étendait de plus en plus vers le nord, et traçait autour de l’Empire, par delà le Danube et le Rhin, une seconde ligne de défense formée de nations amies et de royaumes alliés derrière laquelle la barbarie semblait condamnée à s’agiter désormais dans une éternelle impuissance. C’était, pour me servir de l’expression romaine, comme une immense prétenture[67] qui commençait à l’Euxin et qui s’étendait sans interruption, à travers les fleuves et les forêts de la Germanie, jusqu’à l’embouchure du Rhin et jusqu’à la mer du Nord. Ainsi, les Goths, mêlés aux Bures et aux Sarmates Iazyges, appuyés au Danaster et au Pont-Euxin, couvraient la Dacie, la Thrace et la Macédoine, et tendaient la main aux Naristes, aux Quades et aux Marcomans qui protégeaient à leur tour la Pannonie et la Norique[68]. Là commençait le pays des Hermundures, vaste démembrement du vieil empire des Suèves, cité amie et alliée des Romains, qui lui avaient confié pour ainsi dire la garde de la Rhœtie[69]. A l’ouest des Hermundures étaient les Allemans et les décumates agri, occupés par une population mêlée de Germains et de Gaulois qui, au siècle de Tacite, et sans doute bien longtemps auparavant, était placée sous l’influence romaine, et mise en quelque sorte au rang des provinces conquises[70]. Le Rhin, comme le Danube, avait aussi sa ceinture de pays amis et de barbares ralliés : à son embouchure, les Bataves et les Frisons[71], et en remontant le cours du fleuve, les Cattes, les Tenchtères, les Suèves, jusqu’à sa source et jusqu’au pays des Allemans, qui touchaient à la fois au Danube et au Rhin[72]. Toutes ces tribus, après une résistance plus ou moins prolongée, avaient fini par accepter l’alliance, c’est-à-dire la domination de Rome, et perdaient chaque jour dans ce commerce quelque chose de la férocité belliqueuse qui d’abord les lui avait rendues si redoutables. Ainsi, l’Empire, après une guerre de deux cents ans contre la barbarie, était parvenu, à force d’adresse, à se faire un rempart et un appui de cette barbarie elle-même ; lorsque l’invasion des Francs vint de nouveau compromettre ces résultats, et replacer le problème au point où César et Auguste l’avaient trouvé en commençant. Du reste, Rome avait si bien réussi à amortir les attaques de celles des tribus germaniques qui s’étaient trouvées les premières en contact avec elle ; que loin d’y avoir perdu, elle s’était encore agrandie dans la lutte. Sa politique lui avait conquis ce que ses légions n’avaient pu soumettre. Ses armées, après avoir parcouru la Germanie du Rhin à l’Elbe, du Danube à la Baltique, ne rentraient dans les anciennes limites qu’après avoir laissé pour trophées sur tous les champs de bataille l’influence des idées romaines et le respect du nom romain. Après Marc Aurèle une autre période commence. La lutte, en conservant le même aspect, aboutit en partie à un autre résultat. La construction impériale, qui pendant deux cents ans avait essuyé sans en être ébranlée le choc et le tumulte des premières invasions, résista pendant deux cents ans encore, mais de jour en jour plus mollement, à la violence toujours croissante des flots soulevés. Chacune des vagues qui viennent battre ses remparts s’élève un peu plus haut que celle qui l’a précédée ; chaque secousse fait tomber quelques pierres du vaste cordon de tours et de bastilles qui la protègent. Le monument tout entier finira par s’écrouler, et un jour les Barbares viendront dresser leurs tentes au milieu de ses débris ; mais les débris seront indestructibles, et c’est avec eux que seront bâties les constructions nouvelles destinées à remplacer la première. Rome, qui avait si longtemps triomphé des attaques de ses ennemis, ne succomba enfin sous leurs coups que pour leur imposer la tyrannie de ses leçons et de ses idées, en subissant celle de leurs déprédations et de leurs ravages.

C’est ce qui nous reste à raconter.

 

 

 



[1] Dion Cassius, LXVII.

[2] Tacite, German., 35. — Dion Cassius, LXVII.

[3] Tacite, German., 83.

[4] Suétone, in Domitian, 6.

[5] Tacite, Agricola, 30.

[6] Suétone, in Domitian.

[7] Pline, Histor. nat., IV, 12.

[8] Pline, Histor. nat.

[9] Strabon, VII, 3, § 2. Hérodote, IV, 93. Dion Cassius, I et LXVII.

[10] Strabon, VII.

[11] Strabon, Geog., VII, 3, § 8.

[12] Strabon, Geog., VIII, 3.

[13] Suétone, in Domitian, 6.

[14] Suétone, in Domitian, 6.

[15] Suétone, in Domitian, 6.

[16] Stace, Sylves, III, V, 396. — Suétone, in Domitian, 6.

[17] Xiphilin, Excerpt. ex Dion.

[18] Eusèbe, Chronic.

[19] Suétone, in Domitian, 6.

[20] Tacite, Agricola, 41.

[21] Pline, in Panégyr. Traj., 22.

[22] Pline, in Panegyr., 21.

[23] La colonne Trajane.

[24] Il parait que Trajan avait lui-même entrepris de raconter sa propre histoire. — V. Vossius, Histor. lat., 30.

[25] Xiphilin, Epitom., in Trajan.

[26] Ælius Spartien, in Adrian.

[27] Spartien, in Adrian., 6. — Il se vantait d’avoir fait plus de conquêtes par cette voie que tous ses prédécesseurs. — V. Victor., Epitom. — Xiphilin., Epitom. in Adrian.

[28] Julius Capitolin., in Antonin.

[29] Tacite, Histor., III, 48.

[30] Julius Capitolin, in M. Antonin. philosoph. — Vid. etiam Eutrope, Breviar., VIII.

[31] Pline, Histor. natur., IV, 14.

[32] Tacite, German., 43.

[33] Jornandès, de reb. getic.

[34] Jornandès, de reb. getic.

[35] Julius Capitolin., In Marc. Antonin. philosoph.

[36] Julius Capitolin., In Marc. Antonin. philosoph.

[37] Julius Capitolin., In Marc. Antonin. philosoph.

[38] Pausanias X.

[39] Pausanias X.

[40] Pausanias X.

[41] Pausanias X.

[42] Pausanias X.

[43] J. Capitolin, in Marc. Anton. philos.

[44] J. Capitolin, in Marc. Anton. philos.

[45] J. Capitolin, in Marc Ant. philos.

[46] J. Capitolin, in Marc Ant. philos.

[47] J. Capitolin, in Marc. Anton. philoso.,15 — in Luc. Ver., 9.

[48] J. Capitolin, in Marc. Anton. philoso.,15 — in Luc. Ver., 9.

[49] J. Capitolin, in Marc. Anton. philoso.,15 — in Luc. Ver., 9.

[50] Ammien Marcellin, XXIX, 5.

[51] Xiphilin, in Marco.

[52] Xiphilin, in Marco.

[53] Petrus Patricius, in Excerpt. legat.

[54] Petrus Patricius, in Excerpt. legat.

[55] Dion Cassius, LXX. Petrus Patricius, In Excerpt. legat.

[56] Dion Cassius, LXXI.

[57] Dion Cassius, LXXI.

[58] Le fait est constant, et il ne saurait y avoir de doute que sur la part que chacun est en droit d’y prétendre. V. Excrpt. Dio. Cass., ap. Xiphil. Themistius, 15 : de Regia viturte ad Theodos. imperat. — Claudian., de Honorii consulatu, VI, V, 340, et Pagi, Critic. Annal. Baron.

[59] Dion Cassius, LXXI.

[60] Dion Cassius, LXXI.

[61] Dion Cassius, LXXI.

[62] Dion Cassius, LXXI.

[63] Dion Cassius, LXXI.

[64] Dion Cassius, LXXI.

[65] Jornandès, de reb. get. — Dion Cassius, LXXI.

[66] Marc Aurel. Vit. (Ap. Scriptores Histor. Aug.)

[67] Prætentura. — V. Ammien Marcellin, Histor. passim.

[68] Dion Cassius, LXXI.

Les Astingi et les Lacringi, deux tribus gothiques, obtinrent la Dacie. — Jornandès, de reb. get., dit de la nation entière ce que Dion dit de quelques tribus : Nam quamvis remoti sub regibus viverent suis, Reipublicæ tamen romanæ fæderati erant et annua munera percipiebant.

[69] Tacite, German., 41.

[70] Tacite, German., 20.

[71] Tacite, German., 29. — Annal., XIII, 54.

[72] Tacite, German., 32. 38. 20. — Agath., Histor., I.