HISTOIRE CRITIQUE DES RÈGNES DE CHILDERICH ET DE CHLODOVECH

LIVRE II. — FONDATION PAR CHLODOVECH DU ROYAUME FRANK EN GAULE.

CHAPITRE V. — Conversion de Chlodovech au christianisme.

 

 

Nous raconterons en premier lieu le baptême de Chlodovech, d’après nos sources ; nous présenterons ensuite quelques courtes observations sur l’importance historique de cet événement.

Grégoire nous a laissé une relation détaillée du baptême[1]. Son récit a une couleur religieuse très prononcée, mais l’élément légendaire, qui joue un si grand rôle dans les narrations postérieures, y parait à peine. Grégoire lui-même y mentionne l’existence d’une biographie de Remi, évêque de Reims[2]. Le baptême de Chlodovech, ayant marqué dans la vie de cet évêque plus qu’aucun autre événement, avait probablement été décrit par le biographe avec une prédilection toute particulière. Comme l’ouvrage existait encore du temps de Grégoire, on ne peut guère supposer que celui-ci n’en ait pas tiré parti ; il est donc très vraisemblable que notre historien s’est conformé, quand aux points essentiels, à ce qu’il lisait dans cette ancienne Vita Remigii, aujourd’hui perdue.

L’histoire du baptême de Chlodovech se rattache, dans l’ouvrage de Grégoire, à celle de la guerre Alamannique. L’heureuse disposition d’esprit où se trouve le roi païen, à la suite de sa victoire, ne doit pas rester stérile.

La reine mande secrètement Remi[3] évêque de Reims ; le priant de faire pénétrer la parole du salut dans le cœur du roi, qui, revenu de son expédition contre les Alamans, se reposait alors à Reims. Aux premiers mots de Remi, Chlodovech s’écrie : Très saint père, je t’écouterai volontiers : mais il y a une difficulté, c’est que le peuple qui me suit ne veut pas abandonner ses dieux[4]. Toutefois, je vais lui parler dans le sens de tes paroles. Il va donc au milieu des siens, et avant même qu’il ouvre la bouche, le peuple s’écrie tout d’une voix : Pieux roi, nous rejetons les dieux mortels, et nous sommes prêts à suivre le dieu immortel que prêche Remi. Aussitôt l’évêque fait procéder avec pompe et solennité aux préparatifs du baptême ; on marche dans les rues à l’ombre de toiles peintes ; les églises[5] sont ornées de tentures blanches, des nuages d’encens s’élèvent, des cierges odoriférants brillent de toutes parts, en sorte que les assistants se croient transportés au milieu des parfums du paradis. Le roi, vêtu de la robe blanche des néophytes[6], demande à être baptisé le premier par le pontife. Nouveau Constantin, il s’avance vers les fonts sacrés. Courbe humblement la tête, Sicambre, lui dit le saint de Dieu, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré[7]. Puis, après avoir confessé le mystère de la Trinité (Grégoire insiste sur ce point parce qu’il songe à l’arianisme), Chlodovech est baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; il est oint du saint chrême, et l’on trace le signe de la croix sur le front du premier roi germain[8] qui ait été conquis par l’Eglise catholique. Plus de trois mille hommes de son armée reçoivent le baptême avec lui, ainsi que sa sœur Alboflède, morte peu de jours après. Une autre sœur de Chlodovech, Lantechilde, abjure l’hérésie arienne, et se convertit au catholicisme.

Là s’arrête notre historien. Son récit porte le cachet de la vérité même : il en dit plutôt trop peu que trop. Une lettre d’Avit, évêque de Vienne, à Chlodovech, lettre contemporaine de l’événement[9], jette un nouveau jour sur la solennité religieuse qui nous occupe, et sur les efforts qu’on fit pour lui donner plus d’importance extérieure. D’après cette épître, une partie du clergé catholique des Gaules, ou tout au moins tous les évêques alors soumis à Chlodovech, paraissent avoir été présents au baptême. Il semble que des invitations aient été adressées à certains évêques catholiques dont les diocèses n’appartenaient pas au royaume frank : Avit s’excuse presque de n’avoir pas assisté personnellement à la cérémonie. Grégoire ne mentionne pas la présence de ces évêques : mais son silence n’a rien d’extraordinaire si l’on songe que Remi, ayant seul consommé l’acte du baptême, a seul joué un rôle considérable dans cette circonstance, auprès de Chlodovech.

Il nous faut maintenant examiner d’un peu plus prés certains points sur lesquels nos renseignements diffèrent, car à côté de la tradition vraie du baptême de Chlodovech, il s’en est formé une fausse.

Et d’abord, en ce qui concerne l’époque du baptême, Grégoire ne nous fournit aucune indication précise. S’il faut en croire certaines sources[10]. Chlodovech fut baptisé le jour de Pâques[11]. D’autre part, il résulte de la lettre d’Avit[12] que la cérémonie eut lieu à Noël, et comme l’abjuration du souverain frank coïncide avec son retour de la guerre Alamannique de 496, nous pouvons tenir l’an 426 pour l’année même du baptême. Un passage de la lettre de Remi[13], écrite, elle aussi, peu de temps après l’événement, confirme indirectement le témoignage de l’évêque de Vienne. L’allusion que fait Remi au froid de l’hiver se comprendrait difficilement dans l’hypothèse de Pâques. Ainsi, nul doute que la véritable date du baptême ne soit le jour de Noël de l’an 496.

Pour la question de lieu, comme pour la question de date, nous nous trouvons en présence d’assertions contradictoires. Mais l’une de nos sources indique formellement Reims[14]. La déclaration contraire, de l’évêque Nicet, qui, dans une lettre adressée à la petite-fille de Chlodovech, désigne l’église de Saint-Martin de Tours, paraît reposer sur une inadvertance[15].

Enfin, il y a désaccord sur le nombre des Franks qui reçurent le baptême à Reims conjointement avec Chlodovech.

La première question à résoudre est celle-ci : le peuple frank tout entier fut-il baptisé en même temps que son chef ? Grégoire ; évalue à plus de trois mille le nombre des personnes : baptisées. Ce chiffre ne comprend que des hommes en état de porter les armes, et représente simplement une partie de l’armée de Chlodovech. Quand notre historien raconte, quelques lignes plus haut, que, Chlodovech ayant annoncé ses projets aux Franks, le peuple tout entier se déchira prêt à renier ses anciens dieux, il emploie une manière de parler qu’on ne saurait prendre au pied de la lettre. On a voulu combattre, au moyen de certaines citations, l’opinion que nous émettons ici, en nous fondant sur le texte de Grégoire ; mais aucun des passages cités n’est concluant. L’un d’eux se rapporte évidemment à une époque postérieure[16] ; le second est conçu dans des termes trop généraux pour qu’on puisse en tirer aucune conséquence particulière[17] ; le troisième semble fondé sur un texte mal compris[18]. Il résulte d’ailleurs d’autres témoignages très dignes de foi que la totalité du peuple frank ne reçut pas le baptême en même temps que Chlodovech : Avit, dans sa lettre, exprime l’espoir que Dieu, avant déjà touché le cœur du prince, amènera bientôt à lui toute la nation franque[19] ; Vaast, appelé au siége épiscopal d’Arras, trouve dans son diocèse des Franks encore païens qu’il entreprend de convertir[20]. En présence de preuves si solides, si positives, l’opinion en vertu de laquelle le peuple frank tout entier aurait embrassé le christianisme dès Noël 496, ne se soutient même pas. Néanmoins, on pourrait être tenté de croire que l’assertion de Grégoire a besoin d’une rectification. D’après un auteur, six mille Franks furent baptisés avec Chlodovech[21] ; un autre met trois mille hommes en état de porter les armes, sans compter les femmes et les petits enfants[22] ; un troisième donne le chiffre de 364 ; il faut dire qu’il qualifie ces 364 convertis de personnages haut placés. Mais cette dernière version ne mérite pas qu’on s’y arrête[23]. Quant à la mention des femmes et des enfants, on n’y petit voir qu’une simple addition[24] ; et, en définitive, le témoignage de Grégoire reste seul debout.

On a fait une singulière conjecture[25], que nous devons au moins, mentionner ici : on a prétendu qu’à l’occasion du baptême une partie des Franks, alors soumis à Chlodovech, s’étaient soustraits à sa domination, et avaient reconnu l’autorité de Ragnachar, pour rester fidèle à l’ancien culte païen. Cette hypothèse ne trouve aucun point d’appui dans les textes[26]. A vrai dire, nous ne pouvons déterminer avec exactitude l’époque à laquelle les Franks de Chlodovech renoncèrent complètement au paganisme[27] : la lettre du pape Hormisdas, qui nous a été conservée par Hincmar, ne prouve pas que cette renonciation ait eu lieu du temps de Remi. Nous ne savons pas non plus si l’abjuration de notre prince influa directement sur la conversion des autres Franks Saliens. Le roi Chararich et son fils étaient chrétiens lorsque Chlodovech s’empara de leur royaume ; quand à Ragnachar, à ses frères, et aux autres chefs saliens, parents de Chlodovech, nous n’avons sur eux aucun renseignement précis ; ils paraissent être restés païens. La même observation s’applique aux Franks Ripuaires et à leur roi Sigibert.

Deux lettres que Chlodovech reçut peu de jours après son baptême, lettres émanées l’une et l’autre de hauts prélats catholiques, nous montrent quel vif intérêt la conversion du souverain frank excita dans la chrétienté orthodoxe,, et quelles espérances elle y éveilla. L’une de ces lettres a pour auteur Avit, évêque de Vienne, qui consacra sa vie à la propagation de la foi catholique chez les Burgundions ariens. Avit n’avait pu assister air baptême ; il écrit au roi pour s’en excuser.

C’est avec joie, dit-il[28], qu’il a vu Chlodovech se convertir à la vraie doctrine, malgré les efforts des schismatiques (par ces mots il désigne évidemment les ariens). Les catholiques, jusqu’à ce moment, fondaient toute leur confiance sur l’éternité ; laissant à Dieu le soin de décider qui, d’eux ou des ariens, possédait la vraie foi, ils s’en rapportaient à la sentence du jugement dernier : et voilà que déjà dans le temps, un rayon de la vérité a percé les nuages. Car la providence divine a fait surgir un juge. Le choix de Chlodovech est un arrêt pour tous. Aux exhortations des prêtres, aux sollicitations des parents, des amis, on n’opposera plus désormais, comme autrefois, les habitudes de race et les traditions paternelles. N’empruntant à la longue série de ses aïeux que la noblesse de leur sang, Chlodovech a voulu léguer à sa postérité un titre capable de rehausser encore l’éclat de la plus illustre naissance[29]. Roi temporel, il règne avec la même gloire que ses prédécesseurs ; serviteur de Dieu, il sera pris pour modèle par ses descendants. Avit félicite l’église orthodoxe d’avoir obtenu, en Occident[30], la conversion d’un monarque, et fait observer que la régénération de Chlodovech s’est rencontrée, par une remarquable coïncidence, avec l’anniversaire de la naissance du Sauveur. Il n’a pu assister au baptême en personne ; mais, averti par un messager, il s’y est trouvé en esprit, et il s’est représenté par la pensée le moment solennel où la tête de Chlodovech, objet de crainte pour les peuples, s’est inclinée devant les ministres de l’Eglise. Il espère que la conversion du roi ne fera qu’augmenter la force de ses armes, toujours favorisées par la fortune. Il ne veut pas donner de conseils à Chlodovech : celui-ci n’a pas besoin qu’on lui recommande la foi, l’humilité, la douceur, puisqu’il pratiquait déjà ces vertus à une époque où l’on ne pouvait pas encore les exiger de lui. Avit se contentera d’appeler l’attention du monarque sur un seul point : avant peu, Dieu aura fait sien tout le peuple frank ; que Chlodovech se hâte donc de communiquer la précieuse doctrine du salut aux nations encore plongées dans les erreurs du paganisme ; qu’il n’hésite pas à leur envoyer des missionnaires ; il accroîtra par là le royaume de ce Dieu, qui a élevé celui des nantis à un si haut degré de puissance. En agissant de la sorte, il verra les peuples étrangers le servir d’abord à cause de la religion, puis se soumettre complètement à lui[31], et il sera alors comme le soleil qui luit pour tous : sans doute ceux qui seront placés dans son voisinage immédiat recevront de son diadème une plus vive lumière ; mais l’éclat de sa souveraineté rayonnera aussi sur les absents. Avit ajoute que tout célèbre le triomphe de Chlodovech ; et que l’Église elle-même s’intéresse à ses succès : chaque bataille qu’il livre est une victoire pour elle. En terminant, l’évêque de Vienne recommande le fils de Laurentius à la bienveillance du roi.

La, seconde lettre est celle du pape, Anastase[32]. Le souverain pontife se félicite vivement de ce, que son exaltation au Saint-Siège ait coïncidé avec le baptême du roi. Successeur de Saint-Pierre, comment n’éprouverait-il pas un profond sentiment d’allégresse, en voyant la multitude des peuples accourir vers sa chaire ? Pour témoigner sa joie à Chlodovech, il lui envoie le prêtre Eumène. Puisse le monarque persévérer dans la bonne voie ; et réjouir le cœur de l’Eglise, sa mère : puisse-t-il être pour elle une colonne d’airain, aujourd’hui surtout qu’elle a tant de combats à soutenir[33]. Du reste, Anastase place sa confiance en Dieu, qui vient d’arracher Chlodovech aux ténèbres du paganisme, et d’introduire dans l’Église un prince capable de la défendre, de la soutenir. Il appelle là bénédiction du ciel sur la personne et sur le royaume de son glorieux et bien-aimé fils le roi des Franks.

Assurément les prélats catholiques placés sous la dépendance de Chlodovech ne lui refusèrent pas non plus les témoignages de leur sympathie. Nous voyons notamment par une lettre de l’évêque Remi, combien grande était sa sollicitude pour son royal prosélyte[34]. La sœur de Chlodovech, Alboflède, baptisée en même temps que son frère, était morte peu après la cérémonie : Remi se montra fort empressé à consoler le roi. Si celui-ci le désire, écrit-il, il se rendra d3 Reims à Soissons, sans craindre ni le froid de l’hiver ni la fatigue du voyage. Assurément il était sincère en s’exprimant ainsi.

A vrai dire, l’Eglise catholique pouvait avec raison s’applaudir de sa nouvelle conquête. La conversion de Chlodovech était pour elle un événement de la plus haute importance : nous voyons par les lettres d’Anastase et d’Avit qu’il y avait des hommes d’un esprit assez pénétrant pour le comprendre. L’arianisme, à cette époque, l’emportait sur le catholicisme dans tous les royaumes germaniques de l’Europe Occidentale. En gagnant à elle Chlodovech, l’Eglise romaine se donnait une base solide dans ce jeune empire frank, dont les progrès passés laissaient prévoir la future extension. Associée à un tel empire ; elle devait prendre un rapide essor. Le royaume frank semblait fait tout exprès pour servir de trait d’union entre le christianisme et les nations germaniques encore païennes[35] ; il pouvait s’opposer à la marche envahissante de l’arianisme, ou du moins protéger les catholiques placés sous la domination des ariens. De son côté, Chlodovech, en embrassant la religion chrétienne et en optant pour le catholicisme, s’assurait de grands avantages. Il rattachait à lui la population romane des pays qu’il possédait au nord de la Loire, il se conciliait surtout le clergé catholique, si puissant en ces temps troublés sur les esprits des hommes. Son autorité recevait de l’Église une consécration plus haute ; son royaume revêtait au dehors un caractère chrétien[36]. Aussi voyons-nous, même dans les parties de la Gaule qui ne sont pas soumises à Chlodovech, tous les Romans catholiques tourner leurs regards vers ce prince : ils espèrent être délivrés par son intervention du joug détesté des Ariens[37]. Plus tard, quand il attaquera la Burgundie et le royaume des Wisigoths, il trouvera chez ses ennemis un parti frank, qui lui prêtera un secours efficace.

On a prétendu que Chlodovech lui-même avait prévu les avantages qui résulteraient pour lui de son abjuration, et qu’il s’était fait chrétien par habileté politique[38]. D’autres, au lieu de lui prêter des vues intéressées, ont attribué sa conversion à l’influence du Saint-Esprit[39]. En histoire, il y a toujours péril à s’exagérer l’importance des mobiles individuels. Ce qu’il faut reconnaître, c’est que le peuplé frank et son chef subirent, de différents côtés, des influences qui devaient tôt ou tard les amener au christianisme. En succédant à Syagrius, Chlodovech se vit transporté avec ses compagnons d’armes au milieu d’une société dont la vie et l’éducation étaient déjà profondément imprégnées des idées chrétiennes. Les Franks, vivant à côté des Romans catholiques et dans leur contact perpétuel, ne pouvaient se soustraire à la contagion de l’exemple ; éloignés de leur patrie, du berceau de leur ancien culte, ils donnaient par là même plus de prise sur eux. Quant à Chlodovech, il subit visiblement l’influence de la reine. Le seul fait que, païen, il ait pu épouser une chrétienne, nous montre quel ascendant le christianisme exerçait sur lui et sur son entourage immédiat, dès avant son mariage. Il est clair qu’après le mariage, cet ascendant devait encore grandir ; aussi voyons-nous Chlodovech consentir à ce que les deux fils de Chrotechilde soient baptisés dans la religion chrétienne, lorsque lui-même n’a pas encore renoncé au paganisme. Les relations personnelles de Chlodovech avec Remi, évêque de Reims, et avec d’autres prélats de son royaume, méritent également d’être notées[40]. Tout porte à croire que le clergé catholique, ne négligea aucun moyen, direct ou indirect, d’influer sur le souverain frank et sur son peuple. Certaines tentatives paraissent avoir été faites par les Ariens, pour attirer à eux Chlodovech[41] : les catholiques, à coup sûr, n’auront pas déployé moins de zèle que leurs rivaux[42]. Enfin Grégoire raconte[43] que Chrotechilde, incapable de vaincre par ses prédications les résistances de son mari, essaya de l’éblouir, lors du baptême de ses deux fils, par la pompe du culte chrétien : assurément le clergé n’aura pas manqué de recourir à ces moyens extérieurs pouf frapper aussi l’imagination du peuple frank.

On voit, d’après ce qui précède, par quel enchaînement de causes et d’effets les Franks devaient être graduellement, mais sûrement amenés à la foi chrétienne et au catholicisme, seule confession répandue dans les pays où ils s’étaient installés. Peu nous importe, au fond, de savoir à quelle époque ils se convertirent, puisqu’il fallait que cette conversion eût lieu un jour ou l’autre : Qu’on pense ce qu’on voudra des incidents survenus, d’après Grégoire[44], pendant la bataille de Chlodovech contre les Alamans ; ces incidents, on doit en convenir, ne pouvaient influer que sur le moment de l’abjuration ; quant à l’abjuration elle-même, elle résultait d’une nécessité historique.

Un fait très grave, ce fut la préférence donnée par Chlodovech au Credo romain. Ce choix épargna au royaume des Franks les funestes discordes qui divisaient ailleurs les Germains ariens et les Romans catholiques ; il rendit possible cette intime fusion des deux nationalités, dont s’est ressentie si profondément l’histoire des âges postérieurs. En outre, le baptême de Chlodovech fut le premier, gage d’une alliance durable entre les Germains et l’Église romaine, alliance qui fit la grandeur du moyen âge, et qui nous donne aussi le secret de sa décadence.

 

 

 



[1] En ce qui touche les sources dérivées et leurs déviations, consulter l’appendice.

[2] Ibid : Est enim nunc liber vitæ eius, qui narrat eum mortuum suscitasse. De quel droit Giesebrecht, op. cit., I, 92. n. 2, identifie-t-il cette Vita avec celle que nous possédons encore sous le nom de Fortunat ? Je ne m’en rends pas bien compte. (N. de l’A.) Il est facile de prouver qu’il a existé une Vie de saint Remi, que Grégoire avait sous les yeux, et qui a servi à Fortunat et à Hincmar (N. du T).

[3] Clam, secretius, dit Grégoire, probablement parce qu’on n’est pas encore sûr des dispositions du peuple frank.

[4] C’est ainsi que Lœbell, p. 258 traduit ces mots : Sed restat unum, quod populus qui me sequitur non patitur relinquere Deos suos. Cette traduction est la bonne. La leçon adoptée par Luden, III, p. 73, et consistant à ajouter un me après patitur, n’est acceptable ni au point de vue de la grammaire ni au point de vue du sens.

[5] Il faut une virgule entre plateæ et ecclesiæ.

[6] Voir l’Epist. Aviti, Bouquet, IV, p. 55, n. 3.

[7] Mitis depone colla, Sicamber : Adora quod incendisti, incende quod adorasti. Mitis est attributif. Comparez Luden, III, 70.

[8] La phrase de Grégoire : delibutusque sacre chrismate cum signaculo crucis Christi, est ainsi traduite par Luden : il fut oint du saint chrême en forme du signe de croix. — Je n’ai rien pu trouver de positif sur le rite catholique. Les divers passages cités par Matthies, Baptismatis expositio, p. 212. n. 54, ne nous apprennent rien sur ce sujet ; le passage de Cyprien, ep. LXXII : ut qui in ecclesia baptizantur præpositis ecclesiæ offerantur, ut per nostram orationem et manus impositionem spiritum sanctum consequantur et signaculo dominico consummentur, ne tranche pas la question de savoir si l’on oignait, oui ou non, les néophytes en forme de croix. Toutefois, au point de vue grammatical, l’interprétation que nous avons donnée est la seule admissible.

[9] Ep. Aviti, ap. Bouquet, IV, 50, A : Conferebamus namque nobiscumque tractabamus, quale esset illud, eum adunatorum numerus pontificum manus sancti ambitione servitii membra regia undis vitalibus confoveret, cum se Dei servis inflecteret timendum gentibus caput, cum sub casside crines nutritos salutaris galea sacræ unctionis indueret. [galea sacræ unctionis confirment l'interprétation donnée par Junghans pour delibutus sacro chrismate.]

[10] Hist. epit., c. 21 : nam cum de prœlio memorato superius Chlodoveus Remis fuisset reversus, clam a S. Remedio Remensis urbis episcopo adtrahente etiam Chrotechilde regina baptismatis gratia cum VI millibus Francorum in pascha domini consecratus est. Voir dans la V. Remigii, Bouquet, III, 376, le même renseignement.

[11] Dubos, IV, 1, dépense beaucoup d’esprit et de sagacité pour démontrer comment cette opinion a pu prendre naissance ; mais son argumentation n’est pas convaincante. Le mieux est de penser avec Rettberg, I, 276, que Pâques est indiqué ici comme l’époque où l’on baptisait habituellement.

[12] Voici les passages qui nous intéressent : ..... siquidem et occiduis partibus in rege non novo novi jubaris lumen effulgurat. Cujus splendorem congrue redemptoris nativitas inchoavit : ut consequenter ea die ad salutem regenerari es unda vos pateat quo natum redemptioni suæ cæli dominum mundus accepit. Igitur qui celeber est natalis domini, sit et vestri ; quo vos scilicet Christo, quo Christus ortus est mundo. Avit reçut par un messager la nouvelle du baptême : unde nos post hanc exspectationem jam securos vestri sacra nos reperit.

[13] Bouquet IV, 51, fin : Tamen per harum (epistolarum) bajulum si jubetis, ut vadam, contempta hiemis asperitate... ad vos... pervenire contendam.

[14] V. Vedasti, Bouquet, III, 372 : Quo (à Reims) quantisper moratus sacræ trinitatis fidem Chlodoveus professus baptismi gratiam recipit.

[15] Bouquet, IV, 77 C et notes. Nicet suppose que Chlodoswinde a entendu vanter par sa grand-mère l’ardeur de Chlodovech à embrasser la vérité, d’après les leçons de Remi. Cum probata cognovit, humilis ad Domini Martini limina cecidit et baptizari se sine mora permisit. Comparez Rettberg, I, 276.

[16] Lettre d’Hormisdas, V. Remigii, Bouquet, III, 379 C : Chludowici, quem nuper ad fidem cum gente integra convertisti et sacri dono baptismatis consecrasti.

[17] Lettre du pape Anastase à Chlodovech, Bouquet, IV, 50 E : quippe sedes Petri in tanta occasione non potest non lætari, cum plenitudinem gentium intucatur ad eam veloci gradu concurrere.

[18] Discours d’Hincmar, Baluze, Capitularia, t. II, p. 220 (comparez Dubos, III, c. 19) : Hludovici regis Francorum incliti per beati Remigii... prædicationem cum integra gente conversi et cum tribus millibus Francorum exceptis parvulis et mulieribus... baptizati. Comparez le passage des Gesta, dont Hincmar s’est certainement inspiré, c. 15. Baptizantur de exercitu eius amplius quam tria millia virorum. Baptizantur sonores... ipsa die. Baptizaturque postea cunctus populus Francorum cum gloria.

[19] Bouquet, IV, 50, B. unum quod vellemus augeri, ut quia Deus gentem vestram per vos ex toto suam faciet.

[20] V. Vedasti, Bouquet, III, 372 : Erat gratus penes aulam regiam (Vaast) nec valebat Francorum viros a profanis erroribus ex integro retrallere. Sed paulatim, quos per dulcia effamina religionis suadebat, ecclesiæ capiebat sinu.

[21] Hist. epit., c. 21.

[22] V. Remigii, Bouquet, III, 377 : Baptizantur autem de exercitu ejus tria millia virorum exceptis parvulis et mullebribus. Dubos s’exagère la valeur de ce passage, qu’il considère  comme tiré de l’ancienne Vie de Remi.

[23] V. Solennis, Acta SS. Boll. Sept. VII, 69, Qui (Solennis) sacerdos... assumsit secum sacræ legis cultores Remigium et Ve dastum... et ad regem perveniens baptizavit eum cum omnibus dignitatibus suis et simul cum eo duces 364 nobilissimos Francorum... Cette Vie trahit en plusieurs endroits la complète ignorance de l’auteur ; elle n’est pas non plus très ancienne. Rettberg, I, 277, en fait trop de cas.

[24] Bouquet voit dans la variante de Historia epitomata une erreur de copiste. D’après Rettberg, I, 277, 3.000 Franks s’étaient décidés à recevoir le baptême ; mais les 364 nobles furent baptisés avec Chlodovech à Noël 495 ; les autres seulement aux Pâques suivantes. Assurément une telle méthode d’interprétation permet de concilier les textes les plus contradictoires.

[25] Lœbell, 261, 266. — Rettberg, I, 275 ; réfutés par Waitz, Verfg., 1re éd., II, 48, n. 2.

[26] Pas même dans ce passage de la V. Remigii, Bouquet, III, 377 D. Multi denique de Francorum exercitu necdum ad fidem conversi cum regis parente Ragnacario ultra Summam fiuvium aliquamdiu degerunt. Il ne ressort pas du tout des termes dans lesquels est conçue cette phrase, que les Franks en question fussent des Franks soumis à Chlodovech.

[27] Comparez le passage des Gestra, c. 15.

[28] Bouquet, IV, 49 et ss. Avitus Viennensis episcopus Chlodovecho regi.

[29] De toto priscæ originis stemmate sola nobilitate contenti, quidquid omnis potest fastigium generositatis ornare, prosapiæ vestræ a vobis voluistis exsurgere. L’interprétation de ce passage a été négligée. Si l’on songe que Chlodovech, en embrassant le christianisme, abandonna ses anciens dieux, on ne peut hésiter sur le sens des paroles d’Avit. Nous savons que plusieurs familles royales germaniques s’attribuaient une origine divine : Chlodovech renonce à cette prétention ; il ne lui reste plus que la noblesse de ses ancêtres ; c’est à lui maintenant de remplacer, par la gloire de sa conversion, la gloire que revendiquaient ses ancêtres, en se disant issus des dieux.

[30] Avit fait allusion ici à l’empereur d’Orient Anastase ; qui passait pour n’être pas complètement orthodoxe.

[31] Les mêmes idées se font jour dans la réponse d’Avit à Gundobad, en 499. On trouvera des passages analogues dans Lœbell, p. 260.

[32] Bouquet, IV, 50. Glorioso et illustri filio Cludœcho Anastasius episcopus.

[33] Lætifica ergo, gloriose et illustris fili, matrem tuam, et esto illi in columnam ferream.

[34] Bouquet, IV, 51. Domino illustri meritis, Chlodoveo regi, Remigius episcopus. Comparez avec Grégoire, II, 31, fin.

[35] Ep. Aviti, Bouquet, IV, 50. B : Unum ergo quod vellemus augeri, ut... ulterioribus quoque gentibus, quas in naturali ignorantia constitutas, nulla pravorum dogmatum germina corruperunt, de bono thesauro vestri cordis fidei semina porrigatis.

[36] Waitz, Vfg., II, 56 et ss.

[37] L’évêque Nicet a sur la question un mot intéressant, Ep. Nicetii, Bouquet, IV, 77 : Qui (Chlodoveus) baptizatus quanta in hæreticos Alaricum vel Gondobaldum Reges fecerit audisti. V. aussi Grégoire, T. III, proœm.

[38] Planck, Gesch. der christlich kirchl. Gesellschaftsverfassung, II, p. 25, explique la conversion de Chlodovech par des motifs politiques ; ce prince voulait, dit-il, se concilier les populations conquises, consolider son nouveau royaume, et aussi se procurer un prétexte pour attaquer les Burgundions et les Goths, nations hérétiques.

[39] Lœbell, p. 259 et ss. (voir son opinion p. 262) v. aussi Rettberg, I, 274, et ss. L’opinion émise antérieurement par Schlosser, Weltgeschichte, I, 102, est bien différente : Chlodovech, dit-il, se convertit au christianisme, ou, pour mieux dire, il adopta les pratiques de ce culte, à la place des cérémonies païennes.

[40] Les Vies de S. Vaast et de S. Arnulf parlent aussi de l’influence exercée sur Chlodovech par ces prélats.

[41] Commencement de la lettre d’Avit, p. 63, n. 4.

[42] Ibid. : solent plerique... si pro expetenda sanitate credendi aut sacerdotum hortatu aut quorumcumque sodalium suggestione meneantur, consuetudinem generis et ritum paternæ observationis opponere.

[43] Grégoire, II, 29.

[44] Chose singulière : il n’est pas question de ces incidents dans un passage où l’on s’attendrait pourtant à les voir mentionnés, au moins indirectement ; nous voulons dire dans la réponse que le peuple frank fait à Chlodovech, (Grégoire, II, 31,) lorsque celui-ci lui annonce son dessein d’abjurer le paganisme.