HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

II. — LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL MAC MAHON

L'ÉCHEC DE LA MONARCHIE

CHAPITRE XII. — LES ARTS. - LES SCIENCES.

 

 

L'Art français après la guerre. — L'art des cités. — L'architecture. — La sculpture. — La peinture. — La Musique. — L'influence de Wagner. — L'école française. — La Science. — L'œuvre scientifique de la France. — Les hautes sciences. — Le principe de l'Unité. — L'astronomie. — Les mathématiques. — La mécanique. — La physique. — La chimie. — La chimie organique : Berthelot. — La physiologie : Claude Bernard. — L'histoire naturelle. — L'anthropologie et la paléontologie. — Le problème de la vie. — Pasteur. — La microbiologie. — Les forces cosmiques. — Le darwinisme. — L'évolutionisme. La médecine et l'hygiène.

 

I

Chaque génération s'ignore elle-même. Le type de sa physionomie, les traits de son caractère lui échappent. Les détails cachent l'ensemble ; l'accident voile le permanent.

Cependant, tandis que la vie se prolonge encore, une certaine distinction se fait déjà entre l'éphémère et le durable, et c'est l'art qui travaille à cette première sélection.

L'art est la manifestation la plus éclatante du désir de survie propre à l'humanité. L'art inscrit les progrès de l'œuvre humaine et les victoires successives de la volonté sur la nature, puisqu'il s'appuie sur la technique. L'art manifeste l'énergie d'une époque, puisqu'il n'est satisfait que par une œuvre excellente. L'art, enfin, exprime, mieux que la réalité elle-même, les traits caractéristiques d'une génération puisque au delà du fait il enregistre les aspirations et le rêve.

Chaque nation met sa signature et sa griffe sur la pierre et sur l'airain. L'idéal qu'elle conçut respire dans le marbre : c'est comme un geste figé qui révèle le secret évanoui. L'art d'une époque porte son âme, comme un rayon, vers l'infini.

La façon dont l'homme s'incruste dans la nature, le moule de lui qu'il laisse, c'est l'objet d'art. De même que, dans le musée de Madrid, nous mesurons l'empereur Charles-Quint à la taille des armes qui le vêtirent, de laine les figes anciens apparaissent aux tiges futurs selon les proportions de cette dépouille d'eux-mêmes qui fin leur parure. Le monument, c'est l'éternité du moment.

Les costumes dont l'homme se couvrit, les bijoux dont. il s'orna, les cités qu'il éleva, les jardins qu'il fit fleurir, les voies de communication qu'il traça sur le sol, les temples qu'il bâtit, les images dont il les embellit, le luxe dont il s'amusa, le moindre objet qui occupa, un jour, sa main habile ou qui fit sourire un visage de femme, tous ces témoignages sont une écriture. Il y a une graphie et une mensuration des figes éteints, d'après ces empreintes où la marque de leur pouce reste.

Trente ans, c'est un délai bien court pour que se dégagent, de la fugace mobilité quotidienne, les traits qui fixeront. le profil d'une génération encore à demi -vivante. Il y faut un recul plus long, un choix lent et minutieux que, seules, les années opèrent.

Pourrions-nous analyser notre propre substance taudis qu'elle respire encore ? L'histoire de l'art étant celle qui doit dire le dernier mot, est celle qui s'écrit la dernière. La mode voile, sous ses caprices changeants, ce que le goût lui confie d'éternel.

 

C'est à peine si ou peut esquisser, aujourd'hui, les caractères de l'art français dans cette période si active et si féconde qui suivit la guerre.

L'œuvre de cette génération reflète d'abord l'émotion soudaine de la défaite ; elle témoigne bientôt d'une rapide reviviscence par le contact avec la nature : elle se caractérise enfin par une gravité mesurée, un goût plus sobre et plus soigné, le sérieux dans la technique.

Rien d'éclatant, de colossal, ni de furieux : la victoire est ailleurs, et c'est ailleurs que les mêmes temps célébreront la joie de vivre férocement et dangereusement[1] ; ici, c'est un retour pondéré vers les origines de la race, une amertume attendrie, un souffle, court peut-être, mais chaleureux, le frisson du troupeau battu de Forage, qui se rassemble, se rengrège et jouit de la vie douce et féconde, partie qu'il a senti passer les épouvantements.

Tant de passé a péri ! Il faut rechercher et sauver, du moins, ce qui peut être sauvé. Il y a une piété dans le remuement des pierres calcinées, dans le relèvement des édifices effondrés ; il y a une nécessité immédiate dans la réparation de l'outillage national.

Les plus grands de tous les arts, l'art des voies de communication et l'art des cités, se consacrent à des travaux de reprise et de réfection : les chemins de fer, les canaux, les ponts, les viaducs, les forteresses et les circumvallations. La France fouille son sol pour le dresser contre l'ennemi. Les plus belles œuvres de l'époque se retrouveraient dans les travaux des ingénieurs et dans l'entreprise des lignes stratégiques destinés à préserver la vie nationale.

Une grande somme d'application et de talent se dépense dans ce travail qui enveloppe les provinces de l'Est, d'une frontière bâtie et les couvre d'une armure de fer. Les emplacements, les procédés, tout se détermine et s'achève selon les lois d'une technique sévère, d'un goût sobre et froid, conforme au sentiment à la fois résigné et actif de la défaite. Après trente ans, l'œuvre colossale, inutilisée et à demi morte, reste cachée sous le gazon des parapets et derrière la consigne des sentinelles. Personne ne l'a vue. Le mérite et la gloire de ses constructeurs sont. anonymes ; elle aura péri avant d'avoir été connue.

L'autorité et le goût de l'ingénieur pénètrent les autres arts de la construction. Les casernes, les gares, les ateliers, bientôt les écoles, soumettent à ses calculs précis et à son idéal rigide leurs profils rectilignes, animés à peine par le choix et le coloris plus varié des matériaux. L'architecture emprunte au fer la hardiesse et la légèreté ; mais elle ne saurait lui imprimer la grâce ni le charme[2].

Paris, après le siège et la Commune, est affreusement mutilé et défiguré. Il dresse, autour de ses ruines, les palissades qui, pendant longtemps, enfermeront le souvenir et prolongeront. le témoignage des heures funestes.

L'architecture citadine s'était singulièrement développée à la fin du second empire, sous l'impulsion de M. Haussmann[3]. M. Alphand[4], qui était, depuis 1854, ingénieur en chef des promenades et plantations, est nommé, en mai 1871, directeur des travaux de la ville de Paris, et cette nomination suffit pour indiquer la volonté de garder à la ville la noblesse de ses proportions, la grâce ombreuse de ses avenues, la beauté de sa parure.

Mais c'est la reconstruction qui absorbe les premières ressources : on relève la colonne Vendôme ; on rebâtit l'hôtel de M. Thiers, le Palais-Royal, la Bibliothèque du Louvre, le pavillon de Marsan, le Palais de Justice, la Caisse des dépôts et consignations.

En dégageant le pavillon de Marsan, on commence les travaux qui, par la disparition des Tuileries, feront entrer l'air et la splendeur du couchant, dans la cour du Carrousel.

La butte des Moulins s'aplanira bientôt sous le tracé un peu étroit de l'avenue de l'Opéra ; le pont de l'ile Saint-Louis va servir d'amorce au boulevard Saint-Germain. Les vieux quartiers de la rive gauche, contemporains de Louis XI, s'écroulent, sous le marteau des démolisseurs.

Les rues s'élargissent ; les maisons à cinq étages et à balcons de fer alignent, sans grâce, le long des perspectives uniformes, leurs froids visages de pierre. On replante le bois de Boulogne, on achève les Buttes Chaumont, on aménage en jardins les terrains du Luxembourg tant éprouvés par l'explosion de la poudrière : les Quatre Parties du monde de Carpeaux portent, au-dessus des verdures nouvelles, la sphère terrestre qui roule sur leurs épaules rapides.

Et on rebâtit encore : le ministère de la guerre élève, sur le boulevard Saint-Germain, la tour militaire du Cadran ; le palais de la Légion d'honneur est repris pierre par pierre et décrit sa gracieuse et blanche rotonde près des noires ruines de la Cour des Comptes.

Garnier[5] achève l'Opéra dont la majesté écrasée et la décoration somptueuse disent l'apogée fragile du régime impérial. On décide la reconstruction de l'Hôtel de Ville. Ce ne sera plus l'élégante et familière maison des bourgeois que, sur la vieille place de Grève, avaient conçue Le Boccador et Chambiges ; c'est, dans une réminiscence alourdie, l'énorme bâtisse de Ballu et Deperthes, où s'entassent, sous un étalage de statues, de balcons et de balustrades, les services anonymes des conseils élus et de l'administration municipale[6].

Toutes les plaies ne sont pas fermées ; les pierres se remettent en place, mais l'âme continue à gémir. La mort se mêle encore à la vie qui reprend. Commémorations, invocations, supplications ! Les premiers monuments qui consacrent les pieux souvenirs ou les pieuses espérances sortent de terre. A Lourdes, la basilique mineure des pèlerinages, s'élève comme une ardente prière[7]. Lyon érige sur sa colline l'étrange et luxueux ex-voto de Fourvière à la Vierge protectrice[8]. Marseille met la massive bâtisse romane sur le bord de l'eau[9]. Paris exprime simultanément la pensée d'expiation religieuse et celle de rénovation laïque eu couronnant d'un double symbole ses deux collines : à Montmartre, l'église votive du Sacré-Cœur découpe, sur le ciel du matin, la froide apparition de la coupole blanche[10], tandis qu'au sommet des terrains du Trocadéro, aménagés en jardins, l'exposition de 1878 prépare un palais inutilement mauresque et parcimonieusement fastueux[11]. La ville, cependant, en s'étendant ainsi vers l'Ouest, marque la confiance dans ses destinées ; elle s'affirme dans son rôle nouveau de métropole du monde cosmopolite[12].

 

Une profusion de sculptures orne les monuments publics et les jardins.

La sculpture, c'est encore la commémoration. Cet art si pur et si clair qui capte la matière et la fixe sur la matière impérissable est l'art des sentiments graves et simples. La fermeté des contours, la pureté de la forme, les passages du jour à l'ombre, la fougue réglée et dominée, l'imagination contenue et asservie, c'est la sculpture et c'est le génie français : grands, l'un et l'autre, par leur limite même.

L'école française a eu Houdon et Rude, la grâce et la vigueur. Peut-être qu'une renaissance du XVIIIe siècle se fût produite si Carpeaux[13] fût resté le maitre de l'école au XIXe siècle. Il y a, dans son œuvre, la joie, l'exubérance, le désordre, comme dans les dernières et éclatantes années du règne où triompha l'impératrice Eugénie.

Mercié[14] avait envoyé de Rome son David où respirait l'orgueil de la jeunesse, reine des longs lendemains. Soudain, les désastres se précipitent : les lendemains sont coupés ; plus d'empire, plus de joie. L'inspiration se réfugie dans le deuil de la patrie. Eugène Guillaume inscrit, sur la figure de l'archevêque Darboy, la douleur résignée des Catastrophes pressenties[15]. Mercié sculpte le Gloria Victis et met, sur le fronton du Louvre, l'Apollon vainqueur des ténèbres, les yeux avides du jour.

Paul Dubois[16] dispose, autour du Tombeau de Lamoricière, les vertus assises et apaisées. Bartholdi[17] sculpte le Lion de Belfort et prépare pour la rade de New-York la Liberté éclairant le Monde. Frémiet[18] arrête, sur la place des Pyramides, la Jeanne d'Arc populaire, sans casque ni chaperon : fermé et nerveuse sur son cheval de guerre, elle brandit l'étendard qui protège la cité.

Chapu[19], plus tendre, agenouille la Bonne Lorraine écoutant les paroles du Bois Chenu, et il jette aux pieds du tombeau d'Henri Regnault toute la douleur de la patrie dans le geste svelte de la muse éplorée.

Jamais peut-être un art plus attentif et plus délicat ne communia plus étroitement avec l'âme d'une époque. Cette génération veut qu'on lui parle de ses deuils. Chaque salon lui est un cimetière ; elle y renouvelle, au printemps, sa promenade funéraire. Est-ce alanguissement et diminution de l'énergie nationale ? Peut-être. Le coup avait été si rude, le désenchantement si cruel !

Mais le peuple n'est pas là. Sa douleur a été moins accablante et sa résistance est plus ferme. La bourgeoisie, qui règne encore, cherche sa beauté selon l'idéal de ses sentiments atténués. Dalou[20], plus robuste, est encore à Londres. Les hardis, les téméraires, les originaux, hésitent ne se sentant pas soutenus. La sculpture est élégante et tendre, non virile et forte. Il lui manque la fruste vigueur ; elle n'ose se plonger au profond torrent vital qui reprend pourtant son cours impétueux.

Art charmant et frêle, fils de la convalescence, contemporain de la poésie de Sully Prudhomme, à qui il ressemble comme un frère, peut-être son charme pénétrant s'effacera-t-il au fur et à mesure que disparaitront les souvenirs poignants qui ont fait couler tant de larmes.

Les peintres sont en contact plus direct avec la nature : leur pensée, moins serrée, moins abstraite, est plus large et plus souple. Tant qu'il y aura un fourmillement de vie sur la terre, des arbres balancés par le veut, des spectacles agités par l'histoire, des ciels pleins de soleil et le plus mince objet s'irradiant sous le rayon doré, les peintres trouveront de quoi s'emplir l'âme et se réjouir les yeux dans la contemplation et la représentation du monde extérieur. Les batailles n'ont pas qu'un épisode, l'année n'a pas qu'une saison, la journée n'a pas que des heures sombres.

L'école française du XIXe siècle a dit les champs, les forêts, l'onde qui fuit sous les arbres, le cerf qui brame au fond des fourrés, la grâce des bouleaux et la majesté des chênes : sa technique savante, transmise d'âge en âge depuis les origines, est maîtresse de la nature, maîtresse de l'histoire.

Ingres, le plus grand des maîtres français depuis les artistes de la Renaissance, a laissé sur l'école la trace ineffaçable de son autorité et de son sérieux. Delacroix a flatté les jeunes imaginations par le fougueux élan de son bénie. L'école moderne a eu Decamps[21], Millet[22], Corot[23], Daubigny[24], Courbet[25], Meissonier[26]. Elle est sans rivale. Regnault[27] a paru et son Maréchal Prim va, en pleine lumière, vers les horizons ouverts.

Regnault meurt ; les vieux maîtres succombent l'un après l'autre. Mais la génération nouvelle est prête ; Regnault la guide encore en tombant ; son dernier cri serait : Lumière ! Elle rompt lentement, mais elle rompt avec les maîtres de l'anecdote, avec Delaroche, Scheffer, Meissonier, puis avec Gérôme[28], avec Cabanel[29], avec Bouguereau[30].

La commémoration se perpétue, il est vrai, dans les tableaux militaires de Detaille[31] et d'Alphonse de Neuville[32] ; dans le Marceau de Jean-Paul Laurens[33], dans le Cuirassier blessé de James Bertrand[34], dans le Gloria Victis de Bayard[35]. Mais déjà la reviviscence lumineuse éclate chez les orientalistes comme Fromentin[36], Benjamin-Constant[37], Guillaumet[38], chez les peintres de la vie moderne, Carolus Duran[39] et Nittis[40] ; chez les maîtres du paysage Français[41], Hanoteau[42], Harpignies[43] ; chez les peintres des fresques de l'Hôtel de Ville et du Panthéon.

La palette s'éclaire, tournée vers les civilisations orientales, vers l'école japonaise, mise à la mode par les Goncourt. La lumière violette et bleue illumine la toile. La haine des poncifs déséquilibre la composition. La nature est inspiratrice et consolatrice.

Tandis que le ciseau s'attarde dans la commémoration, le pinceau se bitte vers la vie nouvelle. Paul Baudry[44], qui n'a pas oublié le second empire et qui travaille sous l'œil fraternel de son camarade Garnier, insinue la grâce des filles de la Seine dans le spirituel paganisme de ses allégories et de son olympe d'opéra. Il peint comme Banville écrit, en toute belle humeur et perfection.

La sincérité grave de l'époque se manifeste dans la maitrise des peintres du portrait. Par le sévère pinceau de Bonnat[45], les physionomies des grands bourgeois, les redingotes noires des orateurs, les robes rouges des cardinaux, se fixent dans le regard et dans le souvenir. Delaunay[46], Cabanel, Benjamin Constant, Hébert[47], serrent de près le modèle et font crier la ressemblance et la vérité.

Les maîtres de l'avenir plongent au sein de la nature et ne lui demandent rien qu'elle-même pour atteindre la beauté. L'école impressionniste travaille dans le silence des champs ou dans le tumulte de la vie et engage la lutte contre le mouvement et contre le rayon. Manet[48], indécis et passionné, cerne le Toréador et l'Olympia de son dessin vigoureux comme un plomb de vitrail ; il fait fuser la joie d'être sur les joues rutilantes de l'amateur du Bon Bock. Claude Monet[49] est à Londres, où il retrouve Pissarro[50], Bonvin[51], Cazin[52], Legros[53], Tissot[54], Dalou : c'est une réserve.

Après Millet et Jules Breton[55], Bastien-Lepage[56] ouvre les fenêtres de l'atelier sur la campagne et le plein air. Son Grand-Père et sa Première Communiante sont peints avec la naïve gaucherie d'un primitif. Les Foins et la Récolte des pommes de terre disent toute la fécondité et la griserie de la terre de France. Génie délicat, tendre et fin, il se cherche encore, quand sa vie, comme celle de Regnault, est coupée dans sa fleur. Lhermite[57], Roll[58], Cormon[59], décrivent exactement le spectacle de la vie laborieuse aux champs, à l'atelier, à l'école, à la clinique, à la forge.

Henner[60] poursuit sous les verdures opaques son rêve original et pur. Il alanguit, au son de la flûte virgilienne, les chairs ambrées de ses nymphes et les bleus profonds des eaux où la beauté se mire.

Enfin, le maître sublime, Puvis de Chavannes[61], arrache son génie aux dernières hésitations de l'adolescence. Plein de l'antiquité pompéienne, il entre dans la maturité. Aux murs du Panthéon, la sainte enfant ouvre ses yeux surpris sur la beauté de la nature et la grandeur des devoirs. Candide, elle sourit au printemps qui naît. Les évêques, les soldats, le père et la mère cherchent auprès d'elle le refuge, la sécurité, la protection. Oui, l'innocence arrêtera le vainqueur sauvage et refoulera la barbarie... Douce et naïve histoire ; histoire tant répétée, hélas ! si souvent démentie. Émoi, résignation, prière, confiance, tout est écrit d'un trait ferme et fidèle ; une lumière délicate et grise enveloppe les sept collines où la ville sauvée déroulera longtemps encore ses nobles destinées.

 

II

La musique exprime les mouvements confus de l'âme, dans la joie, la tristesse, l'enthousiasme. De tous les arts, le plus proche de la nature. La pulsation vitale est un rythme ; et ce rythme, haletant, prolongé, éclate dans le chant quand l'organisme est agité par le tumulte des sens ou de la passion. La musique, par la mesure qu'elle impose et par la détente qu'elle produit, crée un ordre, une discipline, un apaisement. C'est pourquoi les anciens la mêlaient aux émotions sociales et la plaçaient à l'aube des civilisations.

En France, les passions promptes et légères, l'entrain, l'allégresse, la vivacité, les alternatives du succès et de l'échec, avaient trouvé leur expression dans les couplets de la chanson, scandés par la reprise du refrain.

Le vaudeville, l'opéra-comique, c'est la chanson animée ou dramatisée ; on mettait, vers le milieu du siècle, une coquetterie, bien gênante aujourd'hui, à les réclamer comme le genre national. Après Hérold[62], Auber[63]. Pourtant, Berlioz[64] avait, par ses paradoxales et formidables créations, ouvert le champ à l'énergétique musicale. Comme son compatriote Stendhal, il était en avance sur son temps : ces Dauphinois sont des originaux et des précurseurs.

Ambroise Thomas[65], vieilli, ne produit plus. Gounod[66], âme ardente et tendre, pur et divin comme Lamartine, avait laissé parler son cœur. La passion gonfle sa poitrine et sa voix. Il n'est d'aucune école. S'il a une tradition, elle est, même dans le drame, toute religieuse et catholique : sa mélodie monte, avec un parfum d'encens, vers le ciel, ou bien elle tombe, avec une rancœur de péché, vers l'enfer. Contemporain de Montalembert et de Lacordaire, il leur survivait après la guerre. Mais à Londres, où il s'était réfugié, il chantait encore ; il donnait Gallia, Mors et Vita, Rédemption, comme s'il eût voulu affirmer, par ces oraisons magnifiques, la protestation de la foi nationale refoulée et meurtrie.

Il y eut alors une seconde conquête de la France par l'Allemagne. Un très grand artiste était le contemporain des guerriers et des hommes d'État d'outre-Rhin, Richard Wagner. Comme d'autres, il avait tenté d'exercer d'abord sa fascination sur Paris ; mais Paris, insouciant et léger, ne l'avait pas connu. Rentré dans sa patrie, le cœur ulcéré, il avait juré de revenir. Sa musique disait les sentiments d'une nation naissant dans la lutte et le trouble, agitée par la violence, l'ambition : sou procédé, pareil à celui de ses illustres compatriotes, était l'action par les masses. Son génie pourrait se qualifier comme celui de l'Allemagne d'alors : puissance et drame.

Il conquit la France par la surabondance, dans son œuvre, de ce qui avait manqué au vaincu : la discipline et l'autorité. Tant d'individualités désunies et divisées avaient prodigué en vain leur mérite et leur héroïsme. On se portait instinctivement vers les maîtres de l'harmonie et de l'organisation.

Aux concerts Pasdeloup[67], les foules recueillies écoutaient, avec une attention presque religieuse. Étaient-ce bien là les foules françaises La gaieté eût été-honteuse d'elle-même. On ne voulait plus entendre que les maîtres de la race sérieuse qui, avant de vaincre, avait souffert et pleuré : Beethoven d'abord et puis, après une lutte violente, Wagner.

Il fallait le ressort du génie national pour qu'il ne succombât pas devant cette seconde invasion. Il tint bon. Sous le flot débordant, le sol demeurait, bientôt fécondé et libéré.

Jamais floraison plus belle ne succède à des heures. Plus tristes. Carmen éclate : et il ressuscita le troisième jour ! C'est la splendeur latine qui renaît. Bizet[68] meurt après avoir donné à l'âme française ce réconfort, mais sans avoir connu tout son succès.

Léo Delibes[69], d'un geste charmant et fin, marque le rythme des heures plus douces retrouvées et mène la farandole des printemps-reverdis.

Reyer[70], qui sait de la musique allemande ce qu'il en faut savoir, s'impose par la fermeté de sou accent et son originale sincérité. Dans Sigurd et dans Salammbô, il dit ce qu'il veut, et il veut.

Saint-Saëns[71] fonde, aussitôt après la guerre, la Société nationale de musique, qui éduqua, débrouilla, sut à la fois agir et conduire. Autour de lui, César Franck[72], Lalo[73], Guiraud[74], de Castillon[75]. Son œuvre est énorme. C'est un chef ; il est partout. Sa pensée, ample et noble, puissante et mesurée, domine. Sa compréhension est large et son émotion contenue. Frère de nos sculpteurs, il achève, en 1877, Samson et Dalila et, bientôt après, Henri VIII. Son nom est uni à toutes les grandes heures de la vie nationale ; son inspiration, qui fuit loin des brouillards, monte dans la sécurité et la paix, vers la lumière.

La dernière vertu sera reconquise, quand l'école aura ressaisi cette pénétrante psychologie qui fut si longtemps son honneur et sa gloire ; Massenet[76] est bien jeune encore, mais ses premières œuvres courent déjà sur les lèvres ravies. Voici Marie-Madeleine ; à sa démarche aisée et noble, on reconnaît la musique française : incessu patuit dea. Ses tendres aveux disent d'avance les confidences émues de Manon et les troublantes délices de Werther.

 

III

L'art imite et interprète la nature. La science l'étudie et l'applique aux besoins de l'humanité. L'art et la science s'unissent par la technique.

Le progrès des sciences, depuis 1770 jusqu'à 1870, avait été tel que ce siècle pouvait, dès cette date, se considérer comme le plus grand de l'histoire. Ce progrès avait été lui-même la suite naturelle des transformations accomplies dans l'esprit humain aux temps de la Renaissance. La méthode moderne était née et les sciences, replacées sur leurs bases, s'étaient développées dans une ordonnance simple et majestueuse.

L'antiquité disait : il n'est de science que du général. L'homme prétendait, saisir, par un effort, de son esprit, les lois de l'univers et, de leur connaissance, déduire logiquement l'explication des phénomènes. Noble erreur du génie humain qui, dès son premier essor, voulait ravir le feu du ciel. La science nomme d'abord ; ayant nommé, elle raisonne sur les noms. Elle s'enferme dans l'abstraction comme dans une chambre obscure. Parfois, une perception soudaine, un éclair, découvre un pan de la réalité. Puis, la nuit se refait plus noire. La courte vie de l'homme le porte vers les systèmes hâtifs. Il voudrait mesurer l'univers, mais l'univers le tient et le reprend avant qu'il ait ouvert son compas.

Le moyen Age, par la méthode scolastique, fille du principe d'autorité, exagéra et faussa le procédé intellectuel de l'antiquité. La nature parut recouverte pour toujours d'un voile aux plis épais et lourds. On ne connaissait plus rien d'elle que son mystère et sa rigueur. Nulle confiance en la vie d'ici-bas. Dans la lutte, l'humanité impuissante était sacrifiée et d'avance vaincue.

Les temps sont proches, à l'heure où, avec Descartes, la pensée moderne brise le double sceau de l'abstraction et de l'autorité et, à l'inverse de l'opinion antique, proclame qu'il n'y a de science que des faits et d'ordre que de la raison.

Les résistances politiques et sociales s'opposèrent d'abord aux idées nouvelles ; malgré tout, celles-ci, en moins d'un siècle, pénétrèrent les esprits. Dès lors, tout fut facile. Un siècle encore et les sciences étaient constituées ; et elles payaient leur don de joyeux avènement à l'humanité.

La méthode est éprouvée, précisée, généralisée : l'observation d'abord, puis l'analyse, puis la comparaison le raisonnement à la recherche de la loi l'hypothèse, l'expérience et, comme couronnement, la synthèse. La chimie, par exemple, découvre la constitution des corps organisés ; elle isole les corps simples, commit leurs rapports et leurs combinaisons ; elle les rapproche et reconstitue les corps composés.

L'homme sait et il fait : il est dieu. La Science, ainsi conduite, impose à l'homme la vénération de l'humanité. Majesté des principes, utilité des applications, tel est le double triomphe de la Science.

Succession rapide des grandes découvertes : Newton, Lavoisier, Watt, Lamarck, Ampère. La nature a perdu son visage sévère ; elle s'apaise, apparaît tendre et souriante. Le paratonnerre dicte au nuage la loi de l'homme. L'orage se tait ou, s'il gronde encore, il est inerme. La Science efface les vieilles légendes, filles de la terreur ; elle met dans la bonté cette sagesse, le discernement.

Un espoir naît : la Science saura, un jour, le secret de la nature. En attendant, elle humanise à la fois la matière et l'intelligence. La machine allège la dure loi du travail. La Science rapproche et réunit ce qui était disjoint ; elle relie plus que la religion elle-même, puisqu'elle jette un pont sur l'abîme qui séparait la vie de la mort. Par elle, le ciel est sur la terre et la paix repose sur l'ordre universel.

Vers 1870, l'orgueil de cette victoire envahissait tout. C'était une fureur scientifique. Ces orgueilleuses belles-lettres firent elles-mêmes leur soumission. Renan publie son livre l'Avenir de la Science[77] ; Taine voit, dans la pensée, un phénomène quasi physiologique. Zola donne la théorie du roman expérimental et il invoque Claude Bernard comme le dieu dont il est le prophète.

Le vocabulaire scientifique est à la mode : sélection, évolution, physiologie, biologie. Cette fois, on tient le monde ; on l'enferme dans une formule, toute mécanique et naturaliste : le Monisme ! Gloire aux peuples supérieurs dont le ferme génie raye l'hypothèse Dieu ! Haeckel[78] écrit : Le rameau germanique (du groupe aryen) a dépassé les autres rameaux dans la concurrence du développement civilisateur. En tête, sont les Anglais et les Allemands, promoteurs de la théorie de la descendance. (Il oubliait, tout au moins, Lamarck.) La disposition à recevoir la théorie de la descendance et de la philosophie unitaire, qui y a sa base, constitue la meilleure mesure pour apprécier les degrés de supériorité spirituelle parmi les hommes.

Telle est la nouvelle pierre de touche. Cet aboutissant de la doctrine hégélienne fut confirmé par la victoire. La théorie de la sélection et de l'élite eut, en sa faveur, la sanction des faits.

 

Cependant la science française, si durement traitée comme si elle avait eu sa part de la défaite, n'accepte pas la sentence.

Il est difficile d'isoler pour ainsi dire et de considérer à part, dans le temps et dans l'espace, un moment du progrès scientifique chez un peuple particulier. Ce progrès est continu et universel. Une courte phase locale de huit ou dix années ne se distingue qu'à peine.

Pourtant, on peut, dès aujourd'hui, déterminer la courbe du mouvement scientifique français, pendant les années qui suivirent immédiatement la guerre. Malgré la condamnation hautaine du vainqueur, le vaincu ne fut pas sans gloire[79].

Il est vrai, les hautes sciences sont un peu délaissées ; c'est vers les sciences de la vie, sciences de tous temps françaises[80], que se porte une génération menacée dans son existence et qui aspire à la reviviscence. Les conséquences de la découverte du système articulé de Peaucellier[81], qui se réfère d'ailleurs au moins autant à l'ordre mécanique qu'à l'ordre mathématique, sont à peine apparues. Joseph Bertrand[82] renonce, pour ainsi dire, aux sciences abstraites après la publication de son Traité de calcul différentiel et de calcul intégral, achevé en 1870. Mais Hermite[83] développe, avec une fécondité singulière, les principes abéliens ; ses travaux sur la théorie des nombres et sur la théorie des fonctions elliptiques sont d'une élégance et d'une pureté classiques. Puiseux[84], astronome et géomètre, succède à Cauchy dans la chaire de la Faculté des sciences. Son Mémoire sur les fonctions algébriques fait époque dans l'analyse. Darboux[85], jeune encore, ne fait que préluder à ses travaux si variés par son Mémoire sur les solutions singulières des équations aux dérivées partielles, couronné par l'Académie des sciences en 1876.

Si une arithmétique nouvelle se constitue et si le paradoxe d'une géométrie en rupture avec la vieille géométrie euclidienne, commence à apparaître, c'est surtout à l'étranger qu'ils se développent. Les noms de Riemann[86], d'Helmholtz[87], de Sophus Lie[88], ne sont pas français. On dirait qu'il faut à la France plus de stabilité et de repos pour qu'elle voie naître la jeune et vigoureuse école qui l'illustre aujourd'hui.

L'astronomie n'a pas encore perdu Le Verrier[89]. A la suite de ses luttes fameuses avec Delaunay[90], sa carrière administrative subit une éclipse ; il quitte la direction de l'Observatoire, mais son vigoureux génie achève l'énorme travail de sa vie scientifique, la révision des tables des mouvements planétaires, qui restera comme l'horaire du système où nous vivons. Il en corrige les dernières épreuves trois mois avant sa mort, le 23 septembre 1877.

Le spectroscope devient un instrument sans pareil pour la connaissance intime du soleil et des astres. La science du soleil est l'objet d'études considérables où, en même temps que le père Secchi[91], Delaunay, Faye[92], Janssen[93] attachent leur nom. La plaque photographique se fait l'auxiliaire du télescope. Le rayon lumineux, saisi dans l'espace, inscrit sur le cliché l'image permanente du monde astral dévoilé. La France ne se sépare pas de l'effort commun des nations qui étudient, en 1874, l'événement rare du passage de Vénus sur le soleil. Les fonds nécessaires (300.000 fr.) sont votés par l'Assemblée nationale et des missions sont envoyées à l'île Campbell (Bouquet de La Grye)[94] ; à l'île Saint-Paul (amiral Mouchez)[95] ; à Nouméa (M. André, de l'Observatoire de Paris)[96] ; à Pékin (lieutenant de vaisseau Fleuriais)[97] ; à Yokohama (M. Janssen) ; à Saïgon (M. Héraud)[98], qui toutes apportent leur note dans l'heureux concert scientifique qui réunit alors les peuples civilisés.

D'autres œuvres internationales s'accomplissent, auxquelles la France participe. Le colonel Perrier[99] se charge de poursuivre vers l'Espagne la mesure de l'arc du parallèle, qui permettra de déterminer la grandeur et la véritable figure de l'hémisphère nord.

En octobre 1872, se réunit à Paris le congrès international qui se propose comme objet l'adoption universelle du système métrique. Quand, en 1881, une commission composée des plus illustres électriciens du monde, et convoquée sur la proposition de l'Association britannique des sciences, eut à constituer le système d'unités dites unités absolues, s'appliquant à l'ensemble des qualités physiques susceptibles de mesure, elle s'appuiera sur le système métrique français, par les formules : C. G. S. (centimètre, gramme, seconde), qui deviennent ainsi, pour l'unification scientifique des forces, l'essence du langage universel.

Les mêmes lois physiques règnent au ciel et sur la terre. La science des mouvements est la plus ample des sciences : elle atteindra peut-être l'arcane du monde. Le grand nom de Sadi Carnot[100], tiré de l'obscurité par les travaux si équitables de Mayer[101], domine la théorie et la pratique de la science, qui reconnaît mie même équivalence à toutes les puissances mystérieuses planant sur le monde : la chaleur, la lumière, l'électricité et enfin, peut-être, l'action chimique.

Alors se fonde une mécanique, plus large et plus claire, l'énergétique. En généralisant et en combinant les découvertes du calcul et de l'expérience par les théories de l'émission de l'ondulation, on avance, par approches, jusqu'à l'hypothèse d'un substratum universel qu'on nomme, sans le connaître, l'Éther : de l'éther et du mouvement, voilà ce qu'est le monde[102].

Si le mot est exact, quel pas fait dans le sens de l'unité !

Quoi qu'il en soit, la mécanique physique et la physique de l'éther naîtront de ces progrès. Helmholtz et Hertz[103], qui en sont les principaux initiateurs, ne sont pas Français : mais Lippmann[104] publie, en 1873, ses travaux sur les phénomènes électro-capillaires et, bientôt après, ses études sur la conservation des forces électriques.

Dans la pratique, des progrès non moins décisifs La machine s'accomplissent en France. Gramme[105] est un ouvrier d'origine belge, mais il est ingénieur français, et c'est en France qu'il invente et fait connaître la machine électrique à courant continu, mère de l'industrie électrique moderne (1869). Son associé, Hippolyte Fontaine[106], le seconde dans ses recherches sur la transmission du travail à distance. Chrétien[107] applique le principe du transport de la force aux expériences de labourage électrique de Sermaise. Bergès[108], enfin, par la combinaison de l'exploitation du travail des hautes chutes avec le transport de la force, crée l'industrie qu'il baptise lui-même, dès 1878, du beau nom de houille blanche. Ainsi, il dote d'un instrument sans pareil une autre industrie qui nait au point de rencontre de tant de belles découvertes, l'électrolyse, et il garantit, une fois pour toutes, la planète contre l'épuisement éventuel des réserves de charbon accumulées dans son sein.

L'admirable Dupuy de Lôme[109] avait renouvelé la science des constructions navales ; en lançant le Napoléon (1850) et la Gloire (1859), il avait créé la marine cuirassée. Il prétend soumettre maintenant un autre élément. En 1872, avec l'ingénieur Zédé[110], il donne le schéma et le plan idéal du futur aérostat dirigeable.

 

Le fait frappant est celui-ci : toutes les sciences se pénètrent. On ne sait plus où commencent, où finissent la physique, la chimie, la biologie. Cependant, s'il est un point. où la jonction reste encore incertaine, c'est à la rencontre de la mécanique et de la chimie. On sent bien que si la chimie s'absorbe dans la mécanique, et avec elle la chimie organique, les phénomènes de la vie sont englobés. Le principe de l'unité.

Dès avril 1864, Pasteur ouvrait sa fameuse conférence de la Sorbonne par cet exposé où, selon son habitude, il ne mâchait pas les mots : De bien grands problèmes s'agitent aujourd'hui et tiennent tous les esprits en éveil : unité ou multiplicité des races humaines ; création de l'homme depuis quelques mille ans ou depuis quelques mille siècles ; fixité des espèces ou transformation lente et progressive des espèces les unes dans les autres ; la matière réputée éternelle ; en dehors d'elle, le néant ; l'idée de Dieu inutile ; voilà quelques-unes des questions livrées de nos jours aux disputes des hommes.

On se persuade que la solution de ces problèmes se rencontrera sous le scalpel du physiologiste ou dans le creuset du chimiste. Pasteur, par ses premières recherches sur les cristaux, sur la dissymétrie et sur les phénomènes de polarisation, découvre des perspectives qui effarent ses premiers maîtres, Biot, Balard, Senarmont[111]. La chimie mécanique est fondée : les phénomènes physiques et chimiques se rattachent au concept des vibrations. Du moins, on peut le supposer si, avec J.-B. Dumas[112], on admet que les corps simples diffèrent seulement comme les masses par le nombre et le mouvement des atomes ou points matériels qu'elles renferment.

C'est dans ces idées que Berthelot[113] transforme la thermochimie et aboutit à la loi qu'il formule ainsi : Quand plusieurs corps sont en présence, il se forme le composé qui correspond à la plus grande quantité de chaleur développée. Voilà, véritablement, le nœud.

Autour de ces propositions, oscillent toutes les études si variées, consacrées à la recherche des lois de l'équilibre chimique ; les travaux de H. Sainte-Claire Deville[114] et de Debray[115] sur la dissociation ; ceux de Gaudin[116] sur l'architecture des atomes les travaux par lesquels Wurtz[117] et son école introduisent en France, non sans résistance, la théorie atomique, empruntée en partie à la science allemande et aux doctrines de Gerhardt et de Kékulé[118].

Petit-on faire un pas de plus vers cette unité, but de tous les efforts ?

C'est encore la chimie qui l'accomplira. Par un bout, elle est une physique et une mécanique : par l'autre bout, elle se confond avec l'histoire naturelle ; la chimie organique établit le lien.

La chimie organique a précisé cette découverte merveilleuse, à savoir l'identité et la quantité restreinte des corps simples qui entrent dans la composition des corps vivants, végétaux ou animaux elle a démontré que ces corps obéissent, dans les combinaisons organiques, aux lois qui les régissent dans les combinaisons non organiques ; par les recherches sur les deux natures de ferments, elle a déterminé le point de contact entre la matière animée et la matière inanimée. A un sommet plus difficile encore, elle a pu affirmer ainsi l'unité de la matière et supprimer l'intervention de ce qu'on appelait la force vitale qui fut longtemps le Tu n'iras pas plus loin, opposé par la biologie à la chimie.

Avant ces nouvelles conquêtes, la chimie n'était qu'une analyse, une science descriptive ; elle se transforme et devient une science expérimentale. Elle reconstitue les corps par une double méthode, qu'elle prenne pour instrument, soit les éléments libres, soit l'eau et l'acide carbonique. De toute façon, elle recompose les corps gras, les alcools, les acides, les éthers, et, en somme, la plupart des groupes généraux des composés organiques : elle n'avait pour instrument que l'analyse : elle a maintenant, pour contre-épreuve, la synthèse.

La chimie organique a son point de départ dans les études de Chevreul[119] sur les corps gras. La synthèse fondamentale a été exécutée par Berthelot, en 1869 ; c'est celle de l'acétylène, union directe du carbone et de l'hydrogène, accomplie sous l'influence de l'arc voltaïque. Depuis lors, Berthelot n'a cessé de polir-suivre son admirable carrière avec une autorité, une mesure, une pondération qui ont fait de lui l'expérimentateur par excellence des lois du monde unifié.

Avoir doublé le champ de la chimie, en mettant la face synthèse à l'inverse de la face analyse, c'est un résultat qui eût suffi à illustrer une seconde fois le pays de Lavoisier. En outre, travailler par vingt-cinq ans de persévérantes études et de démonstrations irréfutables à l'établissement de la thermochimie, c'est-à-dire de la chimie mécanique, compléter, par des vues philosophiques et par les applications les plus diverses, une vie intellectuelle où la hardiesse de la pensée n'a d'égale que la minutieuse précision de la démonstration, c'est étendre la gloire et l'utilité d'une existence non seulement à un peuple, mais à l'humanité.

Donc, toutes les sciences s'emboîtent l'une dans l'autre. A l'étranger comme en France, les travaux et les résultats abondent : mais il n'est pas indifférent de déterminer, parmi nous, la constellation des hommes illustres qui illumine le champ des recherches et des découvertes. Voici, près du grand chimiste Berthelot, le physiologiste non moins grand, Claude Bernard[120]. En 1871, il est au plein de son imposante carrière. Ses travaux les plus importants ont paru. Il professe, depuis vingt ans, au Collège de France, des leçons qui sont peut-être son plus beau titre. De ce laboratoire, les maîtres sont sortis comme les héros du cheval de Troie. Depuis 1868, il enseigne la physiologie générale au Muséum d'histoire naturelle. Sa renommée est universelle. Sa sérénité, son indulgence ajoutent à son autorité. Il a publié sa fameuse Introduction à l'étude de la Médecine expérimentale. Pasteur a dit de ce livre : On n'a rien écrit de plus lumineux, de plus complet, de plus profond sur les vrais principes de l'art si difficile de l'expérimentation... L'influence qu'il exercera sur les sciences médicales, sur leur enseignement, leurs progrès, leur langage même sera immense. Noble confraternité d'âme entre de tels maîtres !

L'œuvre de Claude Bernard est double : les découvertes de laboratoire et la méthode : car jamais il ne sépare le raisonnement de l'observation, ni l'hypothèse de l'étude des faits. Ses travaux, on ne peut que les mentionner : études sur la fonction glycogénique du foie, sur les fonctions du pancréas, l'ensemble des découvertes sur le système nerveux, sur les nerfs vaso-moteurs, le nerf spinal, la corde du tympan ; les mémoires sur la chaleur animale, sur les effets du curare, sur l'oxyde de carbone.

Sa méthode est à la fois très hardie et très souple. Elle est purement cartésienne, fondée sur le doute scientifique et l'examen personnel. Claude Bernard affirme le déterminisme des lois de la matière, y compris la matière organisée. Il n'y a, dit-il, en réalité, qu'une physique, une chimie, une mécanique générales, dans lesquelles rentrent toutes les manifestations phénoménales de la nature, aussi bien celles des corps vivants que celles des corps bruts. Ses livres étincellent de ces axiomes qui sont des traits de lumière : La science n'est que le déterminé et le déterminable...[121] Si l'on supprime le milieu, le phénomène disparaît... C'est l'idée qui se rattache au fait découvert, qui constitue, en réalité, la découverte...[122] Et cette phrase admirable, sous la plume d'un si grand savant : L'homme peut plus qu'il ne sait[123].

En effet, ce que Claude Bernard connait aussi nettement que la grandeur de la science, c'est sa limite. Son raisonnement s'arrête là où son observation se heurte. Il écrit, avec beaucoup de franchise et de netteté, ce morceau d'une philosophie toute française : Quand un poulet se développe dans un œuf... ce groupement de certains phénomènes chimiques ne se fait que par suite de lois qui régissent les propriétés physico-chimiques de la matière ; mais ce qui est essentiellement du domaine de la vie et ce qui n'appartient ni à la chimie, ni à la physique, ni à rien autre chose, c'est l'idée directrice de cette évolution vitale[124].

De 1870 à 1878, époque de sa mort, il achève son œuvre par un dernier travail qui fonde, en France, la physiologie générale. Ce sont ses Leçons sur les phénomènes de la vie commune entre les animaux et les végétaux, où il ruine l'antagonisme essentiel qu'une hypothèse trop prompte avait cru reconnaître entre le règne végétal et le règne animal, l'un accomplissant exclusivement les phénomènes de synthèse et l'autre exclusivement les phénomènes de destruction fonctionnelle. En abolissant ainsi la fameuse dualité vitale, comme il avait écarté auparavant l'hypothèse de la prétendue force vitale, Claude Bernard établit, pour sa part, l'unité des phénomènes de la vie.

Parmi les élèves de Claude Bernard, Paul Bert[125] obtient, en 1871, la chaire de physiologie à la Sorbonne. Ses études sur la pression barométrique appliquée aux conditions de la vie, sur les appareils respiratoires et sensitifs des plantes, ses recherches variées sur le protoxyde d'azote et les anesthésiants, ses polémiques, son rôle de rédacteur scientifique de la République française l'ont fait illustre, au moment où la politique l'arrache il ces études. Son existence extrêmement occupée, un peu encombrée, comme celle de tous les hommes qui assument à la fois trop de devoirs, établit le lien entre l'effort scientifique et les directions sociales du pays. Il est, auprès de Gambetta, le témoin et l'inspirateur des mesures qui réorganisent en France le haut enseignement. Il rapporte devant l'Assemblée, en 1874, la proposition attribuant à Pasteur une pension, à titre de récompense nationale : vole qui honore plus encore la politique que la science. Paul Bert, entraîné par le tourbillon où il s'est jeté, ira, quelques années plus tard, trouver la mort au Tonkin.

L'histoire naturelle a toujours eu, en France, de laborieux ouvriers. Milne Edwards[126] et son école poursuivent, sur les êtres rudimentaires, sur les existences abyssales, des recherches minutieuses. Les élèves de Geoffroy Saint-Hilaire, Antoine Serres, Coste, Gerbe, Balbiani[127], se consacrent à des études qui sont la démonstration éclatante de cette loi de l'œuf qui apparaîtra peut-être un jour comme le terme initial de la science et de la philosophie : Chaque animal, au cours de son développement, ne fait que reproduire la généalogie abrégée de son espèce[128]. On touche déjà au problème plus mystérieux de la cellule et du plasma.

Pour la connaissance de l'homme, enfin, c'est toute une nouvelle science qui se crée, l'Anthropologie. Prétendant déterminer les conditions de la vie de l'homme sur la terre, elle risquerait de se perdre dans l'immense domaine scientifique et historique, si elle ne savait se borner. En 1825, Bory de Saint-Vincent[129] avait publié son livre : l'Homme. De 1813 à 1827, Prichard[130] avait fait paraitre ses Recherches historiques sur l'histoire physique de l'humanité. En 1838, Antoine Serres avait inauguré une chaire d'anthropologie au Muséum.

Mais c'est Broca[131] qui fonde véritablement la science, en instituant, à Paris, la Société d'anthropologie, l'année même (1859) où Darwin fait paraître son livre sur l'Origine des espèces. C'est encore Broca qui fixe le cadre de ces études, en donnant, dès 1862, ses Instructions générales pour les recherches anthropologiques. En 1869, il a publié son livre sur l'Ordre des primates, et il ouvre un autre champ de recherches fécond en rédigeant ses Instructions craniotomiques. Bientôt, à l'exposition de 1878, l'anthropologie produira l'effet d'une révélation, en exhumant, devant le public, l'histoire de la plus vieille humanité.

Les races éteintes subsistent dans l'immuable squelette. Elles revivent, et parfois avec elles, l'étrange milieu où elles ont évolué. Le sol parle au géologue. il parle à l'anthropologue, à l'historien, au sociologue. La loi de l'homme tend à se confondre avec la loi de la nature. La sélection des espèces, l'hérédité des caractères acquis, les sélections sociales ont opéré invinciblement et ont produit les phénomènes qui sont à l'origine de l'humanité et qui manifestent les progrès de la civilisation. Des faits sans nombre, inaperçus ou inexpliqués jadis, sont recueillis, classés, comparés, et font du Muséum le dépôt des antiques archives du genre humain.

Boucher de Perthes, Mortillet, de Quatrefages, Topinard, Hamy, Vacher de Lapougé[132] fondent, en France, une école dont les travaux fournissent Un apport précieux à cette histoire du monde préhistorique.

Le problème de la vie est donc posé devant l'aréopage des sciences réunies pour le résoudre. On pourrait assigner, comme date, ri ces assises solennelles, la fameuse séance de la Sorbonne du 7 avril 1864, où Pasteur[133] entreprit de réfuter, devant le public savant et même devant le publie mondain, le système de la génération spontanée. Pasteur, affirmatif et combattif, téméraire et infaillible, sûr de sa pensée et sûr de vaincre, est lui, dès lors. Il prend possession de son royaume. En 187o, il est le grand maitre des infiniment petits ; son œuvre réalise, au point de contact de la matière inerte et de la vie, l'effort scientifique du siècle.

Auparavant, cet effort était dispersé. Tous sentaient que, dans l'apparition ou la transformation des organismes inférieurs, était caché le secret des origines ; mais comment saisir la nature sur le fait ? Poussières animées, — fantômes de l'esprit ou conception du rêve, — qui proclamerait l'avènement à la science de ces inaperçus qui sont à l'orée de l'être ? Un instrument de minutieuse et pénétrante recherche, le microscope, une méthode plus minutieuse et plus pénétrante encore, la méthode expérimentale, écartent les doutes et déchiffrent le mystère.

Il faudrait maintenant saisir d'un seul regard le vaste champ où se déploie la stratégie de la conquête scientifique, depuis le mécanisme du système stellaire et de la planète jusqu'au progrès extrême des organismes supérieurs : astronomie, géologie, paléontologie préhistorique, microbiologie, botanique générale, étude de la cellule et phénomènes de la fécondation : c'est une invasion de lumières. Les doctrines diverses, les principes contraires, les hypothèses hasardées, les disputes de sectes et d'écoles, tout sert. Cuvier[134] a raison, mais aussi son rival si maltraité, Lamarck. Pouchet[135] aiguillonne le génie de Pasteur[136].

Le problème est vaste comme le monde. Pourtant on sent maintenant qu'il n'est pas au delà des forces humaines.

Je veux détacher du cahier de notes où Pasteur écrivait les pensées qui n'étaient, pour lui, que des programmes de recherches, deux passages ; ce sont les paroles les plus profondes peut-être que l'homme ait dites sur le monde qui l'environne et qui l'écrase : Exposer que la vie est dans le germe[137], qu'elle n'est qu'une transmission depuis l'origine de la création ; que le germe a la propriété du devenir, soit qu'il s'agisse du développement de l'intelligence et de la volonté, soit, et au même litre, qu'il s'agisse des organes, de leur formation, de leur développement. Comparer ce devenir à celui qui réside dans le germe des espèces chimiques, lequel est dans la molécule chimique. Le devenir du germe de la molécule chimique consiste dans la cristallisation, dans la forme revêt, dans les propriétés physiques, chimiques. Ces propriétés sont en puissance dans le germe de la molécule, au même titre que les organes et les tissus des animaux et des plantes le sont dans leurs germes respectifs. Ajouter : rien de plus curieux que de pousser la comparaison des espèces vivantes et des espèces minérales jusque dans l'étude des blessures faites aux unes et aux autres et des réparations de celles-ci par la nutrition, nutrition qui vient du dedans chez les ares vivants et du dehors par le milieu de la cristallisation chez les autres[138].

Ainsi, dans ce premier morceau, la marche du monde est saisie dans l'œuf, suivie dans le devenir et observée dans la soif universelle de survie du type par la réparation ou nutrition et par la reproduction. Être, devenir, survivre, ces envies, alternativement fécondantes et, conservatrices, sont universelles ; elles se manifestent dès que la matière se met en branle, — et même dans sa station uniquement minérale, pour atteindre l'organisation et la vie.

Mais voici un aperçu plus hardi encore. Programme d'études sans pareil que la courte vie d'ici-bas empêcha de remplir ; car il est dans la destinée de tels hommes que leur génie dépasse leurs œuvres et que celles-ci demeurent interrompues : J'ai commencé quelques expériences de cristallisation, dans une grande voie, si elles donnent quelque résultat positif. Vous savez que je crois à une influence cosmique dissymétrique[139] qui préside à l'organisation moléculaire des principes immédiats essentiels à la vie, et qu'en conséquence, les espèces des règnes de la vie sont, dans leur structure, dans leurs formes, dans les dispositions de leurs tissus, en relation avec les mouvements de l'univers. Pour beaucoup de ces espèces, sinon pour toutes, le soleil est le primum movens de la nutrition ; mais je crois à une autre dépendance qui affecterait l'organisation tout entière parce qu'elle serait la cause de la dissymétrie moléculaire propre aux espèces chimiques de la vie. Je voudrais arriver, par l'expérience, à saisir quelques indices sur la nature de cette grande influence cosmique dissymétrique. Ce doit être, cela peut être l'électricité, le magnétisme... J'ai diverses autres formes d'expériences à tenter. Si l'une d'elles réussit, nous aurons du travail pour le reste de notre vie, et dans un des plus grands sujets que l'homme puisse aborder ; car je ne désespérerais pas d'arriver par là à une modification très profonde, très imprévue, extraordinaire, des espèces animales et végétales[140].

Donc, Pasteur constate, à la racine de l'être, un phénomène frappant, s'il en fut. C'est un dédoublement, une bifurcation, la matière animée se séparant, se distinguant de la matière inanimée et commençant son évolution, gauchie en quelque sorte, par la dissymétrie. Plein de doutes et de clartés à la fois, le génie du maitre invoque l'intervention des forces cosmiques mal connues, la chaleur solaire, l'électricité, le magnétisme. Sans oser dépasser le seuil, il indique, dans le mystère où surgissent les choses, un duel entre les deux principes obscurs : le droit et le gauche, le repos et l'agitation, la stabilité et l'effort. L'effort, qui est déjà la vie, se dégage et s'élève en se tirant, en se contournant : evolutio contorta[141]. On dirait qu'on entend la première plainte de ce qui naît en souffrant. Quelle affabulation scientifique de l'Ormuzd et de l'Ahriman légendaires, dans ces quelques lignes à demi effacées sur les feuilles d'un carnet !

On ne saura que lentement et par le contrôle de l'avenir à quel point le génie d'un Pasteur fut profond, inépuisable. Altier et modeste, son caractère se révèle dans le silence qu'il garda, jusqu'à la mort, sur de telles pensées. Il écrivait ces lignes en 1871, au moment où son brave cœur, meurtri des maux qui accablaient la patrie, lui dictait cependant des paroles d'espoir : J'ai la tête pleine des plus beaux projets de travaux. La guerre a mis mon cerveau en jachère. Je suis prêt pour de nouvelles productions. Dans tous les cas, j'essaierai... Venez, nous allons transformer le monde par nos découvertes ! Que vous êtes heureux d'être jeune et bien portant ! Oh ! que n'ai-je à recommencer une nouvelle vie d'étude et de travail ! Pauvre France, chère patrie, que ne puis-je contribuer à te relever de tes désastres !...

La voilà, cette France si odieusement frappée, conspuée, rejetée ! Au moment où la mort la tient, elle arrache, à sa volonté de vivre, une nouvelle solution du problème de la vie. Dans ses angoisses, elle ne se détourne pas de l'anxiété scientifique et religieuse qui divise les esprits. Parmi les cris du champ de bataille et de l'hôpital, elle garde son sang-froid et reste pensive dans les laboratoires, penchée sur les cornues.

On sait le retentissement des livres de Darwin[142]. Nulle part, quoi qu'on en ait dit, ils ne provoquèrent une plus profonde émotion que dans la patrie de Lamarck. La doctrine positiviste, répandue dans les esprits, trouvait là comme une illustration et une preuve imprévue.

Donc, rien n'était hors de la connaissance humaine : on tenait. le procédé de la création. L'homme, rattaché à la filiation animale, était dépossédé de sa situation exceptionnelle dans l'univers !

Ce ne fut pas seulement une révolution scientifique, mais un émoi religieux : l'explication du monde et le sens de la destinée apparurent comme inclus dans les pages si nettes et scientifiquement pures de la Sélection des espèces et de la Descendance de l'homme.

La doctrine mètre de plain-pied dans le raisonnement scientifique courant. Lutin pour l'existence, évolution des espèces, adaptation au milieu, sélection sexuelle, triomphe des élites, ces formules passent dans le langage. On admet, sans plus d'examen, que l'univers est soumis ii la loi de ce triage machinal, selon le mot de Cournot[143], de ce fatum automate dictant le progrès invisible de la matière et de la vie.

La Science règne. Elle est, décidément, le seul truchement de la destinée. L'homme plongé dans la nature est soumis aux lois cosmiques. Le déterminisme est absolu. Les problèmes qui passent pour insolubles ne résisteront pas il l'investigation humaine. La connaissance emplira le monde comme la lumière.

 

C'est parmi cette exaltation universelle que l'œuvre de Pasteur éclate, si j'ose dire, en pleine lutte ; mais, par une suite inattendue de cette méthode large, simple et franche qui est la sienne, il s'arrête à la limite du connaissable et de l'inconnaissable. Pasteur tient en suspens, rien que par sa vie et par sa conviction, le problème qui plane sur cette période si dramatique de l'histoire humaine.

 Les uns ont montré la sélection en marche ; lui, découvre le nombre en action. D'une part, l'élite ; ici, les foules. Les multitudes fourmillantes et pullulantes, incalculables et indestructibles, infatigables et invisibles, président à l'éclosion des choses et elles en accompagnent le progrès ; sans elles, rien ne se fait, rien ne dure. L'élite ne saurait jaillir dans soit effort, si la foule grouillante et anonyme ne l'environne, ne la presse et ne la soulève.

Par là, l'œuvre de Pasteur est démocratique. En plus, elle est cordiale, elle est humaine. Les hautes recherches de la science abstraite, il les mesure du regard, mais elles ne le retiennent pas. Une abnégation admirable le ramène toujours aux lieux où l'on souffre, où l'on peine, où il y a du bien à faire tout de suite. Ce savant négligerait, au besoin, la science pour la charité. Quel exemple ! Il répéterait le mot de Claude Bernard : L'homme peut plus qu'il ne sait.

La maladie des vers à soie, la fermentation des levures et les maladies de la bière, le choléra des poules, l'étude générale des contages et des vaccins occupent cette vie. Il sera le créateur de la chirurgie nouvelle, le créateur de la médecine et de l'hygiène modernes, l'organisateur de l'amélioration de la vie. quand il eût pu enseigner les lois de la vie.

C'est par lui et d'après lui que Lister[144] crée l'asepsie ; c'est par lui et d'après lui que Guérin[145] expose le système du pansement ouaté ; c'est par lui et d'après lui que, devant la mortalité affreuse causée par la pourriture d'hôpital dans les ambulances des armées, la chirurgie consent enfin à prendre la propreté (antisepsie) comme collaboratrice de l'intervention. L'air et la lumière partout.

Le microscope achève l'œuvre. La microbiologie, avec Charles Robin[146], P. Bert et Roux[147], n'étudie pas seulement l'organisme intérieur ; non seulement elle le lance à la recherche du protoplasma et à la poursuite de la cellule originaire, mais elle étudie les procédés de la mort comme ceux de la vie : dans le typhus, dans la variole, dans la tuberculose, dans toutes les grandes misères qui affligent l'humanité, elle montre le microbe et le virus multipliant la menace toujours instante de la destruction, contre le travail de la réparation et de la reproduction. Dans la mesure du possible, elle indique le remède.

Le remède sera surtout préventif. La véritable médecine, la médecine des antécédents, se constitue. Elle reprend son vrai nom : l'hygiène. Hygiène individuelle, hygiène publique, hygiène des cités, des habitations, des vêtements, des contacts. Une sage et prudente organisation de l'existence particulière et de l'existence sociale mettra un jour cette netteté, cette gaieté et cette sécurité dans le passage si court de la vie terrestre.

Devant les règles de l'hygiène internationale, prélude des paix internationales, les contagions disparaissent. La lèpre a déjà reculé, le choléra, la peste sont arrêtés dans la mer Rouge et au canal de Suez et au retour des pèlerinages de la Mecque[148]. On entrevoit l'époque où d'autres maux seront conjurés.

Ainsi, la leçon pasteurienne pénètre la médecine. Si le surmenage du travail et la surtension vitale n'accablent pas les générations à venir de ces maladies nerveuses étudiées à cette même époque par Charcot[149], si l'homme n'est pas effrayé de la vue directe et sans mensonge qu'il a de lui-même et du monde, une humanité nouvelle naîtra peu à peu.

L'existence sociale s'améliorera quand on connaîtra mieux les lois mêmes de l'existence et de la société. En débridant les plaies, en écartant les virus, en essuyant les sanies, en découvrant la vie partout, la science montre toutes les vies reliées et enchainées par un étroit besoin l'une de l'autre et. par un mutuel contrôle l'une sur l'autre.

L'effort dans l'ordre, telle est la loi de la nature et, par conséquent, la loi de l'humanité.

Mais la Science, révélatrice soudaine de cette magnifique Unité, la Science a-t-elle remporté une victoire définitive et complète ? Tient-elle, décidément, sous son joug, tout ce qui est de l'homme, ses sens, son intelligence, son cœur, sa destinée ?

Pasteur, écho d'une génération que ses malheurs ont rendue prudente, ne rompt pas avec le sentiment traditionnel :

En chacun de nous, dit-il, il y a deux hommes : le savant, celui qui a fait table rase, qui, par l'observation, par l'expérimentation et le raisonnement, veut s'élever à la connaissance de la nature ; et puis l'homme sensible, l'homme de tradition, de foi ou de doute. l'homme de sentiment, l'homme qui pleure ses enfants qui ne sont plus, qui ne peut, hélas ! prouver qu'il les reverra, mais qui le croit et l'espère, qui ne veut pas mourir comme meurt un vibrion, qui se dit que la force qui est en lui se transformera. Les deux domaines sont distincts, et malheur à celui qui Veut les faire empiéter l'un sur l'autre, dans l'état si imparfait des connaissances humaines[150].

 

 

 



[1] Le mot et le système sont de NIETZSCHE, c'est la philosophie de la Victoire ou encore l'apologie de la Force, selon la formule : Il n'est point de force au-dessus de la force. — Voir l'excellent livre de mon confrère et ami Émile FAGUET : En lisant Nietzsche (pp. 182-197, etc.).

[2] C'est BALTARD, membre de l'Institut (1805-1874), qui employa, pour la première fois, le fer dans une vaste construction, celle des Halles Centrales de Paris.

[3] Baron Georges HAUSSMAN, né à Paris en 1809, membre de l'Institut, mort en 1891.

[4] Adolphe ALPHAND, né à Grenoble en 1817, membre de l'Institut, mort en 1891.

[5] Charles GARNIER, né à Paris en 1825, membre de l'Institut, grand prix de Rome en 1848, mort en 1898.

[6] Les plans sont de 1873. Les travaux ont commencé en 1874. Architectes : Théodore BALLU, né à Paris en 1817, membre de l'Institut, mort en 1885. — Edouard DEPERTHES, né à Houldicourt (Ardennes), en 1833.

[7] Architecte : M. Hippolyte DURAND, de Tarbes.

[8] Architecte : M. Pierre BOSSAN.

[9] Architectes : MM. VAUDOYER, ESPÉRANDIEU et REVOIL. — Léon VAUDOYER, né à Paris en 1803, mort en 1872. — Henry ESPÉRANDIEU, né à Nîmes en 1829, mort en 1874. — Henry REVOIL, né à Aix (Bouches-du-Rhône) en 1822, mort en 1902.

[10] Architecte : M. ABADIE, désigné à la suite d'un concours public. — Paul ABADIE, né à Paris en 1812, membre de l'Institut, mort en 1884.

[11] Architectes, MM. DAVIOUD et BOURDAIS. — Antoine DAVIOUD, né à Paris en 1823, mort en 1881. — Désiré BOURDAIS, né à Brest en 1835.

[12] Deux lignes du Journal de cette originale et pénétrante Marie BASHKIRTSEFF, écrites en juillet 1876 : ... Paris ! oui ! Paris ! le centre de l'esprit, de la gloir et de tout ! Paris ! la lumière et la vanité, le vertige ! (t. I, p. 214). Ce lyrisme reste, malgré tout, le ton pour les étrangers. Comparer les morceaux sur Rome (notamment p. 201), et celui sur Berlin... Berlin a l'air d'un tableau à horloge... etc. (p. 235).

[13] J.-B. CARPEAUX, né à Valenciennes en 1827, mort en 1875. Prix de Rome en 1854.

[14] Antonin MERCIÉ, né à Toulouse, en 1845. Grand prix de Rome en 1868. Membre de l'Institut.

[15] Eugène GUILLAUME, né à Montbard (Côte-d'Or) en 1892. Prix de Rome en 1845. Membre de l'Académie des beaux-arts et de l'Académie française.

[16] Paul DUBOIS, né à Nogent-sur-Seine (Aube) en 1829 ; appartient à la famille du grand sculpteur Pigalle. Membre de l'Institut.

[17] Auguste BARTHOLDI, né à Colmar en 1834, mort en 1904.

[18] Emmanuel FRÉMIET, né à Paris en 1824. Membre de l'Institut.

[19] Antoine CHAPU né à Lemée (Seine-et-Oise) en 1833, mort en 1891. Grand prix de Rome en 1855. Membre de l'Institut.

[20] Jules DALOU, né à Paris en 1838, mort en 1903.

[21] Gabriel DECAMPS, né à Paris en 1803, mort en 1860.

[22] François MILLET, né à Gréville (Manche) en 1814, mort en 1875.

[23] Camille COROT, né à Paris en 1796, mort en 1875.

[24] Charles DAUBIGNY, né à Paris en 1817, mort en 1878.

[25] Gustave COURBET, né à Ornans (Doubs) en 1819, mort en 1877.

[26] Ernest MEISSONIER, né à Lyon en 1815, mort en 1891. Membre de l'Institut.

[27] Henri REGNAULT, né à Paris en 1843, mort au combat de Buzenval, le 19 janvier 1871. Grand prix de Rome en 1866.

[28] Léon GÉRÔME, né à Vesoul (Haute-Saône) en 1824, mort en 1904. Membre de l'Académie des beaux-arts

[29] Alexandre CABANEL, né à Montpellier en 1823, mort en 1859. Membre de l'Institut.

[30] William BOUGUEREAU, né à La Rochelle en 1825, Grand prix de Rome en 1850. Membre de l'Institut.

[31] Édouard DETAILLE, né à Paris en 1818. Membre de l'Institut.

[32] Alphonse DE NEUVILLE, né à Saint-Omer en 1835, mort en 1885.

[33] Jean-Paul LAURENS, né à Fourqueveaux en 1838. Membre de l'Institut.

[34] James BERTRAND, né à Lyon en 1825, mort en 1887.

[35] Émile BAYARD, né à La Ferté-sous-Jouarre en 1837.

[36] Eugène FROMENTIN, né à La Rochelle en 1820, mort en 1876.

[37] BENJAMIN-CONSTANT, né à Paris en 1845, mort en 1903. Membre de l'Institut.

[38] Gustave GUILLAUMET, né à Paris en 1840, mort en 1887.

[39] Carolus DURAN, né à Lille en 1837. Membre de l'Institut.

[40] Giuseppe DE NITTIS, né à Barletta (Bari) en 1846, mort en 1884.

[41] Louis FRANÇAIS, né à Plombières (Vosges) en 1811, mort en 1897.

[42] Hector HANOTEAU, né à Decize en 1823, mort en 1890.

[43] Henri HARPIGNIES, né à Valenciennes en 1819.

[44] Paul BAUDRY, né à La Roche-sur-Yon en 1828, mort en 1886.

[45] Léon BONNAT, né à Bayonne en 1833. Membre de l'Institut.

[46] Elie DELAUNAY, né à Nantes en 1826. Grand prix de Rome en 1856. Membre de l'Institut.

[47] Ernest HÉBERT, né à Grenoble en 1817. Grand prix de Rome en 1839. Membre de l'Institut.

[48] Edouard MANET, né à Paris en 1832, mort en 1883.

[49] Claude MONET, né à Paris en 1840.

[50] Camille PISSARRO, né à Saint-Thomas (Antilles) en 1830.

[51] François BONVIN, né à Paris en 1817, mort en 1887.

[52] Charles CAZIN, né à Samer (Pas-de-Calais) en 1841.

[53] Alphonse LEGROS, né à Dijon en 1837.

[54] James TISSOT, né à Nantes en 1836, mort en 1903.

[55] Jules BRETON, né à Courrières (Pas-de-Calais) en 1827. Membre de l'Institut.

[56] Jules BASTIEN-LEPAGE, né à Damvillers (Meuse) en 1848, mort en 1884.

[57] Augustin LHERMITE, né à Mont-Saint-Père (Aisne) en 1844.

[58] Alfred ROLL, né à Paris en 1847.

[59] Fernand CORMON, né à Paris en 1845. Membre de l'Institut.

[60] J.-J. HENNER, né à Bernweiler (Haut-Rhin) en 1829. Prix de Rome en 1858. Membre de l'Institut.

[61] Pierre PUVIS DE CHAVANNES, né à Lyon en 1821, mort en 1899. Membre de l'Institut.

[62] Louis HÉROLD, né à Paris en 1791, mort en 1833.

[63] Daniel AUBER, né à Caen en 1782, mort en 1871.

[64] Hector BERLIOZ, né à la Côte-Saint-André (Isère) en 1803, mort en 1869.

[65] Ambroise THOMAS, né à Metz en 1811, mort en 1896. Membre de l'Institut.

[66] Charles GOUNOD, né à Paris en 1818, mort en 1893. Grand prix de Rome en 1839. Membre de l'Institut.

[67] Étienne PASDELOUP, né en 1819, mort en 1887.

[68] Georges BIZET, né à Paris en 1838, mort en 1875. Grand prix de Rome en 1857.

[69] Léo DELIBES, né à Saint-Germain-du-Val (Sarthe) en 1836, mort en 1891. Membre de l'Institut.

[70] Ernest REYER, né à Marseille en 1823. Membre de l'Institut.

[71] Camille SAINT-SAËNS, né à Paris en 1835. Membre de l'Institut.

[72] César FRANCK, né à Liège en 1821, mort en 1890.

[73] Édouard LALO, né à Lille en 1823, mort en 1892.

[74] Ernest GUIRAUD, né à la Nouvelle-Orléans en 1837, mort en 1892. Prix de Rome en 1859. Membre de l'Institut.

[75] Alexis DE CASTILLON DE SAINT-VICTOR, né en 1838, mort en 1873.

[76] Jules MASSENET, né à Montaud (Loire) en 1842. Membre de l'Institut.

[77] Le livre avait été écrit en 1848. Voir la préface.

[78] Ernest HAECKEL, né à Potsdam en 1834.

[79] Il est impossible de ne pas mentionner ici les polémiques scientifiques sur la valeur comparée des deux races ou des deux nations qui venaient de se disputer l'hégémonie, les armes à la main. Le Dr Carl STARCK publie en 1871, à Stuttgart, une brochure ayant pour titre : De la dégénérescence physique de la nation française, son caractère pathologique, ses symptômes et ses causes. C'est le prototype de toute la littérature, extérieure et intérieure, sur la décadence. Avant 1870, personne n'avait fait ces observations qui passent tout à coup à l'état de lieux communs. — Le fameux chanoine DÖLLINGER reprend la thèse dans des termes plus adoucis et lui donne l'onction religieuse. — SYBEL, dans une conférence, faite le 9 février 1872, est plus équitable. V. Rev. polit. et litt., 1872 (p. 894). — Mais VIRCHOW, dans un article où il prêche pourtant la réconciliation, reprend les idées de Carl STARCK et les couvre de l'autorité de son nom : Parlant de dégénérescence physique de la nation française, M. Carl Starck a essayé de montrer, par une analyse exacte des phénomènes isolés, que l'état mental de la nation française se rapproche en grand de l'idiotie paralytique et de la folie raisonnante. Nous citons ceci non pas pour lancer une insulte, mais parce que, dans une grande partie de notre nation, l'opinion est que les Français sont atteints de la manie des grandeurs, etc. — On connaît les publications de Karl HILLEBRAND, ancien professeur d'allemand à l'école de Saint-Cyr, naturalisé Français, mais ayant repris, à la guerre, la nationalité allemande ; dans un livre, où il croit être impartial, il dénonce la stérilité intellectuelle de la France, etc. — On se souvient aussi de l'attitude prise par MOMMSEN et par SCHULZE-DELITZSCHE pendant la guerre ; MOMMSEN, dès que la guerre éclate, adresse aux Italiens un manifeste où il déverse contre la France l'injure et l'outrage. Il se met à la tête des Berlinois réclamant avec insistance, dans une pétition, le bombardement de Paris ; en 1872, il écrivait, dans la Vossische Zeitung, qu'il n'existe pas en France une opinion publique à laquelle un Allemand puisse en appeler. Dans une lettre calme et éloquente, FUSTEL DE COULANGES protesta contre cette injure. — Sur la polémique entre STRAUSS et RENAN, les lettres échangées, dans Réforme intellectuelle et morale (pp. 167-187). — Voir une conférence de SCHULZE-DELITZSCHE, dans la Rev. polit. et litt. du 7 mars 1874, et la brochure de M. DE QUATREFAGES, la Race prussienne, in-16°, 1871. — En Angleterre, on est généralement plus équitable, quoique le thème de la décadence française y devienne une rubrique habituelle de la presse. Dans les lettres écrites d'Oxford par TAINE, en mai 1871, il est vrai en pleine Commune, je lis : Les journaux anglais parlent avec pitié et douleur de nos calamités ; mais ils sont sévères pour notre caractère et inquiets sur notre avenir. Ils voient, dans cet incendie, le désir de l'éclat, l'emphase naturelle des révolutionnaires, la volonté diabolique de finir, comme au cinquième acte d'une féerie, au milieu de l'écroulement général. Ils disent qu'il y a un fond de férocité dans notre humeur et que les derniers massacres de Paris montrent le singe qui devient tigre (d'où, peut-être, le gorille lubrique et féroce que TAINE replacera dans les Origines). Ils s'accordent à craindre pour l'avenir une terreur blanche, un cléricalisme étroit qui, en dix ans, rendra au parti révolutionnaire son crédit et sa force. — (Lettre du 21 mai 1871. Document inédit.)

[80] Sans insister plus qu'il ne convient, on peut mentionner ces indications, rappelées récemment par M. QUINTON : Un homme fonde la chimie, Lavoisier ; un homme fonde l'anatomie comparée et la paléontologie, Cuvier ; un homme fonde la zoologie philosophique, Lamarck ; un homme fonde l'embryogénie, Geoffroy Saint-Hilaire ; un homme fonde l'histologie, Bichat ; un homme fonde la physiologie, Claude Bernard ; un homme fonde la microbiologie, Pasteur.

[81] Charles-Nicolas PEAUCELLIER, né en 1832 à Sarrelouis.

[82] Joseph BERTRAND, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie française, né en 1822 à Paris, mort en 1900.

[83] Charles HERMITE, né à Dieuze (Meurthe) en 1822, membre de l'Académie des sciences, mort en 1901.

[84] Victor-Alexandre PUISEUX, né à Argenteuil (Seine-et-Oise), en 1820, membre de l'Académie des sciences, mort en 1883.

[85] Jean DARBOUX, membre de l'Académie des sciences, né en 1842 à Nîmes.

[86] Georges-Bernard-Frédéric RIEMANN, né à Bréselenz (Hanovre) en 1826, mort en 1866.

[87] Hermann-Louis-Ferdinand HELMHOLTZ, né en 1821 à Potsdam, mort en 1894.

[88] Sophus LIE, né en 1842 à Nordfjordejdel (Norvège).

[89] Urbain LE VERRIER, membre de l'Académie des sciences, né en 1811 à Saint-Lô, mort en 1877.

[90] Eugène DELAUNAY, membre de l'Académie des sciences, né en 1816 à Lusigny (Aube), mort en 1872.

[91] Le père Angelo SECCHI, né à Reggio nell' Emilia en 1818, mort en 1878.

[92] Hervé FAYE, membre de l'Académie des sciences, né en 1814 à Saint-Benoît-du-Sault (Indre).

[93] Pierre-Jules-César JANSSEN, membre de l'Académie des sciences, né en 1824 à Paris.

[94] Anatole BOUQUET DE LA GRYE, membre de l'Académie des sciences, né en 1827 à Thiers.

[95] Amiral Amédée MOUCHEZ, membre de l'Académie des sciences, né en 1821 à Madrid, mort en 1892.

[96] Charles-Louis-François ANDRÉ, né en 1842 à Chauny (Aisne).

[97] Amiral Georges-Ernest FLEURIAIS, né en 1840 à Paris.

[98] Gabriel HÉRAUD, né en 1839 au Mas-d'Agenais (Lot-et-Garonne).

[99] Général François PERRIER, membre de l'Académie des sciences, né en 1834 à Valleraugue (Gard), mort en 1888.

[100] Sadi CARNOT, né en 1796 à Paris, mort en 1832.

[101] J. Robert DE MAYER, né à Heilbronn en 1814, mort en 1878.

[102] Maxwell.-James MAXWELL, né en 1831 à Edimbourg, mort en 1884.

[103] Henri HERTZ, né en 1857 à Hambourg, mort en 1894.

[104] Gabriel LIPPMANN, membre de l'Académie des sciences, né en 1845 à Hallerich (Luxembourg).

[105] Zénobe GRAMME, né en 1826 à Jehay-Bodegnée (Belgique), mort en 1901.

[106] Hippolyte FONTAINE, né en 1832 à Dijon.

[107] Jean CHRÉTIEN, né en 1834 à Autun (Saône-et-Loire).

[108] Aristide BERGÈS, né à Lorp-Saint-Araille (Ariège) en 1833, mort à Lancey (Isère), en 1904.

[109] Charles DUPUY DE LÔME, membre de l'Académie des sciences, né en 1816 à Soye (Morbihan), mort en 1885.

[110] Gustave ZÉDÉ, né à Paris en 1825.

[111] J. BIOT, membre de l'Académie des sciences, né en 1774 à Paris, mort en 1862. — Ant.-Jérôme BALARD, membre de l'Académie des sciences, né en 1802 à Montpellier, mort en 1876. — Henri HUREAU DE SENARMONT, membre de l'Académie des sciences, né en 1808 à Broué (Eure-et-Loir), mort en 1862.

[112] J.-B. DUMAS, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences ; membre de l'Académie française, né en 1800 à Alais, mort en 1884.

[113] Marcellin BERTHELOT, né à Paris en 1827, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de l'Académie française.

[114] Henri SAINTE-CLAIRE DEVILLE, né en 1818 à Saint-Thomas (Antilles), membre de l'Académie des sciences, mort en 1881.

[115] Henri DEBRAY, né en 1827 à Amiens, mort en 1886.

[116] Marc GAUDIN, né en 1804 à Saintes, mort en 1880.

[117] Adolphe WURTZ, né en 1817 à Strasbourg, membre de l'Académie des sciences, doyen de la Faculté de médecine, mort en 1884.

[118] Ch.-Frédéric GERHARDT, né en 1816 à Strasbourg, mort en 1856. — Auguste KÉKULÉ, né en 1829 à Darmstadt.

[119] Eugène CHEVREUL, né en 1786 à Angers, membre de l'Académie des sciences, mort en 1889.

[120] Claude BERNARD, né en 1813 à Saint-Jullien (Rhône), membre de l'Académie des sciences et de l'Académie française, mort en 1878.

[121] Médecine expérimentale (p. 106).

[122] Médecine expérimentale (pp. 57 et 117).

[123] Médecine expérimentale (p. 81).

[124] Médecine expérimentale (p. 147).

[125] Paul BERT, né en 1833 à Auxerre, membre de l'Académie des sciences, mort en 1886.

[126] Alphonse MILNE-EDWARDS, né en 1835 à Paris, membre de l'Académie des sciences, directeur du Muséum d'histoire naturelle, mort en 1900.

[127] Étienne GEOFFROY SAINT-HILAIRE, né en 1772 à Étampes, membre de l'Académie des sciences, mort en 1845. — Antoine SERRES, né à Clairac (Lot-et-Garonne) en 1786, mort en 1868. — Victor COSTE, né en 1807 à Castries (Hérault), membre de l'Académie des sciences, mort en 1873. — Zéphirin GERBE, né à Brasse (Bouches-du-Rhône), mort en 1880. — Édouard-Gérard BALBIANI, né en 1825 à Saint-Domingue, mort en 1899.

[128] On trouve comme un premier aperçu de la loi de l'œuf dans cette phrase de Descartes : Si on connaissait bien toutes les parties de la semence de quelque espèce d'animal, en particulier, par exemple, de l'homme, on pourrait déduire de cela seul, par des raisons entièrement mathématiques, toute la figure et conformation de ses membres. — Cité par FOUILLÉE, Descartes (p. 67).

[129] Marie BORY DE SAINT-VINCENT, né en 1780 à Agen, mort en 1846.

[130] James PRICHARD, né à Ross (Angleterre) en 1785, mort en 1848.

[131] Paul BROCA, née en 1824 à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), membre de l'Académie des sciences, mort en 1880.

[132] Jacques BOUCHER DE CRÈVECŒUR DE PERTHES, né en 1788 à Rethel, mort en 1865. — Gabriel DE MORTILLET, né en 1821 à Meylan (Isère), mort en 1898. — Jean DE QUATREFAGES DE BRÉAU, né en 1810, membre de l'Académie des sciences, mort en 1891. — Paul TOPINARD, né en 1830 à l'Isle-Adam (Seine-et-Oise). — Ernest HAMY, né en 1842 à Boulogne-sur-Mer, membre de l'Institut. — Georges VACHER DE LAPOUGÉ, né à Neuville (Vienne) en 1854.

[133] PASTEUR, né à Dôle en 1822, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie française, mort à Garches (Seine-et-Oise) en 1895.

[134] Georges CUVIER, né en 1769 à Montbéliard, membre de l'Académie des sciences, directeur du Muséum d'histoire naturelle, mort en 1832.

[135] Félix-Archimède POUCHET, né en 1800 à Rouen, membre de l'Académie des sciences, mort en 1872.

[136] Pour le trop court exposé qui suit des travaux de Pasteur, je ne puis que renvoyer à l'étude si complète et si pieuse de M. René VALLERY-RADOT, La Vie de Pasteur, Paris, 1900. — V. aussi le livre de M. A. DASTRE, La Vie et la Mort, 1902, in-12°.

[137] Voir ci-dessus la phrase de Descartes, citée à propos de la loi de l'œuf.

[138] Cette idée du devenir, et, comme on a dit depuis, de l'évolution, empruntée en partie aux doctrines allemandes qui l'avaient recueillie de Spinoza et de Descartes, hante la plupart des cerveaux contemporains. Voici trois phrases de RENAN, prises dans l'Avenir de la science, écrites en 1848, mais publiées seulement en 1890, qui donnent la contrepartie, appliquée aux sciences historiques et à la philosophie, du principe que Pasteur reconnaît dans l'ordre scientifique : Un pas encore, et l'on proclamera que la vraie philosophie est la science de l'humanité et que la science d'un être qui est dans un perpétuel devenir ne peut être que son histoire (p. 132). — L'âme est prise pour un être fixe, permanent, que l'on analyse comme un corps de la nature, tandis qu'elle n'est que la résultante toujours variable des faits multiples et complexes de la vie. L'âme est le devenir individuel, comme Dieu est le devenir universel (p. 181). — Le grand progrès de la réflexion moderne a été de substituer à la catégorie de l'être la catégorie du devenir (p. 182).

[139] Le point de départ de tous les travaux de Pasteur, c'est l'observation attentive du fait de la dissymétrie. Certains corps sont construits de telle sorte que leur image vue dans une glace leur est superposable, les autres non. En un mot, il est des objets symétriques et les autres dissymétriques. Pasteur remarqua que certains cristaux étaient dissymétriques ; de la dissymétrie de la forme il en vint à reconnaître la dissymétrie moléculaire. Il trouva ensuite la coïncidence de faits inexpliqués de polarisation par une constitution intime des cristaux et fut amené à s'occuper ainsi de sa théorie des ferments. Pasteur attacha toujours une haute importance aux phénomènes de la dissymétrie.

[140] Vie de Pasteur (p. 282).

[141] Voir G. TARDE, L'Opposition Universelle, 1897 (p. 133).

[142] Charles DARWIN, né en 1809 à Shrewsbury (comté de Shropshire), mort en 1882.

[143] Antoine-Auguste COURNOT, né en 1801 à Gray, mort en 1877.

[144] Sir Joseph LISTER, né en 1827 à Londres. Voir sa belle lettre à Pasteur du 18 février 1874 : Vous m'avez, par vos brillantes recherches, démontré la vérité de la théorie des germes de putréfaction et m'avez donné ainsi le seul principe qui pût mener à bonne fin le système antiseptique. — VALLERY-RADOT, Vie de Pasteur (p. 344).

[145] Alphonse GUÉRIN, né en 1817 à Ploërmel, mort en 1895.

[146] Charles ROBIN, né en 1821 à Jasseron (Ain), membre de l'Académie des sciences, mort en 1885.

[147] Émile Roux, né à Confolens (Charente) en 1853, membre de l'Académie des sciences.

[148] Dans ce sens, les efforts de deux savants français, les docteurs PROUST et BROUARDEL ont été décisifs. — Voir : PROUST, Orientation nouvelle de la politique sanitaire, in-8°, 1896, et la Défense de l'Europe contre la peste, in-8°, 1897.

[149] Jean CHARCOT, né en 1823 à Paris, membre de l'Académie des sciences, mort en 1893.

[150] Vie de Pasteur (p. 353).