THERMIDOR

 

CHAPITRE TROISIÈME.

 

 

Affaire des chemises rouges. — La famille Saint-Amaranthe. Affaire de Catherine Théot. — Que Robespierre ne déserta point le comité. — De sa retraite toute morale. — Le bureau de police général. — Rapports avec le tribunal révolutionnaire. — Fouquier-Tinville et Robespierre. — Trames contre Robespierre. — La proclamation du duc d'York. — Explications aux Jacobins. — Appel à la justice et à la probité. — Violente apostrophe contre Fouché.

 

I

Que reprocha surtout Robespierre à ses ennemis ? Ce fut d'avoir multiplié les actes d'oppression pour étendre le système de terreur et de calomnie[1]. Ils ne reculèrent devant aucun excès afin d'en rejeter la responsabilité sur celui dont ils avaient juré la perte.

L'idée de rattacher l'affaire de Ladmiral et de Cécile Renault à un complot de l'étranger et de livrer l'assassin et la jeune royaliste au tribunal révolutionnaire en compagnie d'une foule de gens avec lesquels ils n'avaient jamais eu aucune relation, fut très probablement le résultat d'une noire intrigue. Chargé de rédiger le rapport de cette affaire, Élie Lacoste, un des plus violents ennemis de Robespierre, s'efforça, dans la séance du 20 prairial, de rattacher la faction nouvelle aux factions de Chabot et de Julien (de Toulouse), d'Hébert et de Danton.

On aurait tort, du reste, de croire que l'accusation était dénuée de fondement à l'égard de la plupart des accusés ; méfions-nous de la sensiblerie affectée de ces écrivains qui réservent toutes leurs larmes pour les victimes de la Révolution et se montrent impitoyables pour les milliers de malheureux de tout âge et de tout sexe immolés par le despotisme. Ni Devaux, commissaire de la section Bonne-Nouvelle et secrétaire du fameux de Batz, le conspirateur émérite et insaisissable, ni l'épicier Cortey, ni Michonis, n'étaient innocents. Étaient-ils moins coupables, ceux qui furent signalés par Lacoste comme ayant cherché à miner la fortune publique par des falsifications d'assignats ? Il se trouva qu'un des principaux agents du baron de Batz, nommé Roussel, était lié avec Ladmiral. Cette circonstance permit à Élie Lacoste de présenter Ladmiral et la jeune Renault comme les instruments dont s'étaient servis Pitt et l'étranger pour frapper certains représentants du peuple. Le père, un des frères et une tante de Cécile Renault, furent enveloppés dans la fournée, parce qu'en faisant une perquisition chez eux, on avait découvert les portraits de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Un instituteur, du nom de Cardinal, un chirurgien nommé Saintanax et plusieurs autres personnes arrêtées pour s'être exprimées en termes calomnieux et menaçants sur le compte de Collot-d'Herbois et de Robespierre, furent impliqués dans l'affaire avec la famille Saint-Amaranthe et quelques personnages de l'ancien régime.

Robespierre resta aussi étranger que possible à cet affreux amalgame et à la mise en accusation de la famille Renault, cela est clair comme la lumière du jour. Il y a mieux, un autre frère de la jeune Renault, quartier-maitre dans le deuxième bataillon de Paris, ayant été incarcéré, à qui s'adressa-t-il pour échapper à la proscription de sa famille ?... A Maximilien. A qui avoir recours ? lui écrivit-il. A toi, Robespierre ! qui dois avoir en horreur toute ma génération si tu n'étais pas généreux... Sois mon avocat... Ce jeune homme ne fut point livré au tribunal révolutionnaire[2]. Fut-ce grâce à Robespierre, dont l'influente, hélas ! était déjà bien précaire à cette époque, je ne saurais le dire ; mais comme il ne sortit de prison que trois semaines après le 9 thermidor, on ne dira pas sans doute que s'il ne recouvra point tout de suite sa liberté, ce fut par la volonté de Maximilien.

Il faut avoir toute la mauvaise foi des ennemis de Robespierre, de ceux qui, par exemple, ne craignent pas d'écrire qu'il s'inventa un assassin, pour lui donner un rôle quelconque dans ce lugubre drame des chemises rouges, ainsi nommé parce qu'il plut au comité de Sûreté générale de faire revêtir tous les condamnés de chemises rouges, comme des parricides, pour les mener au supplice. C'était là de la part du comité un coup de maitre, ont supposé quelques écrivains ; on voulait semer à la fois l'indignation et la pitié : voilà bien des malheureux immolés pour Robespierre ! ne manquerait-on pas de s'écrier. — Pourquoi pas pour Collot-d'Herbois ? — Ce qu'il y a seulement de certain, c'est que les conjurés faisaient circuler ça et là dans les groupes des propos atroces au sujet de la fille Renault. C'était, sans doute, insinuait-on, une affaire d'amourette, et elle n'avait voulu attenter aux jours du dictateur que parce qu'il avait fait guillotiner son amant[3]. Ah ! les Thermidoriens connaissaient, comme les Girondins, la sinistre puissance de la calomnie !

 

II

Une des plus atroces calomnies inventées par les écrivains de la réaction est à coup sûr celle à laquelle a donné lieu le supplice de la famille de Saint-Amaranthe, comprise tout entière dans le procès des chemises rouges. Le malheur de ces écrivains sans pudeur et sans foi est de ne pouvoir pas même s'entendre. Les uns ont attribué à Saint-Just la mort de cette famille. Nous avons démontré ailleurs la fausseté et l'infamie de cette allégation[4]. Les autres, en ont rejeté la responsabilité sur Maximilien. Leur récit vaut la peine d'être raconté ; il n'est pas mauvais de flétrir les calomniateurs par la seule publicité de leurs œuvres de mensonge.

Suivant eux, Robespierre se serait laissé mener un soir dans la maison de Mme de Saint-Amaranthe par Trial, artiste du théâ.tre des Italiens. Là il aurait soupé, se serait enivré, et au milieu des fumées du vin, il aurait laissé échapper de redoutables secrets[5]. D'où la nécessité pour lui de vouer à la mort tous ceux dont l'indiscrétion aurait pu le compromettre. Le beau moyen, en vérité, et comme si ce n'eût pas été là au contraire, le cas de les faire parler. On a honte d'entretenir le lecteur de pareilles inepties.

Au reste, les artisans de calomnies, gens d'ordinaire fort ignorants, manquent rarement de fournir eux - mêmes quelque preuve de leur imposture. C'est ainsi que, voulant donner à leur récit un certain caractère de précision, les inventeurs de cette fameuse scène où le monstre se serait mis en pointe de vin l'ont placée dans le courant du mois de mai. Or Mme de Saint-Amaranthe avait été arrêtée dès la fin de mars et transférée à Sainte-Pélagie le 12 germinal (1er avril 1794)[6]. Quant à l'acteur Trial, il était si peu l'un des familiers de Robespierre, qu'il fut, au lendemain de Thermidor, un des membres de la commune régénérée, et qu'il signa comme tel les actes de décès des victimes de ce glorieux coup d'État. Du reste, il opposa toujours le plus solennel démenti à la fable ignoble dans laquelle on lui donna le rôle d'introducteur[7].

La maison de Mis de Saint-Amaranthe était une maison de jeux, d'intrigues et de plaisirs. Les dames du logis, la mère, femme séparée d'un ancien officier de cavalerie, et la tille, qu'épousa le fils fort décrié de l'ancien lieutenant général de police, de Sartines, étaient l'une et l'autre de mœurs fort équivoques avant la Révolution. Leur salon était une sorte de terrain neutre où le gentilhomme coudoyait l'acteur. Fleury et Elleviou en furent les hôtes de prédilection. Mirabeau y vint sous la Constituante, y joua gros jeu et perdit beaucoup. Plus tard, tous les révolutionnaires de mœurs faciles, Proly, Hérault de Séchelles, Danton, s'y donnèrent rendez-vous et s'y trouvèrent mêlés à une foule d'artisans de contre-révolution. Robespierre jeune s'y laissa conduire un soir au sortir de l'Opéra, avec Nicolas et Simon Duplay, par l'acteur Michot, un des sociétaires de la Comédie-Française. C'était longtemps avant le procès de Danton. Quand Robespierre eut eu connaissance de cette escapade, il blâma si sévèrement son frère et les deux neveux de son hôte que ceux-ci se gardèrent bien de remettre les pieds chez Mme de Saint-Amaranthe, malgré l'attrait d'une pareille maison pour des jeunes gens dont l'aîné n'avait pas vingt-neuf ans[8].

La famille de Saint-Amaranthe fut impliquée par le comité de Sûreté générale dans la conjuration dite de Batz, parce que sa demeure était un foyer d'intrigues et qu'on y méditait le soulèvement des prisons[9]. Vraie ou fausse, l'accusation, habilement soutenue par Elle Lacoste, établissait entre les membres de cette famille et les personnes arrêtées sous la prévention d'attentat contre la vie de Robespierre et de Collot-d'Herbois un rapprochement étrange, dont la malignité des ennemis de la Révolution ne pouvait manquer de tirer parti.

Y eut-il préméditation de la part du comité de Sûreté générale, et voulut-il, en effet, comme le prétend un historien de nos jours[10], placer ces femmes royalistes au milieu des assassins de Robespierre pour que leur exécution l'assassinât moralement ? Je rie saurais le dire ; mais ce qu'il est impossible d'admettre, c'est qu'Elie Lacoste ait obéi au même sentiment en impliquant dans son rapport comme complices du baron de Batz les quatre administrateurs de police Froidure, Dangé, Soulès et Marino, compromis depuis longtemps déjà et qui se trouvaient en prison depuis le 9 germinal (29 mars 1794) quand Fouquier-Tinville les joignit aux accusés renvoyés devant le tribunal révolutionnaire sur le rapport de Lacoste.

A la suite de ce rapport, la Convention nationale chargea, par un décret, l'accusateur public de rechercher tous les complices de la conspiration du baron de Batz ou de l'étranger qui pourraient être disséminés dans les maisons d'arrêt de Paris ou sur les différents points de la République. Voilà le décret qui donna lieu aux grandes fournées de messidor, qui permit à certaines gens de multiplier les actes d'oppression qu'on essayera de mettre à la charge de Robespierre, et contre lesquels nous l'entendrons s'élever avec tant d'indignation.

 

III

Si l'affaire des Chemises rouges ne fut pas positivement dirigée contre Robespierre, on n'en saurait dire autant de celle dont le lendemain, 27 prairial (15 juin 1794), Vadier vint présenter le rapport à la Convention nationale.

Parce qu'un jour, aux Jacobins, Maximilien avait invoqué le nom de la Providence, parce qu'il avait dénoncé comme impolitiques d'abord, et puis comme souverainement injustes, les persécutions dirigées contre les prêtres en général et les attentats contre la liberté des cultes, les Girondins, l'avaient autrefois poursuivi de leurs épi grammes les plus mordantes, et ils s'étaient ingéniés pour faire de ce propre fils de Rousseau et du rationalisme... un prêtre. On a dit, il y a longtemps, que le ridicule tue en France, et l'on espérait tuer par le ridicule celui dont la vie privée et la vie publique étaient au-dessus de toute attaque. Copistes et plagiaires des Girondins, les Thermidoriens imaginèrent de transformer en une sorte de messie d'une secte d'illuminés l'homme qui, réagissant avec tant de courage contre l'intolérance des indévots, venait à la face de l'Europe de faire, à la suite du décret relatif à l'Être suprême, consacrer par la Convention la pleine et entière liberté des cultes[11].

Il y avait alors, dans un coin retiré de Paris, une vieille femme nommée Catherine Théot, chez laquelle se réunissaient un certain nombre d'illuminés, gens à cervelle étroite, ayant soif de surnaturel, mais ne songeant guère à conspirer contre la République. La réception des élus pouvait prêter à rire : il fallait, en premier lieu, faire abnégation des plaisirs temporels, puis on se prosternait devant la mère de Dieu, on l'embrassait sept fois, et... l'on était consacré. Il n'y avait vraiment là rien de nature à inquiéter ni les comités ni la Convention, c'étaient de pures mômeries dont la police avait eu le tort de s'occuper jadis, il y avait bien longtemps, quinze ans au moins. La pauvre Catherine avait même passé quelque temps à la Bastille et dans une maison de fous. Or, cette arrestation qui pouvait se comprendre jusqu'à un certain point sous l'ancien régime, où les consciences étouffaient sous l'arbitraire, était inconcevable en pleine Révolution. Eh bien ! le lieutenant de police fut dépassé par le comité de Sûreté générale ; les intolérants de l'époque jugèrent à propos d'attaquer la superstition dans la personne de Catherine Théot, et ils transformèrent en crime de contre-révolution les pratiques anticatholiques de quelques illuminés.

Parmi les habitués de la maison de la vieille prophétesse figuraient l'ex-chartreux dom Gerle, ancien collègue de Robespierre à l'Assemblée constituante, le médecin de la famille d'Orléans, Etienne-Louis Quesvremont, surnommé Lamotte, une darne Godefroy, et la ci-devant marquise de Chastenois ; tels furent les personnages que le comité de Sûreté générale imagina de traduire devant le Tribunal révolutionnaire en compagnie de Catherine Théot. Ils avaient été arrêtés dès la fin de floréal, sur un rapport de l'espion Senar, qui était parvenu à s'introduire dans le mystérieux asile de la rue Contrescarpe en sollicitant son initiation clans la secte, et qui, aussitôt reçu, avait fait arrêter toute l'assistance par des agents apostés.

L'affaire dormait depuis trois semaines quand les conjurés de Thermidor songèrent à en tirer parti, la jugeant un texte excellent pour détruire l'effet prodigieux produit par la fête du 90 prairial et l'éclat nouveau qui en avait rejailli sur Robespierre. En effet, la vieille Catherine recommandait à ses disciples d'élever leurs cœurs à l'Être suprême, et, cela au moment oû la nation elle-même, à la voix de Maximilien, se disposait à en proclamer la reconnaissance. Quel rapprochement ! Et puis on avait saisi chez elle, sous son matelas, une certaine lettre écrite en son nom à Maximilien, lettre où elle l'appelait son premier prophète, son ministre chéri. Plus de doute, on conspirait en faveur de Robespierre. La lettre était évidemment fabriquée ; Vadier n'osa même pas y faire allusion dans son rapport à la Convention ; mais n'importe, la calomnie était lancée.

Enfin, dom Gerle, présenté comme le principal agent de la conspiration, était un protégé de Robespierre ; on avait trouvé dans ses papiers un mot de celui-ci attestant son patriotisme, et à l'aide duquel il avait pu obtenir de sa section un certificat de civisme, marque d'intérêt bien naturelle donnée par Maximilien à un ancien collègue dont il estimait les vertus. Dom Gerle avait eu jadis la malencontreuse idée de proposer à l'Assemblée constituante d'ériger la religion catholique en religion d'État ; le rapporteur du comité de Sûreté générale ne manqua pas de rappeler cette circonstance pour donner à l'affaire une couleur de fanatisme ; mais il n'eut pas la bonne foi d'ajouter qu'éclairé par ses collègues de la gauche, sur les bancs de laquelle il siégeait, dom Gerle s'était empressé, dès le lendemain, de retirer sa proposition, au grand scandale de la noblesse et du clergé.

Robespierre occupait encore le fauteuil quand Vadier prit la parole au nom des comités de Sûreté générale et de Salut public. Magistrat de l'ancien régime, Vadier avait toutes les ruses d'un vieux procureur. Cet implacable ennemi de Maximilien mettait une sorte de point d'honneur à obtenir des condamnations. Il y a, à cet égard, des lettres de lui à Fouquier-Tinville où il recommande nombre d'accusés, et qui font vraiment frémir[12]. Tout d'abord, Vadier dérida l'Assemblée par force plaisanteries sur les prêtres et sur la religion ; puis il amusa ses collègues aux dépens de la vieille Catherine, dont, par une substitution qu'il crut sans doute très ingénieuse, il changea le nom de Théot en celui de Théos, qui en grec signifie Dieu. A chaque instant il était interrompu par des ricanements approbateurs et des applaudissements. Robespierre n'était point nommé dans ce rapport, où le nombre des adeptes de Catherine Théot était grossi à plaisir, mais l'allusion perfide perçait ça et là et des rires d'intelligence apprenaient au rapporteur qu'il avait été compris. Conformément aux conclusions du rapport, la Convention renvoya devant le tribunal révolutionnaire Catherine Théot, dom Gerle, la veuve Godefroy et la ci-devant, marquise de Chastenois, comme coupables de conspiration contre la République, et elle chargea l'accusateur publie de rechercher et de punir tous les complices de cette pré,- tendue conspiration.

C'était du délire. Ce que Robespierre ressentit de dégoût en se trouvant condamné à entendre comme président ces plaisanteries de Vadier, sous lesquelles se cachait une grande iniquité, ne peut se dire. Lui-même a, dans son dernier discours, rendu compte de sa douloureuse impression : La première tentative que firent les malveillants fut de chercher à avilir les grands principes que vous aviez proclamés, et à effacer le souvenir touchant de, la fête nationale. Tel fut le but du caractère et de la solennité qu'on donna à l'affaire de Catherine Théot. La malveillance a bien su tirer parti de la conspiration politique cachée sous le nom de quelques dévotes imbéciles, et on ne présenta à l'attention. publique qu'une farce mystique et un sujet inépuisable de sarcasmes indécents ou puériles. Les véritables conjurés échappèrent, et l'on faisait retentir Paris et toute la France du nom de la mère de Dieu. Au même instant on vit éclore une foule de pamphlets dégoûtants, dignes du Père Duchesne, dont le but était d'avilir la Convention nationale, le tribunal révolutionnaire, de renouveler les querelles religieuses, d'ouvrir une persécution aussi atroce qu'impolitique contre les esprits faibles ou crédules imbus de quelque ressouvenir religieux. En même temps, une multitude de citoyens paisibles et même de patriotes ont été arrêtés à l'occasion de cette affaire ; et les coupables conspirent encore en liberté, car le plan est de les sauver, de tourmenter le peuple et de multiplier les mécontents. Que n'a-t-on pas fait pour parvenir à ce but ? Prédication ouverte de l'athéisme, violences inopinées contre le culte, exactions commises sous les formes les plus indécentes, persécutions dirigées contre le peuple sous prétexte de superstition... tout tendait à ce but[13]...

Robespierre s'épuisa en efforts pour sauver les malheureuses victimes indiquées par Vadier. Il y eut au comité de Salut public de véhémentes explications. J'ai la conviction que ce fut au sujet de l'affaire de Catherine Théot qu'eut lieu la scène violente dont parlent les anciens membres du comité dans leur réponse à Lecointre, et qu'ils prétendent s'être passée à l'occasion de la loi de prairial. D'après un historien assez bien informé, Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois auraient résisté aux prétentions de Robespierre, qui voulait étouffer l'affaire ou la réduire à sa juste valeur, c'est-à-dire à peu de chose. Billaud se serait montré furieux et prodigue d'injures[14]. Quoi qu'il en soit, Robespierre finit par démontrer à ses collègues combien il serait odieux de traduire au tribunal révolutionnaire quelques illuminés, tout à fait étrangers aux passions politiques, et un ancien Constituant qui avait donné à la Révolution des gages de dévouement.

L'accusateur public fut aussitôt mandé, et l'ordre lui fut donné par Robespierre lui-même, au nom du comité de Salut public, de suspendre l'affaire. Fouquier objecta en vain qu'un décret de la Convention lui enjoignait de la suivre, force lui fut d'obéir, et de remettre les pièces au comité[15]. Très désappointé, et redoutant les reproches du comité de Sûreté générale, auxquels il n'échappa point, Fouquier-Tinville s'y transporta tout de suite. Là il rendit compte des faits et dépeignit tout son embarras, sentant bien le conflit entre les deux comités. Il, il, il, dit-il par trois fois, s'y oppose au nom du comité de Salut public. — Il, c'est-à-dire Robespierre, répondit un membre, Amar ou Vadier. Oui, répliqua Fouquier[16]. Si la volonté de Robespierre fut ici prépondérante, l'humanité doit s'en applaudir, car, grâce à son obstination, une foule de victimes innocentes échappèrent à la mort.

L'animosité du comité de Sûreté générale contre lui en redoubla. Vadier ne se tint pas pour battu. Le 8 thermidor, répondant à Maximilien, il promit un rapport plus étendu sur cette affaire des illuminés dans laquelle il se proposait de faire figurer tous les conspirateurs anciens et modernes[17]. Preuve assez significative de la touchante résolution des Thermidoriens d'abattre la Terreur. Ce fut la dernière victoire de Robespierre sur les exagérés. Lutteur impuissant et fatigué, il va se retirer, moralement du moins, du comité de Salut public, se retremper dans sa conscience pour le dernier combat, tandis que ses ennemis, déployant une activité merveilleuse, entasseront pour le perdre calomnies sur calomnies, mensonges sur mensonges, infamies sur infamies.

 

IV

Tous les historiens sans exception, favorables ou hostiles à Robespierre, ont cru que, durant quatre décades, c'est-à-dire quarante jours avant sa chute, il s'était complètement retiré du comité de Salut public, avait cessé d'y aller. C'est là une erreur capitale, et l'on va voir combien il est important de la rectifier. Si, en effet, depuis la fin de prairial jusqu'au 9 thermidor, Maximilien s'était purement et simplement contenté de ne plus paraître au comité, il serait souverainement injuste à coup sûr de lui demander le moindre compte des rigueurs commises en messidor, et tout au plus serait-on en droit de lui reprocher avec quelques écrivains de n'y avoir opposé que la force d'inertie.

Mais si, au contraire, nous prouvons, que pendant ces quarante derniers jours, il a siégé sans désemparer au comité de Salut public, comme dans cet espace de temps il a refusé de s'associer à la plupart des grandes mesures de sévérité consenties par ses collègues, comme il n'a point voulu consacrer par sa signature certains actes oppressifs, c'est donc qu'il y était absolument opposé, qu'il les combattait à outrance ; c'est donc que, suivant l'expression de Saint-Just, il ne comprenait pas cette manière prompte d'improviser la foudre à chaque instant[18]. Voilà pourquoi il mérita l'honorable reproche que lui adressa Barère dans la séance du 10 thermidor, d'avoir voulu arrêter le cours terrible, majestueux de la Révolution ; et voilà pourquoi aussi, n'ayant pu décider les comités à s'opposer à ces actes d'oppression multipliés dont il gémissait, il se résolut à appeler la Convention à son aide et à la prendre pour juge entre eux et lui.

Les Thermidoriens du comité ont bien senti l'importance de cette distinction ; aussi se sont-ils entendus pour soutenir que Robespierre ne paraissait plus aux séances et que, durant quatre décades, il n'y était venu que deux fois, et encore sur une citation d'eux, la première pour donner les motifs de l'arrestation du comité révolutionnaire de la section de l'indivisibilité, la seconde pour s'expliquer sur sa prétendue absence[19]. Robespierre n'était plus là pour répondre. Mais si, en effet, il eût rompu toutes relations avec le comité de Salut public, comment ses collègues de la Convention ne s'en seraient-ils pas aperçus ? Or, un des chefs de l'accusation de Lecointre contre certains membres des anciens comités porte précisément sur ce qu'ils n'ont point prévenu la Convention de l'absence de Robespierre. Rien d'embarrassé sur ce point comme la réponse de Billaud-Varenne : C'eût été un fait trop facile à excuser ; n'aurait-il pu prétexter une indisposition ?[20]

Mais, objectait-on, et les signatures apposées par Robespierre au bas d'un assez grand nombre d'actes ? Ah ! disent les uns, il a pu signer quand deux fois il est venu au comité pour répondre à certaines imputations, ou quand il affectait de passer dans les salles, vers cinq heures, après la séance, ou quand il se rendait secrètement au bureau de police générale[21]. Il n'est pas étonnant, répond un autre, en son nom particulier, que les chefs de bureau lui aient porté chez lui ces actes à signer au moment où il était au plus haut degré de sa puissance[22]. En vérité ! Et comment donc se fait-il alors que dans les trois premières semaines de ventôse an II, lorsque Robespierre était réellement retenu loin du comité par la maladie, les chefs de bureau n'aient pas songé à se rendre chez lui pour offrir à sa signature les arrêtés de ses collègues ? Et comment expliquer qu'elle se trouve sur certains actes de peu d'importance, tandis qu'elle ne figure pas sur les arrêtés qui pouvaient lui paraître entachés d'oppression ? Tout cela est misérable.

Quand Saladin rédigea son rapport sur la conduite des anciens membres des comités, il n'épargna pas à Robespierre les noms de traître et de tyran, c'était un tribut à payer à la mode du jour ; mais comme il le met à part de ceux dont. il était chargé de présenter l'acte d'accusation, et comme, sous les injures banales, on sent percer la secrète estime de ce survivant de la Gironde pour l'homme à qui soixante-douze de ses collègues et lui devaient la vie et auquel il avait naguère adressé ses hommages de reconnaissance

L'abus du pouvoir poussé à l'extrême, la terre plus que jamais ensanglantée, le nombre plus que doublé des victimes, voilà ce qu'il met au compte des ennemis, que dis-je ? des assassins de Robespierre, en ajoutant à l'appui de cette allégation, justifiée par les faits, ce rapprochement effrayant : Dans les quarante-cinq jours qui ont précédé la retraite de Robespierre, le nombre des victimes est de cinq cent soixante-dix-sept ; il s'élève à mille deux cent quatre-vingt-six pour les quarante-cinq jours qui l'ont suivie jusqu'au 9 thermidor[23]. Quoi de plus éloquent ? Et combien plus méritoire est la conduite de Maximilien si, au lieu de se tenir à l'écart, comme on l'a jusqu'ici prétendu, il protesta hautement avec Couthon et Saint-Just contre cette manière prompte d'improviser la foudre d chaque instant !

De toutes les listes d'accusés renvoyés devant le tribunal révolutionnaire du 1er messidor au 9 thermidor par les comités de Salut public et de Sûreté générale, une seule, celle du 2 thermidor, porte la signature de Maximilien à côté de celles de ses collègues[24]. Une partie de ces listes, relatives pour la plupart aux conspirations dites des prisons, ont été détruites, et à coup sûr celles-là n'étaient point signées de Robespierre[25]. Il n'a pas signé l'arrêté en date du 4 thermidor concernant l'établissement définitif de quatre commissions populaires créées par décret du 13 ventôse (3 mars 1794) pour juger tous les détenus dans les maisons d'arrêt des départements[26]. — Ce jour-là du reste, il ne parut pas au comité, mais on aurait pu, d'après l'allégation de Billaud, lui faire signer l'arrêté chez lui.

En revanche, une foule d'actes, tout à fait étrangers au régime de la Terreur, sont revêtus de sa signature. Le 5 messidor, il signe avec ses collègues un arrêté par lequel il est enjoint au citoyen Smitz d'imprimer en langue et en caractères allemands quinze cents exemplaires du discours sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains[27]. Donc ce jour-là l'entente n'était pas tout à fait rompue. Le 7, il approuve, toujours de concert avec ses collègues, la conduite du jeune Jullien à Bordeaux, et les dépenses faites par lui dans sa mission[28]. La veille, il avait ordonnancé avec Carnot et Couthon le payement de la somme de 3.000 livres au littérateur Demaillot et celle de 1.500 livres au citoyen Tourville, Fun et l'autre agents du comité[29]. Quelques jours après, il signait avec Billaud-Varenne l'ordre de mise en liberté de Desrozier, acteur du théâtre de l'Égalité[30], et, avec Carnot, l'ordre de mise en liberté de l'agent national de Romainville[31]. Le 18, il signe encore, avec Couthon, Barère et Billaud-Varenne, un arrêté qui réintégrait dans leurs fonctions les citoyens Thoulouse, Pavin, Maginet et Blachère, administrateurs du département de l'Ardèche, destitués par le représentant du peuple Reynaud[32]. Au bas d'un arrêté en date du 19 messidor, par lequel le comité de Salut public prévient les citoyens que toutes leurs pétitions, demandes et observations relatives aux affaires publiques, doivent être adressées au comité, et non individuellement aux membres qui le composent, je lis sa signature à côté des signatures de Carnot, de C.-A. Prieur, de Couthon, de Collot-d'Herbois, de Barère et de Billaud-Varenne[33]. Le 16, il écrivait de sa main ex représentants en mission le billet suivant : Citoyen collègue, le comité de Salut public désire d'être instruit sans délai s'il existe ou a existé dans les départements sur lesquels s'étend ta mission quelques tribunaux ou commissions populaires. Il t'invite à lui en faire parvenir sur-le-champ l'état actuel avec la désignation du lieu et de l'époque de leur établissement. Robert Lindet, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur, Carnot, Barère, Couthon et Collot-d'Herbois signaient avec lui[34]. Le 28, rappel de Dubois-Crancé, alors en mission à Rennes, par un arrêté du comité de Salut public signé : Robespierre, Carnot, Barère, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur, Couthon, Saint-Just et Robert Lindet[35].

L'influence de Maximilien est ici manifeste. On sait en effet combien ce représentant lui était suspect. Après lui avoir reproché d'avoir trahi à Lyon les intérêts de la République, il l'accusait à présent d'avoir à dessein occasionné à Rennes une fermentation extraordinaire en déclarant qu'il y aurait des chouans tant qu'il existerait un Breton[36] ! A cette date du 28 messidor, il signe encore avec Collot-d'Herbois, C.-A. Prieur, Carnot, Couthon, Barère, Saint-Just, Robert Lindet, le mandat de mise en liberté de trente-trois citoyens détenus dans les prisons de Troyes par les ordres du jeune Rousselin. Enfin, le 7 thermidor, il était présent à la délibération où fut décidée l'arrestation d'un des plus misérables agents du comité de Sûreté générale, de l'espion Senar[37], dénoncé quelques jours auparavant, aux Jacobins, par des citoyens victimes de ses actes d'oppression, et dont Couthon avait dit : S'il est vrai que ce fonctionnaire ait opprimé le patriotisme, il doit être puni. Il existe bien évidemment un système affreux de tuer la liberté par le crime[38]. Nous pourrions multiplier ces citations, mais il n'en faut pas davantage pour démontrer de la façon la plus péremptoire que Robespierre n'a jamais déserté le comité dans le sens réel du mot.

Au reste, ses anciens collègues ont accumulé dans leurs explications évasives et embarrassées juste assez de contradictions pour mettre à nu leurs mensonges. Ainsi, tandis que d'un côté ils s'arment contre lui de sa prétendue absence du comité pendant quatre décades, nous les voyons, d'un autre côté, lui reprocher d'avoir assisté muet aux délibérations concernant les opérations militaires, et de s'être abstenu de voter[39]. Dans les derniers temps, lit-on dans des Mémoires sur Carnot, il trouvait des prétextes pour ne pas signer les instructions militaires, afin sans doute de se ménager, en cas de revers de nos armées, le droit d'accuser Carnot[40]. Donc il assistait aux séances du comité.

Mais ce qui lève tous les doutes, ce sont les registres du comité de Salut public, registres dont Lecointre ne soupçonnait pas l'existence, que nous avons sous les yeux en ce moment, et où, comme déjà nous avons eu occasion de le dire, les présences de chacun des membres sont constatées jour par jour. Eh bien ! du 13 prairial au 9 thermidor, Robespierre, manqua de venir au comité SEPT FOIS, en tout et pour tout, les 20 et 28 prairial, les 10, 11, 14 et 15 messidor et le 4 thermidor[41].

Ce qu'il y a de certain, c'est que, tout en faisant acte de présence au comité, Robespierre n'ayant pu faire triompher sa politique, à la fois énergique et modérée, avait complètement résigné sa part d'autorité dictatoriale et abandonné à ses collègues l'exercice du gouvernement. Quel fut le véritable motif de la scission ? Il est assez difficile de se prononcer bien affirmativement à cet égard, les Thermidoriens, qui seuls ont eu la parole pour nous renseigner sur ce point, ayant beaucoup varié dans leurs explications.

La détermination de Maximilien fut, pensons-nous, la conséquence d'une suite de petites contrariétés. Déjà au commencement de floréal, une altercation avait eu lieu entre Saint-Just et Carnot au sujet de l'administration des armes portatives. Le premier se plaignait qu'on eût opprimé et menacé d'arrestation arbitraire l'agent comptable des ateliers du Luxembourg, à qui il portait un grand intérêt. La discussion s'échauffant, Carnot aurait accusé Saint-Just et ses amis d'aspirer à la dictature. A quoi Saint-Just aurait répondu que la République était perdue si les hommes chargés de la défendre se traitaient ainsi de dictateurs. Et Carnot, insistant, aurait répliqué : Vous êtes des dictateurs ridicules. Le lendemain, Saint-Just s'étant rendu au comité en compagnie de Robespierre : Tiens, se serait-il écrié en s'adressant à Carnot, les voilà mes amis, voilà ceux que tu as attaqués hier. Or, quelle fut en cette circonstance le rôle de Robespierre ? Il essaya de parler des torts respectifs avec un ton très hypocrite, disent les membres des anciens comités sur la foi desquels nous avons raconté cette scène, ce qui signifie, à n'en pas douter, que Robespierre essaya de la conciliation[42].

Si donc ce récit, dans les termes mêmes où il nous a été transmis, fait honneur à quelqu'un, ce n'est pas assurément à Carnot. Que serait-ce si Robespierre et Saint-Just avaient pu fournir leurs explications ! Dictateur ! c'était, parait-il, la grosse injure de Carnot, car dans une autre occasion, croyant avoir à se plaindre de Robespierre, au sujet de l'arrestation de deux commis des bureaux de la guerre, il lui aurait dit, en présence de Levasseur (de la Sarthe) : Il ne se commet que des actes arbitraires dans ton bureau de police générale, tu es un dictateur. Robespierre furieux aurait pris en vain ses collègues à témoins de l'insulte dont il venait d'être l'objet. En vérité, on se refuserait à croire à de si puériles accusations, si cela n'était pas constaté par le Moniteur[43].

J'ai voulu savoir à quoi m'en tenir sur cette fameuse histoire des secrétaires de Carnot, dont celui-ci signa l'ordre d'arrestation sans s'en douter, comme il le déclara d'un ton patelin à la Convention nationale. Ces deux secrétaires, jeunes l'un et l'autre, en qui Carnot avait la plus grande confiance, pouvaient être fort intelligents, mais ils étaient plus légers encore. Un soir qu'ils avaient bien dîné, ils firent irruption au milieu d'une réunion sectionnaire, y causèrent un effroyable vacarme, et, se retranchant derrière leur qualité de secrétaires du comité de Salut public, menacèrent de faire guillotiner l'un et l'autre[44]. Ils furent arrêtés tous deux, et relâchés peu de temps après ; mais si jamais arrestation fut juste, ce fut assurément celle-là et tout gouvernement s'honore qui réprime sévèrement les excès de pouvoir de ses agents[45].

Je suis convaincu, répéterai-je, que la principale raison de la retraite toute morale de Robespierre fut la scène violente à laquelle donna lieu, le 28 prairial, entre plusieurs de ses collègue et lui, la ridicule affaire de Catherine Théot, lui s'indignant de voir transformer en conspiration de pures et innocentes raffineries, eux ne voulant pas arracher sa proie au comité de Sûreté générale. Mon opinion se trouve singulièrement renforcée de celle du représentant Levasseur, lequel a dû être bien informé, et qui, dans ses Mémoires, s'est exprimé en ces termes : Il est constant que c'est à propos de la ridicule superstition de Catherine Théot qu'éclata la guerre sourde des membres des deux comités[46]. Mais la résistance de Robespierre en cette occasion était trop honorable pour que ses adversaires pussent l'invoquer comme la cause de sa scission d'avec eux ; aussi imaginèrent-ils de donner pour prétexte à leur querelle le décret du 20 prairial, qu'ils avaient approuvé aveuglément les uns et les autres.

Au reste, la résolution de Maximilien eut sa source dans plusieurs motifs. Lui-même s'en est expliqué en ces termes dans son discours du 8 thermidor : Je me bornerai à dire que, depuis plus de six semaines, la nature et la force de la calomnie, l'IMPUISSANCE DE FAIRE LE BIEN ET D'ARRÊTER LE MAL, m'ont forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du comité de Salut public, et je jure qu'en cela même je n'ai consulté que ma raison et la patrie. Je préfère ma qualité de représentant du peuple à celle de membre du comité de Salut public, et je mets ma qualité d'homme et de citoyen français avant tout[47]. Disons maintenant de quelles amertumes il fut abreuvé durant les six dernières semaines de sa vie.

 

V

Les anciens collègues de Robespierre au comité de Salut public ont fait un aveu bien précieux : la seule preuve matérielle, la pièce de conviction la plus essentielle contre lui, ont-ils dit, résultant de son discours du 8 thermidor à la Convention, il ne leur avait pas été possible de l'attaquer plus tôt[48]. Or, si jamais homme, victime d'une accusation injuste, s'est admirablement justifié devant ses concitoyens et devant l'avenir, c'est bien Robespierre dans le magnifique discours qui a été son testament de mort.

Et comment ne pas comprendre l'embarras mortel de ses accusateurs quand on se rappelle ces paroles de Fréron, à la séance du 9 fructidor (26 août 1794) : Le tyran qui opprimait ses collègues plus encore que la nation était tellement enveloppé dans les apparences des vertus les plus populaires, la considération et la confiance du peuple formaient autour de lui un rempart si sacré, que nous aurions mis la nation et la liberté elle-même en péril si nous nous étions abandonnés à notre impatience de l'abattre plus tôt[49].

On a vu déjà comment il opprimait ses collègues : ii suffisait d'un coup d'œil d'intelligence pour que la majorité fût acquise contre lui. Billaud-Varenne ne se révoltait-il pas à cette supposition que des hommes comme Robert Lindet, Prieur (de la Côte-d'Or), Carnot et lui avaient pu se laisser mener[50] ? Donc, sur ses collègues du comité, il n'avait aucune influence prépondérante, c'est un point acquis. Mais, ont prétendu ceux-ci, tout le mal venait du bureau de police générale, dont il avait la direction suprême et au moyen duquel il gouvernait despotiquement le tribunal révolutionnaire ; et tous les historiens de la réaction, voire même certains écrivains prétendus libéraux, d'accueillir avec empressement ce double mensonge thermidorien, sans prendre la peine de remonter aux sources.

Et d'abord signalons un fait en passant, ne fût-ce que pour constater une fois de plus les contradictions habituelles aux calomniateurs de Robespierre. Lecointre ayant prétendu n'avoir point attaqué Carnot, Prieur (de la Côte-d'Or) et Robert Lindet, parce qu'ils se tenaient généralement à l'écart des discussions sur les matières de haute police, de politique et de gouvernement, -- tradition menteuse acceptée par une foule d'historiens superficiels, — Billaud-Varenne lui donna un démenti sanglant, appuyé des propres déclarations de ses collègues, et il insista sur ce que les meilleures opérations de l'ancien comité de Salut public étaient précisément celles de ce genre[51].

Seulement, eut-il soin de dire, les attributions du bureau de police avaient été dénaturées par Robespierre. Établi au commencement de floréal, non point, comme on l'a dit, dans un but d'opposition au comité de Sûreté générale, mais pour surveiller les fonctionnaires publics, et surtout pour examiner les innombrables dénonciations adressées au comité de Salut public ; ce bureau avait été placé sous la direction de Saint-Just, qui, étant parti en mission très peu de jours après, avait été provisoirement remplacé par Robespierre.

Écoutons à ce sujet Maximilien lui-même : J'ai été chargé, en l'absence d'un de mes collègues, de surveiller un bureau, de police générale, récemment et faiblement organisé au comité de Salut public. Ma courte gestion s'est bornée à provoquer une trentaine d'arrêtés, soit pour mettre en liberté des patriotes persécutés, soit pour s'assurer de quelques ennemis de la Révolution. Eh bien ! croira-t-on que ce seul mot de police générale a servi de prétexte pour mettre sur ma tête la responsabilité de toutes les opérations du comité de Sûreté générale, — ce grand instrument de la Terreur — des erreurs de toutes les autorités constituées, des crimes de tous mes ennemis ? Il n'y a peut-être pas un individu arrêté, pas un citoyen vexé, à qui l'on n'ait dit de moi : Voilà l'auteur de tes maux ; tu serais heureux et libre s'il n'existait plus. Comment pourrais-je ou raconter ou deviner toutes les espèces d'impostures qui ont été clandestinement insinuées, soit dans la Convention nationale, soit ailleurs, pour me rendre odieux ou redoutable !2[52]

J'ai sous les yeux l'ensemble complet des pièces relatives aux opérations de ce bureau de police générale[53] ; rien ne saurait mieux démontrer la vérité des assertions de Robespierre ; et, en consultant ces témoins vivants, en fouillant dans ces registres où l'histoire se trouve à nu et sans lard, on est stupéfait de voir avec quelle facilité les choses les plus simples, les plus honorables même, ont pu être retournées contre lui et servir d'armes à ses ennemis.

Quand Saladin présenta son rapport sur la conduite des membres de l'ancien comité de Salut public, il prouva, de la façon la plus lumineuse, que le bureau de police générale n'avait nullement été un établissement distinct,' séparé du comité de Salut public, et que ses opérations avaient été soumises à tous les membres du comité et sciemment approuvées par eux. A cet égard la déclaration si nette et si précise de Fouquier-Tinville ne saurait laisser subsister l'ombre d'un doute : Tous les ordres m'ont été donnés dans le lieu des séances du comité, de même que tous les arrêtés qui m'ont été transmis étaient intitulés : Extrait des registres du comité de Salut public, et signés de plus ou de moins de membres de ce comité[54].

Rien de simple comme le mécanisme de ce bureau. Tous les rapports, dénonciations et demandes adressés au comité de Salut public étaient transcrits sur des registres spéciaux. Le membre chargé de la direction du bureau émettait en marge son avis, auquel était presque toujours conforme la décision du comité. En général, suivant la nature de l'affaire, il renvoyait à tel ou tel de ses collègues.

Ainsi, s'agissait-il de dénonciations ou de demandes concernant les approvisionnements ou la partie militaire : Communiquer à Robert Lindet, à Carnot, se contentait d'écrire en marge Maximilien. Parmi les ordres d'arrestation délivrés sur l'avis de Robespierre, nous trouvons celui de l'ex-vicomte de Mailly, dénoncé par un officier municipal de Laon pour s'être livré à des excès dangereux en mettant la Terreur à l'ordre du jour[55].

Chacune des recommandations de Robespierre ou de Saint-Just porte l'empreinte de la sagesse et de la véritable modération. L'agent national du district de Senlis rend compte du succès de ses courses républicaines pour la destruction du fanatisme dans les communes de son arrondissement ; on lui fait répondre qu'il doit se borner à ses fonctions précisées par la loi, respecter le décret qui établit la liberté des cultes et faire le bien sans faux zèle[56]. La société populaire du canton d'Épinay, dans le département de l'Aube, dénonce le ci-devant curé de Pelet comme un fanatique dangereux et accuse le district de Bar-sur-Aube de favoriser la caste nobiliaire ; Robespierre recommande qu'on s'informe de l'esprit de cette société populaire et de celui du district de Bar[57]. L'agent du district national de Compiègne dénonce des malveillants cherchant à plonger le peuple dans la superstition et dans le fanatisme ; réponse : Quand on envoie une dénonciation, il faut la préciser autrement. En marge d'une dénonciation de la municipalité de Passy contre Reine Vindé, accusée de troubler la tranquillité publique par ses folies, il écrit : On enferme les fous[58]. Au comité de surveillance de la commune de Dourdan, qui avait cru devoir ranger dans la catégorie des suspects ceux des habitants de cette ville convaincus d'avoir envoyé des subsistances à Paris, il fait écrire pour l'instruire des inconvénients de cette mesure et lui Aire de révoquer son arrêté. La société populaire (le Lodève s'étant plainte des abus de pouvoir du citoyen Favre, délégué des représentants du peuple Milhaud et Soubrany, lequel, avec les manières d'un intendant de l'ancien régime, avait exigé qu'on apportât chez lui les livres des délibérations de la société, il fit aussitôt mander le citoyen Favre à Paris[59]. Un individu, se disant président de la commune d'Exmes, dans le département de l'Orne, avait écrit au comité pour demander si les croix portées au cou par les femmes devaient être assimilées aux signes extérieurs des cultes, tels que croix et images dont certaines municipalités avaient ordonné la destruction, Robespierre renvoie au commissaire de police générale la lettre de l'homme en question pour s'informer si c'est un sot ou un fripon. Je laisse pour mémoire une foule d'ordres de mise en liberté, et j'arrive à l'arrestation des membres du comité révolutionnaire de la section de l'Indivisibilité, à cette arrestation fameuse citée par les collègues de Robespierre comme la preuve la plus évidente de sa tyrannie.

A la séance du 9 thermidor, Billaud-Varenne lui reprocha, par-dessus toutes choses, d'avoir défendu Danton, et fait arrêter le meilleur comité révolutionnaire de Paris ; et le vieux Vadier, arrivant ensuite, lui imputa à crime d'abord de s'être porté ouvertement le défenseur de Bazire, de Chabot et de Camille Desmoulins, et d'avoir ordonné l'incarcération du comité révolutionnaire le plus pur de Paris.

Le comité que les ennemis de Robespierre prenaient si chaleureusement sous leur garde, c'était celui de l'indivisibilité. Quelle faute avaient donc commise les membres de ce comité ? Étaient-ils des continuateurs de Danton ? Non, assurément, car ils n'eussent pas trouvé un si ardent avocat dans la personne de Billaud-Varenne. Je supposais bien que ce devaient être quelques disciples de Jacques Roux ou d'Hébert ; mais, n'en ayant aucune preuve, j'étais fort perplexe, lorsqu'en fouillant dans les papiers encore inexplorés du bureau de police générale, j'ai été assez heureux p découvrir les motifs très graves de l'arrestation de ce comité.

Elle eut lieu sur la dénonciation formelle du citoyen Périer, employé de la bibliothèque de l'Instruction publique, et président de la section même de l'Indivisibilité, ce qui ajoutait un poids énorme à la dénonciation. Pour la troisième fois, à la date du 1er messidor, il venait dénoncer les membres du comité révolutionnaire de cette section. Mais laissons ici la parole au dénonciateur : Leur promotion est le fruit de leurs intrigues. Depuis qu'ils sont en place, on a remarqué une progression dans leurs facultés pécuniaires. Ils se donnent des repas splendides. Hyvert a étouffé constamment la voix de ses concitoyens dans les assemblées générales. Despote dans ses actes, il a porté les citoyens à s'entr'égorger à la porte d'un boucher. Le fait est constaté par procès-verbal. Grosler a dit hautement que les assemblées sectionnaires étaient au-dessus de la Convention. Il a rétabli sous les scellés des flambeaux d'argent qu'on l'accusait d'avoir soustraits. Grosler a été prédicateur de l'athéisme. Il a dit à Testard et à Guérin que Robespierre, malgré son foutu décret sur l'Être suprême, serait guillotiné... Viard a mis des riches à contribution, il a insulté des gens qu'il mettait en arrestation. Lainé a été persécuteur d'un Anglais qui s'est donné la mort pour échapper à sa rage ; Allemain, commissaire de police, est dépositaire d'une lettre de lui... Fournier a traité les représentants de scélérats, d'intrigants qui seraient guillotinés... En marge de cette dénonciation on lit de la main de Robespierre : Mettre en état d'arrestation tous les individus désignés dans l'article[60]. Nous n'avons point trouvé la minute du mandat d'arrêt, laquelle était probablement revêtue des signatures de ceux-là même qui se sont fait une arme contre Robespierre de cette arrestation si parfaitement motivée. On voit en effet maintenant ce que Billaud-Varenne et Vadier entendaient par le comité révolutionnaire le meilleur et le plus pur de Paris.

Ainsi, dans toutes nos révélations se manifeste la pensée si claire de Robespierre : réprimer les excès de la Terreur sans compromettre 'les destinées de la République et sans ouvrir la porte à la contre-révolution. A partir du '12 messidor — je précise la date — il devint complètement étranger au bureau de police générale. Au reste, les Thermidoriens ont, involontairement bien entendu, rendu plus d'une fois à leur victime une justice éclatante. Quoi de plus significatif que ce passage d'un Mémoire de Billaud-Varenne où, après avoir établi la légalité de l'établissement d'un bureau de haute police au sein du comité de Salut public, il s'écrie : Si, depuis, Robespierre, marchant à la dictature par la compression et la terreur, avec l'intention peut-être de trouver moins de résistance au dénouement par une clémence momentanée, et en rejetant tout l'odieux de ses excès sur ceux qu'il aurait immolés, a dénaturé l'attribution de ce bureau, c'est une de ces usurpations de pouvoir qui ont servi et à réaliser ses crimes et à l'en convaincre. Ses crimes, ce fut sa résolution bien arrêtée et trop bien devinée par ses collègues d'opposer une digue à la Terreur aveugle et brutale, et de maintenir la Révolution dans les strictes limites de la justice inflexible et du bon sens.

 

VI

Il nous reste à démontrer combien il demeura toujours étranger au tribunal révolutionnaire, à l'établissement duquel il n'avait contribué en rien. Et d'abord, ne craignons pas de le dire, comparé aux tribunaux exceptionnels et extraordinaires de la réaction thermidorienne ou des temps monarchiques et despotiques, où le plus grand des crimes était d'avoir trop aimé la République, la patrie, la liberté, ce tribunal sanglant pourrait sembler un idéal de justice. De simples rapprochements suffiraient pour établir cette vérité ; mais une histoire impartiale et sérieuse du tribunal révolutionnaire est encore à faire.

Emparons-nous d'abord de cette déclaration non démentie par des membres de l'ancien comité de Salut public : Il n'y avait point de contact entre le comité et le tribunal révolutionnaire que pour les dénonciations des accusés de crimes de lèse-nation, ou des factions, ou des généraux, pour la communication des pièces et les rapports sur lesquels l'accusation était portée, ainsi que pour l'exécution des décrets de la Convention nationale[61]. Cela n'a pas empêché ces membres eux-mêmes et une foule d'écrivains sans conscience d'attribuer à Robespierre la responsabilité d'une partie des actes de ce tribunal.

Assez embarrassés pour expliquer l'absence des signatures de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just sur les grandes listes d'accusés traduits au tribunal révolutionnaire en messidor et dans la première décade de thermidor, les anciens collègues de Maximilien ont dit : Qu'importe ! si c'était leur vœu que nous remplissions ![62] Hélas ! c'était si peu leur vœu que ce que Robespierre reprocha précisément à ses ennemis, ce fut — ne cessons pas de le rappeler — d'avoir porté la Terreur dans toutes les conditions, déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables et rendre la Révolution redoutable au peuple même[63]. A cette accusation terrible ils n'ont pu répondre que par des mensonges et des calomnies.

Présenter le tribunal révolutionnaire comme tout dévoué à Maximilien, c'était chose assez difficile au lendemain du jour où ce tribunal s'était mis si complaisamment au service des vainqueurs, et, Fouquier-Tinville en tête, avait été féliciter la Convention nationale d'avoir su distinguer les traîtres[64]. Si parmi les membres de ce tribunal, jurés ou juges, quelques-uns professaient pour Robespierre une, estime sans borne, la plupart étaient à son égard ou indifférents ou hostiles. Dans le procès où furent impliquées les fameuses vierges de Verdun figuraient deux accusés nommés Bertault et Bonin, à la charge desquels on avait relevé, entre autres griefs, de violents propos contre Robespierre. Tous deux se trouvèrent précisément au nombre des acquittés[65].

Cependant il paraissait indispensable de le rendre solidaire des actes de ce tribunal. On s'est attaché particulièrement, a-t-il dit lui-même, à prouver que le tribunal révolutionnaire était un tribunal de sang créé par moi seul, et que je maîtrisais absolument pour faire égorger tous les gens de bien, et même tous les fripons, car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres[66]. On imagina donc, après Thermidor, de répandre le bruit qu'il avait gouverné le tribunal par Dumas et par Coffinhal. On avait appris depuis, prétendait-on, qu'il avait eu avec eux des conférences journalières où sans doute il conférait des détenus à mettre en jugement[67]. On ne s'en était pas douté auparavant. Mais plus la chose était absurde, invraisemblable, plus on comptait sur la méchanceté des uns et sur la crédulité des autres pour la faire accepter.

Hommes de tête et de cœur, dont la réputation de civisme et de probité est demeurée intacte malgré les calomnies persistantes sous lesquelles on a tenté d'étouffer leur mémoire, Dumas et Coffinhal avaient été les seuls membres du tribunal révolutionnaire qui se fussent activement dévoués à la fortune de Robespierre dans la journée du 9 thermidor. Emportés avec lui par la tempête, ils n'étaient plus là pour répondre. A-t-on jamais produit la moindre preuve de leurs prétendues conférences avec Maximilien ? Non ; mais c'était chose dont on se passait volontiers quand on écrivait l'histoire sous la dictée des vainqueurs. Dans les papiers de Dumas on a trouvé un billet de Robespierre, un seul : c'était une invitation pour se rendre... au comité de Salut public[68].

S'il n'avait aucune action sur le tribunal révolutionnaire, du moins, a-t-on prétendu encore, agissait-il sur Herman, qui, en sa qualité de commissaire des administrations civiles et tribunaux, avait les prisons sous sa surveillance. Nous avons démontré ailleurs la fausseté de cette allégation. Herman, dont Robespierre estimait à juste titre la probité et les lumières, avait bien pu être nommé, sur la recommandation de Maximilien, président du tribunal révolutionnaire d'abord, et ensuite commissaire des administrations civiles, mais ses relations avec lui se bornèrent à des relations purement officielles, et dans l'espace d'une année, il n'alla pas chez lui plus de cinq fois ; ses déclarations à cet égard n'ont jamais été démenties[69].

Seulement il était tout simple qu'en marge des rapports de dénonciations adressées au comité de Salut public, Maximilien écrivit : renvoié à Herman, autrement dit au commissaire des administrations civiles et tribunaux, comme il écrivait : renvoié à Carnot, à Robert Lindet, suivant que les faits dénoncés étaient de la compétence de tel ou tel de ces fonctionnaires. Ainsi fut-il fait pour les dénonciations relatives aux conspirations dites des prisons[70] ; et lorsque dans les premiers jours de messidor, le comité de Salut public autorisait le commissaire des administrations civiles à opérer des recherches dans les prisons au sujet des complots contre la sûreté de la République, pour en donner ensuite le résultat au comité, il prenait une simple mesure de précaution toute légitime dans les circonstances où l'on se trouvait[71].

Au reste, Herman était si peu l'homme de Robespierre, et il songea si peu à s'associer à sa destinée dans la tragique journée de Thermidor, qu'il s'empressa d'enjoindre à ses agents de mettre à exécution le décret de la Convention qui mettait Hanriot, son état-major et plusieurs autres individus, en état d'arrestation.

Quoi qu'il en soit, Herman, sans être lié d'amitié avec Robespierre, avait mérité d'être apprécié de lui, et il professait pour le caractère de ce grand citoyen la plus profonde estime. Tout au contraire, Maximilien semblait avoir pour la personne de Fouquier-Tinville une secrète répulsion. On ne pourrait citer un mot d'éloge tombé de sa bouche ou de sa plume sur ce farouche et sanglant magistrat, dont la réaction, d'ailleurs, ne s'est pas privée d'assombrir encore la sombre figure. Fouquier s'asseyait à la table de Laurent Lecointre en compagnie de Merlin (de Thionville) ; il avait des relations de monde avec les députés Morisson, Cochon de Lapparent, Goupilleau (de Fontenay) et bien d'autres[72] ; mais Robespierre, il ne le voyait, jamais en dehors du comité de Salut public ; une seule fois il alla chez lui, ce fut le jour de l'attentat de Ladmiral, comme ce jour-là il se rendit également chez Collot-d'Herbois[73]. Il ne se gênait même point pour manifester son antipathie contre lui. Un jour, ayant reçu la visite du représentant Martel, député de l'Allier à la Convention, il lui en parla dans les termes les plus hostiles, en l'engageant à se liguer avec lui, afin, disait-il, de sauver leurs têtes[74].

Fouquier-Tinville était-il de la conjuration ? On pourrait le croire. Il recevait de fréquentes visites d'Amar, de Vadier, de Voulland et de Jagot — quatre des plus violents ennemis de Robespierre — qui venaient lui recommander de mettre en jugement tel ou tel qu'ils désignaient[75]. On sait avec quel empressement il vint, dans la matinée du 10 thermidor, offrir ses services à la Convention nationale ; on sait aussi comment le lendemain, à la séance du soir, Barère, au nom des comités de Salut public et de Sûreté générale, parla du tribunal révolutionnaire, de cette institution Salutaire, qui détruisait les ennemis de la République, purgeait le sol de la liberté, pesait aux aristocrates et nuisait aux ambitieux ; comment enfin il proposa de maintenir au poste d'accusateur public... Fouquier-Tinville[76]. Ce n'était donc pas le tribunal de Robespierre, bien que dans la matinée du 10, quelques-uns des calomniateurs jurés de Robespierre, Élie Lacoste, Thuriot, Bréard, eussent demandé la suppression de ce tribunal comme étant composé de créatures de Maximilien. Mais admirez les contradictions de ces sanguinaires Thermidoriens, le soir même Barère annonçait que les conjurés avaient formé le projet de faire fusiller le tribunal révolutionnaire[77].

La vérité est que Robespierre blâmait et voulait arrêter les excès auxquels ce tribunal était en quelque sorte forcément entraîné par les manœuvres odieuses de certains membres du gouvernement. Quant à son influence sur les décisions du tribunal révolutionnaire, elle était nulle, absolument nulle ; mais en eût-il eu la moindre sur quelques-uns de ses membres, qu'il lui eût répugné d'en user. Nous avons dit comment, ayant négligemment demandé un jour à Duplay ce qu'il avait fait au tribunal, et son hôte lui ayant répondu : Maximilien, je ne vous demande jamais ce que vous faites au comité de Salut public, il lui avait étroitement serré la main, en signe d'estime et d'adhésion.

 

VII

Quand les conjurés virent Robespierre fermement décidé à arrêter le débordement des excès, ils imaginèrent de retourner contre lui l'arme même dont il entendait se servir, et de le présenter partout comme l'auteur des actes d'oppression qu'ils multipliaient à dessein. Tous ceux qui avaient une mauvaise conscience, tous ceux qui s'étaient souillés de rapines ou baignés dans le sang à plaisir, les Bourdon, les Carrier, les Guffroy, les Tallien, les Rovère, les Dumont, les Vadier, s'associèrent à ce plan où se devine si bien la main de l'odieux Fouché. D'impurs émissaires, répandus dans tous les lieux publics, dans les assemblées de sections, dans les sociétés populaires, étaient chargés de propager la calomnie.

Mais laissons ici Robespierre dévoiler lui - même les effroyables trames dont il fut victime :

Pour moi, je frémis quand je songe que des ennemis de la Révolution, que d'anciens professeurs de royalisme, que des ex-nobles, que des émigrés peut-être, se. sont tout à coup faits révolutionnaires et transformés en commis du comité de Sûreté générale, pour se venger sur les amis de la patrie de la naissance et des succès de la République... A ces puissants motifs qui m'avaient déjà déterminé à dénoncer ces hommes, mais inutilement, j'en joins un autre qui tient à la trame que j'avais commencé à développer : nous sommes instruits qu'ils sont payés par les ennemis de la Révolution pour déshonorer le gouvernement révolutionnaire en lui-même et pour calomnier les représentants du peuple dont les tyrans ont ordonné la perte. Par exemple, quand les victimes de leur perversité se plaignent, ils s'excusent en leur disant : C'est Robespierre qui le veut ; nous ne pouvons pas nous en dispenser... Jusques à quand l'honneur des citoyens et la dignité de la Convention nationale seront-ils à la merci de ces hommes-là ? Mais le trait que je viens de citer n'est qu'une branche du système de persécution plus vaste dont je suis l'objet. En développant cette accusation de dictature mise à l'ordre du jour par les tyrans, on s'est attaché à me charger de toutes leurs iniquités, de tous les torts de la fortune, ou de toutes les rigueurs commandées par le salut de la patrie. On disait aux nobles : c'est lui seul qui vous a proscrits ; on disait en même temps aux patriotes : il veut sauver les nobles ; on disait aux prêtres : c'est lui seul qui vous poursuit, sans lui vous seriez paisibles et triomphants ; on disait aux fanatiques : c'est lui qui détruit la religion ; on disait aux patriotes persécutés : c'est lui qui l'a ordonné ou qui ne veut pas l'empêcher. On me renvoyait toutes les plaintes dont je ne pouvais faire cesser les causes, en disant : Votre sort dépend de lui seul. Des hommes apostés dans les lieux publics propageaient chaque jour ce système ; il y en avait dans le lieu des séances du tribunal révolutionnaire, dans les lieux où les ennemis de la patrie expient leurs forfaits ; ils disaient : Voilà des malheureux condamnés ; qui est-ce qui en est la cause ? Robespierre... Ce cri retentissait dans toutes les prisons ; le plan de proscription était exécuté à la fois dans tous les départements par les émissaires de la tyrannie... Comme on voulait me perdre, surtout dans l'opinion de la Convention nationale, on prétendit que moi seul avais osé croire qu'elle pouvait renfermer dans son sein quelques hommes indignes d'elle. On dit chaque député revenu d'une mission dans les départements que moi seul avais provoqué son rappel ; je fus accusé, par des hommes très officieux et très insinuants, de tout le bien et de tout le mal qui avait été fait. On rapportait fidèlement à mes collègues et tout ce que j'avais dit, et surtout ce que je n'avais pas dit. On écartait avec soin le soupçon qu'on eût contribué à un acte qui pût déplaire à quelqu'un ; j'avais tout fait, tout exigé, tout commandé, car il ne faut pas oublier mon titre de dictateur... Ce que je puis affirmer positivement, c'est que parmi les auteurs de cette trame sont les agents de ce système de corruption et d'extravagance, le plus puissant de tous les moyens inventés par l'étranger pour perdre la République...[78]

 

Il n'est pas jusqu'à son immense popularité qui ne servit merveilleusement les projets de ses ennemis. L'opinion se figurait son influence sur les affaires du gouvernement beaucoup plus considérable qu'elle ne l'était en réalité. N'entendons-nous pas aujourd'hui encore une foule de gens témoigner un étonnement assurément bien naïf de ce qu'il ait abandonné sa part de dictature au lieu de s'opposer à la recrudescence de terreur infligée au pays dans les quatre décades qui précédèrent sa chute ? Nous avons prouvé, au contraire, qu'il lutta énergiquement au sein du comité de Salut public pour réfréner la Terreur, cette Terreur déchaînée par ses ennemis sur toutes les classes de la société ; l'impossibilité de réussir fut la seule cause de sa retraite, toute morale. L'impuissance de faire le bien et d'arrêter le mal m'a forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du comité de Salut public[79]. Quant à en appeler à la Convention nationale, dernière ressource sur laquelle il comptait, il sera brisé avec une étonnante facilité lorsqu'il y aura recours. Remplacé au fauteuil présidentiel, dans la soirée du 1er messidor, par le terroriste Élie Lacoste, un de ses adversaires les plus acharnés, peut-être aurait-il dû se méfier des mauvaises ''dispositions de l'Assemblée à son égard ; mais il croyait le côté droit converti à la Révolution : là fut son erreur.

On se tromperait fort, du reste, si l'on s'imaginait qu'il voulût ouvrir toutes grandes les portes des prisons, au risque d'offrir le champ libre à tous les ennemis de la Révolution et d'accroître ainsi les forces des coalisés de l'intérieur et de l'extérieur. Décidé à combattre le crime, il n'entendait pas encourager la réaction. Ses adversaires, eux, n'y prenaient point garde ; peu leur importait, ils avaient bien souci de la République et de la liberté I Il s'agissait d'abord pour eux de rendre le gouvernement révolutionnaire odieux par des excès de tous genres, et d'en rejeter la responsabilité sur ceux qu'on voulait perdre. Il y a dans le dernier discours de Robespierre un mot bien profond à ce sujet : Si nous réussissons, disaient les conjurés, il faudra contraster par une extrême indulgence avec l'état présent des choses. Ce mot renferme toute la conspiration[80].

Cela ne s'est-il point réalisé de point en point au lendemain de Thermidor, et n'a-t-on point usé d'une extrême indulgence envers les traîtres et les conspirateurs ? II est vrai qu'en revanche on s'est mis à courir sus aux républicains les plus purs, aux meilleurs patriotes. Ce que Robespierre demandait, lui, c'était que, tout en continuant de combattre à outrance les ennemis déclarés de la Révolution, on ne troublât point les citoyens paisibles, et qu'on n'érigeât pas en crimes ou des préjugés incurables, ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables[81]. Telle fut la politique qu'il s'efforça de faire prévaloir dans le courant de messidor, à la société des Jacobins, où il parla, non point constamment, comme on l'a si souvent et si légèrement avancé, mais sept ou huit fois en tout et pour tout dans l'espace de cinquante jours.

Ce fut dans la séance du 3 messidor (21 juin 1794) qu'a propos d'une proclamation du duc d'York, il commença à signaler les manœuvres employées contre lui. Cette proclamation avait été rédigée à l'occasion du décret rendu sur le rapport de Barère, où il était dit qu'il ne serait point fait de prisonniers anglais ou hanovriens. C'était une sorte de protestation exaltant la générosité et la clémence comme la plus belle vertu du soldat, pour rendre plus odieuse la mesure prise par la Convention nationale.

Robespierre démêla très bien la perfidie, et, dans un long discours improvisé, il montra sous les couleurs les plus hideuses la longue astuce et la basse scélératesse des tyrans. Reprenant phrase à phrase la proclamation du duc, après en avoir donné lecture, il établit un contraste frappant entre la probité républicaine et la mauvaise foi britannique. Sans doute, dit-il, aux applaudissements unanimes de la société, un homme libre pouvait pardonner à son ennemi ne lui présentant que la mort, mais le pouvait-il s'il ne lui offrait que des fers ? York parlant d'humanité ! lui le soldat d'un gouvernement qui avait rempli l'univers de ses crimes et de ses infamies, c'était à la fois risible et odieux. Certainement, ajoutait Robespierre, on comptait sur les trames ourdies dans l'intérieur, sur les pièges des imposteurs, sur le système d'immoralité mis en pratique par certains hommes pervers. N'y avait-il pas un rapprochement instructif à établir entre le duc d'York, qui, par une préférence singulière donnée à Maximilien, appelait les soldats de la République les soldats de Robespierre, dépeignait celui-ci comme entouré d'une garde militaire, et ces révolutionnaires équivoques, qui s'en allaient, dans les assemblées populaires réclamer une sorte de garde prétorienne pour les représentants ? Je croyais être citoyen français, s'écria Robespierre avec une animation extraordinaire, en repoussant les qualifications que lui avait si généreusement octroyées le duc d'York, et il me fait roi de France et de Navarre ! Y avait-il donc au monde un plus beau titre que celui de citoyen français, et quelque chose de préférable, pour un ami de la liberté, à l'amour de ses concitoyens ? C'étaient là disait Maximilien en terminant, des pièges faciles à déjouer ; on n'avait pour cela qu'à se tenir fermement attaché aux principes. Quant à lui, les poignards seuls pourraient lui fermer la bouche et l'empêcher de combattre les tyrans, les traîtres et tous les scélérats.

La Société accueillit par les plus vives acclamations ce chaleureux discours, dont elle vota d'enthousiasme l'impression, la distribution et l'envoi aux armées[82].

 

VIII

Retranché dans sa conscience comme dans une forteresse impénétrable, isolé, inaccessible à l'intrigue, Robespierre opposait aux coups de ses ennemis, à leurs manœuvres tortueuses, sa conduite si droite, si franche, se contentant de prendre entre eux et lui l'opinion publique pour juge. Il est temps peut-être, dit-il aux Jacobins, dans la séance du 13 messidor, que la vérité fasse entendre dans cette enceinte dés accents aussi mâles et aussi libres que ceux dont cette salle a retenti dans toutes les circonstances où il s'est agi de sauver la patrie. Quand le crime conspire dans l'ombre la ruine de la liberté, est-il pour des hommes libres des moyens plus forts que la vérité et la publicité ? Irons-nous, comme des conspirateurs, concerter dans des repaires obscurs les moyens de nous défendre contre leurs efforts perfides ? Irons-nous répandre l'or et semer la corruption ? En un mot, nous servirons-nous contre nos ennemis des mêmes armes qu'ils emploient pour nous combattre ? Non. Les armes de la liberté et de la tyrannie sont aussi opposées que la liberté et la tyrannie sont opposées. Contre les scélératesses des tyrans et de leurs amis, il ne nous reste d'autre ressource que la vérité et le tribunal de l'opinion publique, et d'autre appui que les gens de bien.

Il n'était pas dupe, on le voit, des machinations ourdies contre lui ; il savait bien quel orage dans l'ombre se préparait à fondre sur sa tête, mais il répugnait à son honnêteté de de combattre l'injustice par l'intrigue, et il succombera pour n'avoir point voulu s'avilir.

La République était-elle fondée sur des bases durables quand l'innocence tremblait pour elle-même, persécutée par d'audacieuses factions ? On allait cherchant des recrues dans l'aristocratie, dénonçant comme des actes d'injustice et de cruauté les mesures sévères déployées contre les conspirateurs, et en même temps on ne cessait de poursuivre les patriotes. Ah I disait Robespierre, l'homme humain est celui qui se dévoue pour la cause de l'humanité et qui poursuit avec rigueur et avec justice celui qui s'en montre l'ennemi ; on le verra toujours tendre une main secourable à la vertu outragée et à l'innocence opprimée. Mais était-ce se montrer vraiment humain que de favoriser les ennemis de la Révolution aux dépens des républicains ? On connait le mot de Bourdon (de l'Oise) à Durand-Maillane : Oh ! les braves gens que les gens de la droite ! Tel était le système des conjurés. ils recrutaient des alliés parmi tous ceux qui conspiraient en secret la ruine de la République, et qui, tout en estimant dans Robespierre le patriotisme et la probité même, aimèrent mieux le sacrifier à des misérables qu'ils méprisaient que d'assurer, en, prenant fait et cause pour lui, le triomphe de la Révolution.

La crainte de Robespierre était que les calomnies des tyrans et de leurs stipendiés ne finissent par jeter le découragement dans l'âme des patriotes ; mais il engageait ses concitoyens à se fier à la vertu de la Convention, au patriotisme et à la fermeté des membres du comité de Salut public et de Sûreté générale. Et comme ses paroles étaient accueillies par des applaudissements réitérés : Ah ! s'écria ce flatteur du peuple, ce qu'il faut pour sauver la liberté, ce ne sont ni des applaudissements ni des éloges, mais une vigilance infatigable. Il promit de s'expliquer plus au long quand les circonstances se développeraient, car aucune puissance au monde n'était capable de l'empêcher de s'épancher, die déposer la vérité dans le sein de la Convention ou dans le cœur des républicains, et il n'était pas au pouvoir des tyrans ou de leurs valets de faire échouer son courage : Qu'on répande des libelles contre moi, dit-il en terminant, je n'en serai pas moins toujours le même, et je défendrai la liberté et l'égalité avec la même ardeur. Si l'on me forçait de renoncer à une partie des fonctions dont je suis chargé, il me resterait encore ma qualité de représentant du peuple, et je ferais une guerre à mort aux tyrans et aux conspirateurs[83]. Donc, à cette époque, Robespierre ne considérait pas encore la rupture avec ses collègues du comité de Salut public, ni même avec les membres du comité de Sûreté générale, comme une chose accomplie. Il sentait bien qu'on s'efforçait de le perdre dans l'esprit de ces comités, mais il avait encore confiance dans la vertu et la fermeté de leurs membres, et sans doute il ne désespérait pas de les ramener à sa politique à la fois énergique et modérée. Une preuve assez manifeste que la scission n'existait pas encore, au moins dans le comité de Salut public, c'est que vers cette époque (15 messidor) Couthon fut investi d'une mission de confiance près les armées du Midi, et chargé de prendre dans tous les départements qu'il parcourrait les mesures les plus utiles aux intérêts du peuple et au bonheur public[84].

En confiant à Couthon, une importante mission, les collègues de Robespierre eurent-ils l'intention d'éloigner de lui un de ses plus ardents amis ? On le supposerait à tort ; ils n'avaient pas encore de parti pris. D'ailleurs Maximilien et Saint-Just, revenu depuis peu de l'armée du Nord après une participation glorieuse à la bataille de Fleurus et à la prise de Charleroi[85], n'avaient-ils pas approuvé eux-mêmes la mission confiée à leur ami ? Si Couthon différa son départ, ce fut sans doute parce que de jour en jour la conjuration devenait plus manifeste et plus menaçante, et que, comme il allait bientôt le déclarer hautement, il voulait partager les poignards dirigés contre Robespierre[86].

 

IX

L'horreur de Maximilien pour les injustices commises envers les particuliers, son indignation contre ceux qui se servaient des lois révolutionnaires contre les citoyens non coupables ou simplement égarés, éclatèrent d'une façon toute particulière aux Jacobins dans la séance du 21 messidor (9 juillet 1794). Rien de plus rare, à son sens, que la défense généreuse des opprimés quand on n'en attend aucun profit. Or, si quelqu'un usa sa vie, se dévoua complètement àe soutenir la cause des faibles, des déshérités, sans même compter sur la reconnaissance des hommes, ce fut assurément lui. Ah ! s'il eût été plus habile, s'il eût prêté sa voix aux puissants de la veille, destinés à redevenir les puissants du lendemain, il n'y aurait pas assez d'éloges pour sa mémoire ; mais il voulait le bonheur de tous dans la liberté et dans l'égalité ; il ne voulait pas que la France devînt la proie de quelques misérables qui dans la Révolution ne voyaient qu'un moyen de fortune ; il ne voulait pas que certains fonctionnaires trop zélés multipliassent les actes d'oppression, érigeassent en crimes des erreurs ou des préjugés pour trouver partout des coupables et rendre la Révolution redoutable au peuple même. Comment n'aurait-il pas été maudit des ambitieux vulgaires, des fripons, des égoïstes, des spéculateurs avides qui finirent par tuer la République après l'avoir déshonorée ?

Un décret avait été rendu qui, en mettant à l'ordre du jour la vertu et la probité, eût pu sauver l'État ; mais des hommes couverts du masque du patriotisme s'en étaient servi pour persécuter les citoyens. Tous les scélérats, dit Robespierre, ont abusé de la loi qui a sauvé la liberté et le peuple français. Ils ont feint d'ignorer que c'était la justice suprême que la Convention avait mise à l'ordre du jour, c'est-à-dire le devoir de confondre les hypocrites, de soulager les malheureux et les opprimés, et de combattre les tyrans ; ils ont laissé à l'écart ces grands devoirs, et s'en sont fait un instrument pour tourmenter le peuple et perdre les patriotes. Un comité révolutionnaire avait imaginé d'ordonner l'arrestation de tous les citoyens qui dans un r de fête se seraient trouvés en état d'ivresse, et une le d'artisans, de bons citoyens, avaient été impitoyablement incarcérés. Voilà ce dont s'indignait Robespierre, qui peut-être avait plus que ces inquisiteurs méchants et hypocrites, comme il les appelait, le droit de se montrer sévère et rigide, car personne autant que lui ne prêcha d'exemple l'austérité des mœurs. Après avoir parlé des obligations imposées aux fonctionnaires publics dont il flétrit le faux zèle, il ajoutait : Mais ces obligations ne les forcent point à s'appesantir avec une inquisition sévère sur les actions des bons citoyens pour détourner les yeux de dessus les fripons ; ces fripons qui ont cessé d'attirer leur attention sont ceux-là même qui oppriment l'humanité, et sont de vrais tyrans. Si les fonctionnaires publics avaient fait ces réflexions, ILS AURAIENT TROUVÉ PEU DE COUPABLES À PUNIR, car le peuple est bon, et la classe des méchants est la plus petite. Elle est la plus petite, il est vrai, mais elle est aussi la plus forte, aurait-il pu ajouter, parce qu'elle est la plus audacieuse.

En recommandant au gouvernement beaucoup d'unité, de sagesse et d'action, Robespierre s'attacha à défendre les institutions révolutionnaires devenues le point de mire des attaques de tous les intrigants et de tous les fripons, devant les convoitises desquels elles se dressaient comme un obstacle infranchissable. Il ne venait point réclamer des mesures sévères contre les coupables, mais seulement prémunir les citoyens contre les pièges qui leur étaient tendus, et tâcher d'éteindre la nouvelle torche de discorde allumée au milieu de la Convention nationale, qu'on s'efforçait d'avilir par un système de terreur. A la franchise on avait substitué la défiance, et le sentiment généreux des fondateurs de la République avait fait place au calcul des âmes faibles. Comparez, disait Robespierre, comparez avec la justice tout ce qui n'en a que l'apparence. Tout ce qui tendait à un résultat dangereux lui semblait dicté par la perfidie. Qu'importaient, ajoutait-il, des lieux communs contre Pitt et les ennemis du genre humain, si les mêmes hommes qui les débitaient attaquaient sourdement le gouvernement révolutionnaire, tantôt modérés et tantôt hors de toute mesure, déclamant toujours, et sans cesse s'opposant aux moyens utiles qu'on proposait. Ces hommes, il était temps de se mettre en garde contre leurs complots.

Les hommes auxquels Robespierre faisait allusion, c'étaient les Bourdon (de l'Oise), les Tallien, les Fouché, les Fréron, les Rovère ; c'était à ces hommes de sang et de rapine qu'il jetait ce défi hautain : Il faut que ces lâches conspirateurs ou renoncent à leurs complots infâmes, ou nous arrachent la vie. Car il ne s'illusionnait pas sur leurs desseins ; il savait bien qu'on en voulait à ses jours.

Cependant il avait confiance encore dans le génie de la patrie, et, en terminant, il engageait vivement les membres de la Convention à se mettre en garde contre les insinuations perfides de certains personnages qui, en craignant pour eux-mêmes, cherchaient à faire partager leurs craintes. Tant que la terreur durera parmi les représentants, ils seront incapables de remplir leur mission glorieuse. Qu'ils se rallient à la justice éternelle, qu'ils déjouent les complots par leur surveillance ; que le fruit de nos victoires soit la liberté, la paix, le bonheur et la vertu, et que nos frères, après avoir versé leur sang pour nous assurer tant d'avantages, soient eux-mêmes assurés que leurs familles jouiront du fruit immortel que doit leur garantir leur généreux dévouement[87]. Comment de telles paroles n'auraient-elles pas produit une impression profonde sur une société dont la plupart des membres étaient animés du plus pur patriotisme. Ah ! si tous les hommes de cette époque avaient été également amis de la patrie et des lois, la Révolution se serait terminée d'une manière bien simple, sans être inquiétée par les factieux comme venait de le déclarer Robespierre. Mais, tandis que de sa bouche sortait cet éloquent appel à la justice, à la probité, à l'amour de la patrie, la calomnie continuait son œuvre souterraine, et tous les vices coalisés se préparaient dans l'ombre à abattre la plus robuste vertu de ces temps héroïques.

 

X

Parmi les hommes pervers acharnés à la perte de Robespierre, nous avons déjà signalé Fouché, le futur due d'Otrante, qui, redoutant d'avoir à rendre compte du sang inutilement répandu à Lyon, cherchait dans un nouveau crime l'impunité de ses nombreux méfaits. Une adresse des habitants de Commune-Affranchie, en ramenant aux Jacobins la discussion sur les affaires lyonnaises, fournit à Robespierre l'occasion de démasquer tout à fait ce sanglant maître fourbe.

C'était le 23 messidor (11 juillet 1794). Reprenant les choses de plus haut, Maximilien rappela d'abord la situation malheureuse où s'étaient trouvés les patriotes de cette ville à l'époque du supplice de Chalier, supplice si cruellement prolongé par les aristocrates de Lyon. Par quatre fois le bourreau avait fait tomber la hache sur la tête de l'infortuné maire, et lui, par quatre fois, soulevant sa tête mutilée, s'était écrié d'une voix mourante : Vive la République ! attachez-moi la cocarde. Nous avons dit avec quelle modération Couthon avait usé de la victoire. Collot-d'Herbois lui avait reproché de s'être laissé entraîner par une pente naturelle vers l'indulgence ; il avait même dénoncé à Robespierre ce système d'indulgence inauguré par Couthon, en rendant d'ailleurs pleine justice aux intentions de son collègue. La commission temporaire, établie pour juger les conspirateurs, avait commencé par déployer de l'énergie ; mais bientôt, cédant à la séduction de certaines femmes et à de perfides manœuvres, elle s'était relâchée de sa pureté ; les patriotes avaient été de nouveau en butte aux persécutions de l'aristocratie, et, de désespoir, le républicain Gaillard, un des amis de Chalier, s'était donné la mort. Cette commission ne fonctionnait pas d'ailleurs à titre de tribunal ; il ne s'agissait donc nullement de la terrible commission des sept instituée par Fouché et par Collot-d'Herbois à la place des deux anciens tribunaux révolutionnaires également créés par eux, et qui, astreints à de certaines formes, n'accéléraient pas à leur gré l'œuvre de vengeance dont ils étaient les sauvages exécuteurs. C'était cette dernière commission à laquelle Robespierre reprochait de s'être montrée impitoyable, et d'avoir proscrit à la fois la faiblesse et la méchanceté, l'erreur et le crime.

Eh bien ! un historien de nos jours, par une de ces aberrations qui font de son livre un des livres les plus dangereux qui aient été écrits sur la Révolution française, confond la commission temporaire de surveillance républicaine avec la sanglante commission dite des sept, tout cela pour le plaisir d'affirmer, en violation de la vérité, que Robespierre soutenait à Lyon les ultra-terroristes contre l'exécrable Fouché[88]. Et la preuve, il la voit dans ce fait que l'austère tribun invoquait à l'appui de son accusation le souvenir de Gaillard, le plus violent des ultra-terroristes de Lyon. On ne saurait vraiment avoir la main plus malheureuse. Il est faux, d'abord, que Gaillard ait été un violent terroriste. Victime lui-même de longues vexations de la part de l'aristocratie, il s'était tué le jour où, en présence de persécutions dirigées contre certains patriotes, il avait désespéré de la République, comme Caton de la liberté. Son suicide avait eu lieu dans les derniers jours de frimaire an II (décembre 1793). Or, trois mois après environ, le 21 ventôse (11 mars 1794), Fouché écrivait de Lyon à la Convention ces lignes déjà citées en partie : La justice aura bientôt achevé son cours terrible dans cette cité rebelle ; il existe encore quelques complices de la révolte lyonnaise, nous allons les lancer sous la foudre ; il faut que tout ce qui fit la guerre à la liberté, tout ce qui fut opposé à la République, ne présente aux yeux des républicains que des cendres et des décombres[89]. N'est-il pas souverainement ridicule, pour ne pas dire plus, de venir opposer le prétendu terrorisme de Gaillard à la modération de Fouché !

Ce dont Robespierre fit positivement un crime à Fouché, ce furent les persécutions indistinctement dirigées contre les ennemis de la Révolution et contre les patriotes, contre les citoyens qui n'étaient qu'égarés et contre les coupables. Tout concourt à la démonstration de cette vérité. Son frère ne lui avait-il pas, tout récemment, dénoncé la conduite extraordinairement extravagante de quelques hommes envoyés à Commune-Affranchie[90] ? Les plaintes des victimes n'étaient-elles pas montées vers lui[91]. Que dis-je, à l'heure même où il prenait si vivement à partie l'impitoyable mitrailleur de Lyon, ne recevait-il pas une lettre dans laquelle on lui dépeignait le massacre d'une grande quantité de pères de famille, dont la plupart n'avaient point pris les armes[92] ? Ce que voulait Robespierre, c'était le retour à la justice, à la modération, sinon à une indulgence aveugle ; il n'y a point d'autre signification à attribuer à ces quelques mots dont se sont contentés les rédacteurs du Journal de la Montagne et du Moniteur pour indiquer l'ordre d'idées développé par lui dans cette séance du 23 messidor, mais qui nous paraissent assez significatifs : LES PRINCIPES DE L'ORATEUR SONT D'ARRÊTER L'EFFUSION DU SANG HUMAIN VERSÉ PAR LE CRIME[93].

Et il ne s'agissait pas ici seulement des horreurs commises à Lyon par Fouché, Robespierre entendait aussi flétrir les actes d'oppression multipliés sur tous les points de la République ; il revendiquait pour lui, et même pour ses collègues du comité, dont il ne séparait point sa cause, l'honneur d'avoir distingué l'erreur du crime et défendu les patriotes égarés. Or, l'homme qui, au dire de Maximilien, avait persécuté les patriotes de Commune-Affranchie avec une astuce, une perfidie aussi lâche que cruelle, c'est-à-dire Fouché, n'était-il pas le même qui, à cette heure, se trouvait être l'âme d'un complot ourdi contre les meilleurs patriotes de la Convention ? Mais le comité de Salut public ne serait point sa dupe, Robespierre le croyait du moins. Hélas ! dans quelle erreur il était ! Nous demandons enfin, dit-il, que la justice et la vertu triomphent, que l'innocence soit paisible, le peuple victorieux de tous ses ennemis, et que la Convention mette sous ses pieds toutes les petites intrigues[94]. On convint, sur la proposition de Robespierre, d'inviter Fouché à se disculper des reproches dont il avait été l'objet.

Les fourbes ont partout des partisans, et Fouché n'en manquait pas au milieu même de la société des Jacobins, dont quelques jours auparavant on l'avait vu occuper le fauteuil. Robespierre jeune, revenu depuis peu de temps de l'armée du Midi, ne trouvant pas suffisante l'indignation de la société contre les persécuteurs des patriotes, s'élança à la tribune, et, d'une voix émue, raconta qu'on avait usé à son égard des plus basses flatteries pour l'éloigner de son frère. Mais, s'écria-t-il, on chercherait en vain à nous séparer. Je n'ambitionne que la gloire d'avoir le même tombeau que lui. Vœu touchant qui n'allait pas tarder à être exaucé. Couthon vint aussi réclamer le privilège de mourir avec son ami : Je veux partager les poignards de Robespierre. — Et moi aussi ! et moi aussi ! s'écria-t-on tous les coins de la salle[95]. Hélas ! combien, au jour de l'épreuve suprême, se souviendront de leur parole !

Le jour fixé pour entendre Fouché (26 messidor) était un jour solennel dans la Révolution, c'était le 14 juillet ; ce jour-là tous les cœurs devaient être à la patrie, aux sentiments généreux. On s'attendait, aux Jacobins, à voir arriver Fouché ; mais celui-ci n'était pas homme à accepter une discussion publique, à mettre sa vie à découvert, à ouvrir son âme à ses concitoyens. La dissimulation et l'intrigue étaient ses armes ; il lui fallait les ténèbres et les voies tortueuses.

Au lieu de venir, il adressa à la société une lettre par laquelle il la priait de suspendre son jugement jusqu'à ce que les comités de Salut public et de Sûreté générale eussent fait leur rapport sur sa conduite politique et privée. Cette méfiance à l'égard d'une société dont tout récemment il avait été le président était loin d'annoncer une conscience tranquille. Aussitôt après la lecture de cette lettre, Robespierre prit la parole : ii avait pu être lié jadis avec l'individu Fouché, dit-il, parce qu'il l'avait cru patriote ; et s'il le dénonçait, c'était moins encore à cause de ses crimes passés que parce qu'il le soupçonnait de se cacher pour en commettre d'autres.

Nous savons aujourd'hui si Robespierre se trompait dans ses prévisions. N'était-il pas dans le vrai quand il présentait Fouché comme le chef, l'âme de la conspiration à déjouer ? Et pourquoi donc cet homme, après avoir brigué le fauteuil où il avait été élevé grâce aux démarches de quelques membres qui s'étaient trouvés avec lui à Commune-Affranchie, refusait-il de soumettre sa conduite à l'appréciation de ceux dont il avait sollicité les suffrages ? Craint-il, s'écria Robespierre, cédant à l'indignation qui l'oppressait, craint-il les yeux et les oreilles du peuple ? Craint-il que sa triste figure ne présente visiblement le crime ? que six mille regards fixés sur lui ne découvrent dans ses yeux son âme tout entière, et qu'en dépit de la nature qui les a cachées on n'y lise ses pensées[96] ? Craint-il que son langage ne décèle l'embarras et les contradictions d'un coupable ?

Puis, établissant entre Fouché et les véritables républicains un parallèle écrasant, Robespierre le rangea au nombre de ces hommes qui n'avaient servi la Révolution que pour la déshonorer, et qui avaient employé la terreur pour forcer les patriotes au silence. Ils plongeaient dans les cachots ceux qui avaient le courage de le rompre, et voilà le crime que je reproche à Fouché. Étaient-ce là les principes de la Convention nationale ? Son intention avait-elle jamais été de jeter la terreur dans l'âme des bons citoyens ? Et quelle ressource resterait-il aux amis de la liberté s'il leur était interdit de parler, tandis que des conjurés préparaient traîtreusement des poignards pour les assassiner ? On voit avec quelle perspicacité Robespierre jugeait dès lors la situation. Fouché, ajoutait-il, est un imposteur vil et méprisable[97]. Et comme s'il ne pouvait se résoudre à croire que la Providence abandonnât la bonne cause, il assurait, en terminant, que jamais la vertu ne serait sacrifiée à la bassesse, ni la liberté à des hommes dont les mains étaient pleines de rapines et de crimes[98]. Mais, hélas il se trompait ici cruellement ; la victoire devait être du parti des grands crimes. Toutefois, ses paroles n'en produisirent pas moins une impression profonde, et, sur la proposition d'un membre obscur, Fouché fut exclu de la société.

Le futur duc d'Otrante continua de plus belle ses sourdes et coupables intrigues. Je n'ai rien à redouter des calomnies de Maximilien Robespierre, écrivait-il vers la fin de messidor à sa sœur, qui habitait Nantes... dans peu vous apprendrez l'issue de cet événement, qui, j'espère, tournera au profit de la République. Déjà les conjurés comptaient sur le succès. Cette lettre, communiquée à Ber, alors en mission à Nantes, où il s'était fait bénir par une conduite semblable à celle de Robespierre jeune, éveilla les soupçons de ce représentant, homme à la fois énergique et modéré, patriote aussi intègre qu'intelligent. Il crut urgent de faire parvenir ce billet de Fouché au comité de Salut public, et il chargea un aide de camp du général Dufresne de le porter sans retard[99]. Quelques jours après, nouvelles lettres de Fouché et nouvel envoi de Bô. Mon affaire... est devenue celle de tous les patriotes depuis qu'on a reconnu que c'est à ma vertu, qu'on n'a pu fléchir, que les ambitieux du pouvoir déclarent la guerre, écrivait le premier à la date du 3 thermidor. La vertu de Fouché ! Et le surlendemain : ... Encore quelques jours, les fripons (sic), les scélérats seront connus ; l'intégrité des hommes probes sera triomphante. Aujourd'hui peut-être nous verrons les traîtres démasqués... Non, jamais Tartufe n'a mieux dit. C'est Tartufe se signant avec du sang au lieu d'eau bénite. De plus en plus inquiet, Bô écrivit au comité de Salut public : Je vous envoie trois lettres de notre collègue Touchet, dont les principes vous sont connus, mais dont il faut se hâter, selon moi, de confondre et punir les menées criminelles...[100] Par malheur cette lettre arriva trop tard et ne valut à Bô qu'une disgrâce. Quand elle parvint au comité, tout était consommé. Nous sommes en effet à la veille d'une des plus tragiques et des plus déplorables journées de la Révolution.

 

 

 



[1] Discours du 8 thermidor.

[2] Voyez cette lettre de Renault à Robespierre, en date du 15 messidor, non citée par Courtois, dans les Papiers inédits, t. I, p. 496.

[3] Discours de Robespierre à la séance du 13 messidor aux Jacobins. Moniteur du 17 messidor (5 juillet 1794).

[4] Voyez notre Histoire de Saint-Just, liv. V, ch. II.

[5] Il faut lire les Mémoires du comédien Fleury, qui fut le commensal de la maison de Mme de Saint-Amaranthe, pour voir jusqu'où peuvent aller la bêtise et le cynisme de certains écrivains. Ces Mémoires (6 vol. in-8°) sont l'œuvre d'un M. Laffitte, qui les a, pensons-nous, rédigés sur quelques notes informes de M. Fleury.

[6] Archives de la préfecture de police.

[7] Parmi les écrivains qui ont propagé cette fable, citons d'abord les rédacteurs de l'Histoire de Révolution, pas deux amis de la liberté, livre où tous les faits sont sciemment dénaturés et dont les auteurs méritent le mépris de tous les honnêtes gens. Citons aussi Nougaret, Beuchot, et surtout Georges Duval, si l'on peut donner le nom d'écrivain à un misérable sans conscience qui, pour quelque argent, a fait trafic de prétendus souvenirs de la Terreur. Il n'y a pas à se demander si le digne abbé Proyard a dévotement embaumé, l'anecdote dans sa Vie de Maximilien Robespierre. Seulement il y a introduit une variante. La scène ne se passe plus chez Mme de Saint-Amaranthe, mais chez le citoyen Sartines. (P. 168.)

On ne conçoit pas comment l'auteur de l'Histoire des Girondins a pu supposer un moment, que Robespierre dina jamais chez Mme de Saint-Amaranthe, et qu'il y entr'ouvrit ses desseins pour y laisser lire l'espérance. (T. VIII, p. 255). Du moins M. de Lamartine a-t-il répudié avec dégoût la scène d'ivresse imaginée par d'impudents libellistes.

[8] Voyez à ce sujet une lettre de M. Philippe Le Bas à M. de Lamartine, citée dans notre Histoire de Saint-Just, liv. V, ch. II. — La maison de Mme de Saint-Amaranthe, désignée par quelques écrivains comme une des maisons les mieux hantées de Paris, avait été, même avant la Révolution, l'objet de plusieurs dénonciations. En voici une du 20 juin 1793, qu'il ne nous parait pas inutile de mettre sous les yeux de nos lecteurs : Georges-Antoine Fontaine, citoyen de Paris, y demeurant, rue Fromenteau, hôtel de Nevers, n° 38, section des Gardes françaises, déclare au comité de Salut public du département de Paris, séant aux Quatre-Nations, qu'au mépris des ordonnances qui prohibent toutes les maisons der jeux de hasard, comme trente-et-un et biribi, et même qui condamnent à des peines pécuniaires et afflictives les délinquants, il vient de s'en ouvrir deux, savoir : une de trente-et-un chez la citoyenne Saint-Amaranthe, galerie du Palais-Royal, n° 50, et une autre, de biribi, tenue par le sieur Leblanc à l'hôtel de la Chine, au premier au-dessus de l'entresol d'un côté, rue de Beaujolloy, en face du café de Chartres, et de l'autre rue Neuve-des-Petits-Champs, en face la Trésorerie nationale.

Déclare, en outre, que ces deux maisons de jeux sont tolérée$ par la section de la Butte des Moulins et nommément favorisées par les quatre officiers de police de cette section qui en reçoivent par jour, savoir : huit louis pour la partie de trente-et-un, et deux pour celle de biribi. (Archives, comité de surveillance du département de Paris, 9e carton.).

[9] Rapport d'Élie Lacoste, séance du 26 prairial (Moniteur du 27 [15 juin 1794]).

[10] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VIII, p. 358.

[11] Dans le chapitre de son Histoire, consacré à Catherine Théot, M. Michelet procède à la fois des Girondins et des Thermidoriens. il nous montre d'abord Robespierre tenant sur les fonts de baptême l'enfant d'un jacobin catholique, et obligé de promettre que l'enfant serait catholique. (P. 365.) Ici M. Michelet ne se trompe que de deux ans et demi ; il s'agit, en effet, de l'enfant de Deschamp, dont Robespierre fut parrain en janvier 1792. Puis, parce que, dans une lettre en date du 30 prairial, un vieillard de quatre-vingt-sept ans écrit à Robespierre qu'il le regarde comme le Messie promis par l'Être éternel pour réformer toute chose (numéro XII, à la suite du rapport de Courtois), M. Michelet assure que plusieurs lettres lui venaient qui le déclaraient un messie. Puis il nous parle d'une foule de femmes ayant chez elles son portrait appendu comme image sainte. Il nous montre des généraux, des femmes, portant un petit Robespierre dans leur sein, baisant et priant la miniature sacrée. Dans tous les cas, cela prouverait qu'on ne regardait guère Maximilien comme un suppôt de la Terreur, Et, entraîné par la fantaisie furieuse qui le possède, M. Michelet nous représente des saintes femmes, une baronne, une Mme de Chalabre, qu'il transforme en agent de police de Robespierre, joignant les mains et disant Robespierre, tu es Dieu. Et de là l'historien part pour accuser Maximilien d'encourager ces outrages à la raison. (T. VII. p. 366). Comme si, en supposant vraies un moment les plaisanteries de M. Michelet, Robespierre eût été pour quelque chose là dedans.

[12] Voyez ces lettres à la suite du rapport de Saladin, sous les numéros XXXII, XXXIV et XXXV.

[13] Discours du 8 thermidor.

[14] Tissot, Histoire de la Révolution, t. V, p. 237. Tissot était le beau-frère de Goujon, une des victimes de prairial an III.

[15] Mémoires de Fouquier-Tinville, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 246.

[16] Mémoires de Fouquier-Tinville, ubi supra. — M. Michelet, qui marche à pieds joints sur la vérité historique plutôt que de perdre un trait, a écrit : Le grand mot je veux était rétabli, et la monarchie existait. (T. VII, p. 372.) Quoi ! parce que, dans un dernier moment d‘influence et par la seule force de la raison, Robespierre était parvenu à obtenir de ses collègues qu'on examinât plus attentivement une affaire où se trouvaient compromises un certain nombre de victimes innocentes, le grand mot je veux était rétabli, et la monarchie existait ! Peut-on déraisonner à ce point Pauvre monarque ! Il n'eut. Même pas le pouvoir de faire mettre en liberté ceux que, du moins, il parvint à soustraire à un jugement précipité qui eût équivalu à une sentence de mort. Six mois après Thermidor, dom Gerle était encore en prison.

[17] Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[18] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 107, en note.

[19] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 7. Voyez aussi le rapport de Saladin, p. 99. Il est convenu, dit ironiquement Saladin, que depuis le 22 prairial Robespierre s'éloigne du comité.

[20] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 61.

[21] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 81.

[22] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 82.

[23] Rapport de Saladin, p. 400.

[24] Voyez à cet égard les pièces à la suite du rapport de Saladin et les Crimes des sept membres des anciens comités, par Lecointre, p. 132, 138. Herman, son homme, dit M. Michelet, t. VII, p. 426, qui faisait signer ces listes au comité de Salut public, se gardait bien de faire signer son maître. Où M. Michelet a-t-il vu qu'Herman fût l'homme de Robespierre ? Et, dans ce cas, pourquoi n'aurait-il pas fait signer son maitre ? Est-ce qu'à cette époque on prévoyait la réaction et ses fureurs ?

[25] D'après les auteurs de l'Histoire parlementaire, les signatures qui se rencontraient le plus fréquemment au bas de ces listes seraient celles de Carnot, de Billaud-Varenne et de Barère. (T. XXXIV, p. 13.) Quant aux conspirations des prisons, Billaud-Varenne a écrit après Thermidor : Nous aurions été bien coupables si nous avions pu paraître indifférents... Réponse de L-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 75.

[26] Arrêté signé : Barère, Dubarran, C.-A. Prieur, Amar, Louis (du Bas-Rhin), Collot-d'Herbois, Carnot, Voulland, Vadier, Saint-Just, Billaud-Varenne.

[27] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public, Archives, 436 aa 73.

[28] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public, Archives, 436 aa 73.

[29] Archives, F. 7, 4437.

[30] Archives, F. 7, 4437.

[31] Archives, F. 7, 4437.

[32] Archives, F. 7, 4437.

[33] Archives, A. F, II, 37.

[34] Archives, A, II, 58.

[35] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 436, aa 73.

[36] Note de Robespierre sur différents députés. (Voyez Papiers inédits, t. II, p. 17, et numéro LI, à la suite du rapport de Courtois.)

[37] Registre des délibérations et arrêtés, ubi supra.

[38] Séance des Jacobins du 3 thermidor. Voyez le Moniteur du 9 (27 juillet 1794).

[39] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 10.

[40] Mémoires sur Carnot, par son fils, t. I, p. 523. Nous avons peu parlé de ces Mémoires, composés d'après des souvenirs thermidoriens, et dénués par conséquent de toute valeur historique. On regrette d'y trouver des erreurs et, il faut bien le dire, des calomnies qu'avec une étude approfondie des choses de la Révolution, M. Carnot fils se serait évité de laisser passer. Le désir de défendre une mémoire justement chère n'autorise personne à sortir des bornes de l'impartialité et de la justice.

De tous les anciens membres du comité de Salut public, Carnot, j'ai regret de le dire, est certainement un de ceux qui, après Thermidor, ont calomnié Robespierre avec le plus d'opiniàtreté.I1 semble qu'il y ait eu chez lui de la haine du sabre contre l'idée. Ah ! combien Robespierre avait raison de se méfier de l'engouement de notre nation pour les entreprises militaire !

Dans son discours du 1er vendémiaire an III (22 septembre 1794), deux mois après Thermidor. Carnot se déchaîna contre la mémoire de Maximilien avec une violence inouïe. Il accusa notamment Robespierre de s'être plaint avec amertume, à la nouvelle de la prise de Niewport, postérieure au 16 messidor, de ce qu'on n'avait pas massacré toute la garnison. Voyez le Moniteur du 4 vendémiaire (25 septembre 1794). Carnot a trop souvent fait fléchir la vérité dans le but de sauvegarder sa mémoire aux dépens d'adversaires qui ne pouvaient répondre, pour que nous ayons foi dans ses paroles. A sa haine invétérée contre Robespierre et contre -Saint-Just, on sent qu'il a gardé le souvenir cuisant de cette phrase du second : Il n'y a que ceux qui sont dans les armées qui gagnent les batailles. Lui-même, du reste, Carnot, n'écrivait-il pas, à la date du 8 messidor, aux représentants Richard et Choudieu, au quartier général de l'armée du Nord, de concert avec Robespierre et Couthon : Ce n'est pas sans peine que nous avons appris la familiarité et les égards de plusieurs de nos généraux envers les officiers étrangers que nous regardons el voulons traiter comme des brigands... Catalogue Charavay (janvier-février 1863).

[41] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 433 aa 70 jusqu'à 436 aa 73.

[42] Réponse des membres des cieux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 103, 104, note de la p. 21. — M. H. Carnot, dans les Mémoires sur son père, raconte un peu différemment la scène, d'après un récit de Prieur, et il termine par cette exclamation mélodramatique qu'il prête à Carnot s'adressant à Couthon, à Saint-Just et à Robespierre : Triumvirs, vous disparaîtrez. (T. 1, p. 524.) Or il est à remarquer que dans la narration des anciens membres du comité, écrite peu de temps après Thermidor, il n'est pas question de Couthon, et que Robespierre ne figure en quelque sorte que comme médiateur. Mais voilà comme on embellit l'histoire.

[43] Voyez le Moniteur du 10 germinal, an III (30 mars 1795). Séance de la Convention du 6 germinal.

[44] Archives, F. 7, 4437.

[45] Rien de curieux et de triste à la fois, comme l'attitude de Carnot après Thermidor. Il a poussé le mépris de la vérité jusqu'à oser déclarer, en pleine séance de la Convention (6 germinal an III), que Robespierre avait lancé un mandat d'arrêt contre un restaurateur de la terrasse des Feuillants, uniquement parce que lui, Carnot, allait y prendre ses repas. Mais le bouffon de l'affaire, c'est qu'il signa aussi, sans le savoir, ce mandat. Aussi ne fut-il pas médiocrement étonné lorsqu'en allant dîner on lui dit que son traiteur avait été arrêté par son ordre. Je suis fâché, en vérité, de n'avoir pas découvert, parmi les milliers d'arrêtés que j'ai eus sous les yeux, cet ordre d'arrestation. Fut-ce aussi sans le savoir et dans l'innocence de son cœur que Carnot, suivant la malicieuse expression de Lecointre, écrivit de sa main et signa la petite recommandation qui servit à Victor de Broglie de passeport pour l'échafaud ?

[46] Mémoires de Levasseur, t. III, p. 112.

[47] Discours du 8 thermidor, p. 30.

[48] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 11.

[49] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 21.

[50] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 94.

[51] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 41.

[52] Discours du 8 thermidor, p. 30.

[53] Archives, A F 7, 4437.

[54] Voyez le rapport de Saladin, où se trouve citée la déclaration de Fouquier-Tinville, p. 10 et 11.

[55] 8 prairial (27 mail 1794). Archives, F, 7, 4437.

[56] 13 prairial (1er juin). Archives, F, 7, 4437.

[57] 10 floréal (29 avril). Archives, F, 7, 4437.

[58] 19 floréal (8 mai). Archives, F, 7, 4437.

[59] 21 prairial (9 juin 1794). Archives, F, 7, 4437.

[60] 1er messidor (19 juin). Archives, F, 7, 4437.

[61] Réponse des membres des anciens comités aux imputations de Lecointre, p. 43.

[62] Réponse des membres des anciens comités aux imputations de Lecointre, p. 44.

[63] Discours du 8 thermidor, p. 8.

[64] Séance du 10 thermidor (Moniteur du 12 [30 juillet 1794]).

[65] Audience du 12 floréal (25 avril 1794), Moniteur du 13 floréal (2 mai 1794).

[66] Discours du 8 thermidor, p. 22.

[67] Réponse des membres des anciens comités aux imputations de Lecointre, p. 41.

[68] Voici cette invitation citée en fac-similé à la suite des notes fournies par Robespierre à Saint-Just pour son rapport sur les dantonistes : Le comité de Salut public invite le citoyen Dumas, vice-président du tribunal criminel, à se rendre au lieu de ses séances demain à midi. — Paris, le 12 germinal, de la République. — Robespierre.

[69] Voyez le mémoire justificatif d'Herman, déjà cité ubi supra.

[70] Voyez entre autres les dénonciations de Valagnos et de Grenier, détenus à Bicêtre. Archives, F, 7, 1137.

[71] Arrêté signé : Robespierre, Barère, Carnot, Couthon, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Collot d'Herbois et Robert Lindet.

[72] Mémoire de Fouquier-Tinville dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 241..

[73] Mémoire de Fouquier, ubi supra, p. 239.

[74] Mémoire de Fouquier, ubi supra, p. 247, corroboré ici par la déposition de Martel. (Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 16.)

[75] Déposition d'Étienne Masson, ex-greffier au tribunal révolutionnaire, dans le procès de Fouquier. (Histoire parlementaire, t, XXXV, p. 89.)

[76] Voyez le Moniteur du 14 thermidor an II (1er août 1794).

[77] Voyez le Moniteur du 14 thermidor an II (1er août 1794).

[78] Discours du 8 thermidor, p. 20, 21, 22, 23. — Et voilà ce que d'aveugles écrivains, comme MM. Michelet et Quinet, appellent le sentiment populaire.

[79] Discours du 8 thermidor, p. 30.

[80] Discours du 8 thermidor, p. 29.

[81] Discours du 8 thermidor, p. 8.

[82] Il n'existe de ce discours qu'un compte rendu très imparfait. (Voyez le Moniteur du 6 messidor (21 juin 1794). C'est la reproduction pure et simple de la version donnée par le Journal de la Montagne. Quant à l'arrêté concernant l'impression du discours, il n'a pas été exécuté. Invité à rédiger son improvisation, Robespierre n'aura pas eu le temps ou aura négligé de le faire.

[83] Voyez ce discours dans le Moniteur du 17 messidor an II (5 juillet 1794).

[84] Séance du comité de Salut public du 15 messidor (3 juillet 1791). Etaient présents : Barère, Carnot, Collot-d'Herbois, Couthon, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Saint-Just, Robespierre, Robert-Lindet. (Registre des délibérations et arrêtés.) L'arrêté est signé, pour extrait, de Carnot, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne et C.-A. Prieur, Archives, A F, II, 58.

[85] Nous avons, dans notre histoire de Saint-Just, signalé l'erreur capitale des historiens qui, comme Thiers et Lamartine, ont fait revenir Saint-Just la veille même du 9 thermidor. (Voyez notre Histoire Saint-Just, liv. V, ch. V.)

[86] Séance des Jacobins du 23 messidor (11 juillet 1794).

[87] Voyez ce discours dans le Moniteur du 30 messidor (18 juillet 1794). Il, est textuellement emprunté au Journal de la Montagne.

[88] Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. VII, p. 402. M. Michelet reproche à MM. Buchez et Roux de profiter des moindres équivoques pour faire dire à Robespierre le contraire de ce qu'il veut dire. Et sur quoi se fonde-il pour avancer cette grave accusation ? Sur ce que les auteurs de l'Histoire parlementaire ont écrit à la table de leur tome XXXIII : Robespierre déclare qu'il veut arrêter l'effusion du sang humain. Mais ils renvoient à la page 341, où ils citent textuellement et in extenso le discours de Robespierre dont la conclusion est, en effet, qu'il faut arrêter l'effusion du sang humain versé par le crime. Que veut donc de plus M. Michelet ? Est-ce que par hasard on a l'habitude de ne lire que la table des matières ? Il sied bien, du reste, à cet écrivain de suspecter la franchise historique de MM. Buchez et Roux, lui dont l'histoire est trop souvent bâtie sur des suppositions, des hypothèses et des équivoques !

[89] Voyez cette lettre à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XXV.

[90] Lettre d'Augustin Robespierre à Maximilien, de Nice, en date du 16 germinal. Vide supra.

[91] Voyez les lettres de Cadillot, sous le numéro CVI, à la suite du rapport de Courtois, et de Jérôme Gillet, dans les Papiers inédits, t. I, p. 217.

[92] Lettre en date du 20 messidor, déjà citée, d'une chaumière au midi de Ville-Affranchie, numéro CV, à la suite du rapport de Courtois.

[93] M. Michelet trouve que le rédacteur du journal a étendu complaisamment la pensée de Robespierre. (T. VIII, p. 409.) En vérité, c'est par trop naïf !

[94] Comment s'étonner que, dès 1794, Fouché ait été le fléau des plus purs patriotes ! Ne fut-ce pas lui qui, sous le Consulat, lors de l'explosion de la machine infernale, œuvre toute royaliste, comme on sait, proscrivit tant de républicains innocents ? Ne fut-ce pas lui qui, en 1815, fournit à la monarchie une liste de cent citoyens voués d'avance par lui à l'exil, à la ruine, à la mort ?

[95] Voyez cette séance des Jacobins reproduite d'après le Journal de la Montagne, dans le Moniteur du 26 messidor (14 juillet 1794)

[96] Dans le tome XX de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, M. Thiers, parlant de ce même Fouché, dit : En portant à la tribune sa face pâle, louche, fausse.

[97] Fouché, avons-nous dit, a contribué activement à perdre la République au 9 thermidor, comme l'Empire en 1815. La postérité a ratifié le jugement de Robespierre sur ce personnage. Je n'ai jamais vu un plus hideux coquin, disait de lui l'illustre Dupont (de l'Eure). Voyez à ce sujet l'Histoire des deux Restaurations, par M. de Vaulabelle, t. III, p. 404.

[98] Voyez, pour cette séance, le Moniteur du 3 thermidor (12 juillet 1794.

[99] Lettres de Bô au comité de Salut public, en date du 2 thermidor. (Archives.)

[100] Ces lettres de Bô el de Fouché, révélées pour la première fois, sont en originaux aux Archives, où nous en avons pris copie.