HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

II. — LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL MAC MAHON

L'ÉCHEC DE LA MONARCHIE

CHAPITRE II. — L'ORDRE MORAL.

 

 

Reprise de la session de l'Assemblée nationale. — Incident soulevé par M. de Bismarck. — La circulaire Pascal. — M. Beulé. — Les premiers actes du cabinet. — L'ordre moral. — Interpellation Le  foyer. — La question religieuse. — Les pèlerinages. — Le culte du Sacré-Cœur. — L'église votive de Montmartre. — Le shah de Perse à Paris. — Les fêtes en son honneur. Débuts de la campagne monarchique. — Ajournement de l'examen des lois constitutionnelles. — Mesures prises contre la propagande républicaine. — Pouvoirs spéciaux donnés à la commission de permanence. — M. Gambetta et le discours de Grenoble. — Le centre gauche se prononce pour la dissolution. — Lois de réorganisation votées pendant la session d'été. — La loi de réorganisation générale de l'armée, du 24 juillet 1873. — L'Assemblée se proroge du 29 juillet au 5 novembre. — Message du maréchal de Mac Mahon et manifeste des groupes de gauche. — La libération du territoire. — Derniers incidents de l'occupation allemande. — Paiement du solde de l'indemnité de cinq milliards. Le 16 septembre, l'évacuation est achevée.

 

I

On eût pu croire que la journée du 24 mai suspendrait la session parlementaire. Il n'en fut rien : de part et d'autre, on était pressé d'en venir aux mains. Quelques jours pour permettre aux nouveaux ministres de s'installer, et les séances reprirent, sans discontinuer, jusqu'au 29 juillet.

Dans cette courte session, des escarmouches rapides, mais toutes significatives, indiquèrent les points où devait porter bientôt l'effort de la lutte, à savoir : la résistance politique et sociale, les affaires religieuses, les projets de lois constitutionnelles. Dès ces premiers engagements, les positions respectives furent nettement définies.

Les gauches se groupèrent autour de M. Thiers. Celui-ci, avec sa promptitude ordinaire, avait pris son parti. Ne pensant pas que sa grandeur l'attachait au rivage, il s'était décidé à siéger à l'Assemblée en sa qualité de représentant du département de la Seine. Le 27 mai, comme un membre de la droite, M. Clapier était à la tribune, il entra et s'assit, dit le compte rendu officiel, au quatrième banc du côté gauche, entre M. Gouin et M. Wallon.

Au moment où il parut, toute la gauche se leva et le salua par de longs applaudissements. Le centre gauche se joignit à la manifestation et, le lendemain, M. Christophle, au nom du groupe, demanda une rectification dans ce sens au procès-verbal : Oui, s'écria l'amiral Jaurès, nous nous sommes tous levés, tous !

Ainsi, l'union était faite ; M. Thiers était le chef des gauches réunies.

Dès les premières heures, Gambetta prit le rôle de modérateur. Agissant auprès des membres de l'extrême gauche, qui avaient tant à oublier à l'égard du vainqueur de la Commune, il conseille la patience, l'union, la discipline. Dès lors, il avait le sentiment que les coalisés n'étaient pas assez unis pour réussir à fonder un régime définitif, et que leur impuissance servirait la cause de la République.

On attendit les premiers actes du gouvernement. Celui-ci se mit d'abord à la partie la plus facile de sa tâche, — du moins la plus agréable à ses amis, — les mutations dans le personnel. J.-J. Weiss disait : Le 24 mai avait à choisir, de n'être qu'un déménagement de préfets ou d'être une révolution monarchique[1]. On commença par le déménagement.

M. Beulé, au lendemain de la constitution du cabinet, s'expliquait, à ce sujet, dans une circulaire adressée à ses agents. L'Assemblée nationale attend avant tout du gouvernement qu'elle a institué, disait-il, un personnel administratif inspiré par une même pensée, dirigé avec précision et se mettant ouvertement à la tête des conservateurs. En disant bien haut de quel côté étaient leurs sympathies et leurs encouragements, les préfets constitueront en France une vraie majorité de gouvernement.

Les actes suivirent.

L'amiral de Gueydon, gouverneur général de l'Algérie, fut remplacé, le 10 juin 1873, par le général Chanzy, que l'on n'était pas fâché d'éloigner de Versailles[2]. M. Ferdinand Duval, préfet de la Gironde, fut nommé, le 28 mai 1873, préfet de la Seine. Dans les départements, quelques préfets, quelques procureurs, quelques sous-préfets, quelques maires, donnèrent leur démission. D'autres, en plus grand nombre, furent destitués. Tout fonctionnaire qui, de près ou de loin, avait manifesté de la sympathie pour la République, fut sacrifié ou menacé.

Les remplaçants appartenaient, pour la plupart, au parti orléaniste ; on réintégra même quelques anciens fonctionnaires bonapartistes. Le mot d'ordre était partout le même : Sus à la République !

On usa des rigueurs administratives contre la presse républicaine. La suppression, dans les départements eu état de siège, l'interdiction de vente sur la' voie publique, dans les départements soumis au droit commun, furent prononcées contre une vingtaine de journaux. On assimila au colportage la distribution d'un journal par ses distributeurs habituels.

Il y eut certaines modifications dans le personnel des missions diplomatiques. Tandis que le marquis de Banneville et le comte Bernard d'Harcourt, ambassadeurs à Vienne et à Londres, demandaient, le premier, d'être mis à la retraite, le second, d'être admis à la disponibilité, le marquis de Noailles, MM. Lanfrey, Ernest Picard et Jules Ferry, ministres à Washington, à Berne, à Bruxelles et à Athènes, quittaient volontairement leur poste.

Ils furent remplacés par le marquis d'Harcourt, Vienne ; le duc Decazes, à Londres ; M. Bartholdi, à Washington ; le comte de Chaudordy, à Berne[3] ; le baron Bande, à Bruxelles, et le marquis de Gabriac, à Athènes. Celui-ci laissait vacant le poste de La Haye, qui fut attribué à M. Target, en récompense de son rôle décisif dans la journée du 24 mai.

Ces changements, effectués au cours de l'année 1873, et motivés d'ailleurs par des considérations soit de carrière, soit de parti, ne devaient avoir aucune influence sur la direction de la politique étrangère. Le duc de Broglie, dans sa première circulaire aux représentants de la France, l'avait déclaré avec insistance : Le différend qui s'est élevé entre la majorité de l'Assemblée nationale et M. Thiers, disait-il, n'a porté sur aucun point relatif à la politique étrangère... Vous n'aurez donc rien à changer aux instructions que vous avez reçues du dernier gouvernement.

Toutefois, un incident fâcheux se produisit.

Conformément à l'usage, le duc de Broglie avait notifié aux puissances l'élection du maréchal de Mac Mahon. Il déposa sa carte au domicile des ambassadeurs accrédités à Paris. La Grande-Bretagne et la Turquie, seules, accusèrent réception de la notification. De l'Allemagne, de l'Autriche, de la Russie et. de l'Italie, on resta sans nouvelles. Après quelques jours, le duc de Broglie apprit ce qui se passait : M. de Bismarck, très mécontent de la chute de M. Thiers, hésitait à reconnaître le nouveau gouvernement. Du moins, il voulait faire sentir sa mauvaise humeur. Non satisfait de la notification, il exigeait que l'ambassadeur de France reçût de nouvelles lettres de créance. L'Autriche, la Russie, l'Italie, sous son influence, observaient la même attitude.

En France, disait M. de Bismarck, la République n'est pas, comme aux États-Unis et en Suisse, fondée définitivement. Les puissances ont reconnu le gouvernement de M. Thiers. C'est ce gouvernement qui a envoyé auprès d'elles ses représentants. D'autres lettres sont nécessaires pour accréditer les mêmes représentants au nom du maréchal de Mac Mahon. M. de Bismarck ajoutait qu'il ne voulait pas s'engager à reconnaître indistinctement tous les hommes qu'il plairait à la France de mettre successivement à sa tête[4]. Le duc de Broglie, très ému, protesta à Berlin. Le prince de Bismarck répondit à M. de Gontaut-Biron que, le comte d'Arnim lui demandant un congé pour raison de santé, il l'autorisait à quitter son poste, puisqu'il n'aurait pas de lettres de créance à remettre. Et le chancelier laissa entendre que cet exemple serait suivi par les ambassadeurs de Russie, d'Autriche et d'Italie.

Le duc de Broglie craignit de compliquer l'incident. Les ambassadeurs de France à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à Vienne et à Rome reçurent d'autres lettres de créance et les ambassadeurs à Paris des quatre puissances, accrédités naguère auprès de M. Thiers, le furent désormais auprès du maréchal de Mac Mahon.

 

Le 10 juin, M. Lepère, député de l'Yonne, membre de la gauche, engagea le premier débat politique en interpellant le gouvernement au sujet de l'attitude adoptée par lui à l'égard de la presse. Il s'agissait de la suppression du Corsait, qui avait ouvert, au sujet de l'élection Barodet, une souscription ayant le caractère d'une manifestation républicaine. Cette mesure avait été prise par arrêté du gouverneur militaire de Paris, en vertu de l'état de siège et pour atteinte à l'ordre établi. M. Lepère traita surtout la question de principe. Quel est cet ordre établi ? demandait l'orateur. Est-ce l'ordre républicain ? alors pourquoi poursuivre un journal qui le soutient ? Est-ce l'ordre monarchique ? alors que signifient les paroles du maréchal de Mac Mahon, affirmant que rien ne sera changé aux institutions existantes ?

Le gouvernement avait accepté le débat avec empressement. Il avait besoin de s'affirmer et de compter sa majorité. M. Beulé, ministre de l'intérieur, dont M. de Falloux dit qu'il était plus connu à l'Académie des beaux-arts qu'au parlement, paraissait sûr de son fait. Il remplace à la tribune M. Lepère et prononce un discours fameux, qui, du premier coup, faillit renverser le cabinet et qui ruina, en tout cas, sa propre réputation de ministre et d'orateur. Après avoir défendu l'arrêté qui frappait le Corsaire, il entreprit de répondre à la dernière question de M. Lepère. L'honorable préopinant me demande, dit-il, quel est l'ordre établi ? Est-ce le même que sous le précédent gouvernement ? ou bien est-il changé depuis que l'éminent M. Thiers a quitté le pouvoir ? Est-ce l'ordre républicain ou l'ordre monarchique ? Vous savez bien, Messieurs, que nous n'avons rien modifié dans nos institutions. L'Assemblée nationale que le pays a choisie dans un jour de malheur pour le sauver de...

A ces mots, des rires et des bravos ironiques éclatent à gauche. Oui ! oui ! Très bien ! crie-t-on. Dans un jour de malheur ! Vous avez raison ! C'est la vérité !

M. Gambetta accable le malheureux M. Beulé en lisant à la tribune une circulaire très confidentielle du ministre de l'intérieur où celui-ci prescrit aux préfets d'agir sur les journaux de province, en étudiant leur situation financière et en faisant connaître au ministre le prix qu'ils pourraient attacher au concours bienveillant de l'administration. — C'est un plagiat de l'empire, s'écrie M. Gambetta. M. Beulé défend d'abord la circulaire, et puis il déclare ne l'a ni lue, ni dictée. On sut qu'elle émanait du sous-secrétaire d'État, M. Pascal. La droite est embarrassée.

Quinze jours à peine après sa formation, le cabinet du 25 mai est en péril.

M. Baragnon se dévoue en demandant l'ordre du jour pur et simple et en déclarant que le vote de cet ordre du jour n'impliquera pas l'approbation de tous les termes de la circulaire. L'ordre du jour pur et simple est voté par 368 voix contre 308.

Le lendemain, une sanction était, donnée au débat : M. Pascal, sous-secrétaire d'État au ministère de l'intérieur, remettait sa démission[5].

Ce premier engagement était de mauvais augure. Le ministère prend sa revanche et rassemble la majorité, un moment disjointe, eu demandant l'autorisation de poursuivre, pour sa participation à la Commune, M. Ranc, récemment élu député du Rhône. La manifestation était platonique, puisque M. Banc, n'attendant pas le vote de l'Assemblée, avait passé la frontière et s'était réfugié en Belgique. Mais, en l'attaquant, on visait M. Gambetta, dont M. Banc avait été le collaborateur pendant la guerre. On croyait utile aussi d'avertir le suffrage universel, et M. Ernoul, garde des sceaux, répondant à M. Cazot, ne cachait pas que l'élection de M. Ranc avait de nouveau attiré l'ail de la justice sur sa situation judiciair. L'autorisation de poursuites fut accordée, le 19 juin, par 467 voix contre 140. Le centre gauche avait voté la proposition du gouvernement.

Le docteur Turigny, élu député de la Nièvre, est invalidé, le 27 juin, sous prétexte que, dans une affiche signée au cours de la campagne électorale par onze conseillers généraux, l'Assemblée nationale avait été outragée[6].

En somme, malgré les déboires de M. Beulé, le cabinet exécutait la première partie de son programme et affirmait sa politique de résistance et de conservation sociale à la face du pays.

 

II

Les hostilités s'ouvraient dans le pays lui-même : de part et d'autre, les intérêts, les convictions s'ébranlaient. On sentait l'approche d'une crise où le passé et l'avenir allaient se heurter. Les incidents parlementaires n'étaient, que la saillie de la double poussée en sens contraire qui se produisait dans les régions profondes. Il y avait, dans les esprits et dans les cœurs, à la fois de l'appréhension et de l'allégresse.

Ce qu'il y a de plus intime dans l'être, ou, pour mieux dire, ce qui fait l'être lui-même, la croyance, suscitait l'action.

Lyon est une ville passionnée et mystique. Les convictions y sont énergiques et fortes. Sa population était divisée. C'était là que les premiers incidents devaient naître.

Depuis quelque temps, sous les auspices d'une Société de libre-pensée, les enterrements civils s'y étaient multipliés et donnaient lieu à des manifestations. M. Ducros, préfet, envoyé à Lyon par le cabinet du 25 mai, exerçait, en vertu du régime exceptionnel appliqué à cette ville, les fonctions de maire. Il prit, le 18 juin, un arrêté obligeant les parents à déclarer, en même temps que le décès, si l'inhumation du décédé aurait lieu avec ou sans la participation des ministres officiants de l'un des cultes reconnus par la loi, fixant à six heures du matin en été et à sept heures en hiver les inhumations faites sans la participation d'aucun culte reconnu par la loi, et imposant, ces derniers convois, le trajet le plus court de la maison mortuaire au cimetière.

En même temps qu'on avait connaissance de l'arrêté du préfet-maire de Lyon, un incident se produisait, le 20 juin, à Versailles, à propos de l'enterrement civil de M. Brousses, député de l'Aude.

Quand M. de Goulard, vice-président de l'Assemblée, un questeur et deux secrétaires qui représentaient le bureau, les membres de la droite parmi ceux désignés par le sort pour assister aux obsèques, virent que le convoi se dirigeait de la maison mortuaire vers le cimetière, sans passer par l'église, ils se retirèrent et congédièrent les huissiers de l'Assemblée. Le détachement, de cuirassiers qui, conformément à la loi du 24 messidor an XII, figurait dans le cortège, rejoignit aussitôt son quartier.

M. Le Royer, député du Rhône, interpella, le 24 juin, le gouvernement sur ces deux incidents. Il exposa que le préfet du Rhône avait outrepassé ses pouvoirs et que l'arrêté du 18 juin violait la liberté de conscience. Dans un pays oh il n'y a pas de religion d'État, il n'est pas admissible qu'on range les citoyens en catégories, selon leurs croyances. A Lyon, certains abus ont pu être commis, mais il n'était pas impossible d'en éviter le renouvellement, sans attenter à la liberté de conscience. Aux obsèques de M. Brousses, la loi a été manifestement violée. Les honneurs, en effet, ne sont pas rendus à la personne, mais à la fonction. Tel fut le langage du député du Rhône.

Le général du Barail répondit en ce qui concernait les honneurs militaires. Il invoqua une vieille circulaire, prescrivant aux troupes de se rendre à la maison mortuaire, de là à l'église, puis directement au cimetière. Comme on n'a pas conduit le corps à l'église... ajoute-t-il. Violemment interrompu, il ne peut achever sa phrase, mais le silence étant rétabli, il précise sa pensée, qui est aussi celle du gouvernement : Nous ne permettrons jamais, dit-il, que nos troupes soient mêlées à ces manifestations, à ces scènes d'impiété. Et il termine, aux applaudissements frénétiques de la droite : Si aux hommes de guerre vous enlevez la foi dans une autre vie, vous n'avez plus le droit d'exiger d'eux le sacrifice de leur existence.

M. Beulé, ministre de l'intérieur, était impatient de réparer, aux yeux de ses amis, son échec du 10 juin. Répondant à M. Le Royer, il insiste sur le caractère fâcheux des manifestations organisées sous prétexte d'enterrements civils : les insultes aux autorités et au clergé, le désordre dans la rue, le scandale insupportable pour les croyants, si nombreux, dans la population lyonnaise. Et puis, il ne s'agit pas seulement de cas particuliers ; il s'agit d'une politique, et le gouvernement le proclame hautement, M. Ducros s'est bien inspiré de la pensée du cabinet en prenant un arrêté que celui-ci a, d'ailleurs, approuvé. L'adjoint au maire de Lyon ayant été enterré civilement, le secrétaire général de la préfecture a reçu l'ordre de ne pas assister aux obsèques. Telle est la doctrine gouvernementale nouvelle et le ministre de l'intérieur demande l la majorité si, oui ou non, elle est disposée à l'approuver.

Par 413 voix contre 251, l'Assemblée adopte l'ordre du jour suivant, déposé par MM. Cornélis de Witt (protestant), Henri Fournier, de Belcastel (ultramontains) et de Cumont (catholique libéral) : L'Assemblée nationale, considérant que les principes toujours respectés par elle de la liberté de conscience et de la liberté des cultes ne sont point en cause, et s'associant aux sentiments exprimés par le gouvernement, passe il l'ordre du jour.

Par ce vote, le gouvernement et la majorité apparaissaient plus forts qu'on ne rat pensé et, en tout cas, étroitement liés. Le sentiment religieux de la droite était le foyer de son ardeur politique.

 

Pour les âmes pieuses, la guerre avait été un châtiment. Dieu s'était retiré de ceux qui l'avaient abandonné. La défaite de la France coïncidait avec la crise du catholicisme. Punition du ciel ; mais, en même temps, expiation. Les maux avaient atteint leur comble ; des temps nouveaux étaient proches.

La grande tristesse était à Rome : le pape prisonnier. La grande espérance était en France : le pays purifié et reconstitué. L'échec de M. Thiers marquait la chute du dernier fils de Voltaire. Maintenant, ce peuple avait devant lui le champ libre pour la restauration de la foi et pour la restauration de la dynastie : Le pays tout entier commençait à comprendre ce que gagne une nation à prétendre se passer de Dieu... La parole des évêques, bâillonnée sous l'empire, se faisait entendre avec une liberté, se faisait écouter avec un respect tout nouveaux. Celle du Souverain-Pontife était accueillie avec une unanimité d'obéissance et d'amour qui était le premier fruit du concile du Vatican... Déjà se préparaient, à Paray-le-Monial, les admirables pèlerinages où la France entière se donnait rendez-vous, où les bannières de Loigny et de Jeanne d'Arc, les bannières en deuil de Metz et de Strasbourg flottèrent comme des signes d'espérance et comme des prières visibles au Dieu qui a fait les nations guérissables, scènes inoubliées de tous ceux qui en furent les témoins, spectacles incomparables d'où les finies revenaient réchauffées et illuminées ![7]

Ce n'était pas seulement vers Paray-le-Monial, Les pèlerinages. mais vers tous les sanctuaires sacrés que les foules se portaient : à Chartres, à Notre-Dame de Liesse, à la Chapelle-des-Buis et à Notre-Dame de Sion, dans l'Est ; à Lourdes, à La Saiette, etc.

Dans toute la France, des comités se formaient sous le patronage des évf2ques pour soulever et organiser ces extraordinaires mouvements de peuple. Un comité central était constitué à Paris, rue de Sèvres, au siège de la compagnie de Jésus, sous la présidence du père Bazin, otage de la Commune. MM. de La Bouillerie, Chesnelong, de Diesbach, Keller et le baron de Vinols avaient été désignés par la réunion des Réservoirs pour représenter l'Assemblée au sein de ce comité[8].

Les 27 et 28 mai 1873, se rendit au vieux sanctuaire de la tradition nationale, au lieu qui avait vu déjà l'union des peuples de la Gaule, lorsqu'ils décidèrent la lutte contre César, à la métropole des Carnutes, devenue Notre-Dame de Chartres, un pèlerinage national réunissant, plus de 90.000 pèlerins, à la tête desquels marchaient cent quarante députés de la Chambre[9].

L'évêque le plus ardent et le plus rigide parmi ses collègues, le défenseur de la foi intégrale et de l'ultramontanisme sans tempérament, Mgr Pie, évêque de Poitiers, présidait. Son discours fut la voix de ces foules inclinées et si profondément touchées : Ô noble pays de France, disait-il, du jour où tu as mis la main sur l'arche sainte des droits de Dieu, en lui opposant la déclaration idolâtrique des Droits de l'Homme, ta propre constitution a été brisée, ta constitution de quatorze siècles : et voici que depuis quatre-vingts ans, tu ne sais plus affirmer ton autorité constituante que pour étaler aux yeux de l'univers ton impuissance à rien constituer. Paraphrasant à la fin la prière d'Esther, l'évêque disait : Ô Dieu puissant au-dessus de tous, écoutez la voix de ceux qui n'ont aucune espérance qu'en vous seul... Tel est le cri de la France en détresse. Elle attend un chef, elle attend un maître... Les mêmes, enflammées par ces paroles, criaient d'elles-mêmes, le nom du prétendant des lys, le fils de France, Dieudonné, le comte de Chambord. L'historien de l'évêque de Poitiers, rappelant ces moments, dit : C'était bien la France catholique qui venait demander à Dieu sa délivrance dans le plus ancien sanctuaire de la monarchie.

Un mois plus tard, le 20 juin 1873, ce fut, au monastère de la Visitation, à Paray-le-Monial, le pèlerinage du Sacré-Cœur.

Le culte du Sacré-Cœur, vénéré spécialement dans ce sanctuaire où Marie Alacoque de l'ordre de la Visitation avait eu ses visions en 1675, était devenu, par l'influence de la compagnie de Jésus, la formule, le symbole social et politique de l'ultramontanisme[10].

On n'ignorait pas que le comte de Chambord avait manifesté une prédilection particulière pour la dévotion au Sacré-Cœur[11].

La manifestation du 20 juin 1873 attira plus de 20.000 pèlerins, parmi lesquels 5o députés légitimistes. Le colonel des anciens zouaves pontificaux. M. de Charette, déposa sur le tombeau de la sainte le drapeau de son régiment à la sanglante bataille de Patay.

Dans son discours, l'évoque d'Autun, qui présidait, consacra solennellement, la France au Sacré-Cœur[12]. M. de Belcastel, député légitimiste de la Haute-Garonne, qui dirigeait la délégation parlementaire, prononça les paroles suivantes, au nom de ses collègues présents et de cent députés retenus à Versailles :

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Très Sacré-Cœur de Jésus, nous venons nous consacrer à vous, nous et nos collègues, qui nous sont unis de sentiment. Nous vous demandons de nous pardonner tout le mal que nous avons commis, et de pardonner aussi à tous ceux qui vivent séparés de vous. Pour la part que nous pouvons y prendre, et dans la mesure qui nous appartient, nous vous consacrons aussi, de toute la force de nos désirs, la France, notre patrie bien-aimée, avec toutes ses provinces, avec ses œuvres de foi et de charité. Nous vous demandons de régner sur elle par la toute-puissance de votre grâce et de votre saint amour. Et nous-mêmes, pèlerins de votre Sacré-Cœur, adorateurs et convives de votre grand Sacrement, disciples très fidèles du Siège infaillible de Saint-Pierre, dont nous sommes heureux aujourd'hui de célébrer la fête, nous nous consacrons à votre service, ô Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vous demandant humblement la grâce d'être tout à vous, en ce monde et dans l'éternité. Ainsi soit-il[13].

L'évènement du 24 mai s'étant produit et la majorité se sentant maitresse des destinées de hi France, ces sentiments se développèrent, avec une acuité singulière. On pensait qu'un appel de la France vers Dieu, un acte de foi, une glorification qui serait, en même temps, une expiation, devait être le prélude des grâces divines qui rétabliraient sur le trône le descendant de saint Louis et, de Louis XIII, et le point de départ de la rénovation politique, religieuse et sociale[14].

Puisque les événements décisifs étaient proches, il y avait urgence, il fallait répondre à l'appel de Dieu en élevant au divin cœur l'autel demandé, en 1823, au roi de France, par Jésus-Christ, dans une de ses apparitions à la mère Marie de Jésus[15].

Mgr Guibert, archevêque de Paris, avait pris l'initiative, peu après sa nomination comme successeur de Mgr Darboy, de faire ouvrir, dans tous les diocèses de France, une souscription dont le montant serait destiné à construire, sur les hauteurs de Montmartre, arrosées par le sang des premiers martyrs et point de départ des horreurs de la Commune, une basilique consacrée au culte du Sacré-Cœur[16]. On avait recueilli 600.000 francs. Il fallait, maintenant, associer l'Assemblée à cette œuvre, afin de lui donner le caractère d'un vœu national.

A la date du 5 mars 1873, l'archevêque de Paris avait écrit au ministre des cultes. Le gouvernement se montra favorable à la demande de Mgr Guibert, et M. Batbie, ministre des cultes, déposa un projet de loi accordant la déclaration d'utilité publique à la construction de l'église votive.

Renvoyé à l'examen d'une commission spéciale, le projet faillit provoquer une rupture entre les diverses fractions de la majorité. Tandis que les légitimistes ultramontains se montraient partisans enthousiastes de la loi, la plupart des membres du centre droit hésitaient. Les couloirs de l'Assemblée retentissaient de discussions passionnées. Des altercations se produisirent entre M. de Belcastel, qui avait voué la France au Sacré-Cœur, à Paray-le-Monial, et MM. Baze et Baragnon, plus réservés.

Enfin, le 11 juillet, M. Keller déposait sur le bureau de l'Assemblée un rapport concluant à l'adoption du projet de loi, avec la rédaction suivante pour l'article premier : Est déclarée d'utilité publique, la construction de l'église que, par suite d'une souscription nationale, l'archevêque de Paris propose d'élever sur la colline de Montmartre, en l'honneur du Sacré-Cœur de Jésus-Christ, pour appeler sur la France et, en particulier, sur la capitale, la miséricorde et la protection divines. En conséquence, dit l'article 3, l'archevêque de Paris, tant en son nom qu'au nom de ses successeurs, est autorisé à acquérir le terrain nécessaire a cette construction, soit à l'amiable, soit, s'il y a lieu, par voie d'expropriation.

La publication du rapport de M. Keller n'apaisa rien, au contraire. Les membres du centre droit se refusaient toujours à suivre leurs collègues. Après de longs pourparlers, dans lesquels intervint l'archevêque de Paris, on décida de supprimer ce qu'une périphrase, qui eut alors quelque vogue, appelait le vocable sacré.

Au début de la discussion, le 22 juillet, M. de Belcastel annonce que la commission est d'avis de rédiger ainsi l'article premier du projet de loi : Est déclarée d'utilité publique, la construction d'une église sur la colline de Montmartre, pour appeler sur la France et, en particulier, sur la capitale, la miséricorde et la protection divines. M. Baze, président de la commission, fait observer que cet avis n'était pas celui de la commission, mais le désir d'une minorité. Les pourparlers continuent. Enfin, dans la séance du 24 juillet, M. Baze, au nom de l'unanimité des membres présents, propose la rédaction suivante pour l'article premier : Est déclarée d'Utilité publique, la construction d'une église sur la colline de Montmartre, conformément à la demande qui en a été faite par l'archevêque de Paris dans sa lettre du 5 mars 1873, adressée au ministre de la justice. Cette église, qui sera construite exclusivement avec des fonds provenant de souscriptions, sera affectée à l'exercice public du culte catholique.

M. de Pressensé combat le projet qui, dit-il, institue une dévotion d'État. Un débat s'engage entre Rebat sur  deux professeurs de droit, M. Bertauld et M. Batbie, sur la question d'expropriation soulevée par le projet de loi. M. Bertauld oppose à M. Batbie ministre, M. Batbie professeur, et cite la doctrine formulée par celui-ci dans son Traité de droit administratif, à savoir que l'État, seul, peut poursuivre l'expropriation en matière d'utilité publique. de Montmartre.

M. Batbie dit que, comme professeur, il partage encore cet avis, mais que, comme ministre, il a le droit d'avoir une opinion contraire et de demander que la loi modifie la jurisprudence.

M. Tolain, de l'extrême gauche, rappelle que l'adoration du Sacré-Cœur a été autrefois condamnée par des évoques, par des papes, par la congrégation des rites. M. Buffet interrompt l'orateur par ces mots : — Il est inadmissible qu'on fasse ici de la théologie. — Faisait-on autre chose ?

M. Chesnelong s'élève contre le discours de M. Tolain. Il explique la pensée des souscripteurs et   conclut ainsi : Nous sommes tous unanimes à respecter ce que M. Tolain attaque et pour protester contre les paroles que nous venons d'avoir la douleur d'entendre. Notre vote, je l'espère, le prouvera.

Il en fut ainsi : par 394 voix contre 164, l'article premier du projet de loi fut adopté. Les autres articles furent successivement votés par assis et levé.

L'incident paraissait clos, quand un des membres les plus estimés de l'extrême droite, un des familiers   du comte de Chambord, M. de Cazenove de Pradine, se dirige vers la tribune malgré les supplications de plusieurs de ses collègues.

Il regrette la faiblesse des membres du centre droit et de la droite modérée, se refusant à inscrire le vocable sacré dans la loi. Il demande un vote public et il dépose un article additionnel : L'Assemblée, s'associant à l'élan national de patriotisme et de foi dont l'église de Montmartre est l'expression, se fera représenter à la cérémonie de la pose de la première pierre par une délégation de son bureau.

Trouble profond sur les bancs de la droite ; on conjure le jeune député de retirer son amendement. Vous vous devez à vous-mêmes, répond-il, de vous associer, d'une façon publique et officielle, au grand acte d'expiation et d'apaisement qui va s'accomplir. Il s'obstine. On passe au vote. Le scrutin donne 262 voix contre et 103 pour. Le centre droit et la droite modérée se sont abstenus : le vote n'est pas valable, le quorum n'étant pas atteint.

Pour ne pas accentuer la scission qui s'est produite dans la droite, après avoir enfin obtenu de M. de Cazenove de Pradine qu'il retire sa proposition, on décide que le scrutin ne paraîtra pas au Journal officiel.

La suppression du vocable sacré avait été faite d'accord avec l'archevêque de Paris. Mais le roi se montra plus catholique que le prélat. Le 28 juillet, il écrivait à M. de Cazenove de Pradine à propos de son intervention : Vous me connaissez trop pour attendre de moi une phrase banale sur votre énergique insistance dans la mémorable lutte dont vous êtes sorti, comme à Patay, le glorieux vaincu. Je vous félicite, je vous remercie et je vous embrasse, heureux d'ajouter au témoignage de votre conscience celui de mon admiration et de ma vieille amitié.

 

III

Le comte de Chambord se rappelait ainsi à la France par des démonstrations qui n'étaient pas toujours du goût de tous les monarchistes. Il avait des périodes de silence obstiné, — disparaissant, échappant même à ses plus fidèles, — et, quand il parlait, sa parole était parfois plus embarrassante que son silence.

On en était toujours au souvenir de son manifeste du drapeau blanc, daté de Chambord, et qui, une première fois, avait ruiné tant d'espérances. Que pensait-il, maintenant ? Il était l'héritier légitime. La dynastie, c'était lui. Personne ne songeait à une restauration immédiate de la famille d'Orléans. Le règne de Louis-Philippe était omis. On reconnaissait qu'il n'y avait d'autre solution que le retour de la branche aillée. Mais dans quelles conditions ? La question constitutionnelle était plus délicate encore que la question dynastique.

Mgr Pie l'avait résolue à Chartres, en des termes singulièrement hardis : droit divin avec toutes ses conséquences.

L'Assemblée en était saisie, mais dans des conditions bien différentes. On se souvient que, conformément à l'article 5 de la loi du 13 mars 1873, M. Dufaure, garde des sceaux, avait déposé au nom du gouvernement de M. Thiers trois projets relatifs, 1° à la loi électorale ; 2° à l'organisation et au mode de transmission des pouvoirs législatif et exécutif ; enfin, 3° à la création et aux attributions d'une seconde Chambre qui ne devait, d'ailleurs, entrer en fonctions qu'après la séparation de l'Assemblée nationale.

Ainsi, d'une part, le droit du roi, et, d'autre part, le droit de l'Assemblée.

Quelle était la pensée du gouvernement ? Dès sa première communication à la Chambre, il avait indiqué ses dispositions : pour le moment, elles consistaient il attendre et il gagner du temps.

Le duc de Broglie était trop avisé pour ne pas comprendre que l'ouvre de restauration il laquelle il eût sans doute été heureux de présider, n'était pas prête et qu'il fallait créer dans le pays, dans la famille royale, chez le prétendant, un état d'esprit permettant de l'aborder avec des chances sérieuses de succès. Le rôle du cabinet, tel que le concevaient les plus prudents parmi ses amis, est assez exactement défini par une phrase de M. de Meaux : Il devait, d'une part, selon les termes de l'ordre du jour qui l'instituait, opposer au radicalisme une politique résolument conservatrice, de l'autre, ne point s'opposer à l'entreprise monarchique, sans en prendre d'ailleurs l'initiative[17].

L'impatience, des finies plus ardentes et plus optimistes s'arrangeait mal de ces précautions et de ces délais. On voulait voir partout des signes d'un esprit nouveau et d'une évolution vers les idées monarchiques.

Dans l'Assemblée, l'accroissement sensible de la majorité, qui avait passé des 14 voix du 24 mai aux 60 voix des derniers votes de juin, pouvait encourager ces espérances. On escomptait, en plus, des défections au fur et à mesure que la victoire paraitrait plus assurée. M. de Falloux, qui se pique de pondération, affirme qu'il n'est pas rare d'entendre dire par des républicains : Nous ne pourrions pas voter la monarchie, mais nous la verrions reparaitre sans déplaisir si elle peut donner la France un repos que nous ne sommes pas encore en mesure de lui promettre[18]. Il est difficile de savoir, aujourd'hui, quels étaient ces républicains : mais les propos qu'on leur attribuait, circulaient et entretenaient l'ardeur, sinon la confiance. On se croyait sûr d'une majorité au cas où l'Assemblée aurait à exercer le mandat constituant qu'elle avait toujours réclamé.

Dans le pays, on découvrait également des dispositions favorables. En ce même temps, Paris s'offrait, un peu à lui-même, il l'occasion de la visite du shah de Perse, des fêtes magnifiques : à la façon dont il recevait le monarque oriental, on voyait une preuve de son engouement monarchique... L'empressement avec lequel la population accueillait ce souverain était, pour le moins, un symptôme qu'on ne pouvait méconnaitre. Ainsi s'exprime le sage M. de Falloux.

La réception faite au monarque asiatique fut, en effet, splendide. Ce fut, pour la ville, un instant de répit après une si longue période de tristesse. Paris adore les fêtes, ces puissantes attractions qui déplacent les populations, les changent de quartier, mêlent et confondent les rangs, renouvellent chez les citoyens l'impression et l'orgueil de la grandeur de leur ville, de son prestige, et leur offrent comme un voyage dans un pays féerique où il y aurait beaucoup d'histoire.

Ces spectacles, ces émotions, Paris ne les avait plus connus depuis 1867. Quatre ans de souffrances, d'angoisses et de haines : on en avait assez. L'arrivée, un peu inopinée, du souverain exotique fut un signal : Nasr-el-Din sortait tous ses brillants, Paris sortit tous les siens.

Le shah arriva le 6 juillet, venant d'Angleterre, après avoir séjourné en Russie et en Allemagne. C'était un dimanche. Reçu à la gare du Bois-de-Boulogne, il suivit l'avenue du Bois et l'avenue des Champs-Élysées, au côté du maréchal-président, qui le conduisit au palais du Petit-Bourbon où il descendait. Le trajet fut une longue ovation. Les fêtes durèrent quinze jours. A Longchamp, une revue de 60.000 hommes fut passée par le maréchal de Mac Mahon accompagné du duc de Nemours. La population acclama les soldats, les officiers, le prince, le maréchal. Ou remarqua cependant l'absence de M. Thiers, à qui nulle place spéciale n'avait été réservée ; car la politique se glisse iri‘ine dans les heures les plus joyeuses.

A Versailles, le maréchal de Mac Mahon offrit au shah un banquet de cent soixante couverts, suivi d'un feu d'artifice tiré. sur le bassin de Neptune. Il y eut représentation de gala à l'Opéra, et ce fut la dernière cérémonie officielle dans cette jolie salle de la rue Le Peletier, incendiée quelques jours après. Il y eut réception à la vice-présidence du conseil, chez le duc de Broglie, au quai d'Orsay, et la haute société française se pressa dans les salons qui, pour la première fois depuis bien longtemps, s'ouvraient pour elle. Il y eut fête de nuit sur la Seine et au Trocadéro, avec retraite militaire aux flambeaux, embrasement des Champs-Élysées par des feux de bengale et feu d'artifice au Champ de Mars. Les jours et les nuits de la Commune étaient oubliés !

Enfin, le maréchal de Mac Mahon donna à l'Élysée un grand bal, où le président de la République et la duchesse de. Magenta reçurent trois mille invités avec la simplicité et l'aisance de maîtres de maison parfaits.

L'argent fut prodigué. Les parures et les bijoux sortirent des réserves. Les épaules s'étaient découvertes. On avait ri. Était-on désarmé ?

La politique restait au fond. On raconte qu'à Versailles, au banquet de gala, la galerie des glaces illuminée évoquant le souvenir des plus belles heures de l'ancienne monarchie, le garde des sceaux, Ernoul, l'un des plus dévoués serviteurs du comte de Chambord, était assis près d'un des principaux personnages de l'entourage du shah. Le Persan parlait fort bien la langue française. Il laisse à peine au ministre le temps de prendre le potage et de se détendre au milieu de ces splendeurs : il aborde la question monarchique. M. Ernoul, inquiet, se tient sur la réserve : mais le Persan, n'étant pas chez lui, n'avait aucune raison d'être discret. Levant soudain les veux vers un large écusson qui surgissait de la corniche, il lut ou parut lire cette inscription : Le roi règne et gouverne par lui-même. — N'est-ce pas là, dit le Persan, la question agitée en France ? Et M. le comte de Chambord consentira-t-il à être un roi qui régnera sans gouverner ? — Le ministre français changea la conversation.

Ainsi, la question constitutionnelle était partout.

Dès le 2 juillet, elle avait reparu à sa vraie place, à l'Assemblée. A cette date, M. Buffet, président, aidant à la tactique du gouvernement, n'avait pas encore convoqué l'Assemblée dans ses bureaux pour nommer la commission spéciale chargée d'examiner les trois projets de loi déposés par M. Dufaure le 19 mai.

Celui-ci demande à la Chambre d'inscrire à l'ordre du jour la nomination de la commission. Il rappelle que M. de Broglie avait été rapporteur de la commission des Trente et il prie le ministre de se joindre à lui pour assurer l'exécution de la loi qu'il avait fait voter. La majorité ne serait-elle plus favorable à une proposition qui consacre son autorité constituante ? Comme M. Dufaure est en veine, il cite la déclaration lue à la tribune par M. Target et par laquelle celui-ci, en son nom et au nom de ses amis, adhérait formellement à la solution républicaine préconisée par M. Thiers.

Ni le gouvernement, ni la majorité, ni M. Target n'étaient si pressés de remplir leurs engagements. Les ministres restent immobiles.

Un député du Nord, M. Lotirent, dit que la proposition de M. Dufaure donne le frisson à tout le monde industriel. — L'Assemblée étant à la veille d'aller en vacances, mieux vaudrait, ajoute-t-il, ajourner à un mois après la rentrée la nomination des commissaires demandée par M. Dufaure. Pendant l'intersession, les députés pourront consulter leurs commettants.

M. Gambetta veut arracher le cabinet à son mutisme. Il renouvelle solennellement, en son nom et au nom de la gauche, sa protestation ordinaire contre le pouvoir constituant que s'arroge l'Assemblée ; il rappelle l'infirmité de son origine et il réclame de nouveau la dissolution et des élections générales.

La réponse du duc de Broglie est dédaigneusement évasive : La discussion actuelle, dit-il, n'a rien à voir avec le. vieux débat qui existe entre l'Assemblée et l'honorable préopinant, débat qui a commencé même avant qu'elle fût élue et alors qu'il voulait l'empêcher déprendre naissance. Elle n'a pas attendu sa permission pour naître, elle n'a pas besoin de sa permission pour vivre et pour régir la France. Le vice-président du conseil affirme, en terminant, qu'il n'est pas écrasé par le fardeau du pouvoir et qu'il répond de l'ordre public. Il s'associe à la proposition d'ajournement de M. Leurent.

La majorité avait son siège fait. Aucun acte, aucune manifestation ne devaient compromettre d'avance la difficile gestation qui allait se produire pendant les vacances de l'Assemblée.

L'autorité constituante de l'Assemblée était discutée maintenant, non plus seulement par la gauche, mais par la fraction si importante de la droite, attachée

la doctrine du droit divin. La moindre imprudence eût pu soulever la question la plus délicate, et de celles dont le cardinal de Retz a dit qu'elles ne s'arrangent jamais aussi bien que dans le silence. La droite, le groupe Target, le duc de Broglie sont insensibles aux coups de boutoir de M. Dufaure et aux objurgations de M. Gambetta. La proposition de M. Leurent est votée, prudence suprême, sans scrutin nominatif, par assis et levé.

La question constitutionnelle, avec tout ce qu'elle comportait de conséquences graves, restait en suspens.

 

IV

Il y avait, de la part de la droite et du gouvernement, un dernier effort à faire, une dernière précaution à prendre : il s'agissait d'empêcher, dans la mesure du possible, la campagne de propagande que le parti républicain et, à sa tête, M. Gambetta, se disposait mener dans le pays aussitôt que l'Assemblée serait en vacances.

Déjà, à Versailles, une manifestation avait été organisée à l'anniversaire du général Hoche (24 juin). Le gouvernement l'avait interdite. Mais le banquet avait été transformé en réunion privée et M. Gambetta avait parlé, raillant la crise plus bouffonne que redoutable ouverte par la chute de M. Thiers. Il avait défendu le droit de la parole et le droit de la propagande, et il avait donné le signal de la polémique anticléricale... Visant les auteurs de la journée du 211 mai, il disait : Il leur suffira de laisser entrevoir l'arrière-pensée du cléricalisme pour que la France, impassible et de sang-froid, les attende à l'heure où, pour réaliser leurs détestables desseins, ils chercheront à sortir de la légalité.

Ces défis et ces menaces paraissaient intolérables à la majorité. Elle avait sur le cwur le discours de Grenoble. On cherchait un incident. Le 12 juillet, au cours d'un débat sur l'établissement. du jury criminel aux colonies, M. Audren de Kerdrel parla, d'une façon bien inattendue, de ces hommes qui ont excité certaines couches sociales contre les classes dirigeantes, et il somma M. Gambetta de s'expliquer à la tribune. Celui-ci répondit, mais en termes très mesurés. Il venait, disait-il, limiter la pensée exprimée à Grenoble et faire justice de critiques qui ont fait de ce mot nouvelles couches sociales un drapeau de désordre. Son explication, toute empruntée aux réalités, était d'autant plus forte que, sans violence, elle exposait un fait indéniable : Il se passe tous les jours, dans le pays, dit-il, quelque chose de plus considérable qu'une révolution soudaine. Partout où, depuis soixante ans, dans les conseils généraux, on n'avait pu faire pénétrer une minorité appréciable d'hommes sortis des rangs du peuple, ayant ses aspirations, ses idées et ses espérances, presque partout, le suffrage universel a écarté des gens qui auraient pu rendre de réels services, s'ils avaient compris le rôle qui leur était offert de tuteurs, d'éducateurs et de guides du peuple. Le peuple lui-même s'est installé aux affaires, et c'est cette éclosion que, sous le nom de nouvelles couches sociales, fruit du suffrage universel, j'ai saluée à Grenoble.

Tocqueville n'eût été ni plus exact ni plus précis.

M. Gambetta se défendit d'être un partisan des théories niveleuses et un homme de désordre.

La réplique de M. Ernoul répondit aux sentiments de la droite qui l'applaudit. L'incident devait se renouveler bientôt.

M. Ernoul, garde des sceaux, présente, le 14 juillet, un projet de loi tendant à conférer à la commission de permanence, instituée en vertu de la constitution de 18A8, le droit d'autoriser la poursuite des délits d'offense commis contre l'Assemblée pendant sa prorogation. Le comte Jaubert soutient la motion d'urgence. M. Arago la combat. J'en demande pardon à l'honorable M. Arago, dit M. Jaubert, ce n'est pas la liberté de la tribune qu'il vient de défendre tout à l'heure, c'est la liberté du balcon appuyée sur les clubs et excitant des séditions.

Les mots la liberté du balcon, qui provoquent les bravos de la droite, visaient M. Gambetta. Il se défend. Il invoque la plus essentielle de toutes les libertés dans une démocratie : le droit de réunion, la liberté de propagande. Il se reporte à la coutume anglaise et se réclame du fair play.

La gauche tente un dernier effort avant les vacances. Une interpellation sur la politique générale du cabinet est déposée par M. Le Royer et soutenue, un peu à l'improviste, par M. Jules Favre, le 21 juillet. Le grand orateur, qui prenait pour la première fois la parole depuis qu'il avait quitté le ministère, fut inutilement éloquent. Il avait perdu son autorité, même sur la gauche.

Le duc de Broglie ne prononça que quelques phrases, pour constater l'échec et le vide d'une interpellation annoncée non sans fracas.

Un ordre du jour de confiance, présenté par le général Changarnier, le baron de Lamy et le duc d'Audiffret-Pasquier, est voté par 388 voix contre 263. Le gouvernement a 125 voix de majorité.

Deux jours après, le 23 juillet, le projet de loi de M. Ernoul, sur les pouvoirs de la commission de permanence, revient devant l'Assemblée. C'est la dernière grande journée de la session. Tandis que M. Brisson combat le projet en rappelant une loi de 1819, M. Dahirel s'écrie : — Rendez-nous le roi et nous vous donnerons les lois de la Restauration. — Quel roi ? s'écrie-t-on à gauche. M. Dahirel répond : — Nous aurons le roi sans vous et malgré vous. Au cours de l'incident, M. de Carayon-Latour avait dit : — Nous aurons le courage, je vous le garantis, de proposer la restauration au vole de l'Assemblée.

Ces imprudences pouvaient devenir dangereuses. Les plus sages avaient bite d'en finir. Le projet ne visait plus directement les réunions politiques et les discours prononcés, mais bien la reproduction de ces discours. Un des hommes les plus habiles de la droite, M. Lucien Brun, en défendant le projet, l'expliquait : Si vous dites à cette Assemblée qu'elle est morte, qu'elle attend le fossoyeur, ce sera une injure et il faut que les journaux qui la reproduiront puissent être poursuivis.

M. Gambetta, visé de nouveau dans le discours de M. Lucien Brun, voulut combattre cette loi ad hominem, comme il l'appela ; mais l'Assemblée ne le lui permit pas en votant la clôture de la discussion générale.

Sur l'article unique, M. Ernoul parla au nom du gouvernement. Sou discours excita sur les bancs de la droite le plus vif enthousiasme. Il était décidément l'orateur du cabinet : Magnifique langage, s'écria M. de Grammont ; c'est Berryer ses plus beaux moments. Le garde des sceaux réédita sa thèse de la ligue des gens de bien, dénonça comme imminent le péril démagogique et conclut par ces mots : Ce sont les républiques tyranniques et corrompues qui ont enfanté les Césars.

Le centre gauche crut devoir accorder aux gauches un gage d'union et de solidarité en donnant par la voix de M. Bethmont son adhésion à la campagne dissolutionniste.

Droit divin, autorité constituante, dissolution, les trois thèses sont en présence au moment où l'Assemblée se sépare.

 

V

Ce serait are injuste envers l'Assemblée que de borner son histoire au récit des débats consacrés à la crise politique et sociale que la France traversait alors. Parmi ces polémiques ardentes, elle ne perdit pas de vue l'œuvre de réédification et de réorganisation nationales. Les commissions travaillaient assidûment.

En séance, des projets de loi techniques furent utilement discutés, plusieurs devinrent des lois définitives : ainsi, la loi du 17 juin 1873 qui rétablissait, dans les conditions normales, le trafic par voie ferrée sur le réseau de l'Est ; la loi qui réglementait l'obtention des récompenses nationales ; la loi qui ordonnait la réédification de la colonne Vendôme. Il est vrai que la discussion et le vote du budget souffrirent quelque retard. Mais la session ne fut pas clôturée sans que l'Assemblée eût voté, en troisième lecture, cette loi du 24 juillet 1873 sur la réorganisation générale de l'armée, complément nécessaire de la loi du 27 juillet 1872 sur le recrutement.

Cette dernière loi mettait à la disposition de la défense nationale trois millions et demi d'hommes. Il fallait tirer parti de ces effectifs formidables, organiser l'armée et la préparer à son rôle. Le système du second empire, fixé par le décret du 27 janvier 1858, était insuffisant ; les leçons de la dernière guerre avaient démontré la grande importance de ce qu'on appelle la mobilisation, c'est-à-dire la préparation de longue haleine permettant de faire passer rapidement l'armée du pied de paix au pied de guerre et de la concentrer dans le moindre délai sur les frontières, grâce à une utilisation rationnelle du réseau des voies ferrées.

De même que, pour le recrutement, on avait adopté le régime prussien du service obligatoire et personnel, pour l'organisation de l'armée on emprunta à l'Allemagne le système des formations permanentes, d'après lequel l'armée prendrait, pour ainsi dire automatiquement, le pied de guerre par l'adjonction des réserves à l'armée active, le haut commandement et les cadres restant les mêmes.

Sous l'empire, la France était divisée en cinq régions et vingt et une circonscriptions militaires, n'ayant aucun rapport avec les formations des temps de guerre, mais déterminées par des raisons politiques et selon les capacités municipales de casernement.

La loi du 24 juillet 1873 divise le territoire de la France, pour l'organisation de l'armée active, de la réserve de l'armée active, de l'armée territoriale et de sa réserve, en dix-huit régions, et chaque région en huit subdivisions de régions. Une région est occupée par un corps d'armée qui y tient garnison. Un corps d'armée spécial est, en outre, affecté à l'Algérie.

Chacun des corps d'armée des dix-huit régions comprend deux divisions d'infanterie, une brigade de cavalerie, une brigade d'artillerie, un bataillon du génie, un escadron du train des équipages militaires, ainsi que les états-majors et les services annexes.

Le corps d'armée est organisé, d'une manière permanente, en divisions et en brigades.

Le corps d'armée, ainsi que toutes les troupes qui le composent, sont pourvus en tout temps du commandement, des états-majors et de tous les services administratifs et auxiliaires qui leur sont nécessaires pour entrer en campagne.

Toute région possède des magasins généraux d'approvisionnements qui renferment les armes, munitions et effets de toute nature destinés aux diverses armes entrant dans la composition du corps d'armée.

Le matériel de guerre des troupes et des services est constamment prêt et emmagasiné à leur portée.

L'armée active se recrute sur l'ensemble du territoire de la France. A la mobilisation, les effectifs des corps de troupes et les services de chaque corps d'armée se complètent avec les militaires de la disponibilité et de la réserve domiciliés dans la région ; en cas d'insuffisance, avec ceux des régions voisines.

Les emplois créés en vue de la mobilisation ont, en tout temps, leurs titulaires désignés. Les officiers auxiliaires sortant des écoles polytechnique et forestière, les sous-officiers anciens engagés conditionnels d'un an, les sous-officiers de l'armée active passés dans la réserve sont d'avance affectés aux corps de la région.

Dans chaque région, le général commandant le corps d'armée a autorité sur le territoire, sur toutes les forces actives et territoriales, sur les services et établissements militaires affectés à ces forces. Le service d'état-major, dirigé par son chef d'état-major général, est divisé en section active et en section territoriale. Le service de recrutement de la région est centralisé par cette dernière.

Le commandant du corps d'armée a aussi près de lui, et sous ses ordres, le directeur des services administratifs et celui du service de santé. Il veille à ce que toutes les mesures de mobilisation soient constamment arrêtées. En cas de mobilisation, il marche avec ses troupes : il est alors remplacé, dans le commandement de la région, par un officier général désigné par le ministre. En temps de paix, il ne peut conserver son commandement que pendant trois ans au plus, à moins qu'il ne soit maintenu par un décret spécial rendu en conseil des ministres.

La réquisition des chevaux, mulets et voitures, toujours préparée à l'avance, est ordonnée, s'il y a lieu, par un décret du président de la République et effectuée moyennant payement d'une juste indemnité[19].

Les compagnies de chemins de fer, l'administration des télégraphes se tiennent aussi à la disposition du ministre de la guerre.

L'instruction des troupes de toutes armes se termine chaque année par des manœuvres de brigade, de division, et, quand les circonstances le permettent, de corps d'armée.

De même que l'armée active, l'armée territoriale a, en tout temps, ses cadres entièrement constitués, mais son effectif permanent et soldé ne comprend que le personnel nécessaire à l'administration, à la tenue des contrôles, à la comptabilité et à la préparation des mesures qui ont pour objet l'appel à l'activité des hommes de cette armée. Ce personnel est rattaché, pour l'infanterie, aux bureaux de recrutement des subdivisions régionales : pour les autres armes, au bureau de l'officier supérieur qui centralise le service de recrutement de la région.

L'armée territoriale est formée des hommes domiciliés dans la région. Sa réserve n'est appelée à l'activité qu'en cas d'insuffisance des ressources. Les cadres des troupes et des services sont recrutés : pour les officiers et fonctionnaires, parmi les officiers et fonctionnaires démissionnaires ou en retraite des armées de terre et de mer, parmi les engagés conditionnels d'un an brevetés officiers auxiliaires ou brevetés sous-officiers, qui ont passé un examen déterminé par le ministre de la guerre : pour les sous-officiers et employés, parmi les anciens sous-officiers et employés de la réserve et engagés conditionnels brevetés sous-officiers ou, encore, parmi les anciens caporaux et brigadiers reconnus aptes.

La formation des corps de l'armée territoriale a lieu par subdivision de région pour l'infanterie ; sur l'ensemble de la région pour les autres armes.

A la mobilisation, l'armée territoriale serait affectée à la garnison des places fortes, postes, lignes d'étapes,  défense des côtes, points stratégiques, et même formée en brigades, divisions et corps d'armée destinés à tenir campagne ; enfin, ses corps de troupe peuvent être détachés pour faire partie de l'armée active. Formée en divisions et corps d'année, elle est pourvue d'états-majors, de services administratifs, sanitaires et auxiliaires spéciaux.

Une difficulté se présentait. La nouvelle organisation entrainait l'augmentation du nombre des régiments (dix-huit régiments d'infanterie, quatorze de cavalerie et huit régiments d'artillerie) ; l'Assemblée nationale n'ayant pas volé les crédits nécessaires à l'accroissement de l'effectif global, on détacha de chacun des sept régiments d'infanterie existants, par unité de compagnie, les éléments nécessaires à la création du huitième régiment dont devaient se composer les quatre brigades de chaque corps d'armée. On employa un système analogue pour la cavalerie et l'artillerie. En attendant le vote des crédits du budget de 1874, les cadres étaient ainsi préparés pour la pleine et rapide exécution de la loi[20].

On forma également six divisions de cavalerie indépendante, auxquelles on adjoignit des batteries d'artillerie à cheval. Sur les bataillons de chasseurs à pied, dix-huit étaient répartis à raison d'un par corps d'armée ; les douze autres étaient destinés à servir sur les frontières.

Enfin, les décrets des 28 et 29 septembre 1873 prononcèrent la dissolution de l'armée de Versailles, créèrent dix-huit corps d'armée, nommèrent leurs commandants. Ces derniers furent, dans l'ordre des numéros de corps d'armée : les généraux Clinchant, Montaudon, Lebrun, Deligny, Bataille, Félix Douay, d'Aumale, Ducrot, de Cissev, Forgeot, Lallemand, de Lartigue, Picard, Bourbaki, Espivent de la Villeboisnet, Aymard, de Salignac-Fénelon et d'Aurelle de Paladines. Le général Chanzy, gouverneur civil de l'Algérie, était aussi commandant du 19e corps d'armée. Le général Ladmirault est nommé gouverneur de Paris. Le général Bourbaki est commandant du corps et gouverneur militaire de Lyon.

Pour compléter la nouvelle organisation militaire, il restait à statuer sur la constitution des cadres et des effectifs des diverses unités de l'armée active et de l'armée territoriale. Ce fut l'objet des lois des 13 mars et 15 décembre 1875.

 

Le mardi 29 juillet, l'Assemblée partit en vacances. Elle s'était prorogée jusqu'au 5 novembre.

Au moment de la séparation, deux documents également importants avaient plaidé, devant le pays, la cause du gouvernement et celle de l'opposition. D'une part, le vice-président du conseil avait lu, en séance, un message du président de la République.

Le maréchal donnait d'abord à l'Assemblée l'assurance que rien en l'absence de celle-ci ne compromettrait l'ordre public, et que son autorité légitime serait partout respectée.

Il se félicitait de voir le ministère soutenu par une forte majorité et rappelait les effets importants de cet accord, notamment le vote de la loi sur la réorganisation de l'armée. Il annonçait la fin prochaine de l'occupation étrangère.

Mon prédécesseur, ajoutait le message, a puissamment contribué par d'heureuses négociations à la préparer. Vous l'avez aidé dans sa tache en lui prêtant un concours qui ne lui a jamais fait défaut, et en maintenant une politique prudente et ferme qui a permis au développement de la richesse publique d'effacer rapidement les traces de nos désastres. Enfin, ce sont nos laborieuses populations surtout qui ont hâté elles-mêmes l'heure de leur libération par leur empressement à se résigner aux plus lourdes charges.

La France, dans ce jour solennel, témoignera sa reconnaissance à tous ceux qui l'ont servie ; mais, dans l'expression de sa joie patriotique, elle gardera la mesure qui convient à sa dignité, et elle réprouverait, j'en suis sûr, des manifestations bruyantes, peu conformes aux souvenirs qu'elle conserve des sacrifices douloureux que la paix a coûtés.

La fin du message était consacrée à l'apologie de la paix et à l'affirmation des rapports de sincère amitié existant avec toutes les puissances.

Pas un mot des institutions existantes, des lois constitutionnelles ni des sujets brûlants qui, à ce même moment, étaient l'objet de toutes les préoccupations. On pensait pourtant que les vacances qui s'ouvraient ne se termineraient pas sans qu'on eût décidé de l'avenir du pays. Mais il n'était pas utile de le mettre dans la confidence.

L'autre document était un manifeste des groupes de gauche.

Ici, naturellement, toutes les questions délicates étaient traitées sans réticence. On avait besoin de l'opinion : on s'efforçait de la tenir en haleine. Les députés de la gauche affirmaient qu'à la suite de la journée du 2h mai, l'esprit républicain, mis à l'épreuve, s'était affermi dans toute la France. Ils se déclaraient prêts à user de tous les moyens que leur assure la loi pour lutter contre tous les fauteurs de la restauration. On prenait acte solennellement des engagements du président de la République. C'est avec une parfaite sécurité, avec une confiance réelle dans la loyauté des déclarations du premier magistrat de la République que les représentants de l'Union républicaine se rendent auprès de leurs commettants.

On insistait de nouveau sur la nécessité politique de la dissolution de l'Assemblée. Un peu prématurément sans doute, on annonçait l'échec des tentatives de fusion monarchique. On arguait des élections partielles qui avaient déjà eu lieu ; on escomptait le succès de celles qui permettraient bientôt à plus de deux millions de Français de juger la politique du 24 mai, ses résultats et ses tendances. 

Enfin, le manifeste visait, comme le message, la fin prochaine de l'occupation étrangère. Les députés de l'Est ont été chargés par l'Union républicaine de transmettre à leurs compatriotes l'expression d'admiration, de sympathie, de solidarité que tous les membres éprouvent pour eux, en regrettant toutefois que ce grand événement de la libération du territoire n'ait pu coïncider, par suite de l'état de siège, avec des mesures d'apaisement et de clémence. 

 

VI

La convention du 15 mars 1873 fixait le début de l'évacuation des quatre départements encore occupés (Ardennes, Vosges, Meurthe-et-Moselle et Meuse), à l'exception de Verdun, aussitôt après le payement de la moitié du dernier milliard de l'indemnité. Celui-ci, on le sait, était payable par quart : les 5 juin, 5 juillet, 5 août et 5 septembre.

Vers le milieu de juin, reprenant un peu tardivement une négociation entamée par M. Thiers, le cabinet français offrit à l'Allemagne 268 millions en or, dont elle avait besoin pour une émission de la nouvelle monnaie de l'empire, contre la libération simultanée des départements de l'Est, c'est-à-dire l'abandon du gage de Verdun. M. de Gontaut-Biron fit cette proposition à M. de Bismarck, qui refusa[21].

On se borna donc à exécuter les clauses de la convention du 15 mars 1873.

Les deux versements des 5 juin et 5 juillet ayant été régulièrement effectués, la libération commença dès cette dernière date, par l'expédition des bagages, du matériel et des ambulances.

Des discussions énervantes, des détails pénibles avaient rendu la situation de plus en plus difficile. Les populations, les troupes d'occupation, les agents officiels, tous aspiraient, avec une impatience parfois dangereuse, à la fin de cette période délicate. Le général de Manteuffel et le comte de Saint-Vallier s'employaient à éviter les complications. Mais eux-mêmes étaient à bout. Peu avant la libération, le 15 juillet, un incident s'était produit à Nancy qui révélait l'état des esprits et qui eût pu avoir les suites les plus graves : au cours d'une promenade à cheval, M. de Manteuffel fut croisé par une diligence, dont le conducteur toucha du fouet le cheval du général. L'auteur de l'agression fut immédiatement l'objet de poursuites et le général de Manteuffel, non sans humeur, se satisfit de cette réparation[22].

Heureusement, le 5 août, la ville de Nancy, qui avait été, pendant deux ans, la capitale de l'occupation allemande, devait être libérée[23].

Ce jour-là, avant l'assemblée des troupes allemandes, des ouvriers grimpent sur la frise de la porte Stanislas et apprêtent des supports pour y placer des drapeaux. Mêmes préparatifs à l'Hôtel de Ville.

Le marteau de l'horloge de l'Hôtel de Ville frappe le premier coup de six heures : le général de Manteuffel, à cheval et en tenue de route, est à l'angle de la rue Sainte-Catherine ; il lève l'épée, donnant ainsi le signal du départ. Une foule silencieuse attendait. Trois hourras retentissent : les troupes allemandes s'ébranlent, défilent devant le général en chef et prennent la route de l'Est.

Maintenant, la rentrée des troupes et des autorités françaises :

A six heures et demie, dit un témoin oculaire, les gendarmes mobiles occupent le poste de l'Hôtel de ville et la caserne Sainte-Catherine. M. Bernard, maire, arbore au balcon de l'Hôtel de Ville le drapeau tricolore. Au même moment, à toutes les maisons, à toutes les fenêtres apparaît le drapeau de la France, caché depuis trois ans. L'émotion est grande ; chacun se serre la main et semble se retrouver après une longue séparation. Les trois couleurs sont étalées partout ; on porte des cocardes, des cravates tricolores. Les voitures, les chevaux, les chiens même en ont sur la tête ; c'est un vrai délire[24].

Toute la journée, les habitants circulent dans les rues, lisant les inscriptions que portent les drapeaux : Alsace-Lorraine ! Metz ! Strasbourg ! honneur à M. Thiers, libérateur du territoire ! Au petit bourgeois ! Au grand citoyen ! Vive la France ! A Thiers le libérateur ! Vive la République ! honneur et reconnaissance à M. Thiers ! Espoir ! etc. Des drapeaux lorrains se mêlent, çà et là, aux drapeaux nationaux dont plusieurs, surtout ceux qui portent les mots Metz, Strasbourg et Alsace, ont des crêpes à la hampe.

Il en fut ainsi dans toutes les villes successivement évacuées. Verdun reste la dernière des cités françaises aux mains de l'armée d'occupation.

Le 5 septembre 1873, la France avait payé jusqu'au dernier centime la lourde charge que lui avait imposée le vainqueur. Elle s'était ainsi libérée près d'un an avant la date fixée par les traités[25].

On craignait que le prince de Bismarck ne retardât encore, au dernier moment, l'évacuation de Verdun. Il se plaignit vivement des minuties de la commission mixte de Strasbourg, dont la tâche était cependant des plus ardues, et déclara qu'il subordonnerait le départ des troupes allemandes au règlement de toutes les difficultés pendantes entre les deux gouvernements. Il faut, écrivait-il, à M. de Manteuffel, que ce soit fini pour que les conditions de la paix soient remplies. Sans autres intentions agressives, le chancelier n'était pas fâché de gêner le gouvernement français par un peu d'exigence et de le tenir en inquiétude[26].

Le duc de Broglie donna l'ordre aux commissaires français de se mettre promptement d'accord avec leurs collègues allemands pour la liquidation de la commission. Une entente intervint, le 6 septembre, sur le 'règlement du deuxième compte de liquidation : la France aurait à verser à l'Allemagne un reliquat de 2.900.000 francs ; cette somme serait payée, le 15 septembre, en billets de banque. Les commissaires signèrent enfin le protocole de clôture. Il n'y avait plus à régler que les remboursements à effectuer aux communes pour réquisitions faites par les états-majors allemands pendant la guerre. Là encore, grâce à la bonne volonté du général de Manteuffel, on transigea ; il fut convenu que la caisse de l'arillée d'occupation paierait immédiatement les réclamations régulièrement produites et que celles qui se produiraient ensuite resteraient à la charge de la France. Le général de Manteuffel versa de ce chef, à la recette particulière des finances de Verdun, une somme d'environ deux millions.

Enfin, le 8 septembre, le mouvement définitif de retrait des troupes allemandes commençait[27].

Verdun fut évacué le 13.

Il est huit heures et demie ; tous les magasins sont fermés ; la ville semble encore endormie : mais, à l'intérieur de chaque maison, on est debout, on attend un signal. Bientôt un bruit sourd, comme celui d'une armée en marche, roule de la Roche au travers de nos rues vers la Porte-Chaussée. Ce sont les Prussiens qui s'en vont !

Les dernières files de leur colonne pesaient encore de leurs pas lourdement cadencés sur le pont-levis, que le drapeau national était hissé au sommet d'une des tours de la cathédrale dont les grosses cloches sonnent au même instant, à toute volée, l'heure de la délivrance que répètent toutes les cloches de la ville.

C'était le signal attendu. Chaque maison se pavoise, comme si une seule main arborait en même temps ces milliers de drapeaux qui livrent au vent leurs plis tricolores.

Les fenêtres, les magasins, les portes s'ouvrent, la foule se précipite dans la rue ; on se félicite, on se serre la main. Ils sont partis ; enfin ! La gendarmerie mobile les remplace aux portes...

Quelques heures après, arrivent l'état-major et deux bataillons du 94e de ligne.

A 11 h. 45, un train spécial entre en gare : les soldats français paraissent aux portières des wagons : un frémissement indescriptible court dans toute la foule. Les soldats descendus se rangent lestement en bataille devant la gare. Le drapeau du régiment se déploie. Un formidable cri de : Vive la France ! s'échappe de toutes les poitrines. L'émotion est à son comble : des larmes coulent, de bien des veux. Un bouquet offert par les dames de la ville au vaillant colonel Isnard est attaché par lui à la hampe du drapeau.

A la porte de France, le gendarme en faction marche, jusqu'à l'avancée, au-devant du régiment. Halte-là ! Qui vive ?France !Quel régiment ?94eEntrez quand il vous plaira. — Depuis trois ans, nous n'avions pas entendu ce court dialogue ![28]

Le 16 septembre, à la première heure, six jours avant l'expiration des quinze fixés par le traité, le général de Manteuffel sortait de France avec le reste des troupes d'occupation. Un peu plus loin que les villages de Jarny et de Conflans flottait au poteau-frontière le drapeau français. Le général le salua de l'épée et rentra en Allemagne.

Le lendemain, le Journal officiel publiait en tête de sa partie non officielle la communication suivante : Versailles, 16 septembre : Conflans et Jarny, dernières localités occupées, ont été évacuées ce matin à sept heures. A neuf heures, les troupes allemandes ont franchi la frontière. Le territoire est entièrement libéré.

L'ennemi avait occupé pendant trois ans le sol de la France.

 

 

 



[1] J.-J. WEISS, Combat constitutionnel (p. 85).

[2] En même temps que gouverneur général, Chanzy était nommé commandant des forces de terre et de mer. Sous son prédécesseur, ces fonctions étaient séparées. On revenait au système du gouverneur militaire. — Cf. J.-M. VILLEFRANCHE, Histoire du général Chanzy (p. 291).

[3] A cette occasion, la légation de France en Suisse fut transformée en ambassade.

[4] Cette parole visait M. Gambetta. — Voir les dépêches de M. de Saint-Vallier et les lettres de M. de Gontaut-Biron dans Libération du territoire (t. II, pp. 36, 60, 73, 78, 82, 89, 99, 121, 130, 134, 206, 215, 271, 395, 303). — Cf. duc DE BROGLIE, La Mission de M. de Gontaut-Biron à Berlin (p. 110). — Sur la pensée du prince de Bismarck, voir sa dépêche du 20 décembre 1872 au comte d'Arnim. (Documents du Procès d'Arnim.) — Le 3 juin 1873, le chancelier allemand télégraphiait à l'ambassadeur d'Allemagne à Paris : Votre Excellence a su gagner ici une influence — auprès de l'empereur — qui ne m'a pas permis de lui donner l'injonction positive de jeter, en faveur de M. Thiers, tout le poids de notre politique dans la balance, et c'est en grande partie grâce à cette circonstance, Votre Excellence ne pourra pas le méconnaître, que le changement de gouvernement a pu s'effectuer aisément et sans avoir été combattu.

[5] Quelque temps après, par décret du 9 août 1873, M. Ernest Pascal fut nommé préfet de la Gironde.

[6] M. Turigny fut réélu, le 12 octobre, dans la Nièvre, avec 39.872 voix, contre 28.253 données à son concurrent conservateur.

[7] A. DE MARGERIE, 1873. Page d'histoire contemporaine (p. 4).

[8] VINOLS, Mémoires (p. 139).

[9] Mgr BAUNARD, Histoire du Cardinal Pie (t. II, p. 408).

[10] SAINT-VALRY, Souvenirs et réflexions politiques (t. I, p. 154).

[11] A. DE SAINT-ALBIN, Histoire d'Henri V (p. 129).

[12] Abbé ROUQUETTE, Paray-le-Monial, Compte rendu du pèlerinage du 20 juin 1873, Paris, 1873 (p. 75).

[13] A. DE SAINT-ALBIN (p. 393).

[14] CHESNELONG, La campagne monarchique d'octobre 1873, avant-propos.

[15] Voir sur ce point A. DE SAINT-ALBIN, Histoire d'Henri V (p. 392).

[16] L'idée avait été émise dans un sermon du P. de Boylesve, de la compagnie de Jésus, prononcé le 17 octobre 1870, au courent de la Visitation, au Mans. Ce sermon fut répandu à 200.000 exemplaires. L'un d'eux tomba entre les mains de M. Legentil, membre du conseil général de la société de Saint-Vincent-de-Paul, réfugié à Poitiers pendant la guerre. Il obtint l'appui de Mgr Pie et, dès le mois de janvier 1871, le projet d'ériger à Paris, par souscription publique, un monument voué au Sacré- Cœur fut lancé par une publication religieuse très répandue : le Messager du Sacré-Cœur. — P. Victor ALET, La France et le Sacré-Cœur (p. 319). — Le projet obtint la bénédiction pontificale le 11 février 1871. — V. aussi PAGUELLE DE FOLLENAY, Vie du cardinal Guibert (t. II, pp. 589 et suivantes).

Un comité fut formé dont les premiers adhérents furent : MM. Beluze, fondateur du cercle catholique du Luxembourg ; Baudon, président général des conférences de Saint-Vincent-de-Paul ; Rohault de Fleury, Léon Cornudet, etc.

[17] Vicomte DE MEAUX, Souvenirs politiques, Correspondant du 10 octobre 1902 (p. 12).

[18] Comte DE FALLOUX, Mémoires d'un royaliste (t. II, p. 352).

[19] Une loi du 1er août 1874, complétant les articles 5 et 25 de la loi du 24 juillet 1873, organisa la conscription des chevaux.

[20] Général DU BARAIL, Mes Souvenirs (t. III, p. 464).

[21] J. VALFREY, Histoire du Traité de Francfort (t. II, pp. 197-198). — V. aussi Henri DONIOL, La Libération du Territoire (pp. 396 et suivantes), sur les causes qui empêchèrent d'aboutir, après le 24 mai, l'évacuation anticipée de Verdun (5 août au lieu du 15 septembre).

[22] L'incident de la diligence s'était produit à cinq heures du soir. A sept heures, par un de ces crayons en lignes descendantes tels qu'il les écrivait à ses correspondants, M. de Manteuffel remerciait le préfet, M. Doniol, des ordres de répression immédiatement donnés et il ajoutait : Croyez que tout ce qui m'arrive personnellement me désarme autant que c'est possible... J'aurais voulu écrire de cet incident au comte de Saint-Vallier ce soir, mais comme c'est un détail, je ne voudrais pas lui gâter sa nuit, connaissant sa sensibilité. Cette affaire n'aura pas de suite. — V. Henri DONIOL, La Libération du territoire (p. 410).

Quelques jours auparavant, le général avait fait offrir à la municipalité nancéenne 20.000 francs pour l'entretien des tombes allemandes érigées dans le cimetière de la ville. Le maire avait répondu que les morts n'avaient pas de nationalité et qu'il se chargerait du soin des tombes allemandes à l'égal des autres du cimetière public. Touché de ce procédé, le général offrit 20.000 francs aux hospices, en ajoutant le mobilier des écoles régimentaires et celui de l'aumônerie de l'armée d'occupation. La Société de protection des Alsaciens-Lorrains publia une lettre disant que si cette offre était acceptée, elle remettrait au maire de Nancy une somme égale destinée aux pauvres de Metz. M. de Manteuffel se montra froissé ; des officiers manifestaient assez vivement leur irritation. Le maire de Nancy ayant refusé publiquement le don de la Société des Alsaciens-Lorrains, l'émoi s'apaisa bientôt.

[23] Le 5 août, le Trésor avait effectué aux caisses du gouvernement allemand le versement de la somme de 250 millions, représentant le troisième quart du cinquième milliard de l'indemnité de guerre.

[24] Oswald LEROY, Nancy au jour le jour.

[25] Voir la note publiée, au sujet de ce versement, par le Journal officiel du 9 septembre 1873.

[26] Lettres de M. DE SAINT-VALLIER au duc DE BROGLIE, des 5 et 10 septembre. — V. H. DONIOL (pp. 416 et 417).

[27] VALFREY (pp. 211-213).

[28] Oswald LEROY, Nancy au jour le jour.