HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE V — DEPUIS LA PAIX DE 346 AVANT J.-C. JUSQU’À LA BATAILLE DE CHÆROSEIA ET A LA MORT DE PHILIPPE.

 

 

J’ai décrit dans mon dernier chapitre la fin de la Guerre Sacrée et le rétablissement de l’assemblée amphiktyonique par Philippe, en même temps que la honteuse paix de 346 avant J.-C., par laquelle Athènes, après une guerre, faiblement conduite et peu glorieuse dans ses résultats, fut trahie par la perfidie de ses ambassadeurs et amenée à abandonner, le défilé des Thermopylæ, — nouveau sacrifice que sa position actuelle ne demandait pas et plus fatal à sa sécurité future qu’aucune des pertes antérieures. Ce défilé important, clef de la Grèce, était actuellement venu en la possession de Philippe, qui l’occupait ainsi que le territoire phokien, au moyen d’une garnison permanente composée de ses propres troupes[1]. L’assemblée amphiktyonique avait servi d’instrument à son élévation. Les Thêbains et les Thessaliens étaient dévoués à ses intérêts : ils se réjouissaient de la ruine de leurs ennemis communs les Phokiens, sans réfléchir à la puissance plus formidable établie actuellement sur leurs frontières. Bien que Thêbes eût vu positivement son pouvoir augmenter en recouvrant Orchomenos et Korôneia, toutefois, comparativement parlant, la nouvelle position de Philippe la soumettait, aussi bien qu’Athènes et le reste de la Grèce, à une dégradation et à un empire étranger tels qu’elle n’en avait jamais auparavant subi de pareils[2].

Cette nouvelle position de Philippe, comme champion de l’assemblée amphiktyonique, en deçà de la ligne de défense grecque commune, fut profondément sentie par Démosthène. Peu de temps après la reddition des Thermopylæ, quand les ambassadeurs thessaliens et macédoniens étaient arrivés à Athènes pour annoncer la récente détermination prise par les Amphiktyons de conférer à Philippe la place dans cette assemblée d’où les Phokiens venaient d’être chassés, le concours d’Athènes à ce vote fut demandé ; mais les Athéniens, mortifiés et exaspérés de la tournure récente des événements, n’étaient guère disposés à acquiescer. Ici nous voyons Démosthène prendre le côté prudent et conseiller fortement d’accéder à la demande. Il insiste sur la nécessité de s’abstenir de toute mesure qui pourrait violer la paix existante, quelque déplorables que puissent en avoir été les conditions, et de ne donner aux Amphiktyons aucun prétexte pour voter une guerre combinée contre Athènes, dont la conduite serait confiée à Philippe[3]. Ces recommandations, prudentes dans les circonstances, prouvent que Démosthène, bien que mécontent de la paix, était désireux de la conserver maintenant qu’elle était faite, et — que, si plus tard il en vint à conseiller de nouveau la guerre, ce fut dit à de nouveaux empiétements et à une attitude plus menaçante de la part de Philippe.

Nous avons d’autres témoignages, outre le discours de Démosthène cité à l’instant, qui attestent l’effet de la nouvelle position de Philippe sur l’esprit grec. Peu de temps après la paix, et avant que la transformation des villes phokiennes en villages eût été complètement effectuée en détail, Isocrate publia sa lettre adressée à Philippe, — le Discours à Philippe. Le but de cette lettre est d’inviter ce prince à réconcilier les quatre grandes cités de la Grèce, — Sparte, Athènes, Thêbes et Argos ; à se mettre à la tête de leurs forces réunies, aussi bien que de la Grèce en général ; et à envahir l’Asie, dans le dessein de renverser l’empire persan, de délivrer les Grecs asiatiques, et de fournir de nouvelles demeures à ceux des Grecs qui errent çà et là sans avoir de domiciles fixes. Le point à remarquer ici, c’est qu’Isocrate met le monde grec sous la subordination et la tutelle de Philippe, en renonçant à toute idée de ce monde conçu comme un système se soutenant et se réglant lui-même. Il élève les exploits, la bonne fortune et la puissance de Philippe au-dessus de tous les parallèles historiques, — il le considère d’une manière non équivoque comme le chef de la Grèce, — et il l’exhorte seulement à faire un bon usage de sa puissance, à l’instar de son ancêtre Hêraklês dans les temps anciens[4]. Il lui recommande, par une conduite impartiale et conciliante à l’égard de tous, d’acquérir pour lui-même la même estime dévouée parmi les Grecs, — que celle qui dominait actuellement parmi ses officiers macédoniens, — ou comme celle qui existait chez les Lacédœmoniens à l’égard des rois spartiates[5]. Grand et triste, en effet, est le changement qui était survenu dans la vieillesse d’Isocrate, depuis qu’il publia le Discours panégyrique (380 av. J.-C., — trente-quatre années auparavant), où il invoque une expédition panhellénique combinée contre l’Asie, sous la direction commune de deux : chefs helléniques sur terre et sur mer, — Sparte et Athènes, et où il dénonce avec indignation Sparte pour avoir, à, la paix d’Antalkidas, introduit, en faveur de ses propres desseins, un rescrit persan des-  Ciné à imposer des lois au monde grec. L’abaissement de la dignité grecque, tout sérieux qu’il fût, compris dans la paix d’Antalkidas, était beaucoup moins honteux, que celui que recommandait Isocrate à l’égard de Philippe,-lui-même, il est vrai, personnellement de parentage hellénique, mais Macédonien ou barbare — comme Démosthène[6] l’appelle — par son pouvoir et sa position. De même qu’Æschine, quand il fut envoyé par Athènes à Philippe en qualité d’ambassadeur, crut que son devoir principal consistait à. essayer de le persuader par l’éloquence de rendre Amphipolis d. Athènes et de renverser Thêbes, — de même Isocrate compte sur sa plume habile pour disposer le nouveau chef à, bien employer sa puissance souveraine, — pour faire de lui le protecteur de la Grèce et le vainqueur de l’Asie. Si une flatterie abondante et élégante — était capable d’opérer un pareil miracle, Isocrate pouvait espérer le succès. Mais il est pénible de remarquer la soumission croissante, de la part d’estimables citoyens athéniens, tel qu’Isocrate, à un potentat étranger, et le déclin du sentiment de l’indépendance et de la dignité helléniques, sensible après la paix de 346 avant J.-C. par rapport à Philippe.

Par Isocrate aussi bien que par Démosthène, nous obtenons ainsi un témoignage de l’effet imposant et intimidant du nom de Philippe en Grèce après la paix de 346 avant J.-C. Ochus, le roi de Perse, était à cette époque embarrassé par une révolte non domptée parmi ses sujets ; ce qu’Isocrate présente avec insistance comme un motif qui doit engager Philippe à l’attaquer. Non seulement l’Égypte, mais encore la Phénicie et Kypros, é Laient en révolte contre le roi de Perse. Une expédition (sinon deux) sur une échelle considérable, entreprise par lui dans le dessein de reconquérir l’Égypte, avait été honteusement repoussée, grâce au talent des généraux (Diophantos, Athénien, et Lamios, Spartiate), qui commandaient les mercenaires grecs au service du prince égyptien Nectanebos[7]. Toutefois, vers le temps de la paix de 346 avant J.-C. en Grèce, Ochus parait avoir renouvelé avec plus de succès son attaque sur Kypros, sur la Phénicie et sur l’Égypte. Pour reconquérir Kypros, il mit en réquisition les forces du prince karien Idrieus (frère et successeur de Mausôlos et d’Artemisia), à cette époque non seulement le prince le plus puissant d’Asie Mineure, mais encore maître des îles grecques de Chios, de Kos et de Rhodes, probablement au moyen d’une oligarchie à l’intérieur de chacune d’elles, qui gouvernait dans son intérêt et avec l’aide de ses soldats[8]. Idrieus envoya dans l’île de Kypros une armée de quarante trirèmes et de huit mille mercenaires, sous le commandement de l’Athénien Phokiôn et d’Evagoras, exilé appartenant à la dynastie qui régnait à Salamis dans l’île. Après un long siège de Salamis elle-même, que défendait contre le roi de Perse Protagoras, probablement un autre membre de la même dynastie, — et après des opérations étendues dans tout le reste de cette île riche, opérations qui fournirent aux soldats un abondant butin, au point d’attirer du continent de nombreux volontaires, — Kypros entière fut mise de nouveau sous la domination persane[9].

Les Phéniciens s’étaient révoltés contre Ochus en, même temps que les Kypriotes, et de concert avec. Nectanebos, prince d’Égypte, de qui ils reçurent un renfort de quatre mille Grecs mercenaires sous Mentôr le Rhodien. Des trois grandes cités phéniciennes, Sidon, Tyr et Arados, — chacune d’elles communauté politique séparée, mais administrant ses affaires en commun dans une ville commune Tripolis, composée de trois enceintes séparées et entourées de murs, a une distance de deux cents mètres l’une de l’autre, — Sidon était à la fois la plus ancienne, la plus riche, et celle qui souffrait le plus de l’oppression persane. Aussi la population sidonienne, avec son prince Tennês, se mit-elle à la tête de la révolte contre Ochus, en employant ses grandes richesses à soudoyer des soldats, en préparant des armes, et en accumulant tous les moyens de défense. À la première explosion les habitants chassèrent la garnison persane, saisirent et punirent quelques-uns des principaux officiers et détruisirent le palais et le parc contigus réservés pour le satrape ou pour le roi. Après avoir défait, en outre les satrapes voisins de Kilikia et de Syria, ils fortifièrent les défenses de la cité par un triple fossé, par des murailles exhaussées, et par une flotte de cent trirèmes et quinquérèmes. Irrité de ces actes, Ochus partit de Babylone avec une armée immense. Mais ses moyens de corruption le servirent mieux que ses armes. Le prince sidonien Tennês, de concert avec Mentôr, fit avec lui un marché particulier, lui livra d’abord cent des principaux citoyens, et mit ensuite l’armée persane en possession des murailles de la cité, Ochus, après avoir tué les cent citoyens qui lui avaient été livrés, plus cinq cents autres qui vinrent à lui avec des rameaux de suppliants, annonça son dessein de tirer une vengeance signalée des Sidoniens en général. Ceux-ci prirent la résolution désespérée, d’abord de brûler leur flotte, afin que personne ne pût s’échapper, — puis, de s’enfermer avec leurs familles, chaque homme dans sa maison, à laquelle il devait mettre le feu. Dans cet incendie déplorable, il périt, dit-on, quarante mille personnes ; et les richesses détruites étaient telles, qu’on acheta fort cher le privilège de fouiller les ruines. Au lieu de récompenser le traître Tennês, Ochus acheva la tragédie en le mettant à mort[10].

Exalté par ce succès inespéré, Ochus marcha avec des forces immenses contre l’Egypte. Il avait dans son armée 10.000 Grecs : 6.000 exigés des cités grecques de l’Asie Mineure, 3.000 demandés à Argos, et 1.000 à Thêbes[11]. Il avait adressé une requête semblable à Athènes et à Sparte ; mais il avait reçu de l’une et de l’autre un refus courtois. Son armée, grecque et asiatique, la plus considérable que la Perse eût envoyée depuis beaucoup d’années, fut distribuée en trois divisions, commandées chacune par un général grec et par un général persan ; l’une des trois divisions fut confiée à Mentôr et à l’eunuque Bagôas, les deus plus habiles serviteurs du roi de Perse. Le prince égyptien Nectanebos, qui avait eu connaissance longtemps à l’avance de l’attaque qui le menaçait, avait également réuni des forces nombreuses ; il n’avait pas moins de vingt mille mercenaires grecs, avec un corps beaucoup plus considérable d’Égyptiens et de Libyens. Il avait aussi pris un soin spécial de mettre la branche orientale du Nil, avec la forteresse de Pelusion à son embouchure, dans — un état complet de défense, Mais ces moyens abondants de résistance furent rendus inutiles, en partie par son inhabileté et son incapacité, en partie par le talent et par les artifices de Mentôr et de Bagôas. Nectanebos fut obligé de se retirer en Æthiopia : toute l’Égypte tomba avec peu de résistance entre les mains dis Perses ; les villes fortifiées capitulèrent, — les temples furent pillés et les vainqueurs y trouvèrent un immense butin, — et même les archives sacrées des temples furent enlevées, pour être revendues ensuite aux prêtres qui durent payer une somme additionnelle d’argent. Le riche territoire de l’Égypte redevint une province persane, sous le satrape Pherendatês, et Ochus retourna à Babylone, avec une augmentation considérable et de domination et de renommée, Les Grecs mercenaires furent renvoyés chez eux, avec une ample moisson tant de solde que de butin[12]. Ils constituaient en effet le principal élément de force des deux côtés ; quelques Grecs fuirent le roi de Perse en état de soumettre les révoltés[13], taudis que d’autres prêtèrent leur force aux révoltés contre lui.

En reconquérant ainsi la Phénicie et l’Égypte, Ochus se releva du mépris dans lequel il était tombé par l’insuccès de sa première expédition[14], et même il éleva l’empire persan en force et en crédit à un point presque aussi haut que celui qu’il avait jamais occupé auparavant (345-344 av. J.-C.). Le Rhodien Mentôr et le Persan Bagôas, qui tous deux s’étaient distingués dans l’expédition d’Égypte, furent, à partir de ce moment, rangés au nombre de ses officiers les plus utiles. Bagôas accompagna Ochus dans les provinces de l’intérieur et conserva toute sa confiance, tandis que Mentôr, qui avait reçu pour récompense une somme de cent talents et était chargé de butin égyptien, fut investi d’une satrapie sur le bord asiatique de la mer[15]. Il y réunit un corps considérable de Grecs mercenaires, avec lequel il rendit des services signalés au roi de Perse. Bien que toute la côte fût censée appartenir à l’empire persan, cependant il y avait encore bien des villes et des positions fortes séparées, occupées par des chefs qui avaient leurs propres forces militaires, ne payant pas de tribut et n’obéissant pas à des ordres. Parmi ces chefs, un des plus remarquables était Hermeias, qui résidait dans la forteresse d’Atarneus (sur le continent en face de Lesbos), mais qui avait à sa solde beaucoup de troupes et tenait des garnisons dans maintes villes voisines. Bien que partiellement impuissant par une lésion accidentelle reçue dans l’enfance[16], Hermeias était un homme d’une énergie et d’une habileté singulières, et il avait conquis par lui-même sa domination. Mais ce qui a contribué surtout à sa célébrité, c’est qu’il était l’ami dévoué et l’admirateur d’Aristote, qui passa trois ans avec lui à Atarneus, après la mort de Platon en 348-347 avant J.-C., — et qui a célébré ses mérites dans une belle ode. Pax une perfidie et de fausses promesses, Mentôr attira Hermeias à une entrevue, se saisit de sa personne, et employa la bague qui lui servait de cachet pour envoyer des ordres contrefaits. à l’aide desquels il devint maître d’Atarneus et de toutes-les autres places occupées par Hermeias. Ainsi, par une perfidie couronnée de succès, Mentôr réduisit le plus fort des chefs indépendants sur la côte asiatique ; puis par des conquêtes successives du même genre, il finit par placer toute la côte effectivement sous la domination persane[17].

La pais entre Philippe et les Athéniens dura sans renonciation formelle ni d’un côté ni de l’autre pendant plus de six ans, depuis mars 346 avant J.-C. jusqu’au delà du solstice d’été de 340 avant J.-C. Mais bien que les deus, parties n’y renonçassent jamais formellement pendant cet intervalle, elles la violèrent insensiblement de plus en plus en pratique. Fournir une histoire consécutive des événements de ces quelques années, dépasse notre pouvoir. Nous n’avons pour nous guider qu’un petit nombre de discours de Démosthène[18], qui, tout en dominant une idée vivante des sentiments de l’époque, touchent, en manière d’allusion et comme matière de raisonnement, un petit nombre de faits ; et qui cependant ne nous permettent guère de placer ces faits en une série historique. Une brève esquisse des tendances générales de cette période est tout ce que nous pouvons nous permettre.

Philippe fut le grand agresseur de l’époque. Les mouvements partout, en Grèce ou près de la Grèce, commencèrent par lui et par celles des personnes qui, dans les diverses cités, agirent à son instigation et comptèrent sur son appui. Nous entendons parler en tous lieux de son intervention directe, ou des effets de ses suggestions propres à exciter les esprits, à savoir dans le Péloponnèse, à Ambrakia et à Leukas, en Eubœa et en Thrace. Les habitants de Megalopolis, de Messênê et d’Argos sollicitèrent sa présence dans le Péloponnèse et sa coopération active contre Sparte. Philippe annonça le dessein d’y aller en personne, et en même temps il envoya des soldats et de l’argent, avec une injonction formelle à Sparte de renoncer à toute prétention sur Messênê[19]. Il prit un pied en Elis[20], en fournissant des troupes à une faction oligarchique, et en la mettant à même de s’emparer du gouvernement, après une révolution violente. C’est à cette intervention en Elis que se rattacha probablement la prise par ce prince des trois colonies éleiennes, Pandosia, Bucheta et Elateia, sur la côte de l’Epirotique Kassopia, près du golfe d’Ambrakia. Il céda ces trois villes à son beau-frère Alexandre, qu’il éleva au rang de prince des Molosses Epirotes[21] ; — en déposant le prince régnant Arrhybas. Il attaqua de plus les deux principales cités grecques de cette contrée, — Ambrakia et Leukas : mais ici il paraît qu’il échoua[22]. Des détachements de ses troupes se montrèrent près de Megara et d’Eretria, ce qui fut un secours pour les personnes — du parti de Philippe dans ces cités et une cause d’alarme sérieuse pour les Athéniens. Philippe établit sa domination plus fortement sur la Thessalia, en partageant le pays en quatre divisions, et en établissant une garnison à Pheræ, la cité la mails bien disposée pour lui[23]. Nous lisons aussi qu’il ravagea, et réduisit les tribus illyriennes, dardaniennes et pæoniennes sur sa frontière septentrionale et occidentale, en prenant un grand nombre de leurs villes et en rapportant beaucoup de butin, et qu’il défit le prince thrace Kersobleptês, la grande satisfaction des cités grecques situées sur l’Hellespont ou près du détroit[24]. On dit de plus qu’il fit une nouvelle distribution de la population de la Macédoine, en transportant des habitants d’une ville dans une autre suivant qu’il désirait favoriser ou décourager la résidence, — et qu’il causa par là de grandes misères et de grandes souffrances  aux familles déplacées ainsi[25].

Telle était l’activité exubérante de Philippe, sentie partout, depuis les côtes de la Propontis jusqu’à celles de la mer Ionienne et au golfe Corinthien. Chaque année voyait sa puissance grandir, tandis que les États du monde grec restaient passifs sans se coaliser, et sans reconnaître aucun d’eux comme chef. Les factions favorables à Philippe se levaient partout en armes ou conspiraient en vue de s’emparer des gouvernements pour leur compte sous les auspices de, ce prince, tandis que ceux qui s’attachaient à un hellénisme libre et populaire étaient découragés et réduits à la défensive[26].

Il était de la politique de Philippe d’éviter ou d’ajourner toute violation de la paix avec Athènes, seule puissance sous laquelle une coalition grecque contre lui était praticable. Mais un politique tel que Démosthène prévoyait assez clairement l’absorption prochaine du monde grec, y compris Athènes, dans la domination de la Macédoine, à moins qu’on ne pût trouver quelque moyen de ranimer parmi ses membres un esprit de défense énergique et combinée. Dans l’année 344 avant J.-C., ou auparavant, nous voyons cet orateur se présenter de nouveau dans l’assemblée athénienne, persuader ses compatriotes d’envoyer une mission dans le Péloponnèse, et aller lui-même parmi les ambassadeurs[27]. Il adressa tant aux Messêniens qu’aux Argiens des remontrances très fortes au sujet de leur dévouement à Philippe, en leur rappelant que, par la crainte et la haine excessives que leur inspirait Sparte, ils lui livraient leur propre liberté, aussi bien que celle de tous leurs frères helléniques[28]. Bien qu’écouté avec approbation, il ne se flatte d’avoir opéré aucun changement pratique dans leurs idées[29]. Mais il parait que des ambassadeurs arrivèrent à Athènes (en 344-343 av. J.-C.) à qui on demandait une réponse, et c’est pour suggérer cette réponse que Démosthène prononce sa seconde Philippique. Il dénonce de nouveau Philippe, comme un agresseur étendant sa puissance de tous les côtés, violant la paix avec Athènes et préparant la ruine du monde grec[30]. Sans conseiller une guerre immédiate, il invite les Athéniens à veiller et à être sur leurs gardes, et à organiser une alliance défensive parmi les Grecs en général.

Par malheur, l’activité d’Athènes ne se montra que dans des paroles et contrasta ainsi avec les actes de vigueur de Philippe. Mais c’étaient des paroles de Démosthène, dont les partisans de Philippe en Grèce sentirent la force, et qui occasionnèrent tant d’ennui à Philippe lui-même, qu’il envoya à Athènes plus d’une fois des ambassadeurs et des lettres de remontrance. Son député, Byzantin éloquent Nommé Pythôn[31], parla à l’assemblée athénienne avec beaucoup de succès, se plaignant, des calomnies des orateurs contre Philippe, — assurant avec force que Philippe était animé des meilleurs sentiments à l’égard d’Athènes et ne désirait que trouver l’occasion de lui rendre service, et offrant de revoir et d’amender les conditions de la dernière paix. Ces assurances générales d’amitié, données avec éloquence et avec force, produisirent un effet considérable sur l’assemblée athénienne, comme elles l’avaient fait dans la bouche d’Æschine pendant les discussions au sujet de la paix. On accueillit la motion de Pythôn, et on proposa trois amendements. 1° Au lieu des mots actuels de la paix : Que chaque partie aurait ce qu’elle avait actuellement, on proposa de substituer cette phrase : — Que chaque partie aurait ce qui lui appartenait en propre[32]. 2° Que non seulement les alliés d’Athènes et ceux de Philippe, mais encore tous les autres Grecs, seraient compris dans la paix ; que tous resteraient libres et autonomes ; que si l’un d’eux était attaqué, les parties au traité des deux côtés lui prêteraient sur-le-champ une assistance armée. 3° Qu’on demanderait à Philippe de restituer les villes, Doriskos, Serreion, etc., qu’il avait enlevées à Kersobleptês, depuis le jour où la paix avait été jurée à Athènes.

Le premier amendement paraît avoir été proposé par un citoyen nommé Hêgesippos, politique énergique opposé à Philippe, qui soutenait les mêmes idées que Démosthène. Pythôn, ainsi que les autres ambassadeurs macédoniens, présents dans l’assemblée, ou accepta ces amendements, ou du moins ne protesta pas contre eux. Il partagea l’hospitalité publique de la cité comme en vertu d’une bonne intelligence mutuellement établie[33]. Hêgesippos avec d’autres Athéniens fut envoyé en Macédoine pour obtenir la ratification de Philippe, qui admit la justesse du second amendement, offrit un arbitrage relativement au troisième, mais refusa de ratifier le premier, — en désavouant et la proposition générale et l’acceptation subséquente de ses ambassadeurs à Athènes[34]. De plus il se montra très dur dans la réception qu’il fit à Hêgesippos et à ses collègues, et il bannit de Macédoine le poète athénien Xenokleidês, pour leur avoir donné l’hospitalité[35]. En conséquence le traité original resta sans être changé.

Hêgesippos et ses collègues étaient allés en Macédoine, non simplement pour présenter à l’acceptation de Philippe les deux amendements que nous venons d’indiquer, mais encore pour lui demander la restitution de la petite île d’Halonnesos (près de Skiathos, qu’il avait prise depuis la paie (343 av. J.-C.) Philippe nia que l’île appartint aux Athéniens, ou qu’ils eussent aucun droit à faire une pareille demande ; il affirmait qu’il l’avait prise non à eux, mais à un pirate nommé Sostratos, qui rendait dangereuse la navigation de la mer voisine, — et qu’actuellement elle lui appartenait. Si les Athéniens le contestaient, il offrit de soumettre la question à un arbitrage ; de rendre l’île à Athènes, si les arbitres prononçaient contre lui, — ou de la lui donner, même s’ils décidaient en sa faveur[36].

Comme nous savons que Philippe traitait Hêgesippos et les autres ambassadeurs avec une dureté particulière, il est probable que la discussion diplomatique entre eux, au sujet d’Halonnesos aussi bien que sur d’autres questions, fut menée avec des sentiments de colère des deux côtés. Aussi une île, en elle-même petite et insignifiante, devint-elle le sujet d’une altercation prolongée pendant deux ou trois années. Quand Hêgesippos et Démosthène soutenaient que Philippe avait lésé les Athéniens au sujet d’Halonnesos, et qu’elle ne pouvait être reçue de lui qu’en restitution d’une propriété athénienne légitime, et non comme un don proprio motu, — Æschine et autres traitaient la question en dérision, comme une controversé à propos de syllabes[37]. Philippe (disaient-ils) offre de nous donner Halonnesos. Prenons-la et ne revenons plus sur la question. Qu’est-il besoin de s’inquiéter s’il nous la donne, ou s’il nous la rend ? Les auteurs comiques firent diverses plaisanteries sur la même distinction verbale, comme si c’était une pure — et niaise subtilité. Niais bien que des orateurs de parti et des gens d’esprit pussent trouver ici une saillie à faire ou un sarcasme à placer, il est certain qu’une diplomatie bien conduite ; moderne aussi bien qu’ancienne, a toujours été attentive à signaler la distinction comme importante. La question ici n’a pas trait à une prise opérée pendant la guerre, mais pendant la paix. Aucun diplomate moderne n’acceptera la restitution de ce qui a été pris illégitimement, s’il est invité à la reconnaître comme une cession gratuite de l’auteur de la capture. L’argument de Philippe, — à savoir qu’il avait pris l’île, non pas à Athènes, mais au pirate Sostratos, — n’était pas une excuse valable, en admettant que l’île appartînt réellement à Athènes. Si Sostratos avait commis des dommages comme pirate, Philippe aurait dû demander réparation à Athènes, ce qu’évidemment il ne fit pas. Ce n’était que dans le cas où une réparation lui aurait été refusée, qu’il pouvait être autorisé à se faire justice par la force ; et même alors, on peut douter que la prise de l’île lui donnât aucun droit sur elle contre Athènes. Les Athéniens refusèrent sa proposition d’arbitrage. en partie parce qu’ils étaient convaincus de leur propre droit sur l’île, en partie parce qu’ils craignaient d’admettre Philippe à aucun droit reconnu d’intervention dans leur ascendant insulaire[38].

Halonnesos resta avec une garnison que Philippe y mit, et forma un des nombreux sujets de communication irritée par lettres et par envoyés, entre lui et Athènes, — jusqu’à ce qu’enfin (vraisemblablement vers 341 av. J.-C.) les habitants de l’île voisine de Peparêthos la reprissent et enlevassent sa garnison. A l’occasion de cette conduite Philippe adressa plusieurs remontrances, tant aux Péparéthiens qu’aux Athéniens. N’obtenant pas réparation ; il attaqua Peparêthos et tira des habitants une cruelle vengeance. Les Athéniens ordonnèrent alors à leur amiral d’exercer sur lui des représailles, de sorte que la guerre, bien que n’étant pas encore réellement déclarée, approchait de plus en plus du moment où elle recommencerait[39].

Mais ce ne fut pas seulement dans Halonnesos qu’Athènes se trouva assaillie par Philippe et parles factions favorables à ce prince. Même sa propre frontière du côté de la Bœôtia demanda à ce moment une surveillance constante depuis que les Thêbains avaient été délivrés de leurs ennemis phokiens ; de sorte qu’elle fut obligée de tenir des garnisons d’hoplites à Drymos et à Panakton[40]. Dans Megara un parti insurgé sous Perilaos avait dressé des plans pour s’emparer de la cité avec l’aide d’un corps de troupes de Philippe, qui pouvait facilement être envoyé de l’armée macédonienne occupant en ce moment la Phokis, par mer, à Pegæ, le port mégarien sur le golfe de Krissa. Informé de cette conspiration, le gouvernement mégarien sollicita l’aide d’Athènes. Phokiôn, conduisant les hoplites athéniens à Megara avec la plus grande célérité, assura le salut de la cité, et en même temps il rétablit les Longs Murs jusqu’à Nisæa, de manière à la rendre toujours accessible aux Athéniens par mer[41]. En Eubœa, les cités d’Oreus et d’Eretria tombèrent entre les mains des chefs favorables à Philippe et devinrent hostiles à Athènes. A Oreus, la plupart des citoyens furent persuadés de seconder les vues du principal partisan de Philippe, Philistidês, qui les décida à faire taire les remontrances du chef opposant Euphræos, et à l’emprisonner, comme perturbateur de la paix publique. Alors Philistidês, qui guettait l’occasion, obtint l’introduction d’un corps de troupes macédoniennes, au moyen desquelles il s’assura le gouvernement de la cité comme instrument de Philippe, tandis qu’Euphræos, torturé par le chagrin et la crainte, se tua en prison. A Eretria, Kleitarchos et d’autres firent le même complot. Après avoir chassé leurs principaux adversaires et refusé d’admettre des envoyés athéniens, ils obtinrent mille hommes de troupes macédoniennes sous Hipponikos ; ils se rendirent ainsi maîtres d’Eretria elle-même et détruisirent le port de mer fortifié appelé Porthmos, afin de rompre la facile communication avec Athènes. Oreus et Eretria sont représentées par Démosthène comme souffrant une déplorable oppression sous ces deux despotes, Philistidês et Kleitarchos[42]. D’autre part, Chalkis, la capitale de l’Eubœa, paraît avoir encore été libre et s’être appuyée plutôt sur Athènes que sur Philippe, sous l’influence prédominante d’un des principaux citoyens nommé Kallias.

A cette époque, à ce qu’il semble, Philippe était personnellement occupé à des opérations en Thrace, où il passa au moins onze mois, sinon plus[43], laissant l’administration des affaires de l’Eubœa à ses commandants en Phokis et en Thessalia (342-341 av. J.-C.). Il était probablement en train de préparer alors ses plans pour s’emparer des passages importants qui conduisaient du Pont-Euxin dans la mer Ægée, — le Bosphore et l’Hellespont, — et des cités grecques sur la côte. De ces détroits dépendait le principal approvisionnement de blé importé pour Athènes et pour une grande partie du monde grec ; et de là l’importance considérable de la possession de la Chersonèse polis les Athéniens.

Relativement à cette péninsule, il s’éleva alors des disputes pleines de colère. Pour protéger ses colons qui y étaient établis, Athènes avait envoyé Diopeithês avec un corps de mercenaires, auxquels toutefois on ne fournissait pas de solde et qu’on laissait lever des contributions où ils pouvaient, tandis que Philippe avait pris Kardia sous sa protection et y avait anis garnison. — C’était une cité située dans la péninsule, prés de son isthme, mais mal disposée pour Athènes, revendiquant l’indépendance et admise, lors de la paix de 346 avant J.-C., par Æschine et les ambassadeurs athéniens, comme alliée de Philippe, à prendre part à la prestation des serments[44]. Conjointement avec les Kardiens, Philippe s’était approprié et avait distribué des terres que les colons athéniens affirmaient leur ; appartenir ; et quand ils se plaignirent, il insista pour qu’ils traitassent Kardia comme une cité indépendante, eu égard à un arbitrage[45]. Ils refusèrent de le faire, bien que leur ambassadeur Æschine eût reconnu Kardia comme une alliée de Philippe indépendante lorsque la paix fut jurée.

C’était là un état de prétentions rivales d’où, à coup sûr, devaient résulter des hostilités. Les troupes macédoniennes ravagèrent la Chersonèse, tandis que Diopeithês, de son côté, fit des incursions hors de la péninsule, envahit des portions de la Thrace soumises à Philippe, qui écrivit à Athènes des lettres de remontrances[46]. Tout en se plaignant ainsi à Athènes, Philippe poussait en même temps ses conquêtes contre les princes thraces Kersobleptês, Terês et Sitalkês[47], auxquels avait été conféré le don honorifique du droit de cité athénien.

Les plaintes de Philippe et les discours de ses partisans à Athènes firent naître un sentiment d’irritation contre Diopeithês dans cette ville, de sorte que le peuple sembla disposé à le rappeler et à le punir. C’est contre cette mesure que Démosthène proteste dans son discours sur la Chersonèse. Ce discours et sa troisième Philippique furent prononcés en 341-340 avant J.-C., vraisemblablement dans la dernière moitié de 341 avant J.-C. Dans les deux, il reprend ce ton énergique et implacable d’hostilité à l’égard de Philippe, ton qui avait caractérisé la première Philippique et les Olynthiennes. Il invite ses compatriotes non seulement à soutenir Diopeithês, mais encore à renouveler avec vigueur la guerre contre Philippe de toute autre manière. Philippe (dit-il), tout en prétendant en paroles observer la paix, l’a depuis longtemps violée par ses actes et par des agressions dans des directions sans nombre. Si Athènes veut l’imiter en observant la paix de nom, qu’elle le fasse ; mais en tout cas, qu’elle l’imite aussi en poursuivant en réalité la guerre avec ardeur[48]. On ne pouvait protéger la Chersonèse, ancienne possession d’Athènes, qu’en encourageant et en renforçant Diopeithês ; il était sûr également que Byzantion deviendrait ensuite l’objet d’attaque de Philippe ; et on devait sauver cette ville, comme essentielle aux intérêts d’Athènes, bien que jusqu’alors les Byzantins eussent été mal disposés pour elle. Mais même ces intérêts, quelques importants qu’ils fussent, ne devaient être considérés que comme des parties d’un tout plus important encore. Le monde hellénique tout entier courait un danger imminent[49] ; les prodigieuses forces militaires de Philippe l’excédaient ; il était mis en pièces par des factions locales qui comptaient sur son appui, et il s’enfonçait chaque jour dans une dégradation plus irrémédiable. Le nom hellénique n’avait d’espoir de salut que dans l’action énergique et bien dirigée d’Athènes. Elle devait se mettre en avant résolument et avec toute sa puissance ; ses citoyens devaient servir personnellement, payer des taxes directes sans hésiter et abandonner, pour le moment, leur fonds des fêtes ; quand ils se seraient montrés ainsi prêts à supporter les peines et les maux réels de la lutte, alors ils enverraient partout des députés invoquer l’aide des autres Grecs contre l’ennemi commun[50].

Telle est, dans son ton général, la harangue frappante connue comme la troisième Philippique (341-340 av. J.-C.). Il paraît qu’à ce moment les Athéniens étaient en train de s’entendre mieux avec Démosthène qu’ils ne l’avaient jamais fait auparavant. Ils remarquèrent, — ce que l’orateur avait signalé depuis longtemps, — que Philippe continuait à passer d’une acquisition à une autre, et qu’il devenait d’autant plus dangereux à mesure que les autres étaient tranquilles. Ils furent réellement alarmés au sujet de la sûreté  clés deux positions importantes de l’Hellespont et du Bosphore.

A partir de ce moment jusqu’à la bataille de Chæroneia, l’influence positive dont jouit Démosthène, en déterminant la conduite de ses compatriotes, devint très considérable. Il avait déjà été employé plusieurs fois comme ambassadeur dans le Péloponnèse (344-343 av. J.-C.), à Ambrakia, à Leukas, à Korkyra, chez les Illyriens et en Thessalia. Il proposa actuellement d’abord un envoi d’ambassadeurs en Eubœa, où probablement un plan d’opérations fut concerté avec Kallias et les Chalkidiens, — et subséquemment, l’envoi clé forces militaires dans la même île, contre Oreus et Eretria[51]. Cette expédition, commandée par Phokiôn, fut heureuse. Oreus et Eretria furent délivrées ; Kleitarchos et Philistidês, ainsi que les troupes macédoniennes, furent chassés de file, bien,que tous deux essayassent en vain de se rendre Athènes favorable[52]. Kallias aussi, les Chalkidiens d’Eubœa et les Mégariens contribuèrent comme auxiliaires à ce succès[53]. Sur sa proposition, appuyée par Démosthène, on renonça à la présence des députés des cités eubœennes au congrès à Athènes, ainsi qu’au tribut qu’elles payaient, et à la place on établit un congrès eubœen, siégeant à Chalkis, indépendant d’Athènes, toutefois allié avec elle[54]. Dans ce congrès eubœen, Kallias fut le principal personnage, se mettant en avant à la fois comme partisan d’Athènes et comme ennemi de Philippe. Il poussa son attaque au delà des limites de l’Eubœa jusqu’au golfe de Pagasæ, d’oie venaient probablement les troupes macédoniennes qui avaient formé la garnison d’Oreus sous Philistidês. Il y prit plusieurs des villes alliées avec Philippe ou qui avaient reçu de lui une garnison, ainsi que divers bâtiments macédoniens, dont il vendit les équipages comme esclaves. Pour ces succès, les Athéniens lui décrétèrent un vote public de remerciements[55]. Il s’employa aussi (pendant l’automne et l’hiver de 341-340 av. J.-C.) à parcourir le Péloponnèse pour organiser une confédération contre Philippe. Dans cette mission il pressa avec ardeur les cités d’envoyer des députés à un congrès à Athènes, le mois suivant d’Anthesterion (février) 340 avant J.-C. Mais bien qu’il fît à Athènes la flatteuse annonce d’un concours et d’un appui qui lui avait été promis, le congrès projeté n’aboutit à rien[56].

Tandis que l’important succès en Eubœa délivrait Athènes d’inquiétude de ce côté, Démosthène était envoyé comme ambassadeur dans la Chersonèse et à Byzantion (printemps, 340 av. J.-C.). Il dut sans doute encourager Diopeithês, et il se peut qu’il lui ait mené quelques renforts. Mais ses services furent principalement utiles à Byzantion. Cette cité avait été longtemps mal disposée à l’égard d’Athènes, — par suite de souvenirs de la Guerre Sociale, et pair jalousie à l’occasion des droits imposés sur les navires de blé qui passaient par le Bosphore ; de plus elle avait été pendant quelque temps alliée avec Philippe, qui faisait actuellement tous ses efforts pour déterminer les Byzantins se joindre à lui dans une guerre active contre Athènes. Démosthène fit un usage si efficace de son éloquence à Byzantion, qu’il déjoua ce dessein, triompha des sentiments hostiles des citoyens et les amena a vair combien il importait et — à leurs intérêts et à leur salut de se coaliser avec Athènes pour résister à la prépondérance ultérieure de Philippe. Les Byzantins, avec leurs alliés et voisins les Périnthiens, contractèrent alliance avec Athènes. Démosthène s’enorgueillit, à bon droit, d’avoir remporté ce succès pour ses compatriotes en qualité d’homme d’État et de diplomate, malgré des probabilités contraires. Si Philippe eût pu obtenir la coopération active de Byzantion et de Perinthos, il serait devenu maître de l’approvisionnement de blé et probablement de l’Hellespont également, de sorte que la guerre dans ces régions aurait fini par être presque impraticable pour Athènes[57].

Si cette révolution inopinée dans la politique de Byzantion fut éminemment avantageuse à Athènes, elle mortifia Philippe dans la même proportion ; ce prince la ressentit tellement que, peu de temps après, il commença le siège de Perinthos par terre et par mer[58], un peu avant le solstice d’été de 340 avant J.-C. Il fit remonter l’Hellespont à sa flotte qu’il amena dans la Propontis, et il la protégea, dans son passage, contre l’attaque des Athéniens de la Chersonèse[59], en faisant conduire son armée à travers la péninsule qu’elle ravagea. C’était une violation d’un territoire athénien, ce qui ajoutait une cause de guerre de plus au grand nombre de celles qui existaient déjà. En même temps il parait qu’il lâcha alors ses croiseurs contre les bâtiments marchands athéniens, dont il prit et s’appropria une grande quantité. Ces captures, avec les incursions dans la Chersonèse, servirent de dernières provocations additionnelles, qui agirent sur les esprits des Athéniens et les amenèrent à une déclaration positive de guerre[60]. Peu après le solstice d’été de 340 avant J.-C., au commencement de l’archontat de Theophrastos, ils décrétèrent formellement[61] qu’on enlèverait la colonne sur laquelle était consignée la paix de 346 avant J.-C., et qu’on recommencerait la guerre contre Philippe d’une manière ouverte et explicite. Il semble probable que cela se fit tandis que Démosthène était encore absent, pour sa mission à l’Hellespont et au Bosphore ; car il dit expressément qu’aucun des décrets qui amenèrent immédiatement les hostilités ne fut proposé par lui, mais que tous le furent par les autres citoyens[62], assertion que nous pouvons raisonnablement croire puisqu’il devait être plutôt fier que honteux d’une pareille initiative.

Vers le même temps, à ce qu’il paraîtrait, Philippe de son coté adressa aux Athéniens un manifeste et une déclaration de guerre (340 av. J.-C.). Dans cette pièce il énumérait une foule de torts dont ils s’étaient rendus coupables à son égard et qui restaient encore sans réparation malgré des remontrances formelles, torts dont il annonce devoir tirer une juste vengeance par des hostilités ouvertes[63]. Il faisait allusion à l’arrestation, sur le sol macédonien, de Nikias son héraut, porteur de dépêches ; les Athéniens (alléguait-il) avaient détenu ce héraut comme prisonnier pendant dix mois et avaient lu les dépêches publiquement dans leur assemblée. Il se plaignait qu’Athènes eût encouragé les habitants de Thasos à donner asile à des trirèmes de Byzantion et à des corsaires d’autres endroits, pour molester le commerce macédonien. Il insistait sur les actes agressifs de Diopeithês en Thrace, et de Kallias dans le golfe de Pagasæ. Il dénonçait la demande de secours contre lui faite aux Perses par Athènes, comme un abandon du patriotisme hellénique et des anciennes maximes athéniennes. Il faisait allusion’ à l’intervention déplacée d’Athènes dans la défense des princes thraces Terês et Kersobleptês contre lui, quand ces princes n’étaient ni l’un ni l’autre du nombre de ceux qui avaient juré là paix ; à la protection accordée par Athènes aux habitants de, Peparêthos, qu’il avait punis pour des hostilités commises contre sa garnison d’Halonnesos ; au danger que sa flotte avait couru en remontant l’Hellespont, par suite des hostilités des colons athéniens de la Chersonèse, qui avaient coopéré avec ses ennemis les Byzantins, et l’avaient mis dans la nécessité de protéger ses vaisseaux en faisant marcher une armée de terre à travers la Chersonèse. Il justifiait sa propre conduite à l’occasion du secours donné à ses alliés les habitants de Kardia, se plaignant que les Athéniens eussent refusé de soumettre leurs différends avec cette cité à un arbitrage équitable. Il repoussait les prétentions athéniennes au sujet d’un droit sur Amphipolis, affirmant qu’il avait lui-même plus de droits sur cette ville, à tous égards. Il insistait particulièrement sur la conduite offensive des Athéniens, qui, lorsqu’il avait envoyé des ambassadeurs conjointement avec tous ses alliés, avaient refusé de conclure une juste convention au nom de tous les Grecs en général. — Si vous aviez accédé à cette proposition (disait-il), vous auriez mis hors de danger tous ceux qui soupçonnaient réellement mes desseins, ou vous m’auriez présenté publiquement comme le plus indigne des hommes. Il était de l’intérêt de votre peuple d’y accéder, mais non de celui de vos orateurs. Pour eux,comme l’affirment ceux qui connaissent le mieux votre gouvernement,la paix est la guerre, et la guerre, la paix ; car ils font toujours de l’argent aux dépens de vos généraux, soit comme accusateurs soit comme défenseurs, de plus, en in1juriant dans l’assemblée publique vos principaux citoyens l’intérieur, et d’autres hommes éminents au dehors, ils acquièrent auprès de la multitude du crédit à cause de leurs dispositions populaires. Il me serait facile, par les présents les plus insignifiants, de mettre un terme à leurs invectives et, de  les faire chanter mes louanges. Mais je rougirais de paraître acheter d’eux votre bonne volonté[64].

Il est peu important de vérifier ou d’apprécier les plaintes particulières présentées ici, eussions-nous même des moyens suffisants pour le faire. Dans les sentiments qui avaient régné pendant les deux dernières années entre les Athéniens et Philippe, nous ne prouvons douter que beaucoup d’actes détachés d’un caractère hostile n’aient été commis de leur côté aussi bien que du sien. L’allégation de Philippe, — qu’il leur avait proposé à plusieurs reprises un arrangement- de leurs différends à l’amiable, — qu’elle soit vraie ou non, a peu d’importance. Il était grandement de sol intérêt de maintenir Athènes en paix et tranquille, tandis qu’il établissait son ascendant partout ailleurs et qu’il augmentait sa puissance pour finir par l’employer d’une manière telle qu’elle serait hors d’état de lui résister. Les Athéniens avaient à la fin été amenés à comprendre que persévérer plus longtemps dans cette conduite leur assurerait seulement la somme de faveur que Polyphemos offrait à Odysseus, — c’est qu’ils seraient dévorés les derniers. Mais la leçon qu’il croit à propos de donner, tant à eux qu’à leurs orateurs populaires, n’est guère plus qu’une dérision insultante. Il est étrange de lire l’éloge de la paix, — comme si elle était incontestablement avantageuse au public athénien et comme si les recommandations de la guerre ne venaient que d’orateurs disposés à se vendre et à calomnier. à leur profit, — il est étrange, dis-je, de lire cet éloge prononcé par le plus grand agresseur et le plus grand conquérant de son époque, dont toute la vie se passa dans la guerre et dans l’organisation élaborée de grandes forces militaires, et adressé à un peuple dont la principale faiblesse était alors une aversion presque insurmontable pour les fatigues personnelles et les sacrifices pécuniaires d’une guerre efficace. Il se peut que ce passage du manifeste soit destiné à servir de texte à Æschine et aux autres partisans de Philippe dans l’assemblée athénienne.

La guerre était actuellement un fait avoué des deux côtés (automne 340 av. J.-C.). A l’instigation de Démosthène et d’autres, les Athéniens rendirent un décret à l’effet d’équiper une armée navale, qui fut envoyée sous Charês dans l’Hellespont et la Propontis.

Cependant Philippe amena au siège de Perinthos une armée de trente mille hommes, et une quantité d’engins et de projectiles telle qu’on n’en avait jamais vu auparavant[65]. L’attaque qu’il dirigea sur cette place fut remarquable non seulement par la grande bravoure et la grande persévérance qu’on déploya des deux côtés, mais encore par les proportions considérables des opérations militaires[66]. Perinthos était forte et défendable, située comme elle l’était sur un promontoire se terminant en falaises escarpées au sud, du côté de la Propontis, inattaquable par mer, mais s’abaissant, bien que par une pente douce, du côté de la terre, à laquelle elle était unie par un isthme qui n’avait pas plus de deux cents mètres de largeur. En travers de cet isthme s’étendait le mur extérieur, derrière lequel on voyait les maisons de la ville, hautes, fortement bâties et s’élevant les unes au-dessus des autres en terrasse, le long de la pente dis promontoire. Philippe pressa la place par des assauts dirigés à plusieurs reprises sur le mur extérieur, en le battant en brèche avec des béliers, en le minant par la sapé et en roulant des tours mobiles qui, dit-on, avaient trente-six mètres de hauteur (plus hautes même que les tours du mur périnthien), de manière à écarter les défenseurs par des traits et à tenter un assaut corps à corps au moyen de planchers. Les Périnthiens, se défendant avec une valeur énergique, le repoussèrent pendant longtemps du mur extérieur. A la fin, les engins de siège, avec les attaques réitérées des soldats macédoniens, qu’animaient les promesses de Philippe, renversèrent ce leur et refoulèrent les défenseurs dans la ville. Toutefois, il se trouva que la ville elle-même fournit à ses citoyens une nouvelle position défendable : La rangée inférieure des maisons, unies par de fortes barricades élevées en travers des rues, permit aux Périnthiens de tenir encore. Toutefois, malgré tous leurs efforts, la ville aurait partagé le sort d’Olynthos, si elle n’avait été appuyée par une aide étrangère efficace. Non seulement leurs parents byzantins s’épuisèrent à fournir toute sorte de secours par mer, mais encore la flotte athénienne et les satrapes persans du côté asiatique de la Propontis prêtèrent leur concours. Un corps de mercenaires grecs sous Apollodéiros, que le satrape phrygien Arsitês envoya d’Asie, par nier, avec une quantité abondante de munitions, mit Perinthos en état de défier les assiégeants[67].

Après un siège qui ne peut guère avoir duré moins de trais mois, Philippe vit tous ses efforts contre Perinthos déjoués (340 av. J.-C.). Alors il changea de plan : il retira une portion de ses forces et parut soudain devant Byzantion. Les murailles étaient fortes, mais insuffisamment garnies de monde et mal préparées, une grande partie des forces byzantines étant au service de Perinthos. Parmi plusieurs attaques vigoureuses, Philippe s’arrangea pour tenter pendant une nuit sombre et orageuse une surprise qui fut bien prés de réussir. Les Byzantins se défendirent bravement et même défirent sa flotte ; mais ils furent sauvés aussi surtout par un secours étranger. Les Athéniens, — agissant actuellement sous les inspirations de Démosthène, qui les exhorta à ensevelir dans un généreux oubli tous leurs motifs passés d’offense contre Byzantion, — envoyèrent une flotte plus puissante encore à son secours, sous la conduite vigoureuse de Phokiôn[68], à la place du lâche et rapace Charês. En outre, le danger de Byzantion provoqua des efforts énergiques de la part des principaux insulaires de la mer Ægée, — des gens de Chios, de Rhodes, de Kos, etc., pour lesquels il était extrêmement important que Philippe ne devînt pas maître du grand passage qui servait à l’importation du blé dans les mers grecques. La grande flotte combinée réunie ainsi fut tout à fait suffisante pour protéger Byzantion[69]. Forcé d’abandonner le siège de cette cité aussi bien que de Perinthos, Philippe fut déjoué en outre dans une attaque dirigée sur la Chersonèse. Non seulement Phokiôn défendit contre lui la sécurité entière de la Propontis et de ses détroits contigus, mais encore il remporta divers avantages sur lui, tant sur terre que sur mer[70].

Ces opérations occupèrent probablement les six derniers mois de 340 avant J.-C. Elles constituèrent les succès les plus importants remportés par Athènes et le revers le plus sérieux éprouvé par Philippe depuis le commencement de la guerre entre eux. Arrivant comme elles le faisaient immédiatement après la délivrance de l’Eubœa dans l’année précédente, elles améliorèrent considérablement la position d’Athènes contre Philippe. Non seulement Phokiôn et sa flotte épargnèrent aux. citoyens de Byzantion tous les maux qu’aurait entraînés la prise de la ville par les soldats macédoniens, mais encore ils arrêtèrent la course et protégèrent les navires de commerce d’une manière si efficace igue le blé devint abondant et à bon marché à Athènes — et dans toute la Grèce[71], comme il ne l’était pas d’ordinaire, et Démosthène, comme diplomate et comme homme d’État, eut l’honneur d’avoir fait de l’Eubœa une voisine amie qui couvrait Athènes, au lieu d’être un asile pour les croiseurs de Philippe allant à la maraude, — aussi bien que d’avoir amené Byzantion de l’alliance macédonienne dans celle d’Athènes, et d’avoir empêché ainsi l’Hellespont et le commerce du blé de passer entre les mains de Philippe[72]. Les votes les plus chaleureux de remerciements, avec des couronnes en signe de reconnaissance, furent décrétés pour Athènes par les assemblées publiques de Byzantion, de Perinthos et des diverses villes de la Chersonèse[73], tandis que l’assemblée publique athénienne décréta aussi et proclama publiquement un vote semblable de remerciements et d’admiration pour Démosthène. Le décru, proposé par Aristonikos, fut si unanimement populaire au moment que ni Æschine ni aucun des autres ennemis de Démosthène lie jugèrent prudent d’attaquer l’auteur[74].

Dans les récentes opérations militaires, sur une échelle si considérable, contre Byzantion et Perinthos, Philippe s’était trouvé en conflit non seulement avec Athènes, mais encore avec les gens de Chios, de Rhodes et autres., vaste et extraordinaire réunion de Grecs confédérés (339 av. J.-C.). Afin de briser cette confédération, il jugea convenable de proposer la paix et d’abandonner ses desseins contre Byzantion et Perinthos, — point sur lequel reposait surtout l’alarme des confédérés. En retirant ses forces de la Propontis, il put conclure la paix avec les Byzantins et avec la plupart des Grecs maritimes qui s’étaient réunis pour les secourir. La coalition contre lui fut ainsi dissoute, bien que sa guerre navale contre Athènes[75] et ses alliés plus intimes continuât encore. Tandis qu’il multipliait croiseurs et corsaires pour combler par des prises les lourdes dépenses des derniers sièges, il entreprit avec son armée de terre une expédition, pendant le printemps de 339 avant J.-C., contre le roi scythe Atheas ; il envahit avec succès le pays de ce prince, situé entre le mont Hæmus et le Danube, et emmena comme butin une grande quantité de jeunes esclaves des deus sexes, aussi bien que de bétail. Toutefois, à son retour, quand il franchit le mont Hæmus, il fut attaqué soudainement par la tribu thrace des Triballes et essuya une défaite ; il perdit tous les captifs qui l’accompagnaient et fut lui-même grièvement blessé à la cuisse[76]. Cette expédition et ses suites occupèrent Philippe pendant le printemps et l’été de 330 avant J.-C.

Cependant, la guerre navale d’Athènes contre Philippe fut continuée d’une manière plus efficace, et sa marine mieux organisée qu’elle ne l’avait jamais été auparavant. Ce fut du surtout à une réforme importante proposée et obtenue par Démosthène, immédiatement après la déclaration de guerre contre Philippe, dans l’été de 340 avant J.-C. Jouissant comme il le faisait, après une longue expérience publique, de la confiance plus grande de ses concitoyens, et étant nommé surveillant de la flotte[77], il employa son influence non seulement à obtenir une intervention énergique tant en Eubœa qu’à Byzantion, mais encore à corriger des abus profondément enracinés qui paralysaient la puissance du département de la marine à Athènes.

La loi de Periandros (adoptée en 357 av. J.-C.) avait réparti la charge de la triérarchie entre les douze cents plus riches citoyens sur le rôle foncier imposable, arrangé en vingt fractions appelées symmories, de soixante personnes chacune. Parmi ces hommes, les trois cents plus riches, étant distingués comme chefs des symmories, étaient investis du pouvoir de diriger et d’imposer tout ce qui concernait leurs actions et leurs devoirs collectifs. Dans l’origine, a dépense d’une triérarchie, — somme d’environ 40, 50 ou 60 mines pour chaque trirème, défrayant plus ou moins des frais, — avait été supportée par un seul homme riche quand son tour venait, et plus tard par deux hommes riches conjointement. Le but de cette loi avait été de transférer cette dépense à une société plus ou moins nombreuse, consistant en cinq, six ou même quinze ou seize membres de la même symmorie. Le nombre de ces associés variait suivant le nombre des trirèmes dont l’État demandait l’équipement en une année. Si l’on ne demandait que quelques trirèmes, seize personnes pouvaient être désignées pour défrayer collectivement la dépense triérarchique de chacune ; si, d’autre part, on avait besoin de beaucoup de trirèmes, un moins grand nombre d’associés, peut-être pas plus de cinq ou de six, pouvaient être assignés à chacune, — vu que le nombre total des citoyens, dont c’était le tour d’être imposés dans cette année particulière, était fixé. L’imposition établie sur chaque associé était naturellement plus lourde, à proportion que le nombre des associés assignés à une trirème était plus petit. Chaque membre de l’association, fût-elle de cinq, de six ou de seize, contribuait à la dépense en proportion égale[78]. Ainsi, les membres plus riches de l’association ne payaient pas une somme plus grande que les plus pauvres, et quelquefois même ils esquivaient tout payement personnel en faisant un marché avec quelqu’un qui devait remplir les devoirs du poste, à condition d’une somme totale ne dépassant pas celle qu’ils avaient recueillie auprès de ces membres plus pauvres.

Suivant Démosthène, les membres plus pauvres de ces symmories triérarchiques étaient parfois poussés presque à la ruine par les sommes demandées, de sorte qu’ils se plaignaient amèrement, et même se plaçaient dans l’attitude caractéristique de suppliants à Munychia ou dans quelque autre endroit de la cité. Quand ils n’avaient pas fourni à temps ce qu’ils devaient à l’État, ils étaient exposés à être emprisonnés par les officiers chargés de surveiller les apprêts de l’armement. Outre ces maux privés, il résultait un grand dommage public de ce que l’argent n7arrivait pas immédiatement, l’armement voyant ainsi son,-départ digéré et étant forcé de quitter Peiræeus soit en mauvais état, soit incomplet. Telle fut la cause, en grande partie, de l’insuccès d’Athènes dans ses entreprises maritimes contre Philippe avant la paix de 346 avant J.-C.[79]

Les mêmes influences qui, dans l’origine, avaient amené l’introduction de ces abus, se trouvèrent opposées à l’orateur dans sa tentative d’amendement. Le corps des Trois Cents, les hommes les plus riches de l’État, — composé du chef ou individu le plus riche de chaque symmorie, avec ceux qui étaient les seconds et les troisièmes dans l’ordre de fortune. — firent tous leurs efforts pour rejeter la proposition et offrirent des présents considérables à Démosthène (si nous pouvons ajouter foi à son assertion) pour l’engager à la laisser tomber. Il fut accusé en outre, en vertu de la Graphê Paranomôn, comme auteur d’un décret inconstitutionnel ou illégal. Il ne fallut pas peu de fermeté et d’esprit public, combinés avec une éloquence généralement approuvée et un nom établi, pour permettre à Démosthène de lutter contre ces puissants ennemis.

D’après sa nouvelle loi, la charge de la triérarchie dut être imposée à tous les membres des symmories, c’est-à-dire à tous ceux qui s’élevaient au-dessus d’un certain minimum de propriété, en proportion de leur propriété taxée ; mais il semble, si nous le reconnaissons justement, qu’elle haussa un peu le minimum, de sorte que le nombre collectif des personnes imposables fut diminué[80]. Chaque citoyen taxé à dix talents fut imposé seulement pour là charge de triérarchie appartenant à une seule trirème ; s’il l’était à vingt talents, pour la triérarchie de deux ; à trente talents, pour la triérarchie de trois ; s’il l’était au-dessus de trente talents, pour celle de trois trirèmes et d’un bateau de service, — ce qui était regardé comme le maximum payable par un seul individu. Les citoyens taxés à moins de dix talents furent groupés ensemble jusqu’à concurrence de dix talents pour tout le groupe, qui devait supporter collectivement la triérarchie concernant une seule trirème, les contributions fournies par chaque personne dans le groupe étant proportionnelles à la somme pour laquelle elle était taxée. Si cette nouvelle proposition soulageait les citoyens plus pauvres, elle augmentait considérablement les impositions des riches. Un homme taxé à vingt talents, qui auparavant n’avait été imposable que pour le seizième de la dépense d’une triérarchie, avec des associés beaucoup plus pauvres que lui, mais également imposés, devenait actuellement imposable de la dépense entière de deux triérarchies. Toutes les personnes soumises à cette charge furent imposées, dans une juste proportion avec la somme pour laquelle elles se trouvaient taxées dans le rôle. Quand l’accusation portée coutre Démosthène en vint à être jugée devant le dikasterion, il fut acquitté par plus des quatre cinquièmes des dikastes, de sorte que l’accusateur frit forcé de payer l’amende établie. Et les dispositions du, public furent si animées à ce moment, en faveur de mesures vigoureuses pour poursuivre la guerre qui venait d’être déclarée, que les citoyens le secondèrent sincèrement et adoptèrent les traits principaux, de sa réforme triérarchique. Toutefois, la résistance opposée par les riches, bien qu’insuffisante pour rejeter la mesure, le contraignit à la modifier plus d’une fois, pendant le cours de la discussion[81], en partie par suite de l’opposition d’Æschine, qu’il accuse d’avoir été payé par les riches dans ce dessein[82]. Il est fort à regretter que les discours des deux orateurs, — surtout ceux de Démosthène, qui ont dû être nombreux, — n’aient pas été conservés.

C’est ainsi que les symmories triérarchiques furent distribuées de nouveau et imposées à chaque homme en proportion de sa fortune, et par conséquent plus largement aux Trois Cents, plus riches[83]. Combien de temps cette loi dura-t-elle sans changement, c’est ce que nous ignorons. Mais il se trouva qu’elle fonctionna admirablement bien ; et Démosthène se vante, que pendant la guerre entière — c’est-à-dire depuis le renouvellement de la guerre, vers août, 340 av. J.-C., jusqu’à la bataille de Chæroneia, en août, 338 av. J.-C. —, toutes les triérarchies nommées en vertu de cette loi furent prêtes à temps, sans plaintes ni souffrances, tandis que les vaisseaux, bien équipés et exempts des causes antérieures de retard, se trouvèrent préparés et en état de servir efficacement dans toutes les exigences. Pas un ne fut laissé en arrière ni perdu à la mer pendant ces deux années[84].

Probablement le premier fruit de la réforme de Démosthène dans l’administration navale athénienne fut la flotte équipée sous Phokiôn, qui agit d’une manière si heureuse à Byzantion et près de cette ville (339 av. J.-C.). Les opérations d’Athènes sur mer, bien qu’elles ne soient pas connues en détail, paraissent avoir été mieux conduites et plus heureuses dans leur effet général qu’elles ne l’avaient été depuis la Guerre Sociale.

Mais il s’éleva alors dans l’intérieur de la Grèce une sérieuse et triste dispute qui la força à se défendre parterre. Cette nouvelle cause de trouble ne fut rien moins qu’une autre Guerre Sacrée, déclarée par l’assemblée amphiktyonique aux Lokriens d’Amphissa. Allumée surtout par l’Athénien Æschine, elle fit plus que de dédommager Philippe de son échec à Byzantion et de sa défaite par les Triballes ; elle amena, comme la précédente Guerre Sacrée, un agrandissement pour lui seul et la ruine pour la liberté grecque.

J’ai déjà raconté ailleurs[85] la première Guerre Sacrée constatée dans l’histoire grecque (590-580 av. J.-C.) environ deux siècles avant la naissance d’Æschine — et de Démosthène. Cette guerre avait été entreprise par les Grecs amphiktyoniques pour punir le florissant port de mer de Kirrha, situé près de l’embouchure du fleuve Pleistos, sur la côte de la fertile plaine qui s’étendait de la pente méridionale de Delphes à la mer, et elle avait abouti à la destruction de ce port. Kirrha était, dans l’origine, le port de Delphes et de l’ancienne ville phokienne de Krissa, à laquelle Delphes lit jadis annexée comme sanctuaire[86]. Mais, dans la suite des temps, Kirrha grandit aux dépens de l’une et de l’autre, à cause des profits accumulés qu’elle retirait des innombrables visiteurs par mer qui y débarquaient comme au point le plus rapproché du temple. Les Kyrrhæens prospères, inspirant de la jalousie à Delphes et à Krissa, furent accusés d’extorsions dans les droits qu’ils levaient sur les visiteurs, aussi bien que d’autres actes coupables on blessants. Une guerre amphiktyonique, dans laquelle l’Athénien Solôn joua un rôle saillant, leur étant déclarée, Kirrha fut prise et détruite. Sa fertile plaine fut consacrée au dieu de Delphes, sous un serment prononcé par tous les membres amphiktyoniques, avec des engagements solennels et de formidables imprécations contre les perturbateurs. L’espace entier entre le temple et la mer devint alors, comme l’avait demandé l’oracle, une propriété sacrée du dieu, c’est-à-dire non susceptible d’être labourée, plantée ou occupée d’aucune manière permanente par l’homme, et consacrée seulement à un herbage naturel avec des animaux qui y paissaient.

Mais, bien que les Delphiens eussent obtenu ainsi l’extirpation de leurs voisins incommodes à Kirrha, il était indispensable qu’au même endroit ou auprès il existât une ville et un port pour la commodité des hôtes qui venaient à. Delphes de tous les côtés, d’autant plus que ces personnes, qui se composaient non seulement de visiteurs, mais encore de commerçants avec des marchandises à vendre, arrivaient actuellement en plus grand nombre que jamais, à cause des plus grands attraits que les riches dépouilles de Kirrha elle-même avaient ajoutés à la fête Pythienne. Comment satisfit-on d’abord à ce besoin, tandis que le souvenir du serment était récent encore, c’est ce qu’on ne nous apprend pas. Mais, dans la suite du temps, Kirrha finit par être occupée et fortifiée de nouveau par les voisins occidentaux de Delphes, — les Lokriens d’Amphissa, sur les frontières desquels elle se trouvait, et auxquels elle servait probablement de port non moins qu’à Delphes. Ces nouveaux occupants reçurent les hôtes qui venaient au temple, s’enrichirent par les profits qui en résultaient, et prirent, pour la mettre en culture, une certaine portion de la plaine qui entourait la ville[87].

A quelle époque remontait l’occupation par les Lokriens, c’est ce qu’il nous est impossible de dire. Toutefois, nous reconnaissons, — non seulement d’après Démosthène, mais même d’après Æschine, — que de leur temps c’était une occupation ancienne et établie, — et non pas une intrusion ni une nouveauté récente. La ville était fortifiée, l’espace immédiatement adjacent étant labouré et réclamé par les Lokriens comme leur propriété[88]. C’était, dans le fait, un abandon du serment juré par Solôn avec ses contemporains amphiktyoniques, à l’effet de consacrer Kirrha et ses terres au dieu de Delphes. Mais si ce serment avait été littéralement tenu, le dieu lui-même et les Delphiens, chez lesquels il habitait, y auraient perdu, les premiers, parce que le manque d’un port commode aurait été un sérieux découragement, sinon une barrière positive opposée à l’arrivée des visiteurs, dont la plupart venaient par mer. Conséquemment, le rétablissement de la ville et du port de Kirrha, sans doute sur une échelle modeste, avec un espace de terre adjacent a labourer, fut du moins toléré, sinon : encouragé. Dans le fait, une grande partie de la plaine resta encore sans être ni labourée ni plantée, comme propriété d’Apollon, les limites n’étant peut-être pas tracées avec soin.

Si les Lokriens avaient été ainsi utiles au temple de Delphes en occupant Kirrha, ils lui avaient encore été plus précieux comme les premiers auxiliaires et, protecteurs contre les Phokiens, leurs ennemis d’ancienne daté[89]. Un des premiers objets de Philomélos le Phokien, après qu’il eut défait les forces armées lokriennes, fut de fortifier l’enceinte sacrée de Delphes sur son côté occidental contre leurs attaques[90], et nous ne pouvons douter que leur position dans le voisinage immédiat de Delphes n’ait dix être une source de souffrances positives aussi bien que de dangers, pendant les années où les chefs phokiens, avec- leurs nombreuses bandes mercenaires, occupèrent en vainqueurs le temple, et probablement le port de Kirrha également. Le changement subséquent de fortune, dans lequel les Phokiens furent écrasés par Philippe et l’assemblée amphiktyonique fut réorganisée, avec ce prince pour chef, — a dû trouver les Lokriens amphissiens au nombre des alliés et des partisans les plus ardents. Reprenant possession de Kirrha, il se peut qu’ils aient été enhardis, à ce moment de réaction triomphante, à étendre leur occupation autour des murs, à une distance plus grande qu’ils ne l’avaient fait auparavant. En outre, ils étaient animés de sentiments dévoués à l’égard de Thêbes et étaient hostiles à Athènes, parce qu’elle soutenait leurs ennemis les Phokiens, dont elle était l’alliée.

Les choses étaient dans cet état quand la réunion de printemps de l’assemblée amphiktyonique (février ou mars, 339 av. J.-C.) fut tenue à Delphes. Diognêtos fut nommé par les Athéniens pour y assister comme hieromnêmôn ou principal député, avec trois pylagoræ ou vice-députés, Æschine, Meidias et Thrasyklês[91]. Nous devons difficilement croire Démosthène, quand il dit que le nom d’Æschine fut présenté sans que personne le sût à l’avance, et que mien qu’il passât, cependant il n’y eut pas plus de deux ou trois mains qui se levèrent en sa faveur[92]. Peu de temps après qu’ils furent arrivés à Delphes, Diognêtos fut pris d’une fièvre, de sorte que la tâche de parler dans l’assemblée amphiktyonique fut confiée à Æschine.

Il y avait dans le temple de Delphes quelques boucliers d’or ou dorés, consacrés comme offrande prélevée sur le butin fait à la bataille de Platée, un siècle et demi auparavant, — avec une inscription à cet effet : — Offrande consacrée par les Athéniens et prélevée sur les dépouilles des Perses et des Thêbains, engagés ensemble dans une bataille contre les Grecs. Il paraît que ces boucliers avaient été récemment placés de nouveau — ayant été peut-être dépouillés de leur dorure par les dévastateurs phokiens — dans une nouvelle cellule ou chapelle, sans toutes les formes habituelles de prière ou cérémonies[93], que l’on pouvait peut-être supposer inutiles, vu que l’offrande n’était pas alors consacrée pour la première fois L’inscription, peu remarquée et peut-être effacée par le laps de temps sur les boucliers primitifs, dut alors ressortir d’une manière brillante et apparente sur la nouvelle — dorure, faisant revivre des souvenirs historiques extrêmement blessants pour les Thêbains[94] et pour les Lokriens amphissiens comme amis de Thêbes. Ces derniers firent non seulement des remontrances dans l’assemblée amphiktyonique, mais ils se préparaient même (si nous en devons croire Æschine) à accuser Athènes d’impiété et à invoquer contre elle une amende de cinquante talents pour omission des solennités religieuses[95]. Mais Démosthène le nie[96] en disant que les Lokriens ne pouvaient porter une accusation pareille contre Athènes sans envoyer une sommation formelle — qu’ils n’avaient jamais envoyée. Démosthène devait sans doute avoir raison quanta la forme régulière, probablement aussi quant au fait réel, bien qu’Æschine, l’accuse d’avoir revu des présents[97] pour défendre les iniquités des Lokriens. Que les Lokriens soient allés jusqu’à invoquer une peine ou non, — en tout cas ils parlèrent en termes de plainte contre le procédé. Cette plainte n’était pas sans fondement réel, puisqu’il valait mieux pour la sûreté commune de la liberté hellénique contre l’agresseur macédonien, que la trahison de Thêbes à la bataille de Platée restât comme fait ancien et passé, plutôt que d’être publiée de nouveau dans une édition nouvelle. Mais ce ne fut pas la raison adoptée par les plaignants, et ils ne pouvaient pas attaquer le droit qu’avait Athènes de rebrunir ses anciennes offrandes. Conséquemment, ils attaquèrent l’acte sur allégation d’impiété, comme n’ayant pas été précédé des solennités religieuses convenables ; par là, ils eurent l’occasion d’invectiver contre Athènes, comme alliée des Phokiens dans leur récent sacrilège, et comme ennemie de Thêbes, le ferme champion du dieu.

Les Amphiktyons étant réunis (je donne ici la substance du récit, mais non les termes exacts d’Æschine), une personne amie vint nous apprendre que les Amphissiens portaient leur accusation contre Athènes. Mes collègues malades me demandèrent de me présenter immédiatement dans l’assemblée et de me charger de sa défense. Je me hâtai de, les satisfaire, et je venais de commencer à parler, quand un Amphissien — d’une grossièreté et d’une brutalité extrêmes, — peut-être même sous l’influence de quelque mouvement divin qui l’égarait, — m’interrompit et s’écria : Ne l’écoutez pas, hommes de la Hellas ! Ne souffrez pas que le nom du peuple athénien soit prononcé parmi vous, à cette époque sainte ! Chassez-les du terrain sacré comme des hommes sous le coup d’une malédiction. En outre, il nous dénonça pour notre alliance avec les Phokiens, et lança mille autres invectives outrageantes contre la cité.

Pour moi (continue Æschine), tout cela était intolérable à entendre : je ne peux pas même maintenant y songer avec calme, — et au moment, je sentis un mouvement de colère tel que je n’en avais jamais eu auparavant de ma vie. La pensée me traversa l’esprit de répondre aux Amphissiens par leur invasion impie du territoire kirrhæen. Cette plaine, située immédiatement au-dessous de l’enceinte sacrée dalla laquelle nous étions assemblés, était visible en entier. Vous voyez, Amphiktyons (dis-je), cette plaine cultivée par les Amphissiens, avec des bâtiments qui y sont élevés pour des fermes et des ateliers de poterie. Vous avez devant les yeux le port, consacré par le serment de vos ancêtres, occupé et fortifié aujourd’hui. Vous savez par vous-mêmes, sans avoir besoin de témoins qui vous le disent, que ces Amphissiens ont levé des droits au moyen du port sacré et qu’ils en tirent profit ! Je fis lire ensuite publiquement l’ancien oracle, le serment et les imprécations (prononcés après la première Guerre Sacrée, dans laquelle Kirrha fut détruite). Puis, continuant, je dis :Me voici, prêt à défendre le dieu et la propriété sacrée, conformément au serment de nos ancêtres, de la main, du pied, de la voix et de tous les moyens que je possède. Je suis prêt à acquitter les obligations de ma cité à l’égard des dieux ; prenez immédiatement conseil pour ce qui vous concerne. Vous êtes ici sur le point d’offrir aux dieux des sacrifices et des prières pour leurs bienfaits, publiquement et individuellement. Regardez donc bien :Où trouverez-vous une voix, une âme, des yeux ou du courage pour prononcer de pareilles supplications, si vous permettez à ces Amphissiens maudits de rester impunis, quand ils sont venus sous le coup des imprécations du serment inscrit sur la tablette d’airain ? Rappelez-vous que le serment annonce distinctement les souffrances qui attendent tout impie transgresseur, et même qu’il menace ceux qui tolèrent leur conduite, en déclarant queceux qui ne s’avancent pas pour venger Apollon, Artemis, Latone et Athênê Pronæa, ne peuvent sacrifier sans souillure, et que leur sacrifice ne peut être accueilli favorablement.

Telle est la description[98] pittoresque et frappante, faite par Æschine lui-même, quelques années plus tard, a l’assemblée athénienne, du discours qu’il adressa à la réunion amphiktyonique dans le printemps de 339 avant sur l’emplacement élevé des Pylæa de Delphes, avec Kirrha et sa plaine se développant devant ses yeux, et avec l’ancien serment et toutes ses terribles imprécations consignées sur la tablette d’airain prés de lui, et que chacun pouvait lire. Son discours, accueilli avec de bruyants applaudissements, souleva une passion violente dans le cœur des Amphiktyons, aussi bien que des auditeurs réunis à l’entour. L’auditoire, à Delphes, ne ressemblait pas à celui d’Athènes. Les citoyens athéniens étaient accoutumés à une éloquence parfaite, et habitués à peser des arguments contraires ;’ bien que susceptibles de vives émotions d’esprit, — admiration ou répugnance, suivant le cas, — ils exprimaient ces sentiments par le vote final, puis s’en retournaient chez eux s’occuper de leurs affaires particulières. Mais pour les hommes relativement grossiers, à Delphes, le discours d’un orateur athénien de premier ordre était une rareté. Quand Æschine, avec une grande force de rhétorique, fit revivre inopinément dans leurs imaginations l’ancienne et terrible histoire de la malédiction de Kirrha[99], — à laquelle s’ajoutait toute la force d’une association d’idées visible et locale, — ils furent agités jusqu’au délire, tandis que dans des esprits tels que les leurs, l’émotion excitée ne dut pas se dissiper par un simple vote, mais eut besoin de se traduire en un acte instantané.

L’intensité et l’action impérieuse et invincible de cette émotion sont prouvées par les faits monstrueux qui suivirent. L’accusation primitive d’impiété portée contre Athènes, présentée par l’orateur amphissien grossièrement et sans efficacité, et qui, à dire vrai, ne se prêtait nullement à une exagération de rhétorique, — fut alors complètement oubliée dans l’impiété plus odieuse dont Æschine avait accusé les Amphissiens eux-mêmes. Quant à la nécessité de, les punir, il n’y eut qu’une voix. Les orateurs amphissiens paraissent avoir fui, — puisque même leurs personnes n’auraient guère été en sûreté au milieu d’une pareille agitation. Et si le jour n’avait pas été déjà fort avancé, la multitude se serait immédiatement précipitée du théâtre du débat vers Kirrha[100]. A cause de l’heure avancée, on prit une résolution que le héraut proclama formellement, — à savoir, que le matin, à l’aurore, toute la population delphienne de seize ans et au-dessus, hommes libres aussi bien qu’esclaves, se réunirait à la place des sacrifices, pourvue de bêches et de pioches ; que l’assemblée des députés amphiktyoniques l’y rejoindrait, pour concourir à la défense du dieu et de la propriété sacrée ; que, s’il y avait quelque cité dont les députés ne parussent pas, elle serait exclue du temple et déclarée impie et maudite[101].

Conséquemment, à l’aurore, la réunion s’effectua. La multitude delphienne vint avec ses instruments de démolition ; — les Amphiktyons avec Æschine se mirent à la tête, et tous s’avancèrent, en descendant la colline, vers lé port de Kirrha. Ceux qui y résidaient, probablement étonnés et terrifiés de l’invasion si furieuse de toute une population, avec laquelle, peu d’heures auparavant, ils avaient été dans des termes d’amitié, abandonnèrent la place sans résistance, et coururent en informer leurs concitoyens à Amphissa. Les Amphiktyons avec leur suite entrèrent alors dans Kirrha, démolirent tous les établissements du port, et même mirent le feu aux maisons de la ville. C’est ce qu’Æschine nous dit lui-même, et nous pouvons être sors (bien qu’il ne nous le dise pas) que la multitude ainsi lancée ne se contenta pas simplement de démolir, mais qu’elle pilla et enleva tout ce qu’elle put saisir. Cependant, bientôt les Amphissiens, dont la ville était sur le terrain élevé à sept ou à huit milles environ (c’est-à-dire à 7 kilom. 1/4 ou à 8 kilom. 3/4), à l’ouest de Delphes, informés de la destruction de leurs biens et voyant leurs maisons en flammes, arrivèrent en toute hâte au secours avec leurs forces complètement armées. Les Amphiktyons et la population delphienne furent obligés d’évacuer Kirrha à leur tour et de se sauver à Delphes le plus vite qu’ils purent. Ils coururent personnellement les plus grands dangers. Suivant Démosthène, quelques-uns furent réellement arrêtés, mais ils doivent avoir été relâchés presque immédiatement[102]. Personne ne fut mis à mort, circonstance qui fut probablement due au respect porté par les Amphissiens, même dans ces conjonctures irritantes, à la fonction amphiktyonique.

Le matin qui suivit ce danger auquel ils avaient échappé de si près, le président, Thessalien de Pharsalos, nommé Kottyphos, convoqua une ekklêsia amphiktyonique complète, c’est-à-dire non seulement les Amphiktyons, à proprement parler, ou les députés et les co-députés envoyés par les diverses cités, — mais encore, avec eus, la multitude mêlée, présente dans le dessein de sacrifier et de consulter l’oracle. Bruyantes et indignées furent les dénonciations prononcées dans cette réunion contre les Amphissiens, tandis qu’Athènes fut louée pour s’être mise en avant en défendant les droits d’Apollon. Il fut résolu finalement que les Amphissiens seraient punis comme ayant péché contre le dieu et le domaine sacré, aussi bien que contre les Amphiktyons personnellement ; que les députés retourneraient dans leur patrie pour consulter chacun sa cité, respective, et qu’aussitôt qu’on pourrait obtenir quelque résolution positive pour des mesures exécutoires, chacun viendrait à une assemblée spéciale, fixée aux Thermopylæ pour un jour futur, vraisemblablement assez peu éloigné, mais certainement antérieur à l’époque régulière de la convocation automnale.

C’est ainsi que fut allumée, par une étincelle, la flamme d’une seconde guerre amphiktyonique (339 av. J.-C), six ou sept ans environ après la fin de la première en 346 avant J.-C. Ce qui vient d’être raconté, nous le tenons d’Æschine, qui fut lui-même le témoin aussi bien que l’incendiaire. Nous jugeons ici, non pas d’après des, accusations portées par son rival Démosthène, mais d’après ses propres dépositions, et d’après des faits qu’il détaille non seulement sans regret, mais avec un vif sentiment d’orgueil. Il est impossible de les lire sans ressentir le profond malheur qui était tombé sur le monde grec, puisque l’unanimité ou la dissidence de ses parties constitutives était actuellement déterminée, non par des congrès politiques à Athènes ou à Sparte, ruais par des débats dans la convocation religieuse à Delphes et aux Thermopylæ. Ici, nous voyons le sentiment politique des Lokriens amphissiens, — leur sympathie pour Thêbes et leur aversion pour Athènes, — dicter des plaintes et des invectives contre les Athéniens sur l’allégation d’impiété Il était habituellement facile de trouver matière à une pareille allégation contre qui que ce fût, si l’on était aux aguets dans ce dessein, tandis que se défendre était difficile, et que l’accusateur avait à sa disposition le moyen d’allumer l’antipathie religieuse. En conséquence, Æschine ne songe pas à se défendre, niais il se place immédiatement sur le terrain avantageux de l’accusateur, et il renvoie aux Amphissiens la même accusation d’impiété sur des allégations totalement différentes. Par une éloquence supérieure, aussi bien que par l’appel à un ancien fait historique d’un caractère particulièrement terrifiant, il exaspère les Amphiktyons et les pousse à un point d’ardeur religieuse, dans la pensée de venger le dieu, tel qu’il leur fait dédaigner à la fois les suggestions soit de la justice sociale, soit de la prudence politique. Démosthène, — faisant honneur aux Amphiktyons d’une sorte d’équité dans leur manière de procéder, familière aux idées et à la pratique athéniennes, — affirmait qu’aucune accusation contre Athènes n’aurait pu être portée devant eux par les Lokriens, parce qu’aucune accusation ne serait accueillie sans un avis préalable donné à Athènes. Mais Æschine, en accusant ces Lokriens, — sur un point qu’il n’avait pas fait notifier et qu’il lui vint d’abord à l’esprit de mentionner au moment où il fit son discours[103], — trouva ces Amphiktyons si inflammables dans leurs antipathies religieuses, qu’ils appelèrent sur-le-champ et conduisirent la foule delphienne armée de pioches pour l’œuvre de démolition. Évoquer, d’un passé fort reculé et à demi oublié, le souvenir de cette farouche querelle religieuse, dans le dessein de chasser des propriétaires, des amis et des défenseurs établis du temple, d’un lieu qu’ils occupaient et où ils rendaient des services essentiels aux nombreux visiteurs de Delphes ; — exécuter ce dessein avec une violence brutale, en portant les victimes au plus haut degré d’exaspération, en mettant en danger la vie des députés amphiktyoniques et en suscitant une autre Guerre Sacrée grosse de résultats calamiteux, — c’était une somme de torts telle, que l’ennemi le plus acharné de la Grèce aurait pu difficilement en faire plus. Les premières imputations d’irréligion, lancées par l’orateur lokrien contre Athènes, peuvent avoir été futiles et mauvaises, mais la réponse d’Æschine fut bien plus mauvaise encore, en ce qu’elle répandait aussi bien qu’elle rendait plus amer le poison des pieuses discordes, et qu’elle plongeait l’assemblée amphiktyonique dans une lutte dont il n’était possible de sortir qu’au moyen de l’épée de Philippe.

Il a paru nécessaire de faire quelques commentaires sur cet acte, en partie parce que c’est la seule chose distincte que nous connaissions, par un témoin actuel, relativement, au conseil amphiktyonique, — en partie à cause de ses ruineuses conséquences qui se montreront bientôt. A vrai dire, ces conséquences ne se manifestèrent pas d’abord, et quand Æschine revint à Athènes, il fit son récit à la satisfaction du peuple. Nous pouvons présumer qu’il raconta Les faits, à ce moment, de la même manière qu’il les présenta plis tard, dans le discours conservé aujourd’hui. Les Athéniens, indignés de l’accusation portée par les Lokriens contre Athènes étaient disposés à partager ce mouvement de pieux enthousiasme qu’Æschine avait excité au sujet de Kirrha, conformément a l’ancien serment prononcé par leurs ancêtres[104]. L’esprit public s’était si fortement attaché au point de vue religieux de cette question, que l’opposition de Démosthène fut à peine écoutée, Il fit voir immédiatement les conséquences de ce qui s’était passé en disant : — Æschine, tu attires la guerre en Attique,une guerre amphiktyonique. Mais ses prédictions furent décriées comme étant des illusions ou de pures manifestations de sentiment de parti contre un rival[105]. Æschine le dénonça ouvertement comme I’agent payé des impies Lokriens[106], accusation suffisamment réfutée par la conduite de ces Lokriens eux-mêmes qu’Æschine représente comme insultant Athènes gratuitement.

 

À suivre

 

 

 



[1] Démosthène, Philippiques, III, p. 119.

[2] Démosthène, De Pace, p. 62.

[3] Démosthène, De Pace, p. 60, 61.

[4] Isocrate, Or. V, ad Philipp., s. 128-135.

[5] Isocrate, Or. V, ad Philipp., s 91.

[6] Démosthène, Philippiques, III, p. 118.

[7] Isocrate, Or. V, Philipp., s. 118 ; Diodore, IV, 48, 44, 48. Diodore fait allusion à trois reprises différentes à cet échec d’Ochus en Égypte. Cf. Démosthène, De Rhod. Libertate, p. 193. — Trogue-Pompée mentionne trois différentes expéditions d’Ochus contre l’Égypte (Argument. ad Justin., lib. X).

[8] Isocrate, Or. V, Philipp., s. 102. Démosthène, De pace, p. 63 ; discours prononcé dans la dernière moitié de 346 avant J.-C. après la paix. — Cf. Démosthène, De Rhod. Libert., p. 121, discours prononcé quatre années auparavant.

[9] Diodore, XVI, 42-46. Dans l’inscription n° 87 du Corpus Inscript. de Bœckh, nous trouvons un décret rendu par les Athéniens, reconnaissant amitié et hospitalité avec le prince sidonien Straton, — de qui ils semblent avoir reçu un don de dix talents. L’indication de la date de ce décret n’est pas conservée ; mais M. Bœckh croit qu’il se place entre les Olympiades 101 et 104.

[10] Diodore, XVI, 42, 43, 45. Occisis optimatibus Sidona cepit Ochus (Trogue-Pompée, Argum. ad Just., lib. X).

[11] Diodore, XVI, 47 ; Isocrate, Or. XII, Panathen., s. 171.

[12] Diodore, XVI, 47-51. Ley, Fata et Conditio Ægypti sub Rege Persarum, p. 25, 26.

[13] Isocrate, Or. IV, Philipp., s. 149.

[14] Isocrate, Or. IV, Philipp., s. 117, 121, 160. Diodore place les expéditions heureuses d’Ochus contre la Phénicie et l’Égypte pendant les trois .innées entre 351 et 343 avant J.-C. (Diodore, XVI, 40-52). À mon sens, elles ne furent faites qu’après la conclusion de la paix entre Philippe et Athènes en mars 346 avant J.-C. ; elles furent probablement terminées dans les deux étés de 346-345 avant J.-C. Le discours ou lettre d’Isocrate à Philippe parait une meilleure preuve sur ce point de chronologie que l’assertion de Diodore. Le discours d’Isocrate fut publié peu de temps après la paix de mars 346 avant J.-C., et adressé à un prince parfaitement bien informé de tous les événements publics de son temps. Un des principaux arguments employés par Isocrate pour engager Philippe à attaquer l’empire persan, c’est la faiblesse d’Ochus qui résulte de ce que la Phénicie et l’Égypte sont encore en révolte et non réduites, — c’est en outre le mépris dans lequel Ochus était tombé pour avoir essayé de reconquérir l’Égypte et pour avoir été ignominieusement repoussé (s. 160).

L’Égypte reconquise par Ochus, avec une armée immense et un nombre considérable de Grecs engagés des deux côtés, a dû être un des événements les plus frappants de l’époque. Il se peut que Diodore ait confondu la date de la première expédition, dans laquelle Ochus échoua, avec celle de la seconde, dans laquelle il réussit.

[15] Diodore, XVI, 50-52.

[16] Strabon, XIV, p. 610. Suidas, v. Aristotelis.

[17] Diodore place la nomination de Mentôr à la satrapie de la côte asiatique et l’arrestation qu’il fit d’Hermeias dans l’Olympiade 107, 4 (349-348 av. J.-C.), immédiatement après l’invasion heureuse en Égypte.  

Mais cette date ne peut être exacte, vu qu’Aristote visita Hermeias à Atarneus après la mort de Platon, et qu’il passa trois ans avec lui, — depuis l’archontat de Theophilos (348-347 av. J.-C. — Olympiade 108, 1), année dans laquelle Platon mourut, — jusqu’à l’archontat d’Euboulos (345-344 av. J.-C. — Olympiade 108, 4) (Vita Aristotelis, ap. Denys d’Halicarnasse, Epist ad Ammæum, c. 5 : Script. Biographici, p. 397, éd. Westermann) ; Diogène Laërce, V, 7.

C’est une autre raison à l’appui de la remarque faite dans une note précédente, à savoir que Diodore a placé la conquête de l’Égypte par Ochus trois ou quatre ans trop tôt, puisque la nomination de Mentôr à la satrapie de la côte asiatique vient naturellement et immédiatement après la part distinguée qu’il avait prise dans la conquête de l’Égypte.

L’arrestation d’Hermeias par Mentôr a dû probablement être effectuée vers 343 avant J.-C. Le séjour d’Aristote auprès d’Hermeias aura probablement occupé les trois années entre 377 et 344 avant J.-C.

Relativement à la chronologie de ces événements, M. Clinton suit Diodore : Boehnecke diffère de lui — avec raison, à mon sens (Forschungen, p. 460-734, note). Boehnecke semble croire que la personne mentionnée dans Démosthène, Philippiques, IV (p. 139, 140), sommé ayant été arrêtée et menée prisonnière au roi de Perse, accusée de composer avec Philippe des mesures hostiles contre ce dernier, — est Hermeias. Ce n’est pas improbable en soi, mais l’autorité du commentateur Ulpien ne semble guère suffisante pour nous autoriser à affirmer positivement l’identité.

Il est remarquable que Diodore ne fasse pas mention de la paix de 346 avant J.-C. entre Philippe et les Athéniens.

[18] Démosthène : Discours prononcés

Philippique, II -> 344-343 av. J.-C.

De Halonneso, apocr., ->343-342 av. J.-C

De Falsâ Legatione, ->343-342 av. J.-C.

Æschine :

De Falsâ Legatione, -> 343-342 av. J.-C.

Démosthène :

De Chersoneso, -> 342-341 av. J.-C.

Philippiques, III, -> 342-341 av. J.-C.

Philippiques, IV, -> 341-340 av. J.-C.

Ad Philipp. Epistola, -> 340-339 av. J.-C.

[19] Démosthène, De Pace, p. 61 ; Philippiques, II, p. 69.

[20] Démosthène, Fals. Leg., p. 424 ; Pausanias, IV, 28, 3.

[21] Justin, VIII, 6. Diodore affirme qu’Alexandre ne devint prince qu’après la mort d’Arrhybas (XVI, 72),

[22] Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 84 ; Démosthène, Fals. Leg., p. 424-435 ; Philippiques, III, p. 117-120, Philippiques, IV, p. 133.

Comme ces entreprises de Philippe contre Ambrakia et Leukas ne sont pas mentionnées dans la seconde Philippique, mais seulement dans des discours de date plus récente, nous pouvons présumer qu’elles ne s’effectuèrent qu’après l’Olympiade 109, 1, — 344-343 avant J.-C. Mais ce n’est pas une conclusion très certaine.

[23] Démosthène, Fals. Leg., p. 368, 421, 436 ; Philippiques, III, 117, 118 ; IV, p. 133 ; De Coronâ, p. 324 ; Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 84. — Cf. Harpocration, v. Δεκαδαρχία.

[24] Diodore, XVI, 69, 71.

[25] Justin, VIII, 5, 6 : De retour dans ses états, Philippe, à l'exemple des fies pasteurs qui changent à chaque saison le pâturage de leurs troupeaux, déplace des nations entières, et peuple, au gré de son caprice, ou dépeuple des contrées, etc. Cf. Tite-Live, XL, 3 ; où sont décrits des actes semblables de Philippe, fils de Demêtrios (182 av  J.-C.).

[26] Voir un passage frappant dans la quatrième Philippique de Démosthène, p. 132.

[27] Démosthène, De Coronâ, p. 252.

[28] Démosthène, Philippiques, II, p. 71, 72. Démosthène lui-même rapporte à l’assemblée athénienne (en 344-343 av. J.-C.) ce qu’il avait dit aux Messêniens et aux Argiens.

[29] Démosthène, Philippiques, II, p. 72.

[30] Démosthène, Philippiques, II, p. 66-72. Quels étaient ces ambassadeurs, ou d’où venaient-ils, c’est ce que le discours n’indique pas. Libanius, dans son argument, dit qu’ils étaient venus conjointement de la part de Philippe, des Argiens et des Messêniens. Denys d’Halicarnasse (ad Ammæum, p. 737) affirme qu’ils venaient du Péloponnèse.

Je ne puis me décider à croire, sur l’autorité de Libanius, qu’il j eût des ambassadeurs de Philippe présents. La teneur du discours paraît contredire cette supposition.

[31] Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p 81, 82. Winiewski (Comment. Historic. in Demosth. De Coronâ, p. 110) pense que l’ambassade de Pythôn à Athènes est l’ambassade meure à laquelle la seconde Philippique de Démosthène fournit ou présente une réponse. Je suis d’accord avec Boehnecke pour regarder cette supposition comme improbable.

[32] Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 81. Cf. Démosthène, Fals. Leg., p. 398.

[33] Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 81. V. Ulpien, ad Demosth., Fals. Leg., p. 364.

[34] Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 81, 81, 85.

[35] Hêgesippos fut fortement dénoncé à Athènes par les orateurs favorables à Philippe (Démosthène, Fals. Leg., p. 361). Quelques auteurs ont considéré son ambassade auprès de ce, prince comme imposant une explication évidemment sophistique d’un article de la paix, ce qui blessa Philippe à bon droit. Mais, à mon avis, ce n’était pas une explication du traité original, et il n’y avait aucun sophisme de la part d’Athènes. C’était une clause amendée, présentée par les Athéniens à la place de la clause originale. Jamais ils n’affirmèrent que la clause amendée signifiât la même chose que la clause avant l’amendement. Au contraire, ils impliquent que le sens n’est pas le même, et c’est pour cette raison qu’ils soumettent la forme amendée des mots.

[36] Cf. Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 77, et la Lettre de Philippe, p. 162.

La Lettre de Philippe s’accorde avec le Pseudo-Démosthène quant aux faits principaux.

[37] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 65, c. 30.

[38] Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 78-80.

[39] Epist. Philipp. ap. Demosth., p. 162. Le discours du Pseudo-Démosthène De Halonneso est un discours adressé au peuple sur l’une de ces communications épistolaires de Philippe, apportée par quelques envoyés qui avaient aussi parlé au peuple vivâ voce. La lettre de Philippe faisait allusion en outre à plusieurs autres sujets, mais celui d’Halonnesos venait le premier.

[40] Démosthène, Fals. Leg., p. 446. Je crois que ces mots indiquent, non pas quelque marche particulière vers ces places, mais une garde permanente tenue là depuis que la frontière septentrionale de, l’Attique était exposée après la paix. Quant à la grande importance de Panakton, comme position frontière entre Athènes et Thêbes, voir Thucydide, V, 3, 36, 39.

[41] Démosthène, Fals. Leg., p. 368, 485, 446, 448 ; Philippiques, IV, p. 133 ; De Coronâ, p. 3.24 ; Plutarque, Phokiôn, c. 16.

[42] L’état de choses général, tel qu’il est présenté ici, à Oreus et à Eretria, existait au moment où Démosthène prononça ses deux discours, — la troisième Philippique et le discours sur la Chersonèse, à la fin du printemps et de l’été de 341 av. J.-C. — De Chersoneso, p. 98, 99, 104 ; Philippiques, III, p. 112, 115, 125, 126.

[43] Démosthène, De Chersoneso, p. 99.

[44] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 677 ; De Fals. Leg., p. 396 ; De Chersoneso, p. 104, 105.

[45] Pseudo-Démosthène, De Halonneso., p 87.

[46] Démosthène, De Chersoneso, p. 93, Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 87 ; Epistol. Philipp. ad Demosth., p. 161.

[47] Epistol. Philipp., l. c.

[48] Philippiques, III, p. 112.

[49] Philippiques, p. 118, 119.

[50] Philippiques, III, p. 129, 130.

[51] Démosthène, De Coronâ, p. 252.

[52] Diodore, XVI, 74.

[53] Stephanus Byz., v. Ώρεός.

[54] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 67, 68. Æschine stigmatise fortement Démosthène pour avoir privé le congrès athénien de ces membres importants. Mais les membres eubœens n’avaient certainement produit aucun bien à Athènes par leur présence, réelle ou nominale, à son congrès, pendant les dernières années. La formation d’un congrès eubœen libre présentait probablement la meilleure chance d’assurer une harmonie réelle entre l’île et Athènes.

Æschine entre ici dans de longs détails sur des allégations relatives aux intrigues corrompues entre Démosthène et Kallias à Athènes. Il est impossible de concilier un grand nombre de ces allégations avec ce que nous savons de la marche de l’histoire à l’époque. Nous devons nous rappeler qu’Æschine présente cette assertion onze ans après les événements.

[55] Epistol. Philipp. ap. Demosth., p. 159.

[56] Æschine, adv. Ktesiphôn, l. c. Æschine spécifie ici le mois, mais non l’année. Il me parait qu’Anthesterion, 340 avant J.-C. (Olympiade 109, 4), est la date la plus vraisemblable, bien que Boehnecke et autres la placent un an plus tôt.

[57] Démosthène, De Coronâ, p. 254, 304, 308. Cf. Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 90.

Que Démosthène prévît, plusieurs mois auparavant, les plans de Philippe sur Byzantion, c’est ce que prouvent les discours De Chersoneso, p. 93-108, et Philippiques, III, p. 115.

[58] Diodore, XVI, 74.

[59] Epistola Philippi ap. Demosth., p. 163.

[60] Ce furent les deux dernières causes qui précédèrent immédiatement et déterminèrent la déclaration de guerre : c’est ce que nous pouvons voir par Démosthène, De Coronâ, p. 249, 274.

[61] Philochore, Fragm. 135, éd. Didot ; Denys d’Halicarnasse, ad Ammæum, p. 738-741 ; Diodore, XVI, 77. La citation que fait Denys en l’empruntant à Philochore n’est pas tout à fait exacte en un point. Il affirme que Démosthène proposa la résolution décisive de déclarer la guerre, tandis que Démosthène lui-même nous dit qu’aucune des motions faites dans cette conjoncture ne le fut par lui (De Coronâ, p. 250).

[62] Démosthène, De Coronâ, p. 250. On verra que je ne mentionne ni les deux décrets des Athéniens, ni la lettre de Philippe, incorporés dans le discours De Coronâ, p. 249, 250, 251. J’ai déjà dit que tous ces documents que nous lisons comme attachés à ce discours sont tellement entachés soit d’erreur manifeste soit de causes de doute, que je ne puis les citer comme autorités dans cette Histoire, partout où ils sont seuls. En conséquence, je ne tiens compte ni du siège supposé de Selymbria, mentionné dans la prétendue lettre de Philippe, sans l’être nulle part ailleurs, — ni des vingt vaisseaux athéniens capturés par l’amiral macédonien Amyntas, et rendus ensuite par Philippe, sur la remontrance des Athéniens, mentionnés dans le prétendu décret athénien proposé par Euboulos. Ni Démosthène, ni Philochore, ni Diodore, ni Justin ne parlent du siège de Selymbria, bien que tous fassent allusion aux attaques sur Byzantion et Perinthos. Je ne crois pas que le siège de Selymbria ait jamais été fait. De plus, des vaisseaux athéniens capturés, mais rendus ensuite par Philippe aux Athéniens, sur leurs remontrances, ne peuvent guère avoir été la cause réelle de la lutte entre eux.

Les décrets et la lettre prétendus ne conviennent pas aù passage de Démosthène auquel ils sont attachés.

[63] Epistola Philippi ad Demosth., p. 165. Cette lettre de Philippe aux Athéniens parait ici insérée parmi les discours de Démosthène. Quelques critiques la rejettent comme apocryphe, mais je ne vois pas de raison suffisante à l’appui de cette opinion. Est-ce la composition de Philippe lui-même, ou de quelque Grec employé dans le cabinet de Philippe, c’est ce que nous n’avons pas le moyen de déterminer.

Le discours de Démosthène que l’on dit avoir été prononcé en réponse à cette lettre de Philippe (Orat. XI), est, à mon avis, indiqué à tort. Non seulement il n’a pas de rapport particulier avec les points contenus dans la lettre, — mais il doit aussi être postérieur en daté de deux ou de trois mois, puisqu’il mentionne le secours envoyé par les satrapes persans à Perinthos et la levée du siège de cette ville par Philippe (p. 153).

[64] Epistol. Philipp., ap. Demosth., p. 159, 184 ; cf. Isocrate, Or. V (Philipp.) s. 82.

[65] Les grandes améliorations que Philippe avait apportées aux engins de siége, comme partie de son organisation militaire générale, sont attestées dans un curieux passage d’un auteur postérieur sur la mécanique. Athénée, De Machinis ap. Auctor. Mathem. Veter., p. 31 M. Paris.

Relativement aux engins employés par Denys de Syracuse, voir Diodore, XIV, 42, 48, 50.

[66] Diodore XVI, 74-76 ; Plutarque, Vit. Alexandri, c. 70 ; et Laconic. Apophthegm., p. 215, ainsi que De Fortunâ Alexand., p. 339.

[67] Démosthène, ad. Philipp. Epistol., p. 153 ; Diodore, XVI, 75 ; Pausanias, I, 29, 7.

[68] Plutarque, Phokiôn, c. 14 ; Plutarque, Vit. X Orat., p. 848-851. Démosthène contribua à cette flotte de Phokiôn en équipant une trirème, tandis que l’orateur Hypéride partit avec la flotte en qualité de triérarque. V. Bœckh, Urkunden ueber das Attische Seewesen, p 441, 442, 498. C’est de cette source que l’obscure chronologie de la période qui nous occupe actuellement tire quelque lumière, vu qu’il devient certain que l’expédition de Charês commença pendant l’archontat de Nichomachidês, c’est-à-dire dans l’année qui précéda le solstice d’été de 340 avant J.-C., tandis que l’expédition de Phokiôn et de Kephisophôn commença l’année suivante, — après le solstice d’été de 340 avant J.-C.

Voir quelques anecdotes relativement à ce siège de Byzantion par Philippe, recueillies dans des auteurs postérieurs (Denys de Byzance, Hesychius de Milet et autres) par les soins de Boehnecke. — Forschungen, p. 479 sqq.

[69] Diodore, XVI, 77 ; Plutarque, Démosthène, c, 17.

[70] Plutarque, Phokiôn, c. 14.

[71] Démosthène, De Coronâ, p. 255 ; Plutarque, De Glor. Ath., p. 350.

[72] Démosthène, De Coronâ, p. 305, 306, 307 : Cf. p. 253.

[73] Démosthène, De Coronâ, p. 255, 257. Que ces votes de remerciements aient été rendus, c’est ce que prouvent les mots du discours même. Il se trouve dans ce discours des documents, qui prétendent être le décret des Byzantins et des Périnthiens, et celui des cités de la Chersonèse, Je n’ose pas les citer comme, authentiques en considérant, parmi Ies autres documents annexés à ce discours, combien il y en a qui sont sans aucun doute apocryphes.

[74] Démosthène, p. 253. Aristonikos est mentionné encore, p. 302. On trouve, p. 253, un document qui prétend être le vote des Athéniens à l’effet de remercier et de couronner Démosthène, proposé par Aristonikos. Le nom de l’archonte athénien est inexact, comme dans tous les autres documents que renferme ce discours, où paraît le nom d’un archonte athénien.

[75] Diodore (XVI, 77) mentionne cette paix, en disant que Philippe leva les sièges de Byzantion et de Perinthos, et fit la paix.

Wesseling (ad loc.) et Weiske (De Hyperbolê, II, p. 41) doutent tous deux de la réalité de cette paix. Ni Boehnecke ni Winiewski ne la reconnaissent. M. Clinton l’admet dans une note à son Appendice 16, p. 292, bien qu’il ne l’insère pas dans sa colonne d’événements dans les tables.

Je suis parfaitement d’accord avec ces auteurs pour différer de Diodore, en ce qui regarde Athènes. La supposition que cette paix fut conclue entre Philippe et Athènes à cette époque est distinctement contredite par le langage de Démosthène (De Coronâ, p. 275, 276), indirectement aussi par Æschine. Tant par Démosthène que par Philochore il paraît suffisamment clair, à mon avis, que la guerre entre Philippe et les Athéniens continua sans interruption depuis l’été de 340 avant J.-C. jusqu’à la bataille de Chæroneia, en août 338.

Mais je ne vois pas de raison pour ne pas croire Diodore, en tant qu’il affirme que Philippe fit la paix avec les autres Grecs — de Byzantion, de Perinthos, de Chios, de Rhodes, etc.

[76] Justin, II, 2, 3. Æschine fait allusion à cette expédition contre les Scythes pendant le printemps de l’archonte Theophrastos, ou 339 av. J.-C. (Æschine, contra Ktesiphontem, p. 71).

[77] Æschine, cont. Ktesiphôn, p. 85, c. 80.

[78] Démosthène, De Coronâ, p. 260-262.

La triérarchie et les symmories triérarchiques, à Athènes, sont des sujets imparfaitement connus ; on trouvera les meilleurs exposés relativement à elles dans le traité Public Economy of Athens de Bœckh (IV, ch. 11-13), et dans son autre ouvrage, Urkunden ueber das Attische Seewesen (ch. XI, XII, XIII) ; de plus dans Parreidt, De Symmoriis, part. Il, p. 22, seq.

Le fragment d’Hypéride (cité par Harpocration, v. Συμμορία), qui fait allusion à la réforme triérarchique de Démosthène, bien que d’une manière brève et obscure, est une confirmation intéressante du discours de Coronâ.

[79] Il y a un point, dans le premier discours de Démosthène De Symmoriis, qui explique l’abus qu’il réforma à ce moment. Cet abus consistait, pour une partie principale, dans ce fait que les plus riches citoyens d’une association triérarchique ne payaient pas une somme plus grande (quelquefois même moindre) que les plus pauvres. Or il est remarquable que cette répartition non équitable de charge ait pu se présenter dans les Symmories telles qu’elles sont proposées par Démosthène, et qu’il n’y ait rien qui l’empêche. Ses symmories, comprenant chacune soixante personnes ou 1/20 du total actif des douze cents citoyens désignés, doivent se diviser en cinq fractions de, douze personnes chacune, ou 1/100 des douze cents. Chaque troupe de douze doit comprendre les plus riches avec les plus pauvres membres des soixante (p. 182), de sorte que chaque groupe contenait des individus très inégaux en fortune, bien que les richesses collectives d’un groupe fussent presque égales à celtes d’un autre. Ces douze personnes devaient défrayer collectivement la dépense de la triérarchie pour un, deux ou trois vaisseaux, suivant le nombre de bâtiments dont l’État pouvait avoir besoin (p. 183). Mais Démosthène indique mille part dans quelles proportions ils devaient se partager la dépense, si les plus riches citoyens parmi lés douze devaient payer seulement taie somme égale à celle que payaient les plus pauvres, ou une somme plus grande en proportion de leur fortune. Il n’y a rien flans son projet pour empêcher les membres plus riches d’exiger, que tous payassent également. C’ost le même abus qu’il dénonça plus tard (en 344 avant J.-C.), comme réalisé actuellement — et corrigé par une nouvelle loi. Le discours de Démosthène De Syrnmoriis, omettant, comme il le fait, toute détermination positive quant aux proportions de payement, nous sert à comprendre comment se développa cet abus.

[80] Æschine (adv. Ktesiphôn, p. 85) accuse Démosthène d’avoir enlevé à la cité les triérarques de soixante-cinq bâtiments légers. Cela implique, j’imagine, que la nouvelle loi diminua le nombre total des personnes à qui une triérarchie pouvait être imposée.

[81] Dinarque, adv. Démosthène, p. 95, s. 43.

Sans accepter cette assertion d’un orateur hostile, en tant qu’elle va jusqu’à accuser Démosthène d’avoir revu des présents, — nous louvons l’accepter sans danger en tant qu’elle affirme qu’il fit plusieurs changements et modifications à la loi avant qu’elle fût définitivement rendue ; fait qui n’est nullement surprenant, si l’on considère la forte opposition qu’elle provoqua. Quelques-uns des dikastes, auxquels fut adressé le discours écrit par Dinarque, avaient fait partie dés Trois Cents (c’est-à-dire des plus riches citoyens de l’État) quand Démosthène proposa sa réforme triérarchique. Cela prouve, entre diverses autres preuves que l’on pourrait produire, que les dikastes athéniens n’appartenaient pas toujours à la classe de citoyens la plus pauvre, comme nous amèneraient à le croire les plaisanteries d’Aristophane.

[82] Démosthène, De Coronâ, p. 329. Bœckh (Attisch. Seewesen, p. 183, et Public. Econ. Ath., IV, 14) pense que ce passage doit faire allusion à un outrage fait à la loi par Æschine dans des temps postérieurs, après qu’elle était devenue loi. Mais il m’est impossible de voir de motif pour restreindre ainsi son sens. Les hommes riches durent assurément offrir les plus grands présents et faire le plus d’opposition contre la première acceptation de la loi, vu qu’ils avaient alors le plus de chance pour réussir, et Æschine, gagné ou non, dut le plus naturellement aussi bien que le plus efficacement s’opposer à une nouveauté introduite par son rival, sans attendre de la voir devenir réellement une partie des lois de l’État.

[83] Voir la citation d’Hypéride dans Harpocration, v. Συμμορία. Les symmories sont mentionnées dans l’Inscription XIV de l’ouvrage de Bœckh, Urkunden ueber das Attische Seewesen (p. 465), inscription qui porte la date de 325 av. J.-C. Beaucoup de ces inscriptions nomment des citoyens individuellement, trois, cinq ou six, comme triérarques communs du même bâtiment.

[84] Démosthène, De Coronâ, p. 262.

[85] Voir tome V, ch. 10 de cette Histoire.

[86] Pour la topographie du pays qui entourait Delphes, voir l’ouvrage instructif de Ulrichs, Reisen and Forschungen in Griechenland (Bremen, 1840), chap. I et II au sujet de Kirrha et de Krissa.

[87] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 69 ; cf. Tite-Live, XLII, 5 ; Pausanias, X, 37, 4. Selon Pausanias, la distance de Delphes à Kirrha était de soixante stades, ou environ sept milles anglais (= 11 kilom. 1/4) ; suivant Strabon, elle était de quatre-vingts stades.

[88] Æschine, loc. cit. Démosthène, De Coronâ, p. 277.

[89] Diodore, XVI, 24 ; Thucydide, III, 101.

[90] Diodore, XVI, 25.

[91] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 69.

[92] Démosthène, De Coronâ, p. 277.

[93] Ce doit avoir été une άποκατάστασις τών άναθημάτων (cf. Plutarque, Demetrius, c. 13) demandant à être précédée par des cérémonies solennelles, parfois ordonnée spécialement par l’oracle.

[94] Avec quelle peine les Thêbains de l’époque de Démosthène ressentaient le souvenir de l’alliance de leurs ancêtres avec les Perses à Pintée, c’est ce que nous pouvons lire dans Démosthène, De Symmoriis, p. 187.

Il paraît que les Thêbains aussi avaient élevé une nouvelle chapelle à Delphes (après 346 avant J.-C.) au moyen des dépouilles acquises sur les Phokiens vaincus (Diodore, XVII, 10).

[95] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 70. Toutefois les mots de son discours présentent l’affaire d’une manière qui n’est ni claire ni complète ; ce à quoi j’ai essayé de suppléer dans le teste, aussi bien qu’il m’a été possible.

[96] Démosthène, de Coronâ, p. 277.

[97] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 69.

[98] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 70.

[99] Démosthène, De Coronâ, p. 277.

[100] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 70.

[101] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 71.

[102] Démosthène, De Coronâ, p. 277. Suivant le second décret des Amphiktyons cité dans ce discours (p. 278), quelques-uns des Amphiktyons furent blessés. Mais je suis d’accord avec Droysen, Franke et autres, qui contestent l’authenticité de ces décrets ; et l’assertion qui avance que quelques-uns des Amphiktyons furent blessés, est une des raisons pour la contester, car s’il en eût été ainsi, Æschine n’aurait pu guère manquer de mentionner ce fait, puisqu’il aurait convenu exactement au dessein et au but de son discours.

Æschine est de beaucoup le meilleur témoin peur ce que firent les Amphiktyons clans cette assemblée de printemps. Il fut non seulement présent, mais encore le principal personnage intéressé ; s’il fait nu faux rapport, ce doit être à dessein. — lais si les faits tels que les présente Æschine se rapprochent réellement de la vérité, il n’est guère possible que les deux décrets cités dans Démosthène puissent avoir été les décrets réels rendus par les Amphiktyons. La substance de ce qui fut résolu, tel que la donne Æschine, pp. 70, 71, est essentiellement différente du premier décret cité dans le discours de Démosthène, p. 278. II n’y a aucune mention, dans ce dernier, de ces circonstances vivantes et saillantes, — la convocation de tous les Delphiens, hommes libres et esclaves au-dessus de seize ans, avec des bêches et des pioches, — l’exclusion du temple et la malédiction menaçant toute cité qui ne se présenterait pas pour prendre part à l’acte de vengeance.

Le compilateur de ces décrets paraît avoir eu seulement Démosthène sous les yeux et n’avoir pas connu Æschine. Quant aux actes violents des Amphiktyons, provoqués et décrits, par Æschine, Démosthène n’en dit rien.

[103] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 70.

[104] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 71.

[105] Démosthène, De Coronâ, p. 275.

[106] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 69-71.