HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — DEPUIS LA PRISE D’OLYNTHOS JUSQU’À LA FIN DE LA GUERRE SACRÉE TERMINÉE PAR PHILIPPE.

 

 

Ce fut au commencement du printemps de 347 avant J.-C., autant que nous pouvons le reconnaître, qu’Olynthos, après avoir vu auparavant les trente cités chalkidiques conquises, subit elle-même la même destinée par les armes de Philippe. L’exil et la pauvreté devinrent le sort de ceux des Olynthiens et des Chalkidiens qui purent s’échapper, tandis que le plus grand nombre des habitants des deux sexes furent vendus comme esclaves. Il se présente quelques traces pénibles de la diversité des maux qui échurent à ces victimes infortunées. Atrestidas, Arkadien qui avait probablement servi dans l’armée macédonienne, reçut de Philippe un présent de trente esclaves olynthiens, consistant surtout en femmes et en enfants, que l’on vit le suivre en file quand il traversa les cités grecques pour retourner dans son pays. Beaucoup de jeunes femmes olynthiennes furent achetées, et virent leurs nouveaux propriétaires tirer profit de leurs personnes. L’un de ces acheteurs, citoyen athénien, qui avait exposé sa nouvelle acquisition à Athènes, fut jugé et condamné pour cet acte par le dikasterion[1]. D’autres anecdotes nous arrivent, inexactes probablement quant aux noms et aux détails[2], qui toutefois expliquent les maux généraux dont fut accablée, cette population chalkidique jadis libre.

Cependant Philippe victorieux était à l’apogée de sa gloire. En commémoration de ses conquêtes, il célébra en Macédoine, en l’honneur de Zeus Olympien, une fête magnifique, accompagnée d’une hospitalité illimitée et de prix de toute sorte, pour des luttes et, des spectacles tant gymnastiques que poétiques. Il fit de riches présents, aussi bien aux officiers grecs et macédoniens qui l’avaient servi qu’aux poètes ou aux acteurs éminents qui lui plurent. Satyros, l’acteur, comique, refusant tout don pour lui-même, demanda au prince et obtint de lui l’élargissement de deux jeunes femmes prises dans Olynthos, filles de son ami le Pydnæen Apollophanês, qui avait été une des personnes mêlées au meurtre d’Alexandre, frère aîné de Philippe. Satyres annonça son intention non seulement d’assurer la liberté à ces jeunes femmes, mais encore de leur donner des dots et de les marier[3]. Philippe trouva également à Olynthos ses deux demi-frères exilés, qui avaient servi de prétextes pour la guerre, — et il les mit tous deux à mort[4].

Il a déjà été dit qu’Athènes avait envoyé à Olynthos plus d’un renfort considérable, en particulier pendant la dernière année de la guerre. Bien que nous ignorions ce qu’accomplirent ces expéditions, ou même quelle était leur force exacte, il y a lieu de soupçonner que Charês et les autres généraux ne les employèrent pas pour un but honorable. Les adversaires de Charês l’accusèrent, aussi bien que Deiarès et autres chefs mercenaires, d’avoir dissipé les forces navales et militaires de la cité dans des entreprises inutiles ou dans des extorsions rapaces commises sur les marchands de la mer Ægée. Ils comptaient quinze cents talents et cent cinquante trirèmes perdus ainsi pour Athènes, outre une haine répandue au loin et suscitée parmi les insulaires par les contributions injustes levées sur eux pour enrichir le général[5]. A cet insuccès honteux s’ajoutèrent alors la ruine terrible d’Olynthos et de la Chalkidikê, et l’agrandissement considérable de son ennemi Philippe. La perte d’Olynthos, avec la misérable captivité de sa population, aurait suffi seule pour exciter un sentiment puissant parmi les Athéniens. Mais il y eut une autre circonstance qui remua encore plus fortement leurs sympathies. Un grand nombre de leurs propres concitoyens servaient dans Olynthos comme garnison auxiliaire et avaient été faits prisonniers comme le reste[6]. Un malheur semblable n’était pas tombé sur Athènes pendant tout un siècle, depuis la défaite de Tolmidês à Korôneia en Bœôtia. Tout le peuple athénien, et particulièrement les parents des captifs, étaient remplis d’anxiété et d’agitation, augmentées par des nouvelles alarmantes venues d’autres côtés. La conquête menaçait la sécurité de toutes les possessions athéniennes dans Lemnos, Imbros et la Chersonèse. Cette dernière péninsule, en particulier, était complètement dépourvue de protection contre Philippe, qui, disait-on, était en marche pour s’y rendre, au point que les colons athéniens qui y étaient établis commencèrent à abandonner leurs propriétés et à transférer leurs familles à Athènes. Au milieu de la douleur et de la crainte qui troublaient l’esprit athénien ; on tint maintes assemblées spéciales pour discuter les remèdes convenables. Que fit-on, c’est ce dont nous ne sommes pas exactement informés. Mais il semble que personne ne savait où était le général Charès avec son armement ; de sorte que ses amis furent forcés dans l’assemblée de faire écho aux fortes expressions de mécontentement prononcées parmi le peuple, et d’envoyer immédiatement un bâtiment léger à sa recherche[7].

La gravité de la crise obligea même Euboulos et d’autres parmi les hommes d’État qui jusque-là avaient montré si peu de vigueur dans la guerre à tenir un langage plus énergique qu’auparavant contre Philippe. Le dénonçant actuellement comme l’ennemi commun de la Grèce[8], ils proposèrent d’envoyer dans le Péloponnèse et ailleurs, pour exciter les États grecs à former une confédération contre lui. Æschine aida avec chaleur à obtenir l’adoption de cette proposition, et fut lui-même nommé comme l’un des députés qui iraient dans le Péloponnèse[9].

Cet habile orateur, immortalisé en qualité : de rival de Démosthène, ne nous a encore été présenté jusqu’ici que comme soldat dans diverses expéditions athéniennes, — à Phlionte dans le Péloponnèse (368), — à la bataille de Mantineia (362), — et en Eubœa sous Phokiôn (349 av. J.-C.) : et, dans cette dernière campagne, il avait mérité l’attention favorable du général, et avait été envoyé à Athènes avec la nouvelle de la victoire de Tamynæ. Æschine avait environ six ans de plus que Démosthène, mais il était né dans une condition beaucoup plus humble et plus pauvre. Son père Atromêtos enseignait à lire à des enfants ; sa mère Glaukothea gagnait sa vie en présidant certaines assemblées religieuses et certains rites d’initiation, destinés surtout à des initiés pauvres ; le jeune Æschine les aidait l’un et l’autre en qualité de domestique. Telle est, du moins, l’assertion qui nous arrive, enrichie de divers détails dégradants, sur l’autorité douteuse de son rival Démosthène[10], qui affirme aussi ce que nous pouvons accepter généralement comme vrai, qu’1Æschine avait passé la première période de son âge viril en partie comme acteur, en partie comme greffier ou lecteur dans les Conseils publics. Pour ces deux fonctions, il possédait quelques avantages naturels, — une taille athlétique, une voix puissante, un flot toujours prêt de discours improvisé. Après quelques années passées comme greffier, dans lesquelles il se rendit utile à Euboulos et à d’autres, il fut choisi comme greffier public de l’assemblée, — se familiarisa avec les affaires administratives et parlementaires de la cité, — et s’éleva ainsi par degrés jusqu’à l’influence comme orateur. Sous le rapport du talent de rhétorique, il semble n’avoir été surpassé que par Démosthène[11].

Comme ambassadeur d’Athènes envoyé en vertu de la motion d’Euboulos, Æschine se rendit dans le Péloponnèse au printemps de 347 ; d’autres étant dépêchés en même temps vers les autres cités grecques. Entre autres villes, il visita Megalopolis, où il fut entendu devant l’assemblée collective arkadienne appelée les Dis Mille. Il lui parla d’un ton d’exhortation animée, l’adjurant de se coaliser avec Athènes pour la défense des libertés de la Grèce contre Philippe, et se déchaînant avec force contre ces traîtres qui, en Arkadia aussi bien que dans d’autres parties de la Grèce, se vendaient à l’agresseur et paralysaient toute résistance. Toutefois il rencontra beaucoup d’opposition de la part d’un orateur nommé Hieronymos, qui épousa dans l’assemblée les intérêts de Philippe ; et bien qu’il déclarât rapporter quelques espérances flatteuses, il est certain que, ni en Arkadia ; ni ailleurs dans le Péloponnèse, son influence ne fut de quelque efficacité réelle[12]. Les sentiments les plus forts parmi lès Arkadiens étaient la crainte de Sparte et l’aversion pour elle, qui-les rendaient en général indifférents, sinon favorables aux succès macédoniens. En revenant d’Arkadia à Athènes, Æschine rencontra l’Arkadien Atrestidas avec l’infortunée troupe d’esclaves olynthiens qui le suivait ; spectacle qui affecta si profondément l’orateur athénien, qu’il insista plus tard sur ce point dans son discours devant l’assemblée avec une sympathie pleine d’indignation, déplorant Ies tristes effets des dissensions grecques et la ruine produite par l’emploi combiné des armes et de la corruption dont se servait Philippe.

Æschine revint probablement vers le milieu de l’été de 347 avant J.-C. D’autres ambassadeurs, envoyés à des cités plus éloignées, restèrent dehors plus longtemps, quelques-uns même jusqu’à l’hiver suivant. Bien qu’il paraisse que quelques députés d’autres cités fussent invités en retour à venir à Athènes, cependant on ne put obtenir en aucune partie de la Grèce une coopération sincère ou : cordiale contre Philippe. Tandis que ce prince, dans la plénitude du triomphe, célébrait sa magnifique fête Olympique en Macédoine, les Athéniens étaient découragés en voyant qu’ils ne pouvaient espérer que peu, d’appui de la part des Grecs indépendants, et qu’on les laissait agir seuls avec leur cercle étroit d’alliés. Par là, Euboulos et Æschine devinrent partisans ardents de la paix, et Démosthène aussi semble avoir été poussé par le découragement général à une disposition à négocier. Ces deux orateurs, bien qu’ils devinssent dans la suite des rivaux acharnés, n’étaient  pas dans cette conjoncture très opposés de sentiment. D’autre part, les orateurs favorables à Philippe à Athènes prirent un ton plus hardi que jamais. Comme Philippe voyait ses ports fermés en grande partie par les croiseurs athéniens, il était vraisemblable qu’il profiterait de son ascendant actuel en vue de renforcer ses équipements navals. Or il n’y avait pas de lieu si abondamment fourni qu’Athènes, en matériel et en munitions maritimes pour des vaisseaux armés. Probablement il y avait des agents et des spéculateurs qui prenaient des mesures pour procurer ces articles à Philippe, et ce fut contre eux que fut dirigé à ce moment un décret de l’assemblée, adopté sur la motion, d’un sénateur nommé Timarchos, — à l’effet de punir de mort tous ceux qui exporteraient d’Athènes pour les livrer à Philippe soit des armes soit du matériel pour des vaisseaux de guerre[13]. Toutefois ce sévère décret fut rendu en même temps que la tendance à la paix (s’il était possible d’y arriver) était en progrès à Athènes.

Quelques mois avant la prise d’Olynthos, des idées de paix avaient déjà surgi, en partie par suite des ouvertures indirectes de Philippe lui-même. Pendant l’été de 348 avant J.-C., les Eubœens avaient essaye de négocier un accommodement avec Athènes, la lutte en Eubœa, bien que les détails ne nous en soient pas connus, n’ayant jamais complètement cessé pendant les derniers dix-huit mois. Et il ne parait pas qu’une paix fût même conclue alors ; car on parle de l’Eubœa comme étant sous la dépendance de Philippe pendant l’année suivante[14]. Toutefois, les envoyés eubœens donnèrent à entendre que Philippe les avait priés de communiquer de sa part un désir de finir la guerre et de conclure la pais avec Athènes[15]. Bien que Philippe eût à cette époque conquis la plus grande partie de la Chalkidikê, et qu’il opérât avec succès contre le reste, il était encore de son intérêt de détacher Athènes de la guerre, s’il le pouvait. La guerre qu’elle lui faisait était, il est vrai, pleine de mollesse et de lenteur ; cependant elle lui causait beaucoup de mal sur mer, et elle était la seule cité capable d’organiser contre lui une confédération grecque étendue, qui, bien qu’elle n’eût pas encore été formée, était du moins une éventualité possible sous sa présidence.

Un Athénien influent nommé Phrynôn avait été pris par des croiseurs de Philippe, pendant la trêve de la fête Olympique en 348 avant J.-C. : après avoir été détenu pendant un certain temps, il vit venir d’Athènes la rançon exigée et obtint son élargissement. De retour à Athènes, il eut assez de crédit pour déterminer l’assemblée publique à envoyer avec lui vers Philippe un autre citoyen comme ambassadeur public de la cité ; ce citoyen devait l’aider à ravoir sa rançon, qui, prétendait-il, avait été demandée indûment d’un prisonnier fait pendant la trêve sainte. Bien, que cela paraisse un procédé étrange au milieu d’une guerre[16], cependant le public athénien prit la chose avec sympathie ; Ktesiphôn fut nommé ambassadeur, et alla avec Phrynôn vers Philippe, qu’ils doivent avoir trouvé engagé dans la guerre contre Olynthos. Reçus de la manière la plus courtoise, non seulement ils obtinrent la restitution de la rançon, mais encore ils furent complètement séduits par Philippe. Avec sa bonne politique ordinaire, il avait saisi l’occasion de gagner — nous pouvons dire proprement, de corrompre, puisque la restitution de la rançon était en substance un présent fait pour corrompre — deux puissants citoyens athéniens, qu’il renvoya alors à Athènes comme ses partisans déclarés.

Phrynôn et Ktesiphôn, à leur retour, s’étendirent avec chaleur sur la générosité de Philippe, et dirent beaucoup de choses au sujet des expressions flatteuses qu’il employait à l’égard d’Athènes et de sa répugnance à continuer la guerre contre elle. L’assemblée publique étant favorablement disposée, un citoyen nommé Philokratês, que nous voyons paraître pour la première fois, proposa un décret à l’effet d’accorder à Philippe la permission d’envoyer un héraut et des ambassadeurs, s’il le voulait, pour traiter de la pais ; ce que Philippe était désireux de faire, suivant l’allégation de Ktesiphôn. Le décret fut rendu par l’assemblée à l’unanimité ; mais son auteur Philokratês fut accusé quelque temps après, devant le dikasterion, comme ayant fait une proposition illégale, par un citoyen nommé Lykinos. Quand la cause fut appelée, le dikasterion prononça un acquittement si triomphant, que Lykinos n’obtint même pas le cinquième des suffrages. Philokratês étant assez malade pour ne pouvoir défendre son affaire, Démosthène se présenta pour l’appuyer, et fit un long discours en sa faveur[17].

La motion de Philokratês ne détermina, rien de positif, et elle ne servit qu’à entamer l’affaire, ce doigt, toutefois, il ne convint pas aux vues de Philippe de profiter : Mais nous voyons que des idées de paix avaient été émises par quelques personnes à Athènes, même pendant les derniers mois de la guerre Olynthienne, et tandis qu’un corps de citoyens athéniens assistait actuellement Olynthos contré l’armée assiégeante de Philippe. Bientôt arriva la terrible nouvelle de la chute d’Olynthos et de la captivité des citoyens athéniens qui y étaient en garnison. Si cette grande alarme (comme nous l’avons déjà dit) donna naissance à de nouvelles missions en vue d’alliances anti-macédoniennes, elle enrôla dans le parti de la paix tous les amis de ces captifs dont l’existence était en ce moment entre les mains de Philippe.

La douleur causée ainsi directement à de nombreuses familles privées, en même temps que la force de la sympathie individuelle largement répandue parmi les citoyens, agit puissamment sur les décisions de l’assemblée publique. Un siècle auparavant, les Athéniens avaient abandonné toutes leurs acquisitions en Bœôtia afin de recouvrer leurs prisonniers faits lors de la défaite de Tolmidês à Korôneia ; et pendant la guerre du Péloponnèse, la politique des Spartiates avait été surtout guidée pendant trois ou quatre ans par le désir ardent d’assurer la restitution des captifs de Sphakteria. En outre, plusieurs Athéniens de conséquence personnelle furent pris à Olynthos ; de ce nombre étaient Eukratos et Iatroklês. Peu après l’arrivée de la nouvelle, les parents de ces, deux hommes, se présentant devant l’assemblée dans le costume solennel de suppliants, déposèrent une branche d’olivier sur l’autel voisin, et demandèrent avec instance qu’on s’occupât du salut de leurs parents captifs[18]. Cet appel touchant, répété comme il dut l’être par les cris de tant d’autres citoyens dans la même détresse, excita une sympathie unanime dans l’assemblée. Philokratês et Démosthène l’appuyèrent par leur parole ; Démosthène probablement, comme ayant été un avocat zélé de la guerre, désirait d’autant plus montrer qu’il ressentait vivement tant de souffrances individuelles. On résolut d’ouvrir avec Philippe des négociations indirectes pour l’élargissement des captifs, par l’intermédiaire des grands acteurs tragiques et comiques, qui, voyageant dans l’exercice de leur profession d’une cité grecque à une autre, étaient en quelque- sorte regardés partout comme des personnes privilégiées. L’un d’eux, Neoptolemos[19], avait déjà profité de la faveur accordée a sa profession ainsi que de la liberté de passage pour aider les intrigues et les correspondances de Philippe à Athènes ; un autre, Aristodêmos, était également en grande estime auprès de Philippe ; tous deux probablement se rendaient en Macédoine pour prendre part à la magnifique fête Olympique qui s’y préparait. On les chargea de demander la vie ou l’élargissement des captifs et de prendre les meilleures mesures qu’ils pourraient pour l’obtenir[20].

Il paraîtrait que ces acteurs ne furent nullement prompts dans l’accomplissement de leur mission (347 av. J.-C.). Probablement ils consacrèrent quelque temps aux occupations de leur profession en Macédoine ; et Aristodêmos, n’étant pas un ambassadeur responsable, en perdit aussi même après son retour avant de faire aucun rapport. Toutefois, ce, qui prouva que la mission n’avait pas été complètement stérile, ce fut l’arrivée du captif Iatroklês, que Philippe avait relâché sans rançon. Le sénat alors appela devant lui Aristodêmos, l’invitant à faire un rapport général de sa conduite, ce qu’il fit, d’abord devant le sénat, ensuite devant l’assemblée publique. Il affirma que Philippe avait accueilli ses propositions avec bonté, et qu’il était dans-les meilleures dispositions à l’égard d’Athènes ; qu’il était désireux non seulement d’être en paix avec elle, mais même d’être reçu comme son allié. Démosthène, alors sénateur, proposa un vote de remerciement et une couronne en faveur d’Aristodêmos[21].

Ce rapport, autant que nous pouvons le reconnaître, paraît avoir été fait vers septembre ou octobre 347 avant J.-C. ; Æschine et les autres commissaires envoyés de côté et d’autre par Athènes pour provoquer des coalitions anti-macédoniennes, étaient revenus avec la seule annonce décourageante de refus ou de tiédeur. Et il survint aussi vers le même temps en Phokis et aux Thermopylæ d’autres événements d’un augure grave pour Athènes, démontrant que la Guerre Sacrée et la lutte entre les Phokiens et les Thêbains était en train de tourner à l’agrandissement ultérieur de Philippe, comme tous les événements depuis les dix dernières années avaient contribué à le favoriser.

Pendant les deux années précédentes, les Phokiens, actuellement sous le commandement de Phalækos à la place de Phayllos, avaient maintenu leurs positions contre Thèbes, — gardé dans leur possession les villes bœôtiennes d’Orchomenos, de Korôneia et de Korsia, — et étaient encore maîtres à Alpônos, de Thronion et de Nikæa, aussi bien que du défilé important des Thermopylæ adjacent[22]. Mais bien qu’en général heureux par rapport à Thèbes, ils étaient tombés dans des dissensions intestines. L’armée mercenaire, nécessaire à leur défense, ne pouvait être entretenue que par une appropriation continue des trésors delphiens, appropriation devenant d’année en année à la fois moins lucrative et plus odieuse. Par une spoliation successive d’ornements d’or et d’argent, le temple, dit-on, fut dépouillé de dix mille talents (= environ 57.500.000 fr.), qui composaient toutes ses richesses dont on pouvait faire usage ; de sorte que les chefs phokiens furent alors réduits à creuser, pour trouver un trésor non constaté, qui, supposait-on — sur la foi d’un vers de l’Iliade aussi bien que sur d’autres raisons conjecturales —, était caché sous les pierres qui formaient le sol du temple. Toutefois, non seulement, Leur recherche fut infructueuse, mais elle fut arrêtée, nous dit-on, par de violents tremblements de terre qui attestaient la colère d’Apollon[23].

A mesure que le trésor de Delphes diminua, Phalækos vit décliner les moyens qu’il avait de payer des troupes et de conserver son ascendant. Tandis que les mercenaires étrangers se relâchaient de leur obéissance, ses, adversaires en Phokis manifestaient une plus grande animosité contre son sacrilège continu. Le pouvoir de ces adversaires grandit tellement, qu’ils déposèrent Phalækos, choisirent Dêmokratês avec deux autres a sa place, et instituèrent une enquête rigoureuse au sujet de l’appropriation antérieure du trésor de Delphes. On trouva qu’il avait été commis un énorme péculat au profit des chefs individuellement, en particulier de l’un d’eux nommé Philôn, qui, arrêté et mis à la torture, révéla les noms de plusieurs complices. Ces hommes furent jugés, forcés de rembourser, et finalement mis à mort[24]. Toutefois Phalækos conserva encore son ascendant sur les mercenaires, qui étaient au nombre d’environ huit mille, de manière à occuper les Thermopylæ et les villes adjacentes, et même à être bientôt renommé général[25].

Ces disputes intestines, combinées avec l’épuisement graduel des fonds du temple, diminuèrent sensiblement la puissance des Phokiens (347 av. J.-C.). Cependant ils étaient encore trop forts pour leurs ennemis les Thébains, qui, privés d’Orchomenos et de Korôneia, appauvris par des efforts militaires de neuf années, et hors d’état de terminer la lutte avec leurs propres forces ; résolurent d’invoquer une aide étrangère. Il eût été possible d’arriver à mettre fin à la guerre par un compromis, si l’on avait pu alors effectuer mi accommodement entre Thèbes et Athènes ; ce que tentèrent quelques-uns des orateurs amis de Thèbes (vraisemblablement Démosthène entre autres), dans l’inquiétude dominante au sujet de Philippe[26]. Mais les sentiments opposés des deux cités, en particulier à Thèbes, se trouvèrent invincibles ; et les Thêbains, prévoyant peu les conséquences, se déterminèrent à invoquer la ruineuse intervention du vainqueur d’Olynthos. Les Thessaliens, déjà alliés précieux de Philippe, se joignirent à eux pour le solliciter d’écraser les Phokiens et de rétablir l’ancien privilège thessalien de la Pylæa (ou assemblée amphiktyonique tenue régulièrement tous les ans aux Thermopylæ), que les Phokiens avaient supprimée pendant les dix dernières années. Cette prière commune d’intervention fut faite au nom du dieu de Delphes, investissant Philippe de l’auguste caractère de champion de l’assemblée amphiktyonique pour qu’il délivrât le temple delphien de ses sacrilèges spoliateurs.

Le roi de Macédoine, avec ses conquêtes passées et son esprit bien connu d’entreprises agressives, était actuellement une sorte de divinité présente, disposée à prêter de la force à toute l’ambition égoïste ou à la crainte et à l’antipathie aveugles qui dominaient parmi les fractions mécontentes du monde hellénique. Tandis que ses intrigues lui avaient procuré de nombreux partisans même dans le centre du Péloponnèse, — comme Æschine, au retour de sa mission, l’avait dénoncé, n’ayant pas encore été lui-même enrôlé dans le nombre, — en ce moment de puissantes villes l’invitaient, en lui fournissant un pieux prétexte, à pénétrer dans le cœur de la Grèce, en deçà de sa dernière ligne de commune défense, les Thermopylæ.

La demande des Thêbains à Philippe excita beaucoup d’alarme en Phokis. Une armée macédonienne sous Parmeniôn entra réellement en Thessalia, où nous la trouvons, trois mois plus tard, assiégeant Halos[27]. Il semble qu’il fut répandu des rapports, vers septembre 347 avant J.-C., annonçant que les Macédoniens étaient sur le point de s’avancer vers les Thermopylæ ; nouvelle à laquelle les Phokiens prirent de l’alarme, et envoyèrent des députés à Athènes aussi bien qu’à Sparte, pour demander des secours qui les missent à même d’occuper le défilé, et offrant de rendre les trois villes importantes situées à côté, — Alpônos, Thronion et Nikæa. Les Athéniens furent tellement alarmés par ce message que non seulement ils ordonnèrent à Proxenos, leur général à Oreus, de prendre immédiatement possession du défilé, mais encore qu’ils rendirent un décret à l’effet d’équiper cinquante trirèmes et de faire partir leurs citoyens militaires au-dessous de, trente ans, avec une énergie semblable à celle qu’ils déployèrent quand ils arrêtèrent Philippe naguère au même endroit. Mais il parait que la demande avait été faite par le parti en Phokis apposé à Phalækos. Ce chef ressentit si vivement ce procédé qu’il jeta les députés Phokiens en prison à leur retour, ne voulant permettre ni à Proxenos ni à Archidamos d’occuper les Thermopylæ, et même renvoyant sans les reconnaître les hérauts athéniens, qui vinrent dans leurs tournées régulières proclamer la trêve solennelle des mystères d’Eleusis[28]. Cette conduite de la part de Phalækos fut dictée vraisemblablement par un sentiment de jalousie pour Athènes et pour Sparte, et par la crainte qu’elles ne voulussent appuyer le parti opposé à lui en Phokis. Elle ne pouvait avoir pour causes (comme l’allègue Æschine) une confiance et une inclination plus grandes à l’égard de Philippe ; car si Phalækos avait nourri ces sentiments, il aurait pu immédiatement admettre les troupes macédoniennes ; ce qu’il ne fit que dix mois plus tard, sous la plus grande pression des circonstances.

Ce refus insultant du secours offert par Proxenos aux Thermopylæ, combiné avec l’état de division des partis en Phokis, menaça Athènes d’un nouvel embarras (347 av. J.-C.). Bien que Phalækos occupât encore le défilé, sa conduite avait été telle qu’elle faisait douter s’il ne traiterait pas séparément avec Philippe. Ce fut une autre circonstance qui, — outre le refus de coopération de la part des autres Grecs et le danger de ses captifs à Olynthos, — contribua à décourager Athènes dans la poursuite de la guerre et à fortifier le cas des avocats de la paix. Ce fut une circonstance d’autant plus grave qu’elle comprenait la question de savoir si son propre territoire serait à l’abri ou exposé, par l’ouverture du défilé des Thermopylæ. Ce fut alors qu’elle se vit dans la nécessité de se tenir sur ses gardes ; étant réduite à la défensive pour sa propre sécurité chez elle, — elle n’étendait plus, comme auparavant, un long bras pour protéger des possessions éloignées telles que la Chersonèse, ou des alliés lointains tels que les Olynthiens. Si grande était la rapidité avec laquelle s’étaient réalisées les prédictions de Démosthène qui avait annoncé que, si les Athéniens refusaient de faire une guerre énergique à Philippe sur son littoral à lui, ils attireraient sur eux-mêmes le mal plus grave d’avoir à lui résister sur leur propre frontière ou auprès d’elle.

Le maintien de la liberté dans le monde hellénique contre l’envahisseur extra-hellénique reposait encore une fois en ce moment sur le défilé des Thermopylæ ; comme il y avait reposé cent trente-trois années auparavant, pendant la marche en avant du Persan Xerxès.

Pour Philippe, ce défilé était d’une importance incalculable. C’était sa seule route pour pénétrer en Grèce ; il ne pouvait être forcé par aucune armée de terre ; tandis que sur mer la flotte athénienne était plus forte que la sienne. Malgré la négligence générale d’Athènes dans des entreprises guerrières, elle avait alors manifesté à deux reprises, qu’elle était prête à faire un vigoureux effort pour maintenir les Thermopylæ contre lui. Afin de devenir maître de cette position, il était nécessaire qu’il désarmât Athènes en concluant la paix, — qu’il la tînt dans l’ignorance ou — dans l’illusion quant à ses desseins réels, — qu’il l’empêchât de s’alarmer ou d’envoyer du secours aux Thermopylæ, — et ensuite qu’il terrifiât ou achetât les Phokiens isolés. Avec quelle habileté et quelle finesse il fit usage de sa diplomatie dans ce dessein, c’est ce que l’on verra bientôt[29].

D’autre part, pour Athènes, pour Sparte, et pour la cause générale de l’indépendance panhellénique, il était d’une importance capitale que Philippe fût tenu en dehors des Thermopylæ. Et ici Athènes était plus intéressée que les autres, puisque non seulement son influence au dehors, mais encore la sûreté de sa cité et de son territoire contre l’invasion, était comprise dans la question. Les Thêbains avaient déjà invité Philippe, lui qui était toujours prêt même sans invitation, à venir en deçà du défilé ; le premier intérêt d’Athènes, aussi bien que son premier devoir, était de les contrecarrer, et de tenir le roi de Macédoine au dehors. Avec une prudence passable, elle aurait pu remplir parfaitement l’obligation où elle était de défendre le défilé ; mais nous verrons des mesures aboutir seulement à la honte et au désappointement, à cause de l’imprévoyance flagrante et de la corruption apparente de ses propres négociateurs.

Nous avons déjà décrit le découragement croissant quant à la guerre et l’ardeur pour la paix qui régnèrent à Athènes pendant l’été et l’automne de 347 avant J.-C. Nous pouvons être sûrs que les amis des prisonniers faits à Olynthos durent demander la paix avec importunité, parce qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’obtenir leur élargissement ; car Philippe ne voulut pas les échanger contre de l’argent, les réservant comme article dans une négociation politique. Enfin, vers le mois de novembre, l’assemblée publique décréta qu’on enverrait à Philippe des ambassadeurs pour savoir d’une manière certaine à quelles conditions la paix pourrait être faite ; dix ambassadeurs athéniens, et un de l’assemblée des alliés confédérés, siégeant à Athènes. L’auteur de ce décret fut Philokratês, le même qui avait proposé le décret antérieur qui permettait à Philippe d’envoyer des ambassadeurs s’il le voulait. Philippe n’avait pas profité de cette permission, en dépit de ce que tons ses partisans à Athènes avaient allégué au sujet de son vif désir de faire la paix et de s’allier avec la cité. Il convenait à son dessein que les négociations se poursuivissent en Macédoine, où il pourrait agir d’une manière plus efficace sur les négociateurs d’Athènes individuellement.

Le décret ayant été rendu dans l’assemblée, on choisit dix envoyés, — Philokratês, Démosthène, Æschine, Ktesiphôn, Phrynôn, Iatroklês, Derkyllos, Kimôn, Nausiklês et Aristogêmos l’acteur. Aglaokrêon de Teanedos fut choisi pour les accompagner, comme représentant l’assemblée des alliés. De ces ambassadeurs, Ktesiphôn, Phrynôn et Iatroklês avaient déjà été gagnés comme partisans par Philippe, tandis qu’ils étaient en Macédoine ; de plus, Aristodêmos était une personne pour laquelle, dans son métier d’histrion, là faveur de Philippe avait plus de prix que les intérêts d’Athènes. Æschine fut proposé par Nausiklês ; Démosthène, par Philokratês, l’auteur du décret[30]. Bien que Démosthène eût été auparavant si ardent à soutenir Vidée de poursuivre vigoureusement la guerre, il ne parait pas qu’il fût opposé actuellement à l’ouverture de négociations. S’il s’y fût montré toujours aussi contraire, il n’aurait probablement pas réussi à obtenir même de se faire écouter, dans la disposition actuelle de l’esprit public. Il croyait, il est vrai, qu’Athènes causait tant de dommage à son ennemi en ruinant le commerce maritime macédonien, qu’elle n’étirait pas dans la nécessité de se soumettre à la paix à des conditions mauvaises ou humiliantes[31]. Mais il ne s’opposa pas encore aux ouvertures, et son opposition ne commença que plus tard, quand il vit la tournure que prenaient les négociations. Et d’autre part, Æschine n’était pas encore suspect d’un penchant pour Philippe. Lui et Démosthène obéissaient, à ce moment, au mouvement de l’opinion qui dominait en général à Athènes. L’opposition de leurs vues et leur rivalité acharnée qui se déclarèrent subséquemment naquirent de l’ambassade elle-même, de son résultat et de la conduite d’Æschine.

On nomma les onze députés qui devaient aller trouver Philippe, non pas avec quelque pouvoir de conclure la paix, mais simplement pour discuter et reconnaître à quelles conditions on pourrait l’avoir (347-346 av. J.-C.). Voilà ce qui est certain ; bien que nous ne possédions pas le décret original en vertu duquel ils furent nommés. Après avoir envoyé avant eux un héraut pour obtenir un sauf-conduit de Philippe, ils quittèrent Athènes vers décembre, 347 avant J.-C., et s’avancèrent par mer jusqu’à Oreus, sur la côte septentrionale de l’Eubœa, où ils comptaient rencontrer le héraut de retour. Voyant qu’il n’était pas encore revenu, ils traversèrent le détroit immédiatement, sans l’attendre, et se rendirent dans le golfe Pagasæen, où Parmeniôn avec une armée macédonienne assiégeait Halos en ce moment. C’est à lui qu’ils notifièrent leur arrivée, et ils reçurent la permission d’aller d’abord à Pagasæ, ensuite à Larissa. Là ils rencontrèrent leur héraut qui revenait, et sous sa sauvegarde ils poursuivirent leur voyage jusqu’à Pella[32].

Nos renseignements au sujet de cette (première) ambassade nous viennent presque entièrement d’Æschine. Il nous dit que Démosthène fut, dès le jour même du départ, ennuyeux pour lui et pour les ambassadeurs ses collègues d’une façon intolérable ; méchant, sans foi, et attentif à saisir tout ce qui plus tard pourrait devenir matière à accusation contre eux, en dernier lieu, vantant avec une jactance qu’il poussait jusqu’à un excès absurde son talent d’orateur. En Grèce, il était d’usage de traiter les affaires diplomatiques, comme les autres questions politiques, publiquement devant les personnes qui composaient le gouvernement, — le conseil, si la constitution se -trouvait être oligarchique, — l’assemblée générale, si elle, était démocratique. Conformément à cette habitude, les ambassadeurs furent invités à paraître devant Philippe dans toute sa pompe et tout son apparat, et là à lui adresser des harangues en forme (soit par l’un, soit par plusieurs d’entre eux, à leur gré), où serait exposée l’affaire d’Athènes ; ensuite Philippe devait faire sa réponse avec la même publicité, soit de sa propre bouche, soit par celle d’un ministre désigné. Les ambassadeurs athéniens décidèrent entre eux que, une fois introduits, chacun d’eux parlerait à Philippe, par ordre d’âge ; Démosthène étant le plus jeune des dix, et Æschine immédiatement avant lui. Conséquemment, lorsqu’ils furent appelés devant Philippe, Ktesiphôn, l’ambassadeur le plus âgé, commença par un discours bref ; les sept autres parlèrent ensuite avec la même brièveté, tandis que tout le poids de l’affaire pesa sur Æschine, et sur Démosthène[33].

Æschine rapporte en abrégé aux Athéniens, avec beaucoup de satisfaction, sa harangue élaborée, établissant le droit d’Athènes sur Amphipolis, l’injustice que Philippe a commise en la prenant et en l’occupant contre elle, et l’obligation absolue dans laquelle il est d’en faire la restitution, — mais ne touchant aucun autre sujet quelconque[34]. Il continue ensuite en disant, — probablement avec une satisfaction plus grande encore, — que Démosthène, qui parla après lui, tout à coup terrifié et confus, échoua complètement, oublia le discours qu’il avait préparé, et fut obligé de rester court, malgré les encouragements bienveillants de Philippe[35]. Un grave échec après une complète préparation, de la part du plus grand orateur de l’antiquité et des temps modernes, paraît à première audition si incroyable que nous sommes disposés à le regarder comme urne pure invention de son adversaire. Cependant j’incline à croire que le fait fut en substance comme Æschine l’expose, et que Démosthène fut privé en partie de ses moyens oratoires quand il se trouva non seulement parlant devant l’ennemi qu’il avait dénoncé en termes si amers, mais entouré de toutes les preuves de la puissance macédonienne, et sans doute exposé à des marques non équivoques d’une haine bien méritée, de la part de ces Macédoniens qui prenaient moins de peine que Philippe pour déguiser leurs sentiments réels[36].

Après avoir congédié les ambassadeurs une fois leurs harangues terminées, et pris quelque temps pour réfléchir, Philippe les rappela en sa présence. Il leur fit alors sa réponse de sa propre bouche, en combattant surtout les arguments d’Æschine, et, selon cet orateur, avec une convenance et une présence d’esprit telles qu’elles excitèrent l’admiration de tous les ambassadeurs, y compris Démosthène. Quelles furent les paroles de Philippe, c’est ce que nous n’apprenons pas d’Æschine, qui s’étend seulement sur les détours, les artifices et les faux prétextes qu’emploie Démosthène pour cacher son échec comme orateur, et pour gagner de l’avantage sur ses collègues. Quant à ces personnalités, il est impossible de dire ce qu’il y a de vrai en elles ; et même fussent-elles vraies, elles n’appartiennent guère à une histoire générale.

Ce fut vers le commencement de mars que les ambassadeurs revinrent à Athènes. Quelques-uns étaient complètement fascinés par le traitement hospitalier et par les manières engageantes de Philippe[37], surtout quand il les entretenait à table ; avec d’autres il avait entamé des intelligences à la fois plus intimes et plus corrompues. Ils rapportèrent une lettre de Philippe, qui fut lue tant dans le sénat que dans l’assemblée ; tandis que Démosthène, sénateur de cette année, non seulement leur adressa des éloges à tous dans le sénat, mais encore proposa lui-même qu’il leur fût donné une couronne d’honneur, et qu’ils fussent invités à dîner le lendemain dans le prytaneion[38].

Nous n’avons guère de moyen pour apprécier les opérations réelles de cette ambassade, ni les questions traitées dans la discussion avec Philippe. Æschine ne nous parle que des formalités de l’entrevue et des discours au sujet d’Amphipolis. Mais en tout cas nous ne commettrons pas d’injustice a son égard, si nous le jugeons d’après son propre exposé, qui, s’il ne représente pas ce qu’il fit réellement, représente ce qu’il désirait qu’on crût qu’il avait fait. Son exposé prouve certainement la manière étrange dont il se trompe dans la conception de la situation réelle des affaires. Afin de se justifier d’avoir le désir de la paix, il insiste considérablement sur le malheur qu’Athènes a eu au jeu pendant la guerre, et sur la probabilité d’une perte encore plus grande si elle persistait. Il complète ce triste tableau en ajoutant, — ce qui sans doute n’était que trop familier à son auditoire athénien, — que Philippe, de son côté, en marchant de succès en succès, avait porté le royaume macédonien à une élévation véritablement formidable, par le récent anéantissement d’Olynthos. Toutefois, dans cet état de force comparative entre les deux parties rivales, Æschine se présente devant Philippe avec- une demande d’une grandeur exorbitante, — la cession d’Amphipolis. Il ne parle d’aucune autre chose. Il prononce une harangue éloquente pour convaincre Philippe du droit incontestable d’Athènes sur Amphipolis, et pour lui prouver le tort qu’il a eu de la prendre et de la garder. Il affecte de croire que par cette manière de procéder il amènerait Philippe à se dessaisir d’une ville, position des plus importantes et sans pareille, dans tout son empire ; ville qu’il possédait déjà depuis douze ans, et qui le mettait en communication avec sa nouvelle fondation Philippi et avec la région aurifère circonvoisine. Les arguments d’Æschine auraient été fort utiles à la cause, dans une action jugée entre deux plaideurs devant un dikasterion impartial à Athènes. Mais il y avait ici deux parties belligérantes, dans un rapport donné de force et de position quant à l’avenir, débattant les conditions d’une paix. Qu’un ambassadeur envoyé par Athènes, — la partie perdante, -se présentât à ce moment pour demander à un ennemi victorieux la place même qui était la cause primitive de la guerre, et qui était devenue pour Philippe beaucoup plus importante alors qu’au moment même de la prise, c’était une prétention complètement absurde. Quand Æschine reproduit son éloquent discours où il réclame Amphipolis, comme ayant été la principale nécessité et l’exploit le plus honorable de sa mission diplomatique, il prouve seulement combien il avait peu qualité pour rendre à Athènes un service réel dans ce rôle, — pour ne rien dire encore quant à la corruption. Le peuple athénien, qui conservait extrêmement ses convictions anciennes, avait cette idée profondément gravée dans l’esprit, qu’Amphipolis lui appartenait de droit ; et probablement les premiers ambassadeurs envoyés en Macédoine, — Aristodêmos, Neoptolemos, Ktesiphôn, Phrynôn[39], etc., — avaient été si cajolés par les phrases courtoises, par les, fausses promesses et par les présents de Philippe, qu’ils le représentèrent à leur retour comme assez disposé à acheter l’amitié d’Athènes par la restitution d’Amphipolis. C’est à cette espérance illusoire nourrie par l’esprit athénien qu’Æschine s’adressa, quand il se fit honneur de son plaidoyer chaleureux prononcé devant Philippe en faveur du droit que les Athéniens avaient sur cette ville, comme si c’eût été là le seul but de sa mission[40]. Nous le verrons tout du long, dans son rôle d’ambassadeur, non seulement nourrir les illusions actuelles du public à Athènes, mais même faire circuler des fictions et des impostures grossières de son invention, relativement à la conduite et aux desseins de Philippe.

Ce fut le premier du mois Elaphebolion (mars)[41] ou environ, que les ambassadeurs arrivèrent à Athènes en revenant de la cour de Philippe (346 av. J.-C.). Ils apportaient une lettre de lui écrite dans les termes les plus amicaux ; qui exprimait un grand désir non seulement d’être en paix avec Athènes, mais encore de devenir son allié ; assurait de plus qu’il était prêt à lui rendre un important service, et qu’il aurait spécifié plus particulièrement quel était ce service, s’il avait pu se croire certain d’être reçu dans son alliance[42]. Mais malgré cette aménité de langage, qui fournissait à ses partisans dans l’assemblée, — Æschine, Philokratês, Ktesiphôn, Phrynôn, Iatroklês et autres, — une occasion de s’étendre sur ses excellentes dispositions, — Philippe ne voulut pas accorder de meilleures conditions de paix que celles-ci, à savoir que chaque partie conserverait ce qu’elle possédait déjà. Conformément à ce principe général, la Chersonèse fut assurée à Athènes, ce dont Æschine paraît avoir tiré quelque vanité[43]. De plus, au moment où les ambassadeurs s’en allaient de Pella pour retourner dans leur patrie, Philippe la quittait aussi à la tête de soli armée à l’occasion d’une expédition contre Kersobleptês en Thrace. Il s’engagea spécialement à l’égard des ambassadeurs à ne pas attaquer la Chersonèse jusqu’à ce que les Athéniens eussent une occasion de débattre, d’accepter ou de rejeter les propositions de paix. Ses ambassadeurs, Antipater et Parmeniôn, reçurent l’ordre de visiter Athènes dans un bref délai ; et un héraut macédonien accompagna les envoyés athéniens lors de leur retour[44].

Connaissant à quelles conditions on pourrait avoir la paix, les envoyés furent en état de conseiller le peuple athénien et de le préparer à une conclusion déterminée, aussitôt que cette mission macédonienne arriverait (mars 346 av. J.-C.). Ils commencèrent par rendre compte de leurs opérations à l’assemblée publique. Ktesiphôn, le plus âgé, qui parla le premier, s’étendit sur l’air gracieux et sur les manières aimables de Philippe, aussi bien que sur le charme de sa compagnie dans les banquets[45]. Æschine insista sur son puissant talent de parole employé à propos ; puis il raconta les principaux événements du voyagé et le débat avec Philippe, en donnant à entendre que, dans l’arrangement préalable fait par les ambassadeurs entre eux, le devoir de parler sur Amphipolis avait été confié à Démosthène ; dans le cas où quelque point aurait été omis par les orateurs précédents. Démosthène fit ensuite son rapport, dans un langage (suivant Æschine) malveillant et même insultant envers ses collègues ; particulièrement en affirmant qu’Æschine dans sa vanité voulait prendre à l’avance tous les meilleurs points dans son discours, sans en laisser aucun dont un autre pût faire usage[46]. Démosthène en vint ensuite à proposer divers décrets ; l’un, ordonnant de saluer par une libation le héraut qui les avait accompagnés à leur retour de la cour de Philippe, — et les ambassadeurs macédoniens que l’on attendait ; un autre, portant que les prytanes convoqueraient une assemblée spéciale le huitième jour d’Elaphebolion (jour consacré à Asklêpios [Esculape]), dans lequel en général on ne s’occupait jamais d’aucune affaire publique, afin que, si les envoyés de Macédoine étaient arrivés alors, le peuple pût discuter sans délai ses rapports politiques avec Philippe ; un troisième,à l’effet de louer la conduite des ambassadeurs athéniens (c’est-à-dire de ses collègues et de lui-même) et de les inviter à dîner dans le prytaneion. Démosthène en outre proposa dans le sénat que, quand les envoyés de Philippe viendraient, on leur donnât des siéges d’honneur à la fête Dionysiaque[47].

Bientôt arrivèrent ces ambassadeurs macédoniens, — Antipater, Parmeniôn et Eurylochos ; — non pas toutefois assez tôt pour permettre que toute la question fût débattue dans l’assemblée du huit d’Elaphebolion. En conséquence (à ce qu’il semblerait, dans cette assemblée même), Démosthène proposa et fit rendre un nouveau décret, fixant deux jours postérieurs pour les assemblées spéciales destinées à discuter la paix et l’alliance avec la Macédoine. Les jours désignés furent le 18 et le 19 du mois courant Elaphebolion (mars) ; immédiatement après la fête Dionysiaque et l’assemblée dans le temple de Dionysos qui suivait la fête[48]. En même temps Démosthène témoigna personnellement beaucoup de civilité aux ambassadeurs macédoniens ; il les invita à un splendide banquet, et non seulement il les conduisit à leur place d’honneur à la fête Dionysiaque, mais encore à leur fit donner des sièges et des coussins confortables[49].

Outre l’assemblée publique tenue par les Athéniens eux-mêmes, pour recevoir le rapport de leurs dix ambassadeurs revenus de Macédoine, le congrès des confédérés athéniens fut réuni également, pour entendre celui d’Aglaokreôn, qui, était allé comme leur représentant avec les Dix (mars 346 av. J.-C.). Ce congrès s’arrêta à une résolution, importante par rapport au débat prochain de l’assemblée athénienne, débat qui malheureusement ne nous est donné nulle part en entier, mais que nous ne connaissons que par une mention partielle et indirecte des deux orateurs rivaux. Il a déjà été dit que, depuis la prise d’Olynthos, les Athéniens avaient envoyé des députés dans une partie considérable de la Grèce, pour presser les diverses cités de s’unir à eux soit dans une guerre commune contre Philippe, soit dans une paix commune pour obtenir quelque garantie mutuelle contre ses empiétements ultérieurs. Le plus grand nombre de ces missions avait totalement échoué et montré l’état désespéré du projet athénien. Mais quelques-unes avaient été assez heureuses pour que des députés, plus ou moins nombreux, fussent actuellement présents à Athènes, conformément à l’invitation : tandis qu’un certain nombre d’entre eux étaient encore absents et qu’on attendait leur retour, — les mêmes individus ayant été envoyés en différents endroits à quelque distance les uns des autres. La résolution du congrès — qui ne liait nullement le peuple athénien, mais qui avait seulement force de recommandation — fut adaptée à cet état des affaires, et aux dispositions récemment manifestées à Athènes à l’égard dupe action commune avec les autres Grecs contre Philippe. Le congrès conseilla qu’immédiatement après le retour des députés en mission encore absents — moment auquel probablement tous ceux des Grecs qui désiraient même discuter la proposition devaient envoyer leurs députés également — les prytanes athéniens convoquassent deux assemblées publiques conformément aux lois, dans le dessein de débattre et de décider la question de la paix. Quelle que fût la décision qu’on pût y prendre, le congrès l’adoptait à l’avance comme sienne. Il recommanda en outre qu’on annexât un article, réservant un intervalle de trois mois pour toute cité grecque qui ne serait pas partie à. la paix, afin qu’elle déclarât son adhésion, qu’elle inscrivît son nom sur la colonne où la décision serait gravée, et qu’elle fût comprise dans les mêmes conditions que les autres. Apparemment cette résolution du congrès fut adoptée avant l’arrivée des ambassadeurs macédoniens à, Athènes, et avant le décret mentionné en dernier lieu, que Démosthène proposa dans l’assemblée publique ; décret qui, fixant deux jours (le 18 et le 19 d’Elaphebolion) pour la décision de la question de la paix et de l’alliance avec Philippe, coïncidait en partie avec la résolution du congrès[50].

En conséquence, après la grande fête Dionysiaque, ces deux assemblées prescrites furent tenues, — le 18 et le 19 d’Elaphebolion (mars 346 av. J.-C.). Les trois ambassadeurs de Philippe, — Parmeniôn, Antipater et Eurylochos, — assistèrent et à la fête et aux assemblées[51]. La question générale des relations entre Athènes et Philippe y étant soumise à une discussion, la résolution du congrès confédéré fut communiquée en même temps. L’article le plus significatif de cette résolution était que le congrès acceptait à l’avance le décret de l’assemblée athénienne, quel qu’il pût être ; les autres articles étaient des recommandations, écoutées sans doute avec respect, et constituant un sujet sur le quelles orateurs pouvaient insister, sans cependant avoir une autorité positive. Mais dans les plaidoyers des deux orateurs rivaux quelques années plus tard (qui seuls nous font connaître les faits), la résolution entière du congrès confédéré parait investie d’une importance factice ; comme chacun d’eux avait intérêt à déclarer qu’il l’avait appuyé, — chacun accuse l’autre de s’y être opposé ; tous deux désiraient se séparer de Philokratês, alors exilé en disgrâce, et de la paix proposée par lui, qui était tombée en discrédit. Ce fut Philokratês qui se mit en avant dans l’assemblée pour proposer le premier la paix et une alliance avec Philippe. Sa motion n’embrassa ni l’une ni l’autre des recommandations du congrès confédéré, relativement aux ambassadeurs absents, et à un intervalle à laisser pour les adhésions des autres Grecs ; et il ne se borna pas non plus, comme l’avait fait le congrès, à la proposition de la paix avec Philippe. Il proposa que non seulement la paix, mais une alliance, fussent conclues entre les Athéniens et Philippe, qui avait exprimé par lettre son grand désir d’obtenir l’une et l’autre. Il comprit dans sa proposition Philippe avec tous ses alliés d’un côté, — et Athènes avec tous ses alliés de l’autre ; en faisant toutefois une exception spéciale pour deux des alliés d’Athènes, — les Phokiens, — et Halos près du golfe Pagasæen, ville récemment[52] assiégée par Parmeniôn.

Quel rôle prirent Æschine et Démosthène par rapport à cette motion, c’est ce qu’il n’est pas facile de déterminer. Dans leurs discours prononcés trois ans plus tard, tous deux dénoncent Philokratês ; chacun accuse l’autre de l’avoir appuyé ; chacun affirme avoir soutenu lui-même les recommandations du congrès confédéré. Les contradictions entre les deux orateurs, et entre Æschine dans son premier discours et Æschine dans son dernier, sont ici très manifestes. Ainsi, Démosthène accuse son rival d’avoir le 18 du mois, c’est-à-dire dans la première des deux assemblées, prononcé un discours fortement opposé à Philokratês[53] ; mais d’avoir changé sa politique pendant la nuit, et d’avoir parlé le 19 pour appuyer ce dernier avec chaleur, au point de faire changer les auditeurs de disposition.,Æschine nie complètement ce changement soudain d’opinion ; alléguant qu’il n’a fait qu’un seul discours, et cela en faveur de la recommandation du congrès confédéré ; et affirmant en outre que parler le second jour était impossible, puisque ce jour était exclusivement consacré à poser des questions et à voter, de sorte qu’il n’était pas permis de faire de discours[54]. Cependant, bien qu’Æschine, dans sa première harangue (De Fals. Leg.), insiste si fortement sur cette impossibilité de parler le 19, — dans sa dernière (contre Ktesiphôn) il accuse Démosthène d’avoir parlé très longuement ce jour même du 19, et d’avoir par là changé les dispositions de l’assemblée[55].

Toutefois, malgré le discrédit jeté ainsi par Æschine sur sa propre dénégation, je ne crois pas au changement soudain de langage dans l’assemblée que lui attribue Démosthène. Il est trop peu expliqué, et en soi trop improbable pour être cru sur la seule assertion d’un rival. Mais je regarde comme certain que ni lui ni Démosthène ne peuvent avoir défendu les recommandations du congrès confédéré, bien que tous deux déclarent l’avoir fait, si nous devons croire l’assertion d’Æschine (nous n’en avons pas de Démosthène), quant à la teneur de ces recommandations. Car le congrès (suivant Æschine) avait recommandé d’attendre le retour des ambassadeurs absents avant qu’on discutât la question de la paix. Or, cette proposition était impraticable dans ces circonstances, puisqu’elle équivalait à rien moins qu’à un ajournement indéfini de la question. Mais les ambassadeurs macédoniens Antipater et Parmeniôn étaient actuellement à Athènes, et ils assistaient à ce moment à l’assemblée, étant venus, sur invitation spéciale, dans le dessein soit de conclure la paix, soit de rompre les négociations ; et Philippe était convenu (comme le dit Æschine lui-même)[56] de s’abstenir de toute attaque sur la Chersonèse, tant que les Athéniens seraient occupés à débattre la paix. Dans ces conditions, il était absolument nécessaire de donner quelque réponse décisive et immédiate aux ambassadeurs macédoniens. Leur déclarer : — Nous ne pouvons rien dire à présent de positif ; vous devez attendre que nos envoyés absents soient de retour, et que nous sachions combien de Grecs peuvent entrer dans notre alliance —, c’eût été non seulement absurde en sois mais des hommes habiles, tels qu’Antipater et Parmeniôn, l’auraient expliqué comme une pure manœuvre dilatoire destinée à. rompre complètement la paix. Ni Démosthène ni Æschine ne peuvent avoir réellement appuyé une pareille proposition, quoi que l’un et l’autre puissent prétendre trois ans plus tard. Car à ce moment de discussion réelle, non seulement Æschine lui-même, mais le public d’Athènes en général, désiraient fortement la paix, tandis que Démosthène, bien qu’il la désirât moins, y était favorable[57]. Ni l’un ni l’autre n’étaient disposés à faire échouer les négociations par un délai insidieux, et si telle eût été leur intention, le peuple athénien n’aurait pas toléré la tentative.

Aussi bien que je puis conclure, Démosthène appuya la motion de Philokratês (proposant à la fois paix et alliance avec Philippe), à l’exception seulement de cette clause spéciale qui excluait et les Phokiens et la ville d’Halos, et qui fut finalement repoussée par l’assemblée[58]. Qu’Æschine ait appuyé la même motion tout entière, et d’une manière encore plus complète, c’est ce chue nous pouvons conclure de son remarquable aveu dans son discours contre Timarchos[59] (prononcé l’année qui suivit la paix, et trois ans après son propre jugement), où il se reconnaît lui-même comme l’auteur commun de la paix avec Philokratês, et avoue son approbation sincère de la conduite et du langage de Philippe, même après la ruine des Phokiens. Euboulos, l’ami et le partisan d’Æschine, présenta aux Athéniens l’alternative évidente[60] : Vous devez ou descendre sur-le-champ au Peiræeus, servir à bord, payer des taxes directes, et appliquer le fonds théôrique à des desseins militaires,ou bien vous devez voter les conditions de paix proposées par Philokratês. Notre conclusion relativement à la conduite d’Æschine est corroborée par ce qui est affirmé ici relativement à Euboulos. Démosthène avait conseillé vainement à ses compatriotes, pendant les cinq dernières années, à une époque où Philippe était moins formidable, l’adoption réelle de ces mesures énergiques. Euboulos, son adversaire, les présente actuellement in terrorem, comme une nécessité ennuyeuse et intolérable, contraignant le peuple à voter les conditions de paix qui étaient proposées. Et quelque pénible qu’il pût être d’acquiescer au statu quo, qui reconnaissait Philippe comme maître d’Amphipolis et de tant d’autres possessions appartenant jadis à Athènes, — je ne crois pas que même Démosthène, au moment où la paix était réellement débattue, ait voulu en remettre la conclusion au hasard, en dénonçant la honte de cette cession inévitable, bien qu’il déclare trois ans plus tard qu’il s’y est vivement opposé[61].

Je soupçonne donc que les conditions de paix proposées par Philokratês rencontrèrent un appui complet de la part de l’un de nos deux orateurs rivaux, et une opposition partielle à une clause spéciale, de l’autre. Quoi qu’il en soit, la proposition passa, sans autre modification (autant que nous le savons) que l’omission de cette clause qui exceptait spécialement Halos et les Phokiens. Voici quelles étaient les dispositions de Philokratês : toutes les possessions actuellement entre les mains de chacune des parties belligérantes leur resteraient à chacune, sans que l’autre la troublât dans la jouissance[62] ; sur ces principes, il y aurait paix et alliance entre Athènes avec tous ses alliés, d’un côté, et Philippe avec tous ses alliés, de l’autre. C’étaient les seules parties comprises dans le traité. Il n’était rien dit au sujet des autres Grecs qui n’étaient alliés ni de Philippe ni d’Athènes[63]. Il n’y eut pas non plus de mention spéciale concernant Kersobleptês[64].

Tel fut le décret de paix et d’alliance rendu le second des deux jours d’assemblée, — le 19 du mois Elaphebolion (346 av. J.-C.). Naturellement, — sans la faute de personne, — il était tout à l’avantage de Philippe. Ce prince avait la position supérieure, et, en vertu du décret, il conservait, toutes ses conquêtes. Pour Athènes, la partie inférieure, le profit a espérer était qu’elle empêcherait que ces conquêtes ne fussent multipliées plus encore, et qu’elle éviterait d’être jetée d’un état mauvais dans un pire.

Mais il parut bientôt que même cette modeste espérance ne se réalisa pas. Le 25 du même mois[65] (six jours après la précédente assemblée), il en fut tenu une nouvelle ; destinée à ratifier par un serment solennel le décret qui venait d’être rendu. Il fut alors proposé et décrété que les dix mêmes citoyens qui avaient été auparavant accrédités auprès de Philippe seraient envoyés de nouveau en Macédoine, dans le dessein de recevoir les serments de ce roi et de ses alliés[66]. Ensuite, il fut résolu que les Athéniens, avec les députés de leurs alliés présents à Athènes en ce moment, prononceraient le serment sur-le-champ, en présence des ambassadeurs de Philippe.

Mais alors s’éleva la question critique : Qui devait-on comprendre comme alliés d’Athènes ? Devait-on comprendre les Phokiens et Kersobleptês ? Les uns et l’autre représentaient ces deux positions capitales[67] : — les Thermopylæ et l’Hellespont, — que Philippe convoitait certainement, et qu’il importait le plus à Athènes d’assurer contre lui. L’assemblée, par son vote récent, avait effacé l’exclusion spéciale des Phokiens, proposée par Philokratês, les admettant implicitement ainsi comme alliés avec les autres. C’étaient, en effet, des alliés de vieille date et précieux ; ils avaient probablement des envoyés présents à Athènes, mais non des députés siégeant dans le congrès. Kersobleptês n’avait pas non plus de député à cette assemblée des confédérés ; mais un citoyen de Lampsakos, nommé Kritoboulos, demanda en cette occasion à agir pour lui et à prêter serment en son nom.

Quant à la manière d’agir avec Kersobleptês, Æschine nous fait deux récits (l’un dans le premier discours, l’autre dans le second) tout à fait différents l’un de l’autre, et s’accordant seulement en ce point, — que dans l’un et dans l’autre, Démosthène est indiqué comme l’un des magistrats présidents de l’assemblée publique, et comme ayant fait tout ce qu’il pouvait pour empêcher l’envoyé de Kersobleptês d’être admis pour prêter serment comme allié d’Athènes. Au milieu de pareilles différences, — dire en détail ce qui se passa est impossible. Mais il semble clair — tant par Æschine (dans son premier discours) que par Démosthène, — d’abord, que l’envoyé de Kersobleptês, n’ayant pas de siège dans le synode confédéré, mais se présentant et demandant à jurer comme allié d’Athènes, vit son droit contesté ; en second lieu, qu’à l’occasion de cette contestation, la question fut soumise au vote de l’assemblée publique, qui décida que Kersobleptês était un allié et serait -admis à prêter serinent comme tel[68].

Antipater et Parmeniôn, de la part de Philippe, ne refusèrent pas de reconnaître Kersobleptês comme allié, d’Athènes et de recevoir son serment. Mais, par rapport aux Phokiens, ils annoncèrent une détermination distinctement opposée. Ils signifièrent à l’assemblée du 25 Elaphebolion, tau après cette assemblée, que Philippe refusait positivement d’admettre les Phokiens comme parties à la convention.

Cette détermination, formellement annoncée par Antipater à Athènes, a dû probablement être communiquée par Philippe lui-même à Philokratês et à Æschine, pendant leur mission en Macédoine. Aussi Philokratês, quand il fit sa motion au sujet des conditions de la paix, avait-il proposé que les Phokiens et Halos fussent spécialement exclus (comme je l’ai déjà, raconté). Toutefois, maintenant que l’assemblée athénienne, en repoussant expressément cette exclusion, avait décidé que les Phokiens seraient, reçus comme parties, tandis que les ambassadeurs de Philippe les rejetaient tout aussi expressément, — les chefs de la paix, Æschine et Philokratês, furent dans un grand embarras. Ils n’avaient qu’un seul moyen de triompher de la difficulté : c’était de faire de fallacieuses promesses et des assurances non autorisées d’intention future au nom de Philippe. En conséquence, ils annoncèrent avec confiance que le roi de Macédoine, bien qu’empêché par ses relations avec les Thêbains et les Thessaliens (qui lui étaient nécessaires tant qu’il était eu guerre avec Athènes) de recevoir ouvertement les Phokiens comme alliés, était néanmoins au fond du cœur décidément opposé aux Thêbains, et que, s’il avait une fois les bras libres en concluant la paix avec Athènes, il interviendrait dans la querelle précisément de la manière que les Athéniens désiraient ; qu’il soutiendrait les Phokiens, rabattrait l’insolence de Thèbes, et même détruirait l’intégrité de la cité, — en rendant aussi leur autonomie à Thespiæ, à Platée et aux autres villes bœôtiennes, actuellement dans la dépendance de Thèbes. Les assurances générales — mises antérieurement en circulation par Aristodêmos, par Ktesiphôn et par d’autres, — du désir de Philippe d’être jugé favorablement par les Athéniens, — furent à ce moment grossies davantage, et allèrent jusqu’à affirmer une communauté supposée d’antipathie contre Thèbes, et même une disposition à accorder à Athènes une compensation pour la perte d’Amphipolis, en là rendant maîtresse complète de l’Eubœa, aussi bien qu’en recouvrant Orôpos pour elle.

 

À suivre

 

 

 



[1] Dinarque, cont. Démosthène, p. 93 ; Démosthène, Fals. Leg., p. 439, 440. Démosthène assure aussi que des femmes olynthiennes furent données en présent par Philippe à Philokratês (p. 386-440). L’outrage que, selon lui (p. 401), Æschine et Phrynôn avaient fait subir à des femmes olynthiennes en Macédoine ne doit pas être admis comme un fait, puisqu’il est nié avec indignation par Æschine (Fals. Leg., init. et p. 48). Cependant c’est probablement une peinture qui West que trop fidèle d’actes réels, commis par d’autres, sinon par Æschine.

[2] L’histoire du vieillard d’Olynthos (Sénèque, Controverses, V, 10) acheté par le peintre Parrhasios, et mis à la torture pour former le sujet d’un tableau représentant les souffrances de Promêtheus, — est plus que douteuse, puisque Parrhasios, déjà en grande réputation comme peintre avant 460 avant J.-C. (voir Xénophon, Mémorables, III, 10), peut difficilement avoir été encore florissant en 347 avant J.-C. Toutefois, elle fait voir du moins une des mille formes des souffrances de l’esclavage réalisées à l’occasion.

[3] Démosthène, Fals. Leg., p. 384-401 ; Diodore, XVI, 55.

[4] Justin, VIII, 3.

[5] Æschine, Fals. Leg., p. 37, c. 24.

[6] Æschine, Fals. Leg., p. 30.

[7] Æschine, Fals. Leg., p. 37.

[8] Démosthène, Fals. Leg., p. 134.

[9] Démosthène, Fals. Leg., p. 438, 439.

[10] Démosthène affirme cela à deux reprises différentes, — Fals. Leg., p. 415-431 ; De Coronâ, p. 213.

Stechow (Vita Æschinis, p. 1-10) réunit le peu que l’on peut établir relativement à Æschine.

[11] Denys d’Halicarnasse, De adm. Vi dicendi Demosth., p. 1063 ; Cicero, Orat., c. 9, 29.

[12] Démosthène, Fals. Leg., p. 344-438 ; Æschine, Fals. Leg., p. 38. La conduite d’Æschine dans cette conjoncture est à peu près la même que celle que décrit son rival et qu’il admet lui-même. Ce fut, en vérité, une des plus honorables époques de sa vie.

[13] Démosthène, Fals. Leg., p. 433. Ce décret doit avoir été proposé par Timarchos soit vers la fin de l’Olympiade 108, 1, — soit vers le commencement de l’année suivante, Olympiade 108, 2, c’est-à-dire peu avant ou peu après le solstice d’été de 347 avant J.-C. Mais laquelle de ces deux dates est à préférer, c’est là matière à controverse. Franke (Prolegom. ad Æschine, cont. Timarchum, p. 38. — 41) pense que Timarchos était sénateur dans l’Olympiade 108, 1, — et qu’il proposa le décret alors ; il suppose que le discours d’Æschine fut prononcé au commencement de l’Olympiade 108, 3, — et que l’expression (p. 11) annonçant Timarchos comme ayant été sénateur l’année d’avant doit être expliquée peu rigoureusement comme signifiant l’avant-dernière année.

M. Clinton, Bœckh, et Westermann supposent que le discours d’Æschine contre Timarchos fut prononcé dans l’Olympiade 108, 4, — non dans l’Olympiade 108, 3. Sur cette supposition, si nous prenons le mot πέρυσιν dans son sens ordinaire, Timarchos était sénateur en 108, 3. Or, il est certain qu’il ne proposa pas le décret qui interdisait l’exportation de munitions maritimes à livrer à Philippe, à une date aussi avancée que 108, 3, vu que la paix avec Philippe fut conclue en Elaphebolion Olympiade 108, 2 (mars 346 av. J.-C.). Mais on pourrait admettre la supposition que Timarchos fut sénateur en deux années différentes, — dans l’Olympiade 108, 1, et dans l’Olympiade 108, 3 (non dans deux années consécutives). Dans ce cas, l’année sénatoriale de Timarchos, à laquelle Æschine fait allusion (cont. Timarchos, p. 11), serait l’Olympiade 108, 3, tandis que l’année sénatoriale dans laquelle Timarchos proposa le décret interdisant l’exportation serait l’Olympiade 108, 1.

Néanmoins, je partage les idées de Boehnecke (Forschungen, p. 294), qui pense que le discours fut prononcé Olympiade 108, 3, — et que Timarchos avait été sénateur et avait proposé le décret interdisant l’exportation de munitions destinées à Philippe dans l’année précédente, — c’est-à-dire Olympiade 108, 2, au commencement de l’année, — solstice d’été 347 av. J.-C.

[14] Démosthène, Fals. Leg., p. 348-445.

[15] Æschine, Fals. Leg., p. 29.

[16] Il y a plus d’une singularité dans le récit fait par Æschine au sujet de Phrynôn. La plainte de Phrynôn ferait croire que la trêve Olympique suspendait les opérations de guerre partout d’une extrémité à l’autre de la Grèce, entre des Grecs belligérants. Mais telle n’était pas la maxime reconnue ou pratiquée, autant que nous connaissons les opérations guerrières. Vœmel (Proleg. ad Demosth., De Pace, p. 246), sentant cette difficulté, croit que la trêve Olympique mentionnée ici se rapporte à la fête Olympique célébrée par Philippe lui-même en Macédoine, dans le printemps ou l’été de 347 avant J.-C. Cette supposition écarterait la difficulté au sujet de l’effet de la trêve ; car Philippe devait naturellement respecter sa propre trêve proclamée. Mais elle prête à une autre objection : c’est qu’Æschine indique clairement la capture de Phrynôn comme ayant été antérieure à la chute d’Olynthos. En outre, Æschine se servirait difficilement des mots έν ταϊς Όλυμπικαϊς σπονδαϊς, sans aucune addition spéciale pour signifier les jeux Macédoniens.

[17] Æschine, Fals. Leg., p. 30, c. 7 ; cont. Ktesiphôn, p. 63. Ce que nous savons de ces événements est tiré presque complètement de l’un ou de l’autre, ou de l’un et de l’autre des deux orateurs rivaux, dans leurs discours prononcés quatre ou cinq ans plus tard au procès De Falsâ Legatione. Démosthène cherche à prouver qu’avant l’ambassade en Macédoine, à laquelle lui et Æschine prirent part conjointement, — Æschine était fortement disposé à 1 a continuation de la guerre contre Philippe, et ne devint le partisan de ce prince que pendant et après l’ambassade. Æschine ne nie pas qu’il fît des efforts à ce moment-là pour obtenir qu’on fît à Philippe une guerre plus efficace, et le fait n’est nullement à son déshonneur. D’autre part, il cherche à prouver contre Démosthène, que lui (Démosthène) était à cette époque à la fois partisan d’une paix avec Philippe et ami de Philokratês, auquel il devint plus tard si fortement opposé. Dans ce dessein, Æschine signale la motion de Philokratês à l’effet de permettre à Philippe d’envoyer des ambassadeurs à Athènes, — et le discours dé Démosthène dans le dikasterion ex faveur de Philokratês.

Il n’y aurait rien de déshonorant pour Démosthène si ces deux allégations étaient regardées comme exactes. La motion de Philokratês était complètement indéterminée ; elle n’engageait Athènes à rien, et Démosthène pouvait bien regarder comme déraisonnable d’attaquer un homme d’État pour une semblable motion.

[18] Æschine, Fals. Leg., p. 30, c. 8.

Pour expliquer l’effet de cette scène touchante sur l’assemblée athénienne, nous pouvons rappeler la scène mémorable mentionnée par Xénophon et par Diodore (Xénophon, Hellenica, I, 7, 8 ; Diodore, XIII, 101) après la bataille des Arginusæ, alors que les parents des guerriers qui avaient péri à bord des vaisseaux coulés bas se présentèrent devant l’assemblée, la tête rasée et avec des habits de deuil. Cf. aussi, au sujet de présentations de supplication solennelle à l’assemblée, Démosthène, De Coronâ, p. 262, — avec la note de Dissen, et Æschine, cont. Timarchum, P. 9, c. 13.

[19] Démosthène, De Pace, p. 58.

[20] Æschine (Fals. Leg., p. 30, c. 8) mentionne seulement Aristodêmos. Mais d’après divers passages du discours de Démosthène (De Fals. Leg., p. 344, 346, 371, 443), nous concluons que l’acteur Neoptolemos a dû lui être adjoint ; peut-être aussi l’Athénien litesiph8n, bien que ce soit moins certain. Démosthène mentionne une seconde fois Aristodêmos, dans le discours De Coronâ (p. 232) comme le premier auteur de la paix.

Démosthène (De Pace, p. 58) avait, même avant cela, dénoncé Neoptolemos comme jouant à Athènes un jeu perfide en faveur ces desseins de Philippe. Peu après la paix, Neoptolemos vendit tous ses biens à Athènes, et alla résider en Macédoine.

[21] Æschine, Fals. Leg., p. 30, c. 8.

[22] Diodore, XVI, 58 ; Démosthène, Fals. Leg., p. 385-387 ; Æschine, Fals. Leg., p. 45, c. 41.

[23] Diodore, XVI, 56.

[24] Diodore, XVI, 56, 57.

[25] Æschine, Fals. Leg., p. 62, c. 41 ; Diodore, XVI, 59.

[26] Æschine, Cont. Ktesiphôn, p. 73, c. 44 ; Démosthène, De Coronâ, p. 231. Démosthène, dans son discours De Coronâ, prononcé bien des années après ces faits, affirme l’éventualité d’une alliance entre Athènes et Thèbes à ce moment, comme ayant été beaucoup plus probable qu’il n’ose le dire dans le discours plus ancien De Falsâ Legatione.

[27] Démosthène, Fals. Leg., p. 392.

[28] Æschine, Fals. Leg., p. 46, c. 41. C’est cette mention du μυστηρωτίδες οπονδαί qui sert d’indication de temps pour l’événement. Les mystères éleusiniens se célébraient dans le mois Bœdromion (septembre). Ces événements se passèrent en septembre 347 avant J.-C. Olympiade 108, 2, — l’archontat de Themistoklês à Athènes. Il y a aussi une autre indication de temps donnée par Æschine ; c’est que l’événement arriva avant qu’il fût nommé ambassadeur (p. 46, c. 41). Cela réfute la supposition de Vœmel (Proleg. ad Démosthène, de Pace, p. 255), qui rapporte le fait au mois suivant Elaphebolion (mars), en s’appuyant sur quelques autres mots d’Æschine qui donnent à entendre que la nouvelle parvint à Athènes pendant que les Athéniens étaient en train de délibérer au sujet de la paix. Boehnecke aussi suppose que les mystères auxquels il est fait allusion ici sont les petits mystères célébrés en Anthesterion, — non les grands, qui appartiennent à Bœdromion. Cette ; supposition me parait improbable et inutile. Nous pouvons raisonnablement croire qu’il y eut bien des discussions sur la paix à Athènes, avant que les ambassadeurs fussent réellement nommés. Quelques-uns des débats peuvent bien avoir en lieu dans le mois Bœdromion.

[29] C’est dans cette conjoncture, quand nous essayons de reconnaître les affaires diplomatiques entre Athènes et Philippe, depuis l’été de 347 jusqu’à celui de 346 avant J.-C., — que nous nous trouvons plongés au milieu des assertions contradictoires des deux orateurs rivaux, — Démosthène et Æschine, avec très peu d’autorité historique véritable pour les contrôler. En 343-312 avant J.-C., Démosthène accusa Æschine d’avoir, par corruption, trahi l’intérêt d’Athènes dans la seconde de ses trois ambassades auprès de Philippe (en 346 av. J.-C.). La longue harangue (De False Legatione), qui existe encore, et où se trouve son accusation, entre dans d’abondants détails relativement a la paix avec ses antécédents et ses conséquents immédiats. Nous possédons également le discours prononcé par Æschine, qui renferme sa défense et une contre-accusation de Démosthène ; discours qui roule sur le même sujet, d’une manière appropriée à son dessein et à son point de vue. En dernier lieu, nous avons les deux discours prononcés plusieurs années plus tard (en 330 av. J.-C.), d’Æschine qui poursuit Ktesiphôn, et de Démosthène qui le défend ; la conduite de Démosthène quant à la paix de 346 avant J.-C. y devient de nouveau le sujet d’un débat. Toutes ces harangues sont intéressantes, non seulement comma compositions éloquentes, mais encore à cause de l’idée frappante qu’elles donnent du sentiment vivant et de la controverse du temps. Mais quand nous essayons d’en tirer des faits historiques réels et authentiques, elles commencent b devenir péniblement embarrassantes, tant sont manifestes les contradictions non seulement entre les deux rivaux, mais même entre les premiers et les seconds discours du même orateur, en particulier d’Æschine, tant est évident l’esprit de perversion, si peu scrupuleuses sont les manifestations de sentiment hostile des deux côtés. Nous pouvons ajouter peu de foi aux allégations de l’un des orateurs contre l’autre, excepté là où quelques raisons collatérales de fait ou de probabilité peuvent être présentées à l’appui. Mais les allégations de chacun d’eux quant aux faits qui ne prouvent pas contre l’autre sont précieuses ; même les faux exposés, vu que nous les avons des deux côtés, fourniront parfois une correction mutuelle, et nous verrons souvent qu’il est possible de découvrir une base de fait réel que l’un ou que tous deux peuvent chercher à dénaturer, mais que ni l’un ni l’autre ne peut oser mettre de côté, ou éloigner complètement des yeux. Il est, à vrai dire, profondément regrettable qua nous sachions si peu de l’histoire, excepté ce qu’il convient à l’un ou à l’autre de ces orateurs rivaux (animés chacun de desseins totalement différents de celui de l’historien) de nous faire connaître soit par une mention indirecte, soit par une allusion détournée.

[30] Æschine, Fals. Leg., p. 30, s. 9, p. 31, c. 10, p. 34, c. 20 ; Argumentum II, ad Démosthène, Fals. Legat.

[31] Démosthène, Fals. Leg., p. 442. Cf. p. 369, 387, 391.

[32] Démosthène, Fals. Leg., p. 392.

[33] Æschine, Fals. Leg., p. 31, c. 10, 11.

[34] Æschine, Fals. Leg., p. 31, c. 11.

[35] Æschine, Fals. Leg., p. 32, c. 13, 14.

[36] Æschine, Fals. Leg., p. 32, 33, c. 15. Démosthène lui-même parle peu ou point de cette première ambassade, et il ne dit rien du tout ni de son propre discours ni de celui d’Æschine.

[37] Æschine, Fals. Leg., p. 33, c. 17, 18. L’effet des manières et de la conduite de Philippe sur Ktesiphôn l’ambassadeur est présenté ici avec force par Æschine.

[38] Æschine, Fals. Leg., p. 34, c. 19 ; Démosthène, Fals. Leg., p. 414. Ce vote de remerciements et cette invitation à dîner paraissent avoir été une coutume si uniforme que Démosthène (Fals. Leg., p. 350) explique le refus du compliment, lors du retour de la seconde ambassade, comme une honte sans pareille. Que Démosthène eût proposé une motion d’une formalité si habituelle, c’est là un fait de peu d’importance. Il prouve plutôt que les relations de Démosthène avec ses collègues pendant l’ambassade ne peuvent avoir été d’un caractère aussi mauvais qu’Æschine l’a affirmé. Démosthène lui-même reconnaît qu’il ne commença pas à soupçonner ses collègues avant les débats qui eurent lieu à Athènes après le retour de cette première ambassade.

[39] Démosthène, Fals. Leg., p. 344. Cf. p. 371.

[40] Il y a une grande contradiction entre les deux orateurs, Æschine et Démosthène, quant à ce discours d’Æschine devant Philippe relativement à Amphipolis. Démosthène représente Æschine comme ayant dit dans ce compte rendu fait au peuple à son retour : — Je n’ai rien dit au sujet d’Amphipolis, afin de pouvoir laisser ce sujet tout frais pour Démosthène, etc.

Cf. Démosthène, Fals. Leg., p. 421 Æschine, Fals. Leg., p. 33, 34, c. 18, 19, 21.

Quant à ce fait particulier, j’incline à croire Æschine plutôt que son rival. Il fit probablement un discours éloquent au sujet d’Amphipolis devant Philippe.

[41] Le huitième jour d’Elaphebolion tomba peu de temps après leur arrivée, de sorte qu’il est possible qu’ils soient même arrivés à Athènes dans les derniers jours du mois Anthesterion (Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 63, c. 24). Le lecteur comprendra que les mois lunaires grecs ne correspondent pas précisément avec les nôtres, mais qu’ils n’y correspondent que d’une manière approximative.

[42] Démosthène, Fals. Leg., p. 354. Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 85. Æschine fait allusion à cette lettre, Fals. Leg., p. 34, c. 21.

[43] Démosthène, Fals. Leg., p. 365.

[44] Æschine, Fals. Leg., p. 39, c. 26 ; Æschine, contre Ktesiphôn, p. 63, c. 23.

[45] Æschine, Fals. Leg., p. 34, c. 20, 21.

[46] Æschine, Fals. Leg., p. 34, 35, c. 21 ; Démosthène, Fals. Leg., p. 421. Cependant Æschine, en racontant les mêmes faits dans son discours contre Ktesiphôn (p. 62, c. 23), dit simplement que Démosthène fit à cette assemblée un exposé des opérations de la première ambassade semblable à celui que firent les autres ambassadeurs.

Le point mentionné dans le texte (à savoir que Démosthène accusa Æschine de répugnance à laisser quelque chose à dire à tout autre orateur) est un de ceux qui paraissent à la fois dans Æschine et dans Démosthène, De Fals. Leg., et peut par conséquent en général être considéré comme s’étant présenté. Mais probablement le renseignement donné an peuple par Démosthène quant aux opérations de l’ambassade fût en substance le même que celui de ses collègues. Car, bien que le dernier discours d’Æschine soit en lui-même un témoignage moins digne de confiance que le premier, — cependant, quand nous trouvons deux assertions différentes d’Æschine relativement, à Démosthène, nous pouvons raisonnablement présumer que celui qui est le moins défavorable est le plus croyable des deux.

[47] Æschine, Fals. Leg., p. 34, 35, 42, c. 20, 21, 34 ; Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 62, 63, c. 23, 24. Dans le premier de ces deux discours, Æschine ne fait pas mention du décret proposé par Démosthène relativement à l’assemblée pour le huit d’Elaphebolion. Il le mentionne dans le discours contre Ktesiphôn, avec une spécification considérable.

[48] Æschine, Fals. Leg., p. 36, c. 22. Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 63, c. 24. Ce dernier décret, fixant les deux jours spéciaux du mois, ne pouvait guère avoir été proposé qu’après que les ambassadeurs de Philippe étaient réellement arrivés à Athènes.

[49] Æschine, Fals. Leg., p. 427 c. 34 ; adv. Ktesiphôn, p. 62, c. 22 ; Démosthène, Fals. Leg., p. 414 ; De Coronâ, p. 234. Cette courtoisie et cette politesse à l’égard des ambassadeurs macédoniens sont admises par Démosthène lui-même. Ce n’était pas une circonstance dont il eût aucune raison de rougir.

[50] J’insère dans le texte ce qui me parait la vérité probable au sujet de cette résolution du congrès confédéré. Le point est obscur et a été considéré différemment par différents commentateurs.

Démosthène affirme, dans son premier discours (De Fals. Leg., p. 346) qu’Æschine tint un langage honteux dans sa harangue devant l’assemblée publique, le 19 Elaphebolion (en vue de prouver qu’Athènes devrait agir pour elle seule, et ne pas s’inquiéter des autres Grecs, si ce n’est de ceux qui l’avaient assistée) ; et cela encore, en présence de ces envoyés des autres cités grecques, que les Athéniens avaient fait venir à l’instigation d’Æschine lui-même et qui entendaient ses paroles La présence de ces envoyés dans l’assemblée, impliquée ici, n’est pas l’accusation principale ; ce n’est qu’une aggravation collatérale ; néanmoins, Æschine (comme c’est souvent le cas dans toute sa défense) s’attache presque entièrement à l’aggravation, sans faire relativement attention à l’accusation principale. Il affirme avec beaucoup de force (Fals. Leg., p. 35) que les ambassadeurs envoyés d’Athènes en mission n’étaient pas revenus, et qu’il n’y avait pas de députés présents d’aucune cité grecque.

Il me semble raisonnable ici de croire l’assertion de Démosthène, à savoir qu’il y avait des députés d’autres cités grecques présents, bien que lui-même, dans son discours postérieur (De Coronâ, p. 232, 233), parle comme s’il n’en était pas ainsi, comme si tous les Grecs avaient été depuis longtemps reconnus comme lâches dans la cause de la liberté, et comme s’il n’y avait pas d’ambassadeurs d’Athènes absents alors en mission. J’accepte l’assertion positive d’Æschine comme vraie, — à savoir qu’il y avait des ambassadeurs athéniens alors absents en mission, qui pouvaient bien, à leur retour, ramener avec eux des députés d’autres Grecs ; mais je n’admets pas son assertion négative, — à savoir qu’aucun ambassadeur athénien n’était revenu de sa mission, et qu’il ne vint à Athènes aucun député des autres cités grecques. Que parmi beaucoup d’ambassadeurs athéniens envoyés en mission, tous échouassent, — c’est ce qui me paraît très improbable.

Si nous suivons l’argumentation d’Æschine (dans le discours De Fals. Leg.), nous verrons qu’il suffit de supposer que quelques-uns des ambassadeurs envoyés en mission fussent absents, et non pas tous. Pour prouver ce fait, il cite (p. 35, 36) la résolution du congrès confédéré, faisant allusion aux ambassadeurs absents, et recommandant une certaine marche à prendre après leur retour. Cela n’implique pas nécessairement que tous étaient absents. Stechow fait remarquer avec juste raison que quelques-uns des ambassadeurs devaient nécessairement être longtemps dehors, ayant à visiter plus d’une cité, et peut-être des cités éloignées les unes des autres (Vita Æschinis, p. 41).

J’accepte également ce que dit Æschine au sujet de la résolution du congrès confédéré, comme étant vrai en substance. Au sujet du sens réel de cette résolution, il est conséquent avec lui-même, tant dans le premier que dans le second discours. Winiewski (Comment. Historic. in Démosthène, De Coronâ, p. 74-77) et Westermann (De Litibus quas Demosthenes oravit ipse, p. 38-42) affirme, je crois sans raison, que le sens de cette résolution est différemment représenté par Æschine dans le premier et dans le second discours. Ce qui est réellement différent dans les deux discours, c’est la manière dont Æschine pervertit le sens de la  résolution pour inculper Démosthène ; en affirmant dans le dernier que si Athènes avait attendu le retour de ses ambassadeurs en mission, elle aurait pu faire la paix avec Philippe conjointement avec un corps considérable d’alliés grecs, et que ce fut Démosthène qui l’empêcha de le faire en pressant les discussions au sujet de la paix (Æschine, adv. Ktesiphôn, p, 61-63), etc. Westermann pense que le congrès confédéré ne dut pas prendre sur lui de prescrire combien les Athéniens convoqueraient d’assemblées publiques dans le dessein de discuter la paix. Mais il parait que c’était une habitude ordinaire chez les Athéniens, au sujet de la paix ou d’autres questions spéciales et importantes, de convoquer deux assemblées pour deux jours se succédant immédiatement ; tout ce que le congrès recommandait ici, c’était que les Athéniens suivissent la coutume établie. Que deux assemblées, ni plus ni moins, fussent convoquées pour ce dessein, c’était un point d’une importance peu considérable, si ce n’est qu’il indiquait une détermination de — décider la question immédiatement — sans désemparer.

[51] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 64.

[52] Démosthène, Fals. Leg., p. 391.

[53] Démosthène, Fals. Leg., p. 345, 346.

[54] Æschine, Fals. Leg., p. 36.

[55] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 63, 64.

[56] Æschine, Fals. Leg., p. 39.

[57] D’après les considérations présentées ici, nous pouvons apprécier les accusations d’Æschine contre Démosthène, même sur son propre exposé, bien que la marche précise de l’un ou de l’autre ne soit pas très claire.

Il accuse Démosthène de s’être vendu à Philippe (adv. Ktesiphôn, p. 63, 64) ; accusation complètement futile et incroyable, réfutée par toute la conduite de Démosthène, tant avant qu’après. Démosthène reçut-il des présents d’Harpalos — ou de la cour de Perse, — c’est ce qui fera l’objet d’un examen futur. Mais l’allégation qu’il avait été gagné par Philippe est absurde, Æschine lui-même avoue qu’elle était tout à fait en opposition avec l’opinion reçue à Athènes (adv. Ktesiphôn, p. 62, c. 22).

Il accuse Démosthène de s’être, sous l’influence de ces présents, opposé aux recommandations du congrès confédéré et de les avoir fait échouer, — d’avoir insisté pour qu’on discutât la paix immédiatement, — et d’avoir ainsi empêché Athènes d’attendre le retour de ses ambassadeurs absents, ce qui lui aurait permis de faire la paix conjointement avec un corps puissant de Grecs prêtant leur concours. Cette accusation est avancée par Æschine, d’abord dans son discours De Fals. Leg., p. 36, — ensuite, plus longuement et avec plus de force, dans le dernier discours, adv. Ktesiphôn, p. 63, 64. Par ce qui a été dit dans le texte, on verra qu’un pareil ajournement indéfini, lors qu’Antipater et Parmeniôn étaient présents à Athènes à la suite d’une invitation, était complètement impossible, sans que la négociation fût rompue, pour ne pas mentionner qu’Æschine lui-même affirme, dans le langage le plus fort, l’impossibilité reconnue certaine de déterminer aucun autre des Grecs à se joindre à Athènes, et qu’il se plaint amèrement de leurs dispositions peu empressées (Fals. Leg., p. 38, c. 25). En ce point Démosthène s’accorde parfaitement avec lui (De Coronâ, p. 231, 232). De sorte que, même s’il avait pu y avoir un ajournement, il n’aurait produit pour Athènes ni avantage, ni augmentation de force, puisque les Grecs n’étaient pas disposés à coopérer avec elle.

L’accusation d’Æschine contre Démosthène est ainsi insoutenable, et elle suggère sa propre réfutation, et cela de la bouche de l’accusateur lui-même. Démosthène, il est vrai, y répond d’une manière différente. Lorsque Æschine dit : — Tu pressais la discussion au sujet de la paix, sans permettre à Athènes d’attendre le retour de ses envoyés, alors absents en mission ; — Démosthène répond : — Il n’y avait pas d’envoyés athéniens absents alors en mission. Il y avait longtemps qu’on avait reconnu que les Grecs étaient d’une apathie incurable. (De Coronâ, p. 233). C’est une réponse tranchante et décisive, que Démosthène pouvait peut-être hasarder sans danger, a un intervalle de treize années après les événements. Mais il est heureux qu’on puisse fournir une autre réponse, car je crois que l’assertion n’est ni exacte comme fait, ni compatible avec ce que Démosthène affirme lui-même dans son discours De Fals. Legatione.

[58] Démosthène, Fals. Leg., p. 391-430. Æschine affirme fortement, dans son dernier discours contre Ktesiphôn (p. 63), que Démosthène soutint avec chaleur la motion de Philokratês au sujet d’une alliance aussi bien que d’une paix avec Philippe. Il déclare donner la phrase précise employée par Démosthène, — phrase qu’il critique comme peu élégante. Il ajoute que Démosthène appela à la tribune l’ambassadeur macédonien Antipater, lui posa une question, et obtint une réponse concertée à l’avance. Que peut-il y avoir de vrai là-dedans, c’est ce que je ne puis dire. La version donnée par Æschine dans son dernier discours est, comme d’ordinaire, différente de celle qui se trouve dans son premier.

L’accusation contre Démosthène, de collusion corrompue avec Antipater, est incroyable et absurde.

[59] Æschine, adv. Timarchos, p. 24, 25, c. 34.

[60] Démosthène, Fals. Leg., p. 434.

[61] Démosthène, Fals. Leg., p. 385.

[62] Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 81-83. Démosthène dans un passage (Fals. Leg., p. 385) parle comme si c’était une partie du serment athénien, — qu’ils s’opposeraient à tous ceux qui essayeraient d’enlever à Philippe et de rendre à Athènes les places reconnues actuellement comme possessions de ce prince pour l’avenir, et qu’ils les regarderaient comme des ennemis. Bien que Vœmel (Proleg. ad Demosth., De Pace, p. 265) et Boehnecke (p. 303) insèrent ces mots comme faisant partie de la formule réelle, je doute qu’ils soient rien de plus qu’un développement explicatif, donné par Démosthène lui-même, du sens de la formule.

[63] Nous apprenons ce fait par les discussions subséquentes destinées à modifier la paix, et que mentionne le Pseudo-Démosthène, De Halonneso, p. 84.

[64] Æschine, Fals. Legat., p. 39, c. 26.

[65] Cette date est conservée par Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 64, c. 27. Dans le premier discours (De Fals. Leg., p. 40, c. 29), Æschine affirme que Démosthène était du nombre des proedri ou sénateurs présidents d’une assemblée publique tenue έβδόμη φθίνοντος, — la veille. Il est possible qu’il y ait eu deux assemblées publiques tenues deux jours successifs (le 23 et le 24, ou le 24 et le 25, suivant que le mois Elaphebolion se trouvait dans cette année avoir 30 ou 29 jours), et que Démosthène ait été au nombre des proedri dans l’une et dans l’autre. Mais ce qui est indiqué (dans le discours contre Ktesiphôn) comme s’étant fait dans le dernier des deux jours — a dû précéder ce qui est mentionné (dans le discours De Fals. Leg.) comme s’étant fait dans le premier, ou du moins il ne peut l’avoir suivi ; de sorte qu’il y a, à ce qu’il semble, une inexactitude dans l’un où dans l’autre. Si le mot έκτη, dans le discours contre Ktesiphôn, et έβδόμη dans la harangue sur la Fausse Ambassade, sont tous deux exacts, les affaires mentionnées dans l’un ne peuvent être conciliées sous le rapport chronologique avec celles racontées dans l’autre. On a proposé diverses modifications conjecturales. V. Vœmel, Proleg. ad Démosthène, Orat. de Pace, p. 257 ; Boehnecke, Forschungen, p. 3413.

[66] Æschine, Fals. Leg., p. 39.

Cette έκκλησία semble la même que celle qui est nommée par Æschine dans le discours contre Ktesiphôn, comme ayant été tenue le 25 d’Elaphebolion.

[67] Démosthène, Fals. Leg., p. 397.

[68] Cf. Æschine, Fals. Leg., p. 39, c. 39, avec Æschine, cont. Ktesiphôn, p. 61, c. 27.

Frauke (Proleg. ad Demosth., Fals. Leg., p. 30, 31) fait quelques réflexions sévères sur la différence entre les deux assertions.

Que la question d’admettre Kersobleptês fût posée et suivie d’un vote affirmatif, c’est ce que prouve l’assertion d’Æschine dans le discours De Fals. Leg. Cf. Démosthène, De Fals. Leg., p. 398, et Démosthène, Philippiques, IV, p. 133.

Philippe, dans sa lettre adressée aux Athéniens quelques années plus tard, affirmait que Kersobleptês désirait être admis à prêter serment, mais qu’il fut exclu par les généraux athéniens, qui déclarèrent que c’était un ennemi d’Athènes (Epist. Philip., ap. Démosthène, p. 160). S’il est vrai que les généraux essayèrent de l’exclure, leur exclusion a dû céder devant le vote de l’assemblée.