Robert Ier et Raoul de Bourgogne rois de France (923-936)

 

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

CHAPITRE VI – La fin du règne.

Les conditions de l'entente des bords de la Chiers n'étaient pas faciles à réaliser. Hugues refusa, on ne sait pour quelle raison, de restituer Saint-Quentin au comte de Vermandois. Ce dernier en appela à Henri de Germanie. Plusieurs comtes lorrains et saxons vinrent, sous prétexte de médiation, rejoindre Herbert avec une forte armée, et au lieu d'entrer en pourparlers avec Hugues, ils se jetèrent sur Saint-Quentin qu'il retenait, d'après eux, indûment. La ville fut obligée de se rendre. Herbert, craignant de n'être pas en mesure de conserver une si difficile conquête, son ancienne capitale, dont il avait éprouvé à deux reprises l'attachement douteux, n'hésita pas à laisser des étrangers raser la forteresse. Ce succès avait à ce point mis en haleine ses alliés (amici) qu'ils parlaient maintenant d'attaquer Laon. Il fallut l'intervention royale pour les en détourner[1].

Après sa femme, Raoul perdit son frère. Boson avait pris part à l'expédition lorraine contre Hugues. Le 13 septembre, selon un diplôme, il s'était rencontré avec le roi à Attigny[2]. Peu après il mourut et fut enseveli en l'abbaye royale de Saint-Rémy de Reims, à laquelle il avait jadis concédé Domrémy[3]. C'était un précieux auxiliaire de Raoul et un utile représentant des intérêts français en Lorraine qui disparaissait.

La paix intérieure, rétablie à grand'peine, faillit être troublée par une nouvelle invasion des Normands de la Loire. Les habitants du Berry et de la Touraine parvinrent heureusement à les arrêter[4]. Vers le même temps, Artaud réunissait un synode de sept évêques à Fismes, en l'église Sainte Macre, pour aviser aux moyens de faire cesser définitivement les brigandages[5]. L'ère des luttes féodales semblait enfin close. Maintenant le rôle du roi devait être différent. Après douze années d'efforts, Raoul déclare dans un diplôme délivré le 13 septembre 935, à Attigny, qu'il entend désormais se vouer à l'administration paisible de son royaume et qu'il compte maintenir ses sujets dans le devoir par la confiance et non par la force des armes. Ce curieux document renferme en outre une concession du donjon royal d'Uxellodunum, en Quercy, au monastère de Tulle: la forteresse édifiée jadis pour résister aux Normands devait être rasée, afin qu'elle ne pût dorénavant servir à des entreprises hostiles, après la pacification définitive du midi[6].

Il ne fut pas donné à Raoul de gouverner en paix ni de jouir bien longtemps du fruit de ses efforts. Il tomba malade en automne, et retourna souffrant dans son duché[7]. Le 12 décembre, il était à Auxerre où il confirmait diverses concessions du comte Geoffroi de Nevers à son évêque Tedalgrinus[8] : il y expira le 14 ou le 15 janvier suivant[9]. On ignore son âge, mais il devait être encore jeune, quoique épuisé par treize années de luttes presque sans trêve. Conformément à son désir, il fut inhumé à Sainte Colombe de Sens. Comme l'église venait d'être incendiée au cours de troubles récents, ce ne fut que le 11 juillet que ses restes furent ensevelis au milieu du chœur, auprès de ceux de son père, qui reposaient dans la crypte de Saint-Symphorien, et de ceux du roi Robert, à droite de l'autel[10]. Le roi Louis d'Outre-Mer, couronné le 19 juin, ayant séjourné à Auxerre le 25 et le 26 juillet, semble avoir dû assister avec Hugues le Grand aux funérailles de son prédécesseur. Raoul avait légué au monastère de Sainte Colombe une partie de sa fortune privée, sa couronne d'or enrichie de pierres précieuses et le superbe mobilier de sa chapelle comprenant des ornements d'autel, des calices, des reliquaires et des manuscrits. Ce trésor fut longtemps l'orgueil de l'abbaye. Malheureusement, en 1147, l'abbé Thibaud emporta la couronne de Raoul à la seconde Croisade, et comme il mourut en Orient, cette magnifique pièce d'orfèvrerie fut irrémédiablement perdue[11].

D'après l'auteur de la Chronique de Saint Bénigne de Dijon et Aubry de Trois Fontaines, Raoul aurait eu un fils appelé Louis[12]. Un diplôme de sa mère Adélaïde, daté de 929, où il est question d'un Louis « son petit-fils » (?), Ludovicas repos, paraît bien venir confirmer ces assertions[13]. En tout cas, cet enfant était mort avant son père, puisque le décès de Raoul amena une restauration carolingienne, le rappel d'outre mer du fils de Charles le Simple, nommé lui aussi Louis.

Un trait psychologique est intéressant à relever: c'est la persistance avec laquelle, même dans les régions où l'on avait le plus longtemps refusé de reconnaître la suzeraineté de Raoul, on continua pendant plusieurs mois à dater les actes en prenant pour point de départ le jour de sa mort. On ignora ainsi volontairement la restauration du jeune rejeton de cette dynastie carolingienne, à l'égard de laquelle on avait affecté jadis une si inébranlable fidélité, parce que la fiction d'un interrègne semblait à présent le meilleur prétexte aux revendications d'indépendance. On conçoit qu'en face d'un tel état d'esprit, conséquence directe du mouvement féodal, et après avoir eu sous les yeux l'exemple des extraordinaires difficultés du règne de Raoul, Hugues le Grand n'ait pas osé briguer la succession du roi défunt et qu'il ait préféré se mettre à la tête du parti qui rappela le jeune Louis, son propre neveu par alliance.

 

 

 



[1] Flodoard, Ann., a. 935; E. Lemaire, Essai sur l'hist. de Saint-Quentin, loc. cit., p. 281.

[2] Recueil des historiens de France, IX, 580.

[3] Flodoard, loc. cit.; Varin, Archives législatives de Reims, II, 1, p. 169, note.

[4] Flodoard, Ann., a. 935. Cette invasion normande en Berry a pu être confondue par l'auteur du Chron. Dolense avec l'invasion hongroise qui eut lieu deux ans après dans la même région. Voyez ci-dessus, p. 75, n. 4.

[5] Flodoard, ibid. et Hist. eccl. Rem., IV, 25.

[6] Recueil des historiens de France, IX, 580; Justel, Hist. de la maison de Turenne, p. 16, Ce document d'une forme assez insolite n'est connu que par une copie.

[7] Flodoard Ann., a. 935.

[8] Recueil des historiens de France, IX, 581; R. de Lespinasse, Le Nirvernois et les comtes de Nevers, t. I, p. 174.

[9] Flodoard, Ann., a. 936; Hist. eccl. Rem., IV, 24; Richer, I, 65; Adon, Contin. altera, au 14 Janvier; Ann. Floriae., a. 936; Hist. Francor. Senon., au 15 janvier; Ann. S. Germani Paris., a. 942, S. Medardi Suession. S. Quintin. Veromand., a. 936 (MGH, Scr., II, 326, 255; IX, 366; III, 168; XXVI, 520; XVI, 507); Ann. S. Columbae Senon., au 14 janvier (Duru, Bibl. hist. de l'Yonne, I, 205); nécrologe de Nevers, au 15 janvier et nécrologe d'Auxerre au 14 janvier (Lebeuf, Mém. concernant l'hist. d Auxerre, II, p. 48 et pr., p. 274; nouv. éd., III, 48 et IV, 9); Clarius, Chron. S. Petri Viri Senon., au 13 janvier (Rec. des histor. de France, IX, 34); L'obituaire de Sainte Colombe de Sens fournit la date du 12 janvier qui est moins vraisemblable (Obituaires de la province de Sens, éd. A. Molinier, P. 15): « 11 id. jan. Depositio domni Rodulfi regis. Hic debet thesaurarius pitantiam sollempnem conventui »

[10] Append. Miracut. S. Germ. Autiss. (Bibl. hist. de l'Yonne, II, 198). Le Psautier de la reine Emma (Mabillon, De re dipl., p. 200) donne le 11 juillet: « Depositio Rodulfi ineliti regis v. idus julii. » --Sur le lieu de sépulture, Voyez Quesvers et Stein, Inscriptions de l'ancien diocèse de Sens, t. II (Paris, 1900, in-4), p. 46-47, et Bibl. nat., Coll. de Champagne, vol. 43, fol. 114 v°.

[11] Ann. S. Columbae, Senon., a. 1148; Contin. Adon. alt. (MGH, Scr., I, 107; II, 326).

[12] Chron. S. Benigni Dirion. (Rec. des histor. De France, VIII, 243); Hugues de Flavigny, Chron.; Aubry de Trois Fontaines, Chron., (MGH, Scr., VIII, 359; XXIII, 757).

[13] Recueil des chartes de Cluny, I, p. 358, n° 379 (donation de Romainmoutier à Cluny, en 929.