HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE PREMIER. — LA RÉGENCE ET LE MINISTÈRE DU DUC DE BOURBON.

CHAPITRE V. — LE MINISTÈRE DU DUC DE BOURBON (1723-1726)[1].

 

 

I. — MONSIEUR LE DUC ET MADAME DE PRIE.

QUAND le duc d'Orléans fut mort, le duc de Bourbon demanda le titre de Premier Ministre que Louis XV lui donna. Fleury, précepteur du Roi, ne jugeait pas que le moment fût venu pour lui de prendre le pouvoir, et le Duc était, parmi les Princes du Sang, le seul en état de l'exercer ; les bâtards s'en trouvaient écartés à tout jamais, et ni le comte de Charolais, frère du Duc, ni le prince de Conti, ni le fils du Régent, seulement âgé de vingt et un ans, ne pouvaient le lui disputer.

Il avait trente et un ans. Il était grand et d'assez belle tournure, mais très laid et de physionomie effrayante : il avait perdu un œil par accident de chasse. Ses manières étaient hautaines et dures. Le marquis d'Argenson, qui du temps de la Régence avait vécu familièrement avec lui, le trouva collet-monté, dès qu'il fut ministre. Sa fortune, grossie par le Système, lui permettait de mener grand train ; il donnait, à Chantilly, des chasses splendides ; il n'avait jamais moins de cent personnes à sa table.

Inintelligent et incapable d'aucunes vues politiques, il se montra surtout occupé de sa haine contre les Orléans. Sa grande inquiétude était de voir Louis XV mourir, et le fils du Régent lui succéder. Il garda les ministres qu'il trouva en fonctions : D'Armenonville, garde des Sceaux, Dodun, contrôleur général, Fleurieu de Morville, secrétaire d'État des Affaires étrangères depuis la mort de Dubois, La Vrillière, secrétaire d'État des Affaires de la religion prétendue réformée, Maurepas, secrétaire d'État de la Maison du Roi et de la Marine, Le Blanc, chargé du secrétariat d'État de la Guerre dont l'office appartenait à D'Armenonville. Mais les ministres eurent un rôle subalterne, les grandes affaires étant réservées au Conseil d'en haut où M. le Duc délibérait avec Fleury, Villars, et un seul d'entre les ministres, de Morville. Le jeune duc d'Orléans, membre du Conseil, n'y allait pas.

Fleury croyait qu'il gouvernerait sous le nom du Duc ; mais il eut à compter avec Mme de Prie. Elle était fille du financier Berthelot de Pléneuf, et elle avait épousé un marquis ruiné, dont on avait fait un ambassadeur à Turin. Elle avait tenu à la petite cour de Savoie un grand état de maison ; mais la Chambre de justice ruina son père, et les De Prie renoncèrent à leur ambassade pour venir chercher fortune à Paris en 1717.

La marquise était née en 1698 ; elle avait des yeux à la chinoise, vifs et gais, un air de nymphe, des cheveux cendrés ; elle était la fleur des pois du siècle, disait le marquis d'Argenson, qui lui trouvait des je ne sais quoi qui enlèvent. Étourdie quelquefois, mais fine, ambitieuse, elle gardait, quoiqu'elle n'eût ni croyances ni mœurs, toutes les apparences de la décence et de la modestie. Elle avait le goût de la politique et se croyait faite pour gouverner l'État. Après d'inutiles tentatives sur le Régent, elle s'était rabattue sur M. le Duc, dont elle devint la maîtresse en 1711. Elle le poussa à prendre connaissance des affaires, le releva à ses propres yeux, même aux yeux du public. Quand il devint premier ministre, elle lui montra que, pour gouverner, il fallait se faire servir par d'autres gens que les roués. Elle fit de Paris Du Verney un secrétaire des commandements du duc ; et, avec ce titre vague, Du Verney disposa d'une très grande autorité. Elle écarta du gouvernement ses ennemis personnels, le comte d'Argenson à qui elle enleva la lieutenance de Police pour la donner à un de ses parents, d'Ombreval ; Le Blanc, à qui elle enleva le département de la Guerre pour te donner au marquis de Breteuil. Du Verney se subordonna les ministres, particulièrement le contrôleur général et le secrétaire d'État de la Guerre. Le secrétaire d'État des Affaires étrangères, bien qu'il eût entrée au Conseil d'en haut, dut subir son influence. Les mesures projetées par Du Verney furent toutefois soumises au Conseil, et, à l'occasion, y furent combattues.

 

II. — L'ADMINISTRATION DE PÂRIS DU VERNEY (1723-1726).

PÂRIS DU VERNEY est le troisième des frères Pâris. Originaires du Dauphiné, où leur père, à ce qu'on dit, avait tenu auberge sur la grande route de Lyon à Grenoble, dans la petite ville de Moirans, les Paris commencèrent leur fortune dans les fournitures de vivres à l'armée d'Italie, pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, en 1702, ils fournirent l'armée de Flandre, où ils firent des merveilles.

Du Verney est l'inspirateur et le chef de ses frères. Il aime les affaires pour elles-mêmes, pas seulement pour y gagner de l'argent. Il manie des milliards, et laissera une fortune médiocre. Probe, mais rusé, mêlé dès sa jeunesse à toutes les pratiques des marchés, il était, pour ses fournisseurs, un objet d'admiration.

La guerre de la Succession d'Espagne finie, il vient à Paris, où il révèle un talent prodigieux de calculateur. Il conduit les opérations du premier et du second Visa, décide souverainement de la fortune de ses concitoyens et s'attire ainsi de grandes haines. H est accusé d'avoir fait passer d'énormes quantités de blé à l'étranger, et de les avoir fait rentrer en France pour les revendre à des prix exorbitants. Accusation absurde, de telles opérations ne pouvant se faire sans une foule de complices.

Il s'occupa d'abord des monnaies. La disproportion qui existait entre la valeur intrinsèque et la valeur nominale des monnaies lui paraissait expliquer la crise commerciale et le haut prix des marchandises. Il abaissa la valeur nominale des espèces et releva ainsi leur titre. Par l'arrêt du 4 février 1724, les louis passèrent de 27 livres à 20 livres ; les écus, de 6 livres 18 sous à 4 livres. La valeur intrinsèque de la livre monta, par suite, en valeur d'aujourd'hui, de 82 centimes à 1 fr. 25.

Cette opération coûta au Trésor une quarantaine de millions, et jeta partout la panique. Contrairement aux prévisions de Du Verney, et contrairement au bon sens, les prix, au lieu de baisser, s'élevèrent encore ; alors les ouvriers se coalisèrent pour obtenir des augmentations de salaires. On voyait bien que le rapport du titre et de la valeur nominale des monnaies était mieux proportionné que par le passé ; mais on redoutait que l'État ne revint aux pratiques anciennes et ne baissât le titre, après l'avoir élevé.

Du Verney s'obstina. Pour mettre les salaires et le prix des denrées d'accord avec la valeur nouvelle qu'il attribuait aux espèces, il fit arrêter, emprisonner, sabrer des ouvriers récalcitrants. II publia des tarifs officiels sur les denrées, non à Paris, où il craignait de compromettre les approvisionnements, mais dans les provinces : à Libourne, par exemple, la viande fut taxée à 9 sous la livre, et la douzaine d'œufs à 4 sous ; une couple de poulets ne put se vendre que 8 sous ; les souliers de drap pour femme, 2 livres 10 sous ; les souliers de soie, 3 livres 10 sous ; la journée d'un tonnelier, d'un charpentier, d'un menuisier, d'un maçon valut 15 sous, et celle d'un manœuvre 8 sous. En Auvergne, aux foires de Clermont, l'intendant taxa toutes les étoffes ; à Ambert, le subdélégué avertit les marchands qu'il ferait fermer leurs boutiques s'ils ne baissaient pas d'un tiers le prix de leurs marchandises. Partout il y eut des résistances. Les subdélégués du Velay et du Forez, c'est-à-dire des généralités de Montpellier et de Lyon, n'arrivèrent pas à modifier les salaires ; les ouvriers et les journaliers s'enfuyaient dès qu'on voulait les taxer au-dessous de 25 sous par jour.

On vit bientôt que le public avait eu raison de se méfier ; cédant à l'opposition qu'il rencontrait, Du Verney opéra en sens inverse et diminua la valeur des espèces. En février 1726, la livre descendit à 1 fr. 22 ; en mai, elle tomba à 1 fr. 02. Des peines furent édictées contre ceux qui conservaient les anciennes monnaies, plus riches en métal précieux : on confisqua ces monnaies ; en cas de récidive, on frappa d'amendes doubles de leur valeur ceux qui les détenaient ; on bannit les détenteurs ; on condamna aux galères les joailliers qui déformaient les monnaies pour les employer à leurs ouvrages, et au carcan quiconque les faisait fondre.

Tandis que ces remaniements de monnaies rendaient le commerce plus difficile, Du Verney tentait d'assurer l'équilibre du budget. Avec 204 millions de recettes, contre 208 ou 210 millions de dépenses, il aurait pu y parvenir, s'il n'avait eu à solder les anticipations des années précédentes. Mais, au 1er janvier 1724, le déficit était de 43 millions pour les arrérages des rentes payables en 1722 et 1723 ; et en 1725, on devait encore 14 millions sur les arrérages de 1723, 8 sur ceux de 1724 ; en outre le payement des gages était en retard d'une trentaine de millions. De toute nécessité, le moment était venu de pourvoir au remplacement du Dixième, si imprudemment supprimé en 1717. La guerre, alors imminente entre la ligue de Hanovre et l'Espagne unie à l'Autriche, forçait le Gouvernement à se procurer de nouvelles ressources.

A l'instigation de Du Verney, le contrôleur général Dodun proposa donc de percevoir, pendant douze ans, une taxe d'un cinquantième de tous les revenus des biens-fonds sans nulle exception, en nature sur les produits de la terre, en argent sur les autres produits. Il invoqua l'exemple de la Hollande où se levait un impôt analogue ; il soutint que l'on en pouvait tirer 25 millions par an. Avec cette ressource nouvelle, disait-il, on paierait toutes les dettes du Roi et le crédit renaîtrait. Le projet du Cinquantième, présenté au Conseil d'en haut le 5 juin 1725, n'y fut pas voté sans résistance. Villars le combattit ; il proposa de doubler la capitation, et de faire des économies sur la Maison du Roi. Fleury quitta la séance pour ne pas avoir à se prononcer, et c'est en son absence que l'impôt fut voté. Une Déclaration du Roi en ordonna la levée, à compter du 1er août suivant ; sous aucun prétexte, elle ne pourrait être continuée au delà du 1er octobre 1737.

La Déclaration du Cinquantième, enregistrée en lit de justice au Parlement de Paris, le 8 juin, fut fort mal accueillie dans tout le royaume. Les parlements de Bretagne et de Bourgogne en refusèrent l'enregistrement ; celui de Bordeaux ne l'effectua qu'après deux mois de résistance. Les évêques se plaignirent au Pape et lui demandèrent d'intervenir. La récolte s'annonçait d'ailleurs comme devant être mauvaise ; des pluies continuelles empêchaient les blés de mûrir ; la disette menaçait ; le pain se vendait quatre sous la livre. Se croyant plus menacés par le nouvel impôt que par le Dixième, les privilégiés encourageaient les populations à la résistance. Les paysans s'insurgèrent partout ; des femmes, armées de fourches, parcoururent les campagnes, menaçant de brûler quiconque percevrait ou paierait le Cinquantième. Souvent on ne put trouver, dans les paroisses, d'adjudicataires à qui remettre la perception de cet impôt. Il fut donc impossible, en 1725, d'appliquer la Déclaration ; on ne le put qu'en 1726, après la chute de M. le Duc. Encore fallut-il alors la modifier. On ne perçut le Cinquantième qu'en argent, sous forme de répartition et d'abonnement, et cet impôt qui devait, croyait-on, produire vingt-cinq millions, en produisit à peine cinq.

Les difficultés pratiques du recouvrement d'un impôt en nature ont sans doute fait appréhender les vexations des agents de l'État ; mais la cause principale du soulèvement contre le Cinquantième a été le retour d'un impôt de surcroît, qui rappelait le Dixième. D'ailleurs, le Cinquantième coïncidait avec une récolte mauvaise. Le Gouvernement qui avait proclamé l'abolition définitive du Dixième, paraissait le rétablir, en le dissimulant sous un nom nouveau et une forme nouvelle.

Pressé par le besoin d'argent, Du Verney eut recours à un droit de l'époque féodale, le droit de confirmation ou de joyeux avènement, que le Régent et Dubois avaient intentionnellement négligé de faire valoir, et auquel M. le Duc avait eu l'imprudence d'annoncer qu'il renonçait. Un édit de juin 1725 en décida la levée ; une instruction officielle en régla l'assiette ; les seuls magistrats des cours souveraines en furent exemptés. Comme ce droit avait donné vingt millions en 1643, il semblait devoir produire bien davantage. On ne l'adjugea cependant que pour vingt-quatre millions à des traitants. Ils firent d'énormes bénéfices, d'autant plus que les ministres qui se succédèrent au pouvoir leur accordèrent des délais invraisemblables. Leurs comptes ne furent définitivement réglés que cinquante ans après l'établissement de la taxe, en 1773.

A l'occasion du mariage de Louis XV, en 1725, un certain nombre de maîtrises de métiers furent mises en vente au profit de la Couronne. C'était un vieil usage, connu sous le nom de droit de ceinture de la Reine. L'industrie était si languissante que les maîtrises trouvèrent difficilement acquéreurs. Le public chanta :

Pour la ceinture de la Reine,

Peuples, mettez-vous à la gêne,

Et tâchez de bien l'allonger ;

Bourbon le borgne vous en prie,

Car il voudrait en ménager

Une aune ou deux pour la De Prie.

La misère était générale en cette année 1725. A Paris, au faubourg Saint-Antoine, les ouvriers attaquaient les boutiques des boulangers, et le guet les dispersait. A Caen, l'intendant s'enfuyait devant une populace affamée ; à Rouen, des émeutiers s'emparaient du duc de Luxembourg, gouverneur de la province, qui ne leur échappait qu'à grand'peine, se réfugiait dans le Vieux Château, et s'y mettait en défense ; à Lisieux, on pillait les maisons. Un peu partout, les parlements entretenaient l'agitation. Le peuple croyait ferme que les ministres étaient des spéculateurs qui empêchaient les producteurs de grains d'amener leurs marchandises sur les marchés. Une ordonnance prescrivit des achats de blés à l'étranger et, à Paris, plusieurs fois par semaine, des parlementaires s'assemblèrent chez le Premier Président, afin d'aviser aux partis à prendre sur les subsistances. Ils fixaient le prix du blé ; quand ils pouvaient disposer de grands approvisionnements, ils procédaient à la répartition entre les provinces. Du Verney eut idée d'un Bureau destiné à renseigner le Contrôleur Général sur l'apparence des récoltes, sur les prix des grains dans tous les marchés du royaume, sur leur abondance ou leur rareté dans les pays étrangers. Mais ses ennemis à la Cour craignirent qu'il ne devint trop puissant s'il acquérait une action continue sur l’alimentation publique, et ils eurent assez d'influence sur les membres du Conseil pour faire ajourner la création du Bureau de renseignements.

La misère accrut le nombre des mendiants, au point qu'une fois de plus il fallut essayer des moyens législatifs contre la mendicité. Par ordonnance du 18 juillet 1724, les mendiants avaient été divisés en deux classes : ceux qui ne pouvaient travailler, ceux qui ne le voulaient pas. Les premiers seraient nourris dans les hôpitaux ; les seconds seraient enrôlés pour le service des ponts et chaussées ou employés à divers métiers qu'on installerait dans les hôpitaux. Attendu que le mendiant valide était un perturbateur public, volant le pain des infirmes et des vieillards, il serait marqué au bras de la lettre M à la première récidive ; à la seconde, il serait flétri d'une fleur de lys à l'épaule et condamné aux galères au moins pour cinq ans.

La pénurie du Trésor rendit ces rigueurs inapplicables. Réduits à ne donner aux mendiants que le pain et l'eau et à les coucher sur la paille, les administrateurs d'hôpitaux favorisèrent l'évasion de ces misérables. Les troupes et la maréchaussée, prises de pitié, refusèrent de les arrêter. Il fallut que le Gouvernement recrutât des archers en Suisse pour cette besogne. La nouvelle force publique fut aussi haie que, naguère, les bandouliers du Mississipi.

Une des meilleures idées de Du Verney fut de doter la monarchie d'une force nouvelle par l'institution des milices. Au moment où une alliance conclue entre Philippe V et l'Empereur fit appréhender une guerre européenne, il imagina de constituer, par l'ordonnance du 1er février 1724, une armée de seconde ligne, tirée du peuple, forte de 60.000 hommes, soumise à un service temporaire, mais conservant pendant la paix l'habitude des armes.

L'idée n'était pas neuve. On a vu que Louvois avait institué des corps de milice en 1688, mais ils n'avaient pas duré longtemps. Ils ne figurèrent pas dans la guerre de la Succession d'Espagne. Ils reparurent pendant la courte guerre de 1719 ; mais l'institution n'avait pas le caractère de régularité définitive que Pâris Du Verney prétendit lui donner. La répartition des miliciables se fit par provinces, et chaque province fut divisée en autant de cantons qu'elle fournissait de compagnies. Tout homme non marié, ayant seize ans au moins, et quarante ans au plus, mesurant cinq pieds et reconnu en état de servir, put être requis pour la milice. Le recrutement se fit par tirage au sort en présence d'officiers, de l'intendant ou de son représentant, de gentilshommes et de commissaires des guerres. Les officiers miliciens furent payés sur les fonds de la guerre ; l'armement dut être fourni par les arsenaux, et les provinces n'eurent à leur charge que l'habillement.

Mais, dans une société fondée sur le privilège et sur l'inégalité des charges, le recrutement des milices ne pouvait s'effectuer de façon équitable ; la classe des miliciables se réduisait à celle des petites gens et presque exclusivement aux habitants des campagnes. En dépit de l'ordonnance qui déclarait qu'aucune paroisse ne pouvait être dispensée de contribuer aux milices, nombre de villes parvinrent à s'y soustraire. A ce vice près, qui était grave, les milices furent un premier essai des armées de réserve, et elles annoncèrent le système de la conscription.

 

III. — LA DÉCLARATION DE 1724 CONTRE LES PROTESTANTS.

APRÈS la mort de Louis XIV, les Protestants s'étaient repris à célébrer leur culte, surtout en Languedoc, en Dauphiné, en Guyenne, en Poitou. Dès la Régence, il y avait eu des persécutions contre eux ; mais, sous le ministère de M. le Duc, plusieurs prélats se plaignant qu'on n'appliquât pas les édits, déclarations et ordonnances de Louis XIV, l'évêque de Nantes, de Tressan, fut chargé do rédiger une loi générale contre l'hérésie. Ce fut la Déclaration du 14 mai 1724.

Elle vise particulièrement les assemblées d'hérétiques, les prédicants, les mariages d'hérétiques, l'éducation de leurs enfants. Tout homme convaincu d'avoir assisté à une assemblée illicite devra être puni des galères perpétuelles, toute femme de la détention perpétuelle ; les biens de l'un et de l'autre seront confisqués. Les prédicants seront punis de mort. Nul ne pourra contracter mariage hors des solennités prescrites par les canons, à peine de nullité du mariage. Les gens ayant professé la religion prétendue réformée, ou ceux dont les parents l'auront professée, seront astreints à faire baptiser leurs enfants par les curés, dans les vingt-quatre heures qui suivent la 'naissance ; les sages-femmes sont tenues de donner avis des accouchements aux curés. Il est enjoint aux parents suspects d'hérésie d'envoyer leurs enfants aux catéchismes jusqu'à quatorze ans, aux instructions qui se font les dimanches et fêtes jusqu'à vingt ans et aux curés de veiller à l'instruction des dits enfants. Il est interdit, sous peine d'amende, de faire élever ses enfants à l'étranger.

Il est prescrit aux prêtres catholiques de visiter les nouveaux convertis quand ils sont malades, de les voir en particulier et sans témoins, de les exhorter à recevoir les sacrements de l'Église, et au cas où, s'y étant refusés, ils reviendraient à la santé, le Roi ordonne à ses procureurs de les poursuivre, aux baillis et sénéchaux de les juger ; ce sont des relaps, et, du fait de leur apostasie, ils doivent être bannis à perpétuité ; leurs biens seront confisqués. Ces mesures rappelaient les procédés de la persécution des protestants par Louis XIV. Sur certains points, les rigueurs du XVIIe siècle furent aggravées. Louis XIV avait voulu que l'apostasie fût constatée par des officiers de justice qui s'enquéraient du fait en interrogeant les accusés. Louis XV établit en 1724 que le fait serait tenu pour constaté par la seule déposition des prêtres.

Voulons, dit-il, que le contenu au précédent article (bannissement à perpétuité et confiscation des biens) soit exécuté, sans qu'il soit besoin d'autre preuve que le refus qui aura été fait par le malade des sacrements de l'Église offerts par les curés, vicaires ou autres ayant charge d'âmes.... sans qu'il soit nécessaire que les juges du lieu se soient transportés dans la maison des dits malades pour y dresser procès-verbal de leur refus,.... dérogeant à cet égard aux déclarations des 29 avril 1686 et 8 mars 1715....

L'incapacité des religionnaires à exercer des fonctions publiques fut répétée une fois de plus :

Ordonnons que nul de nos sujets ne pourra être reçu en aucune charge de judicature dans les cours, bailliages, sénéchaussées, prévôtés et justices, ni dans celles des hauts justiciers, même dans les places de maires et échevins et autres officiers des hôtels de ville,.... dans celles de greffiers. procureurs, notaires, huissiers et sergents,.... et généralement dans aucun office ou fonction publique, soit en titre ou par commission, sans avoir une attestation du curé, en son absence du vicaire de la paroisse,.... de l'exercice actuel qu'ils font de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine....

La persécution recommença principalement dans le diocèse de Nîmes, dans celui d'Uzès, et en Dauphiné. Les États généraux de Hollande réclamèrent en faveur de leurs coreligionnaires ; la Suède et la Prusse offrirent un refuge aux protestants français et l'émigration recommença.

 

IV. — LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU MINISTÈRE BOURBON ; LE MARIAGE DU ROI.

LA grande affaire extérieure du ministère Bourbon fut le mariage de Louis XV ; elle faillit mettre le feu à l'Europe.

Quand M. le Duc arriva au ministère, l'Infante avait six ans. Il fallait laisser passer une dizaine d'années avant de la marier ; mais Louis XV aurait alors vingt-trois ans, et c'eût été attendre bien longtemps. II était prudent de le marier au plus vite, pour sauvegarder ses mœurs, et aussi pour avoir des héritiers directs de la Couronne. S'il venait à mourir sans laisser un dauphin, le duc d'Orléans succéderait, et l'idée que cela pût être faisait horreur à M. le Duc. D'ailleurs, les Bourbons d'Espagne ne manqueraient pas de représenter leurs droits, et alors ce serait une grande crise. On regrettait donc à la Cour de France l'accord intervenu en 1721 entre le Régent et Philippe V, et l'on songeait à s'en dégager, quand se produisirent en Espagne des faits extraordinaires.

Le 10 janvier 1724, Philippe V abdiqua la couronne par scrupule de dévot débile. Son fils Louis Ier, le gendre du Régent, lui succéda ; mais, après s'être épuisé en exercices violents, à la chasse et au jeu de paume, il mourut subitement le 31 août, et Philippe V reprit la couronne. La fille du Régent, dès lors, n'était plus qu'une reine veuve, et l'Espagne se trouvait seule retirer un bénéfice de l'arrangement de 1721.

Il fut donc résolu dans le Conseil de rompre le mariage espagnol, et de chercher une autre reine pour la France. Le secrétaire d'État des Affaires étrangères, le comte de Morville, fit dresser une liste de quatre-vingt-dix-neuf princesses à marier ; dix-sept furent retenues, entre lesquelles serait fait le choix. On se préoccupa des précautions à prendre contre le mécontentement de l'Espagne, et l'on espéra que, par les bons offices du P. Bermudez, confesseur de Philippe V, on ferait comprendre au roi d'Espagne le danger qu'une prolongation de célibat ferait courir à Louis XV, si bien que, par raison de conscience, il rappellerait sa fille.

Le 29 octobre 1724, dans un conseil secret, le renvoi de l'Infante fut décidé. On avait convenu d'attendre, avant d'informer la Cour d'Espagne de cette résolution, que la nouvelle fiancée fût choisie ; mais, le Roi ayant été pris d'un gros accès de fièvre au mois de février 1725 après une partie de chasse, l'idée de sa mort sans héritier se représenta. Alors on brusqua les choses. Tessé, ambassadeur à Madrid, peu propre à faire la désagréable commission auprès de Philippe V, à cause du grand attachement qu'il avait pour ce prince, fut rappelé. Ce fut l'abbé de Livry, chargé d'affaires à Lisbonne, qui alla présenter au roi d'Espagne la lettre où le roi de France essayait de justifier l'affront qu'il infligeait à son oncle. Le président Hénault raconte que l'abbé entra dans le cabinet de Philippe V, et, tout tremblant, lui présenta la lettre de son maitre. La Reine était au bout du cabinet occupée à travailler. Elle entendit tout à coup le Roi frapper avec violence sur la table, en s'écriant : Ah ! le traître ! Elle accourut... Le Roi lui donna la lettre en disant : Tenez, madame, lisez ! La Reine lut ; et puis, lui remettant la lettre, elle répondit d'un grand sang-froid : Eh bien ! Il faut envoyer recevoir l'infante.

Aussitôt la nouvelle connue dans Madrid, les Espagnols entrèrent en fureur ; ils promenèrent par les rues, en l'outrageant, l'effigie de Louis XV. Les Français craignirent pour leur sûreté ; sur la frontière des Pyrénées, les bergers des deux pays se menacèrent. Philippe V ordonna, en mars 1725, à l'abbé de Livry et aux consuls de France, à la veuve de Louis Ier et à sa sœur, Mlle de Beaujolais, promise à Don Carlos, de sortir d'Espagne.

L'Infante fut mise en route. Elle emportait les pierreries et les présents qu'elle avait reçus, à son arrivée en France. On parvint, parait-il, à lui cacher la cause de son départ ; elle crut qu'elle allait seulement faire une visite à sa famille.

Parmi les jeunes filles que le comte de Morville estimait les plus dignes du choix de Louis XV, figuraient deux filles du prince de Galles, une fille du roi de Portugal, une princesse de Danemark, la fille aînée du duc de Lorraine, la fille du roi dépossédé de Pologne, Stanislas Leczinski, la fille du tsar Pierre lu, une fille du roi de Prusse, quatre autres princesses allemandes, enfin les propres sœurs de M. le Duc, Mlles de Sens et de Vermandois. L'idée d'un manage de Louis XV avec une demoiselle de Bourbon déplaisait à Fleury. D'ailleurs, le duc craignait qu'on ne lui imput4t tout l'odieux du renvoi de l'Infante dès qu'on y verrait l'intérêt de sa maison. Fleury pensa qu'un mariage avec une princesse d'Angleterre conviendrait le mieux, bien qu'il impliquât la volonté d'exclure à jamais le Prétendant du trône d'Angleterre. On chargea donc le comte de Broglie de pressentir George Ier. C'était au moment où l'abbé de Livry gagnait Madrid.

M. le Duc se croyait sûr du succès. Le portrait du jeune Roi, envoyé à Londres, avait fait sensation. Mais il est surprenant que ni lui, ni l'entourage, n'aient compris que la religion serait un obstacle insurmontable à l'alliance projetée ; ils mettaient comme condition que la princesse anglaise se convertirait au catholicisme, alors que la dynastie de Hanovre occupait le trône d'Angleterre en vertu de sa qualité d'hérétique. Le 17 mars, au moment où parvenaient à Versailles les premières dépêches de Livry rendant compte de son entrevue avec Philippe V, une lettre de Broglie apporta la nouvelle du refus de George Ier, accompagné de ses regrets, il est vrai.

Pendant que M. le Duc s'irritait d'une mésaventure qui fut connue de toute l'Europe, il reçut une offre singulière : l’impératrice de Russie, Catherine Ire, lui proposa de marier Louis XV avec sa fille Elisabeth, et de le marier lui-même avec Marie Leczinska. M. le Duc serait devenu le candidat de la Russie à la succession d'Auguste II en Pologne. Mais on disait la princesse Élisabeth belle, intelligente et dominatrice, et Mme de Prie, qui entendait conserver son influence après le mariage du Roi, fit en sorte que cette proposition fût écartée[2].

Cependant un agent secret, le sieur Lozillières, ancien secrétaire d'ambassade à Turin, avait parcouru l'Allemagne, sous le nom de chevalier de Méré, prenant sur les princesses à marier des renseignements qu'il envoyait à Versailles. Il s'était présenté au château des Leczinski, à Wissembourg, comme un artiste en voyage. Il y avait vu la fille de Stanislas, et avait fait sur elle un rapport. Il louait sa physionomie, son instruction, sa piété, sa charité, sa douceur, sa belle santé qui promettait la fécondité. Il est vrai qu'elle avait sept. ans de plus que le Roi, qu'elle n'était point belle, qu'élevée monastiquement elle n'avait pas de monde, qu'elle était pauvre, sans alliances, sans crédit en Europe. Mais une raison détermina sans doute M. le Duc et Mme de Prie : cette reine leur devrait une si belle couronne inespérée qu'ils pourraient compter sur sa reconnaissance. Il parait que Fleury refusa son avis sur le mariage ; le Roi donna son consentement, le 2 avril 1725, sans se montrer ni mécontent, ni empressé.

Dès qu'ils furent avisés de la résolution prise, Leczinski et sa fille allèrent s'établir à Strasbourg, où ils attendirent la venue des ambassadeurs extraordinaires, MM. d'Antin et de Beauvau, délégués pour demander la main de Marie Leczinska, et le duc d'Orléans qui, par procuration, devait l'épouser. Le mariage fut célébré le 15 août, dans la cathédrale de Strasbourg, décorée des tapisseries de la Couronne. La Reine était vêtue de brocart d'argent ; le duc d'Orléans portait un manteau d'étoffe d'or ; le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, rayonnait au milieu de ses abbés mitrés et de ses chanoines-comtes. Des harangues furent prononcées par Rohan, les évêques d'Angers et de Blois, le Premier Président et le premier Avocat-Général du Parlement de Paris.

Puis l'on se mit en route pour Fontainebleau, où le Roi devait DE STRASBOURG se rendre. Arrivée à Metz, Marie Leczinska reçut les échevins, la compagnie des cadets formée de jeunes gens de grandes familles,

le Parlement', et toutes sortes de députations. L'Hôtel de Ville lui offrit des bottes de mirabelles et de framboises ; les Juifs, deux coupes de vermeil et un vase de cristal de roche, enrichi de pierreries ; ils la comparèrent à Esther, à Judith et à la reine de Saba. Le peuple était dans l'enthousiasme ; les cloches sonnaient à toute volée ; on chantait des Te Deum ; les rues s'illuminèrent.

Le voyage s'attrista dans les plaines de Champagne. Des pluies continuelles avaient défoncé les routes ; on avait requis les paysans pour les réparer, partout où devait passer la Reine ; l'eau tombant sur la terre remuée les avait rendues pires. Des fondrières s'étaient creusées ; en plusieurs endroits, la Reine pensa se noyer ; une fois, on la retira de son carrosse à force de bras. Le marquis d'Argenson, qui l'a vue au passage à Sézanne, raconte que les chevaux étaient sur les dents ; on réquisitionnait les chevaux des paysans, jusqu'à dix lieues à la ronde ; on les payait comme on pouvait, et on ne les nourrissait point. Un paysan a dit à D'Argenson que les siens n'avaient rien mangé depuis trois jours.

Le Roi alla au-devant de la Reine, de Fontainebleau à Moret ; il descendit de carrosse à son approche ; elle fit de même, et, comme elle voulait s'agenouiller devant lui, il l'en empêcha, l'embrassa, la fit remonter en voiture et la conduisit au château.

La France n'avait pas appris sans surprise le choix de Louis XV, mais les grâces modestes de la Reine lui gagnèrent les cœurs. Pour quelque temps, Marie Leczinska fut populaire, bien que son mariage ait été suivi de menaces de guerre.

Le mariage, en effet, vint tout à point pour donner crédit à un aventurier du nom de Ripperda, Hollandais devenu Espagnol, protestant devenu catholique, qui représentait à Vienne la Cour de Madrid, et s'était mis en tête de jouer les Alberoni. Il avait proposé à l'Empereur de marier les archiduchesses Marie-Thérèse et Marie-Anne à Don Carlos et à Don Philippe. L'infant Ferdinand, disait-il, seul fils qui restât à Philippe V de son premier mariage, était valétudinaire et ne pouvait manquer de mourir sous peu ; il laisserait le trône à Carlos ; et si Charles VI mourait sans enfants mâles, Carlos deviendrait empereur, tandis que Philippe passerait des duchés italiens à Madrid. L'Empereur avait accueilli ces combinaisons avec indifférence, et Ripperda avait dû se contenter de lui proposer un traité d'alliance défensive. Après le renvoi de l'Infante, il reçut de Madrid l'ordre de conclure un traité coûte que coûte.

Il fit aux Impériaux des offres invraisemblables. Il ne parlait de rien moins que de les aider à reprendre l'Alsace, les Trois-Évêchés, la Bourgogne, la Flandre. Sans penser que l'Espagne fût en état de réaliser ce programme, l'Autriche consentit à signer, le 30 avril 1725, un traité d'alliance défensive et de commerce. Philippe V et Charles VI renonçaient à leurs prétentions sur leurs États respectifs. Philippe V reconnaissait et garantissait une loi de succession, ou Pragmatique sanction, publiée par Charles VI en 1713, et par laquelle l'Empereur prétendait faire passer sa succession à sa fille Marie-Thérèse, au détriment des filles de son prédécesseur, Joseph Pr, et en violation des dispositions de son père, qu'il avait, en 1711, juré de respecter. Le roi d'Espagne reconnaissait encore une compagnie de commerce que l'Empereur avait créée dans les Pays-Bas, à Ostende, le 19 décembre 1722 ; en outre, au préjudice de l'Angleterre, de la Hollande, et de la France, il ouvrait tous ses porta aux sujets autrichiens des Pays-Bas. Il renonçait à établir d'avance Don Carlos en Italie et à envoyer des garnisons dans les duchés ; il était moins exigeant à l'égard de l'Empereur qu'envers les puissances qui naguère étaient intervenues entre lui et l'Empereur. — Quant à Charles VI il reconnaissait les droits de Don Carlos à la succession des duchés de Parme et de Toscane, offrait à l'Espagne ses bons offices et sa médiation pour l'aider à recouvrer Gibraltar et Minorque, promettait de consentir à ce que l'une de ses filles épousât un des fils du roi d'Espagne, mais ainsi se réservait de marier à son gré sa fille aînée. Si Philippe V tirait pour l'instant un assez mince profit du traité, il pouvait se croire en état de se passer des Français. Il était persuadé que si une guerre européenne venait à éclater, Charles VI lui concéderait les mariages dont rêvait toujours Élisabeth Farnèse. Le traité de Vienne ne méritait pas le retentissement qu'on lui donna, étant au fond une duperie. Nul n'avait moins envie de faire la guerre que l'Empereur, et Ripperda serait resté sans doute quelque peu ridicule, s'il n'avait atteint le but qu'il poursuivait par-dessus tout, assurer sa fortune personnelle. Il devint duc et grand d'Espagne ; quand il reparut à Madrid, il eut la haute main sur l'administration intérieure de l'Espagne aussi bien que sur sa politique étrangère.

Son entente avec l'Empereur eut ce résultat précis : faire comprendre à la France et à l'Angleterre qu'une alliance austro-espagnole risquait de leur enlever la primauté politique en Europe. Elles signèrent une contre-alliance à Hanovre, où elles reçurent la Prusse comme partie contractante, le 3 sept. 1725. Les trois puissances prenaient l'engagement de s'opposer au mariage autrichien de Don Carlos, à l'établissement de la Compagnie d'Ostende, et de maintenir l'équilibre européen. Un an plus tard, la Hollande adhérait à la ligue de Hanovre ; l'Europe se trouvait partagée en deux camps ; la guerre paraissait possible ; la création de la milice, à cette date, est une preuve qu'on le croyait.

 

V. — LA DISGRÂCE DE MONSIEUR LE DUC (1726).

CES actes furent les derniers du ministère de M. le Duc. Depuis le premier jour, il était surveillé de près dans toute sa conduite par Fleury. Il essaya de s'appuyer sur la Reine pour résister à la malveillance du vieux précepteur. Marie Leczinska, qui savait combien Fleury aimait le Roi, hésitait à intervenir dans cette affaire ; mais elle ne voulut pas paraître ingrate envers l'homme auquel elle devait sa fortune. Mme de Prie lui fit comprendre que le premier ministre était tenu en échec par Fleury, et qu'il ne pouvait disposer à son gré des grâces et des places, Fleury les obtenant toutes du Roi pour ses amis à lui ; elle dit encore à la Reine que M. le Duc ne pouvait jamais voir le Roi seul à seul, Fleury assistant à tous les entretiens, et la pria d'obtenir pour le prince des audiences particulières. La Reine y consentit et, un soir que Louis XV était avec Fleury, elle l'envoya prier de venir chez elle. Le Roi y alla, mais trouva chez elle M. le Duc qui, sous divers prétextes, l'entretint à affaires. Fleury, pendant ce temps, attendait. Devinant ce qui se tramait, il écrivit le lendemain au Roi que ses services devenant inutiles, il se retirait à sa campagne d'Issy.

Louis XV ordonna aussitôt à M. le Duc de rappeler le prélat qui revint à Versailles. Sûr de son crédit, Fleury représenta au Duc et à la Reine la nécessité qu'il y avait d'éloigner Mme de Prie. M. le Duc ne se croyait pas cependant à la veille d'une disgrâce. Louis XV, qui avait décidé de le renvoyer, le caressait, pour détourner ses soupçons. Le 11 juin 1726, en partant pour la chasse, il lui laissa un billet qui l'exilait à Chantilly ; il chargeait, en même temps, son précepteur de remettre à Marie Leczinska cet autre billet : Je vous prie, Madame, de faire tout ce que l'évêque de Fréjus vous dira de ma part, comme si c'était moi-même. La Reine en pleura.

En attendant que le ministère fût remanié, les Pâris furent exilés. Du Verney s'en alla en Champagne, et bientôt fut mis à la Bastille. Quant à Mme de Prie, Maurepas l'informa que le Roi l'exilait en Normandie, dans son château de Courbépine, près de Bernay. On lui donnait dans son exil son mari pour compagnie. Elle s'ennuya à périr. Elle y reçut pourtant des gens de Cour, Mme du Deffand par exemple, sa rivale en beauté et en galanterie ; elle donna des bals, et joua la comédie. La marquise eut bientôt assez de cette vie, tomba malade et mourut le 7 octobre 1727. Elle avait à peine vingt-huit ans.

 

 

 



[1] SOURCES. Roussel, Lamberty, D'Argenson (t. I), Barbier (t. I), Duclos, déjà cités. Hénault (Président), Mémoires, Paris, 1855. Voltaire, Œuvres, Paris, 1830-1840 (Ed. Bouchot), 72 vol., notamment le Précis du siècle de Louis XV (t. XXI).

OUVRAGES A CONSULTER. Lemontey, Lacretelle (t. II), Michelet (t. XV et XVI), Jobez (t. II), Rocquain, Bailly, Clamageran (t. III), Houques-Fourcade, Marion, de Janzé, Coxe, Baudrillart (Alf.), Perey déjà cités. Clément, Portraits historiques (Les Frères Pâris), Paris, 1855. Rey, Un intendant de province à la fin du XVIIe siècle, 1686-1705 (Bull. de l'Académie delphinale, 4e série, t. IX, Grenoble, 1895). Costes, Les institutions monétaires de la France avant et depuis 1750, Paris, 1885. Thirion, Mme de Prie, Paris, 1907. Delahante, Une famille de finance au XVIIIe siècle, Paris, 1881, 2 vol. Inventaire des Archives du Puy-de-Dôme, Série C (Tentatives de maximum en Auvergne). Afanasslev, Le commerce des céréales en France au XVIIIe siècle, traduction Boyer, Paris, 1894. Gibelin, Histoire des milices provinciales (1688-1791), Paris, 1882. Broglie (Emmanuel de), Les portefeuilles du Président Bouhier, Paris, 1898. Armaillé (Comtesse d'), La reine Marie Leczinska, Paris, 1970. Raynal, La mariage d'un Roi (1721-1725), Paris, 1897. Gauthier-Villars, Le mariage de Louis XV, Paris, 1900, Nolbac (De), Louis XV et Marie Leczinska, Paris, 1902. Green, Histoire du peuple anglais (trad. Monod), Paris, 1888, 2 vol. Syveton, Une Cour et un aventurier au XVIIIe siècle : Le Baron de Ripperda d'après les documents inédits des Archives impériales de Vienne et des Archives du ministère des Affaires étrangères de Paris, Paris, 1896. Rodriguez Villa, La Embajada del baron de Ripperda en Viena (Boletin de la Real Academia de la Historia, enero 1897). De Swarte, Un intendant secrétaire d'Etat : Claude Le Blanc, sa vie, sa correspondance, Dunkerque, 1900.

[2] Le 21 mai 1725, le comte de Morville écrivit au ministre de France à Saint-Pétersbourg pour excuser la Cour d'avoir porté ailleurs le choix du Roi. Il alléguait la différence des religions.