HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE V — DEPUIS LA PAIX DE 346 AVANT J.-C. JUSQU’À LA BATAILLE DE CHÆROSEIA ET A LA MORT DE PHILIPPE (suite).

 

 

Mais bien que le sentiment général à Athènes, immédiatement après le retour d’Æschine, fût favorable à la conduite qu’il avait tenue à Delphes, il n’en fut pas longtemps ainsi. Et ce changement n’est pas difficile à comprendre. La première mention de l’antique serment et la dévastation primitive de Kirrha, sanctionnée par le nom et l’autorité de Solôn, durent naturellement entraîner l’esprit athénien dans un puissant courant de sentiment pieux contre ceux qui occupaient ce lieu maudit. Mais de nouveaux renseignements durent contribuer à prouver que les Lokriens étaient plutôt victimes que coupables ; que l’occupation de Kirrha comme port était un avantage pour tous les Grecs, et surtout pour le temple lui-même ; en dernier lieu, que les imputations qui, disait-on, avaient été lancées par les Lokriens sur Athènes ou ne l’avaient jamais été (c’est ainsi que nous voyons Démosthène l’affirmer), ou n’étaient rien de plus qu’une explosion non autorisée de mauvaise humeur de la part de quelque individu grossier. Bien qu’Æschine eût obtenu d’abord un vote d’approbation pour sa conduite, cependant, quand il en vint à proposer qu’Athènes prit part à la réunion amphiktyonique spéciale convoquée à l’effet de punir les Amphissiens, — l’opposition de Démosthène se trouva plus efficace. Le sénat et l’assemblée publique prirent une résolution qui défendait péremptoirement toute intervention de la part d’Athènes dans cette réunion spéciale. Le hieromnêmôn et les pylagoræ d’Athènes (ainsi l’ordonnait le décret) ne s’associeront ni en paroles, ni en actes, ni en résolutions, avec les personnes rassemblées à cette réunion spéciale. Ils visiteront Delphes et les Thermopylæ aux époques régulières fixées par nos ancêtres. Ce décret important marque le changement d’opinion à Athènes. Æschine, à la vérité, nous dit qu’il ne fut obtenu que par une manœuvre artificieuse de la part de Démosthène, étant proposé à la hâte dans une assemblée peu nombreuse à la fin de l’affaire, quand la plupart des citoyens (Æschine entre autres) étaient partis. Mais il n’y a rien à l’appui de ces insinuations. De plus, si Æschine eût eu encore pour lui le sentiment public, il aurait pu facilement déjouer les ruses de son rival[1].

La réunion spéciale des Amphiktyons aux Thermopylæ se tint donc à quelque moment entre les deux périodes régulières du printemps et de l’automne. Il ne s’y trouva de députés ni d’Athènes, ni de Thêbes, -fait que nous apprenons par Æschine, et remarquable en ce qu’il prouve une tendance naissante vers un concours tel, qu’il n’en avait jamais existé auparavant entre ces deux importantes cités. Les autres députés se réunirent, décidés à lever une armée commune dans le dessein de punir les Amphissiens, et ils choisirent pour général le président Kottyphos. Suivant Æschine, cette armée fut rassemblée, marcha contre les Lokriens et les soumit, mais leur accorda des conditions indulgentes ; elle exigea d’eux une amende pour le dieu de Delphes, payable à intervalles déterminés ; — elle condamna au bannissement quelques-uns des chefs lokriens pour avoir conseillé d’empiéter sur le domaine sacré, — et elle en rappela d’autres qui s’y étaient opposés. Mais les Lokriens (dit-il), après le départ de l’armée, violèrent leur parole, ne payèrent rien et firent rentrer tous les chefs coupables. Démosthène, aux contraire, affirme que Kottyphos envoya des contingents des divers États amphiktyoniques ; mais quelques-uns ne vinrent pas du tout, tandis que ceux qui vinrent furent tièdes et peu efficaces ; de sorte que le plan échoua complètement[2]. Le récit de Démosthène est le plus probable des deux ; car nous savons, par Æschine lui-même, que ni Athènes ni Thêbes ne prirent part à l’opération, tandis que Sparte avait été exclue du conseil amphiktyonique en 346 avant J.-C. Il ne restait donc que les Etats secondaires et glus petits. De ceux-ci, les Péloponnésiens, même y eussent-ils été disposés, ne pouvaient facilement venir, puisqu’ils ne pouvaient s’avancer par terre à travers la Bœôtia, ni arriver facilement par mer tant que les Amphissiens étaient maîtres du port de Kirrha ; et il n’était pas vraisemblable que les Thessaliens et leurs voisins portassent un assez grand intérêt à l’entreprise pour la faire réussir sans les autres. De plus, le parti qui n’attendait qu’un prétexte pour demander l’intervention de Philippe dut préférer plutôt ne rien faire, afin de montrer combien il était impossible d’agir sans lui. Aussi pouvons-nous supposer avec raison que ce qu’Æschine représente comme des conditions indulgentes accordées aux Lokriens et violées ensuite par eux, n’était tout au plus qu’un accommodement temporaire, conclu parce que Kottyphos ne pouvait rien faire, — et probablement ne désirait rien faire, — sans l’intervention de Philippe.

La Pylæa suivante, ou réunion automnale des Amphiktyons aux Thermopylæ, arriva à ce moment (septembre, 339 av. J.-C.) ; cependant les Lokriens n’étaient pas encore soumis. Kottyphos et son parti firent alors la proposition formelle d’invoquer l’aide de Philippe. Si vous ne consentez pas (dirent-ils aux Amphiktyons)[3], vous devez vous avancer personnellement en force, souscrire d’amples fonds, et condamner à l’amende tous les délinquants. Voyez ce que vous préférez. Les Amphiktyons se déterminèrent à invoquer l’intervention de Philippe ; ils le nommèrent commandant des forces combinées et champion du dieu, dans la nouvelle Guerre Sacrée, comme il l’avait été dans la précédente.

A la réunion automnale[4], où fut adoptée cette fatale mesure d’appeler Philippe, des députés d’Athènes étaient sans doute présents (Æschine entre autres), suivant l’usage habituel ; car le décret de Démosthène avait prescrit qu’on suivit la coutume ordinaire, bien qu’il eût interdit la, présence de députés à l’assemblée spéciale ou extraordinaire. Æschine[5] ne resta pas en arrière pour appuyer la demande qu’on fit à Philippe, et, dans le fait, il ne pouvait prendre aucune autre marche s’il voulait être conséquent avec ce qu il avait fait à la précédente réunion du printemps. Lui-même se plaint seulement qu’Athènes se laissât détourner, par les suggestions corrompues ale Démosthène, de se mettre à la tête de la croisade contre Amphissa, quand les dieux eux-mêmes l’avaient désignée pour ce pieux devoir[6]. Quelle part Thêbes prit-elle à la nomination de Philippe, ou ses députés assistèrent-ils à la réunion amphiktyonique automnale, c’est ce que nous ignorons. Mais il faut se rappeler que l’un des douze doubles suffrages amphiktyoniques appartenait aux Macédoniens eux-mêmes, tandis que beaucoup des autres membres étaient devenus dépendants de la Macédoine, — les Thessaliens ; les Achæens Phthiôtes, les Perrhæbiens, les Dolopes, les Magnêtes, etc.[7] Probablement Kottyphos et Æschine n’eurent pas beaucoup de peine à obtenir un vote investissant Philippe du commandement. Même ceux qui n’étaient pas favorables purent craindre l’accusation d’impiété s’ils s’y opposaient.

Pendant le printemps et l’été de cette année, 339 avant J.-C. (l’intervalle entre les deux réunions amphiktyoniques), Philippe avait été occupé à son expédition contre les Scythes et avait eu, à son retour, à combattre les Triballes, engagement où il reçut la blessure grave déjà mentionnée. Il était complètement guéri quand fut rendu le vote amphiktyonique qui lui conférait le commandement. Il accepta volontiers une mission que ses partisans, et probablement ses présents, avaient surtout contribué à lui procurer. Il rassembla immédiatement ses forces et s’avança au sud en traversant la Thessalia et les Thermopylæ, proclamant son dessein de venger le dieu de Delphes sur les Lokriens impies d’Amphissa. Les députés et les contingents amphiktyoniques, en plus ou moins grand nombre, accompagnaient sa -marche. Quand il franchit les Thermopylæ, il prit Nikæa (une des villes les plus essentielles à la sécurité du défilé) sur les Thêbains, dans les mains desquels elle était restée depuis qu’il avait conquis la Phokis en 346 avant J.-C., bien qu’avec une garnison macédonienne qui participait à l’occupation[8]. N’étant pas encore assuré du concours des Thêbains dans ses projets ultérieurs, il jugea plus prudent de livrer cette ville importante aux Thessaliens, qui étaient complètement dans sa dépendance.

A partir des Thermopylæ, qu’il se rendit à Delphes et à Amphissa, ou en Bœôtia, il devait traverser la Phokis. Ce malheureux territoire se trouvait encore dans l’état sans défense auquel il avait été condamné par la sentence amphiktyonique de 346 avant J.-C., sans une seule ville fortifiée, occupé seulement par de petits villages dispersés et par une population rare aussi bien que pauvre. En arrivant à Elateia, jadis la principale ville phokienne, mais démantelée actuellement, Philippe fit arrêter son armée et se mit a rétablir sur-le-champ les murailles, en la transformant en place forte pour une occupation militaire permanente. En même temps il occupa Kytinion[9], la principale ville du petit territoire de la Doris, dans la partie supérieure de la vallée du fleuve Képhissos, située dans la route peu longue de la montagne qui menait des Thermopylæ à Amphissa.

La prise d’Elateia par Philippe, combinée avec ses opérations pour la rétablir comme poste militaire permanent, fut un événement de la plus grande importance, qui excita la surprise et l’inquiétude dans une partie considérable du monde grec (339 av. J.-C., oct.-nov.). Jusque-là, il s’était annoncé comme général agissant en vertu d’un vote de nomination rendu par les Amphiktyons et comme s’avançant simplement pour venger le dieu de Delphes contre les Lokriens sacrilèges. Toutefois, si tel eût été son dessein réel, il n’aurait pas eu occasion de s’arrêter à Elateia, encore bien moins de la fortifier de nouveau et d’y mettre garnison. Ln conséquence, il devenait évident alors qu’il songeait à quelque chose de différent, ou au moins à quelque chose d’ultérieur. Dans le fait, il n’affecta plus lui-même de cacher ses desseins réels. Envoyant des ambassadeurs à Thêbes, il annonça qu’il était venu pour attaquer les Athéniens, et il lui demanda instamment sa coopération, tomme étant son alliée, contre des ennemis odieux à elle aussi bien qu’à lui-même. Mais si les Thêbains, malgré une excellente occasion pour écraser une ancienne ennemie, se décidaient encore à rester à l’écart, il réclamait d’eux du moins un libre passage par la Bœôtia, afin qu’il pût envahir l’Attique avec ses propres forces[10].

Les relations entre Athènes et Thêbes, à ce moment, n’étaient nullement amicales (octobre, 339 av. J.-C.). Il n’y avait pas eu, il est vrai, entre elles, de conflit armé réel depuis la fin de la Guerre Sacrée en 346 avant J.-C. Cependant l’antique sentiment de jalousie et d’inimitié, datant des temps anciens et aggravé pendant cette guerre, durait encore entier. Diminuer cette aversion réciproque et amener une coopération avec Thêbes, tel avait toujours été le but de quelques politiques athéniens, — Euboulos, — Aristophon, — et Démosthène lui-même, qu’Æschine essaye de décréditer comme ayant été gagné et corrompu par les Thêbains[11]. Néanmoins, malgré diverses visites et ambassades à Thêbes, où il existait encore une minorité favorable à Athènes, rien n’avait jamais été accompli[12]. L’inimitié durait encore et avait été même artificiellement aggravée (si nous devons en croire Démosthène)[13] par Æschine et par les partisans de Philippe dans les deux cités, pendant les six mois qui s’étaient écoulés depuis que la querelle amphissienne avait éclaté.

Le mauvais vouloir qui existait entre Athènes et Thêbes, au moment où Philippe prit possession d’Elateia, était tellement reconnu, qu’il y avait tout lieu de regarder comme impossible une confédération des deux États contre lui[14]. Afin d’appuyer la requête qu’il avait faite à Thêbes, déjà son alliée, de continuer à agir comme telle dans cette conjoncture critique, il y envoya des députés non seulement macédoniens, mais encore thessaliens, dolopes, achæens phthiotes, ætoliens et ænianes, — alliés amphiktyoniques qui l’accompagnaient actuellement dans sa marche[15].

Si telles étaient les espérances, et les espérances raisonnables, de Philippe, nous pouvons facilement comprendre combien fut grande l’alarme parmi les Athéniens dès qu’ils apprirent l’occupation d’Elateia (339 av. J.-C.). Si les Thêbains consentaient, Philippe, en trois journées, serait sur la frontière de l’Attique, et d’après le sentiment dont l’existence était tacitement admise aussi bien que sentie, les Athéniens ne pouvaient s’attendre qu’à, une chose, c’est que le libre passage et un renfort thêbain, en outre, seraient facilement accordés. Dix ans auparavant, Démosthène lui-même (dans sa première Olynthienne) avait assuré que les Thêbains se joindraient volontiers à Philippe dans une attaque dirigée sur l’Attique[16]. Si tel était l’éloignement alors, il était toujours allé en augmentant plutôt qu’en diminuant depuis cette époque. Comme la marche de Philippe avait été jusque-là non seulement rapide, mais encore qu’on l’avait cru dirigée sur Delphes et Amphissa, lés Athéniens n’avaient pas fait de préparatifs pour défendre leur frontière. Ni leurs familles ni leurs biens mobiliers n’avaient été rentrés dans des murailles. Néanmoins ils avaient à, ce moment à attendre, dans un peu plus de quarante-huit heures, une armée d’invasion aussi formidable et aussi dévastatrice qu’aucune de celles qu’ils avaient eu à subir pendant la guerre du Péloponnèse, sous un commandant beaucoup plus habile qu’Archidamos ou qu’Agis[17].

Bien que l’histoire générale de cette importante période ne puisse être qu’ébauchée, nous sommes assez heureux pour obtenir de Démosthène un récit frappant et assez détaillé de ce qui se passa à Athènes immédiatement après la nouvelle de la prise d’Elateia par Philippe. Ce fut le soir que le messager arriva, précisément dans le temps où les prytanes (ou sénateurs de la tribu chargée de la présidence) étaient à souper dans leur résidence officielle. Interrompant aussitôt leur repas, quelques-uns coururent appeler les généraux auxquels il appartenait de convoquer l’assemblée publique avec le trompette qui en donnait avis ; de sorte que le sénat et l’assemblée furent convoqués pour le lendemain matin à l’aurore. D’autres s’empressèrent de débarrasser la place du marché, qui était pleine de baraques et d’échoppes pour des commerçants qui vendaient des marchandises. Ils mirent même le feu à ces baraques dans leur précipitation pour faire la place nette. L’émotion et la terreur dans toute la cité furent telles, que l’assemblée publique se trouva remplie à la première aube, même avant que le sénat pût accomplir ses formalités et se présenter pour les cérémonies de l’ouverture. Enfin il rejoignit l’assemblée, et les prytanes s’avancèrent pour annoncer la nouvelle, en produisant le messager avec la déposition qu’il devait faire en public. Le héraut prononça ensuite les paroles habituelles : Qui désire parler ? Personne ne se présenta. Il répéta les paroles à plusieurs reprises ; cependant personne ne se leva encore.

A la fin, après un long silence, Démosthène se leva pour parler. Il s’adressa à cette conviction alarmante qui obsédait tous les esprits, bien qu’elle n’eût pas encore été exprimée, — à savoir que les Thêbains sympathisaient de cœur avec Philippe. Ne vous laissez pas (dit-il) aller à croire rien de pareil. S’il en avait été ainsi, Philippe se serait déjà avancé sur votre frontière saris s’arrêter à Elateia. Il a dans Thêbes un grand nombre de partisans qu’il s’est procuré par la fraude et la corruption ; mais il n’a pas toute la cité. Il y a encore un parti thêbain considérable qui lui est opposé et vous est favorable. C’est dans le dessein d’enhardir ses propres partisans à Thêbes, de terrifier ses adversaires et d’arracher ainsi à la cité une déclaration positive en sa faveur, qu’il fait étalage de sa force à Elateia. Et en cela il réussira, si vous, Athéniens, ne vous appliquez avec vigueur et prudence à le contrecarrer. Si, agissant d’après votre vieille aversion pour Thêbes, vous restez maintenant à l’écart, les partisans de Philippe dans la cité deviendront tout-puissants ; de sorte que toutes les forces de Thêbes marcheront avec lui contre l’Attique. Dans l’intérêt de votre propre sécurité, vous devez chasser ces vieux sentiments, quelque bien fondés qu’ils soient,et vous avancer pour protéger Thêbes, comme étant dans un danger plus grand que vous-mêmes. Faites marcher toutes vos forces militaires jusqu’à la frontière et enhardissez ainsi vos partisans de Thêbes à parler ouvertement contre leurs adversaires, amis de Philippe, qui comptent sur l’armée qu’ils savent à Elateia. Ensuite, envoyez dix ambassadeurs à Thêbes, en leur donnant de pleins pouvoirs, conjointement avec vos généraux, pour convoquer vos forces militaires toutes les fois qu’ils le croiront à propos. Que vos ambassadeurs ne demandent aux Thêbains ni concessions ni conditions ; qu’ils leur offrent simplement l’armée complète d’Athènes pour les assister dans leur détresse présente. Si l’offre est acceptée, vous vous serez assuré un allié inestimable pour votre propre sûreté, tout en agissant avec une générosité digne d’Athènes ; si elle est refusée, les Thêbains auront à se blâmer seuls, et vous serez au moins inattaquables sous le rapport de l’honneur aussi bien que de la politique[18].

La recommandation de Démosthène, à la fois sage et généreuse, fut consignée dans un décret et adoptée par les Athéniens sans opposition[19]. Ni Æschine ni personne autre ne dit un mot contre elle. Démosthène lui-même, nommé chef des dix ambassadeurs, se mit en route sur-le-champ pour Thêbes, tandis que les forces militaires de l’Attique furent en même temps dirigées vers la frontière.

A Thêbes ils trouvèrent les députés de Philippe et de ses alliés ainsi que les Thêbains favorables à ce prince en plein triomphe, tandis que les amis d’Athènes étaient tellement découragés, que les premières lettres que Démosthène envoya dans sa patrie à son arrivée à Thêbes furent d’un sombre caractère[20]. Suivant la coutume grecque, les deux ambassades opposées furent entendues tour à tour par l’assemblée thébaine. Amyntas et Klearchos étaient les ambassadeurs macédoniens, avec l’éloquent Byzantin Pythôn, comme principal organe, et les Thessaliens Daochos et Thrasylaos[21]. Ayant les premiers la parole, comme alliés établis de Thêbes, ces orateurs trouvèrent aisément un sujet ; ce fut de dénoncer Athènes, en appuyant leur cas par les faits généraux de l’histoire antérieure depuis la bataille de Leuktra. L’orateur macédonien opposa l’hostilité perpétuelle d’Athènes à l’aide précieuse prêtée à Thêbes par Philippe quand il la délivra des Phokiens et confirma son ascendant sur la Bœôtia. Si (dit l’orateur), avant de vous assister contre les Phokiens, Philippe eût stipulé que vous lui accorderiez en retour un libre passage pour marcher contre l’Attique, vous auriez consenti volontiers. Le refuserez-vous maintenant qu’il vous a rendu ce service sans stipulation ? Ou laissez-nous traverser votre pays pour nous rendre en Attique, ou joignez-vous à notre marche ; par là vous vous enrichirez en dévastant ce pays, au lieu de voir la Bœôtia appauvrie en devenant le théâtre de la guerre[22].

Tous ces arguments étaient si complètement en harmonie avec les sentiments antérieurs des Thêbains qu’ils doivent avoir produit une vive impression. Comment Démosthène y répondit-il, c’est ce qu’il ne nous est pas donné de savoir. Ce dut être une rude tâche pour son talent de parole ; car le sentiment préexistant était tout contraire, et il n’avait rien sur quoi il pût agir, si ce n’est la crainte, de la part de Thêbes, d’un contact trop rapproché avec les armes macédoniennes, — combinée avec sa reconnaissance pour l’offre faite par Athènes spontanément et sans condition. Et même quant aux craintes, les Thêbains n’avaient d’autre alternative que de choisir entre admettre l’armée athénienne ou celle de Philippe, choix dans lequel toute présomption était en faveur de la seconde, comme alliée actuelle et récente bienfaitrice, — et contraire à la première comme rivale et ennemie de tout temps. Tel était le résultat attendu par les espérances de Philippe aussi bien que par les craintes d’Athènes. Toutefois, bien qu’ayant ainsi toutes les chances contre lui, Démosthène en vint à ses fins dans l’assemblée thêbaine, en la déterminant à accepter l’alliance offerte par Athènes et à braver l’hostilité de Philippe. Il se vante, à bon droit, de ce triomphe diplomatique et oratoire[23], grâce auquel non seulement il obtint un puissant allié contre Philippe, mais, avantage plus important encore, il sauva Athènes du malheur d’être dévastée par une armée macédonienne et thêbaine combinée. C’est avec raison que l’historien contemporain Théopompe exalte l’incomparable éloquence avec laquelle Démosthène alluma dans le cœur des Thêbains la flamme généreuse d’un patriotisme panhellénique. Mais ce ne fat pas simplement par son éloquence supérieure[24], — bien que ce fût sans doute une condition essentielle, — qu’il obtint son triomphe à Thêbes. Ce triomphe, il le dut plus encore à l’offre sage et généreuse qu’il apportait avec lui, et qu’il avait lui-même déterminé les Athéniens à faire, — à savoir celle d’une alliance pure et simple sans aucun égard pour les jalousies et les animosités du passé, et à des conditions même favorables pouf Thêbes, comme étant plus exposée qu’Athènes dans la guerre contre Philippe[25].

La réponse rapportée par Démosthène était consolante (339 av. J.-C.). L’alliance importante, par laquelle Athènes et Thêbes étaient unies dans une guerre défensive contre Philippe, avait été menée à bonne fin. L’armée athénienne, déjà rassemblée en Attique, fut invitée à se rendre en Bœôtia, et elle se mit en marche pour Thêbes sans délai. Tandis qu’une partie de cette armée rejoignait les forces thêbaines à, la frontière septentrionale de la Bœôtia pour résister à l’approche de Philippe, le reste fut laissé dans ses quartiers à Thêbes. Et Démosthène vante non seulement la bonté avec laquelle les soldats athéniens furent reçus dans des maisons particulières, mais encore leur conduite régulière et ordonnée au milieu des familles et des propriétés des Thêbains, pas une plainte n’étant portée contre eux[26]. La jalousie et l’antipathie entre les deux cités semblèrent effacées dans une coopération sincère contre l’ennemi commun. Athènes se chargea des deux tiers de la dépense des opérations combinées sur terre et sur mer. Le commandement fut partagé également entre les alliés et le centre des opérations établi à Thêbes[27].

Sous ce rapport aussi bien que sous d’autres, le dangereux voisinage de Philippe, en donnant à Démosthène un plus grand ascendant, imprima aux conseils d’Athènes une vigueur depuis longtemps inconnue (automne, 339 av. J.-C.). L’orateur détermina ses compatriotes à suspendre les dépenses que nécessitaient l’amélioration de leurs bassins et la construction d’un nouvel arsenal, afin qu’on pût consacrer plus d’argent aux opérations militaires. Il obtint encore un autre résultat auquel il avait longtemps visé par des moyens indirects, mais toujours en vain : l’application du fonds théôrique à des desseins militaires[28]. L’impression du danger était si prépondérante à Athènes que Démosthène put alors faire cette proposition directement et avec succès. Naturellement il a dû proposer d’abord de suspendre la loi existante, en vertu de laquelle celui même qui faisait la motion était passible d’une peine.

Pour Philippe cependant la nouvelle alliance fut un cruel désappointement et un sérieux obstacle. Il avait compté sur l’adhésion continue de Thêbes, à laquelle il croyait avoir droit en retour de bienfaits accordés, et sans toute ses partisans dans cette cité lui avaient assuré qu’ils pouvaient lui promettre la coopération des Thêbains contre Athènes, aussitôt qu’il paraîtrait sur la frontière avec une armée terrifiante ; aussi fut-il déconcerté à la jonction soudaine de ces deux cités puissantes, jonction à laquelle ne s’attendaient ni amis ni ennemis. Dorénavant nous le verrons haïr Thêbes, comme coupable d’abandon et d’ingratitude, plus qu’Athènes, son ennemie manifeste[29]. Mais n’ayant pas réussi à amener les Thébains à le suivre dans sa marche contre Athènes, il crut utile de revenir à son premier rôle de, vengeur du dieu de Delphes contre Amphissa, — et d’écrire à ses allies du Péloponnèse de venir le rejoindre dans ce dessein spécial. Ses lettres furent pressantes, souvent répétées, et elles impliquaient beaucoup d’embarras, suivant Démosthène[30]. Autant que nous en pouvons juger, elles ne semblent pas avoir produit beaucoup d’effet, et il n’était pas non plus facile pour les Péloponnésiens de rejoindre Philippe, — soit par terre, alors que la Bœôtia était hostile, — suit par mer, alors que les Amphissiens occupaient Kirrha et que les Athéniens avaient une marine supérieure.

La guerre se continua alors, en Phokis et sur les frontières de la Bœôtia, pendant l’automne et l’hiver de 339-338 avant J.-C. Non seulement les Athéniens et les Thêbains tinrent bon contre Philippe, mais encore ils remportèrent sur lui quelques avantages, surtout dans deux engagements, — appelés la bataille sur le fleuve et la bataille d’hiver, — que Démosthène trouve occasion de vanter, et qui provoquèrent des manifestations de réjouissance et des sacrifices quand ils furent annoncés à Athènes[31]. Quant à Démosthène lui-même, comme étant surtout celui qui avait conseillé l’alliance thêbaine, une couronne d’or fut proposée en sa faveur par Demomelês et Hyperidês, et décrétée par le peuple ; et bien qu’un citoyen, nommé Diondas, accusât l’auteur de la proposition pour décret illégal, cependant il n’obtint pas même la cinquième partie des suffrages du dikasterion, et par conséquent il devint passible d’une amende de mille drachmes[32]. Démosthène fut couronné avec proclamation publique à la fête Dionysiaque de mars, 338 avant J.-C.[33]

Mais la mesure la plus mémorable prise par les Athéniens et les Thêbains, dans cette guerre commune contre Philippe, ce fut (le rétablir les Phokiens comme section du nom hellénique indépendante et se défendant elle-même. De la part des Thébains, jusqu’alors les ennemis les plus acharnés des Phokiens, cette conduite prouvait l’adoption d’une politique améliorée et généreuse, digne de la cause panhellénique, dans laquelle ils étaient actuellement entrés. En 346 avant J.-C., les Phokiens avaient été vaincus, et ruinés par les armes de Philippe, en vertu d’une condamnation prononcée par les Amphiktyons. Leurs cités avaient toutes été démantelées, et leur population répartie dans des villages, appauvrie ou chassée en exil. Ces exilés, dont beaucoup étaient à Athènes, revinrent alors, et la population phokienne, fut aidée par les Athéniens et les Thêbains à occuper de nouveau ses villes et à les protéger[34]. Dans le fait, quelques-unes de ces villes étaient si petites, telles que Parapotamii[35] et autres, qu’on jugea inutile de les rétablir. Leur population fut transportée plans d’autres villes, comme moyen d’augmenter leur force. Ambrysos, dans la partie sud-ouest de la Phokis, fut fortifiée de nouveau par les Athéniens et les Thêbains avec des précautions et une solidité particulières. Elle fut entourée d’une double enceinte de murs en pierres noires du pays, chaque mur ayant quatre mètres et demi de .hauteur et un mètre quatre-vingts centimètres environ d’épaisseur, avec un intervalle égal à ce dernier nombre entre les deux[36]. Le voyageur Pausanias vit ces murs cinq siècles après, et il les range parmi les constructions défensives les plus solides de l’antiquité[37]. Ambrysos était importante pour les Athéniens et les Thêbains comme position militaire propre à la défense de la Bœôtia, d’autant plus qu’elle était située  sur cette route méridionale raboteuse prés de la mer, que le roi lacédæmonien Kleombrotos[38] avait forcée quand il se rendit de Phokis à la position de Leuktra, en esquivant Épaminondas et le gros de l’armée thêbaine, qui étaient postés, pour lui résister, sur la route plais fréquentée par Korôneia. De plus, en occupant les parties sud-ouest de là Phokis, sur le golfe Corinthien, ils empêchaient qu’il n’arrivât par mer à Philippe des renforts du Péloponnèse.

La guerre en Phokis, poursuivie vraisemblablement dans de plus grandes proportions et avec beaucoup d’activité (339-338 av. J.-C.), entre Philippe et ses alliés d’un côté, et les Athéniens et les Thêbains avec leurs alliés de L’autre, — aboutit à la fatale bataille de Chæroneia, livrée en août, 338 avant J.-C. ; elle avait continué environ dix mois, depuis le moment où Philippe, après avoir été nommé général à l’assemblée amphiktyonique (vers l’équinoxe d’automne), s’avança vers le sud et occupa Elateia[39]. Mais quant aux événements intermédiaires, nous sommes, par malheur, sans informations distinctes. Nous ne recueillons que quelques allusions et quelques renseignements indirects qui ne nous permettent pas de comprendre ce qui se passa. Mous ne pouvons reconnaître ni les auxiliaires engagés, ni le nombre total en campagne, d’un côté ni de l’autre. Démosthène se vante d’avoir procuré à Athènes, comme alliés, les Eubœens, les Achæens, les Corinthiens, les Thêbains, les Mégariens, les Leukadiens et les Korkyræens, — formant, avec les soldats athéniens, pas moins de 15.000 fantassins et de 2.000 cavaliers[40], et des contributions pécuniaires, en outre, montant à une somme assez considérable, pour la solde de troupes mercenaires. Toutes ces trompes combattirent-elles en Phokis ou à Chæroneia, c’est ce que nous ne pouvons déterminer ; nous vérifions les Achæens et les Corinthiens[41]. Autant que nous pouvons nous fier à Démosthène, l’automne et l’hiver de 339-338 avant J.-C. furent une période d’avantages remportés sur Philippe par les Athéniens et les Thêbains, et de réjouissances dans leurs deux cités, non sans beaucoup d’embarras pour Philippe, attestés par les pressantes demandes de secours adressées à ses alliés péloponnésiens, demandes auxquelles ils ne satisfirent pas. Démosthène fut le ministre de la guerre de l’époque ; — il exerçait une plus grande influence que les généraux, — délibérait à Thêbes, de concert avec les bœôtarques, — conseillait et dirigeait l’assemblée publique thébaine aussi bien que l’assemblée athénienne, — et probablement allait en mission dans d’autres cités également, afin de hâter les efforts militaires[42]. La couronne qui lui fut accordée à la fête Dionysiaque (mars 338 av. J.-C.), indique le plus haut point de sa gloire et l’apogée de ses espérances, alors qu’il semblait qu’il y eût une chance raisonnable de résister avec succès à l’invasion macédonienne.

Philippe avait compté sur l’aide positive de Thêbes ; dans le cas le plus défavorable, sur sa neutralité entre lui et Athènes (338 av. J.-C.). Qu’elle voulut se joindre sincèrement à Athènes, c’est ce que ni lui ni personne autre n’imaginait, et un résultat si improbable n’aurait pu être amené si le jeu d’Athènes n’eût été joué avec une décision et un jugement extraordinaires par Démosthène. Conséquemment, lorsque le prince macédonien trouva devant lui la jonction inattendue des forces thêbaines et athéniennes, il n’est pas étonnant qu’il ait été d’abord repoussé. Ces désavantages, il est vrai, ne l’engagèrent guère à envoyer d’instantes propositions de paix[43], mais elles l’avertirent qu’il devait amener de nouvelles forces, et renouveler son invasion le printemps et l’été suivants avec des moyens proportionnés à la résistance connue. Il semble probable que l’armée macédonienne dans la plénitude de sa force, amenée actuellement à une grande supériorité d’organisation après les améliorations continues de ses vingt années de règne, — dut être conduite en Phokis pendant l’été de 338 avant J.-C., pour abattre la plus formidable coalition d’ennemis que Philippe eût jamais rencontrée. Son jeune fils, Alexandre, âgé alors de dix-huit ans, vint avec elle.

C’est une des accusations portées par Æschine contre Démosthène, qu’en levant des troupes mercenaires il prit indûment l’argent public pour payer des hommes qui ne parurent jamais, et, de plus, qu’il mit à la disposition des Amphissiens un corps considérable de 10.000 mercenaires, les enlevant ainsi au gros de l’armée athénienne et bœôtienne, ce qui permit à Philippe de tailler en pièces les mercenaires séparément, tandis que l’armée entière, si elle eût été tenue réunie, n’aurait jamais été défaite. Æschine affirme qu’il s’opposa lui-même, énergiquement à cette séparation de forces, dont les conséquences furent désastreuses et décourageantes pour toute la cause[44]. Il paraîtrait que Philippe attaqua et prit Amphissa. On nous dit qu’il trompa les Athéniens et les Thêbains par une fausse dépêche destinée à être interceptée ; il les amena ainsi à renoncer à garder la route qui conduisait à cette aille[45]. Le domaine sacré fut rétabli, et les Amphissiens, ou du moins ceux d’entre eux qui avaient pris une part marquée contre Delphes, furent bannis[46].

Ce fut le sept du mois Metageitnion — le second mois de l’année attique, correspondant à peu près à celui d’août — que l’armée grecque alliée rencontra Philippe près de Chæroneia, la dernière ville bœôtienne sur les frontières de la Phokis (338 av. J.-C.). Il semble avoir été actuellement assez fort pour essayer de pénétrer de -vive force en Bœôtia, et il attira, dit-on, les alliés d’une forte position dans la plaine, en ravageant les campagnes voisines[47]. Diodore porte le nombre de ses troupes à 30.000 fantassins et à 2.000 chevaux ; sans doute il avait avec lui des Thessaliens et d’autres alliés de la Grèce septentrionale, mais pas un seul allié du Péloponnèse. Quant aux Grecs coalisés qu’il avait devant lui, leur total est inconnu[48]. Nous ne, pouvons faire aucune comparaison quant aux nombres, bien que la supériorité de l’armée macédonienne en organisation soit incontestable. Les contingents grecs les plus considérables étaient ceux d’Athènes, sous Lykklês et Charês, — et de Thêbes, commandés par Theagenês ; il y avait, en outre, des Phokiens, des Achæens et des Corinthiens, — probablement aussi des Eubœens et des Mégariens. Les Lacédæmoniens, les Messêniens, les Arkadiens, les Eleiens et les Argiens ne prirent point part à la guerre[49]. Ils avaient sans doute été sollicités tous des deux côtés, par Démosthène aussi bien que par les partisans de Philippe. Mais la jalousie et la crainte qu’inspirait Sparte amenèrent les quatre derniers États à regarder plutôt Philippe comme un protecteur contre elle, — bien que dans cette occasion ils ne prissent aucune part positive.

Le commandement de l’armée fut partagé entre les Athéniens et les Thêbains, et ses mouvements furent déterminés par la décision commune de leurs hommes d’État et de leurs généraux. Quant aux hommes d’État, la présence de Démosthène du moins leur assurait un conseil sage et patriotique puissamment présenté ; quant aux généraux, pas un des trois n’était à la hauteur d’une circonstance aussi grave et aussi terrible. La mauvaise fortune de la Grèce voulut qu’à ce moment où se jouait sa liberté, et où tout reposait sur l’issue de la campagne, elle n’eût à sa disposition ni un Épaminondas ni un Iphikratês. Phokiôn était absent, en qualité de chef de la flotte athénienne dans l’Hellespont ou dans la mer Ægée[50]. Des présages, dit-on, se présentèrent, — des oracles, des prophéties circulèrent, — faits pour décourager les Grecs ; mais Démosthène, animé par la vue d’une armée si nombreuse pleine de cœur et coalisée pour défendre l’indépendance grecque, traita toutes ces histoires avec la même indifférence[51] qu’Épaminondas avait montrée avant la bataille de Leuktra, et il accusa la prêtresse de Delphes de philippiser. Bien plus, il avait tant de confiance dans le résultat (suivant l’assertion d’Æschine), que quand Philippe, inquiet lui-même, se préparait à proposer des conditions de paix, et que les bœôtarques inclinaient à les accepter, — Démosthène seul résista, dénonçant comme traître quiconque communiquerait la proposition de paix[52], et disant avec orgueil que, si les Thêbains avaient peur, ses compatriotes les Athéniens ne désiraient rien de plus qu’un libre passage à travers la Bœôtia pour. attaquer Philippe seuls. C’est ce qu’avance Æschine comme accusation ; toutefois, il fournit lui-même la justification de son rival, en donnant à entendre que les bœôtarques étaient tellement disposés pour la paix, qu’ils proposèrent, même avant que les négociations eussent commencé, de renvoyer les soldats athéniens en Attique, afin qu’on pût ouvrir des délibérations au sujet de la paie. Nous ne pouvons guère être surpris que Démosthène fût hors de lui[53] (telle est l’expression d’Æschine), en entendant une proposition si pleine d’imprudence. Philippe en serait venu à ses fins, même sans une bataille, si, en présentant le leurre d’une négociation en vue de la paix, il eût pu déterminer l’armée alliée à se disperser. Avoir réuni toutes les forces d’Athènes et de Thêbes, avec d’autres États subordonnés, dans les mêmes rangs et pour le même but, c’était une bonne fortune rare qui vraisemblablement ne se reproduirait pas si une fois on la laissait échapper. Et si Démosthène, par une remontrance chaleureuse ou même passionnée, prévint cette dispersion prématurée, il rendit l’important service d’assurer à la liberté grecque une épreuve complète de force dans des circonstances qui n’étaient pas sans donner d’espérances, et, à, prendre les choses au pis, une catastrophe digne et honorable.

Dans le champ de bataille près de Chæroneia, Philippe commanda en personne un corps choisi de troupes à, l’aile opposée aux Athéniens, tandis que son jeune fils Alexandre, aidé par des officiers expérimentés, commandait contre les Thêbains à l’autre aile. Relativement à la marche de la bataille, il nous est à peine donné de savoir quelque chose. Elle fut, dit-on, disputée avec tant d’opiniâtreté, que pendant quelque temps le résultat fut douteux. Le Bataillon Sacré de Thêbes, qui chargea dans une partie de la phalange thébaine, épuisa toute sa force et toute son énergie dans une tentative inutile pour renverser la phalange plus forte et les piques multipliées qui lui étaient opposées. Le jeune Alexandre[54] déploya en cette occasion, pour la première fois, sa grande énergie et son grand talent militaires. Après une lutte longue et meurtrière, le Bataillon Sacré thêbain fut tout entier accablé et périt dans ses rangs[55], tandis que la phalange thêbaine fut rompue et mise en déroute. Philippe, de son côté, était encore engagé dans un conflit indécis avec les Athéniens, dont le premier choc fut, dit-on, si impétueux, qu’ils mirent en fuite quelques-unes des troupes de son armée, au point que le général athénien s’écria triomphant. Poursuivons-les jusqu’en Macédoine[56]. On dit encore que Philippe, de son côté, simula une retraite dans le dessein de les amener à le poursuivre et de rompre leur ordre. Nous lisons un autre renseignement, qui est probablement plus vrai, — c’est que les hoplites athéniens, bien que remplis d’énergie au premier choc, ne purent endurer la fatigue et une lutte prolongée comme les vétérans exercés des rangs opposés[57]. Les ayant fermement repoussés pendant un temps considérable, Philippe devint jaloux en voyant le succès de son fils, et redoubla d’efforts ; enfin, il les rompit et les dispersa. Toute l’armée grecque fut ainsi mise en fuite avec des pertes cruelles[58].

La phalange macédonienne, telle que Philippe l’arma et l’organisa, avait seize hommes de profondeur ; elle était moins profonde que celle des Thêbains, soit à Dêlion, soit à Leuktra. Les premiers rangs étaient composés de vieux soldats d’une grande force et d’une éducation complète, soldats qui cependant n’étaient probablement pas supérieurs au Bataillon Sacré qui formait le rang de devant chez les Thêbains. Mais sa grande supériorité consistait dans la longueur de la pique ou sarissa macédonienne — dans le nombre de ces armes qui faisaient saillie en avant des premiers soldats — et dans la longue habitude des hommes à manier cette rangée impénétrable de piques d’une manière efficace. La victoire de Philippe à Chæroneia attesta ce que valait la phalange perfectionnée.

Mais la victoire ne fut pas gagnée par la phalange seule. L’organisation militaire de Philippe comprenait un agrégat de maintes sortes de troupes outre la phalange ; les gardes du corps, cavalerie aussi bien qu’infanterie ; — les hypaspistæ ou hoplites légers, — la cavalerie légère, les archers, les frondeurs, etc. Quand nous lisons les opérations militaires d’Alexandre, trois ans plus tard, dans la première année même de son règne, avant qu’il eût pu faire aucune addition par lui-même aux forces qu’il avait héritées de Philippe, et quand nous voyons avec quelle efficacité toutes ces diverses sortes de troupes sont employées en campagne[59], nous pouvons être sûrs que Philippe les eut près de lui et en fit usage à la bataille de Chæroneia.

Il périt mille citoyens athéniens dans cette désastreuse bataille ; de plus, il en tomba deux mille entre les mains de Philippe comme prisonniers[60]. Les pertes des Thêbains, dit-on, furent également terribles, aussi bien que celles des Achæens[61]. Mais nous n’en connaissons pas le nombre, et nous n’avons non plus aucun renseignement sur les pertes macédoniennes. Démosthène, présent lui-même dans Ies rangs des hoplites, prit part à la fuite de ses compatriotes défaits. Il est accusé par ses ennemis politiques de s’être conduit avec une lâcheté extrême et honteuse ; mais nous voyons clairement par le respect et la confiance que continua à lui témoigner la masse générale de ses compatriotes, qu’ils ne peuvent avoir ajouté foi à cette imputation. Les deux généraux athéniens, Charês et Lysiklês, purent s’échapper tous deux du champ de bataille. Ce dernier fut accusé plus tard publiquement à Athènes par l’orateur Lykurgue, — citoyen extrêmement respecté pour son intégrité et son soin dans le maniement des finances, et sévère dans ses accusations contre les délinquants politiques. Lysiklês fut condamné à mort par le dikasterion[62]. Qu’y avait-il pour distinguer sa conduite de celle de son collègue Charês, — qui certainement ne fut pas condamné et dont on ne dit même pas qu’il fut accusé, — nous l’ignorons. La mémoire du général thêbain Theagenês[63] également, bien qu’il tombât dans la bataille, fut en butte à des accusations de trahison.

Inexprimable fut la douleur à Athènes à la nouvelle de ce désastre, alors qu’une multitude, encore inconnue, de citoyens restaient sur le champ de bataille ou prisonniers, et qu’un ennemi victorieux se trouvait à trois ou à quatre journées de marche de la cité. Toute la population, même les vieillards, les femmes et les enfants, se répandit dans les rues avec toute la violence du chagrin et de la terreur ; tous échangeaient des effusions de peine et de sympathie, et questionnaient chaque fugitif, à mesure qu’il arrivait, sur le sort de leurs parents dans la bataille[64]. La fleur des citoyens en âge de servir avait été engagée, et aérant que l’étendue des pertes eût été connue d’une manière certaine, on craignait qu’il ne restât que les plus âgés pour défendre la cité. A la fin, la perte définitive fut connue, — cruelle et terrible, il est vrai, — sans toutefois être un suffrage total, comme celui de l’armée de Nikias en Sicile.

Il en fut en ce moment comme dans cette occasion critique au milieu de la détresse et de l’alarme extrêmes, il n’était pas dans le caractère athénien de désespérer. La masse des citoyens se hâta spontanément de former urge assemblée publique[65], où l’on prit les résolutions les plus énergiques pour la défense. On rendit des décrets qui enjoignaient à tous les habitants de l’Attique de faire rentrer leurs familles et leurs biens de la campagne ouverte dans les diverses forteresses, qui ordonnaient au corps des sénateurs, exempts en règle générale du service militaire, de se rendre en armes au Peiræeus, et de mettre le port en état de soutenir un siége ; qui mettaient chaque homme sans exception à la disposition des généraux comme soldat pour la défense, et imposaient les peines de la trahison, à quiconque aurait fui[66] ; qui affranchissaient tous les esclaves susceptibles d’être armés, accordaient le droit de cité aux metœki dans les mêmes circonstances, et rétablissaient dans la jouissance complète des privilèges de citoyens ceux, qui en avaient été privés par une sentence judiciaire[67]. Ce décret mentionné en dernier lieu fut proposé par Hypéride, mais plusieurs autres le furent par Démosthène qui, nonobstant le dernier malheur des armes athéniennes, fut écouté avec une confiance et un respect non affaiblis. Les mesures générales nécessaires pour fortifier les murs, ouvrir des tranchées, distribuer des postes militaires et construire des ouvrages en terre, furent décrétées sur sa proposition, et il semble avoir été nommé membre d’un Comité spécial chargé de la surveillance des fortifications[68]. Non seulement lui, mais encore la plupart des citoyens distingués et des orateurs habituels de l’assemblée, se présentèrent avec des contributions privées considérables pour faire face aux pressants besoins du moment[69]. Chaque homme de la cité prêta son aide pour compléter les points défectueux de la fortification. On se procura des matériaux en abattant des arbres près de la cité, et même en prenant des pierres aux sépulcres adjacents[70], comme on l’avait fait après la guerre des Perses quand les murs furent construits sous la direction de Themistoklês[71]. On dépouilla les temples des armes qui y étaient suspendues, en vue d’équiper des citoyens non armés[72]. Grâce à ces efforts empressés et unanimes, les défenses de la cité et de Peiræeus ne tardèrent pas à être considérablement améliorées. Sur mer, Athènes n’avait rien à craindre. Ses puissantes forces navales étaient intactes, et sa supériorité sur Philippe de ce côté était incontestable. On envoya des députés à Trœzen, à Epidauros, à Andros, à Keos, et dans d’autres endroits, pour demander du secours et recueillir de l’argent. Démosthène servit dans l’une ou dans l’autre de ces ambassades, après avoir pourvu aux exigences immédiates de la défense[73].

Quel fut le résultat immédiat de ces demandes faites à d’autres cités, nous l’ignorons. Mais l’effet produit sur quelques-unes de ces îles de la mer Ægée à la nouvelle de l’abaissement d’Athènes est remarquable. Un citoyen athénien, nommé Leokratês, au lieu de rester à Athènes pour se joindre à la défense, n’écouta qu’une honteuse timidité[74], et il s’enfuit sur-le-champ de Peiræeus avec sa famille et ce qu’il possédait. Il se rendit en toute hâte à Rhodes, où il répandit la fausse nouvelle qu’Athènes était déjà prise et le Peiræeus assiégé. Dès qu’ils entendirent nette nouvelle, la croyant vraie, les Rhodiens avec leurs trirèmes se mirent en course pour saisir les bâtiments marchands sur mer[75]. Par là nous apprenons indirectement que la puissance navale athénienne constituait la protection permanente de ces bâtiments de commerce, au poilu que quand cette protection était suspendue, des corsaires armés commençaient à en faire leur proie en partant de diverses îles de la mer Ægée.

Telles furent les précautions prises à Athènes après cette fatale journée. Mais Athènes était à une distance de trois nu de quatre jours de marche du champ de bataille de Chæroneia, tandis que Thêbes, étant beaucoup plus rapprochée, supporta la première attaque de Philippe. Quant à la conduite de ce prince après sa victoire, nous avons des assertions contradictoires. Suivant un récit, il s’abandonna sur le champ de bataille à la joie la plus insultante et la plus immodérée, en se moquant particulièrement de l’éloquence et des motions de Démosthène, disposition dont il fut ramené par le courageux reproche de Démade, alors son prisonnier comme l’un des hoplites athéniens[76]. D’abord il refusa même d’accorder la permission d’enterrer les morts quand le héraut vint de Lebadeia faire la demande habituelle[77]. Suivant un autre récit, la conduite de Philippe à l’égard des Athéniens vaincus fut pleine de douceur et de ménagements[78]. Quoi qu’il en puisse avoir été quant à ses premières manifestations, il est certain que ses mesures positives furent dures à l’égard de Thêbes et douces à l’égard d’Athènes. Il vendit les captifs thêbains comme esclaves ; il exigea, dit-on, un prix pour la liberté qu’il accorda d’ensevelir les morts thêbains, — liberté qui, suivant la coutume grecque, n’était jamais refusée, et certainement jamais vendue, par le vainqueur. Nous ne savons pas si Thêbes résista encore ou si elle soutint un siège. Mais bientôt la cité tomba au pouvoir de Philippe. Il mit à mort plusieurs des principaux citoyens, en bannit d’autres, et confisqua les biens des uns et des autres. Un conseil de Trois Cents, — composé de Thêbains favorables à Philippe, — qui pour la plupart venaient d’être rappelés d’exil, — fut investi du gouvernement de la cité, avec droit de vie et de mort sur tout le monde[79]. L’état de Thêbes ressembla beaucoup à ce qu’il avait été lorsque le Spartiate Phœbidas, de concert avec le parti thêbain dirigé par Leontiadês, surprit la Kadmeia. Une garnison macédonienne fut mise alors dans la citadelle, comme une garnison spartiate y avait été placée. Appuyés par cette garnison, les Thêbains favorables à Philippe furent maîtres absolus de la cité, avec tout pouvoir de satisfaire leurs antipathies politiques, ce qui ne leur répugnait pas du tout. En même temps, Philippe remit les cités bœôtiennes inférieures, — Orchomenos et Platée, probablement aussi Thespiæ et Korôneia, — dans la condition de communautés libres au lieu d’être soumises à Thêbes[80].

A Athènes aussi, les orateurs du parti de Philippe élevèrent la voix hautement et avec confiance pour dénoncer Démosthène et sa politique. On suscita alors contré lux de nouveaux orateurs[81] qui ne se seraient guère présentés auparavant. Toutefois les accusations échouèrent ; complètement ; le peuple lui continua sa confiance, sans négliger aucune des mesures de défense qu’il suggérait. Æschine, qui auparavant avait désavoué toute relation avec Philippe, changea de ton à ce moment, et se vanta des liens d’amitié et d’hospitalité qui existaient entre ce prince et lui[82]. Il offrit ses services pour aller comme ambassadeur dans le camp macédonien, — où il paraît avoir été envoyé, sans doute avec d’autres, peut-être avec Xenokratês et Phokiôn[83]. De ce nombre se trouvait Démade aussi, qui venait d’être relâché de sa captivité. Soit sur les conseils persuasifs de Démade, soit par suite d’un changement dans ses propres dispositions, Philippe inclinait actuellement à traiter avec Athènes à des conditions favorables. Les corps des Athéniens tués furent brûlés par les vainqueurs, et leurs cendres recueillies pour être portées. à Athènes, bien que la demande formelle du héraut, dans le même sens, eût été refusée antérieurement[84]. Æschine (suivant l’assertion de Démosthène) prit part comme hôte rempli de sympathie au banquet et aux fêtes par lesquels Philippe célébra son triomphe sur la liberté grecque[85]. Enfin Démade, avec les autres ambassadeurs, revint à Athènes, rapportant la décision de Philippe qui consentait à conclure la paix, à rendre les nombreux prisonniers qu’il avait en son pouvoir, et aussi à transférer Orôpos des Thêbains à Athènes.

Démade proposa la conclusion de la paix à l’assemblée athénienne, qui la décréta sans hésiter. Echapper à une invasion et à un siège par l’armée macédonienne était sans doute un soulagement inexprimable, tandis que le recouvrement de deux mille prisonniers sans rançon était une acquisition de grande importance, non seulement pour la cité collectivement, mais pour les sympathies de nombreux parents. En dernier lieu, regagner Orôpos, — possession dont ils avaient joui jadis, et pour laquelle ils s’étaient longtemps disputés avec les Thêbains, — était une autre cause de satisfaction. Ces conditions furent sans doute agréables à Athènes. Mais il y avait une chose à laquelle il fallut se soumettre d’autre part, et que les contemporains de Periklês auraient regardée comme intolérable, même au prix d’une invasion détournée ou de captifs recouvrés. Il fut demandé aux Athéniens de reconnaître l’élévation de Philippe au rang de maître du monde grec, et d’appuyer la même reconnaissance par tous les antres Grecs, dans un congrès qui serait bientôt convoqué. Ils durent renoncer à toute prétention à l’hégémonie, non seulement pour eux-mêmes, mais pour tout autre État grec ; reconnaître non pas Sparte ni Thêbes, mais le roi de Macédoine comme chef panhellénique ; acquiescer à la transition par laquelle la Grèce, d’agrégat politique libre et maître de ses déterminations qu’elle était, devenait une dépendance provinciale des rois de Pella et d’Ægæ. Il n’est pas facile d’imaginer un coup plus terrible porté à ce sentiment traditionnel d’orgueil et de patriotisme, hérité de leurs ancêtres qui, après avoir repoussé et vaincu les Perses, avaient d’abord organisé les Grecs maritimes en une confédération correspondant aux Grecs non maritimes alliés de Sparte et y suppléant, et qui tenaient ainsi à distance la domination étrangère et jetaient le monde grec dans un système fondé sur des sympathies nationales et sur un libre gouvernement. Ce sentiment traditionnel, bien qu’il ne gouvernât plus le caractère des Athéniens ni qu’il ne leur inspirât plus de motifs d’agir, exerçait encore un puissant empire sur leur imagination et leur mémoire, où il avait été constamment entretenu par l’éloquence de Démosthène et d’autres. La paix de Démade, reconnaissant Philippe comme chef de la Grèce, fut une renonciation -à tout ce -glorieux passé historique, et l’acceptation d’une position nouvelle et dégradée, pour Athènes aussi bien que pour la Grèce en général.

Polybe loue la générosité que montra Philippe en accordant des conditions aussi favorables, et même il affirme, non pas très exactement, qu’il s’assura par là la reconnaissance et l’attachement fermes des Athéniens[86]. Mais Philippe n’aurait rien gagné a tuer ses prisonniers, sans mentionner qu’il aurait provoqué chez les Athéniens une ardeur implacable de vengeance. En vendant ses prisonniers comme esclaves, il aurait gagné quelque chose, mais par l’usage qu’il en fit réellement il gagna davantage. La reconnaissance de sa suprématie hellénique par Athènes fut la démarche capitale pour la poursuite de ses projets. Elle le garantit contre des dissentiments parmi les autres États grecs, de l’adhésion desquels on ne s’était pas encore assuré et qui auraient bien pu résister à une proposition aussi nouvelle —et aussi anti-hellénique, si Athènes leur en avait donné l’exemple. De plus, si Philippe n’avait pas acheté la reconnaissance d’Athènes de cette manière, il aurait pu échouer en essayant de l’arracher de force. Car, bien que, comme maître de la campagne, il pût dévaster l’Attique impunément, et même établir une forteresse permanente comme Dekeleia, — cependant la flotte d’Athènes était aussi forte que jamais, et sa prépondérance sur mer irrésistible. Dans ces circonstances, Athènes et Peiræeus auraient pu être défendus contre lui, comme Byzantion et Perinthos l’avaient été deux années auparavant ; la flotte athénienne aurait pu provoquer une explosion de sympathie hellénique, capable d’embarrasser à bien des égards ses opérations ultérieures. Thêbes, située dans l’intérieur des terres, haïe parles autres cités bœôtiennes, — était abattue par la bataille de Chæroneia, et restait sans aucun moyen de se défendre avec succès. Mais le même coup n’était pas absolument mortel pour Athènes, unie à sa population sur toute la surface de l’Attique, et supérieure sur mer. Nous pouvons donc voir que, avec de pareilles difficultés devant lui s’il poussait les Athéniens au désespoir, — Philippe agit sagement en faisant servir sa victoire et ses prisonniers à obtenir d’elle la reconnaissance de sa suprématie. Son jeu politique fut bien joué à ce moment comme toujours ; mais quant à l’éloge que lui accorde Polybe pour sa générosité, il y a peu de droits.

Outre la reconnaissance de Philippe comme chef de la Grèce, les Athéniens, sur la proposition de Démade, rendirent en sa faveur divers votes d’honneur et de compliment, dont nous ignorons la nature précise[87]. L’éloignement immédiat du danger, avec la restitution de deux mille citoyens captifs, suffisait pour rendre la paix populaire au premier moment ; de plus, les Athéniens, comme s’ils se sentaient manquer de résolution et de force, entraient actuellement dans cette carrière de flatterie à l’égard de puissants rois que, comme nous le verrons ci-après, ils poussèrent jusqu’à une honteuse extravagance. Ce fut probablement pendant que ce sentiment régnait, ce qui ne dura pas longtemps, que le jeune Alexandre de Macédoine, accompagné par Antipater, rendit visite à Athènes[88].

Cependant le respect dont Démosthène jouissait parmi ses compatriotes n’était nullement diminué. Bien que ses adversaires politiques jugeassent le moment favorable pour porter contre lui de nombreuses accusations, aucune d’elles ne réussit. Et quand arriva le temps de choisir un orateur public pour prononcer le discours funèbre aux obsèques célébrées en l’honneur des guerriers tués à Chæroneia, — il fut chargé de ce devoir solennel, non seulement de préférence à Æschine, qui fut porté comme compétiteur, mais encore a Démade, l’auteur récent de la paix[89]. De plus, il fut honoré de vives marques d’estime et de sympathie par les parents survivants de ces vaillants citoyens. En outré, il parait que Démosthène fut maintenu dans un poste financier important comme l’un des administrateurs communs du fonds théôrique, et comme membre d’un comité changé de l’achat du blé ; peu après, il fut aussi nommé surveillant des murailles et des défenses de la cité. L’orateur Hypéride, le collaborateur politique de Démosthène, fut accusé par Aristogeitôn, en vertu de la graphê paranomôn, pour son décret illégal et inconstitutionnel (proposé sous l’empire immédiat de la terreur causée par la défaite subie à Chæroneia), à l’effet d’accorder l’affranchissement aux esclaves, le droit de cité aux metœki et la restitution de ce même droit à ceux qui en avaient été privés par une sentence judiciaire. La paix en survenant avait éloigné toute nécessité d’agir d’après ce décret ; néanmoins une accusation fut intentée à son auteur. Hypéride, ne pouvant en contester l’illégalité, se plaça pour sa défense sur ce terrain vrai et manifeste : — Les armes macédoniennes, dit-il, m’obscurcissaient la vue. Ce n’est pas moi qui ai proposé le décret ; c’est la bataille de Chæroneia[90]. La défense en substance fut admise par le dikasterion, tandis que la hardiesse du tour oratoire fut remarquée par des critiques dé rhétorique.

Après avoir ainsi réduit Thêbes et y avoir mis une garnison, — rétabli, en Bœôtia les cités anti-thébaines ; — forcé Athènes à la soumission et à une alliance dépendante, — et établi une garnison à Ambrakia, tout en se rendant maître en même temps de l’Akarnania et en bannissant les principaux Akarnaniens qui lui étaient contraires, — Philippe se mit immédiatement en devoir de porter ses armes dans le Péloponnèse (338-337 av. J.-C.). Il ne trouva nulle part de résistance sérieuse, si ce n’est dans le territoire de Sparte. Les Corinthiens, les Argiens, les Messêniens, les Eleiens et un grand nombre d’Arkadiens se soumirent tous à sa domination ; quelques-uns même recherchèrent son alliance, par crainte de Sparte et par antipathie contre elle. Philippe envahit la Laconie avec une armée trop puissante pour que les Spartiates pussent résister en rase campagne. Il ravagea le pays et prit quelques postes détachés, mais il ne s’empara point de Sparte, et nous ne savons pas si même il l’attaqua. Les Spartiates ne purent résister ; cependant ils ne voulurent ni se soumettre ni demander la paix : Il paraît que Philippe réduisit leur territoire et resserra leurs frontières des trois côtés, vers Argos, Messênê et Megalopolis[91]. Nous n’avons aucun exposé précis des détails de ses opérations ; mais il est clair qu’il ne fit que ce qui lui sembla bon, et que les gouvernements de toutes les cités péloponnésiennes tombèrent dans les mains de ses partisans. Sparte fut 1a seule cité qui lui tint tête ; quoiqu’elle fût dans un état de faiblesse et d’humiliation, elle maintint sa liberté et sa dignité d’autrefois avec une résolution plus inébranlable qu’Athènes.

Philippe s’occupa ensuite de convoquer un congrès des cités grecques à Corinthe (337 av. J.-C.). Là, il déclara qu’il était décidé à entreprendre une expédition contre le roi de Perse, dans le dessein et de délivrer les Grecs asiatiques et de venger l’invasion de la Grèce par Xerxès. Le vote général du congrès le nomma chef des Grecs réunis dans ce dessein, et décréta la levée d’une armée grecque qui devait se joindre à lui et être formée de contingents fournis par les diverses cités. Le total de l’armée promise est donné seulement par Justin, qui le porte à 200.000 fantassins et à 15.000 chevaux, armée que certainement la Grèce n’aurait pu fournir, et nous pouvons difficilement croire qu’elle ait été même promise[92]. Les Spartiates ne parurent pas au congrès, continuant de refuser toute reconnaissance de la suprématie de Philippe. Les Athéniens y assistèrent et concoururent au vote, ce qui, dans le fait, était la première démarche qui devait faire porter ses fruits à la pais faite par Démade. On leur demanda de fournir une flotte bien équipée pour servir sous Philippe, et on leur enleva en même temps leur dignité de chefs d’une confédération maritime, les îles étant inscrites comme dépendances maritimes de Philippe, au lieu de continuer d’envoyer des députés à une assemblée se réunissant à Athènes[93]. Il paraît que Samos fut encore reconnue comme leur appartenant[94], ou du moins la portion de l’île qui était occupée par les nombreux klêruchi athéniens ou colons à l’étranger, établis pour la première fois dans l’île, après la conquête par Timotheos, en 365 avant J.-C., et renforcés plus tard. Pendant plusieurs années encore, les forces natales dans les bassins d’Athènes continuèrent d’être considérables et puissantes, mais son ascendant maritime disparaît dorénavant.

Les Athéniens, profondément mortifiés par une pareille humiliation, furent avertis par Phokiôn que c’était un résultat nécessaire de la paix qu’ils avaient acceptée sur la proposition de Démade, et qu’il était actuellement trop tard pour murmurer[95]. Nous ne pouvons nous étonner de leurs sentiments. En même temps que .les autres cités libres de la Grèce, ils étaient inscrits comme dépendants du roi de Macédoine et comme contribuant à sa puissance, révolution plus blessante pour eux que pour les autres, puisqu’ils passaient sur-le-champ, non pas seulement de la simple autonomie, mais d’un état de dignité supérieure à une dépendance commune. Athènes n’avait qu’à sanctionner le projet dicté par Philippe et à lui fournir sa quote-part pour l’exécution. De plus, ce projet, — l’invasion de la Perse, — avait cessé d’être un objet d’aspiration véritable dans le monde grec. Le Grand Roi, n’inspirant plus de terreur à la Grèce collectivement, pouvait maintenant être regardé comme propre à prêter protection contre l’oppression macédonienne. Affranchir les Grecs asiatiques de la domination persane devait  être en soi une entreprise agréable au sentiment grec, bien que tous les désirs pareils aient dû graduellement s’évanouir depuis la paie d’Antalkidas. Mais un affranchissement accompli par Philippe devait seulement faire passer les Grecs asiatiques de la domination persane sous la sienne. Le congrès de Corinthe eut pour tout résultat d’atteler les Grecs à son char, pour une entreprise lointaine lucrative à ses soldats et appropriée à son insatiable ambition.

Ce fut en 337 avant J.-C. que cette expédition en Perse fut concertée et résolue. On fit pendant cette année des préparatifs d’une grandeur suffisante pour épuiser les finances de Philippe[96], qui fut en même temps engagé dans des opérations militaires et eut à livrer un rude combat au roi illyrien Pleurias[97]. Dans le printemps de 336 avant J.-C., une partie de l’armée macédonienne, sous Parmeniôn et Attalos, fut envoyée en Asie pour commencer les opérations militaires, Philippe ayant l’intention de suivre bientôt en personne[98].

Cependant, tel n’était pas le sort qui lui était réservé. Peu de temps auparavant, il avait pris la résolution de répudier son épouse Olympias, qu’il accusait d’infidélité ; elle avait fini, dit-on, par lui inspirer de l’aversion, à cause des mouvements furieux et sauvages de son caractère. Il avait successivement épousé plusieurs femmes, dont la dernière fut Kleopatra, nièce du Macédonien Attalos. Ce fut à sa prière, dit-on, qu’il répudia Olympias, qui se retira chez son frère, Alexandre d’Épire[99]. Cette mesure provoqua de violentes dissensions parmi les partisans des deux reines, et même entre Philippe et son fils Alexandre,- qui exprima un vif ressentiment de la répudiation de sa mure. Au mi-lieu de l’ivresse du banquet de noces, Attalos proposa un toast et exprima le vœu qu’il naquit bientôt un fils légitime de Philippe et de Kleopatra, pour succéder au trône macédonien. Alors Alexandre s’écria en colère : — Me déclares-tu donc bâtard ? — et en même temps il lui lança une coupe. Irrité de ce procédé, Philippe se leva, tira son épée et s’élança furieux sur son fils ; mais l’émotion et l’ivresse le firent tomber par terre. Cet accident sauva seul la vie à Alexandre, qui répliqua : Voilà l’homme qui se prépare à passer d’Europe en Asie, et qui ne peut aller sûrement d’une couche à l’autre[100]. Après cette violente querelle, le père et le fils se séparèrent. Alexandre conduisit sa mère en Épire, et ensuite il alla lui-même chez le roi illyrien. Quelques mois après, à la prière du Corinthien Demaratos, Philippe le fit revenir et se réconcilia avec lui ; mais il s’éleva bientôt une autre cause de mécontentement, parce qu’Alexandre avait ouvert une négociation pour un mariage avec la fille du satrape de Karia. Rejetant une pareille alliance comme indigne, Philippe blâma fortement son fils, et bannit de Macédoine plusieurs courtisans qu’il soupçonnait comme étant intimes avec Alexandre[101], tandis que les amis d’Attalos jouirent d’une grande faveur.

Telles étaient les animosités qui divisaient la cour et la famille de Philippe (336 av. J.-C.). Sa nouvelle épouse Kleopatra venait de lui donner un fils[102]. Son expédition contre la Perse, résolue et préparée l’année précédente, avait été réellement commencée, Parmeniôn et Attalos ayant été envoyés en Asie avec la première division, pour être bientôt suivis par lui-même avec le reste de l’armée. Mais Philippe prévit que pendant son absence un danger pouvait naître du côté de la furieuse Olympias, amèrement aigrie par les événements récents et excitant son frère Alexandre, roi d’Épire, auprès duquel elle résidait actuellement. Philippe, il est vrai, tenait une garnison macédonienne dans Ambrakia[103], la principale cité grecque sur la frontière de l’Épire, et il avait aussi beaucoup contribué à établir Alexandre comme prince. Mais, à ce moment, il jugea essentiel de se le concilier encore davantage par un lien spécial d’alliance, en lui donnant en mariage Kleopatra, la fille qu’il avait eue d’Olympias[104]. Pour ce mariage, qui se fit à Ægæ en Macédoine, dans le mois d’août, 336 avant J.-C., Philippe donna les fêtes les plus magnifiques et les plus dispendieuses, par lesquelles il célébrait en même temps la naissance du fils que lui avait récemment donné Kleopatra[105]. Des banquets, de splendides présents, des luttes de gymnastique et de musique, des représentations tragiques[106] dans lesquelles Neoptolemos, l’acteur, joua un des rôles de la tragédie de Kinyras, etc., avec toutes les sortes d’attrait connues à l’époque, — furent accumulés, afin de concilier les partis opposés en Macédoine, et de rendre l’effet imposant sur les esprits des Grecs qui, de toutes les cités, envoyèrent des députés pour adresser, des félicitations. Les, statues. des douze grands dieux, admirablement exécutées, furent portées en procession solennelle dans le théâtre ; immédiatement après elles, la statue de Philippe lui-même, comme treizième dieu[107].

Toutefois, au milieu de cette multitude en fête, il ne manquait pas de partisans mécontents d’Olympias et d’Alexandre, que la jeune reine avec son enfant nouveau-né menaçait d’une formidable rivalité. Il y avait encore un mécontent plus dangereux, — Pausanias, un des gardes du corps du roi, noble jeune homme né dans le district appelé Orestis et faisant partie de la Macédoine supérieure, qui, pour des causes d’offense particulières à lui-même, nourrissait une haine mortelle contre Philippe. La provocation qu’il avait reçue est telle que nous ne pouvons convenablement la transcrire, et, dans le fait, nous ne pouvons la reconnaître d’une manière exacte, au milieu d’assertions différentes. C’était Attalos, l’oncle de la nouvelle : reine Kleopatra, qui avait été l’auteur de cette provocation, en faisant à Pausanias un outrage du caractère le plus brutal et le plus révoltant. Même pour un acte si monstrueux aucune justice régulière ne pouvait être obtenue en Macédoine contre un homme puissant. Pausanias se plaignit a Philippe en personne. Suivant un récit, Philippe écarta la plainte par des faux-fuyants, et même il la tourna en ridicule ; suivant un autre récit, il exprima le déplaisir que lui causait cet acte, et essaya de consoler Pausanias par des présents pécuniaires. Mais il n’accorda ni redressement ni satisfaction au sentiment d’un homme outragé[108]. Aussi Pausanias se décida-t-il à se venger par lui-même. Au lieu de le faire sur Attalos, — qui, dans le fait, ne se trouvait pas à sa portée, vu qu’il était à la tête des troupes macédoniennes en Asie, — sa colère tomba sur Philippe lui-même, qui avait refusé la demande en réparation. Il parait que cette tournure de sentiment, qui détournait du criminel réel le désir de vengeance, ne fut pas tout à fait spontanée de la part de Pausanias, mais qu’elle fut due en partie aux instigations de divers conspirateurs de parti qui désiraient faire périr Philippe. Les ennemis d’Attalos et de la reine Kleopatra (qui elle-même, dit-on, avait insulté Pausanias)[109], — étant naturellement aussi partisans d’Olympias et d’Alexandre, étaient tout disposés à se servir de Pausanias, furieux jusqu’au délire, comme d’un instrument, et à diriger son exaspération contre le roi. Il avait versé ses plaintes dans le sein tant d’Olympias que d’Alexandre ; la première, dit-on, l’excita fortement contre son ancien mari, — et même le second lui répéta un vers d’Euripide, dans lequel la farouche Médéa, abandonnée par son époux Jasôn qui avait épousé la fille du roi de Corinthe, Kreôn, fait vœu de comprendre dans sa vengeance le roi lui-même, avec son mari et sa nouvelle épouse[110]. Que la vindicative Olympias ait positivement poussé Pausanias à assassiner Philippe, cela est extrêmement probable. Quant à Alexandre, bien qu’il ait été accusé également, il n’y a pas de témoignage suffisant pour garantir une semblable assertion ; mais que quelques-uns parmi ses partisans, — hommes empressés à consulter ses sentiments et à lui assurer la succession, — donnassent leurs encouragements, c’est ce qui parait assez bien établi. Un sophiste grec, nommé Hermokratês, contribua, dit-on aussi, à l’acte, bien que sans intention vraisemblablement, par sa conversation, et le roi de Perse (rapport improbable) par son or[111].

Ignorant le complot, Philippe était sur le point d’entrer dans le théâtre, déjà rempli de spectateurs (336 av. J.-C.). Comme il approchait de la porte, revêtu d’une robe blanche, il se sentit si fier de l’idée de sa propre dignité, et si confiant dans la sympathie et l’admiration de la foule qui l’environnait, qu’il s’avança sans armes et sans défense, ordonnant à ses gardes de se tenir en arrière. A ce moment, Pausanias, qui était auprès, avec une épée gauloise cachée sous son vêtement, se précipita sur lui, lui plongea l’arme dans le corps et le tua. Après avoir accompli son projet, l’assassin se sauva immédiatement, et essaya d’arriver aux portes, où préalablement il avait fait placer des chevaux. Port et agile, il aurait pu réussir à s’échapper, — comme la plupart des assassins de Jasôn de Pheræ[112] dans des circonstances tout à fait semblables, — si son pied ne s’était embarrassé dans des ceps de vigne. Les gardes et les amis de Philippe furent d’abord paralysés par l’étonnement et la consternation. Cependant, à la fin, quelques-uns s’empressèrent d’assister le roi mourant, tandis que d’autres s’élançaient à la poursuite de Pausanias. Leonnatos et Perdikkas l’atteignirent et le tuèrent immédiatement[113].

De quelle manière, ou dans quelle mesure, les complices de Pausanias l’aidèrent-ils, c’est ce qu’il ne nous est pas donné de, savoir. Il est possible qu’ils se soient, postés habilement, de manière à faire obstacle à la poursuite et à favoriser ses chances de fuite, qui devaient paraître extrêmement faibles, après un acte d’une audace, si extrême. Nous ne connaissons par leur nom que trois de ceux que l’on regardait comme complices, — trois frères du district Lynkestien de la Macédoine supérieure, — Alexandre, Heromenês et Arrhibæos, fils d’Aeropos[114] ; mais il semble qu’il y en avait encore d’autres. Le Lynkestien Alexandre, dont le beau-père Antipater était un des officiers lés plus distingués au service de Philippe dont il avait la confiance, — appartenait à une bonne famille de Macédoine, qui peut-être même descendait de l’ancienne famille des princes de la Lynkestis[115]. Ce fut lui qui, aussitôt que Pausanias eut assassiné Philippe, se hâta de saluer roi Alexandre, l’aida à mettre son armure, et s’avança comme l’un de ses gardes pour prendre possession du palais royal[116].

Cette prima vox[117] ne fut pas simplement pour Alexandre un augure ou un présage de l’empire à venir ; elle lui fut essentiellement utile comme cause ou condition déterminante réelle. La succession au trône macédonien était souvent troublée par des querelles ou par l’effusion de sang parmi les membres de la famille royale ; et dans les dernières circonstances du règne de Philippe un pareil trouble était particulièrement probable. Ce roi avait été en mauvais termes avec Alexandre, et en plus mauvais encore avec Olympias. Tandis qu’il bannissait des personnes attachées à Alexandre, il avait prêté l’oreille à Attalos, ainsi qu’aux partisans de la nouvelle reine Kleopatra. Si ces derniers avaient pris les devants avant l’assassinat, ils auraient organisé une opposition contre Alexandre en faveur du prince enfant, opposition qui aurait pu avoir quelques chances de succès, vu qu’ils avaient été en faveur auprès du roi décédé, et que, par conséquent, ils étaient en possession de maints postes importants. Mais l’acte de Pausanias les prit à l’improviste, et les paralysa pour le moment ; et, avant qu’ils pussent se remettre ou se concerter, un des complices de l’assassin courut pour mettre Alexandre en mouvement sans délai. Un mouvement initiatif décisif de sa part et de celle de ses amis, dans cette conjoncture critique, détermina les esprits hésitants et prévint une opposition. Nous n’avons pas à nous étonner qu’Alexandre, une fois roi, témoignât une reconnaissance et une estime extraordinaires à son homonyme lynkestien ; car non seulement il l’exempta de la peine de mort infligée aux autres complices, mais encore il l’éleva à de grands honneurs et à des commandements militaires importants. Ni Alexandre et Olympias d’un côté, ni Attalos et Kleopatra de l’autre, n’étaient personnellement en sûreté qu’en acquérant la succession. Ce fut l’un des premiers actes d’Alexandre d’envoyer un officier spécial en Asie, chargé de ramener en Macédoine Attalos prisonnier, ou de le mettre à mort ; c’est le dernier de ces deus ordres qui fut exécuté, vraisemblablement grâce à la coopération de Parmeniôn (qui commandait conjointement avec Attalos) et de son fils Philôtas[118]. L’infortunée Kleopatra et son enfant furent mis a mort peu de temps après[119]. On fit aussi périr d’autres personnes dont je parlerai avec plus de détails en racontant le règne d’Alexandre.

Nous aurions désiré apprendre de quelque personne réellement présente l’effet immédiat produit sur la — grande foule mêlée dans le théâtre a la première nouvelle du meurtre soudain de Philippe. Parmi les Grecs qui étaient là, il y en eut sans doute beaucoup qui l’accueillirent avec une satisfaction silencieuse, comme semblant leur rouvrir la porte de la liberté. Une seule personne osa manifester de la satisfaction, et cette seule personne fut Olympias[120].

Ainsi périt le destructeur de la liberté et de l’indépendance du monde hellénique à l’âge de quarante-six ou de quarante-sept ans, après un règne de vingt-trois ans[121]. Nos informations à son sujet sont particulièrement défectueuses. Nous ne savons avec exactitude ou par une autorité historique contemporaine ni ses moyens, ni ses plans, ni les difficultés qu’il eut s surmonter. Mais les grands résultats de son règne et les principales lignes de son caractère ressortent d’une manière incontestable. A son avènement, le royaume macédonien était un territoire étroit autour de Pella, exclu partiellement par des cités grecques indépendantes et puissantes, même de la côte de la mer voisine. A sa mort, l’ascendant macédonien était établi depuis les rivages de la Propontis jusqu’à ceux de la mer Ionienne, et aux golfes Ambrakien, Messênien et Saronique. Dans ces limites, toutes les cités reconnaissaient la suprématie de Philippe, excepté Sparte seule, et des montagnards, tels que les Ætoliens et autres, défendus par une contrée raboteuse, leur séjour. La bonne fortune avait veillé sur les pas de ce prince, avec quelques rares interruptions[122] ; mais c’était une bonne fortune couronnant les efforts d’un rare talent, politique et militaire. En effet, l’ambition sans repos, l’activité et la patience personnelles et infatigables, et la valeur aventureuse de Philippe étaient telles que, dans un roi, elles seules suffiraient presque à garantir le succès, même avec des capacités fort inférieures aux siennes. Qu’au nombre des causes des conquêtes du roi de Macédoine fût la corruption, employée abondamment pour fomenter la discorde et acheter des partisans parmi des voisins et des ennemis, — qu’avec des manières agréables et séduisantes, il combinât l’insouciance quant à de fausses promesses, la perfidie et l’extorsion même à l’égard d’alliés, et un parjure peu scrupuleux quand il convenait à son dessein, — c’est ce que nous trouvons affirmé ; et il n’y a pas de raison pour n’y pas croire[123]. Ces forces dissolvantes aplanissaient la voie pour une armée puissante et admirable, organisée, et habituellement commandée par lui-même. L’organisation de cette armée adopta et agrandit les meilleurs procédés de guerre scientifique employés par Épaminondas et par Iphikratês[124]. Commencée aussi bien que complétée par Philippe, et léguée comme un engin tout prêt pour les conquêtes d’Alexandre, elle constitue une époque dans l’histoire militaire. Mais plus nous exaltons le génie de Philippe comme conquérante formé pour des empiétements et des agrandissements heureux aux dépens de tous ses voisins, — et moins nous pouvons trouver place pour cette douceur et cette modération que quelques auteurs découvrent dans son caractère. Si dans quelques occasions de sa vie, ces attributs peuvent véritablement se reconnaître, nous avons a y opposer la destruction des trente-deux cités de la Chalkidikê, et la translation en masse de familles misérables qu’il arracha contre leur gré a leurs habitations pour les transporter dans d’autres.

Outre son habileté comme général et politique, Philippe n’était pas d’une médiocre force dans les arts grecs de la rhétorique et des lettres. Le témoignage d’Æschine ; quant à son puissant talent de parole, bien qu’il demande quelque réserve, n’est pas a rejeter. Isocrate lui parle comme à un ami des lettrés et de la philosophie, réputation que le choix qu’il fit d’Aristote, comme précepteur de son fils Alexandre, contribue a appuyer. Toutefois, dans Philippe, comme dans les deus Denys de Syracuse et dans d’auges despotes, ces goûts ne se trouvèrent incompatibles ni avec les crimes de l’ambition, ni avec les excès d’uni désir désordonné. L’historien contemporain Théopompe, chaud admirateur du génie de Philippe, stigmatise non seulement la perfidie de sa conduite publique, mais encore l’ivrognerie, le jeu et les excès de tout genre auxquels il s’abandonnait, — encourageant les mêmes vices dans son entourage. Ses gardes du corps macédoniens et grecs, au nombre de huit cents, étaient une troupe dans laquelle aucun homme convenable ne pouvait vivre ; si elle se distinguait par sa bravoure et ses aptitudes militaires, elle était rassasiée de pillage et souillée de perfidie impudente, de rapacité sanguinaire et de luxure immodérée, qui convenaient seulement à des Centaures et à des Læstrygons[125]. Le nombre des maîtresses et des épouses de Philippe se rapprocha presque de la coutume orientale[126], et les dimensions introduites ainsi dans sa cour par les enfants qu’il eut de différentes mères furent grosses de conséquences funestes.

En appréciant le génie de Philippe, nous avons à apprécier aussi les personnes auxquelles il se trouva opposé. Sa bonne fortune ne fut nulle part plus remarquable que dans ce fait qu’il tomba dans ces jours de désunion et d’absence d’énergie en Grèce (que signale la dernière phrase des Hellenica de Xénophon), alors qu’il n’y avait ni cité dominante prête à veiller, ni général supérieur pour prendre le commandement, ni soldats-citoyens disposés et prêts à endurer les misères d’un service constant. Philippe n’eut pas à combattre d’adversaires tels qu’Épaminondas, ou Agésilas, ou Iphikratês. Combien sa carrière eût pu être différente, si Épaminondas eût survécu à la bataille de Mantineia, gagnée seulement deux années avant l’avènement de Philippe ! Pour résister à Philippe, il fallait un homme comme lui-même, capable non seulement de conseiller et de projeter, mais de commander en personne, de stimuler le zèle de soldats-citoyens, et de donner l’exemple de braver les dangers et la fatigue. Malheureusement pour la Grèce, il ne se présenta pas de chef pareil. Pour le conseil et la parole, Démosthène suffit à la circonstance. Deus fois avant la bataille de Chæroneia, — à Byzantion et à Thêbes, il déjoua d’une manière signalée les combinaisons de Philippe. Mais il n’était pas fait pour prendre la tête dans l’action, et il n’y avait personne auprès dé lui qui pût combler cette lacune. En campagne, Philippe ne rencontra que cette inaction publique, à Athènes et ailleurs en Grèce, dont Æschine même se plaint[127] ; et c’est à ce déclin de l’énergie grecque, non moins qu’a ses propres attributs remarquables, que fut dû le succès sans exemple de son règne Nous verrons, pendant le règne de son fils Alexandre, le même génie et la même vigueur déployés dans des proportions plus grandes encore, et obtenant des résultats plus étonnants ; tandis que la politique grecque, jadis si active, après un faible effort, s’affaisse encore plus, jusqu’à ce que la Grèce tombe dans la nullité d’une province sujette.

 

 

 



[1] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 71.

[2] Démosthène, De Coronâ, p. 277 ; Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 72.

[3] Démosthène, De Coronâ, p. 277, 278.

[4] La chronologie des événements racontés ici a été conçue différemment par différents auteurs. Selon ma manière de voir, la première motion faite par Æschine contre les Lokriens amphissiens le fut dans la réunion du printemps des Amphiktyons à Delphes, en 339 avant J.-C. (l’année de l’archonte Theophrastos à Athènes) ; puis, il fut tenu une assemblée spéciale ou extraordinaire des Amphiktyons, et il y eut une manifestation guerrière contre les Lokriens ; ensuite vint la réunion automnale régulière aux Thermopylæ (339 avant J.-C., — septembre, - l’année de l’archonte Lysimachidês à Athènes), où l’on rendit un vote à l’effet de demander l’intervention militaire de Philippe.

Cette chronologie ne s’accorde pas, il est vrai, avec les deux prétendus décrets des Amphiktyons et avec le document justificatif incorporés dans le discours De Coronâ, p. 279. Mais j’ai déjà dit que je crois ces documents apocryphes.

L’archonte Mnesitheidês (comme tous les autres archontes nommés dans les documents lus dans le discours De Coronâ) est un nom inexact, et il ne peut avoir été cité d’après aucun document authentique. Ensuite, le premier décret des Amphiktyons n’est pas en harmonie avec l’assertion d’Æschine, lui-même le grand moteur de ce que firent réellement les Amphiktyons. En dernier lieu, le second décret donne clairement à entendre que la personne qui composa les deux décrets croyait que la nomination de Philippe avait été faite dans la même assemblée amphiktyonique comme le premier mouvement contre les Lokriens. Les mêmes mots, mis en tête des deux décrets, doivent être compris comme indiquant la même assemblée. La supposition de M. Clinton, à savoir que le premier décret fut rendu à rassemblée du printemps de 339 avant J.-C. — et le second a l’assemblée du printemps de 338 avant J.-C., — Kleinagoras étant éponyme dans les deux années, — ne me parait nullement probable. Le but spécial et l’importance d’an éponyme disparaîtraient, si la même personne servait en cette qualité pendant deux années successives. Bœckh adopte la conjecture de Reiske, qui change έαρινής πυλαίας dans le second décret en όπωρινής πυλαίας. Cela mettrait le second décret en meilleur accord avec la chronologie ; mais il n’y a rien dans l’état du texte qui justifie un pareil changement. Boehnecke (Forsch., p. 498-508) adopte une supposition encore plus improbable. Il suppose qu’Æschine fut choisi pylagoras au commencement de l’année attique 340-339 avant J.-C., et qu’Il assista d’abord à Delphes à l’assemblée automnale des Amphiktyons de 340 avant J.-C. ; qu’il y excita la violente tempête qu’il décrit lui-même dans son discours ; et que plus tard, à l’assemblée du printemps subséquente, vinrent les deux décrets que nous lisons, actuellement dans le De Coronâ : Mais le premier de ces deux décrets n’a jamais pu Vitre rendu après le procédé outrageant décrit par Æschine. J’ajouterai que, dans la forme du décret, le président Kottyphos est appelé Arkadien, tandis qu’Æschine le désigne comme Pharsalien.

[5] Démosthène, De Coronâ, p. 278.

[6] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 72.

[7] V. Isocrate, Orat. V (Philipp.), s. 22, 23.

[8] Æschine, adv. Ktosiphôn, p. 73. — Cf. Démosthène, ad Philipp. Epistol., p. 153.

[9] Philochore, ap. Denys d’Halicarnasse, ad Ammæum, p. 742.

[10] Démosthène, De Coronâ, p. 293-299. Justin, IX, 3 : Diu dissimulatum bellum Atheniensibus infert. Cette expression est exacte dans ce sens, que Philippe, qui avait jusque-là prétendu marcher contre Amphissa, révéla que son dessein réel était contre Athènes, au moment où il s’empara d’Elateia. Autrement, il avait été en guerre ouverte contre Athènes, toujours depuis les siéges de Byzantion et de Perinthos de l’année précédente.

[11] Æschine, Fals. Leg., p. 46, 47.

[12] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 73 ; Démosthène, De Coronâ, p. 281.

[13] Démosthène, De Coronâ, p. 276, 281, 284.

[14] Démosthène, De Coronâ.

[15] Philochore, ap. Denys d’Halicarnasse, ad Ammæum, p. 742.

[16] Démosthène, Olynthiennes, I, p. 16.

[17] Démosthène, De Coronâ, p. 301.

[18] Démosthène, De Coronâ, p. 286, 287 ; Diodore, XVI, 84. J’ai donné la substance, en abrégé, de ce que Démosthène indique lui-même avoir dit.

[19] Ce décret, ou un document prétendant l’être, est donné verbatim dans Démosthène, De Coronâ, p. 289, 290. I1 a pour date le 16 du mois Skirrophorion (juin), sous l’archontat de  Nausiklês. Cet archonte est un archonte mis à faux ou faux éponyme ; et le document, pour ne rien dire de sa verbosité, implique qu’Athènes était alors sur le point d’abandonner les relations pacifiques avec Philippe, et de commencer la guerre contre lui, — ce qui est contraire au fait réel.

On trouve aussi insérés, quelques pages auparavant, dans le même discours (p. 282), quatre autres documents, qui prétendent se rapporter au temps précédant immédiatement la prise d’Elateia par Philippe. 1° Un décret des Athéniens, daté dit mois Elaphebolion de l’archonte Heropythos. 2° Un autre décrets du mois Munychion du même archonte. 3° Une réponse adressée par Philippe aux Athéniens. 4° Une réponse adressée par Philippe aux Thêbains.

Ici encore, l’archonte appelé Heropythos est un archonte mis à. faux et inconnu. Une erreur de date aussi manifeste suffirait seule pour m’empêcher de me fier au document comme authentique. Droysen a raison, selon moi, de rejeter tous ces cinq documents comme apocryphes. La réponse de Philippe aux Athéniens est adaptée aux deux décrets des Athéniens, et elle ne peut être authentique s’ils sont apocryphes.

Ces décrets aussi, comme ceux qui sont datés de Skirrophorion, ne s’accordent pas avec les véritables relations entre Athènes et Philippe. Ils impliquent qu’elle était en paix avec ce prince et qu’elle entreprit pour la première fois des hostilités contre lui après qu’il eut occupé Elateia, tandis qu’il y avait eu guerre ouverte entre eux pendant plus d’une année, toujours depuis l’été de 340 avant J.-C., et les opérations maritimes contre lui dans la Propontis. Que la guerre continuât sans interruption pendant toute cette période, — que Philippe ne pût s’approcher d’Athènes pour frapper un coup sur elle et terminer la guerre, si ce n’est en amenant les Thêbains et les Thessaliens à coopérer avec lui, — et que, pour atteindre ce dernier but, il fit allumer la guerre amphissienne par l’influence corrompue d’Æschine, — c’est ce que dit expressément Démosthène, De Coronâ, p. 275, 276. Aussi m’est-il impossible de croire à l’authenticité soit des quatre documents cités ici, soit de ce décret très long supposé des Athéniens, à l’occasion de la formation de leur alliance avec Thêbes, daté du 16 du mois Skirrophorion, et cité De Coronâ, p. 289. J’ajouterai que les deux décrets que nous lisons p. 282, déclarent eux-mêmes avoir été rendus dans les mois Elaphebolion et Munychion, et qu’ils portent le nom de l’archonte Heropythos, tandis que le décret cité p. 289 est daté dit 16 de Skirrophorion et porte le nom d’un archonte différent, Nausiklês. Or, si les décrets étaient authentiques, les événements qui sont décrits dans l’un et dans l’autre devraient être arrivés sous le même archonte, à un intervalle d’environ six semaines entre le dernier jour de Munychion et le 16e de Skirrophorion. Il est impossible de supposer un intervalle d’un an et six semaines entre les deux.

Il me semble, quand je lis attentivement les paroles de Démosthène lui-même, que le falsarius, on personne qui composa ces quatre premiers documents, n’a pas convenablement conçu ce qu’était ce que Démosthène fit lire par le greffier public. Le fait que Démosthène établit ici, c’est de montrer qu’il a agi avec habileté et qu’il a bien mérité de sa patrie, en amenant les Thêbains à s’allier avec Athènes immédiatement après la prise d’Elateia par Philippe. Dans ce dessein, il insiste sur le mauvais état de sentiment entre Athènes et Thêbes avant cet événement, état produit par les instigations secrètes de Philippe au moyen de partisans gagnés dans les deux villes. Or c’est pour expliquer ce sentiment hostile entre Athènes et Thêbes qu’il fait lire an greffier certains décrets et certaines réponses (p. 282). Les documents dont on annonce ici la lecture ne se rapportent pas aux relations entre Athènes et Philippe (qui étaient des relations de guerre active, n’ayant pas besoin d’explication), — mais aux relations entre Athènes et Thêbes. Il y avait en évidemment des échanges d’escarmouche et de sentiment peu gracieux entre les deux cités, manifestés dans des décrets publics ou dans des réponses publiques à des plaintes ou à des remontrances. Au lieu de cela, les deux décrets athéniens, que nous lisons actuellement comme se suivant, sont adressés non aux Thébains, mais à Philippe ; le premier ne mentionne pas Thêbes du tout, le second mentionne Thêbes seulement pour dire, comme motif de plainte contre Philippe, qu’il essayait de mettre les deux cités en opposition, et cela encore, parmi d’autres motifs de plaintes beaucoup plus graves et lui imputant des desseins plus hostiles. Alors suivent deux réponses, — qui ne sont pas de réponses entre Athènes et Thêbes, comme elles devraient l’être, — mais des réponses de Philippe, la première aux Athéniens, la seconde aux Thêbaines. Ni les décrets, ni les réponses, tels qu’ils sont, ne servent à expliquer le point auquel tend Démosthène, — à savoir le mauvais sentiment et les provocations mutuelles qui avaient i4é échangés peu auparavant entre Athènes et Thêbes. Ni les uns ni les autres ne justifient les mots de l’orateur immédiatement après que les documents ont été lus.

Démosthène représente Philippe comme agissant sur Thêbes et sur Athènes au moyen : de l’influence de citoyens gagnés dans chacune ; l’auteur de ces documents s’imagine que Philippe agit par su dépêches.

Le décret du 16 Skirrophorion ordonne, non seulement qu’il y aura alliance avec Thêbes, mais encore que le droit de mariages réciproques entre les deux cités sera établi. Or, au moment où le décret fut rendu, les Thêbains avaient été et étaient encore en mauvais termes avec Athènes ; de sorte que l’on ne savait s’ils accueilleraient ou s’ils rejetteraient la proposition ; bien plus, les chances étaient même qu’ils la rejetteraient et sa joindraient à Philippe, Nous ne pouvons guère regarder comme possible que, dans un pareil état de probabilités, les Athéniens soient allés jusqu’à se déclarer pour l’établissement de mariages réciproques entre les deux cités.

[20] Démosthène, De Coronâ, p. 295.

[21] Plutarque, Démosthène, c. 18. Daochos et Thrasylaos sont nommés par Démosthène comme partisans thessaliens de Philippe (Démosthène, De Coronâ, p. 324).

[22] Démosthène, De Coronâ, p. 298, 299 ; Aristote, Rhétorique, II, 23 ; Denys d’Halicarnasse, ad Ammæum, p. 744 ; Diodore, XVI, 85.

[23] Démosthène, De Coronâ, p. 304-307.

[24] Théopompe, Fragm. 239, éd. Didot ; Plutarque, Démosthène, c. 18.

[25] Nous pouvons ici croire d’autant mieux la manière dont Démosthène vante son rôle d’homme d’État et son éloquence, que nous possédons les commentaires d’Æschine, et que par conséquent nous connaissons ce qu’un critique hostile peut dire de pire. Æschine (adv. Ktesiphôn, p. 73, 74) dit que les Thêbains furent amenés à se joindre à Athènes, non par l’éloquence de Démosthène, mais par la crainte qu’ils eurent en voyant Philippe approcher si près d’eux, et par le mécontentement que leur causa la prise de Nikæa, qui leur fut enlevée. Démosthène dit en fait la même chose. Sans doute le plus habile orateur doit être fourni de quelques points appropriés sur lesquels il puisse insister dans sou Plaidoyer. Mais les orateurs de l’autre côté durent trouver dans l’histoire du passé une collection bien plus abondante de faits, capables d’âtre mis en œuvre comme causes d’antipathie contre Athènes et de faveur pour Philippe ; et c’est contre ce cas supérieur que Démosthène eut à lutter.

[26] Démosthène, De Coronâ, p. 299, 300.

[27] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 74.

[28] Philochore, Fragm. 135 ; éd. Didot ; Denys d’Halicarnasse, ad Ammæum, p. 742.

[29] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 73. Æschine fait remarquer le fait, — mais il pervertit les conséquences qu’on en peut tirer.

[30] Démosthène, De Coronâ, p. 279. — Ensuite vient une lettre, qui prétend être écrite par Philippe aux Péloponnésiens. Je suis d’accord avec Droysen pour douter de son authenticité. Je n’appuie aucune assertion sur son témoignage. Le mois macédonien Loos ne parait pas coïncider avec le mois attique Bœdromion, et il n’est pas non plus probable que Philippe, en écrivant à des Péloponnésiens, voulut faire allusion à des mois attiques. Démosthène fait encore allusion à diverses lettres subséquentes écrites par Philippe aux Péloponnésiens, et qui impliquent beaucoup d’embarras (p. 301, 302). Démosthène fait lire ces lettres publiquement, mais aucune ne parait verbatim.

[31] Démosthène, De Coronâ, p. 300.

[32] Démosthène, De Coronâ, p. 302 ; Plutarque, Vit. X Orator., p. 848.

[33] Que Démosthène ait été couronné à la fête Dionysiaque (mars 338 avant J.-C.), c’est ce que soutient Boehnecke (Forschungen, p. 534, 535), sur des raisons qui semblent suffisantes, contrairement à l’opinion de Bœckh et de Winiewski (Comment. ad Démosthène, De Coronâ, p. 250), qui pensent qu’il ne fut couronné qu’à la fête Panathénaïque, dans le mois de juillet suivant.

[34] Pausanias, X, 3, 2.

[35] Pausanias, X, 38, 4.

[36] Pausanias, X, 36, 2.

[37] Pausanias, IV, 31, 5. Il place les fortifications d’Ambrysos dans une classe avec celles de Byzantion et de Rhodes.

[38] Pausanias, IX, 13, 2 ; Diodore, XV, 53 ; Xénophon, Hellenica, VI, 4, 3.

[39] La chronologie de cette période a causé beaucoup d’embarras et a été différemment arrangée par différents auteurs. Mais on verra que toutes les difficultés et toutes les controverses qui la concernent résultent de ce qu’on s’appuie sur les décrets apocryphes incorporés dans le De Coronâ de Démosthène, comme s’ils étaient autant d’histoires véritables. M. Clinton, dans ses Fasti Hellenici, les cite comme s’ils faisaient partie de Démosthène lui-même. Quand une fois nous écartons ces documents, les assertions générales tant de Démosthène que d’Æschine, bien qu’elles ne soient ni précises ni particularisées, paraîtront parfaitement claires et logiques relativement à la chronologie de cette période.

Que la bataille de Chæroneia ait été livrée le 7 du mois attique Metageitnion (août) 338 avant J.-C. (le second mois de l’archonte Charondas à Athènes), — c’est ce qu’affirme Plutarque (Camille, c. 19) et ce qui est généralement admis.

M. Clinton et la plupart des auteurs ont placé le moment oui Philippe occupa Elateia pour la première fois au mois précédent de Skirrophorion, cinquante jours ou environ avant. Mais cela repose exclusivement sur le témoignage du prétendu décret, au sujet d’une alliance entre Athènes et Thêbes, qui paraît dans Démosthène, De Coronâ, p. 289. Même ceux qui défendent l’authenticité de ce décret ne peuvent guère se fier à la vérité de la date du mois, où le nom de l’archonte Nausiklês est de l’aveu général mis à faux.

Quant à moi, ni ce document, ni les autres décrets athéniens appelés ainsi qui prétendent dater de Munychion et d’Elaphebolion (p. 282), ne font foi en aucune sorte à mes yeux.

Suivant les assertions générales tant de Démosthène que d’Æschine, la nomination de Philippe comme général amphiktyonique fut faite dans la convocation automnale des Amphiktyons aux Thermopylæ. Peu après cette nomination, Philippe fit avancer son armée en Grèce avec le dessein avoué d’agir en vertu de cette nomination. Dans cette marche, il se dirigea sur Elateia et commença à la fortifier, probablement vers le mois d’octobre 339 avant J.-C. Les Athéniens, les Thêbains et autres Grecs firent la guerre à Philippe en Phokis pendant environ dix mois, jusqu’à la bataille de Chæroneia. Que la durée de cette guerre ait dû, être aussi longue que dix mois, c’est ce que nous pouvons voir par les faits mentionnés dans ma dernière page, — le rétablissement des Phokiens et de leurs villes, et surtout la fortification élaborée d’Ambrysos. Boehnecke (Forschungen, p. 533) signale avec raison (bien que je ne m’accorde pas avec lui pour sa manière générale d’arranger les événements de la guerre) que ce rétablissement des villes phokiennes implique un intervalle considérable entre l’occupation d’Elateia et la bataille de Chæroneia. Nous avons aussi deux batailles remportées sur Philippe, dont l’une est une μάχη χειμερινή, qui cadre parfaitement avec cet arrangement.

[40] Démosthène, De Coronâ, p. 306 ; Plutarque, Démosthène, c. 17. Dans le décret du peuple athénien (Plutarque, Vit. X Orator., p. 850) rendu après la mort de Démosthène, et accordant divers honneurs et une statue à sa mémoire, — il est dit que par ses persuasions il décida non seulement les alliés énumérés dans le texte, mais encore les Lokriens et les Messêniens, et qu’il obtint des alliés une contribution totale qui dépassait cinq cents talents.

Cependant les Messéniens ne combattirent certainement pas à Chæroneia, et il n’est pas non plus exact de dire que Démosthène amena les Lokriens amphissiens à devenir alliés d’Athènes.

[41] Strabon, IX, p. 414 ; Pausanias, VII, 6, 3.

[42] Plutarque, Démosthène, c. 18, Æschine (adv. Ktesiphôn, p. 74) présente sous un jour odieux ces mêmes faits, — le grand ascendant personnel de Démosthène a cette époque.

[43] Plutarque, Démosthène, c. 18.

Il est possible que Philippe ait essayé de désunir les ennemis réunis contre lui, par des propositions séparées adressées à quelques-uns d’entre eux.

[44] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 74. Dinarque mentionne un Thêbain nommé Proxenos, qu’il appelle un traître, comme ayant commandé ces troupes mercenaires à Amphissa (Dinarque, adv. Démosthène, p. 99).

[45] Polyen, IV, 2, 8.

[46] Nous trouvons ce fait dans l’édit rendu par Polysperchon quelques années après (Diodore, XVIII, 56).

[47] Polyen, IV, 2, 14.

[48] Diodore affirme que l’armée de Philippe était supérieure en nombre ; Justin affirme le contraire (Diodore, XVI, 85 ; Justin, I1, 3).

[49] Pausanias, IV, 2, 82 ; V, 4, 5 ; VIII, 6, 1.

[50] Plutarque, Phokiôn, c. 16.

[51] Plutarque, Démosthène, c. 19, 20 ; Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 72.

[52] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 74, 75.

[53] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 75. — C’est vraisemblablement à cette disposition de la part de Philippe à ouvrir des négociations que Plutarque fait allusion conne ayant été (Plutarque, Phokiôn, c. 16) favorablement reçue par Phokiôn.

[54] Diodore, XVI, 85. Alexandre lui-même, après ses vastes conquêtes en Asie et peu de temps avant sa mort, fait une courte allusion à sa présence à Chæroneia, dans un discours adressé à son armée (Arrien, VII, 3, 5).

[55] Plutarque, Pélopidas, c. 18.

[56] Polyen, IV, 2, 2. Il mentionne Stratoklês comme le général athénien qui poussa cette exclamation. Nous savons par Æschine (adv. Ktesiphôn, p. 74) que Stratoklês était général des troupes athéniennes à Thêbes ou près de cette ville peu après que l’alliance avec les Thêbains fut contractée. Mais il semble que Charês et Lysiklês commandaient à Chæroneia. Il est donc possible que l’anecdote racontée par Polyen puisse se rapporter à l’une des premières batailles livrées avant celle de Chæroneia.

[57] Polyen, IV, 2, 7.

[58] Diodore, XVI, 85, 86.

[59] Arrien, Exp. Alex., 1, 2, 3, 10.

[60] C’est ce qu’affirment les orateurs contemporains — Démade (Fragm., p. 179), Lykurgue (ap. Diodore, XVI, 85 ; adv. Leokratês, p. 236, c. 36), et Démosthène (De Coronâ, p. 314). Ce dernier ne spécifie pas le nombre des prisonniers, bien qu’il porte à mille celui des hommes tués. Cf. Pausanias, VII, 10, 2.

[61] Pausanias, VII, 6, 3.

[62] Diodore, XVI, 88.

[63] Plutarque, Alexandre, c. 12 ; Dinarque, adv. Démosthène, p. 99. Cf. l’Oraison funèbre faussement attribuée à Démosthène, p. 1395.

[64] Lykurgue, adv. Leokratês, p.164, 166, c. 11 ; Dinarque, cont. Démosthène, p. 99.

[65] Lykurgue, adv. Leokratês, p. 146.

[66] Lykurgue, adv. Leokratês, p. 177, c. 13.

[67] Lykurgue, adv. Leokratês, p. 190, c. 11. L’orateur fait lire publiquement à l’audience par le greffer ce décret, proposé par Hypéride. — Cf. Pseudo-Plutarque, Vit. X Orat., p. 849, et Démosthène, Cont. Aristog., p. 803.

[68] Démosthène, De Coronâ, p. 309 ; Dinarque, adv. Démosthène, p. 100.

[69] Démosthène, De Coronâ, p. 329 ; Dinarque, adv. Démosthène, p. 100 ; Plutarque, Vit. X Orator., p. 851.

[70] Lykurgue, adv. Leokratês, p. 172, c. 11 ; Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 87.

[71] Thucydide, I, 93.

[72] Lykurgue, adv. Leokratês, l. c.

[73] Lykurgue (adv. Leokratês, p. 171, c. 11) mentionne ces ambassades ; Dinarque (adv. Démosthène, p. 100) affirme que Démosthène s’arrangea pour fuir la ville en se faisant nommer ambassadeur. Cf. Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 76.

Les deux orateurs hostiles traitent cette absence temporaire de Démosthène lors de l’ambassade envoyée pour obtenir des secours, comme si c’était un lâche abandon de son poste. C’est une explication tout à fait injuste.

[74] Leokratês ne fut pas le seul Athénien qui s’enfuit ou qui essaya de s’enfuir. Un autre fut arrêté pendant sa tentative de fuite (suivant Æschine) et condamné à mort par le conseil de l’Aréopage (Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 89). Un membre de l’Aréopage lui-même, nommé Autolykos (le même probablement qui est mentionné avec lui respect particulier par Æschine, Cont. Timarchos, p. 12), fit partir sa famille pour la mettre en sûreté ; il fut plus tard accusé à ce sujet par Lykurgue, et condamné par le dikasterion (Harpocration, v. Δύτόλυκος).

[75] Lykurgue, adv. Leokratês, p. 149.

[76] Diodore, XVI, 87. L’histoire relative à Démade est racontée un peu différemment dans Sextus Empiricus, adv. Grammaticos, p. 281.

[77] Plutarque, Vit. X Orator., p. 849.

[78] Justin, IX, 4 ; Polybe, V, 10 ; Théopompe, Fragm. 262. Voir la note de Wickers, ad Theopompi Fragm., p. 259.

[79] Justin, IX, 4. Dinarque, Cont. Démosthène, s. 20, p. 92.

[80] Pausanias, IV, 27, 5 ; IX, 1, 3.

[81] Démosthène, De Coronâ, p. 310. — C’est ainsi que les ennemis d’Alkibiadês suscitaient contre lui dans l’assemblée des orateurs d’une candeur et d’une impartialité affectées, Thucydide, VI, 29.

[82] Démosthène, De Coronâ, p 319, 320.

[83] Démosthène, De Coronâ, p. 319. Cf. Plutarque, Phokiôn, c.16. Diogène Laërce, IV, 5, dans sa vie du philosophe Xenokratês.

[84] Démade, Fragm. orat., p. 179. V. aussi Suidas v. Δημάδης.

[85] Démosthène, De Coronâ, p. 321.

[86] Polybe, V, 10 ; XVII, 14 ; Diodore, Fragm. lib. XXXII.

[87] Démade, Fragm. p. 179. Cf. Arrien, Exp. Alex., 1, 2, 3, et Clément d’Alexandrie, Admonit. ad Gentes, p. 86 B.

[88] Justin, IX, 4.

[89] Démosthène, De Coronâ, p. 310-320.

[90] Plutarque, Vit. X Orator., p. 849.

[91] Polybe, IX, 28, 33 ; XVII, 14. Tacite, Annales, IV, 43 ; Strabon, VIII, p. 361 ; Pausanias, II, 20, 1 ; VIII, 7, 4 ; VIII, 27, 8. Par Diodore, XVII, 3, nous savons combien cette adhésion à Philippe fut obtenue sous la pression de la nécessité.

[92] Justin, IX, 5.

[93] Plutarque, Phokiôn, c. 16 ; Pausanias, I, 25, 3.

[94] Diodore, XVIII, 56. Cf. Plutarque, Alexandre, c. 28.

[95] Plutarque, Phokiôn, c. 16.

[96] Arrien, VII, 9, 5.

[97] Diodore, XVI, 93.

[98] Justin, IX, 5 ; Diodore, XVI, 91.

[99] Athénée, XIII, p. 567 ; Justin, IX, 7.

[100] Plutarque, Alexandre, c. 9 ; Justin, IX, 7 ; Diodore, XVI, 91-93.

[101] Plutarque, Alexandre, c. 10 ; Arrien, III, 6, 5.

[102] Pausanias (VIII, 7, 5) mentionne un fils né de Philippe et de Kleopatra ; Diodore (XVII, 2) signale également un fils. Justin dans un endroit (IX, 7) mentionne une fille, et dans un autre endroit (XI, 2) un fils nommé Karanos. Satyrus, ap. Athenæ, XIII, p. 557) dit qu’il eut de Kleopatra une fille nommée Eurôpé.

Il parait que le fils naquit seulement peu de temps avant la dernière fête et l’assassinat de Philippe. Mais j’incline à croire que le mariage avec Kleopatra peut bien s’être fait deux ans ou plus avant cet événement, et qu’une fille a pu naître avant le fils. Certainement Justin distingue les deux, quand il dit que la fille fût tuée par l’ordre d’Olympias et le fils par celui d’Alexandre (IX, 7 ; XI, 2).

Arrien (III, 6, 5) semble vouloir dire Kleopatra l’épouse de Philippe, — bien qu’il parle d’Eurydikê.

[103] Diodore, XVII, 3.

[104] Cette Kleopatra, fille de Philippe, sœur d’Alexandre le Grand, et portant le même nom que la dernière femme de Philippe, — était ainsi nièce d’Alexandre d’Épire, son mari. Des alliances à ce degré de parenté n’étaient alors ni déshonorantes, ni rares.

[105] Diodore, XVII, 2.

[106] Josèphe, Antiquités, XIX, I, 13 ; Suétone, Caligula, c. 57. V. l’Appendice de M. Clinton (4) sur les rois de Macédoine, Fast. Hellen., p. 230, note.

[107] Diodore, XVI, 92.

[108] Aristote, Politique, V, 9, 10. Justin, IX, 6 ; Diodore, XVI, 93.

[109] Plutarque, Alexandre, c. 10.

[110] Plutarque, Alexandre, c. 10.

[111] Arrien, Exp. Alex., II, 14, 10.

[112] Xénophon, Hellenica, VI, 4, 32.

[113] Diodore, XVI, 94 ; Justin, LX, 7 ; Plutarque, Alexandre, c. 10.

[114] Arrien, Exp. Alex., I, 25, I.

[115] Justin, XII, 14 ; Quinte-Curce, VII, 1, 5, avec la note de Mützel.

[116] Arrien, 1, 25,2 ; Justin, XI, 2. [Alexandre] ne pardonna qu'à son frère Alexandre Lynceste, respectant en lui les auspices de sa royauté ; car ce prince l'avait, le premier, salué du nom de roi.

[117] Tacite, Histoires, II, 80. Pendant qu'on cherchait un temps, un lieu favorables, et, ce qui est le plus difficile à trouver, une voix qui s'élevât la première, dans ces moments où l'espérance, la crainte, les calculs de la raison, les chances du hasard, assiègent la pensée ; quelques soldats rangés à la porte de Vespasien, pour lui rendre, quand il sortirait de son appartement, les devoirs ordinaires, au lieu de le saluer comme général, le saluèrent comme empereur. Aussitôt leurs compagnons accoururent et lui donnèrent l'un sur l'autre les noms de César, d'Auguste, et tous les titres du rang suprême : les esprits affranchis de la peur s'étaient tournés du côté de la fortune.

[118] Quinte-Curce, VII, 1, 3 ; Diodore, XVII, 2, 5. Cf. Justin, XI, 5.

[119] Justin, IX, 7 ; XI, 2. Pausanias, VII, 7, 5 ; Plutarque, Alexandre, c. 10.

Suivant Pausanias, Kleopatra et son fils tout enfant périrent d’une mort horrible par ordre d’Olympias, qui les fit rôtir ou cuire dans un vaisseau d’airain entouré de feu. Selon Justin, Olympias tua d’abord la fille de Kleopatra sur le sein de sa mère, et ensuite fit pendre Kleopatra elle-même, tandis qu’Alexandre mit à mort Karanos, fils tout enfant de Kleopatra. Plutarque ne dit rien à, ce sujet ; mais il affirme que le cruel traitement de Kleopatra lui fut infligé par ordre d’Olympias pendant l’absence d’Alexandre, qui en conçut beaucoup de déplaisir. Le fait principal, que Kleopatra et son tout jeune enfant périrent d’une mort violente, ne semble pas donner lieu à un doute raisonnable, bien que nous ne puissions vérifier les détails.

[120] Après les funérailles solennelles de Philippe, Olympias fit descendre de croix et brûler le corps de Pausanias (il avait été crucifié), et elle lui assura un monument sépulcral et une cérémonie annuelle de commémoration. Justin, IX, 7.

[121] Justin (IX, 3) dit que Philippe avait quarante-sept ans ; Pausanias (VIII, 7, 4) parle de lui comme s’il en avait quarante-six. Voir les Fasti Hellen. de M. Clinton, append. 4, p. 227.

[122] Théopompe, Fragm. 265, ap. Athenæ. III, p. 277. Cf. Démosthène, Olynthiennes, II, p. 24.

[123] Théopompe, Fragm. 249 ; Théopompe, ap. Polybium, VIII, 11.

Justin, IX, 8. Pausanias, VII, 713 ; VII, 10, 14 ; VIII, 7, 4. Diodore, XVI, 54.

Le langage de Pausanias au sujet de Philippe, après qu’il a rendu justice à ses grandes conquêtes et à ses brillants exploits, est très fort. D’après Pausanias, Philippe, par une pareille conduite, attira la colère divine tant sur lui-même que sur sa race, qui s’éteignit avec la génération suivante.

[124] On trouve dans la troisième Philippique de Démosthène (p. 123-124) un passage frappant, trop long pour être cité, qui atteste le grand et merveilleux pas fait par Philippe dans l’art de faire une guerre efficace et dans les moyens à employer.

[125] Théopompe, Fragm. 249.

Cf. Athénée, IV, p. 166, 167 ; VI, p. 260, 261. Démosthène, Olynthiennes, II, p. 23.

Polybe (VIII, 11) blâme Théopompe pour se contredire, en attribuant à Philippe une conduite sans principes et des habitudes intempérantes, et en vantant toutefois son talent et son énergie comme roi. Mais je ne vois pas de contradiction entre les deus assertions. Philippe ne souffrit jamais que l’amour du plaisir entravât ses plans militaires et politiques, ni chez lui, ni chez ses officiers ; sa passion dominante triomphait de tous les appétits ; mais quand cette passion ne demandait pas d’effort, l’intempérance était le délassement habituel. Polybe ne produit pas de faits suffisants, ni ne cite d’autorité contemporaine pour réfuter Théopompe.

Il est à remarquer que les assertions de Théopompe, relativement à la conduite publique et privée de Philippe, sont aussi déshonorantes que tout ce qu’on trouve dans Démosthène.

[126] Satyrus, ap. Athenæ, XIII, p. 557.

[127] Æschine, cont. Timarchum, p. 26.

Æschine préfère attribuer cette inaction publique, — que bien des gens admettaient et déploraient, quoique bien peu, excepté Démosthène, persévérassent à la combattre, — à ce fait qu’il était permis à des hommes d’une existence privée scandaleuse (comme Timarchos) de propose des décrets dans l’assemblée publique. Cf. Æschine, Fals. Leg., p. 37.