HISTOIRE DE LA GRÈCE

DEUXIÈME VOLUME

CHAPITRE I — LÉGENDE DE TROIE

 

 

Nous arrivons maintenant au point capital et culminant de l'épopée grecque, - les deux sièges et la prise de Troie, avec les destinées des héros dispersés, Troyens, aussi bien que Grecs, après la seconde prise, qui est la plus célèbre, et la destruction de la ville.

Un gros volume serait nécessaire pour donner quelque idée passable de la grande étendue et du vaste épanouissement de cette intéressante fable, traitée d'abord par tant de poètes épiques, lyriques et tragiques, arec leurs additions, leurs transformations et leurs contradictions sans fin; - puis épurée et refondue par les investigations historiques, qui, sous prétexte d'écarter les exagérations des poètes:, introduisirent une veine nouvelle d'invention prosaïque ; - enfin, revêtue par les philosophes d'une couleur morale et 'allégorique. Dans la présente .et brève esquisse du champ général de la légende grecque, ou de ce que les Grecs croyaient être leurs antiquités, la guerre de Troie peut être regardée comme étant le seul parmi un nombre considérable d'incidents qu'Hécatée et Hérodote considérassent comme composant leur passé. Prise comme un événement légendaire spécial, elle offre, il est vrai, un intérêt plus vaste et plus grand que tout autre ; mais c'est une erreur de l'isoler du reste, comme si elle reposait sur une base différente et plus digne de foi. Je dois donc me borner à un récit abrégé des faits principaux, et courants ; et parmi les nombreuses assertions contradictoires que l'on peut trouver sur chacun d'eux, je ne connais pas de meilleur motif de préférence qu'une antiquité relative, bien que les plus vieux contes que nous possédions - ceux que contient l'Iliade - en présupposent évidemment d'autres d'une date antérieure.

Le premier auteur de la ligne troyenne de rois est Dardanos, fils de Zeus, fondateur et éponyme de Dardania[1] : des auteurs plus modernes rapportaient que Dardanos était fils de Zeus et d'Elektra, fille d'Atlas, et ils disaient de plus qu'il était venu de Samothrace, ou d'Arcadia, ou d'Italie[2]; mais il n'en est nullement fait mention dans Homère. La première ville dardanienne fondée par lui était dans une position élevée sur la pente du mont Ida; car il n'était pas encore assez fort pour s'établir dans la plaine. Mais son fils Erichthonios, grâce â la faveur de Zeus, devint le plus opulent des hommes. Ses troupeaux de petit et de grand bétail ayant multiplié, il avait dans ses pâturages trois mille juments, dont quelques-unes, fécondées par Boreas, donnèrent des chevaux d'une légèreté surnaturelle. Trôs, fils d'Erichthonios, l'éponyme des Troyens, eut trois fils, - Ilos, Assarakos et le beau Ganymêdês, que Zeus enleva pour en faire son échanson dans l'Olympe, en donnant à son père Trôs, pour prix du jeune homme, un attelage de chevaux immortels[3].

A partir d'Ilos et d'Assarakos la ligne troyenne et la ligne dardanienne divergent; la première passant d'Ilos à Laomedôn, à Priam et à Hectôr; la seconde d'Assarakos à Kapys, à Anchisês et à Æneas. Ilos fonda dans la plaine de Troie la ville sainte d'Ilion; Assarakos et ses descendants restèrent souverains de Dardania[4].

Ce fut sous l'orgueilleux Laomedôn, fils d'Ilos, que Poseidôn et Apollon subirent, par ordre de Zeus, une servitude temporaire ; le premier construisit les murs de la ville, le second gardait les troupeaux de petit et de gros bétail. Quand leur tâche fut accomplie et la période de leur peine expirée, ils réclamèrent la récompense convenue; mais Laomedôn repoussa leur demande avec colère, et même menaça de leur couper les oreilles, de leur lier les pieds et les mains, et de les envoyer dans quelque île éloignée comme esclaves[5]. Il fut puni de sa déloyauté par un monstre marin, que Poseidôn envoya ravager ses champs et exterminer ses sujets. Laomedôn offrit publiquement les chevaux immortels, donnés par Zeus â son père Trôs, comme récompense à quiconque tuerait le monstre. Mais un oracle déclara qu'il fallait lui abandonner une vierge de sang noble, et le sort tomba sur Hêsionê, fille de Laomedôn lui-même. Hêraklês, arrivant à ce moment critique, tua le monstre grâce à un fort construit pour lui par Athênê et les Troyens[6], ce qui lui permit de délivrer la jeune fille exposée ainsi que le peuple; mais Laomedôn, par un second acte de perfidie, lui donna des chevaux mortels au lieu des animaux incomparables qu'il avait promis. Ainsi frustré de son dû, Hêraklès équipa six vaisseaux, attaqua et prit Troie et tua Laomedôn[7], puis il donna Hêsionê à Telamôn, son ami et son allié, de qui elle eut le célèbre archer Teukros[8]. Les habitants de la ville historique d'Ilion conservaient un pénible sentiment de cette expédition ; ils n'offraient pas de culte à Hêraklês[9].

De tous les fils de Laomedôn, Priam[10] était le seul qui eût protesté contre le déni du prix si bien gagné par Hêraklês; aussi le héros l'en récompensa-t-il en le plaçant sur le trône. Il eut un grand nombre de fils et de filles distingués, aussi bien de son épouse Hekabê (Hécube), fille de Kisseus, que d'autres femmes[11]. Parmi les fils étaient Hectôr[12], Pâris, Deiphobos, Helenos, Troilos, Politês, Polydôros; parmi les filles, Laodikê, Kreüsê, Polyxenê et Kassandra.

La naissance de Paris fut précédée de formidables présages; en effet Hekabê rêva qu'elle accouchait d'un tison ardent, et Priam, en consultant les devins, apprit que le fils qui était sur le point de naître lui serait fatal. En conséquence il ordonna que l'enfant fût exposé sur le mont Ida ; mais la funeste bonté des dieux le sauva; et il grandit au milieu des troupeaux de toute espèce, actif, beau, cloué d'une belle chevelure, bien proportionné, et le favori spécial d'Aphrodite[13].

Ce fut â ce jeune berger, pendant sa promenade solitaire sur le mont Ida, que furent amenées les trois déesses Hêrê, Athênê et Apllroditê, afin qu'il pût décider la querelle au sujet de leur beauté relative, querelle née aux noces de Pêleus et de Thetis - et amenée par suite de la combinaison et pour l'accomplissement des profonds desseins de Zeus. Car Zeus, remarquant avec peine le nombre excessif des membres de la race héroïque existant alors, plaignit la terre d'être forcée de supporter un fardeau si écrasant, et résolut de la soulager en excitant une guerre destructive et prolongée[14]. Pâris décerna la palme â Aphroditê, qui lui promit en récompense la possession d'Hélène, épouse du Spartiate Menelaos, - la fille de Zeus et la plus belle des femmes vivant à ce moment. Sur la demande d'Aphroditê, on construisit des vaisseaux pour lui; et il s'embarqua. agi d'accomplir une entreprise si remplie de malheurs éventuels pour sa ville natale, en dépit, des prophéties menaçantes de son frère Helenos, et des avis toujours négligés de Kassandra[15].

Pâris, en arrivant à Sparte, reçut un accueil hospitalier de Menelaos, aussi bien que de Kastôr et Pollux, et put offrir les riches cadeaux qu'il avait apportés pour Hélène[16]. Menelaos alors partit pour la Krête, laissant Hélène traiter son hôte troyen, - moment favorable dont profita Aphroditê pour mener à bonne fin l'intrigue et la fuite des amants Pâris enleva à la fois Hélène et une somme d'argent considérable appartenant à Menelaos - fit un heureux voyage jusqu'à Troie, et y arriva sain et sauf avec sa prise le troisième jour[17].

Menelaos, informé par Iris en quête de la manière perfide dont Pâris avait reconnu son hospitalité, retourna chez lui en toute hâte plein de douleur et d'indignation pour délibérer avec son frère Agamemnon, aussi bien qu'avec le vénérable Nestor, sur le moyen de venger l'outrage. Ils firent connaître l'événement aux six chefs demeurant à l'entour, et trouvèrent chez eux une sympathie universelle : Nestor, Palamêdês et d'autres allèrent partout solliciter appui pour une attaque méditée contre Troie, sous le commandement d’Agamemnon, auquel chaque chef promit à la fois obéissance et des efforts infatigables jusqu'à ce qu'on eût recouvré Hélène[18]. Dix années furent employées à préparer l'expédition. Les déesses Hêrê et Athênê, irritées de la préférence accordée par Pâris â Aphroditê, et excitées par leur constant attachement pour Argos, Sparte et Mykênê, prirent une part active à l'affaire ; et les chevaux, de Hêrê furent fatigués de ses visites faites 'à plusieurs reprises dans différentes parties de la Grèce[19].

De tels efforts finirent par faire rassembler à Aulis[20] en Bœôtia, une armée consistant en 1.186 vaisseaux et en plus de 100.000 hommes, - armée dépassant de plus de dix contre un tout ce que les Troyens eux-mêmes pouvaient opposer, et supérieure aux défenseurs de Troie, même avec tous ses alliés compris[21]. Elle renfermait des héros avec ceux qui les suivaient venus des points extrêmes de la Grèce, - des parties nord-ouest de la Thessalia au pied du mont Olympe, aussi bien que des îles occidentales de Dulichium et d'Ithakê, et des îles orientales de Krête et de Rhodes. Agamemnôn lui-même contribua pour 100 vaisseaux montés par ses propres sujets de Mykênæ; en outre, il fournit 60 vaisseaux aux Arcadiens, qui n'en possédaient pas en propre. Menelaos amena avec lui 60 vaisseaux, Nestôr de Pylos 90, Idomeneus de Krête et Diomêdês d'Argos, chacun 80. Quarante vaisseaux étaient montés par les Eleiens, sous quatre chefs différents ; le même nombre sous Megôs, venus de Dulichium et des Echinades, et sous Thoas, de Kalydôn et des autres villes ætoliennes. Odysseus d'Ithakê et Ajax de Salamis amenèrent 12 vaisseaux chacun. Les Abantes d'Eubœa, sous Elephênôr, remplissaient 40 navires; les Bœôtiens, sous Pêneleôs et Lêitos, 50; les habitants d'Orchomenos et d'Aspledôn, 30; les Locriens armés à la légère, sous Ajax, fils d’Oïleus[22], 40; les Phokiens autant. Les Athéniens, sous Menestheus, chef remarquable par son habileté à ranger une armée, réunirent 50 navires ; les Myrmidons de Phthia et de la Hellas, sous Achille, en rassemblèrent 50; Protesilaos de Phylakê et de Pyrasos, et Eurypylos d'Ormenion, vinrent chacun arec 40 vaisseaux: Machaôn et Podalirios, de Trikka, avec 30; Eumêlos, de Pheræ et du lac Bœbêis, avec 11 ; et Philoktêtês de Melibœa avec 7; les Lapithes, sous Polypœtês, fils de Pirithoos, remplissaient 40 navires; les Ænianes et les Perrhæbiens, sous Gouneus[23], 22; et les Magnètes, sous Prothoos, 40; ces deux derniers étaient des parties les plus septentrionales (le la Thessalia, près des montagnes Pélion et Olympe. De Rhodes, sous Tlêpolemos, fils d'Hêraklês, vinrent 9 vaisseaux ; de Symê, sous le beau mais efféminé Nireus, 3; de Kôs, de Krapathos et des îles voisines, 30, sous les ordres de Phidippos et Antiphos, fils de Thessalos et petits-fils d'Hêraklês[24].

Dans cette troupe de héros étaient compris les guerriers distingués Ajax et Diomêdês, et le sagace Nestôr; tandis qu'Agamemnôn, à peine inférieur à l'un ou à l'autre en bravoure, apportait arec lui une haute réputation de sagesse dans le commandement. Mais les plus remarqués et les plus remarquables de tous étaient Achille et Odysseus ; le premier, beau jeune homme né d'une mère divine, léger â la course, d'un caractère farouche et d'une force irrésistible; le second, allié non moins utile par son éloquence, sa patience infatigable, ses inépuisables ressources dans les difficultés, et le mélange d'audacieux courage et de ruse profonde qui ne l'abandonnait jamais[25] : le sang du maître en fourberie Sisyphos, par suite d'une liaison illégitime avec sa mère Antikleia, coulait, disait-on, dans ses veines[26], et il, était spécialement sous la protection et le patronage de la déesse Athênê. Odysseus, ne roulant pas, d’abord prendre, part à l'expédition, avait été jusqu'à simuler la clémence ; mais Palamêdês, envoyé à Ithakê pour l'y engager éprouva la réalité de sa folie en plaçant dans le sillon qu'Odysseus était en train de tracer avec sa charrue son petit enfant Telemachos. Ainsi découvert, Odysseus ne put refuser de joindre l'armée achæenne ; mais le prophète Halithersês lui prédit que vint années s'écouleraient avant qu'il revit sa terre natale[27]. Pour Achille, les dieux lui avaient promis le plein éclat de la gloire héroïque devant les murs de Troie; la place lie pouvait pas lion plus être prise et sans son concours_ et salis celui de son fils après lui. Mais ils l'avaient prévenu que cette brillante carrière serait rapidement terminée, et que, s'il désirait une longue existence, il devait rester tranquille et obscur dans sa patrie. Marré la résistance de sa mère Thetis, il préféra un petit nombre d'années avec un renom éclatant, et se rendit â l’armée achæenne[28]. Quand Nestôr et Odysseus vinrent à Phthia pour l'inviter, lui et son ami intime Patroklos répondirent avec empressement â l'appel[29].

Agamemnôn et sa puissante armée partirent d'Aulis; mais ne connaissant ni la localité ni la direction, ils abordèrent par méprise en Teuthrania, partie de la Mysia, près du fleuve Kaïkos, et se mirent à ravager le pays dans la persuasion que c'était le voisinage de Troie. Têlephos, roi de la contrée[30], s’opposa à eux et, les repoussa, mais il finit par être défait et grièvement blessé par Achille. Les Grecs, reconnaissant alors leur erreur, se retirèrent ; mais leur flotte fut dispersée par une tempête et repoussée vers la Grèce. Achille attaqua et prit Skyros, et là épousa Deidamia, fille de Lycomêdês[31]. Têlephos, souffrant de ses blessures, reçut de l'oracle le conseil de venir en Grèce et de se présenter â Achille pour être guéri, par l'application des raclures de la lance avec laquelle la blessure avait été faite : ainsi rétabli, il devint le guide des Grecs quand ils furent prêts â renouveler leur expédition[32].

L'armement était dé nouveau assemblé â Aulis, mais la déesse Artemis, mécontente du langage arrogant d'Agamemnôn, prolongea la durée des vents contraires, et le chef qui l'avait offensée fut contraint de l'apaiser par le sacrifice bien connu de sa fille Iphigeneia[33]. Ils s'avancèrent alors jusqu'à Tenedos, d'où Odysseus et Menelaos furent envoyés â Troie comme ambassadeurs, chargés de redemander Hélène et l'or dérobé. Ln dépit des sages conseils d'Antenôr, qui reçut les deux chefs grecs avec une hospitalité amicale, les Troyens rejetèrent la demande, et l'attaque fut résolue. Les dieux avaient décidé que le Grec qui aborderait le premier périrait. Protesilaos fut assez généreux pour s'exposer comme enfant perdu, et en conséquence tomba sous les coups d'Hectôr.

Cependant les Troyens avaient rassemblé un corps considérable d'alliés de diverses parties de l'Asie Mineure et de la Thrace, Dardaniens sous Æneas, Lykiens sous Sarpedôn, Mysiens, Kariens, Mæoniens, Alizoniens[34], Phrygiens, Thraces et Pæoniens[35]. Mais on fit un vain effort pour s'opposer au débarquement des Grecs; les Troyens furent mis en déroute, et même l'invulnérable Kyknos[36], fils de Poseidôn, un des grands boulevards de la défense, fut tué par Achille. Après avoir repoussé les Troyens dans leurs murailles, Achille attaqua et prit d'assaut Lyrnêssos, Pêdasos, Lesbos et autres places dans le voisinage, douze villes sur la côte, et onze dans l'intérieur ; il chassa les boeufs d'Æneas et poursuivit le héros lui-même, qui eut beaucoup de peine à sauver sa vie; il surprit et tua le jeune Trôilos, fils de Priam, et prit plusieurs des autres fils, qu'il vendit comme prisonniers clans les îles de la mer Ægée[37]. Il obtint comme captive la belle Brisêis, tandis que Chrysêis était accordée à Agamemnôn ; de plus il désira vivement voir la divine Hélène, le prix et le stimulant de cette lutte mémorable, et Aphrodite ainsi que Thetis s'arrangèrent pour leur ménager une entrevue[38].

A ce moment de la guerre l'armée grecque fut privée de Palamêdês, un de ses chefs les plus capables. Odysseus n'avait pas pardonné l'artifice à l'aide duquel Palamêdês avait découvert sa démence simulée; il n'était pas non plus sans jalousie contre un rival habile et fin à un degré égal, sinon supérieur, à lui-même, qui avait doté les Grecs de l'invention des lettres, des dés pour leur amusement, des gardes de nuit, de même qu'il leur avait suggéré beaucoup d'autres choses utiles. Suivant le vieux poème épique cyprien, Palamêdês fut noyé à la pêche par les mains d'Odysseus et de Diomêdês[39]. Ni dans l'Iliade ni dans l'Odyssée ne se rencontre le nom de Palamêdês; la position élevée qu'occupe Odysseus dans ces deux poèmes, position signalée avec quelque déplaisir même par Pindare, qui représentait Palamêdês comme le plus sage des deux, suffit pour expliquer l'omission[40]. Mais dans la période plus avancée de l'esprit grec, quand la supériorité intellectuelle comparée à la bravoure militaire en vint à acquérir une place plus élevée dans l'estime publique, le caractère de Palamêdês, combiné avec son destin malheureux, le rendit un des personnages les plus intéressants de la légende troyenne. Eschyle, Sophocle et Euripide lui consacrèrent chacun une tragédie spéciale; mais le genre de sa mort, tel que le décrivait `le vieux poème épique n'allait pas aux idées athéniennes, et en conséquence il fut représenté comme ayant été faussement accusé de trahison par Odysseus, qui fit enterrer de l'or dans sa tente et persuada â Agamemnôn et aux chefs grecs que Palamêdês l'avait reçu des Troyens[41]. Il perdit ainsi la vie, victime de la calomnie d'Odysseus et de l'erreur des principaux Grecs. Le philosophe Socrate, dans le dernier discours qu'in adresse à ses juges athéniens, fait allusion d’un ton solennel et avec un sentiment sympathique à l'injuste condamnation de Palamêdês, comme analogue â celle qu'il est lui-même sur le point de subir ; et ses amis semblent avoir insisté avec complaisance sur la comparaison. Palamêdês passait pour un exemple montrant comment l'inimitié médisante et le malheur font souvent leur victime d'un génie supérieur[42].

L'armée grecque employa neuf années à ces expéditions, et pendant ce temps les Troyens soumis n'osèrent pas livrer bataille hors de leurs murs par crainte d'Achille. Dix années étaient la durée épique fixée pour le siège de Troie, exactement comme cinq années étaient la durée du siége de Kamikos par l’armement krêtois qui vint venger la mort de Minus[43] : dix ans de préparatifs, dix de siège, et dix ans de courses pour Odysseus étaient des périodes qui convenaient aux traits grossiers de la chronologie de l'ancienne épopée, et qui n'inspiraient ni doutes ni difficultés aux auditeurs primitifs. Mais il en fut autrement quand les mêmes événements vinrent à être examinés par ceux des Grecs qui cherchaient dans le passé un élément historique; ils ne purent être contents qu'en trouvant ou en inventant des liens propres à rattacher d'une manière satisfaisante les événements séparés. Thucydide nous dit que les Grecs étaient moins nombreux que les poètes ne l'ont assuré, et que, de plus, étant très pauvres, ils ne pouvaient se procurer des provisions constantes et en assez grande quantité; que par là ils furent forcés de disséminer leur armée et d'en employer une partie à cultiver la Chersonèse, une autre à des courses de maraude dans le voisinage. Si on eût pu faire usage contre Troie de l'armée entière à la fois (dit-il), le siège eût été terminé bien plus vite et bien plus aisément[44]. Si le grand historien pouvait se permettre ainsi de corriger la légende en tant de points, nous aurions pu croire qu'une marche plus simple eût été de comprendre la durée du siège dans la liste des exagérations poétiques, et d'affirmer que le siège réel n'avait duré qu'une année au lieu de dix. Mais il semble que la durée de dix ans était un trait si capital dans l'ancien récit, qu'aucun critique n'osait y toucher.

Cependant une période de relâche relative se présenta alors pour les Troyens. Les dieux -amenèrent le mémorable accès de colère d'Achille, sous l’influence duquel il refusa de revêtir son armure, et retint ses Myrmidons dans le camp. Suivant les vers cypriens, ce fut l'ordre de Zeus, qui avait pitié des Troyens; suivant l'Iliade, Apollon en fut la cause première[45], dans le désir ardent qu'il avait de venger l'injure que son prêtre Chrysês avait subie de la part d'Agamemnôn. Pendant un temps considérable, les combats des Grecs contre Troie furent dirigés sans leur meilleur guerrier, et cruelle, il est vrai, fut l'humiliation qu'ils éprouvèrent par suite de cette absence. Gomment les autres chefs grecs firent de vains efforts pour y remédier, comment Hector et les Troyens les défirent et les repoussèrent jusqu'à leurs vaisseaux, comment l'éclat même de la flamme destructive, lancée par Hector sur le vaisseau de Protesilaos, réveilla Patroklos plein d'inquiétude et de pitié, et arracha, malgré sa résistance, le consentement à Achille, qui autorisa son ami et ses compagnons à sortir et à détourner la ruine imminente des Grecs, - comment Achille, quand Patroklos eut été tué par Hector, oubliant sa colère dans la douleur que lui causait la mort de son ami, revint au combat, repoussa les Troyens jusque dans leurs murailles en faisant d'eux, un immense carnage, et assouvit sa vengeance sur Hector vivant et sur un cadavre, - tous ces événements ont été consignés en même temps que les volontés divines dont le poète fait dépendre la plupart de ces événements dans les vers immortels de l'Iliade.

Homère s'arrête aux funérailles d'Hector, dont-le corps vient d'être racheté par l'inconsolable Priant; tandis que le poème aujourd'hui perdu d'Arktinus, intitulé l'Æthiopis, an tant que nous en pouvons juger par l'argument qui en reste encore, ne traitait que des événements postérieurs du siège. Le poème de Quintus de Smyrne, composé vers le quatrième siècle de l'ère chrétienne, semble dans ses premiers livres coïncider avec l'Æthiopis, et dans les livres suivants en partie avec l'Ilias minor de Leschês[46].

Les Troyens, terrifiés par la mort d'Hector, sentirent renaître leur espoir à l'arrivée de la belliqueuse et belle reine des Amazones, Penthesileia, fille d'Arès, jusqu'alors invincible dans les combats, qui vint de Thrace à leur secours avec une troupe de femmes ses compatriotes. Elle fit sortir de nouveau les assiégés de leurs remparts pour combattre les Grecs en rase campagne; et sous ses auspices ces derniers furent d'abord repoussés, jusqu'à ce qu'elle fût tuée aussi par le bras invincible d'Achille. Le vainqueur, en ôtant le casque de sa belle ennemie étendue sur le sol, fut profondément touché et captivé par ses charmes, ce qui lui attira les méprisantes railleries de Thersitês : exaspéré de cette téméraire insulte, Achille tua Thersitês sur place d'un coup de poing. Une violente dispute entre les chefs grecs fut le résultat de cette action, que ressentit vivement Diomêdês, le parent de Thersitês, et Achille fut obligé d'aller à Lesbos, où il fut purifié de l'acte d'homicide par Odysseus[47].

Ensuite arriva pour secourir Troie Memnôn, fils de Tithônos et d'Eôs, le plus imposant des hommes qui vivaient alors, avec une troupe puissante de noirs Éthiopiens. Faisant une sortie contre les Grecs, il causa parmi eux un grand ravage : le brave et populaire Antilochos périt victime de son dévouement filial en défendant Nestôr[48]. A la fin Achille l'attaqua, et pendant longtemps le combat fut douteux entre eux : la bravoure d'Achille et la prière de Thetis auprès de Zeus finirent par prévaloir; Eôs, de son côté, obtint pour son fils vaincu le don consolant de l'immortalité. On montrait cependant[49] sa tombe près de la Propontis, â quelques milles, de l'embouchure du fleuve Æsêpos, et elle était visitée chaque année par les oiseaux appelés Memnonides, qui la balayaient et l'arrosaient de l'eau du courant. C'est ce que les Grecs de l'Hellespont dirent au voyageur Pausanias, même au second siècle de l'ère chrétienne.

Mais la destinée d'Achille lui-même était près de s'accomplir. Après avoir mis les Troyens en déroute et les avoir repoussés dans la ville, il fut trié près M la porte Scée par une flèche sortie du carquois de Pâris et dirigée sous les auspices infaillibles d'Apollon[50]. Les Troyens firent les plus grands efforts pour s'emparer du corps, qui fut cependant sauvé et porté au camp grec par la valeur d'Ajax et d'Odysseus. Thetis fat pénétrée d'une amère douleur par la perte de son fils ; elle vint dans le camp avec les Muses et les Néréides pour pleurer sur lui, et quand les Grecs eurent préparé un magnifique bicher pour le brûler avec toutes les marques d'honneur, elle déroba le corpl3 et l'emporta pour lui donner une vie nouvelle et immortelle dans Leukê, île du Pont-Euxin. Suivant quelques récits, il fut favorisé de la main et de la compagnie d'Hélène[51].

Thetis célébra de splendides jeux funèbres en l'honneur de son fils, et proposa l'incomparable armure qu'Hêphæstos avait forgée et travaillée pour lui, comme prit au guerrier le plus distingué de l'armée grecque. Odysseus et Ajax se disputaient ce prix glorieux, quand Athênê, ainsi que quelques prisonniers troyens, auxquels on demanda lequel des deux guerriers avait fait le plus de mal â leur patrie, fit pencher la balance en faveur du premier. Le vaillant Ajax perdit la raison de douleur et d'humiliation : dans un accès de démence furieuse il tua quelques moutons, les prenant dans son erreur pour les hommes qui l'avaient offensé, et ensuite se jeta sur son épée[52].

Odysseus apprit alors d'Helenos, fils de Priam, qu'il avait fait prisonnier dans une embuscade[53], que Troie ne pourrait être prise que si l'on pouvait déterminer et Philoktêtês et Neoptolemos, fils d'Achille, à se joindre aux assiégeants. Le premier, ayant été piqué au pied par un serpent, et devenant insupportable aux Grecs â cause de l'odeur infecte qu'exhalait sa blessure, avait été laissé â Lemnos au commencement de l'expédition, et avait passé dix années[54] misérables dans cette île désolée ; mais il possédait encore l'arc et les flèches incomparables d'Hêraklês, que l'on disait indispensables à la prise de Troie. Diomêdês ramena Philoktêtês de Lemnos au camp grec, où il fut guéri par l'habileté de Machaôn[55], et il prit une part active dans la lutte contre les Troyens : - il engagea un combat singulier avec Pâris, et le tua d'une des flèches d'Hêraklês. Les Troyens furent autorisés â emporter pour l'ensevelir le corps de ce prince, cause fatale de tous leurs malheurs, mais non pas avant qu'il eût été mutilé de la main de Menelaos[56]. Odysseus se rendit à l'île de Skyros pour inviter Neoptolemos à se rendre à l'armée. Le jeune homme, non encore éprouvé mais impétueux, obéissant avec plaisir â l'appel, reçut d'Odysseus les armes de son père ; tandis que d'un autre côté Eurypylos, fils de Têlephos venait de Mysia comme auxiliaire des Troyens et leur rendait de précieux services,- en tournant pour quelque temps contre les Grecs le cours de la fortune, et en tuant quelques-uns de leurs chefs les plus braves, parmi lesquels on comptait Pêneleôs et le médecin sans rival Machaôn[57].

Les exploits de Neoptolemos furent nombreux, clignes de la gloire de sa race et de la renommée de son père. Il combattit et tua Eurypylos, en même temps qu'un grand nombre de guerriers mysiens; il mit les Troyens en déroute et les repoussa dans leurs murs, d'où ils ne sortirent plus désormais pour livrer bataille; et il se distingua autant par son bon sens et son éloquence persuasive que par son ardent courage dans le combat[58].

Troie cependant était encore imprenable tant que le Palladium, statue donnée par Zeus lui-même à Dardanos, restait dans la citadelle ; et les Troyens avaient pris grand soin non seulement de cacher ce précieux don, mais encore de fabriquer d'autres statues exactement semblables pour induire en erreur tout voleur qui s'y introduirait. Néanmoins l'entreprenant Odysseus ayant déguisé sa personne au moyen de vêtements misérables et de blessures qu'il se fit lui-même, trouva moyen de pénétrer dans la ville et d'emporter le Palladium à la dérobée. Hélène seule le reconnut ; mais elle désirait alors retourner en Grèce, et même elle aida Odysseus en concertant avec lui les moyens de prendre Troie[59].

Pour y parvenir, on eut recours à un dernier stratagème. On fit construire par Epeios de Panopeus, et à l'instigation d'Athênê, un vaste cheval de bois, creux, capable de contenir cent hommes. Dans l'intérieur de ce cheval se cacha l'élite des héros grecs, Neoptolemos, Odysseus, Menelaos et autres, tandis que l'armée entière des Grecs faisait voile pour Tenedos, après avoir bridé ses tentes et prétendant avoir renoncé au siége. Les Troyens, transportés de joie de se trouver libres, sortirent de la ville et contemplèrent avec étonnement la machine que leurs ennemis avaient laissée derrière eux. Ils furent longtemps incertains sur ce qu'ils en devaient faire ; et les héros inquiets entendaient de l'intérieur les avis donnés â l'entour aussi bien que la voix d'Hélène quand elle prononçait leurs noms et contrefaisait l'accent de leurs épouses[60]. Un grand nombre de Troyens désiraient dédier le cheval aux dieux, dans la ville comme un gage de reconnaissance pour leur délivrance; mais les esprits plus circonspects inculquaient â leurs concitoyens la défiance pour le legs d'un ennemi. Laocoôn, prêtre de Poseidôn, manifesta son aversion en frappant de sa lance le flanc du cheval. Le son fit connaître que le cheval était creux ; mais les Troyens ne firent pas attention â cet avertissement qui leur annonçait la possibilité d'une fraude. L'infortuné Laocoôn, victime de sa propre pénétration et de sol patriotisme, mourut misérablement sous les yeux de ses compatriotes, avec Puai de ses fils; les dieux avaient fait sortir exprès de la mer deux serpents et les avaient envoyés pour le faire périr. Cet effrayant spectacle, en même temps que les perfides conseils de Sinôn, - traître que les Grecs avaient laissé derrière eux dans le dessein spécial de donner à l'ennemi de faux renseignements, - détermina les Troyens à faire une brèche dans leurs propres murs, et à traîner la fatale machine dans l'intérieur de leur ville, en triomphe et avec des transports de joie[61].

La destruction de Troie, selon le décret des dieux, fut très lors scellée irrévocablement. Tandis chue les Troyens s'abandonnaient pendant la nuit à une joie tumultueuse, Sinôn alluma le feu dont la flamme devait servir de signal aux Grecs à Tenedos, et ouvrit les verrous du cheval de bois, d'où descendirent les guerriers qui y étaient enfermés. La ville, subissant une attaque à la fois intérieure et extérieure, fut entièrement saccagée et détruite ; la plus grande partie de ses héros ainsi que de son peuple fut massacrée ou réduite en captivité. Le vénérable Priam périt de la main de Neoptolemos, après avoir en vain cherché asile près de l'autel domestique de Zeus Herkeios. Mais son fils Deiphobos, qui depuis la mort de Pâris était devenu l'époux d'Hélène, défendit sa, maison arec un courage désespéré contre Odysseus et Menelaos, et, vendit chèrement sa vie. Après qu'il eut été tué, Menelaos mutila son corps dune manière effrayante[62].

Ainsi Troie fut entièrement détruite, - la cité, les autels et les temples[63] et la population. On laissa Æneas et Antênor se sauver avec leurs familles; ils avaient toujours été regardés par les Grecs plus favorablement que les autres Troyens. Suivant une seule version de l'histoire, ils avaient livré la ville aux Grecs : une peau de panthère avait été suspendue au-dessus de la porte de la maison d' Antênor comme un signal donné aux assiégeants victorieux pour qu'ils eussent à la respecter au milieu du pillage général[64]. Dans la distribution des principaux captifs, Astyanax, fils d'Hectôr, tout jeune enfant, fut précipité du haut du rempart et tué par Odysseus ou Neoptolemos : Polyxenê, fille de Priam, fut immolée sur le tombeau d'Achille, pour satisfaire à une demande que l'ombre du héros avait faite à ses compatriotes[65] ; tandis que sa soeur Kassandra fut donnée à Agamemnôn comme part du butin. Elle avait cherché asile à l'autel d'Athênê, où Ajax, fils d'Oïleus, en faisant une tentative criminelle pour la saisir, avait attiré sur lui-même et sur l'armée la redoutable colère de la déesse, au point qu'il fut difficile d'empêcher les Grecs de le faire périr en le lapidant[66]. Andromachê et Hélénos furent tous deux donnés à Neoptolemos, qui, suivant l'Ilias minor, emmena aussi Æneas comme captif[67].

Hélène renoua avec plaisir son union avec Menelaos : elle l'accompagna à Sparte, et y vécut avec lui beaucoup d'années au sein du bien-être et de la dignité[68], ensuite passa de la vie à une heureuse immortalité dans les Champs Elyséens. Elle fut adorée comme déesse avec ses frères les Dioskures et son époux ; elle avait son temple, sa statue et son autel â Therapnæ et ailleurs. Les Grecs citaient divers exemples de son intervention miraculeuse[69]. Le poète lyrique Stésichore avait osé parler d'elle, conjointement avec sa soeur Klytæmnêstra, d'un ton d'une franche et rude sévérité, comme le firent plus tard Euripide et Lycophrôn, mais opposé d'une manière frappante à la délicatesse et au respect avec lesquels elle est toujours traitée par Homère, qui jamais n'admet de reproches contre elle, si ce n'est de sa propre bouche[70]. Il fut frappé de cécité et comprit son impiété ; mais s'étant repenti et ayant composé un poème spécial où il rétractait formellement la calomnie, il put recouvrer la vue. Dans son poème de rétractation (la fameuse palinodie par malheur perdue aujourd'hui), il contredisait positivement la narration homérique, en affirmant qu'Hélène n'avait jamais été à Troie, et que les Troyens n'y avaient apporté rien autre chose que son image ou eidôlon[71]. C'est probablement au réveil des sentiments religieux de Stésichore que nous devons la première idée de cette déviation manifeste de l'antique légende, déviation qui ne pouvait jamais avoir été recommandé par aucune considération d'intérêt poétique.

Il surgit dans la suite d'autres versions, formant une sorte de compromis entre Homère et Stésichore ; elles admettaient qu'Hélène n'était jamais réellement allée à Troie, sans nier tout à fait sa fuite volontaire. Telle est l'histoire qui raconte qu'elle avait été retenue en Egypte pendant toute la durée du siège. Pâris, â son départ de Sparte, avait été poussé dans cette contrée par des tempêtes, et le roi égyptien Prôteus, apprenant le tort grave dont il s'était rendu coupable vis-à-vis de Menelaos, l'avait renvoyé du pays avec de sévères menaces, retenant Hélène jusqu'à ce que son époux légitime vînt la chercher. Quand les Grecs réclamèrent Hélène â la ville de Troie, les Troyens leur assurèrent solennellement qu'elle n'était pas clans leur cité et qu'elle n'y avait jamais été; mais les Grecs, traitant cette allégation de mensonge, poursuivirent le siège jusqu'à ce que leur succès définitif leur confirmât la vérité de l'assertion. Menelaos, en revenant de Troie, ne recouvra Hélène qu'en visitant l'Égypte[72].

Telle était l'histoire racontée par les prêtres égyptiens à Hérodote, et elle semblait satisfaisante à son esprit enclin à donner à la fable une couleur historique. Car si Hélène avait été réellement â Troie (conclut-il), elle aurait été certainement rendue, même eût-elle été la maîtresse de Priam lui-même au lieu d'être celle de Pâris : le roi troyen, avec toute sa famille et tous ses sujets, ne se serait jamais exposé sciemment â une destruction complète et irréparable dans le dessein de la garder. Leur malheur fut que, ne la possédant pas et par conséquent ne la pouvant rendre, il leur fut cependant impossible de convaincre les Grecs que telle était la vérité. En admettant le caractère historique de la guerre de Troie, la remarque d'Hérodote ne souffre pas de réplique ; nous ne pouvons pas non plus beaucoup nous étonner qu'il ait acquiescé au conte d'Hélène retenue en Egypte, comme servant à remplacer l'incroyable folie que la légende pure impute à Priam et aux Troyens. Pausanias, par la même raison et par le même mode de raisonnement, déclarait que le cheval de Troie devait avoir été en réalité une machine destinée à battre en brèche, parce que admettre le récit littéral serait imputer aux défenseurs de la ville la plus grande simplicité, et M. Payne Knight rejette entièrement Hélène comme la cause réelle de la guerre de Troie, bien qu'elle puisse en avoir été le prétexte ; car il pense que ni les Grecs ni les Troyens n'ont pu avoir été assez fous et assez sots pour endurer des calamités si grandes pour une seule petite femme[73]. M. Knight suggère diverses causes politiques à la place ; elles mériteraient examen, si on pouvait produire quelques preuves â l'appui, ou bien montrer que le sujet auquel il veut les appliquer appartient au domaine de l'histoire.

Le retour des chefs grecs venant de Troie fournit à l'ancienne épopée une matière au moins aussi abondante que le siége lui-même, et d'autant plus susceptible d'être diversifiée à l'infini, que ceux qui auparavant rivaient agi de concert étaient dès lors dispersés et isolés. De plus, les voyages au milieu des tempêtes et les marches forcées des héros s'accordaient exactement avec le désir universel de trouver un fondateur héroïque, et permettaient même aux colons helléniques les plus éloignés de rattacher l'origine de leur ville à cet événement saillant de leur monde anté-historique et à demi divin. Et une absence de dix années laissait lieu de supposer une foule de changements domestiques dans leur séjour natal, et de malheurs et de méfaits de famille survenus durant cet intervalle. Le poème d'Homère a immortalisé un de ces Retours héroïques, celui d'Odysseus. Le héros, après une série de longues souffrances, après avoir été longtemps retenu loin de sa patrie, maux que lui inflige la colère de Poseidôn, arrive enfin à son île natale ; mais il trouve son épouse obsédée, son jeune fils insulté, et son bien pillé par une troupe d'insolents prétendants; il est forcé de paraître déguisé en misérable mendiant, et d'endurer en personne leurs humiliants traitements ; mais, grâce à l'intervention d'Athênê qui vient en aide à son propre courage et grâce à son stratagème, il finit par pouvoir écraser ses ennemis, reprendre sa position dans sa famille et recouvrer son bien. Le retour de plusieurs autres chefs grecs était le sujet d'un poème épique d'Hagias, aujourd'hui perdu, mais dont il reste encore un court résumé ou argument : il y avait dans l'antiquité divers autres poèmes dont le titre était le même et le sujet analogue[74].

Comme il est ordinaire dans l'ancienne épopée, les souffrances multipliées subies pendant ce retour sont attribuées à la colère divine, provoquée par les péchés des Grecs, qui, dans la joie immodérée d'une victoire achetée au prix de tant de peines, n'avaient honoré ni même[75] ménagé les autels des dieux à Troie. Athênê, qui avait été leur alliée la plus zélée pendant le siège, fit tellement irritée de la négligence qu'ils avaient montrée à la fin, et plus particulièrement de l'outrage d'Ajax, fils d'Oïleus, qu'elle s'appliqua à rendre leur retour pénible et amer, malgré tous les efforts que l'on fit pour l'apaiser. Les chefs commencèrent par se quereller entre eux; leur assemblée solennelle devint un théâtre d'ivrognerie; Agamemnôn et Menelaos eux-mêmes perdirent leur accord fraternel, et chacun agit d'après sa propre résolution séparée[76]. Néanmoins, selon l'Odyssée, Nestôr, Diomêdês, Neoptolemos, Idomeneus et Philoktêtês revinrent chez eux promptement et sans danger. Agamemnôn aussi arriva dans le Péloponnèse, pour périr sous les coups d'une épouse perfide ; mais Menelaos fut condamné à de longues courses et aux privations les plus rigoureuses en Egypte, â Cypre et ailleurs, avant qu'il pût mettre le pied sur sa terre natale. Le Lokrien Ajax périt sur le rocher de Gera[77]. Bien qu'exposé à une terrible tempête, il avait déjà atteint ce lieu de sûreté, quand il se Tanta témérairement d'avoir échappé malgré les dieux. Poseidôn n'eut pas plus tôt entendu ses paroles, qu'il frappa de son trident le rocher qu'embrassait Ajax et les précipita tous deux dans la mer[78]. Kalchas le devin, ainsi que Leonteus et Polypœtês, se dirigèrent par terre de Troie â Kolophôn[79].

Cependant, au sujet de ces héros grecs et d'autres encore, il y avait des récits différant de ceux de l'Odyssée, et leur attribuant un long séjour hors de leur patrie et un établissement éloigné. Nestôr alla en Italie, où il fonda Metapontum, Pisa et Herakleia[80]. Philoktêtês[81] s'y rendit aussi, fonda Pétilia et Krimisa, et envoya des colons à Égeste, en Sicile. Neoptolemos, sur l'avis de Thetis, alla par terre â travers la Thrace, rencontra â Maroneia Odysseus, qui était venu par mer, puis continua son voyage jusqu'en Epiros, où il devint roi des Molosses[82]. Idomeneus vint en Italie et fonda Uria dans la presqu'île de Salente. Diomèdês, après avoir erré dans toutes les directions, parvint, en longeant la côte de l'Italie, jusqu'au fond du golfe Adriatique, et finit par s'établir en Daunia, où il fonda les villes d'Argyrippe, de Bénévent, d'Atria et de Diomêdeia. Grâce â la faveur d'Athênê, il devint immortel et fut adoré comme un dieu dans beaucoup d'endroits différents[83]. Les compagnons lokriens d'Ajax fondèrent Locres épizéphyrienne â la pointe la plus méridionale de l'Italie[84], outre un autre établissement en Libye. J'ai parlé ailleurs de l'exil forcé de Teukros, qui non seulement fonda la cité de Salamis dans l'île de Cypre, mais établit, dit-on, d'autres colonies dans la péninsule Ibérienne[85]. Menestheus l'Athénien fit de même, et fonda aussi et Elæa en Mysia, et Skylletium en Italie[86]. Le chef arcadien Agapenôr fonda Paphos dans l'île de Cypre[87]. Epeios, de Panopeus en Phôkis, qui avec l'aide de la déesse Athênê avait construit le cheval de Troie, s'établit à Lagaria prés de Sybaris, sur la côte d'Italie, et l'on montrait, jusqu'à une époque récente, dans le temple d'Athênê à Metapontum, les outils eux-mêmes dont il s'était servi pour la construction de cette machine remarquable[88]. On signalait aussi en Asie Mineure, à Samos et en Krête, des temples, des autels et des villes, fondations d'Agamemnôn ou de ses compagnons[89]. Les habitants de la ville grecque de Skionê, dans la péninsule de Thrace, appelée Pallênê ou Pellênê, se disaient issus des Pellêniens d'Achæa dans le Péloponnèse, qui avaient servi sous Agamemnôn devant Troie, et qui, à leur retour du siège, avaient été poussés dans ce lieu par une tempête et s'y étaient établis[90]. Les Pamphyliens, sur la côte méridionale de l'Asie Mineure, faisaient remonter leur origine aux courses errantes d'Amphilochos et de Kalchas après le siége de Troie. Les habitants d'Argos d'Amphilochie, sur le golfe d'Ambrakia, révéraient le même Amphilochos comme leur fondateur[91]. Les Orchoméniens sous Ialmenos, en quittant la ville conquise, errèrent ou furent poussés jusqu'à l'extrémité orientale du Pont-Euxin, et l'on supposait que telle était la source du premier établissement des Achæens barbares au pied du mont Caucase[92]. Merionês, suivi de ses compagnons krêtois, s'établit à Engyion en Sicile, avec les anciens Krêtois qui y étaient restés après l'invasion de Minôs. Les Elymiens en Sicile aussi étaient composés de Troyens et de Grecs poussés séparément vers ce lieu, et qui, oubliant leurs différends antérieurs, se mêlèrent dans les établissements communs d'Eryx et d'Égeste[93]. Nous entendons parler de Podalirios et en Italie et sur la côte de Karia[94] ; d'Akamas, fils de Thêseus, â Amphipolis en Thrace, â Soles clans l'île de Cypre, et à Sinnada en Phrygia[95] ; de Gouneus, de Prothoos et d'Eurypylos, en Krête aussi bien qu'en Libye[96]. L'obscur poème de Lycophrôn énumère un grand nombre de ces héros dispersés et expatriés, dont la conquête qu'ils firent de Troie était en vérité une victoire kadméenne (selon la phrase proverbiale des Grecs), oit les souffrances du vainqueur étaient de peu inférieures à celles des vaincus[97]. C'était surtout parmi les Grecs d'Italie, chez lesquels ils étaient adorés avec une solennité toute spéciale, et qui les regardaient comme étant venus de Troie après des courses errantes, que leur présence à ce titre était racontée et crue[98].

 

À suivre

 

 

 



[1] Iliade, XX, 215.

[2] Hellanicus, Fragm. 129, Didot; Denys. Hal. I, 50-61 ; Apollodore, III, 12, 1 ; Schol. Iliade, XVIII, 486; Varro, ap. Servium ad Virgile, Énéide, III, 167; Cephalon. Gergithius ap. Steph. Byz. v. Άρίσβη.

[3] Iliade, V, 265; Hellanicus, Fragm. 146 ; Apollodore, XI, v. 9.

[4] Iliade, XX, 236.

[5] Iliade, VII, 451; XXI, 456. Hésiode, ap. Schol. Lycophr. 393.

[6] Iliade, XX, 145; Denys Hal., I, 52.

[7] Iliade, V, 640. Meneclès (ap. Schol. Venet., ad loc.) affirmait que cette expédition d'Hêraklês était une fiction; mais Dicéarque donnait, en outre, d'autres exploits du héros dans le même voisinage à Thêbê Hypoplakiê (Schol. Iliade, VI, 396).

[8] Diodore, IV, 32-49. Cf. Venet. Schol. Iliade, VIII, 284.

[9] Strabon, XIII, p. 596.

[10] Comme Dardanos, Trôs et Ilos sont respectivement les éponymes de Dardania, de Troie et d'Ilion, de même Priam est éponyme de l’acropolis Pergame. Πρίαμος est dans le dialecte æolien Πέρραμος (Hesychius); à ce sujet Ahrens fait cette remarqué : Cœterum ex hac æolicâ nominis formâ apparet, Priamum non minus arcis Περγάμων eponymum esse, quam Ilum urbis, Troem populi : Πέργαμα enim a Περίαμα natum est, i in y mutato. (Ahrens, De Dialecto Æolicâ, 8, 7, p. 56; Cf. Ibid. 28, 8, p. 150 Περρ̕ άπάλω).

[11] Iliade, VI, 215; XXIV, 495.

[12] Stésichore et Ibycus affirmaient également qu'Hector était fils d'Apollon (Stésichore, ap. Schol. Ven. ad Iliad., XXIV, 2,59; Ibycus, Fragm. XIV, éd. Schneidewin); Euphorion (Fragm. 125, Meineke) et Alexandre l'Étolien suivent tous deux la même idée. De plus, Stésichore affirmait qu'après le siège Apollon avait emmené Hekabê en Lykia pour la sauver de la captivité (Pausanias, X, 27, 1) : selon Euripide, Apollon avait promis qu'elle mourrait à Troie (Troade, 427). - Sappho employait Hectôr comme surnom de Zeus, Ζεύς Έxτωρ (Hesychius, v. Έxτορες) ; un prince appartenant à la famille royale de Chios, antérieur à l'établissement ionien, tel qu'il est mentionné par le poète de Chios Iôn (Pausanias, VII, 3, 3), portait ce nom.

[13] Iliade, III, 4.5-55; Schol. Iliade, III, 325; Hygin, Fab. 91 ; Apollodore, III, 12, 5.

[14] Tel est le motif attribué à Zeus par le vieux poème épique, les vers Cypriens (Fragm. 1, Düntzer, p. 12; ap. Schol. ad Iliade, I, 4). - Le même motif est indiqué incidemment par Euripide, Orest., 1635 ; Helen., 38 ; et défendu sérieusement, à ce qu'il parait, par Chrysippe, ap. Plutarque, Stoic. Rep., p. 1049; mais les poètes ne vont pas ordinairement au delà de la passion de Pâris pour Hélène (Théognis, 1232; Simonide, Amorg. Fragm. 6, 118). - Le jugement de Pâris était une des scènes représentées sur l'ancien coffre de Kypselos â Olympia (Pausanias, V, 19, 1).

[15] Argument des Έπη Κύπρια (ap. Düntzer, p. 10). Ces avis de Kassandra forment le sujet de l'obscur et affecté poème de Lycophrôn.

[16] Selon les vers oypriens, Hélène était fille de Zeus et de Nemesis, qui avait essayé en vain d'échapper à cette alliance (Athenæ, VIII, 334). Hésiode (Schol. Pindare, Nem., X, 150) la représentait comme fille d'Okeanos et de Têthys; nymphe océanique : Sappho (Fragm. 17, Schneidewin), Pausanias (I, 33, 71, Apollodore (III, 10, 7), et Isocrate (Encom. Helen., v. II, p. 366, Auger) concilient les prétentions de Lêda et de Nemesis à une sorte de maternité commune. (V. Heinrichsen, De Carminibus Cypriis, p. 45.46).

[17] Hérodote, II, 117. Il rapporte distinctement l'assertion des vers cypriens qui contredit l'argument du poème tel qu'on le soit dans Proclus (Fragm. I, 1), d'après lequel Pâris est détourné de sa route par une tempête et prend la ville de Sidôn. Homère (Iliade, VI, 1793) semble, toutefois, appuyer la donnée de l'argument. - L'Iliade mentionne à plusieurs reprises que Pâris s'est rendu coupable de vol, aussi bien que de l'enlèvement d'Hélène (III, 144; VIII, 350-363) ; il en est de même dans l'argument des cers cypriens (V. Eschyle, Anam., 534),

[18] L'ancienne épopée (Schol. ad Iliade, II, 286-339) ne reconnaît pas l'histoire des nombreux partisans d'Hélène, ni le serment par lequel Tyndareus les lia tous avant qu'il en choisît un parmi eux; serment par lequel chacun devait s'enrager non seulement à acquiescer au choix qu'elle aurait fait, mais encore à aider l'époux qu'elle aurait préféré à la posséder paisiblement. Cette histoire semble avoir été rapportée pour la première fois par Stésichore (V. Fragm. 20, éd. Kleine; Apollodore, III, 10, 8). Cependant c'était évidemment un des traits saillants de la légende qui avait cours à l'époque de Thucydide (1, 9. Euripide, Iph. Aul., 51-80; Sophocle, Ajax, 1100). - On montrait même du temps de Pausanias le lieu exact où Tyndareus exigea ce serment des prétendants, près de Sparte (III, 20, 9).

[19] Iliade, IV, 27-55 ; XXIV, 765. Argum. Carm. Cypr. Le point est expressément indiqué par Dion Chrysostome (Orat., XI, p. 335-336), dans son attaque contre la vieille légende. Deux ans de préparatifs dans Dictys Cret., I, 16.

[20] Le roi de Sparte Agésilas, sur le point de partir de Grèce pour son expédition en Asie Mineure (396 avant J.-C.), alla personnellement à Aulis, afin de pouvoir aussi sacrifier à l'endroit où Agamemnôn avait sacrifié quand il fit voile pour Troie (Xénophon, Helléniques, III, 4, 4). - Scylax (c. 60) mentionne le ίερόν à Aulis, et rien autre; il parait avoir ressemblé au Delium contigu au temple avec un petit village s'étant élevé à l'entour. - Le poème d'Hésiode, les Travaux et les Jours, reconnaissait Aulis comme le port d'où partit l'expédition (v. 656).

[21] Iliade, II, 128. Uschold (Geschichte der Trojanischen Kriegs, p. 9, Stuttgart, 1836) porte le total à cent trente-cinq mille hommes.

[22] Le Catalogue hésiodique mentionne Oïleus, ou Ileus, en donnant une singulière étymologie de son nom (Fragm. 136, éd. Marktscheffel).

[23] Γουνεύς est le héros éponyme de la ville de Gonnos en Thessalia; le redoublement de la consonne et la diminution de la voyelle appartiennent au dialecte æolien (Abrens, De Dialect. Æolic., 50, 4, p. 220).

[24] V. le Catalogue dans le second livre de l'Iliade. Il doit probablement y avoir eu aussi un Catalogue des Grecs dans les vers cypriens, car un catalogue des alliés de Troie est mentionné spécialement dans l'argument de Proclus (p. 12, Düntzer). - Euripide (Iph. Aulid., 165-300) consacre un des chants du choeur à un catalogue partiel des principaux héros. - Selon Dictys de Crète, tous les premiers chefs engagés dans l'expédition étaient parents, tous Pélopides (I, 14): ils firent le serment de ne pas déposer leurs armes avant d'avoir recouvré Hélène, et ils reçurent d'Agamemnôn une grosse somme d'or.

[25] Pour le caractère d'Odysseus, Iliade, III, 202-220; V, 247. Odyssée, VIII, 295. - Le Philoktêtês de Sophocle développe très exactement le caractère de l'Odysseus homérique (V. v. 1035), plus fidèlement que l'Ajax du même poète ne dépeint celui de ce héros.

[26] Sophocle, Philoktêtês, 417, et Schol.; de plus, Schol. ad Sophocle, Ajax, 190.

[27] Homère, Odyssée, XXIV, 115, Eschyle, Agamemnon, 8-11; Sophocle, Philoktêtês, 1011, avec les Schol. Argument des Cypria dans Heinrichsen, De Carmin. Cypr., p. 23 (la phrase est omise dans Düntzer, p. 11). - Une tragédie perdue de Sophocle, Όδυσσεύς Μαινόμενος, traitait ce sujet. D’autres chefs grecs ne résistèrent pas moins qu’Odysseus à prendre part à l’expédition; v. le récit de Pœmandros, formant une partie de la légende du temple de l'Achilleiôn à Tanagra en Bœôtia, (Plutarque, Quæst. Græc., p. 299).

[28] Iliade, I, 357; IX, 111.

[29] Iliade, XI, 782.

[30] Têlephos était fils d'Hêraklês et d'Augê, fille du roi Aleus, de Tegea en Arcadia : au sujet de ses aventures romanesques, voir le chapitre IX du 1e vol. sur les légendes arcadiennes; foi de Strabon dans l’histoire (XII, p. 572). - On affirmait que l'endroit appelé le port des Achæens, près de Gryneion était celui oit Agamemnôn et les chefs tinrent conseil pour décider s'ils attaqueraient ou non Têlephos (Scylax, c. 97; cf. Strabon, XIV, p. 622).

[31] Iliade, XI, 664; Argum. Cyp., p. 11, Düntzer; Dictys Cret., II, 34.

[32] Euripide, Têlephos, Fragm. 26, Dindorf; Hygin. f. 101; Dictys, II, 10. Euripide avait traité l'aventure de Têlephos dans sa tragédie aujourd'hui perdue : il donnait la guérison miraculeuse due à la poussière de la lance. Dictys réduit le prodige : Achilles cura Machaone et Podalirio adhibentes curam vulneri, etc. Pline (XXXIV, 15) donne à la rouille de cuivre ou de fer une place dans la liste des remèdes véritables. - Longe omnino a Tiberi ad Caicum : quo in loco etiam Agamemnôn errasset, nisi ducem Telephum invenisset. (Cicéron, Pro L. Flacco, c. 29.) Les parties de la légende troyenne traitées dans les auteurs épiques et tragiques aujourd'hui perdus semblent avoir été tout aussi familières à Cicéron que celles que mentionnait l'Iliade.

Strabon fait relativement peu d'attention à toute autre partie de la guerre de Troie qu'à ce qui est présenté dans Homère. Il va même jusqu'à donner une raison pour expliquer pourquoi les Amazones ne vinrent pus au secours de Priam : il y avait inimitié entre elles et lui, parce que Priam avait aidé les Phrygiens dans leurs attaques contre elles. (Iliade, III, 188 ; dans Strabon, τοΐς Ίώσιν doit être par erreur pour τοΐς Φρυξίν. Il est difficile que Strabon ait lu Arktinus, auquel il ne fait jamais allusion, et dans le poème duquel la brave et belle Penthesileia, à la tête des Amazones, forme une époque et un incident marquants de la guerre (Strabon, XII, 552).

[33] On ne trouve rien dans Homère touchant le sacrifice d'Iphigeneia (V. Schol. Ven. ad Iliade, IX, 145).

[34] Aucune partie du Catalogue homérique n'a donné plus d'embarras à Dêmêtrius de Skêpsis et aux autres commentateurs que ces Alizoniens (Strabon, XII, p. 519; XIII, p. 603) : on a inventé un lieu imaginaire appelé Alizônion, dans la région de l'Ida, pour lever la difficulté (Strabon, l. c.).

[35] V. le Catalogue des Troyens (Iliade, II, 815-877).

[36] Les écrivains plus modernes disaient que Kyknos était roi de llol6ns, clans la Troade (Strabon, XIII, p. 589-603; Aristote, Rhetor., II, 23). Eschyle introduisait sur la scène athénienne et Kyknos et Memnôn, avec un appareil effrayant (Aristophane, Ran., 957. Cf. Welcker, Æschyl. Trilogie, p. 433).

[37] Iliade, XXIV, 752; Argum. Cypr., pp. 11, 12, Düntzer. Ces exploits sans suite d'Achille fournirent plus d'un roman intéressant aux poètes grecs plus modernes (V. Parthênius, Narrat., 21). V. le sommaire précis et élégant des principaux événements de la guerre dans Quintus Smyrne, XIV, 125-140; Dion Chrysostome, Or., XI, p. 338-312).

Trôilos n'est nommé qu'une seule fois dans l'Iliade (XXIV, 253); il était mentionné aussi dans les Cypria; mais sa jeunesse, sa beauté et sa fin prématurée firent de lui un objet très intéressant pour les poètes qui suivirent. Sophocle avait une tragédie appelée Trôilos (Welcker, Griechisch. Tragoed, I, p. 124). Même avant Sophocle, sa beauté était célébrée par le tragique Prynichus (Athenæ, XIII, p. 564; Virgile, Énéide, I, 474; Lycophrôn, 307).

[38] Argument. Cyp., p. 11, Düntzer. Scène qui eût été d'un haut intérêt dans les mains d'Homère.

[39] Argum. Cypr., I, 1; Pausanias, X, 31. La partie des Cypria renfermant l'histoire semble avoir passé sous le titre de Παλαμήδεία (V. Fragm. 16 et 18, p. 15, Düntzer; Welcker, Der Epische Cycl., p.459; Eustathe ad Homère, Odyssée, I, 107). - L'allusion de Quintus de Smyrne (v. 197) semble plutôt indiquer l'histoire contenue dans les Cypria, que Strabon (VIII, p. 368) parait ne pas avoir lue.

[40] Pindare, Nem., VII, 21; Aristide, Orat., 46, p. 260.

[41] V. les Fragments des trois tragiques, Παλαμήδης, - Aristide, Or., XLVI, p. 260; Philostrate, Heroic., X; Hygin, fab. 95-105. Des discours pour et contre Palamêdês, un par Alcidamas, un autre sous le nom de Gorgias, sont imprimés dans Orr. Græc., de Reiske, t. VIII, pp. 64, 102.; Virgile, Énéide, II, 82, avec l'ample commentaire de Servius. – Polyæn, Proæ., p. 6.

Welcker (Griechisch. Tragoed., v. 1, p. 1330, vol. II, p. 500) a débrouillé d'une manière ingénieuse les fragments qui restent des tragédies perdues. - Selon Dictys, Odysseus et Diomêdês décident Palamêdês à être descendu dans un puits profond, et alors ils jettent des pierres sur lui (II, 15). - Xénophon (De Venatione, c. 1) reconnaît évidemment le récit contenu dans les vers cypriens, à savoir qu'Odysseus et Diomêdês causèrent la mort de Palamêdês; mais il ne peut croire que deux personnages si exemplaires fussent réellement coupables d'un acte aussi inique. - La hauteur remarquable qui domine Napoli porte encore le nom de Palamidi.

[42] Platon, Apologie de Socrate, c. 32; Xénophon, Apologie de  Socrate, 26; Memor., IV, 2, 33; Liban., pro Socr., p. 232, éd. Morell.; Lucien, Dial. Mort., 20.

[43] Hérodote, VII, 170. Dix années sont une période mythique convenable pour la durée d'une grande guerre : la guerre entre les dieux Olympiens et les dieux Titans dure dix ans (Hésiode, Théogonie, 636). Cf. δεxάτω ένιαυτώ (Homère, Odyssée, XVI, 17).

[44] Thucydide, I, 1.

[45] Homère, Iliade, I, 21.

[46] Tychsen, Commentat. de Quinto Smyrnæo, § 3, c. 5-7. - L'Ίλίου Πέρσις fut traitée et par Arktinus et par Leschês : dans ce dernier elle formait une partie de l'Ilias minor.

[47] Argument de l'Æthiopis, p. 16, Düntzer; Quint. Smyrne, lib. I. Dictys Cret., IV, 2-3. - Dans le Philoktêtês de Sophocle, Thersitês survit à Achille (Sophocle, Phil., 358-445).

[48] Odyssée, XI, 522. V. aussi Odyssée, IV, 187; Pindare, Pyth., VI, 31. Eschyle (ap. Strabon, XV, p. 728) conçoit Memnôn comme un Perse parti de Suse. - Ctésias, dans son histoire, donnait des détails complets touchant l'expédition de Memnôn, envoyé par le roi d'Assyrie au secours de son allié, Priam de Troie; tout cela, disait-on, était consigné dans les archives royales. Les Égyptiens affirmaient que Memnôn était venu d'Égypte (Diodore, II, 22; cf. IV, 77) : les deux récits sont mêlés dans Pausanias, X, 31, 2. Les Phrygiens montraient la route qu'il avait suivie.

[49] Argum. Æth., ut sup. Quint. Smyrne, II, 396-550; Pausanias, X, 31, 1. Pindare, en louant Achille, exalte beaucoup les triomphes qu'il remporte sur Hectôr, Têlephos, Memnôn et Kyknos; mais il ne parle jamais de Penthesileia (Olymp., II, 90. Nem. III, 60; VI, 52. Isthm., V. 43). - Eschyle, dans la Ψυχοστασία, introduisait Thetis et Eôs, chacune dans l'attitude de la prière en faveur de son fils, et Zeus pesant dans ses balances d'or les âmes d'Achille et de Memnôn (Schol. Ven. ad. Iliade, VIII, 70; Pollux, IV, 130; Plutarque, De Audiend. Poet., p. 17). Dans le combat entre Achille et Memnôn, représenté sur le coffre de Kypselos à Olympia, Thetis et Eôs étaient montrées comme aidant chacune leur fils (Pausanias, V, 19, 1).

[50] Iliade, XXII, 360; Sophocle, Philoktêtês, 331; Virgile, Énéide, VI, 56.

[51] Argum. Æthiop., ut sup.; Quint. Smyrne, 151-583; Homère, Odyssée, V, 310; Ovide, Métamorphoses, XIII, 281; Euripide, Andromaque, 1262; Pausanias, III, 19, 13. Selon Dictys (IV, II), Pâris et Deiphobos attirent Achille dans un piège par la promesse d'une entrevue avec Polyxenê et le tuent.

Arrien donne une description minutieuse et curieuse de l’île Leukê (Periplus Pont Euxin, p. 21 ; ap. Geogr. Min., t. I). - Alcée le poète reconnaissait l’empire héroïque ou divin d’Achille en Scythie Fragm. Schneidewin, Fragm. 46). Eustathe (ad Dionys., Periêgêt., 307) donne l'histoire racontant qu'il y avait suivi Iphigeneia. Cf. Antoninus Liberalis, 27. - Ibycus représentait Achille comme ayant épousé Mêdea dans les Champs Élyséens (Ibycus, Fragm. 18, Schneidewin). Simonide suivait cette histoire (ap. Schol. Apoll. Rhod., IV, 815).

[52] Argument de l'Æthiopis et de l'Ilias minor, et Fragm. 2 du dernier poème, pp. 17, 18, Düntzer ; Quint. Smyrne, V, 120-482: Homère, Odyssée, XI, 550; Pindare, Nem., VII, 26. L'Ajax de Sophocle, et les discours opposés des deux rivaux Ajax et Odysseus an commencement du treizième livre des Métamorphoses d'Ovide, sont trop bien connus pour avoir besoin d'être mentionnés spécialement.

Le suicide d'Ajax semble avoir été décrit en détail par l'Æthiopis : Cf. Pindare, Isthm., III, 51, et les Scholies, ad loc., qui montrent l’attention que faisait Pindare aux moindres circonstances de l'ancienne épopée. V. Fragm. 2 de l’Ίλίου Πέρσις d'Arktinus, dans Düntzer, p. 22, qui semblerait appartenir plus convenablement à l'Æthiopis. Dictys rapporte le suicide d'Ajax, comme une conséquence de sa lutte malheureuse avec Odysseus, non au sujet des armes d'Achille, mais au sujet du Palladium, après la prise de la ville (V. 14).

Il y avait, cependant, bien des récits différents de la manière dont Ajax était mort; quelques-uns sont énumérés dans l'argument du drame de. Sophocle. Ajax n'est jamais blessé dans l'Iliade : Eschyle le fait invulnérable, excepté sous les aisselles (V. Schol. ad Sophocle, Ajax, 833) ; les Troyens lui lançaient de la boue (Schol. Iliade, XIV, 404).

[53] Sophocle, Philoktêtês, 604.

[54] Sophocle, Philoktêtês, 703. - Dans le récit de Dictys (II, 47), Philoktêtês se rend de Lemnos à Troie pour prendre part à la guerre beaucoup plus tût, avant la mort d'Achille, et sans cause déterminée.

[55] Selon Sophocle, Hêraklês envoie Asklêpios à Troie pour guérir Philoktêtês (Sophocle, Philoktêtês, 1415). - L'histoire de Philoktêtês formait le sujet d'une tragédie d'Eschyle et d'une autre d'Euripide (toutes les deux perdues) aussi bien que de Sophocle.

[56] Argument Iliade min., Düntzer, l. c. V. Quintus de Smyrne, X, 240 : il diffère ici â bien des égards des arguments des vieux poèmes tels que les donne Proclus, tant pour les incidents que pour leur ordre chronologique (Dictys, IV, 20). Pâris blessé fuit vers Ænônê, qu'il avait abandonnée pour suivre Hélène, et il la supplie de le guérir par la connaissance qu'elle a des simples; elle refuse et le laisse mourir; elle est dans la suite déchirée par le remords et se pend (Quint. Smyrne, X, 285-331; Apollod. III, 12, 6; Conon, Narrat., 23; V. Bachet de Meziriac, Commentaires sur les Epîtres d'Ovide, t. I, p. 456). L'histoire d'Ænônê est aussi ancienne qu'Hellanicus et Cephalon de Gergis (V. Hellanicus, Fragm. 126, Didot).

[57] Pour montrer la manière dont ces événements légendaires pénétraient dans le culte local et s'y incorporaient, je puis mentionner l'usage reçu clans le grand temple d'Asklêpios (pèze de Machaôn), à Pergamos, même du temps de Pausanias. Têlephos, père d'Eurypylos, était le héros local et le roi mythique de la Teuthrania, où était située la ville de Pergamos. Dans les hymnes qu'on y chantait, le poème et les invocations étaient adressés è, Têlephos ; mais il n'y était pas question d'Eurypylos, et il n'était pas même permis de mentionner son nom dans le temple, - ils savaient qu'il était le meurtrier de Machaôn (Pausanias, III, 26, 7).

[58] Argument Iliade Min., p. 17, Düntzer. Homère, Odyssée, XI, 510-520. Pausanias, III, 26, 7. Quint. Smyrne, VII. 553; VIII, 201.

[59] Argument Iliade minor., p. 18, Düntzer. Arktinus ap. Denys Hal., I, 69 ; Homère, Odyssée, IV, 246; Quint. Smyrne, X, 354; Virgile, Énéide, II, 164, et le 9e Excursus de Heyne sur ce livre. - Comparez, avec la légende concernant le Palladium, la légende romaine au sujet des Ancilia (Ovide, Fastes, III, 381).

[60] Odyssée, IV, 275; Virgile, Énéide, II, 14 ; Heyne, Excucs., 3. ad Æneid., II. Stésichore, dans son Ίλίου Πέρσις portait à cent le nombre des héros renfermés dans le cheval de bois (Stésichore, Fragm. 26, éd. Kleine; cf. Athenæ, XIII, p. 610).

[61] Odyssée, VIII, 492 ; XI, 522. Argument de l’Ίλίου Πέρσις d'Arktinus, p. 21, Düntzer. Hygin, fab. 108-135. Bacchylide et Euphorion ap. Servium ad Virgil., Énéide, II, 201.

Sinôn et Laocoôn venaient tous deus dans l'origine du vieux poème épique d'Arktinus, bien que peut-être Virgile ait pu les emprunter, ainsi que d'autres sujets compris dans un second livre, directement d'un poème passant pour être de Pisandre (V. Macrobe, Saturnales, V, 2 ; Heyne, Excurs., I, ad Æn., II ; Welcker, Der Epische Kyklus, p.97). Nous ne pouvons faire honneur à Arktinus ni à Misandre du chef-d'œuvre d'éloquence mis dans la bouche de Sinôn par Virgile.

Quintus de Smyrne (XII, 366) dit que les Troyens torturent et mutilent Sinôn pour lui arracher la vérité : sa patience, soutenue par l'inspiration de Hêrê, est à l’épreuve des extrémités de la souffrance, et il persiste dans son faux conte. C'est là, probablement, un incident de l'ancienne épopée, bien que le goût délicat de Virgile et sa sympathie pour les Troyens l'aient engagé à l'omettre. Euphorion attribuait à Odysseus ce qu'avait fait Sinôn : il donnait aussi une cause différente à la mort de Laocoôn (Fragm. 35-36, p.55, éd. Düntzer dans les Fragments des poètes épiques postérieurs à Alexandre le Grand). Sinôn est έταϊρος Όδυσσέως dans Pausanias, X, 27, 1.

[62] Odyssée, VIII, 515; Argument d'Arktinus, ut sup. Euripide, Hécube, 903; Virgile, Énéide, VI, 497; Quint. Smyrn., XIII, 35-229 ; Leschês ap. Pausanias, X, 27, 2 ; Dictys, V, 12. Ibycus et Simonide représentaient aussi Deiphobos comme le άντεράστης Έλένης (Schol. Homère, Iliade, XIII, 517).

La bataille de nuit livrée dans l’intérieur de Troie était décrite avec tous ses effrayants détails et par Leschês et par Arktinus : l'Ίλίου Πέρσις du dernier semble avoir été un poème séparé, celui du premier formait une partie de, l'Ilias minor (V. Welcker, Der Epische Kyklus, p. 215) : l'Ίλίου Πέρσις des poètes lyriques Sakadas et Stésichore ajoutait probablement beaucoup d'incidents nouveaux. Polygnote avait peint une succession de ces diverses scènes malheureuses, tirées du poème de Leschês, sur les murs de la leschê à Delphes, avec le nom écrit au-dessus de chaque figure (Pausanias, X, 25-26). - Hellanicus fixait le jour précis du mois dans lequel avait eu lieu la prise de la ville (Hellanicus, Fragm. 143-144), le douzième jour de Thargeliôn.

[63] Eschyle, Agamemnon, 527.

[64] Ce signe de trahison figurait aussi dans le tableau de Polygnote. On trouve une histoire différente dans Schol. Iliade, III, 206.

[65] Euripide, Hécube, 38-114, et Troade, 716; Leschês ap. Pausanias, X, 25, 9; Virgile, Énéide, III, 322, et Servius, ad loc. - Dictys fait un conte romanesque au sujet de la passion d'Achille pour Polyxenê (III, 2).

[66] Odyssée, XI, 422. Arktinus, Argum., p. 21, Düntzer. Théognis, 1232. Pausanias, I, 15, 2; V, 26, 3 ; 31, 1. En expiation de ce péché de leur héros national, les Lokriens envoyèrent périodiquement à Ilion quelques-unes de leurs jeunes filles, pour accomplir des fonctions serviles dans le temple d'Athênê (Plutarque, Ser. Numin. Vindict., p. 557, avec la citation tirée d'Euphorion ou de Callimaque, Düntzer, Epice. Vet., p. 118).

[67] Leschês, Fragm. 7, Düntzer ; ap. Schol. Lycophr., 1263. Cf. Schol. ad 1232, au sujet du souvenir respectueux que, parmi leurs traditions, les rois Molosses conservaient pour Andromachê, qu'ils considéraient comme leur mère héroïque, et Strabon, XIII, p. 594.

[68] Tel est le récit de l’ancienne épopée (V. Odyssée, IV, 260, et le quatrième livre en général ; Argument de l'Ilias minor, p. 20, Düntzer). Polygnote, dans les peintures dont il est parlé plus haut, suivait le même récit. (Pausanias, X, 25, 3).

La colère des Grecs contre Hélène, et l'assertion que Menelaos, après la prise de Troie s'approcha d'elle avec des projets de vengeance, riais fut si attendri par son éclatante beauté qu'il jeta son épée déjà levée, appartiennent à l'époque des auteurs tragiques (Eschyle, Agamemnon, 685-1455 ; Euripide, Andromaque, 600-629; Helena, 75-120; Troade, 890-1057 ; cf. aussi les beaux vers de l'Énéide, 567-588).

[69] V. dans Hérodote, VI, 61, la description des prières qu'on lui adressa pour qu'elle fit disparaître la laideur repoussante d'une petite fille spartiate d'une haute famille, ainsi que du miracle qu'elle opéra. Cf. aussi Pindare, Olymp., III, 2, et les Scholies au commencement de l'ode; Euripide, Hélène, 1662, et Oreste, 1652-1706 ; Isocrate, Encom. Helen., II, p. 368, Auger; Dion Chrysostome, Or., XI, p. 311. Theodecte ap. Aristote, Politique, I, 2, 19.

[70] Euripide, Troade, 982 sq.; Lycophr. ap. Steph. Byz. v. Αϊγύς ; Stésichore, ap. Schol. Euripide, Oreste, 239; Fragm. 9 et 10 de l'Ίλίου Πέρσις, Schneidewin. - Il l'avait probablement comparée à d'autres femmes emmenées de force.

Stésichore affirmait aussi qu'Iphigeneia était fille d'Hélène et de Thêseus, qu'elle était née à Argos avant le mariage d'Hélène avec Menelaos et avait été cédée. à Klytæmnêstra; ce qui perpétuait ce conte, c'était le temple d'Eileithyia à Argos, qui, d'après l'assertion des Argiens, avait été érigé par Hélène (Pausanias, II, 22, 7). L'âge attribué par Hellanicus et d'autres logographes (Hellanicus, Fragm. 74) à Thêseris et à Hélène représentés, lui comme ayant cinquante ans et elle comme un enfant de sept - quand il l'emmena à Aphidnæ, ne peut jamais avoir été la forme primitive d'une légende pratique quelconque. On l'avait probablement imaginé pour donner à la chronologie mythique un cours plus égal; car Thêseus appartient à la génération qui précède la guerre de Troie. Mais nous devons toujours nous rappeler qu’Hélène ne vieillit jamais (τήν γάρ φάτις έμμεν̕ άγήρω. - Quint. Smyr., X, 312), et que sa chronologie consiste seulement en une existence immortelle. Servius fait observer (ad Énéide, II, 601) : - Helenam immortalent fuisse indicat tempos. Nam constat fratres ejus cum Argonautis fuisse. Argonautarum filii cum Thebaais (Thebano Eteoclis et Polynicis belle) dimicaverunt. Item illorum filii contra Trojam bella gesserunt. Ergo, si immortalis Helena non fuisset, tot sine dubio seculis durare non posset. C'est ainsi que Xénophon, après avoir énuméré beaucoup de héros d'âges différents, tous disciples de Chirôn, dit que la vie de Chirôn suffit pour tous, puisqu'il est frère de Zeus (de Venatione, c. 1).

Les filles de Tyndareus sont Klytæmnêstra, Hélène et Timandra, exposées toutes à l'accusation avancée par Stésichore : V. au sujet de Timandra, épouse du Tégéate Echemos, les nouveaux fragments du Catalogue hésiodique, rétablis récemment par Geel (Goettling, Pref. Hesiod., p. LXI).

Il est curieux de lire, dans l'article Hélène de Bayle, la discussion critique qu'il fait sur les aventures qui lui sont attribuées - comme si elles étaient un véritable sujet historique plus ou moins exactement rapporté.

[71] Platon, République, IX, p. 587, c. 10. - Isocrate, Encom. Helen., t. II, p. 370, Auger; Platon, Phèdre, c. 44, p. 243-244; Max. Tyr, Diss. XI, p. 320, Davis ; Conon, Narr., 18; Dion Chrysostome, Or., XI, p. 323. Horace, Odyssée, I, 17; Epod., XVII, 42. Pausanias, III, 19, 5. Virgile, considérant la guerre du point de vite des Troyens, n'avait pas de motifs pour regarder Hélène avec une tendresse particulière : Deiphobos lui impute la plus basse trahison (Énéide, VI, 511, scelus exitiale Lacænæ ; cf. II, 567).

[72] Hérodote, II, 120. Le passage est trop long pour être cité, mais il est extrêmement curieux ; et la couleur religieuse qu'il donne à la nouvelle version de l'histoire qu'il adopte n'est pas la partie la moins remarquable, - les Troyens, bien qu'ils n'eussent pas Hélène, ne purent cependant pas persuader aux Grecs que c'était la vérité ; car la volonté divine était qu'ils fussent complètement détruits, pour bien faire comprendre aux hommes que pour de grands crimes les dieux infligent de grands châtiments.

Dion Chrysostome (Or., XI, p. 333) raisonne de la même manière qu'Hérodote contre la crédibilité du récit admis. D'autre part, Isocrate, en louant Hélène, insiste sur les calamités de la guerre de Troie comme étant nu critérium de la valeur incomparable de la prise (Encom. Hel., p. 360, Auger) : aux yeux de Pindare (Olymp., XIII, 56), aussi bien qu'à ceux d'Hésiode (Opp. Di., 165), Hélène est le seul objet pour lequel on combatte.

Euripide, clans sa tragédie d'Hélène, reconnaît qu'elle avait été retenue en Egypte et qu'il n'y avait eu à Troie que son εϊδωλον, mais il suit Stésichore en niant complètement sa fuite. - Hermês l'avait transportée en Égypte dans un nuage (Helenê, 35-15, 706) : cf. Von Hoff, de Mytho Helenæ Euripideæ, cap. 2, p. 35 (Leyden, 1843).

[73] Pausanias, I, 23, 8; Payne Knight, Prolegg. ad Homère, c. 53. Euphorion expliquait le cheval de bois par un vaisseau grec appelé Ίππος, le Cheval (Euphorion, Fragm. 34, ap. Düntzer, Fraqm. Epic. Græc., p. 55). V. Thucydide, I, 12; VI, 2.

[74] Suidas, v. Νόστος. Wüllner, de Cyclo Epico, p. 93. Et un poème Άτρειδών xάθοδος (Athenæ, VII, p. 281).

[75] C'est là ce qui amène le changement de la fortune dans les affaires grecques (Eschyle, Agamemnon, 338; Odyssée, III, 130; Euripide, Troade, 69-95).

[76] Odyssée, III, 130-161; Eschyle, Agamemnon, 650-662.

[77] Odyssée, III, 188-196 ; IV, 5-87. On croyait que la cité égyptienne de Kanopos, à l'embouchure du Nil, avait pris, son nom du pilote de Menelaos, qui y était mort et y avait été enterra (Strabon, XVII, p. 801 ; Tacite, Ann., II, 60). Μενελάϊος νομός, ainsi nommé d'après Menelaos (Dion Chrysostome, XI, p. 361).

[78] Odyssée, IV, 500. Le poème épique d’Hagias, Νόστοι, plaçait cette aventure d'Ajax sur les rochers de Kaphareus, promontoire méridional de l'Eubœa (Argum., Νόστοι, p. 23, Düntzer). Nauplios, père de Palamêdês, avait allumé des fanaux trompeurs sur ces dangereux écueils, pour venger la mort de son fils (Sophocle, Ναύπλιος Πυρxαεύς, tragédie perdue; Hygin, F. 116, Sénèque, Agamemnon, 567).

[79] Argument, Νόστοι, ut sup. Il y avait aussi des monuments de Kalchas près de Sipontum en Italie (Strabon, VI, p. 284), aussi bien qu'à Selgê en Pisidia (Strabon, XII, p. 570).

[80] Strabon, V, p. 222; VI, p. 264. Velleius Paterculus, I, 1; Servius, ad Énéide, X, 179. Il avait érigé un temple à Athênê dans l'île de Keôs (Strabon, X, p. 487).

[81] Strabon, XI, pp. 254, 272; Virgile, Énéide, III, 401, et Servius, ad loc.; Lycoph., 912. - On montra pendant longtemps à Thurium et la tombe de Philoktêtês et les flèches d'Hêraklês dont il s'était servi contre Troie (Justin, XX, 1).

[82] Argum. Νόστοι, p. 23, Düntzer ; Pindare, Nem., IV, 51. Selon Pindare, cependant, Neoptolemos vient de Troie par nier, manque l'île de Skyros, et navigue en longeant la côte jusqu'à Ephyra en Epiros (Nem., VII, 37).

[83] Pindare, Nem., X, 7, avec les Scholies. Strabon, III, p. 150; V, p. 224-215; VI, p. 284. Stephan. Byz., Άργύριππα Διομηδεία. Aristote le reconnaît comme ayant été enterré dans les îles qui portent son nom dans l'Adriatique (Anth. Gr., Brunck, I, p.178). - On montrait à Delphes, du temps de Phanias, le trépied identique qu'avait gagné Diomêdês comme vainqueur dans la course de chars aux jeux funèbres de Patroklos, attesté par une inscription, aussi bien que par le poignard qu'avait porté Helikaôn, fils d'Antenôr (Athenæ, VI, p. 232).

[84] Virgile, Énéide, III, 399; XI, 265; et Servius, ibid. Ajax, fils d'Oïleus, y était adoré comme héros (Conon, Narr., 18).

[85] Strabon, III, p. 157; Isocrate, Evagor. Encom., p. 192 ; Justin, XLIV, 3. Ajax, fils de Teukros, établit un temple de Zeus et au sacerdoce héréditaire, toujours occupé par ses descendants (qui portaient pour la plupart le nom d'Ajax ou de Teukros), à Olbê en Kilikia (Strabon, XIV, p. 672). Teukros emmena avec lui à Cypre ses captifs troyens (Athenæ, VI, p. 266.)

[86] Strabon, III, p. 140-150; VI, p. 261 ; XIII, p. 622. V. les épitaphes au sujet de Teukros et d'Agapenôr par Aristote (Anthol. Gr., éd. Brunck, I, p. 179-180).

[87] Strabon, XIV, p. 683 ; Pausanias, VIII, 5, 2.

[88] Strabon, VI, p. 263; Justin, XX, 2; Aristote, Mirab. Ausc., c. 108. Et l'épigramme du Rhodien Simmias appelée Πελεxύς (Anthol. Cir., Brunck, I, p. 210).

[89] Velleius Paterculus, I, 1. Stephan. Byz. v. Λάμπη. Strabon, XIII, p. 605; XIV, p. 639. Théopompe (Fragm. 111, Didot) racontait qu'Agamemnôn et ses compagnons s'étaient emparés de la plus grande partie de Cypre.

[90] Thucydide, IV, 120.

[91] Hérodote, VII, 91 ; Thucydide, II, 68. D'après le vieux poète élégiaque Kallinos, Kalchas lui-même était mort à Klaros, près de Kolophôn, après y être venu par terre de Troie; mais Mopsos, son rival dans les fonctions de prophète, avait conduit ses compagnons en Pamphylia et en Kilikia (Strabon, XII, p. 570; XIV, p. 668) L'oracle d'Amphilochos à Mallos en Kilikia avait la plus haute réputation d'exactitude et de véracité à l’époque de Pausanias (Pausanias, I, 34, 2). Une autre histoire reconnaissait Leontios et Polypœtês comme fondateurs d'Aspendos en Kilikia (Eustathe, ad Iliade, II, 138).

[92] Strabon, IX, p. 416.

[93] Diodore, IV, 79; Thucydide, VI, 2.

[94] Steph. Byz., v. Σύρνα ; Lycophr. 1047.

[95] Eschine, de Falsâ Legat., c. 14 ; Strabon, XIV, p. 683; Steph. Byz., v. Σύνναδα.

[96] Lycophr., 877-902, avec les Scholies; Apollodori Fragmenta, p. 386, Heyne. - Il y a aussi dans Solin une longue énumération de ces guerriers errant à leur retour et fondant de nouveaux établissements (Polyhistor, c. 2).

[97] Strabon, III, p. 150.

[98] Aristote, Mirabil. Auscult., 79, 106, 107, 109, 111.