LE DRAME MACÉDONIEN

 

CHAPITRE XIV — BATAILLE D’ARBÈLES.

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

Le 1er octobre de l’année 331 avant notre ère, Alexandre vint occuper, à onze kilomètres environ des lignes de Darius, une de ces éminences coniques dont est parsemée la plaine d’Arbèles, collines uniformes qu’on croirait faites de main d’homme et qui ne sont probablement que d’énormes amas de débris accumulés. De ce poste élevé on eût dû apercevoir toute l’armée ennemie, mais un épais brouillard flottait encore dans l’air et ne laissait entrevoir que par intervalles des groupes confus dont il était impossible de discerner exactement l’ordonnance. La brume peu à peu se dissipe sous les rayons d’un soleil d’automne, et l’armée de Darius apparaît enfin déployée en ordre de bataille, couvrant de ses rangs pressés un immense espace. De l’infanterie et de la cavalerie confondues, d’énormes carrés d’une prodigieuse profondeur rangés sur deux lignes parallèles, tel est l’aspect que présente cette multitude évaluée par Arrien à plus d’un million d’hommes. Quarante mille cavaliers, quinze éléphants et deux cents chars armés de faux sont distribués en avant du front de bandière. Alexandre fait fortifier son camp par des retranchements et par des palissades ; Darius attend le choc, ses chevaux sellés, ses bataillons à leurs postes de combat. La nuit vient sans que la position des deux armées se soit modifiée. Alexandre avait reconnu le champ de bataille, offert des sacrifices aux dieux, donné ses derniers ordres ; il se retira dans sa tente.

Le tigre affamé a de longs bâillements : Homère nous a représenté Ulysse s’agitant sur sa couche, se retournant en tout sens, trouvant trop lent à naître le jour que sa pensée a marqué pour le meurtre des prétendants ; il n’a pas craint de comparer le fils de Laërte au rustre qui, après avoir bourré de sang et de graisse les entrailles de la victime, allume le brasier, en excite la flamme et n’impose qu’avec peine silence aux cris de son estomac. Je m’étonnerais que les paupières d’Alexandre se soient plus aisément fermées que les yeux d’Ulysse. La soif de la vengeance, l’avide désir de la gloire et l’amour effréné du boudin doivent avoir des effets analogues sur la nature humaine. Patiente encore, ô mon cœur ! Les membres du héros peu à peu se détendent, et un doux assoupissement s’empare de lui. L’aube avait depuis longtemps paru qu’Alexandre dormait encore d’un sommeil profond. Il n’y a pas là, nous dit l’empereur Napoléon, qui savait dormir aussi bien que veiller, matière à étonnement. L’empereur peut avoir le droit de ne pas s’étonner ; je n’admettrais pas que les capitaines de second ordre se permissent de trouver la chose aussi simple. Dormir paisiblement et dormir à propos ! mais c’est ce qu’il y a de plus difficile à la guerre ! Le temps cependant pressait : les troupes, debout dès l’aurore, avaient pris leur repas ; Alexandre seul pouvait les mettre en mouvement. Parménion se charge d’aller éveiller le roi. Il fait grand jour, lui dit-il, et l’armée impatiente réclame ta présence. Alexandre, lui aussi, était impatient de vaincre ; seulement il savait, quand il s’est abandonné au sommeil, que la victoire ne pouvait plus désormais lui échapper. S’il eût conservé à cet égard quelques doutes, toute sa force d’âme ne lui aurait pas procuré le repos, et Parménion n’eût pas eu besoin de l’appeler trois fois par son nom. Quand Mazée brûlait les campagnes, quand l’armée grecque était exposée à manquer de vivres dans les plus fertiles plaines du monde, le vainqueur d’Issus, le conquérant de la Syrie et de l’Égypte avait, n’en doutons pas, le sommeil plus léger. Darius en face, un combat décisif sous la main, c’était la guerre ramenée aux proportions d’une lutte en champ clos ; l’anxiété faisait place à l’excitation joyeuse, et la nature reprenait ses droits. Le roi se lève et sort de sa tente ; le soldat qui l’acclame lit sur son visage rayonnant d’allégresse le succès de la journée.

Toute l’armée d’Alexandre, nous l’avons déjà dit, ne dépassait pas sept mille chevaux et quarante mille hommes de pied. Distinguons dans cet effectif deux corps principaux entièrement composés de Macédoniens : la phalange d’abord, l’agéma ensuite. La phalange comprenait seize mille trois cent quatre-vingt-quatre piquiers armés de la longue sarisse. Lorsqu’elle était rangée sur seize hommes de hauteur, avec les intervalles de six pieds entre chaque rang et entre chaque homme, cette troupe d’élite, qui n’a eu d’analogue que l’infanterie suisse, déployait un front de deux kilomètres environ d’étendue. L’agéma était un mélange d’infanterie et de cavalerie ; huit escadrons d’hétaires, à cent cinquante chevaux par escadron, avaient pour complément trois mille hypaspistes, gens de pied, dont l’armement différait peu de celui des hoplites grecs. Autour de ce fort noyau se groupaient près de huit mille peltastes armés à la légère ; les argyraspides, avec leur bouclier d’argent affectant la forme d’une feuille de lierre, étaient des peltastes. Sur les flancs de l’armée et lui servant souvent d’éclaireurs voltigeaient les archers agriens, les frondeurs et les Thraces. Les Péoniens et les Thessaliens, troupe à cheval moins lourde, sans être moins redoutable, que la cavalerie de l’agéma, flanquaient une des ailes quand les hétaires se chargeaient de couvrir l’autre. Pour la souplesse et l’agilité, cette cavalerie légère n’avait pas son égale au monde. La bataille d’Issus venait d’apprendre aux Grecs que l’infanterie de Darius était peu à craindre ; elle leur avait, en revanche, laisse un certain respect pour la cavalerie perse. Des hommes et des chevaux bardés de fer ont une quantité de mouvement à laquelle il ne suffit pas d’opposer la dextérité ou la vitesse. De l’aveu des Anglais eux-mêmes, un de leurs meilleurs régiments de dragons fut, à la bataille de Waterloo, trois fois repoussé par les cuirassiers de Bonaparte. Quand le terrain se prête aux charges à fond, il faut beaucoup compter avec la cavalerie, et le terrain, aux champs de Gaugamèle, nous l’avons déjà fait remarquer, ne laissait rien à désirer sous le rapport de l’étendue et de la nature du sol.

Au signal d’Alexandre, les palissades du camp sont abattues, l’armée grecque sort de ses retranchements et se forme en bataille dans la plaine. Les dispositions à prendre sont connues d’avance : la phalange en masse va se placer au centre ; son flanc droit est protégé par la cavalerie des hétaïres que commande Clitus et par les escadrons de Philotas ; les argyraspides, sous les ordres de Nicanor, garderont son flanc gauche ; en arrière se tient Amyntas avec la réserve. Pour donner à cette seconde ligne plus de consistance, Alexandre, aux trois corps de Cœnus, d’Oreste et de Lynceste, a jugé bon de joindre les troupes étrangères confiées à Polysperchon. L’infanterie de Cratère et les cavaliers thessaliens, soutenus par toute la cavalerie des alliés, constituent l’aile gauche, où commande Parménion. Alexandre a voulu se réserver le commandement de l’aile droite ; c’est de ce côté qu’il trouvera Darius.

La gauche de l’armée perse opposait aux hétaires quatorze mille cavaliers venus de la Bactriane, de l’Arachosie, de la Susiane et du pays des Massagètes. Son but était de déborder l’armée macédonienne ; Alexandre déjoue cet espoir en appuyant obliquement sur la droite. Il se rapprochait ainsi des montagnes, et, par cette marche diagonale que Darius n’avait pas prévue, évitait un terrain semé quelques jours auparavant de chausse-trapes : innocent stratagème qui lui fut, s’il faut en croire Quinte-Curce, dénoncé la veille de la bataille par un transfuge. Dès que la manœuvre d’Alexandre se dessine, les Perses à leur tour inclinent davantage vers la gauche. La cavalerie scythe engage la première l’action avec les éclaireurs qui devancent le gros des hétaïres ; au même moment, Darius lance ses chars armés de faux contre la phalange. Lorsque Voltaire conseillait à la grande Catherine d’imiter sur ce point l’exemple de Darius Codoman et de faucher à l’assyrienne les bataillons du sultan Moustapha, il n’avait pas les détails de la bataille d’Arbèles bien présents à l’esprit et faisait, je ne crains pas de le dire, un puéril emprunt à l’antiquité ; j’espère que mes flottilles renouvelées des Grecs révéleront chez moi un esprit plus pratique. Les Agriens font pleuvoir sur les conducteurs de chars une grêle de traits, les frondeurs les accablent de pierres ; ni les uns ni les autres n’arrêtent l’avalanche, mais les rangs des Macédoniens se sont subitement ouverts ; quelques soldats seulement, trop lents à se garer, sont blessés par les piques qui prolongent les timons ou par les faux qui débordent les essieux.

Nous n’avons eu jusqu’ici que les préludes du combat ; voici enfin l’armée tout entière de Darius qui s’ébranle. Ne va-t-elle pas noyer la petite troupe d’Alexandre dans les flots de poussière qu’elle soulève ? On dirait l’émeute d’une grande ville se ruant sur la ligne trop mince de baïonnettes qui s’efforce de la contenir. En ce moment, la mêlée sévit à l’aile droite, les Bactriens sont venus prêter main-forte aux Scythes ; la troupe d’Arétès cède au choc et cherche un abri derrière la seconde ligne. Les Perses poursuivent cette cavalerie, qui se retire en désordre, et continuent de la charger avec fureur. Alexandre indigné se jette au milieu de ses soldats, leur prodigue les exhortations, les reproches, et finit par les ramener à l’ennemi. L’échauffourée calmée, il retourne à la colonne massive des hétaires. Là un coin formidable n’attend plus que ses ordres. C’est l’heure décisive de la journée ; Alexandre donne à la fois le signal et l’exemple. Il fond sur Darius avec de grands cris, suivi de la phalange, qui arrive au pas redoublé. Ainsi Gustave-Adolphe, aux champs de Lulzen, ira au-devant des cuirassiers de Pappenheim. Alexandre pénètre au milieu de l’armée perse et pousse droit au char de Darius. Comme à Issus, un rempart de cavaliers se dresse sur son passage. Dans cette cohue confuse d’hommes et de chevaux, le roi de Macédoine se fraye une voie sanglante ; chaque coup de son épée élargit la brèche, les rangs se renversent les uns sur les autres, les cadavres s’amoncellent, Bucéphale broie sous ses sabots la chair meurtrie. Ce fut alors, dit-on, que le devin Aristandre, vêtu de la blanche tunique des prêtres, portant à la main une branche de laurier, montra aux soldats macédoniens un aigle qui, d’un vol paisible, planait au-dessus de la tête du roi. Ce présage de victoire est salué par mille acclamations ; formée à rangs serrés, bloc hérissé de fer, la phalange tombe alors sur le centre de l’armée perse. Tout ploie à l’instant sous cette effroyable pression ; une foule éperdue a entraîné Darius ; les Macédoniens ne trouvent plus devant eux qu’un épais rideau de poussière.

La bataille est gagnée ! Elle est gagnée du moins à l’aile droite ; à l’aile gauche, la fortune de la journée demeure encore singulièrement compromise. Mazée, avec sa cavalerie, a fait une charge impétueuse sur le flanc de Parménion ; les Indiens réunis aux Perses ont passé à travers la trouée qu’a laissée entre les deux ailes la marche en avant de la phalange. Un flot de cavaliers s’est ainsi fait jour jusqu’aux bagages. Parménion perd la tête ; il ne se croit plus de force à résister seul. Pendant qu’il maudit en secret l’élan irréfléchi d’Alexandre, messagers sur messagers vont par ses ordres réclamer de l’aile droite un prompt secours. Gomment ce vétéran des vieilles guerres de Thrace et d’Illyrie en est-il arrivé à manquer à ce point de sang-froid ? Son imagination frappée s’est fait un tableau. On sait que l’expression appartient à Napoléon, qui la répète souvent. Parménion a pris, comme le maréchal d’Estrées, un hourra de uhlans pour une attaque sérieuse ; il a vu Sisygambis et les filles de Darius délivrées, les prisonniers en armes, ses derrières menacés, et, à l’instant même où sa pensée se forge ce prétendu péril, la seconde ligne a déjà fait volte-face, pris les Perses à dos et mis en fuite tout ce qu’elle n’a pas massacré. Mazée lui-même, dont la grosse cavalerie avait ébranlé l’aile gauche de l’armée grecque, ne sait pas profiter de son avantage. Pourquoi d’ailleurs poursuivrait-il ce passager triomphe ? Un sinistre bruit a glacé le courage des Perses ; Mazée vient d’apprendre la fuite de Darius. Les Thessaliens qu’il presse mollement reviennent plus ardents, plus nombreux à la charge ; Mazée n’essaye même pas de les repousser ; il se lance, avec les cavaliers qu’il a pu rallier, à travers la plaine et s’enfuit au galop vers les bords du Tigre. Tous les gués du fleuve lui étaient familiers ; il n’eut donc pas de peine à se dérober aux poursuites. Ce fut lui qui, suivi des débris de l’armée vaincue, apporta le premier dans Babylone la nouvelle de la grande défaite.

Grâce à la retraite de Mazée, Parménion triomphait au moment même où Alexandre recevait les messagers qui l’informaient du danger et des alarmes de son lieutenant. L’aile gauche des Perses était alors en complète déroute ; la confusion même servit à couvrir la fuite de Darius. Des flots de poussière tourbillonnaient dans la plaine. Le terrible Sam, cet ouragan de sable si soudain, qu’on a vu tant de fois ravager la Perse et la Babylonie, a-t-il, le 2 octobre de l’année 331, atteint de son haleine à demi épuisée les champs lointains d’Arbèles ? Je serais tenté de le croire. Perdus au sein de ténèbres assez épaisses, s’il en faut croire Quinte-Curce, pour dérober aux combattants jusqu’à la clarté du jour, les vainqueurs poussaient devant eux au hasard. L’oreille tendue, ils essayaient parfois de saisir quelque signal lointain, l’écho de la trompette sonnant le ralliement ou la voix des chefs s’efforçant de dominer le tumulte ; rien de distinct n’arrivait jusqu’à eux. Seuls, les plus avancés crurent entendre un instant comme un bruit de rênes qui frappait le flanc des chevaux pressés par leur conducteur ; ce bruit même se perdit bientôt dans l’universel tumulte. C’était l’unique trace que laissait derrière lui le dernier des Achéménides.

Simias, un des commandants de l’agéma, s’arrêta le premier, sur l’avis du désordre où l’attaque de Mazée avait jeté les troupes de Parménion. Alexandre, également averti, ne pouvait se résoudre à revenir sur ses pas. Que Parménion, dit-il, ne s’inquiète pas des bagages ! La victoire nous rendra au centuple ce que nous aurons perdu. Les instances cependant redoublent : le cœur gonflé de rage, Alexandre cède enfin ; il se résigne à laisser échapper Darius. Il revenait à la tête des hétaïres, quand quelques cavaliers accourant à toute bride lui annoncent que les choses ont brusquement changé de face. Parménion peut se passer de secours, l’aile gauche de l’armée macédonienne, aussi bien que l’aile droite, n’a plus que des fuyards à poursuivre ou des captifs à ramasser. Alexandre saura-t-il jamais pardonner au vétéran trop facilement troublé la faute à laquelle le roi des Perses doit contre toute attente son salut ? Il accueille sans joie apparente, sans un mot de satisfaction, la nouvelle d’un avantage qui n’aurait pas dû être si longtemps disputé ; les troupes de Parménion n’ont pas montré l’élan que leur roi attendait d’elles. Bernadotte, tu m’as gâté ma journée ! Tout entier au dépit qui le ronge, Alexandre continue sa route, la tête basse et le front soucieux ; aucun des hétaires qui l’entourent ne se hasarde à rompre le silence.

De quels soudains hasards se compose l’existence d’un soldat ! Il semblait que tout danger eût disparu et qu’il ne restât plus qu’à recueillir les fruits de la victoire ; quelques instants encore, et Alexandre allait avoir à subir le plus furieux assaut qui l’ait menacé dans sa vie. Les Indiens et les Perses chassés du camp par les réserves de l’armée macédonienne battaient précipitamment en retraite ; ils se trouvent tout à coup en face de la troupe d’Alexandre. La route leur est barrée ; avec le courage qu’inspire le désespoir, ils songent sur-le-champ à se l’ouvrir. L’ennemi est peu nombreux ; ils en auront facilement raison. Le choc fut terrible. Alexandre lui-même est bientôt entouré ; de sa javeline, il perce le commandant des escadrons indiens, frappe de la même arme le cavalier qui le serre de plus près, porte un coup à droite, un autre coup à gauche, et fait successivement rouler dans la poussière tous les champions qui osent s’attaquer à lui. On ne cite, je crois, qu’une occasion où l’empereur Napoléon ait été obligé de mettre l’épée à la main, — ce fut, si je ne me trompe, après la bataille de Brienne ; — pour Alexandre, ces luttes corps à corps étaient le combat de tous les jours. Soixante notaires périrent dans la mêlée ; Éphestion, Cœnus, Ménidas virent couler leur sang par plus d’une blessure. Les barbares finirent par céder ; pour mieux dire, ils cédèrent dès qu’ils entrevirent la possibilité de fuir. Leur résistance avait coûté aux Macédoniens, si l’on considère surtout la qualité des victimes, la plus grosse perte qu’ils aient subie dans cette journée mémorable. L’armée entière ne perdit pas six cents hommes. Quant aux Perses, on ne sait pas encore aujourd’hui s’il en périt quarante mille ou quatre-vingt mille ; les historiens ne s’accordent pas sur le nombre. Arrien n’a pas craint de prononcer le chiffre presque incroyable de trois cent mille. De toute façon, dispersée ou couchée sur le champ de bataille, l’armée de Darius était anéantie.

Le soir même, Alexandre reprit la poursuite du monarque vaincu ; il dut s’arrêter, après avoir passé le grand Zab, pour faire rafraîchir les chevaux et donner à ses soldats quelques heures d’un repos bien gagné. Pendant ce temps, Parménion s’emparait du camp des barbares, de tout le bagage, des éléphants, des chameaux. Il avait fait manquer la capture de Darius à son maître ; il s’occupait de racheter autant que possible son erreur en faisant pousser vigoureusement les fuyards par la cavalerie thessalienne. Vers le milieu de la nuit, Alexandre décampa ; le lendemain, il entrait dans Arbèles. Monté sur un cheval rapide, Darius avait traversé cette ville sans ralentir sa course, abandonnant au vainqueur ses trésors, son char et ses armes ; tout donnait à penser qu’il avait dû gagner le plateau de la Médie par les défilés du mont Zagros. Une troupe fugitive pouvait sans inconvénient s’engager dans ces montagnes ; une armée dépourvue de moyens de transport n’eût pas trouvé facilement à y vivre. C’est par ce chemin, il est vrai, — le chemin d’Altoun-Koupri à Scherzour, — que les Persans, pour faire la guerre aux Turcs, sont maintes fois descendus dans la vallée du Tigre, mais l’irruption, en pareil cas, a toujours le temps de se préparer ; elle ne fait d’ailleurs que suivre la pente qui la porte dans les contrées fertiles. Tout autres sont les difficultés des troupes qui viennent de la plaine envahir la montagne. Pour pousser jusqu’à Ecbatane, où Darius allait très probablement se rendre, il n’eût pas fallu parcourir, en partant d’Arbèles, moins de cinq cent soixante kilomètres. C’était se lancer dans une seconde campagne et s’y engager à l’approche de l’hiver ; Alexandre avait un soin plus pressant. L’empire perse était à ses pieds ; il fallait qu’il en prît sans tarder possession.