LE SANS-CULOTTE J.-J. GOULLIN

MEMBRE DU COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE DE NANTES - 1793-1794

 

PAR ALFRED LALLIÉ

NANTES - VINCENT FOREST ET ÉMILE GRIMAUD - 1880

 

 

AVANT-PROPOS.

 

CHAPITRE PREMIER.

Lieu de naissance de Goullin. — Son signalement d'après son passeport. — Sa mauvaise santé. — Sa répugnance pour le service militaire. — Difficultés qu'il rencontre à ce sujet. — Son attitude envers le Clergé dès 1791. — Détails sur son caractère et ses habitudes. — Sa nomination au District. — Son attitude dans cette administration. — Il obtient une place lucrative dans l'Enregistrement. — Sa correspondance avec le Procureur-Syndic du District. — M. de la Bregeolière, prédécesseur de Goullin dans la régie de l'Enregistrement.

CHAPITRE II.

Goullin, secrétaire du représentant Philippeaux. — Sa conduite au moment du siège de Nantes. — Réorganisation du Comité de salut public. — Lettre de Goullin à ce Comité. — Menaces contre les Nantais. — Situation de la ville de Nantes. — Renouvellement des administrations. - Influence de Goullin dans cette affaire. — Goullin, notable de la Municipalité. — Etablissement du Comité révolutionnaire. — Appréciation des contemporains sur les membres appelés à en faire partie. — Pouvoirs des Comités révolutionnaires. — Action prépondérante de Goullin dans celui de Nantes.

CHAPITRE III.

Le club de la Halle. — Opinion des membres de ce club. — La fermeture en est ordonnée par les Représentants. — Nombreuses arrestations. — L'établissement d'une compagnie révolutionnaire proposé par le Comité. — Propositions de grandes mesures contre les prisonniers. — Menaces de fusillades. — Arrivée de Carrier à Nantes. — Formation de la Compagnie Marat. — Tentative de divers habitants pour quitter Nantes. — Augmentation de la solde des gardes nationaux. — Motifs futiles des arrestations. — Conspiration du 22 brumaire an II. — Arrestation des habitants désignés plus tard sous le nom de Cent trente-deux Nantais. — Mesures prises à leur égard. — Leur envoi à Paris pour y être jugés par le Tribunal révolutionnaire. — Ignorance de Carrier des causes de cet envoi. — Absence de pièces de conviction contre ces accusés. — Correspondance à ce sujet de Fouquier-Tinville avec les membres du Comité révolutionnaire de Nantes et avec Carrier. — Conduite de Goullin dans cette affaire.

CHAPITRE IV.

Le Comité révolutionnaire responsable des actes de la Compagnie Marat. — Encombrement des prisons. — Rationnement des prisonniers. — La disette à Nantes. — La contagion dans la prison des Saintes-Claires. — La destruction des prisonniers entrevue comme un remède à la disette et à la contagion. — Goullin et les prêtres échappés à la noyade. — Nouvelle d'un retour offensif de l'armée vendéenne. — Conspiration du Bouffay. — Son véritable caractère. — Préparation de listes de victimes. — Goullin pendant la nuit du 14 frimaire an II. — Ordre de fusillade. — Résistance de Boivin. — Nouvelles propositions de détruire les prisonniers en masse, dans la nuit du 15 frimaire. — Préparatifs d'une noyade empêchée par le président Phelippes.

CHAPITRE V.

Ordres du Comité révolutionnaire relatifs aux noyades. — Préparatifs et exécution de la noyade du Bouffay. — Propos atroce de Goullin. — Affiche signée de Goullin interdisant les sollicitations en faveur des prisonniers. — Goullin élu président du Comité révolutionnaire. — Exécutions sans jugement ; Carrier et Goullin au pied de la guillotine. — Goullin menace de mort des prisonniers coupables d'avoir jeté du riz. — Attitude des membres du Comité en présence des maux de la cité. — Arrêté du Comité relatif aux enfants de l'entrepôt ; scène de Goullin avec Carrier. — Les lettres de recommandation de Goullin. — Goullin et les jeunes convalescents du médecin Thomas. — Exécution de 24 prisonniers à l'Eperonnière, ordonnée par le Comité.

CHAPITRE VI.

Goullin et la famille de Coutances. — Les joyaux de Mme Walsh. — Confiscations de bijoux et d'argenterie par le Comité. — Exclusion des marchands des ventes publiques d'objets précieux confisqués. — Ventes à vil prix. — Lettre de Goullin sur le désintéressement, condition nécessaire pour assurer le règne de la République.

CHAPITRE VII.

Lamberty et sa bande. — Intimité de ces hommes avec le représentant Carrier. — Inquiétudes du Comité de trouver en eux des rivaux. — Le Comité s'occupe de machiner leur perte. Passage à Nantes de Marc-Antoine Jullien. — Il prend parti contre Lamberty et Carrier. - Les lettres à Robespierre pour demander le rappel de Carrier. — Préparatifs par le Comité d'une accusation capitale contre Lamberty et Fouquet. — Comparution de ceux-ci au Comité. — Preuves des rapports amicaux de Goullin avec Carrier, jusqu'à la fin du séjour du représentant à Nantes. — Départ de Carrier. — Poursuites ordonnées aussitôt contre Lamberty et Robin.

CHAPITRE VIII.

Effets du départ de Carrier. — Cessation des exécutions en masse. — Les arrestations et les taxes arbitraires continuent. — Offre faite à Goullin d'une situation de surveillant du Commerce à Nantes. — Affaire Joznet La Viollais. — Goullin et Chaux mandés à Paris par la Convention. — Leur départ joyeux pour Paris en compagnie d'invités. — Séjour à Paris. — Carrier apprend l'exécution de Lamberty. — Intérêt de tous les terroristes de Nantes à la disparition de Lamberty. — Attitude inexplicable de Carrier au sujet de Lamberty. — Frais de voyage de Goullin et de Chaux.

CHAPITRE IX.

Causes du retour à Nantes de Goullin et de Chaux. — Animosité contre eux de l'ex-président Phelippes. — Phelippes appelé aux fonctions d'accusateur public. — Il réclame des prisonniers disparus par l'effet des noyades. — Essai par le Comité d'une dénonciation de fédéralisme contre Phelippes. — Retour du Comité à la modération. — Phelippes demande un compte des objets précieux confisqués. — L'administration du District se joint à Phelippes pour demander des comptes au Comité. — Hésitation des représentants en mission. — Le Comité demande le maintien à Nantes de la justice révolutionnaire. — Proposition, faite par Chaux, au médecin Thomas, de dénoncer Phelippes. — Arrivée à Nantes des représentants Bourbotte et Bô. — Dénonciation non signée du Comité contre Phelippes. — Affaissement de l'autorité du Comité. — Fin de ses séances.

CHAPITRE X.

Continuation des accusations de Phelippes contre le Comité. — Apposition d'une affiche du Comité pour solliciter du public des indications sur les sommes versées à titre de dons. — Le Comité se décide à envoyer des comptes au District. — Lettres de Goullin. — Il refuse la place de garde-magasin des marchandises anglaises. — Bruit de son départ pour Paris. — Renseignements sur les noyades demandés au Comité par Bô et Bourbotte. — Insistance de ces représentants pour obtenir le compte exact des taxes perçues par le Comité. — Politique du Comité de Salut public.— Arrestation de Phelippes et des membres du Comité. — Récriminations de Goullin. — Proclamation des représentants. — Illégalité de la résistance du Comité à rendre compte des taxes perçues.

CHAPITRE XI.

Dilapidations du Comité établies par l'enquête. — Renvoi de ses membres devant le Tribunal révolutionnaire de Paris, pour y être jugés. — Départ des accusés. — Leur voyage. — Leur désespoir à la nouvelle de la chute de Robespierre. — Effets du 9 thermidor. — Publication à Paris de la relation du voyage des 132 Nantais. — Procès et acquittement de ceux-ci. — Goullin entendu comme témoin. — Conséquence de ce procès pour les membres du Comité révolutionnaire de Nantes. — Goullin au Tribunal révolutionnaire de Paris. — Mise en accusation de Carrier. — Courants divers de l'opinion publique à ce sujet. — Les témoins amis des membres du Comité hostiles à Carrier. — Appréciation des débats par le témoin Laënnec.

CHAPITRE XII.

Les avocats Tronson-Ducoudray et Réal. — Observations de Tronson-Ducoudray sur la défense de Goullin par Réal. — Son explication de l'acquittement. — Récit de M. Louis Blanc. — Explication de M. Michelet. — Paroles de Goullin avant la délibération du jury. — Attitude des acquittés dénoncée à la Convention par Lecointre. — Indignation de la population parisienne. — Avanies faites à Goullin. — Mécontentement des habitants de Nantes à la nouvelle de la mise en liberté des accusés. — Députation envoyée de Nantes pour demander à la Convention leur renvoi devant un autre tribunal. — Question de droit. — Renvoi des acquittés devant le tribunal criminel du District d'Angers décrété par la Convention. — Leur mise en liberté. — Goullin après sa libération. — Sa mort.

 

AVANT-PROPOS

 

Le nom de Carrier est indissolublement lié au souvenir des cruautés commises à Nantes pendant la Révolution.

Tout ce qu'on fit devant Troie d'exploits héroïques, dit quelque part M. Michelet, c'est Achille qui l'a fait ; et tout ce qu'on fit dans Nantes de choses effroyables, la tradition ne manque pas d'en faire honneur à Carrier.

Carrier cependant ne fut pas à Nantes le seul coupable ; il eut des complices qui le servirent, l'aidèrent, le conseillèrent, et sans lesquels il n'eût pas fait tout le mal qui Va rendu célèbre.

Une étude attentive des événements montre qu'avant le séjour de Carrier à Nantes, le Comité révolutionnaire, dont les membres avaient été choisis par ses collègues Philippeaux, Gillet et Ruelle, avait déjà établi la Terreur dans cette ville, et que la conduite de Carrier, dans ses précédentes missions, n'avait point été de nature à attirer l'attention sur lui.

Envoyé d'abord à Rouen et dans diverses parties de la Normandie pour combattre les efforts du fédéralisme, il avait ensuite exercé ses pouvoirs à Saint-Malo[1] et à Rennes, et avait, durant quelques semaines, suivi en Vendée les opérations des armées républicaines.

Malgré le séjour de Carrier à Rouen, cette ville est peut-être la seule grande ville de Finance où ne siégea aucun tribunal révolutionnaire.

Quelques habitants de Rennes ayant manifesté à Carrier la ferme intention de lui résister, on a raconté qu'il avait quitté Rennes sans y avoir ordonné une seule arrestation[2].

Dans la Vendée il n'avait été ni plus ni moins cruel que ses collègues.

Il est ainsi permis de supposer que si le monstre se révéla aussitôt son arrivée à Nantes, c'est qu'il trouva, parmi les membres du Comité révolutionnaire nouvellement établi, des gens animés de passions semblables à celles qui couvaient en lui[3].

L'étude qui va suivre, et qui est surtout consacrée à Goullin, montrera à quel point fut néfaste l'influence de cet homme ; on y verra aussi qu'à côté de Goullin, ou plutôt au-dessous de lui, deux membres du Comité révolutionnaire, dont l'un s'appelait Chaux et l'autre Bachelier, prêtèrent leur concours aux plus abominables mesures de Carrier.

Chaux était, avant la Révolution, un négociant dont les affaires allaient mal. Déconsidéré dans son commerce, moins estimé encore de ses créanciers, il s'était jeté dans le mouvement révolutionnaire, comme l'ont fait depuis beaucoup de ses semblables, avec l’espoir d'y trouver une position, qui lui permit de vivre à l'aise, et de rétablir, aux yeux de la foule, sa considération perdue. Intelligent, hardi, brutal, sans conscience, il avait, en traversant les sociétés populaires, fait son chemin jusqu'au cabinet d'un Représentant dont il était devenu le secrétaire. Les fonctions de membre du Comité révolutionnaire avaient été sa récompense. Bien que sa signature valût peu de chose, il eut l'habileté de ne pas la compromettre dans les affaires publiques. Tout en demeurant l'ami et le collaborateur constant de Goullin au Comité révolutionnaire, Chaux ne signa directement aucun ordre de mort.

Bachelier avait une nature et des antécédents très différents. C'était un légiste ; il occupait dans le fief de r Évêché un office dont les attributions tenaient à la fois de celles du notaire et de celles du procureur. Il exerçait paisiblement sa profession, et quoiqu'il fût craintif, gauche et sournois, — faux par faiblesse, dit M. Michelet, — il avait son grain d'ambition. Peut-être, sous la Monarchie, se fût-il contenté de trôner à l'église au banc des marguilliers, ou bien à la Mairie dans un des postes secondaires de l'Échevinage, mais son ambition s'était accrue en proportion des chances que le bouleversement social lui donnait de pouvoir la satisfaire. Appelé en 1791 aux fonctions de notable de la Municipalité, il était de ces hommes qui se font apprécier dans les corps délibérants, parce qu'ils sont exacts, ponctuels, parlent peu et savent tenir une plume. Girondin aussi longtemps que les Girondins avaient été les plus forts, il était devenu Montagnard à la chute de la Gironde. Dans un Comité dont la mission était d'opérer des arrestations il fallait un homme de loi, et l'on avait choisi Bachelier qui avait accepté, autant peut-être pour le salaire que pour le pouvoir, car il n'était pas riche. Bachelier fit de la terreur parce qu'il était lui-même terrorisé tout le premier ; il avait peur de Goullin, peur de Carrier, et, comme il l'a dit lui-même, croyant peut-être que cette qualité devait tout excuser, il était père de famille. Père de famille, soit, mais d'une espèce bien autrement dangereuse que ceux dont Talleyrand disait en riant qu'ils étaient capables de tout.

Bachelier fut, pendant les deux premiers mois, président du Comité révolutionnaire, et à moins d'admettre qu'il fût un parfait imbécile, son nom mérite d'être associé à celui de Goullin dans les annales de notre histoire locale. Il y a bien des manières de faire le mal, et les complices par lâcheté sont les plus méprisables.

En effet, c'est à faire le mal, et rien qu'à cela, que ces hommes employèrent leur autorité. Jamais on ne vit pareille absence d'idées et de systèmes. Leur seule politique fut de satisfaire leurs rancunes, et de perdre ceux qu'ils croyaient capables de leur porter ombrage. Il y eut à Nantes aussi bien qu'à Paris une mêlée des partis, où, comme dans le règne animal, le combat pour la vie, — the struggle for life, — dirait un naturaliste, absorba toutes les forces. C'est de ce temps que le conventionnel Bailleul a si bien dit : Il est évident qu’on ne vit jamais plus de maladresse, plus d'ignorance dans le gouvernement, indépendamment de l'atrocité qui en était le caractère[4].

Ecrivant la biographie de Goullin dans une ville ou ce nom est porté par une famille honorable, je crois devoir prévenir des susceptibilités légitimes, en rappelant qu'à la suite d'une enquête minutieuse, dont les résultats furent consignés dans un procès-verbal signé le 11 septembre 1865, il a été établi, d'une manière péremptoire, que Jean-Jacques Goullin n'avait aucun lien de parenté avec la famille dont le chef était alors M. P.-B. Goullin, qui a occupé à Nantes diverses fonctions publiques, et notamment la présidence du Tribunal de commerce, et qui y a laissé de si bons souvenirs.

 

 

 



[1] Voir la déposition du député Chaumont, séance du 22 frimaire an III, Courrier républicain du 24 frimaire, p. 361.

[2] Biographie universelle de Michaud, v. Joseph Blin, t. LVIII.

[3] Le témoin Laënnec dans sa déposition du 14 frimaire an III le dit expressément. Papiers de Villenave, p. 512. (Collection de M. Gustave Bord.)

[4] Observations sur les finances et les factions, par Ch. Bailleul, membre du Conseil des Cinq-Cents, p. 7.