THERMIDOR

 

CHAPITRE QUATRIÈME.

 

 

Situation de la République en Thermidor. — Participation de Robespierre aux affaires. — La pétition Magenthies. — Plaintes des amis de Robespierre. — Joseph Le Bon et Maximilien. — Tentatives pour sortir de la Terreur. — Comment on est parvenu à noircir Robespierre. — Les deux amis de la liberté. — Le rapport du représentant Courtois. — Cri de Choudieu. — Les fraudes thermidoriennes. — Une lettre de Charlotte Robespierre. — Question de l'espionnage.

 

I

Avant de commencer le récit du drame où succomba l'homme dont le malheur et la gloire sont d'avoir entraîné dans sa chute les destinées de la Révolution, arrêtons-nous un moment pour contempler ce qui fut si grand ; voyons l'œuvre des quatorze mois qui viennent de s'écouler, et comparons ce qu'était devenue la République dans les premiers jours de thermidor avec ce qu'elle était quand les hommes de la Montagne la prirent, défaillante et bouleversée, des mains de la Gironde.

A l'intérieur, les départements, soulevés l'année précédente par les prédications insurrectionnelles de quelques députés égarés, étaient rentrés dans le devoir ; de gré ou de force, la contre-révolution avait été comprimée dans le Calvados, à Bordeaux, à Marseille ; Lyon s'était soumis, et Couthon y avait paru en vainqueur modéré et clément ; Toulon, livré à l'ennemi par la trahison d'une partie de ses habitants, avait été repris aux Anglais et aux Espagnols à la suite d'attaques hardies dans lesquelles Robespierre jeune avait illustré encore le nom si célèbre qu'il portait ; la Vendée, victorieuse d'abord, et qui, au bruit de ses succès, avait vu accourir sous ses drapeaux tant de milliers de combattants, était désorganisée, constamment battue, réduite aux abois, et à la veine de demander grâce.

Sur nos frontières et au dehors, que de prodiges accomplis ! Où est le temps où les armées.de la coalition étaient à peine à deux journées de la capitale ? Les rôles sont bien changés. D'envahissante, l'Europe est devenue envahie ; partout la guerre est rejetée sur le territoire ennemi. Dans le Midi, Collioure, Port-Vendres, le fort Saint-Elme et Bellegarde, sont repris et nos troupes ont mis le pied en Espagne. Au Nord, Dunkerque et Maubeuge ont été sauvées ; les alliés ont repassé la Sambre en désordre après la bataille de Wattignies ; Valenciennes, Landrecies, Le Quesnoy, Condé, ont été repris également ; enfin, sous les yeux de Saint-Just, nos troupes se sont emparées de Charleroi et ont gagné la bataille de Fleurus, qui va nous rendre la Belgique. Un port manquait à la sûreté de nos flottes, Ostende est à nous. A l'Est, grâce encore, en grande partie, aux efforts énergiques de Saint-Just, et de Le Bas, Landau a été débloqué, les lignes de Wissembourg ont été recouvrées ; déjà voici le Palatinat au pouvoir de nos armes ; la France est à la veille d'être sur tous les points circonscrite dans ses limites naturelles,

Etait-ce l'esprit de conquête qui animait le grand cœur de la République ? Non certes ; mais, exposée aux agressions des Etats despotiques, elle avait senti la nécessité de s'enfermer dans des positions inexpugnables et de se donner des frontières faciles à garder : l'Océan d'une part, les Pyrénées, les Alpes et le Rhin de l'autre.

Le comité de Salut public, dans sa sagesse, n'entendait pas révolutionner les peuples qui se contentaient d'assister indifférents au spectacle de nos luttes intérieures et extérieures. Nous ne devons point nous immiscer dans l'administration de ceux qui respectent la neutralité, écrivait-il, le 22 pluviôse an II (10 février 1794), au représentant Albite. Force Implacabilité aux tyrans qui voudraient nous dicter des lois sur les débris de la liberté ; franchise, fraternité aux peuples amis. Malheur à qui osera porter sur l'arche de notre liberté un bras sacrilège et profanateur, mais laissons aux autres peuples le soin de leur administration intérieure. C'est pour soutenir l'inviolabilité de ce principe que nous combattons aujourd'hui. Les peuples faibles se bornent à suivre quelquefois les grands exemples, les peuples forts les donnent, et nous sommes forts. Ce langage, où semble se reconnaître l'âpre et hautain génie de Saint-Just, n'était-il pas celui de la raison même[1] ?

Pour atteindre les immenses résultats dont nous avons-rapidement tracé le sommaire, que d'efforts gigantesques, que d'énergie et de vigilance il fallut déployer ! Quatorze armées organisées, équipées et nourries au milieu des difficultés d'une véritable disette, notre marine remontée et mise en état de lutter contre les forces de l'Angleterre, tout cela atteste suffisamment la prodigieuse activité des membres du comité de Salut public.

Lorsque, après Thermidor, les survivants de ce comité eurent, pour se défendre, à dresser le bilan de leurs travaux, ils essayèrent de ravir à Robespierre sa part de gloire, en prétendant qu'il n'avait été pour rien dans les actes utiles émanés de ce comité, notamment dans ceux relatifs à la guerre, et Carnot ne craignit pas de s'associer à ce mensonge, au risque de ternir la juste considération attachée à son nom. Robespierre, Couthon, Saint-Just n'étaient plus là pour confondre l'imposture ; heureusement le temps est passé où l'histoire des vaincus s'écrivait avec la pointe du sabre des vainqueurs.

Nous avons prouvé ailleurs avec quelle sollicitude Maximilien s'occupa toujours des choses militaires. Ennemi de la guerre en principe, il la voulut poussée à outrance pour qu'elle fût plus vite terminée ; mais sans cesse il s'efforça de subordonner l'élément militaire à l'élément civil, le premier ne devant être que l'accessoire dans une nation bien organisée. Tant qu'il vécut, pas un général ne fut pris de l'ambition du pouvoir et n'essaya de se mettre au-dessus des autorités constituées. Quand ils partaient, nos volontaires de 92, à la voix des Robespierre et des Danton, ce n'était point le bâton de, maréchal qu'ils rêvaient, c'était le salut, le triomphe de la République, puis le prochain retour au foyer.

Quelle était donc la perspective que Robespierre montrait à nos troupes dans les lettres et proclamations adressées par lui aux officiers et aux soldats, et dont nous avons pu donner quelques échantillons ? Etait-ce la gloire militaire, mot vide et creux quand il ne se rattache pas directement à la défense du pays ? Non, c'était surtout la récompense que les nobles cœurs trouvent dans-la seule satisfaction du devoir accompli. Et à cette époque le désintéressement était grand parmi les masses. Comment oser révoquer en doute les constants efforts de Maximilien pour hâter le moment du triomphe définitif de la République ? Plus d'une fois ses collègues du comité de Salut public se servirent de lui pour parler aux généraux et aux représentants du peuple en mission près les armées le langage mâle et sévère de la patrie. Il s'attacha surtout à éteindre les petites rivalités qui, sur plusieurs points, s'élevèrent parmi les commissaires de la Convention. Amis, écrivait-il en nivôse à Saint-Just et à Le Bas, à propos de quelques discussions qu'ils avaient eues avec leurs collègues J.-B. Lacoste et Baudot, j'ai craint, au milieu de nos succès, et à la veille d'une victoire décisive, les conséquences funestes d'un malentendu ou d'une misérable intrigue. Vos principes et vos vertus m'ont rassuré. Je les ai secondés autant qu'il était en moi. La lettre que le comité de Salut public vous adresse en même temps que la mienne vous dira le reste. Je vous embrasse de toute mon âme[2]. Un peu plus tard, il écrivait encore à ces glorieux associés de sa gloire et de son martyre : Mes amis, le comité a pris toutes les mesures qui dépendaient de lui dans le moment pour seconder votre zèle ; il me charge de vous écrire pour vous expliquer les motifs de quelques-unes de ces dispositions ; il a cru que la cause principale du dernier échec était la pénurie de généraux habiles ; il vous adressera les militaires patriotes et instruits qu'il pourra découvrir. Puis, après leur avoir annoncé l'envoi du général Stetenofer, officier apprécié pour son mérite personnel et son patriotisme, il ajoutait : Le comité se repose du reste sur votre sagesse et sur votre énergie[3]. On voit avec quel soin, même dans une lettre particulière adressée à ses amis intimes, Robespierre s'effaçait devant le comité de Salut public ; et l'on sait si Saint-Just et Le Bas ont justifié la confiance dont les avait investis le comité.

Maintenant, — toutes concessions faites aux nécessités de la défense nationale — que Robespierre ait eu la guerre en horreur, qu'il l'ait considérée comme une chose antisociale, antihumaine, qu'il ait eu pour les missionnaires armés une invincible répulsion, c'est ce dont témoigne la lutte ardente soutenue par lui contre les partisans de la guerre offensive. Les batailles où coulait à flots le sang des hommes n'étaient pas à ses yeux de bons instruments de civilisation. Si les principes de la Révolution se répandirent en Europe, ce ne fut point par la force des armes, comme le prétendent certains publicistes, ce fut par la puissance de l'opinion. Ce n'est ni par des phrases de rhéteur, ni même par des exploits guerriers, que nous subjuguerons l'Europe, disait Robespierre, mais par la sagesse de nos lois, la majesté de nos délibérations et la grandeur de nos caractères[4].

Les nations, tout en combattant, s'imprégnaient des idées nouvelles et tournaient vers la France républicaine de longs regards d'envie et d'espérance. Nos interminables courses armées à travers l'Europe ont seules tué l'enthousiasme révolutionnaire des peuples étrangers et rendu au despotisme la force et le prestige qu'il avait perdus. Si Robespierre engageait vivement ses concitoyens à se méfier de l'engouement militaire, s'il avait une très médiocre admiration pour les carmagnoles de son collègue Barère, si, comme Saint-Just, il n'aimait pas qu'on fit trop mousser les victoires, c'est qu'il connaissait l'ambition terrible qui d'ordinaire sollicite les généraux victorieux, c'est qu'instruit par les leçons de l'histoire, il savait avec quelle facilité les peuples se jettent entre les mains d'un chef d'armée habile et heureux, c'est qu'il savait enfin que la guerre est une mauvaise école de liberté ; voilà pourquoi il la maudissait. Quel sage, quel philosophe, quel véritable ami de la liberté et de l'humanité ne lui en saurait gré ?

Si nous examinons la situation intérieure, que de progrès accomplis ou à la veille de l'être i Tous les anciens privilèges blessants pour l'humanité, toutes les tyrannies seigneuriales et locales avec le despotisme monarchique au sommet — en un mot l'œuvre inique de quatorze siècles — détruits, anéantis, brisés. Les institutions les plus avantageuses se forment ; l'instruction de la jeunesse, abandonnée ou livrée aux prêtres depuis si longtemps, est l'objet de la plus vive sollicitude de la part de la Convention ; des secours sont votés aux familles des défenseurs de la République ; de sages mesures sont prises pour l'extinction de la mendicité ; le code civil se prépare et se discute ; enfin une Constitution, où le respect des droits de l'homme est poussé aux dernières limites, attend, pour être mise à exécution, l'heure où, débarrassée de ses ennemis du dedans et du dehors, la France victorieuse pourra prendre d'un pas sûr sa marche vers l'avenir, vers le progrès. Contester à Robespierre la part immense qu'il eut dans ces glorieuses réformes, ce serait nier la lumière du jour. Au besoin, ses ennemis mêmes stipuleraient pour lui. Ne sentiez-vous donc pas que j'avais pour moi une réputation de cinq années de vertus... que j'avais beaucoup servi à la Révolution par mes discours et-mes écrits ; que j'avais, en marchant toujours dans la même route à coté des hommes les plus vigoureux, su m'élever un temple dans le cœur de la plus grande partie des gens honnêtes... lui fait dire, comme contraint et forcé, un de ses plus violents détracteurs[5].

Cet aveu de la part d'un pamphlétaire hostile est bien précieux à enregistrer. Robespierre, en effet, va mourir en cette année 1794, fidèle à ses principes de 1789 ; et ce ne sera pas sa moindre gloire que d'avoir défendu sous la Convention les vérités éternelles dont, sous la Constituante, il avait été le champion le plus assidu et le plus courageux. Il était bien près de voir se réaliser ses vœux les plus chers ; encore un pas, encore un effort, et le règne de la justice était inauguré, et la République était fondée. Mais il suffit de l'audace de quelques coquins et du coup de pistolet d'un misérable gendarme pour faire échouer la Révolution au port, et peut-être ajourner à un siècle son triomphe définitif.

 

II

Revenons à la lutte engagée entre Robespierre et les membres les plus gangrenés de la Convention ; lutte n'est pas le mot, car de la part de ces derniers il n'y eut pas combat, il y eut guet-apens. Nous en sommes restés à la fameuse séance des Jacobins où Robespierre avait dénoncé Fouché comme le plus vil et le plus misérable des imposteurs. Maximilien savait très bien que les quelques députés impurs dont il avait signalé la bassesse et les crimes à ses collègues du comité de Salut public promenaient la terreur dans toutes les parties de la Convention ; nous avons parlé déjà des listes de proscription habilement fabriquées et colportées par eux. Aussi Robespierre se tenait-il sur ses gardes, et, s'il attaquait résolument les représentants véritablement coupables à ses yeux, il ne manquait pas l'occasion de parler en faveur de ceux qui avaient pu se tromper sans mauvaise intention.

On l'entendit, à la séance du 1er thermidor (18 juillet 1794), aux Jacobins, défendre avec beaucoup de vivacité un député du Jura nommé Prost, accusé, sans preuve, d'avoir commis des vexations. Faisant allusion aux individus qui cherchaient à remplir la Convention de leurs propres inquiétudes pour conspirer impunément contre elle, il dit : Ceux-là voudraient voir prodiguer des dénonciations hasardées contre les représentants du peuple exempts de reproches ou qui n'ont failli que par erreur, pour donner de la consistance t leur système de terreur.

Il fallait se méfier, ajoutait-il, de la' méchanceté de ces hommes qui voudraient accuser les plus purs citoyens ou traiter l'erreur comme le crime, pour accréditer par là ce principe affreux et tyrannique inventé par les coupables, que dénoncer un représentant infidèle, c'est conspirer contre la représentation nationale... Vous voyez entre quels écueils leur perfidie nous force à marcher, mais nous éviterons le naufrage. La Convention est pure en général ; elle est au-dessus de la crainte comme du crime ; elle n'a rien de commun avec une poignée de conjurés. Pour moi, quoi qu'il puisse arriver, je déclare aux contre-révolutionnaires qui ne veulent chercher leur salut que dans la ruine de la patrie qu'en dépit de toutes les trames dirigées contre moi, je continuerai de démasquer les traîtres et de défendre les opprimés[6]. On voit sur quel terrain les enragés pouvaient se rencontrer avec les ennemis de la Révolution, comme cela aura lieu au 9 thermidor.

Cependant, en dépit de Robespierre, la Terreur continuait son mouvement ascensionnel. Ecoutons-le lui-même s'en plaindre à la face de la République : Partout les actes d'oppression avaient été multipliés pour étendre le système de terreur et de calomnie. Des agents impurs prodiguaient les arrestations injustes ; des projets de finance destructeurs menaçaient toutes les fortunes modiques et portaient le désespoir dans une multitude innombrable de familles attachées à la Révolution ; on épouvantait les nobles et les prêtres par des motions concertées...[7] Comment ne pas s'étonner de l'injustice de ces prétendus libéraux qui après tous les pamphlétaires de la réaction, viennent lui jeter à la tête les mesures tyranniques, les maux auxquels il lui a été impossible de s'opposer et dont il était le premier à gémir I Tout ce qui était de nature à compromettre, à avilir la Révolution lui causait une irritation profonde et bien légitime.

Un jour, il plut à un individu du nom de Magenthies de réclamer de la Convention la peine de mort contre quiconque profanerait dans un jurement le nom de Dieu : n'était-ce point là une manœuvre contre-révolutionnaire ? Robespierre le crut, et, dans une pétition émanée de la Société des Jacobins, pétition où d'un bout à l'autre son esprit se reconnaît tout entier, il la fit dénoncer à l'Assemblée comme une injure à la nation elle-même. N'est-ce pas l'étranger qui, pour tourner contre vous-mêmes ce qu'il y a de plus sacré, de plus sublime dans vos travaux, vous fait proposer d'ensanglanter les pages de la philosophie et de la morale, en prononçant la peine de mort contre tout individu qui laisserait échapper ces mots : Sacré nom de Dieu[8] ?

N'était-ce pas aussi pour déverser le ridicule sur la Révolution que certains personnages avaient inventé les repas communs en plein air, dans les rues et sur les places publiques, repas où l'on forçait tous les citoyens de se rendre. Cette idée d'agapes renouvelées des premiers chrétiens, d'une communion, fraternelle sous les auspices du pain et du vin, avait souri à quelques patriotes de bonne foi, mais à courte vue. Ils ne surent pas démêler ce qu'il y avait de perfide dans ces dîners soi-disant patriotiques. Ici l'on voyait des riches insulter à la pauvreté de leurs voisins par des tables splendidement servies ; là des aristocrates attiraient les sans-culottes à leurs banquets somptueux et tentaient de corrompre l'esprit républicain. Les uns s'en faisaient un amusement : A ta santé, Picard, disait telle personne à son valet qu'elle venait de rudoyer dans la maison. Et la petite maîtresse de s'écrier avec affectation : Voyez comme j'aime l'égalité ; je mange avec mes domestiques. D'autres se servaient de ces banquets comme autrefois du bonnet rouge, et les contre-révolutionnaires accouraient s'y asseoir, soit pour dissimuler leurs vues perfides, soit au contraire pour faciliter l'exécution de leurs desseins artificieux. Payan à la commune[9], Barère à la Convention[10], Robespierre aux Jacobins[11], dépeignirent sous de vives couleurs les dangers de ces sortes de réunions, et engagèrent fortement les bons citoyens à s'abstenir d'y assister désormais. Ces conseils furent entendus ; les repas prétendus fraternels disparurent des rues et des places publiques, comme jadis, à la voix de Maximilien, avait disparu le bonnet rouge dont tant de royalistes se couvraient pour mieux combattre la Révolution.

 

III

Mais c'était là une bien faible victoire remportée par Robespierre, à côté des maux qu'il ne pouvait empêcher. Plus d'une fois son cœur saigna au bruit des plaintes dont il était impuissant à faire cesser les causes.

Un jour un immense cri de douleur, parti d'Arras, vint frapper ses oreilles : Permettez à une ancienne amie d'adresser à vous-même une faible et légère peinture des maux dont est accablée votre patrie. Vous préconisez la vertu : nous sommes depuis six mois persécutés, gouvernés par tous les vices. Tous les genres de séduction sont employés pour égarer le peuple : mépris pour les hommes vertueux, outrage à la nature, à la justice, à la raison, à la Divinité, appât des richesses, soif du sang de ses frères. Si ma lettre vous parvient, je la regarderai comme une faveur du ciel. Nos maux sont bien grands, mais notre sort est dans vos mains ; toutes les âmes vertueuses vous réclament... Cette lettre était de Mme Buissart[12], la femme de cet intime ami à qui Robespierre au commencement de la Révolution, écrivait les longues lettres dont nous avons donné des extraits. Depuis, la correspondance était devenue beaucoup plus rare.

Absorbé par ses immenses occupations, Maximilien n'avait guère le temps d'écrire à ses amis ; l'homme public avait pour ainsi dire tué en lui l'homme privé. Ses amis se plaignaient, et très amèrement quelquefois. Ma femme, outrée de ton silence, a voulu t'écrire et te parler de la position où nous nous trouvons ; pour moi, j'avais enfin résolu de ne plus te rien dire[13]... lui mandait Buissart de son côté. — Mon cher Bon bon..., écrivait d'autre part, le 30 messidor, à Augustin Robespierre, Régis Deshorties, sans doute le frère de l'ancien notaire Deshorties qui avait épousé en secondes noces Eulalie de Robespierre, et dont Maximilien avait aimé et failli épouser la fille, que te chargerai-je de dire à Maximilien ? Te prierai-je de me rappeler à son souvenir, et où trouveras-tu l'homme privé ? Tout entier à la patrie et aux grands intérêts de l'humanité entière, Robespierre n'existe plus pour ses amis...[14] Ils ne savaient pas, les amis de Maximilien, à quelles douloureuses préoccupations l'ami dont ils étaient si fiers alors se trouvait en proie au moment où ils accusaient son silence.

Les plaintes dont Mme Buissart s'était faite l'écho auprès de Robespierre concernaient l'âpre et farouche proconsul Joseph Le Bon, que les Thermidoriens n'ont pas manqué de transformer en agent de Maximilien. Voilà le bourreau dont se servait Robespierre, disaient d'un touchant accord Bourdon (de l'Oise) et André Dumont à la séance du 15 thermidor (2 août 1794)[15] ; et Guffroy de crier partout que Le Bon était un complice de la conspiration ourdie par Robespierre, Saint-Just et autres[16]. Nul, il est vrai, n'avait plus d'intérêt à faire disparaître Le Bon, celui-ci ayant en main les preuves d'un faux commis l'année précédente par le misérable auteur du Rougyff. Si quelque chose milite en faveur de Joseph Le Bon, c'est surtout l'indignité de ses accusateurs. Il serait, d'ailleurs, injuste de le mettre au rang des Carrier, des Barras et des Fouché. S'il eut, dans son proconsulat, des formes beaucoup trop violentes, du moins il ne se souilla point de rapines, et lors de son procès, il se justifia victorieusement d'accusations de vol dirigées contre lui par quelques coquins.

Commissaire de la Convention dans le département du Pas-de-Calais, Le Bon rendit à la République des services dont il serait également injuste de ne pas lui tenir compte, et que ne sauraient effacer les griefs et les calomnies sous lesquels la réaction est parvenue à étouffer sa mémoire. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il fut le ministre implacable des vengeances révolutionnaires, et qu'il apporta dans sa mission une dureté parfois excessive. Ce fut précisément là ce que lui reprocha Robespierre.

Compatriote de ce dernier, Joseph Le Bon avait eu, dans les premières années de la Révolution, quelques relations avec Maximilien. Il lui avait écrit à diverses reprises, notamment en juin 1791, pour l'engager à renouveler sa motion contre le célibat des prêtres[17], et un peu plus tard, en août, pour lui recommander chaudement un des vainqueurs de la Bastille, le citoyen Hullin, qui, arrivé au grade de capitaine, venait d'être suspendu de ses fonctions[18]. Joseph Le Bon fut, du reste, nommé membre de la Convention sans autre recommandation que l'estime qu'il avait su inspirer à ses concitoyens par ses : vertus patriotiques.

Chargé, au mois de brumaire de l'an II, de se rendre dans le Pas-de-Calais pour y réprimer les manœuvres et les menées contre-révolutionnaires dont ce département était le théâtre[19], il déploya contre les aristocrates de ce pays une énergie, terrible. Mais par qui fut-il encouragé dans sa redoutable mission ? Fut-ce par Robespierre ? Lisez cette lettre :

... Vous devez prendre dans votre énergie toutes les mesures commandées par le salut de la patrie. Continuez votre attitude révolutionnaire ; l'amnistie prononcée lors de la Constitution captieuse et invoquée par tous les scélérats est un crime qui ne peut en couvrir d'autres. Les forfaits ne se rachètent point contre une République, ils s'expient sous le glaive. Le tyran l'invoqua, le tyran fut frappé... Secouez sur les traîtres le flambeau et le glaive. Marchez toujours, citoyen collègue, sur la ligne révolutionnaire que vous suivez avec courage. Le comité applaudit à vos travaux. Signé Billaud-Varenne, Carnot, Barère[20].

Lisez encore cette autre lettre à propos de la ligne de conduite suivie par Le Bon : Le comité de Salut public applaudit aux mesures que vous avez prises... Toutes ces mesures sont non seulement permises, mais encore commandées par votre mission ; rien ne doit faire obstacle à votre marche révolutionnaire. Abandonnez-vous à votre énergie ; vos pouvoirs sont illimités... Signé Billaud-Varenne, Carnot, Barère et Robert Lindet (a)[21].

Certes, je ne viens pas blâmer ici les intentions du comité de Salut public ; mais j'ai tenu à montrer combien Robespierre était resté en définitive étranger aux missions de Joseph Le Bon. Et quand on voit Carnot se retrancher piteusement et humblement derrière une excuse banale, quand on l'entend soutenir qu'il signait de complaisance et sans savoir, on ne peut s'empêcher de sourire. Carnot, dans tous les cas, jouait de malheur, car on chercherait vainement la signature de Robespierre au bas d'actes du comité de Salut public recommandant aux commissaires de la Convention de secouer, même sur les traîtres, le flambeau et le glaive.

Ce n'est pas tout : lorsqu'en exécution du décret du 14 frimaire (4 décembre 1793), le comité de Salut public fut autorisé à modifier le personnel des envoyés conventionnels, Joseph Le Bon se trouva désigné pour les départements du Pas-de-Calais et du Nord. Par qui ? par Billaud-Varenne, Barère, Collot d'Herbois et Carnot[22].

Revenu à Paris au commencement de pluviôse, sur une invitation pressante de Saint-Just et de Collot d'Herbois, Le Bon repartait au bout de quelques jours à peine, en vertu d'un arrêté ainsi conçu : Le comité de Salut public arrête que le citoyen Le Bon retournera dans le département du Pas-de-Calais, en qualité de représentant du peuple, pour y suivre les opérations déjà commencées ; il pourra les suivre dans les départements environnants. Il est revêtu à cet effet des pouvoirs qu'ont les autres représentants du peuple. Signé Barère, Collot d'Herbois et Carnot[23].

Je n'ai aucunement l'intention, je le répète, d'incriminer les signataires de ces divers arrêtés, ni de rechercher jusqu'à quel point Joseph Le Bon dépassa, dans la répression des crimes contre-révolutionnaires, les bornes d'une juste sévérité ; seulement il importe de laisser à chacun la responsabilité de ses actes, et de montrer une fois de plus ce que valent les déclamations de tous ces écrivains qui persistent à attribuer à Robespierre ce qui fut l'œuvre commune du comité de Salut public et de la Convention nationale.

Il y avait à Arras un parti complètement opposé à Joseph Le Bon, et dans lequel figuraient Buissart et quelques autres amis de Maximilien, ce qui explique la lettre de Mme Buissart à Robespierre. Mais une chose me rend infiniment suspecte la prétendue modération de ce parti : il avait pour chef de file et pour inspirateur Guffroy, l'horrible Guffroy, dont l'affreux journal excita tant l'indignation de Maximilien. Quoi qu'il en soit, Mme Buissart accourut auprès de Robespierre et vint loger sous le même toit, dans la maison de Duplay, où elle reçut la plus affectueuse hospitalité. Elle profita de son influence sur Maximilien pour lui dépeindre sous les plus sombres couleurs la situation de sa ville natale.

De son côté, le mari écrivait à son ami, à la date du 10 messidor (18 juillet 1794) : N'accordez rien à l'amitié, mais tout à la justice ; ne me voyez pas ici, ne voyez que la chose publique, et peut-être vous-même, puisque vous la défendez si bien... On comptait beaucoup alors à Arras sur la prochaine arrivée d'Augustin Robespierre, dont il avait été un moment question pour remplacer Joseph Le Bon. Quand viendra Bon bon tant désiré ? ajoutait Buissart ; lui seul peut calmer les maux qui désolent votre patrie...[24]

On, n'ignorait pas, en effet, comment, dans ses missions, Augustin, Robespierre avait su allier la sagesse, la modération une inébranlable fermeté et à une énergie à toute épreuve.

Trois jours après, Buissart écrivait encore, à sa femme cette fois : L'arrivée de Bon bon est l'espoir des vrais patriotes et la terreur de ceux qui osent les persécuter ; il cannait trop bien les individus de la ville d'Arras pour ne pas rendre justice à qui il appartient. Sa présence ne peut être suppléée par celle d'aucun autre. Il faut donc qu'il vienne à Arras pour rendre la paix et le calme aux vrais patriotes... Embrassez-le pour moi, jusqu'à ce que je puisse le faire moi-même ; rendez-moi le même service auprès de Maximilien[25]... Mais Augustin n'était pas homme à quitter Paris à l'heure où déjà il voyait prêt à éclater l'orage amassé contre son frère.

Cependant Robespierre, ému des plaintes de ses amis, essaya d'obtenir du comité de Salut public le rappel de Le Bon, s'il faut s'en rapporter au propre aveu de celui-ci, qui plus tard rappela qu'en messidor sa conduite avait été l'objet d'une accusation violente de la part de Maximilien[26]. Mais que pouvait alors Robespierre sur ses collègues ? Le comité de Salut public disculpa Joseph Le Bon en pleine Convention par la bouche de Barère, et l'Assemblée écarta par un ordre du jour dédaigneux les réclamations auxquelles avaient donné lieu les opérations de ce représentant dans le département du Pas-de-Calais[27]. Toutefois, le 6 thermidor, Robespierre fut assez heureux pour faire mettre en liberté un certain nombre de ses compatriotes, incarcérés par les ordres du proconsul d'Arras, entre autres les citoyens Demeulier et Beugniet, les frères Le Blond et leurs femmes. Ils arrivèrent clans leur pays le cœur plein de reconnaissance, et en bénissant leur sauveur, juste au moment où y parvenait la nouvelle de l'arrestation de Maximilien ; ainsi il faillit leur en coûter cher pour avoir, dans un sentiment de gratitude, prononcé avec éloge le nom de Robespierre[28].

Quand, victime des passions contre-révolutionnaires, Joseph Le Bon comparut devant la cour d'assises d'Amiens, où du moins l'énergie de son attitude et la franchise de ses réponses contrastèrent singulièrement avec l'hypocrisie de ses accusateurs, il répondit à ceux qui prétendaient, selon la mode du jour, voir en lui un agent, une créature de Robespierre : Qu'on ne croie point que ce fût pour faire sortir les détenus et pour anéantir les échafauds qu'on le proscrivit ; non, non ; qu'on lise son discours du 8 à la Convention et celui que Robespierre jeune prononça la veille aux Jacobins, on verra clairement qu'il provoquait lui-même l'ouverture des prisons et qu'il s'élevait contre la multitude des victimes que l'on faisait et que l'on voulait faire encore[29]... Et l'accusation ne trouva pas un mot répondre. Qu'on ne s'imagine point, ajouta Le Bon, que le renversement de Robespierre a été opéré pour ouvrir les prisons ; hélas ! non ; ç'a été simplement pour sauver la tête de quelques fripons[30]. L'accusation demeura muette encore.

Ces paroles, prononcées aux portes de la tombe, en face de l'échafaud, par un homme dont l'intérêt au contraire eût été de charger la mémoire de Maximilien, comme tant d'autres le faisaient alors, sont l'indiscutable vérité. Il faut être d'une bien grande naïveté ou d'une insigne mauvaise foi pour oser prétendre que la catastrophe du 9 thermidor fut le signal du réveil de la justice. Quelle ironie sanglante !

 

IV

Que Robespierre ait été déterminé à mettre fin aux actes d'oppression inutilement et indistinctement prodigués sur tous les points de la République, qu'il ait été résolu à subordonner la sévérité nationale à la stricte justice, en évitant toutefois de rendre courage à la réaction, toujours prête à profiter des moindres défaillances du parti démocratique ; qu'il ait voulu enfin, suivant sa propre expression, arrêter l'effusion de sang humain versé par le crime, c'est ce qui est hors de doute pour quiconque a étudié aux vraies sources, de sang-froid et d'un esprit impartial, l'histoire de la Révolution française. La chose était assez peu aisée puisqu'il périt en essayant de l'exécuter. Or l'homme qui est mort à la peine dans une telle entreprise mériterait, par cela seul le respect et l'admiration de la postérité.

De son ferme dessein d'en finir avec les excès sous lesquels la Révolution lui paraissait en danger de Air, il reste des preuves de plus d'un genre, malgré tout le soin apporté par les Thermidoriens à détruire les documents de nature à établir cette incontestable vérité. Il se plaignait qu'on prodiguât les accusations injustes pour trouver partout des coupables. Une lettre du littérateur Aignan, qui alors occupait le poste d'agent national de la commune d'Orléans, nous apprend les préoccupations où le tenait la moralité des dénonciateurs[31]. Il avait toujours peur que des personnes inoffensives, que des patriotes même ne fussent victimes de vengeances particulières, persécutés par des hommes pervers ; et ses craintes, hélas ! n'ont été que trop justifiées. Il lui semblait donc indispensable de purifier les administrations publiques, de les composer de citoyens probes, dévoués, incapables de sacrifier l'intérêt général à leur intérêt particulier, et décidés à combattre résolument tous les abus, sans détendre le ressort révolutionnaire.

Les seuls titres à sa faveur étaient un patriotisme et une intégrité à toute épreuve. Ceux des représentants en mission en qui il avait confiance étaient priés de lui désigner des citoyens vertueux et éclairés, propres à occuper les emplois auxquels le comité de Salut public était chargé de pourvoir.

Ainsi se formèrent les listes de patriotes trouvées dans les papiers de Robespierre. Ainsi fut appelé au poste important de la commission des hospices et secours publics le Franc-Comtois Lerebours. Mais trouver des gens de bien et de courage en nombre suffisant n'était pas chose facile, tant d'indignes agents étaient parvenus, en multipliant les actes d'oppression à jeter l'épouvante dans les cœurs ! Tu me demandes la liste des patriotes que j'ai pu découvrir sur m'a route, écrivait Augustin à son frère, ils sont bien rares, ou peut-être la torpeur empêchait les hommes purs de se montrer par le danger et l'oppression où se trouvait la vertu[32].

Robespierre pouvait se souvenir des paroles qu'il avait laissé tomber un jour du haut de la tribune : La vertu a toujours été en minorité sur la terre. Aux approches du 9 thermidor, il fit, dit-on, des ouvertures à quelques conventionnels dont il croyait pouvoir estimer le caractère et le talent, et il chargea une personne de confiance de demander à Cambacérès s'il pouvait compter sur lui dans sa lutte suprême contre les révolutionnaires dans le sens du crime[33]. Homme d'une intelligence supérieure, Cambacérès sentait bien que la justice, l'équité, le bon droit, l'humanité étaient du côté de Robespierre ; mais, caractère médiocre, il se garda bien de se compromettre, et il attendit patiemment le résultat du combat pour passer du côté du vainqueur. On comprend maintenant pourquoi, devenu prince et archichancelier de l'Empire, il disait, en parlant du 9 thermidor : Ça été un procès jugé, mais non plaidé. Personne n'eût été plus que lui en état de le plaider en toute connaissance de taise, s'il eût été moins ami de la fortune et des honneurs.

Tandis que Robespierre gémissait et s'indignait de voir des préjugés incurables, ou des choses indifférentes, ou de simples erreurs érigés en crimes[34], ses collègues du comité de Salut public et du comité de Sûreté générale proclamaient bien haut, au moment même où la hache allait le frapper, que les erreurs de l'aristocratie étaient des crimes irrémissibles[35]. La force du gouvernement révolutionnaire devait être centuplée, disaient-ils, par la chute d'un homme dont la popularité était trop grande pour une République[36]. Le désir d'en finir avec la Terreur était si loin de la pensée des hommes de Thermidor, que, dans la matinée du 10, faisant allusion aux projets de Robespierre de ramener au milieu de la République la justice et la liberté exilées, ils s'élevèrent fortement contre l'étrange présomption de ceux qui voulaient arrêter le cours majestueux, terrible de la Révolution française[37].

Let anciens membres des comités nous ont du reste laissé un aveu trop précieux pour que nous ne saisissions pas l'occasion de le mettre encore une fois sous les yeux du lecteur. Il s'agit des séances du comité de Salut public à la veille même de la catastrophe : Lorsqu'on faisait le tableau des circonstances malheureuses où se trouvait la chose publique, disent-ils, chacun de nous cherchait des mesures et proposait des moyens. Saint-Just nous arrêtait, jouait l'étonnement de n'être pas dans la confidence de ces dangers, et se plaignait de ce que tous les cœurs étaient fermés, suivant lui ; qu'il ne connaissait rien, qu'il ne concevait pas cette manière prompte d'improviser la foudre à chaque instant, et il nous conjurait, au nom de la République, de revenir à des idées plus justes, à des mesures plus sages[38]. C'étaient ainsi, ajoutent-ils, que le traître les tenait en échec, paralysait leurs mesures et refroidissait leur zèle[39]. Saint-Just se contentait d'être ici l'écho des sentiments de son ami, qui, certainement, n'avait pas manqué de se plaindre devant lui de voir certains hommes prendre plaisir à multiplier les actes d'oppression et à rendre les institutions révolutionnaires odieuses par des excès[40].

Un simple rapprochement achèvera de démontrer cette vérité, à savoir que le 9 Thermidor fut le triomphe de la Terreur. Parmi les innombrables lettres, trouvées dans les papiers de Robespierre, il y avait une certaine quantité de lettres anonymes pleines d'invectives, de bave, de fiel, comme sont presque toujours ces œuvres de lâcheté et d'infamie. Plusieurs de ces lettres provenant du même auteur, et remarquables par la beauté et la netteté de l'écriture, contenaient, au milieu de réflexions sensées et de vérités, que Robespierre était le premier à reconnaître, les plus horribles injures contre le comité de Salut public. A la suite de son rapport, Courtois ne manqua pas de citer avec complaisance une de ces lettres où il était dit que Tibère, Néron, Caligula, Auguste, Antoine et Lépide n'avaient jamais rien imaginé d'aussi horrible que ce qui se passait[41]. Et Courtois de s'extasier, — naturellement[42].

Ces lettres étaient d'un homme de loi, nommé Jacquotot, demeurant rue Saint-Jacques. Robespierre ne se préoccupait guère de ces lettres et de leur auteur, dont, sur plus d'un point du reste, il partageait les idées, Affamé de persécution comme d'autres de justice, l'ancien avocat, lassé en quelque sorte de la tranquillité dans laquelle il vivait au milieu de cette Terreur dont il aimait tant à dénoncer les excès, écrivit une dernière lettre, d'une violence inouïe, où il stigmatisa rudement la politique extérieure et intérieure du comité de Salut public ; puis il signa son nom en toutes lettres, et, cette fois, il adressa sa missive à Saint-Just : Jusqu'à présent j'ai gardé l'anonyme, mais maintenant que je crois ma malheureuse patrie perdue sans ressource, je ne crains plus la guillotine, et je signe[43].

D'autres, les Legendre, les Bourdon (de l'Oise), par exemple, se fussent empressés d'aller déposer ce libelle sur le bureau du comité afin de faire montre de zèle, eussent réclamé l'arrestation de l'auteur ; Saint-Just n'y fit nulle attention ; il mit la lettre dans un coin, garda le silence, et Jacquotot continua de vivre sans être inquiété jusqu'au 9 thermidor. Mais, au lendemain de ce jour néfaste, les glorieux vainqueurs trouvèrent les lettres du malheureux Jacquotot, et, sans perdre un instant, ils le firent arrêter et jeter clans la prison des Carmes[44], tant il est vrai que la chute de Robespierre fut le signal du réveil de la modération, de la justice et de l'humanité !

 

V

C'est ici le lieu de faire connaître par quels étranges procédés, par quels efforts incessants, par quelles manœuvres criminelles les ennemis de Robespierre sont parvenus à ternir sa mémoire aux yeux d'une partie du monde aveuglé. Nous dirons tout à l'heure de quelle réputation éclatante et pure il jouissait au moment de sa chute, et pour cela nous n'aurons qu'à interroger un de ses plus violents adversaires. Disons auparavant ce qu'on s'est efforcé d'en faire, et comment on a tenté de l'assassiner au moral corme au physique.

Un historien anglais a écrit : De tous les hommes que la Révolution française a produits, Robespierre fut de beaucoup le plus remarquable... Aucun homme n'a été plus mal représenté, plus défiguré dans les portraits qu'ont faits de lui les annalistes contemporains de toute espèce[45]. Rien de plus juste et de plus vrai. Pareils à des malfaiteurs pris la main dans le, sac et qui, afin de donner le change, sont les premiers à crier : au voleur ! les Thermidoriens, comme on l'a vu, mettaient tout en œuvre pour rejeter sur Robespierre la responsabilité des crimes dont ils s'étaient couverts. D'où ce cri désespéré de Maximilien : J'ai craint quelquefois, je l'avoue, d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur des hommes pervers qui s'introduisaient parmi les sincères amis de l'humanité[46]. Et ces hommes, quels étaient-ils ? Ceux-là mêmes qui avaient poursuivi les Dantonistes avec le plus d'acharnement. Nous le savons de Robespierre lui-même : Que dirait-on si les auteurs du complot... étaient du nombre de ceux qui ont conduit Danton et Desmoulins à l'échafaud ?[47] Les hommes auxquels Robespierre faisait ici allusion étaient Vadier, Amar, Voulland, Billaud-Varenne. Ah ! à cette heure suprême, est-ce qu'un bandeau ne tomba pas de ses yeux ? Est-ce qu'une voix secrète ne lui reprocha pas amèrement de s'être laissé tromper au point de consentir à abandonner ces citoyens illustres ?

Cependant, une fois leur victime abattue, les Thermidoriens ne songèrent pas tout d'abord à faire de Maximilien le bouc émissaire de la Terreur ; au contraire, ainsi qu'on l'a vu déjà ils le dénoncèrent bien haut comme ayant voulu arrêter le cours majestueux, terrible de la Révolution. Il est si vrai que le coup d'État du 9 thermidor eut un caractère ultra-terroriste, qu'après l'événement Billaud-Varenne et Collot d'Herbois durent quitter leurs noms de Varenne et de d'Herbois comme entachés d'aristocratie[48]. Et, le 19 fructidor (1er septembre 1794), on entendait encore le futur duc d'Otrante, l'exécrable Fouché, s'écrier : Toute pensée d'indulgence est une pensée contre-révolutionnaire[49].

Mais quand la contre-révolution en force fut venue s'asseoir sur les bancs de la Convention, quand les portes de l'Assemblée eurent été rouvertes à tous les débris des partis girondin et royaliste, quand la réaction enfin se fut rendue maîtresse du terrain, les Thermidoriens changèrent de tactique, et ils s'appliquèrent à charger Robespierre de tout le mal qu'il avait tenté d'empêcher, de tous les excès qu'il avait voulu réprimer. Les infamies auxquelles ils eurent recours pour arriver à leurs fins sont à peine croyables.

On commença par chercher à ternir le renom de pureté attaché à sa vie privée. Comme il arrive toujours au lendemain des grandes catastrophes, il ne manqua pas de misérables pour lancer contre le géant tombé des libelles remplis des plus dégoûtantes calomnies. Dès le 27 thermidor (14 août 1794), un des hommes les plus vils et les plus décriés de la Convention, un de ceux dont Robespierre aurait aimé à punir les excès et les dilapidations, l'ex-comte de Barras, le digne acolyte de Fréron, osait, en pleine tribune, l'accuser d'avoir entretenu de nombreuses concubines, de s'être réservé la propriété de Monceau pour ses plaisirs, tandis que Couthon s'était approprié Bagatelle, et Saint-Just le Raincy[50]. Et les voûtes de la Convention ne s'écroulèrent pas quand ces turpitudes tombèrent de la bouche de l'homme qui plus tard achètera, du fruit de ses rapines peut-être, le magnifique domaine de Grosbois[51].

Barras ne faisait du reste qu'accroître et embellir ici une calomnie émanée de quelques misérables appartenant à la société populaire de Maisons-Alfort, lesquels, pour faire leur cour au parti victorieux, eurent l'idée d'adresser au comité de Sûreté générale une dénonciation contre un chaud partisan de Robespierre, contre Deschamps, le marchand mercier de la rue Béthisy, dont jadis Maximilien avait tenu l'enfant sur les fonts de baptême. Deschamps avait loué à Maisons-Alfort une maison de campagne qu'il habitait avec sa famille dans la belle saison, et où ses amis venaient quelquefois le visiter. Sous la plume des dénonciateurs, la maison de campagne se transforme en superbe maison d'émigré oû Deschamps, Robespierre, Hanriot et quelques officiers de l'état-major de Paris venaient se livrer à des orgies, courant à cheval quatre et cinq de front à bride abattue, et renversant les habitants qui avaient le malheur de se trouver sur leur passage. Quelques lignes plus loin, il est vrai, il est dit que Robespierre, Couthon et Saint-Just avaient promis de venir dans cette maison, mais qu'ils avaient changé d'avis. Il ne faut point demander de logique à ces impurs artisans de calomnies[52].

Que de pareilles inepties aient pu s'imprimer, passe encore, il faut s'attendre à tout de la part de certaines natures perverses ; mais qu'elles se soient produites à la face d'une Assemblée qui si longtemps avait été témoin des actes de Robespierre ; qu'aucune protestation n'ait retenti à la lecture de cette pièce odieuse, c'est à confondre l'imagination. Courtois, dans son rapport sur les papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, suivant l'expression thermidorienne, n'osa point, il faut le croire, parler de ce document honteux ; mais un peu plus tard, et la réaction grandissant, il jugea à propos d'en orner le discours prononcé par lui à la Convention sur les événements du 9 thermidor, la veille de l'anniversaire de cette catastrophe.

Comme Barras, Courtois trouva moyen de surenchérir sur cette dénonciation signée de trois habitants de Maisons-Alfort. Par un procédé qui lui était familier, comme on le verra bientôt, confondant Robespierre avec une foule de gens auxquels Maximilien était complètement étranger, et même avec quelques-uns de ses proscripteurs, proscrits à leur tour, il nous peint ceux qu'il appelle nos tyrans prenant successivement pour lieu de leurs plaisirs et de leurs débauches, Auteuil, Passy, Vanves et Issy[53]. C'est là que d'après des notes anonymes[54], on nous montre Couthon s'apprêtant à établir son trône à Clermont, promettant quatorze millions pour l'embellissement de la ville, et se faisant préparer par ses créatures un palais superbe à Chamanière[55] ! Tout cela dit et écouté sérieusement.

Du représentant Courtois aux coquins qui ont écrit le livre intitulé Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté, il n'y a qu'un pas. Dans cette œuvre, où tant d'écrivains, hélas ! ont été puiser des documents, on nous montre Robespierre arrivant la nuit, à petit bruit, dans un beau château garni de femmes de mauvaise vie, s'y livrant à toutes sortes d'excès, au milieu d'images lubriques réfléchies par des glaces nombreuses, à la lueur de cent bougies, signant d'une main tremblante de débauches des arrêts de proscription, et laissant échapper devant des prostituées la confidence qu'il y aurait bientôt plus de six mille Parisiens égorgés[56]. Voilà bien le pendant de la fameuse scène d'ivresse chez Mme de Saint-Amaranthe. C'est encore dans ce livre honteux qu'on nous montre Robespierre disposé à frapper d'un seul coup la majorité de la Représentation nationale, et faisant creuser de vastes souterrains, des catacombes où l'on pût enterrer des immensités de cadavre[57]. Jamais romanciers à l'imagination pervertie, depuis Mme de Genlis jusqu'à ceux de nos jours, n'ont aussi lâchement abusé du droit que se sont arrogé les écrivains de mettre en scène dans des œuvres de pure fantaisie les personnages historiques les plus connus, et de dénaturer tout à leur aise leurs actes et leurs discours.

Devant ces inventions de la haine où l'ineptie le dispute à l'odieux, la conscience indignée se révolte ; mais il faut surmonter son dégoût, et pénétrer jusqu'au fond de ces sentines du cœur humain pour juger ce dont est capable la rage des partis. Ces mêmes Amis de la liberté ont inséré dans leur texte, comme un document sérieux, une lettre censément trouvée dans les papiers de Robespierre, et signée Niveau, lettre d'un véritable fou, sinon d'un faussaire. C'est un tissu d'absurdités dont l'auteur, sur une foule de points, semble ignorer les idées de Robespierre ; mais on y lit des phrases dans le genre de celle-ci : Encore quelques têtes à bas, et la dictature vous est dévolue ; car nous reconnaissons avec vous qu'il faut un seul maitre aux Français. On comprend dès lors que d'honnêtes historiens, comme les deux Amis de la liberté, n'aient pas négligé une telle pièce. Cette lettre ne figure pas à la suite du premier rapport de Courtois ce représentant l'aurait-il dédaignée ? C'est peu probable. Il est à présumer plutôt qu'elle n'était pas encore fabriquée à l'époque où il écrivit son rapport[58].

 

VI

J'ai nommé Courtois ! Jamais homme ne fut plus digne du mépris public. Si quelque chose est de nature à donner du poids aux graves soupçons dont reste encore chargée la mémoire de Danton, c'est d'avoir eu pour ami intime un tel misérable. Aucun scrupule, un mélange d'astuce, de friponnerie et de lâcheté, Basile et Tartufe, voilà Courtois. Signalé dès le mois de juillet 1793 comme s'étant rendu coupable de dilapidations dans une mission en Belgique, il avait été, pour ce fait, mandé devant le comité de Salut public par un arrêté portant la signature de Robespierre[59]. Les faits ne s'étant pas trouvés suffisamment établis, il n'avait pas été donné suite à la plainte ; mais de l'humiliation subie naquit une haine qui, longtemps concentrée, se donna largement et en toute sûreté carrière après Thermidor[60]. Chargé du rapport sur les papiers trouvés chez Robespierre, Couthon, Saint-Just et autres, Courtois s'acquitta de cette tâche avec une mauvaise foi et une déloyauté à peine croyables. La postérité, je n'en doute pas, sera étrangement surprise de la facilité avec laquelle cet homme a pu, à l'aide des plus grossiers mensonges, de faux matériels, égarer pendant si longtemps l'opinion publique.

Le premier rapport de Courtois se compose de deux parties bien distinctes[61] : le rapport proprement dit et les pièces à l'appui. Voici en quels termes un écrivain royaliste, peu suspect de partialité pour Robespierre, a apprécié ce rapport : Ce n'est guère qu'une mauvaise amplification de collège, où le style emphatique et déclamatoire va jusqu'au ridicule[62]. L'emphase et la déclamation sont du fait d'un méchant écrivain ; mais ce qui est du fait d'un malhonnête homme, c'est l'étonnante mauvaise foi régnant d'un bout à l'autre de cette indigne rapsodie. Il ne faut pas s'imaginer, d'ailleurs, que Courtois en soit seul responsable ; d'autres y ont travaillé ; — Guffroy notamment. — C'est bien l'œuvre de la faction thermidorienne, de cette association de malfaiteurs pour laquelle le monde n'aura jamais assez de mépris.

La tactique de la faction, tactique suivie, depuis, par tous les écrivains et historiens de la réaction, a été d'attribuer à Robespierre tout le mal, toutes les erreurs inséparables des crises violentes d'une révolution, et tous les excès qu'il combattit avec tant de courage et de persévérance. Le rédacteur, du laborieux rapport où l'on a cru ensevelir pour jamais la réputation de Maximilien a mis en réquisition la mythologie de tous les peuples. L'amant de Dalila, Dagon, Gorgone, Asmodée, le dieu Vishnou et la bête du Gévaudan, figurent pêle-mêle dans cette œuvre. César et Sylla, Confucius et Jésus-Christ, Épictète et Domitien, Néron, Caligula, Tibère, Damoclès s'y coudoient, fort étonnés de se trouver ensemble ; voilà pour le ridicule.

Voici pour l'odieux : De l'innombrable quantité de lettres trouvées chez Robespierre on commença par supprimer tout ce qui était à son honneur, tout ce qui prouvait la bonté de son cœur, la grandeur de son âme, l'élévation de ses sentiments, son horreur des excès ; sa sagesse et son humanité. Ainsi disparurent les lettres des Girondins, dont nous avons pu remettre une partie en lumière, celles du général Hoche, la correspondance échangée entre les deux frères et une foule d'autres pièces précieuses à jamais perdues pour l'histoire. Ce fut un des larrons de Thermidor, le député Rovère, qui le premier se plaignit qu'on eut escamoté beaucoup de pièces[63]. Courtois, comme on sait, s'en appropria la plus grande partie[64]. Portiez (de l'Oise) en eut une bonne portion ; d'autres encore participèrent au larcin. Les uns et les autres ont fait commerce de ces pièces, lesquelles se trouvent aujourd'hui dispersées dans des collections particulières. Enfin une foule de lettres ont été rendues aux intéressés, notamment celles adressées à Robespierre par nombre de ses collègues, dont les Thermidoriens payèrent par là la neutralité, ou même achetèrent l'assistance.

Même au plus fort de la réaction, ces inqualifiables procédés soulevèrent des protestations indignées. Dans la séance du 29 pluviôse de l'an III (17 février 1795), le représentant Montmayou réclama l'impression générale de toutes les pièces, afin que tout fût connu du peuple et de la Convention, et un député de la Marne, nommé Deville, se plaignit que l'on n'eût imprimé que ce qui avait paru favorable au parti sous les coups duquel avait succombé Robespierre[65]. Les voûtes de la Convention retentirent ce jour-là des plus étranges mensonges. Le boucher Legendre, par exemple, se vanta de n'avoir jamais écrit à Robespierre. Il comptait sans doute sur la discrétion de ses alliés de Thermidor ; peut-être lui avait-on rendu ses lettres, sauf une, où se lit cette phrase déjà citée : Une reconnaissance immortelle s'épanche vers Robespierre toutes les fois qu'on pense à un homme de bien. Gardée par malice ou par mégarde, cette lettre devait paraître plus tard comme pour attester la mauvaise foi de Legendre[66].

Le même député avoua — aveu bien précieux qu'une foule d'excellents citoyens avaient écrit à Robespierre, et que c'était à lui que, de toutes les parties de la France, s'adressaient les demandes des infortunés et les réclamations des opprimés[67]. Preuve assez manifeste qu'aux yeux du pays Maximilien ne passait ni pour un terroriste ni pour l'ordonnateur des actes d'oppression dont il était le premier à gémir. Décréter l'impression de pareilles pièces, n'était-ce point condamner et flétrir les auteurs de la journée du 9 thermidor ? André Dumont, devenu l'un des insulteurs habituels de la mémoire de Maximilien, protesta vivement. Comme il se targuait, lui aussi, de n'avoir pas écrit au vaincu : — Tes lettres sont au Bulletin, lui cria une voix. — Choudieu vint ensuite, et réclama à son tour l'impression générale de toutes les pièces trouvées chez Robespi6re. Cette impression, dit-il, fera connaître une partialité révoltante, une contradiction manifeste avec les principes de justice que l'on réclame. On verra qu'on a choisi toutes les pièces qui pouvaient satisfaire des vengeances particulières pour refuser la publicité des autres[68]. L'honnête Choudieu ne se doutait pas alors que les auteurs du rapport n'avaient pas reculé devant des faux matériels. L'Assemblée se borna à ordonner l'impression de la correspondance des représentants avec Maximilien, mais on se garda bien, et pour cause, de donner suite à ce décret.

 

VII

On sait maintenant, par une discussion solennelle et officielle, avec quelle effroyable mauvaise foi a été conçu' le rapport de Courtois. Tous les témoignages d'affection, d'enthousiasme et d'admiration adressés à Robespierre y sont retournés en arguments contre Lui. Et il faut voir comment sont traités ses enthousiastes et ses admirateurs. Crime à un écrivain nommé Félix d'avoir exprimé le désir de connaître un homme aussi vertueux[69] ; crime à un vieillard de quatre-vingt-sept ans d'avoir regardé Robespierre comme le messie annoncé pour réformer toutes choses[70] ; crime à celui-ci d'avoir baptisé son enfant du nom de Maximilien ; crime à celui-là d'avoir voulu rassasier ses yeux et son cœur de la vue de l'immortel tribun ; crime au maire de Vermanton, en Bourgogne, de l'avoir regardé comme la pierre angulaire de l'édifice constitutionnel, etc.[71]. Naturellement Robespierre est un profond scélérat d'avoir été l'objet de si chaudes protestations[72]. S'il faut s'en rapporter aux honorables vainqueurs de Thermidor, il n'appartient qu'aux gens sans courage, sans vertus et sans talents de recevoir tant de marques d'amour et de soulever les applaudissements de tout un peuple.

Comme dans toute la correspondance recueillie chez Robespierre tout concourait à prouver que c'était un parfait homme de bien, les Thermidoriens ont usé d'un stratagème digne de l'école jésuitique dont ils procèdent si directement. Ils ont fait l'amalgame le plus étrange qui se puisse imaginer. Ainsi le rapport de Courtois roule sur une foule de lettres et de pièces entièrement étrangères à Maximilien, lettres émanées de patriotes très sincères, mais quelquefois peu éclairés, et dont certaines expressions triviales ou exagérées ont été relevées avec une indignation risible, venant d'hommes comme les Thermidoriens. Ce rapport est plein, du reste, de réminiscences de Louvet, et l'on sent que le rédacteur était un lecteur assidu, sinon un collaborateur des journaux girondins. La soif de la domination qu'il prête si gratuitement à Robespierre, et qui chez d'autres, selon lui, — chez les Thermidoriens sans doute — peut venir d'un mouvement louable, naquit chez le premier de l'égoïsme et de l'envie[73]. Quel égoïste en effet ! Jamais homme ne songea moins à ses intérêts personnels ; l'humanité et la patrie occupèrent uniquement ses pensées. Quant à être envieux, beaucoup de ses ennemis avaient de fortes raisons pour l'être de sa renommée si pure, mais lui, pourquoi et de qui l'aurait-il été ?

Un exemple fera voir jusqu'où Courtois a poussé la déloyauté. Dans les papiers trouvés chez Robespierre il y a un certain nombre de lettres anonymes, plus niaises et plus bêtes les unes que les autres. Le premier devoir de l'homme qui se respecte est de fouler aux pieds ces sortes de lettres, monuments de lâcheté et d'ineptie. Mais les Thermidoriens I ! Parmi ces lettres s'en trouve une que le rapporteur dit être écrite sur le ton d'une réponse, et qui n'est autre chose qu'une plate et ignoble mystification. On y parle à Robespierre de la nécessité de fuir un théâtre où il doit bientôt paraître pour la dernière fois ; on l'engage à venir jouir des trésors qu'il a amassés ; tout cela écrit d'un style et d'une orthographe impossibles. Courtois n'en a pas moins feint de prendre cette lettre au sérieux, et, après en avoir cité un assez long fragment, auquel il a eu grand soin de restituer une orthographe usuelle, afin d'y donner un air un peu plus véridique, il s'écrie triomphalement : Voilà l'incorruptible, le désintéressé Maximilien ![74] Non, je ne sais si dans toute la comédie italienne on trouverait un fourbe pareil.

Au reste, de quoi n'étaient pas capables des gens qui ne reculaient point devant des faux matériels ? Courtois et ses amis, comme s'ils eussent eu le pressentiment qu'un jour ou l'autre leurs fraudes finiraient par être découvertes, refusaient avec obstination de rendre les originaux des pièces saisies chez les victimes de Thermidor. Il fallut que Saladin, au nom de la commission des Vingt et un, chargée de présenter un rapport sur les anciens membres des comités, menaçât Courtois d'un décret de la Convention, pour l'amener à une restitution. Mais cet habile artisan de calomnies eut bien soin de ne rendre que les pièces dont l'existence se trouvait révélée par l'impression, et il garda le reste ; de sorte que ce fameux rapport qui, depuis si longues années fait les délices de la réaction, est à la fois l'œuvre d'un faussaire et d'un voleur.

 

VIII

Nous avons déjà signalé en passant plusieurs des fraudes de Courtois, et le lecteur ne les a sans doute pas oubliées. Ici, au lieu des écrivains mercenaires dont parlait Maximilien, on a généralisé et l'on a écrit : les écrivains ; là au lieu d'une couronne civique, on lui fait offrir la couronne, et cela suffit au rapporteur pour l'accuser d'avoir aspiré à la royauté. Mais de tous les faux commis par les Thermidoriens pour charger la mémoire de Robespierre, il n'en est pas de plus odieux que celui qui a consisté à donner comme adressée à Maximilien une lettre écrite par Charlotte Robespierre à son jeune frère Augustin, dans un moment de dépit et de colère. A ceux qui révoqueraient en doute l'infamie et la scélératesse de cette faction thermidorienne que Charles Nodier a si justement flétrie du nom d'exécrable, de ces sauveurs de la France, comme disent les fanatiques de Mme Tallien, il n'y a qu'à opposer l'horrible trame dont nous allons placer le récit sous les yeux de nos lecteurs. Les individus coupables de ce fait monstrueux étaient, à coup sûr, disposés à tout. On s'étonnera moins que Robespierre ait eu la pensée de dénoncer à la France ces hommes couverts de crimes, les Fauché, les Tallien, les Rovère, les Bourdon (de l'Oise) et les Courtois. Je ne sais même s'il ne faut pas s'applaudir à cette heure des faux dont nous avons découvert les preuves authentiques, et qui resteront comme un monument éternel de la bassesse et de l'immoralité de ces misérables.

Charlotte Robespierre aimait passionnément ses frères. Depuis sa sortie du couvent des Manares, elle avait constamment vécu avec eux et, grâce aux libéralités de Maximilien, qui suppléaient à la modicité de son patrimoine, elle avait pu jouir d'une existence honorable et aisée. Séparée de lui pendant la durée de la Constituante et de l'Assemblée législative, elle était venue le rejoindre après l'élection d'Augustin à la Convention nationale, et elle avait pris un logement dans la maison de Duplay. Toute dévouée à des frères adorés, elle était malheureusement affectée d'un défaut assez commun chez les personnes qui aiment beaucoup : elle était, jalouse, jalouse à l'excès. Cette jalousie, jointe à un caractère assez difficile, fut plus d'une fois pour Maximilien une cause de véritable souffrance. Charlotte avait accompagné Augustin Robespierre dans une de ses missions dans le Midi ; mais elle avait dû précipitamment quitter Nice, sur Mordre même de son frère, à la suite de très vives discussions avec Mme Ricord, dont les prévenances pour Augustin l'avaient vivement offusquée.

Fort contrariée d'avoir été ainsi congédiée, elle était revenue à Paris le cœur gonflé d'amertume. A son retour Augustin ne mit point le pied chez sa sœur, et, sans l'avoir vue, il repartit pour l'armée d'Italie[75]. Charlotte en garda un ressentiment profond. Au lieu de s'expliquer franchement auprès de son frère aîné sur ce qui s'était passé entre elle, Mme Ricord, et Augustin, elle alla récriminer violemment contre ce dernier dans le cercle de ses connaissances, sans se soucier du scandale qu'elle causait. Ce fut en apprenant ces récriminations que Robespierre jeune écrivit à son frère : Ma sœur n'a pas une seule goutte de sang qui ressemble au nôtre. J'ai appris et j'ai vu tant de choses d'elle que je la regarde comme notre plus grande ennemie. Elle abuse de notre réputation sans tache pour nous faire la loi... Il faut prendre un parti décidé contre elle. Il faut la faire partir pour Arras, et éloigner ainsi de nous une femme qui fait notre désespoir commun. Elle voudrait nous donner la réputation de mauvais frères[76].

Maximilien, dont le caractère était aussi doux et aussi conciliant dans l'intérieur que celui de Charlotte était irritable, n'osa adresser de reproches à sa sœur, craignant de l'animer encore davantage contre Augustin ; mais Charlotte vit bien, à sa froideur, qu'il était mécontent d'elle[77]. Son dépit s'en accrut, et Augustin n'étant pas allé la voir en revenant de sa seconde mission dans le Midi, elle lui écrivit, le 18 messidor, la lettre suivante : Votre aversion pour moi, mon frère, loin de diminuer comme je m'en étais flattée, est devenue la haine la plus implacable, au point que ma vue seule vous inspire de l'horreur ; ainsi, je ne dois pas espérer que vous soyez assez calme pour m'entendre ; c'est pourquoi je vais essayer de vous écrire...

Cette lettre est longue, très longue et d'une violence extrême ; on s'aperçoit qu'elle a été écrite sous l'empire de la plus aveugle irritation, et cependant, au milieu des expressions de colère : Si vous pouvez, dans le désordre de vos passions, distinguer la voix du remords... Que cette passion de la haine doit être affreuse, puisqu'elle vous aveugle au point de me calomnier... on sent bien vibrer la corde douce et tendre de l'affection fraternelle, et les sentiments de la sœur aimante percent instinctivement à travers certaines paroles de fureur irréfléchie. On l'avait, s'il faut l'en croire, indignement calomniée auprès de son frère[78]. Ah ! si vous pouviez lire au fond de mon cœur, lui disait-elle, vous y verriez, avec la preuve de mon innocence, que rien ne peut en effacer l'attachement tendre qui me lie à vous, et que c'est le seul sentiment auquel je rapporte toutes mes affections ; sans cela me plaindrais-je de votre haine ? Que m'importe à moi d'être haïe par ceux qui me sont indifférents et que je méprise ! Jamais leur souvenir ne viendra me troubler ; mais être hale de mes frères, moi pour qui c'est un besoin de les chérir, c'est la seule chose qui puisse me rendre aussi malheureuse que je le suis. Puis, après avoir déclaré à son frère Augustin que, sa haine pour elle étant trop aveugle pour ne pas se porter sur tout ce qui lui porterait quelque intérêt, elle était disposée à quitter Paris sous quelques jours, elle ajoutait : Je vous quitte donc puisque vous l'exigez ; mais, malgré vos injustices, mon amitié pour vous est tellement indestructible que je ne conserverai aucun ressentiment du traitement cruel que vous me faites essuyer, lorsque désabusé, tôt ou tard, vous viendrez à prendre pour moi les sentiments que je mérite. Qu'une mauvaise honte ne vous empêche pas de m'instruire que j'ai retrouvé votre amitié, et, en quelque lieu que je sois, fussé-je par delà les mers, si je puis vous être utile à quelque chose, sachez m'en instruire, et bientôt je serai auprès de vous...

Là se termine la version donnée par les Thermidoriens de la lettre de Charlotte Robespierre. Jusqu'à ce jour, impossible aux personnes non initiées aux rapports ayant existé entre la sœur et les deux frères de savoir auquel des deux était adressée cette lettre. Quelle belle occasion pour les Thermidoriens de faire prendre le change à tout un peuple, sans qu'une voix osât les démentir, et d'imputer à Maximilien tous les griefs que, dans son ressentiment aveugle, Charlotte se croyait en droit de reprocher à son frère Augustin ! ils se gardèrent bien de la laisser échapper ; ils n'eurent qu'à supprimer vingt lignes dont nous parlerons tout à l'heure, qu'à remplacer la suscription : Au citoyen Robespierre cadet, par ces simples mots : Lettre de la citoyenne Robespierre à son frère, et le tour fut fait.

Quand plus tard, longtemps, bien longtemps après, il fut permis à Charlotte Robespierre d'élever la voix, elle protesta de toutes les forces de sa conscience indignée et elle, déclara hautement, d'abord que cette lettre avait été adressée à son jeune frère, et non pas à Maximilien, ensuite qu'elle renfermait des phrases apocryphes qu'elle ne reconnaissait pas comme siennes. Elle déniait, notamment, les passages soulignés par nous[79]. Sur ce second point, Charlotte commettait une erreur. La colère est une mauvaise conseillère, et l'on ne se souvient pas toujours des emportements de langage auxquels elle peut entraîner. Or, ne pas s'en souvenir, c'est déjà avouer qu'on avait tort de s'y laisser aller. Les termes de la lettre, telle qu'elle a été insérée à la suite du rapport de Courtois sont bien exacts ; je les ai collationnés avec le plus grand soin sur l'original.

Beaucoup de personnes ont cru et plusieurs même ont soutenu que Mlle Robespierre n'avait fait cette déclaration que par complaisance et à l'instigation de quelques anciens amis de son frère aîné. Charlotte ne s'est pas aperçue de la suppression d'un passage qui, placé sous les yeux du lecteur, eût coupé court à tout débat. Deux lignes de plus et il n'y avait pas de confusion possible. Quel ne fut pas mon étonnement, et quelle ma joie, puis-je ajouter, quand, ayant mis, aux Archives, la main sur les pièces citées par Courtois et qu'il ne restitua, comme je l'ai dit, qu'un décret sur la gorge en quelque sorte, je lus dans l'original de la lettre de Charlotte ces lignes d'où jaillit la lumière : Je vous envoie l'état de la dépense que j'ai faite depuis VOTRE DÉPART POUR NICE. J'ai appris avec peine que vous vous étiez singulièrement dégradé par la manière dont vous avez parlé de cet affaire d'intérêt... Suivent des explications sur la nature des dépenses faites par Charlotte, dépenses qui, parait-il, avaient semblé un peu exagérées à Augustin. Charlotte s'était chargée de tenir le ménage de son jeune frère, avec lequel elle avait habité jusqu'alors ; quelques reproches indirects sur l'exagération de ses dépenses n'avaient sans doute pas peu contribué à l'exaspérer. Je vous rends tout ce qui me reste d'argent, disait-elle en terminant, si cela ne s'accorde pas avec ma dépense, cela ne peut venir que de ce que j'aurai oublié quelques articles[80]. On comprend de reste l'intérêt qu'ont eu les Thermidoriens à supprimer ce passage : toute la France savait que c'était Augustin et non pas Maximilien qui avait été en mission à Nice ; or, pour tromper l'opinion publique, ils n'étaient pas hommes à reculer devant un faux par omission.

Comment sans cela le rédacteur du rapport de Courtois eût-il pu écrire : Il se disait philosophe, Robespierre, hélas ! il l'était sans doute comme ce Constantin qui se le disait aussi. Robespierre se fût teint comme lui, sans scrupule, du sang de ses proches, puisqu'il avait déjà menacé de sa fureur une de ses sœurs... Et, comme preuve, le rapporteur a eu soin de renvoyer le lecteur à la lettre tronquée citée à la suite du rapport[81]. Eh bien ! je le demande, y a-t-il assez de mépris pour l'homme qui n'a pas craint de tracer ces lignes, ayant sous les yeux la lettre même de Charlotte Robespierre ? On n'ignore pas quel parti ont tiré de ce faux la plupart des écrivains de la réaction. Il avait résolu de faire périr aussi sa propre sœur, a écrit l'un d'eux en parlant de Robespierre[82]. Et chacun de se lamenter sur le sort de cette pauvre sœur. Ah ! je ne sais si je me trompe, mais il y a là ce me semble, une de ces infamies que certains scélérats n'eussent point osé commettre et contre laquelle ne saurait trop se révolter la conscience des gens de bien. Quelle infernale idée que celle d'avoir falsifié la lettre de la sœur pour tâcher de flétrir le frère !

Charlotte ne se consola jamais de la publicité donnée, par une odieuse indiscrétion, à une lettre écrite dans un moment de dépit, et dont le souvenir lui revenait souvent comme un remords. La pensée qu'on pouvait supposer que cette lettre ait été adressée par elle à son frère Maximilien la mettait au supplice[83]. Cette lettre avait été écrite le 18 messidor moins de trois semaines de là dans la matinée du 10 thermidor, une femme toute troublée, le désespoir au cœur, parcourait les rues comme une folle, cherchant, appelant ses frères. C'était Charlotte Robespierre. On lui dit que ses frères sont à la Conciergerie, elle y court, demande à les voir, supplie à mains jointes, se traîne à genoux aux pieds des soldats ; mais, malheur aux vaincus ! on la repousse, on l'injurie, on rit de ses pleurs. Quelques personnes, émues de pitié, la relevèrent et parvinrent à l'emmener ; sa raison s'était égarée. Quant, au bout de quelques jours, elle revint à elle, ignorant ce qui s'était passé depuis, elle était en prison[84].

Voici donc bien établis les véritables sentiments de Charlotte pour ses frères, et l'on peut comprendre combien elle dut souffrir de l'étrange abus que les Thermidoriens avaient fait de son nom. Tous les honnêtes gens se féliciteront donc de la découverte d'un faux qui imprime une souillure de plus sur la mémoire de ces hommes souillés déjà de tant de crimes, et je ne saurais trop m'applaudir, pour ma part, d'avoir pu, ici comme ailleurs, dégager l'histoire des ténèbres dont elle était enveloppée.

 

IX

Un faux non moins curieux, dont se sont rendus coupables les Thermidoriens pour charger la mémoire de Robespierre, est celui qui concerne les pièces relatives à l'espionnage, insérées à la suite du rapport de Courtois. De leur propre aveu ils avaient, on l'a vu, formé, dès le 5 prairial, contre Robespierre, et très certainement contre le comité de Salut public tout entier, une conjuration sur laquelle nous nous sommes déjà expliqué en détail. Leurs menées, n'avaient pas été sans transpirer. Rien d'étonnant, en conséquence, à ce que les membres formant le noyau de cette conjuration fussent l'objet d'une surveillance active. Des agents du comité épièrent avec le plus grand soin les démarches de Tallien, de Bourdon (de l'Oise) et de deux ou trois autres. Mais est-il vrai que Robespierre ait eu des espions à sa solde, comme on l'a répété sur tous les tons depuis soixante-dix ans ? Pas d'historien contre-révolutionnaire qui n'ait relevé ce fait à la charge de Maximilien, en se fondant uniquement sur l'autorité des pièces imprimées par Courtois, lesquelles pièces sont en effet données comme ayant été adressées particulièrement à Robespierre. Les écrivains les plus consciencieux y ont été pris, notamment les auteurs de l'Histoire parlementaire ; seulement ils ont cru à un espionnage officieux organisé par des amis dévoués et quelques agents sûrs du comité de Salut public[85].

Cependant la manière embrouillée et ambiguë dont Courtois, clans son rapport, parle des documents relatifs à l'espionnage, aurait dû les mettre sur la voie du faux. Il était difficile, après la scène violente qui avait eu lieu à la Convention nationale, le 24 prairial, entre Billaud-Varenne et Tallien, d'affirmer que les rapports de police étaient adressés à Robespierre seul. Courtois, dont le rapport fut rédigé après les poursuites intentées contre plusieurs des anciens membres des comités et qui, par conséquent, put déterrer à son aise dans les cartons du comité de Salut public les pièces de nature à donner quelque poids à ses accusations, s'attacha à entortiller la question. Ainsi, après avoir déclaré qu'il y avait des crimes communs aux membres des comités et communs à Robespierre, comme espionnage exercé sur les citoyens et surtout sur les députés[86], il ajoute : L'espionnage a fait toute la force de Robespierre et des comités... il servit aussi à alimenter leurs fureurs par la connaissance qu'il donnait à Robespierre des projets vrais ou supposés de ceux qui méditaient sa perte...[87] Billaud-Varenne, il est vrai, à la séance du 9 thermidor, essaya, dans une intention facile à deviner, de rejeter sur Robespierre la responsabilité de la surveillance exercée par le comité sur certains représentants du peuple, mais combien mérité le démenti qu'un peu plus tard lui infligea Laurent Lecointre, en rappelant la scène du 24 prairial[88] !

Quoi qu'il en soit, les Thermidoriens jugèrent utile d'appuyer d'un certain nombre de pièces la ridicule accusation de dictature dirigée par eux contre leur victime, et comme ils avaient décoré du nom de gardes du corps les trois ou quatre personnes dévouées qui, de loin et secrètement, veillaient sur Maximilien, ils imaginèrent de le gratifier d'espions à sa solde, que, par parenthèse, il lui eût été assez difficile de payer. Comme à tous les personnages entourés d'un certain prestige et d'une grande notoriété, il arrivait à Robespierre de recevoir une foule de lettres plus ou moins sérieuses, plus ou moins bouffonnes, et anonymes la plupart du temps, où les avis, les avertissements et les menaces ne lui étaient pas épargnés. C'est, par exemple, une sorte de déclaration écrite d'une femme Labesse, laquelle dénonce une autre femme nommée Lacroix comme ayant appris d'elle, quelque jours après l'exécution du père Duchesne, que la faction Pierrotine ne tarderait pas à tomber. Voilà pourtant ce que les Thermidoriens n'ont pas craint de donner comme une des preuves du prétendu espionnage organisé par Robespierre. Cette pièce, d'une orthographe défectueuse[89], ne porte aucune suscription ; et de l'énorme fatras de notes adressées à Maximilien, suivant Courtois, c'est à coup sur la plus compromettante, puisqu'on l'a choisie comme échantillon. Jugez du reste.

Viennent ensuite une série de rapports concernant le boucher Legendre, Bourdon (de l'Oise), Tallien, Thuriot et Fouché, signés de la lettre G. Ces rapports vont du 4 messidor au 29 du même mois ; ainsi ils sont d'une époque où Robespierre se contentait de faire acte de présence au sein du comité de Salut public, sans prendre part aux délibérations ; où le fameux bureau de police générale, dont il avait eu un moment la direction, n'existait plus ; où enfin il avait complètement abandonné à ses collègues l'exercice du pouvoir. C'était donc aussi bien sous les yeux de ces derniers que sous les siens que passaient ces rapports. On a dit, il est vrai, et Billaud-Varenne l'a soutenu quand il s'est agi pour lui de se défendre contre les inculpations de Lecointre, que certaines pièces étaient portées à la signature chez Maximilien lui-même par les employés du comité — allégation dont nous avons démontré la fausseté — et l'on pourrait supposer que ces rapports de police lui avaient été adressés chez lui.

Si en effet le rédacteur de ces rapports, lequel était un nommé Guérin, eût été un agent particulier de Robespierre, les Thermidoriens se fussent empressés, après leur facile victoire, de lui faire un très mauvais parti, cela est de toute évidence. Plus d'un fut guillotiné qui s'était moins compromis pour Maximilien. Or, ce Guérin continua pendant quelque temps encore, après comme avant Thermidor, son métier d'agent secret du comité ; on peut s'en convaincre en consultant ses rapports conservés aux Archives. Voici, du reste, un arrêté en date du 26 messidor, rendu sur la proposition de Guérin. Le comité de Salut public arrête que le citoyen Duchesne, menuisier... se rendra au comité le 28 de ce mois, dans la matinée, pour être entendu. Arrêté signé : Billaud-Varenne, Saint-Just, Carnot, C.-A. Prieur. Cet homme avait été surpris par Guérin en possession de faux assignats[90].

Mais les Thermidoriens avaient à cœur de présenter leur victime comme ayant tenu seule, pour ainsi dire, entre ses mains les destinées de ses collègues. Quel effet magique ne devait pas produire sur des imaginations effrayées l'idée de ce Robespierre faisant épier par ses agents les moindres démarches de ceux des représentants que, disait-on, il se disposait à frapper Trente, cinquante députés devaient être sacrifiés par lui ; on en éleva même le nombre à cent quatre-vingt-douze, cela ne coûtait rien[91]. Le comité de Salut public s'était borné à surveiller cinq ou six membres de la Convention dont les faits et gestes lui causaient de légitimes inquiétudes ; n'importe ! il fallait mettre sur le compte de Robespierre ce fameux espionnage qui depuis soixante-dix ans a défrayé presque toutes les Histoires de la Révolution. Les Thermidoriens ont commencé par supprimer des rapports de Guérin tout ce qui était étranger aux représentants, notamment une dénonciation contre un bijoutier du Palais-Royal nommé Lebrun ; car, se serait-on demandé, quel intérêt pouvait avoir Robespierre à se faire rendre compte, à lui personnellement, de la conduite de tel ou tel particulier ? Ensuite, partout où dans le texte des rapports il y avait le pluriel, preuve éclatante que ces pièces étaient adressées à tous les membres du comité et non pas à un seul d'entre eux, ils ont mis le singulier : ainsi, au lieu de citoyens, ils ont imprimé CITOYEN[92].

Je ne saurais rendre l'impression singulière que j'ai ressentie lorsqu'en collationnant aux Archives sur les originaux les pièces insérées par Courtois à la suite de son rapport, j'ai découvert cette supercherie, constaté ce faux. Quel qu'ait été dès lors mon mépris pour les vainqueurs de Thermidor, je ne pouvais croire qu'il y eût eu chez eux une telle absence de sens moral, et plus d'un parmi ceux dont le jugement sur Robespierre s'est formé d'après les données thermidoriennes partagera mon étonnement. La postérité, qui nous jugera tous, se demandera aussi, stupéfaite, comment, sur de pareils témoignages, on a pu, durant tant d'années, apprécier légèrement les victimes de Thermidor, et elle frappera d'une réprobation éternelle leurs bourreaux, ces faussaires désormais cloués au pilori de l'histoire.

 

 

 



[1] La minute de cette lettre est aux Archives, A F II, 37.

[2] Lettre inédite en date du 9 nivôse an II (27 février 179'), de la collection Portiez (de l'Oise).

[3] Lettre en date du 15 floréal an II (4 mai 4794), de la collection de M. Berthevin.

[4] Discours du 8 thermidor.

[5] La tête à la queue, ou Première lettre de Robespierre à ses continuateurs, p. 5 et 6.

[6] Voyez le Moniteur du 6 thermidor (21 juillet 1794).

[7] Discours du 8 thermidor.

[8] Voyez cette pétition dans le Moniteur du 8 thermidor (26 juillet 1794).

[9] Séance du Conseil général du 27 messidor (15 juillet). Voyez le discours de Payan dans le Moniteur du 2 thermidor.

[10] Séance du 28 messidor (16 juillet 1794), Moniteur du 29 messidor.

[11] Séance des Jacobins du 28 messidor (16 juillet 1794). Aucun journal que je sache, n'a rendu compte de cette séance. Je n'en ai trouvé mention que dans une lettre de Garnier-Launay à Robespierre. Voyez cette lettre dans les Papiers inédits..., t. Ier, p. 231.

[12] Nous avons sous les yeux l'original de cette lettre de Mme Buissart, en date du 26 floréal (15 mai 1794). Supprimée par Courtois, elle a été insérée, mais d'une façon légèrement inexacte, dans les Papiers inédits..., t. Ier, p. 254.

[13] Voyez Papiers inédits..., t. Ier, p. 253.

[14] Lettre en date du 30 messidor (18 juillet 1794). Elle porte en suscription : Au citoïen Robespierre jeune, maison du citoïen Duplay, au premier sur le devant, rue Honoré, Paris.

[15] Moniteur du 16 thermidor (3 août 1794).

[16] Voyez notamment une lettre écrite par Guffroy à ses concitoyens d'Arras le 16 thermidor (3 août 1794).

[17] Voyez cette lettre dans les Papiers inédits..., t. III, p. 237.

[18] Papiers inédits..., t. III, p. 254. Général de division et comte de l'Empire, le protégé de Joseph Le Bon était commandant de la 'ire division militaire lors de la tentative du général Malet pour renverser le gouvernement impérial. Le général Hullin est mort à Paris dans un âge assez avancé.

[19] Arrêté signé : Robespierre, Barère, Collot d'Herbois, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur et Carnot, Archives.

[20] Lettre en date du 26 brumaire an II (16 novembre 1793), Rapport de Saladin, p. 68.

[21] Cette lettre est également du mois de brumaire. Rapport de Saladin, p. 69.

[22] Arrêté en date du 9 nivôse an II (29 décembre 1793), Archives.

[23] Arrêté en date du 11 ventôse (1er mars 1794), Archives, A F II, 58.

[24] Cette lettre, supprimée par Courtois, et dont nous avons l'original sous les yeux, a été insérée dans les Papiers inédits..., t. Ier, p. 247.

[25] Papiers inédits..., t. Ier, p. 250. Cette lettre porte en suscription : A la citoyenne Buissart, chez M. Robespierre, rue Saint-Honoré, â Paris. — Telle fut la terreur qui, après le 9 Thermidor, courba toutes les consciences, que les plus chers amis de Maximilien ne reculèrent pas devant une apostasie sanglante. Au bas d'une adresse de la commune d'Arras à la Convention, adresse dirigée contre Joseph Le Bon, et dans laquelle Robespierre Cromwell est assimilé à Tibère, à Néron et à Caligula, on voit figurer, non sans en être attristé, la signature de Buissart. (Voir le Moniteur du 27 thermidor an II (11 août 1794). Ceux qu'on aurait crus les plus fermes payèrent du reste ce tribut à la lâcheté humaine. Citons, parmi tant d'autres, l'héroïque Duquesnoy lui-même, lequel, dans une lettre adressée à ses concitoyens d'Arras et de Béthune, à la date du 16 fructidor (12 septembre 1794), pour se défendre d'avoir été le complice de Maximilien, jeta l'insulte aux vaincus ; acte de faiblesse que d'ailleurs il racheta amplement en prairial an III, quand il tomba -sous les coups de la réaction. Ménage-toi pour la patrie, elle a besoin d'un défenseur tel que toi, à Robespierre en floréal. (Lettre inédite de la collection Portiez [de l'Oise]).

[26] Séance de la Convention du 15 thermidor (2 août 1894), Moniteur du 16 thermidor.

[27] Séance de la Convention du 21 messidor (9 juillet 1794), Moniteur du 22 messidor.

[28] Ceci, tiré d'un pamphlet de Guffroy intitulé : les Secrets de Joseph le Bon et de ses complices, deuxième censure républicaine, in-8° de 474 p., an III, p. 167.

[29] Procès de Joseph Le Bon, p.147, 148.

[30] Ibid., p. 167.

[31] Lettre à Deschamps, en date du 17 prairial an II (5 juin 1794). Devenu plus tard membre de l'Académie française, Aignan était, pendant la Révolution, un partisan et un admirateur sincère de Robespierre : Je suis bien enchanté du retour de Saint-Just et de l'approbation que Robespierre et lui veulent bien donner à mes opérations. Le bien public, l'affermissement de la République une et indivisible, le triomphe de la vertu sur l'intrigue, tel est le but que je me propose, tel est le seul sentiment qui m'anime, écrivait-il à son cher Deschamps qui sera frappé avec Robespierre. (Papiers inédits..., t. Ier, p. 162). Eh bien ! telle est la conscience, la bonne foi de la plupart des biographes, qu'ils font d'Aignan une victime de la tyrannie de Robespierre, tandis qu'au contraire, Aignan fut poursuivi comme un ami, comme une créature de Maximilien. (Voyez notamment la Biographie universelle, à l'article AIGNAN). Chose assez singulière, cet admirateur de Robespierre eut pour successeur à l'Académie française le poète Soumet, qui fut un des plus violents calomniateurs de Robespierre, et qui mit ses calomnies en assez mauvais vers. (Voyez Divine Epopée.)

[32] Lettre en date du 16 germinal an II (5 avril 1794), déjà citée.

[33] Ce fait a été assuré à M. Hauréau par Godefroy Cavaignac, qui le tenait de son père ; et la personne chargée de la démarche auprès de Cambacérès n'aurait été autre que Cavaignac lui-même. Pour détacher de Robespierre ce membre de la Montagne, les Thermidoriens couchèrent son nom sur une des prétendues listes de proscrits qu'ils faisaient circuler. Après Thermidor, Cavaignac se rallia aux vainqueurs et trouva en eux un appui contre les accusations dont le poursuivit la réaction.

[34] Discours du 8 thermidor.

[35] Discours de Barère à la séance du 10 thermidor (28 juillet 1794). Voyez le Moniteur du 12.

[36] Voyez le Moniteur du 12.

[37] Discours de Barère, à la séance du 10 thermidor (Moniteur du 12).

[38] Réponse des membres des deux anciens comités de Salut public Sûreté générale aux imputations de Laurent Lecointre, note 27. Voyez p. 107.

[39] Voyez notre Histoire de Saint-Just.

[40] Discours du 8 thermidor.

[41] Pièce à la suite du rapport de Courtois, numéros XXXI et XXXII.

[42] P. 18 du rapport.

[43] L'original de cette lettre est aux Archives. Elle porte en suscription : Au citoyen Saint-Just, député â la Convention et membre du comité de Salut public.

[44] Voici l'ordre d'arrestation de Jacquotot : Paris, le 11 thermidor.... Les comités de Salut public et. de Sûreté générale arrêtent que le nommé Jacquotot, ci-devant homme de loi, rue Saint-Jacques, 13, sera mis sur-le-champ en état d'arrestation dans la maison de détention dite des Carmes ; la perquisition la phis exacte de ses papiers sera faite, et ceux qui pareront suspects seront portés au comité de Sûreté générale de la Convention nationale. Barère, Dubarran, Billaud-Varenne, Robert Lindet, Jagot, Voulland, Moïse Bayle, C.-A. Prieur, Collot d'Herbois, Vadier. (Archives, coll. 119.)

[45] Alison, History of Europe, t. II, p. 145.

[46] Discours du 8 thermidor.

[47] Discours du 8 thermidor.

[48] Aucun historien, que je sache, n'a jusqu'à ce jour signalé cette particularité.

[49] Voyez le Moniteur du 19 fructidor an II (5 septembre 1794).

[50] Moniteur du 29 thermidor (16 août 1794).

[51] De graves accusations de dilapidation furent dirigées contre Barras et Fréron, notamment à la séance de la Convention du 2 vendémiaire an III (Moniteur du 6 vendémiaire, 27 septembre 1794). L'active participation de ces deux représentants au coup d'État de Thermidor contribua certainement à les faire absoudre par l'Assemblée. Consultez à ce sujet les Mémoires de Barère qui ici ont un certain poids. T. IV, p. 223.) L'auteur assez favorable d'une vie de Barras, dans la Biographie universelle (Beauchamp), assure que ce membre du Directoire recevait des pots-de-vin de 50 à 100.000 francs des fournisseurs et hommes à grandes affaires qu'il favorisait. Est-il vrai que, devenu vieux, Barras ait senti peser sur sa conscience, comme un remords, le souvenir du 9 thermidor ? Voici ce qu'a raconté à ce sujet M. Alexandre Dumas : Barras nous reçut dans son grand fauteuil qu'il ne quittait guère plus vers les dernières années de sa vie. Il se rappelait parfaitement mon père, l'accident qui l'avait éloigné du commandement de la force armée au 13 vendémiaire, et je me souviens qu'il me répéta plusieurs fois, ce jour-là ces paroles, que je reproduis textuellement : Jeune homme, n'oubliez pas ce que vous dit un vieux républicain : je n'ai que deux regrets, je devrais dire deux remords, et ce seront les seuls qui seront assis à mon chevet le jour où je mourrai : J'ai le double remords d'avoir renversé Robespierre par le 9 thermidor, et élevé Bonaparte par le 13 vendémiaire. (Mémoires d'Alexandre Dumas, t. V, p. 299.

[52] Les signataires de cette dénonciation méritent d'être connus : c'étaient Preuille, vice-président, Bazin et Trouvé, secrétaires de la Société populaire de Maisons-Alfort. Voyez cette dénonciation, citée in extenso, la suite d'un rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor. p. 83. — Les dénonciateurs se plaignaient surtout qu'à la date du 28 thermidor, Deschamps n'eût pas encore été frappé du glaive de la loi. Leur vœu ne tarda pas à être rempli ; le pauvre Deschamps fut guillotiné le 5 fructidor an II (22 août 1794).

[53] Rapport sur les événements du 9 thermidor, p. 24.

[54] Voyez ces notes à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, p. 80.

[55] Rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, p. 31. J'ai eu entre les mains l'original de cette note, en marge de laquelle Courtois a écrit : Vérités tardives !

[56] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. XIII, p. 300 et 301.

[57] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. XIII, p. 362, 364. C'est encore là une amplification du récit de Courtois. Voyez son rapport sur les événements du 9 thermidor, p. 9.

[58] Les éditeurs des Papiers inédits ont donné cette lettre comme inédite ; ils n'avaient pas lu apparemment l'Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté. Voyez Papiers inédits, t. I, p. 261.

[59] Voici cet arrêté :

Du 30 juillet 1793, les comités de Salut public et de Sûreté générale arrêtent que Beffroy, député du département de l'Aisne, et Courtois, député du département de l'Aube, seront amenés sur-le-champ au comité de Salut public pour être entendus. Chargent le maire de Paris de l'exécution du présent arrêté. Robespierre, Prieur de (la Marne), Saint-Just, Laignelot, Amar, Legendre.

[60] Les dilapidations de Courtois n'en paraissent pas moins constantes. L'homme qui ne craignit pas de voler les papiers les plus précieux de Robespierre, était bien capable de spéculer sur les fourrages de la République. Sous le gouvernement de Bonaparte, il fut éliminé du Tribunat à cause de ses tripotages sur les grains. Devenu riche, il acheta en Lorraine une terre où il vécut isolé jusqu'en 1814. On raconte qu'en Belgique, où il se retira sous la Restauration, les réfugiés s'éloignaient de lui avec dégoût. Voyez à ce sujet les Mémoires de Barère, t. III, p. 253.

[61] Il y a de Courtois deux rapports qu'il faut bien se garder de confondre : le premier, sur les papiers trouvés chez Robespierre et autres, présenté à la Convention dans la séance du 16 nivôse de l'an III (5 janvier 1795), imprimé par ordre de la Convention, in-8° de 408 p. ; le second, sur les événements du 9 thermidor, prononcé le 8 thermidor de l'an III (26 juillet 1795), et également imprimé par ordre de la Convention, in-8° de 220 p. ; ce dernier précédé d'une préface en réponse aux détracteurs de la journée du 9 thermidor.

[62] Michaud jeune, Article COURTOIS, dans la Biographie universelle.

[63] Séance de la Convention du 20 frimaire an III (10 décembre 1794) Moniteur du 22 frimaire.

[64] En 1816, le domicile de Courtois fut envahi par les ordres du ministre de la police Decaze, et tout ceux de ses papiers qu'il n'avait point vendus ou cédés se trouvèrent saisis. Casimir Perier lui en fit rendre une partie après 1830.

[65] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 877, p. 415.

[66] Nous avons déjà cité cette lettre en extrait dans notre premier volume de l'Histoire de Robespierre. Voyez-la, du reste, dans les Papiers inédits, t. I, p. 180.

[67] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 877.

[68] Moniteur du 3 ventôse an III (21 février 1195).

[69] P. 10 du rapport de Courtois.

[70] P. 11.

[71] Toutes les lettres auxquelles il est fait allusion figurent à la suite du rapport de Courtois.

[72] P. 13 du rapport.

[73] P. 23 du rapport. — Le rapporteur veut bien avouer (p. 25) que quelques hommes superficiels ont cru au courage de Robespierre. D'après Courtois, ce courage n'était que de l'insolence. Il y a toutefois là un aveu involontaire dont il faut tenir compte, surtout quand on songe que tant d'écrivains, parmi lesquels on a le regret de voir figurer M. Thiers, — je ne parle pas de Proudhon — ont fait de Robespierre un être faible, timide, pusillanime.

[74] Rapport de Courtois, p. 54. — On a honte vraiment d'être obligé de prémunir le lecteur contre de si grossières inventions. Voici le commencement de cette lettre dont les Thermidoriens ont cru avoir tiré un si beau parti, et que nous avons transcrite aux Archives sur l'original, en en respectant soigneusement l'orthographe : Sans doute vous être inquiette de ne pas avoire recu pinte des nouvelles des effet que vous m'avez fait adresser pour continuer le plan de faciliter votre retraite dans ce pays, soyez tranquille sur tout les objesk que votre adresse a su me fair parvenir depuis le commencement de vos crainte personnel et non pas sans sujet, vous savez que je ne doit vous faire de reponce que par notre courrier ordinaire comme il a été interrompu par sa dernière course, ce qui est cause de mon retard aujourd'huit, mais lorsque vous la réceverêz vous emploiréz touteja vigilance que l'exige la nesesité de fuir un theâtre ou vous deviez bientôt paraltre et disparaître pour la dernière fois ; il est inutil de vous rappeller toutes les raison qui vous expose car ce dernier pas qui vient de vous mettre sur le solfia de la présidence vous raproche de l'echafaut ou vous verriez cette canaille qui vous cracherait au visage comme elle a fait à ceux que vous avez jugé, l'Egalité, dit d'Orléans, vous en fournit un assez grand exemple, etc.

Je finis notre courrier parti je vous attend pour reponce.

Cette lettre, d'un fou ou d'un mystificateur, porte en suscription : Au cytoyen cytoyen Robespierre, president de la Convention national, en son hotel, a Paris. (Archives, F. 7, 4436.)

[75] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 125.

[76] Cette lettre, dont l'original est aux Archives (F 7, 4436, liasse R.), ne porte point de date. Elle figure à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XLII (a).

[77] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 126.

[78] Mémoires de Charlotte Robespierre.

[79] Voyez, â cet égard, la note de Laponneraye, p. 133 des Mémoires de Charlotte Robespierre.

[80] L'original de la lettre de Charlotte Robespierre est aux Archives, où chacun peut le voir (F 7, 4436 liasse R).

[81] Voyez le rapport de Courtois, p. 25. La lettre tronquée de Charlotte figure à la suite de ce rapport, sous le numéro XLII (b). Elle a été reproduite telle quelle par les éditeurs des Papiers inédits, t. II, p. 112. Dans ses Mémoires, dont quelques fragments ont été récemment publiés, un des complices de Courtois, le cynique Barras, a écrit : Courtois n'a point calomnié Robespierre en disant qu'il n'avait point d'entrailles, même pour ses parents. Les lettres que sa sœur lui a écrites sont l'expression de la douleur et du désespoir. N'ai-je pas eu raison de dire que ces Thermidoriens s'étaient entendus comme des larrons en foire. Ce passage, du reste, a son utilité ; il donne une idée du degré de confiance que méritent les Mémoires de Barras.

[82] L'abbé Proyard, Vie de Robespierre, p. 170. Nous avons plusieurs fois déjà cité ce libelle impur, fruit d'une imagination en délire, et où se trouvent condensées avec une sorte de frénésie toutes les calomnies vomies depuis Thermidor sur la mémoire de Robespierre.

[83] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 123.

[84] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 145.

[85] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 359.

[86] Rapport fait au nom de la commission chargée de l'examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, par L.-B. Courtois, représentant du département de l'Aube, p. 16.

[87] Rapport fait au nom de la commission chargée de l'examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, par L.-B. Courtois, p. 17.

[88] Les crimes des sept membres des anciens comités, etc., par Laurent Lecointre, p. 53.

[89] Cette pièce figure à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XXVIII ; mais elle n'a pas été imprimée conforme à l'original, qu'on peut voir aux Archives, F 7, 4336, liasse R.

[90] Archives, F 7, 4437. Voici, d'ailleurs, deux arrêtés en date du 1er thermidor qui tranchent bien nettement la question : Le comité de Salut public arrête qu'il sera délivré au citoyen Guérin un mandat de deux mille I6 livres 10 sous à prendre sur les 50 millions à la disposition des membres du comité de Salut public.

Le comité de Salut public arrête que les appointements du citoyen Guérin, son agent, seront de cinq cents livres par mois, et que les dix citoyens qu'il occupe pour l'aider clans ses opérations seront payés à raison de 166 livres 13 sous. (Archives, F 7, 4437).

[91] Voyez à cet égard une vie apologétique de Carnot, publiée en 1817 par Rioust, in-8° de 294 pages, p. 145.

[92] Voyez aux Archives les rapports manuscrits de Guérin, F 7, 4436, liasse R. Ces pièces figurent à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XXVIII, p. 128 et suiv.