HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

SECONDE PÉRIODE

 

CHAPITRE ONZIÈME.

 

 

Suite de la seconde invasion. — De La féodalité en France depuis la déposition de Chartes le Gros jusqu'à l'exaltation de Grégoire VII.

 

I

Eudes, fils de Robert le Fort avait été choisi pour roi (887) par ses vassaux du duché de France et du comté de Paris ; mais plus d'un compétiteur refusait de le reconnaître. Le plus dangereux n'était pas Arnulf, roi de Germanie, dont il se débarrassa par un hommage, ni Gui, duc de Spolète couronné par le pape et par l'évêque de Langres, ni même le fils posthume de Louis le Bègue, le descendant légitime de Charlemagne. C'étaient surtout les grands vassaux qu'il avait à redouter. La féodalité avait déjà partagé la France eu plusieurs royaumes héréditaires. A côté d'Eudes, et avec la même puissance, s'élevaient le comte de Flandre, Baudouin II, le comte de Vermandois Herbert ; le duc de Bourgogne, Richard le Justicier ; le comte de Poitiers, duc d'Aquitaine, Rainulfe II. Les comtes du Maine avaient aussi l'indépendance ; les comtes d'Anjou étaient maîtres d'Angers, de Tours, d'Amboise et du Gâtinais. Il n'y avait que le comte de Toulouse et le comte de Barcelone, qui ne menaçât point : le duc de Gascogne, comme le duc de Bretagne, se souciait peu du roi de France qui l'oubliait[1].

Dans la lutte qui s'engage alors entre le roi et les vassaux, la féodalité ne sait pas elle-même ce qu'elle veut : ennemie du roi, elle le combat, le chasse, mais pour en faire un autre qu'elle chasse à son tour. Eudes plaisait aux Neustriens parce qu'il était Neustrien, et les Carlovingiens étaient des étrangers pour la France. Il venait de vaincre les Normands à Montfaucon (889), rappelant ainsi les exploits de son père, et sauvant l'État qu'il devait gouverner. Cependant le comte de Flandre menaçait, Rainulfe allait se faire reconnaître roi. Une première ligue fut déconcertée par la présence du roi en Aquitaine, et bientôt par la mort de Rainulfe empoisonné. Mais l'archevêque de Reims et le comte de Vermandois, le duc de Bourgogne, le nouveau comte de Poitiers et le nouveau duc d'Aquitaine, tous deux établis par Eudes, lui (893) opposèrent bientôt le fils de Louis le Bègue, Charles le Simple ; c'était un Carlovingien, mais peu leur importait par quels moyens ils détruiraient le roi ; ils demandèrent même et obtinrent l'appui de l'étranger Arnulf.

Eudes, rappelé ainsi de l'Aquitaine qu'il surveillait, n'eut qu'à paraitre pour dissiper les amis du jeune Charles. Arnulf ne pouvant faire prévaloir le Carlovingien, cita devant lui les deux compétiteurs ; mais cette première guerre ne finie que par la volonté d'Eudes. Il se résigna à partager avec Charles, et mourut bientôt (898) ne laissant pour héritage à son frère Robert que le duché de France.

Charles le Simple ou le Sot, fut reconnu par tous les vassaux. L'homme incapable qu'ils avaient fait roi ne devait pas gêner leur pouvoir. Caché dans la ville de Laon dont le territoire était le dernier domaine royal, il les laissa se guerroyer entre eux, se dépouiller, dépouiller les églises, achever l'oppression des hommes libres, bâtir des châteaux, et profiter de la misère publique. Tout l'effort des Normands tombait alors sur la France, depuis la victoire d'Arnulf sur la Dyle, et pendant le règne respecté du grand Alfred d'Angleterre. Quelques victoires de Richard de Bourgogne, du comte de Poitiers, de Robert, duc de France, ne pouvaient rien contre l'opiniâtreté de Rollon. Ce chef barbare avait déclaré qu'il voulait demeurer à Rouen et en faire sa maître-ville. Il établissait en Neustrie des colonies scandinaves, et s'avançait au pillage dans toutes les directions. De toutes parts s'élevaient les cris de la détresse ; au milieu du désespoir, on accusait le roi des trêves conclues avec les Normands, comme d'une connivence avec les païens. A la fin tous reconnurent que la paix était nécessaire à toute condition. On traita avec le pirate à Saint-Clair sur Epte (912). Rollon reçut toutes les terres qui ont formé la province de Normandie, sous le nom de duché, relevant de la couronne de France, et la Bretagne à titre d'arrière-fief ; il se fit chrétien, épousa la fille du roi et rendit hommage au roi par un envoyé. Ce traité suffit à justifier Charles du titre de simple ou de sot : les ravages cessèrent ; une féodalité sévère qui subordonnait au duc tous ceux qui possédaient des terres dans son duché, une police impitoyable qui a immortalisé le nom de Rollon, continrent dans une vie sédentaire l'ancienne activité des pirates. Un autre résultat fut aussi préparé pour l'avenir. Charles donna à Rollon la vieille querelle de la souveraineté de Bretagne, ce que ni lui, ni ses prédécesseurs n'avaient su faire ; mais ses desseins étaient que si Rollon en pouvait venir à bout, il gagnerait peur le moins ladite obéissance, tenance et arrière-fief qui ne lui coûterait guère, et ne pouvait qu'il ne gagnât en la partie ; et quand il y eût perdu son gendre en la querelle, c'était ce qu'il souhaitait ; il eût repris la Normandie, et retrouvé l'hommage de la Bretagne, et s'il n'y eût rien fait, il pensait bien que ce n'était ni perdu ni gagné, et qu'aussi bien n'en était-il nullement reconnu, et parce qu'il demeurait en l'état précédent[2]. Ce que Charles le Simple espérait alors s'est accompli au temps de Philippe-Auguste.

Le pauvre roi venait d'acquérir la Lorraine, par la mort de Louis l'Enfant, et il répétait que ses domaines étaient agrandis, il datait ses actes de cette formule : Depuis l'acquisition d'un plus grand héritage ; triste héritage cependant qu'il ne put défendre ni contre les vassaux ni contre l'invasion. Rainier, qui l'avait appelé, conserva le duché comme duc amovible et le transmit à son fils Giselbert (911) sous la suzeraineté de Charles. Bientôt les Hongrois se montrèrent en Lorraine (919). Charles appela vainement à son aide ses vassaux de France ; l'archevêque de Reims seul amena quinze cents hommes ; la Lorraine ne touchait pas les Français, et déjà ils conspiraient contre Charles.

On ne comprend guère leur mécontentement ; ils se plaignaient d'un favori, d'Haganon qui les empêchait d'arriver jusqu'au roi, et pourtant qu'avaient-ils à faire avec le roi ? Ils étaient maîtres chacun chez soi ; il vaut mieux croire qu'un Carlovingien, ami des Allemands, commençait à leur faire ombrage. Ils vinrent donc à Soissons (920), et rompant devant lui des butins de paille gela tenaient à la main, ils déclarèrent qu'ils ne le voulaient plus pour roi, L'archevêque de Reims, Hérivée, lui obtint une année de grâce, en promettant que le roi se corrigerait.

Mais Charles garda Haganon, fit à Bonn un traité avec le roi de Germanie, où tous deux promettaient de vivre en bonne intelligence, retira à Hérivée la charge de chancelier. Le vassal le plus puissant était le duc de France. Robert, ne pouvant entraîner Rollon, s'entendit avec le nouveau duc de Bourgogne Raoul, et d'autres seigneurs, et fut proclamé roi. Charles le Simple tomba alors. A la bataille de Soissons (923) il tua bien Robert, mais fut vaincu par le filss de Robert, Hugues le Grand. Rollon ne put le secourir, et il s'enfuit en Lorraine.

Le titre de roi était si misérable que les grands vassaux n'en faisaient un jeu. On dit que Hugues qui pouvait le prendre n'en voulut pas, et laissa le choix à sa sœur Emma qui avait épousé Raoul, duc de Bourgogne. Emma aimait mieux baiser les genoux de son mari que ceux de son frère, et Raoul fut roi : le comte de Vermandois qui le reconnaissait aussi, attira Charles le Simple dans un piège et l'emprisonna.

Raoul, comme Eudes, lutta longtemps contre les vassaux et contre les barbares. La Lorraine passa au roi germain. Les Hongrois vinrent deux fois et s'avancèrent jusqu'à l'Aisne et à la mer (923-926). Dans ce danger Raoul ne pouvait s'affermir que par des concessions aux grands vassaux. Son allié, le duc de France, céda lui-même aux Normands quelques villes, Pour avoir refusé le comté, de Laon au comte de Vermandois, Ruerai fut menacé un moment de Charles le Simple que Herbert remettait en évidence, et s'en délivra par une promesse. Charles, captif pour toujours, termina sa vie au palais d'Attigny.

Une paix générale conclue en 935 entre les rois de France, de Germanie, de Bourgogne, profita peu à Raoul ; il mourut en 936. La France n'eut pas de roi pendant quelque temps. J.-C. régna dans l'attente d'un roi ; c'était la formule de date des actes publics. Enfin les ducs de Normandie et de France Guillaume Ier et Hugues le Grand, rappelèrent du pays des Anglo-Saxons le fils de Charles le Simple, Louis d'Outremer. Mais ils ne voulaient point le laisser maitre. L'archevêque de Reims obtint, en le couronnant, le comté Reims pour lui et ses successeurs avec tous les droits régaliens. Hugues se fit promettre la Bourgogne, alors partagée, et l'obtint tout entière quelque temps après. Bientôt Hugues et le comte de Vermandois, réclamant le comté de Reims, appelèrent le roi de Germanie Otton Ier et lui firent hommage. Heureusement Otton n'avait pas le temps de prendre la royauté de France.

La mort d'Herbert et du Normand Guillaume, semblait donner quelque repos à Louis IV. Le comté de Vermandois divisé perdait de son importance. Louis venait prendre à Rouen le fils de Guillaume, le jeune Richard, pour l'élever comme son fils. Mais tandis qu'il allait au midi chercher l'hommage du prince des Goths[3], l'indomptable Hugues excitait les Normands qui chassèrent de Rouen la garnison laissée par Louis. Bientôt le jeune duc échappa. On disait que par le conseil du comte de Flandre, le roi devait lui couper les jarrets, le tenir en prison et faire la guerre aux Normands pour les renvoyer en Danemark. Le roi ne put se venger, quoique réconcilié un moment avec Hugues. Les tuteurs de Richard appelaient à leur aide d'autres pirates scandinaves. Louis IV, attiré à une entrevue, faillit être pris, se sauva à Rouen où on le retint prisonnier ; racheté par Hugues, il passa dans une autre captivité sous la garde Thibaut le Tricheur, comte de Blois.

Le roi de Germanie menaçait : Hugues rendit la liberté au roi, mais après s'être fait céder la ville de Laon. Le roi traita avec le duc de Normandie, en lui cédant de nouvelles terres depuis l'Andelle jusqu'à l'Epte, et peut-être jusqu'à l'Oise. Alors il fut réglé que le duc de Normandie ne devait au roi de France aucun service militaire, et qu'il ne lui en rendrait pas, à moins que le roi ne lui donnât en France un fief qui exigeât ce service. Voilà pourquoi, dit un historien du XIIIe siècle[4], le duc de Normandie se contente de faire hommage de son duché au roi de France et de lui promettre fidélité sur sa vie et sur le fief qu'il possède, de même aussi le roi de France promettre fidélité sur sa vie et sur tout ce qui lui appartient : ainsi toute la différence qui est entre eux, c'est que le roi ne fait pas hommage au duc, comme le duc le fait au roi.

Louis d'Outremer, mal secouru par Otton, et par le comte de Flandre Arnoul, eut donc raison de venir, en 948, au concile d'Ingelheim, demander protection à l'Église. Il disait : Le comte Hugues s'est emparé de moi, refile déposé et emprisonné durant une année entière, et enfin je n'ai obtenu ma délivrance qu'en remettant en son pouvoir la ville de Laon, la seule ville de la couronne que mes fidèles occupassent encore. Tous ces malheurs qui m'ont accablé, si quelqu'un soutient qu'ils me sont arrivés par ma faute, je suis prit à me défendre, soit par le jugement du synode, soit par un combat singulier. Le concile excommunia. Hugues, mais ne fit rendre que la ville de Laon à Louis IV, qui mourut en allant soutenir le comte d'Auvergne contre ses vassaux révoltés (954).

Après lui, Lothaire, son fils aîné, fut roi, par le dédain de Hugues, qui refusa pour la troisième fois un titre qu'il avait tant avili lui-même, Hugues étant mort deux ans après, sa vaste succession se divisa entre ses fils ; Otton eut la Bourgogne ; Hugues (Capet) eut le duché de France. Il en résulta quelque repos, pour la royauté, du côté des vassaux français. Mais Lothaire essaya vainement d'en profiter pour reprendre la Lorraine. Charles, son frère, avait accepté de l'empereur Otton II, le duché de Lorraine inférieure ; il s'était fait vassal du roi Germain. Lothaire, irrité, attaquant à l'improviste, manqua de prendre Otton à Aix-la-Chapelle, mais attira sur la France une armée qui vint jusqu'à Paris. Chassé par le roi, et les ducs de France et de Bourgogne, Otton traita encore à son avantage, et le roi Lothaire abandonna la Lorraine (980). Un nouvel effort, pendant la minorité d'Otton III, n'amena qu'uns paix désavantageuse à Lothaire.

Les seigneurs français étaient mécontents de l'abandon de la Lorraine. Cependant ils ne chassèrent pas Lothaire. La féodalité avait si bien ruiné la royauté et la race carlovingienne, qu'il n'était plus besoin de combattre ; il fallait attendre la fin naturelle des Carlovingiens. Hugues Capet ne combattait pas Lothaire, il prenait sa confiance et surtout l'usage de l'autorité sous son nom. Un saint lui avait dit dans une vision : Toi et les tiens vous serez rois jusqu'à la septième génération. Lothaire en mourant (986) lui ayant recommandé sort fils, Hugues laissa régner Louis V, et ne se décida qu'à sa mort (987), lorsque le seul héritier du titre de roi était Charles de Lorraine, ce vassal du roi germain, haï des Français comme étranger.

 

II

L'avènement de Hugues Capet semble le même que celui du roi Eudes. Il est élu à Noyon par les vassaux de son duché et sacré par l'archevêque de Reims ; de grands vassaux réclament contre lui, et lui opposent Charles de Lorraine comme autrefois Charles le Simple à Eudes. Mais la ressemblance s'arrête là ; d'abord le duc de Normandie, Richard Ier, l'ennemi de Louis d'Outremer et de Lothaire, ancien tuteur de Hugues, le reconnaît volontiers, et rentre dans le repos jusqu'à sa mort. Les partisans du Carlovingien sont Arnoul II, comte de Flandre, et Guillaume IV d'Aquitaine. Mais Arnoul vaincu se réfugie en Normandie et obtient la paix, par la médiation de Richard. Guillaume, attaqué, sauve Poitiers, mais est battu sur la Loire. Charles de Lorraine s'empare ensuite de Laon par trahison, met Hugues en fuite, et s'empare de Reims ; ruais trahi à son tour, il est pris et conduit en captivité pour n'en plus sortir. Hugues ne partage pas comme Eudes, il demeure roi, sans plus de contestation.

Ce n'était pas sans raison que la féodalité avait combattu le duc de France qui se faisait roi. La féodalité ne pouvait vivre qu'avec un roi de Laon, réduit à une ville, quelquefois à son titre seul, réduit à la protection d'un duc de Normandie ou d'un comte de Vermandois, d'un archevêque de Reims ou d'un duc de France. Maintenant la royauté aura au moins la force d'un duché, et elle pourra vaincre si elle attaque les ducs l'un après l'autre ; si elle reste unie à un grand fief, elle deviendra héréditaire par la loi des fiefs. Et c'est ainsi que la royauté s'est fondée en France par les principes féodaux tournés contre la féodalité.

Cependant un long repos succède après l'avènement de Hugues Capet. L'an 1000 approche, chacun règne chez soi, attendant la fin du monde. Le duc de Normandie s'occupe de bonnes œuvres ; celui d'Aquitaine, Guillaume IV, abdique (990), visite les couvents, cherche le plus paisible pour y mourir loin du bruit ; son successeur fait un moment reconnaître pour rois les fils de Charles de Lorraine, mais ne remue pas pour les soutenir. Henri le Grand, frère de Hugues, duc de Bourgogne, honorant l'Église et ses ministres, soulage les malheureux, corrige les abus, maintient l'ordre. Hugues Capet lui-même rendant aux églises le plus qu'il peut, fier de porter la chappe de saint Denis, ne porte jamais la couronne, et se contente d'assurer sa succession à son fils Robert, par le consentement de ses nobles.

L'isolement continue sous le roi Robert (998-1031) ; les affaires privées du bon roi nous font connaître combien les différentes parties de la France étaient étrangères l'une à l'autre. Quand l'excommunication portée par Grégoire V l'eut forcé de quitter sa première femme, il épousa Constance, fille du comte de Toulouse ; alors on s'étonna au nord de la vie des hommes du midi, comme d'une nouveauté. Ceux que Constance amenait, les plus vains et les plus légers des hommes, véritables histrions, annonçaient par leurs vêtements ridicules, le déréglèrent de leurs âmes. Ils corrompirent la nation française, autrefois si décente, et la précipitèrent dans toutes sortes de débauches et de méchancetés. On sait encore toute la méchanceté de Constance : son mari en avait peur. Ne le dites pas à ma femme, c'était son mot, quand il faisait quelque bien, on quelque chose que sa femme ne voulait pas.

La terreur générale continue aussi, la même pitié extérieure tâche d'apaiser le ciel. Le bon roi chantait au lutrin faisait des hymnes, s'encourait de pauvres, en nourrissait jusqu'à mille par jour. Les autres en faisaient autant. Le Normand Richard II, surnommé le Bon, comme Robert, suppliait l'abbé de Saint-Bénigne de lui amener des religieux de son monastère, pour desservir l'église de Fécamp. Guillaume V d'Aquitaine faisait chaque année un pèlerinage à Rome ou à Saint-Jacques, en Espagne. Il élevait une abbaye en l'honneur de saint Pierre, se préparant ainsi à quitter le monde, comme son père, pour la vie monastique.

Lorsque l'époque fatale fut passée, quand le monde espéra de vivre encore un peux, l'humanité se remit en mouvement ; le bon Robert lui-même fit la guerre. Mais ces mouvements n'ont point d'intérêt ; ces petites guerres de fief à fief n'amènent aucun résultat. C'est le duc de Normandie qui attaque le comte de Blois, et appelle les Danois ; Robert laisse le comte s'accommoder avec Richard. Ailleurs, Henri de Bourgogne étant mort, son beau-fils, Otte Guillaume prétend à son duché ; Robert résigne et sarde le duché de Bourgogne, mais pour investir Henri, son second fils. Le plus grand mouvement que le roi se donne, c'est une guerre soutenue pour le comte de Flandre, Baudouin le Barbu, contre le roi de Germanie, Henri II ; mais les deux saints firent deux fois (1007-1023) la paix que conserva leur amitié et leurs vertus.

Cependant les Capétiens gagnaient à cette modération, à cette patience qui les faisait oublier. La royauté s'affermissait dans leur famille. Le roi Ruben ayant perdu son els, Hugues, examina lequel des trois els qui lui restaient était le plus capable de lui succéder, et son choix s'arrêta sur Henri[5] ; les grands le soutinrent contre sa femme, et Henri fut couronné pour succéder à son père.

Le long règne de Henri Ier (1031-1060) frappa plus fort ce monde qui dormait et le réveilla. Le nord s'agita pour ou contre la cause du roi. Si les vassaux du midi y restèrent étrangers, ils remuèrent su moins pour leur propre cause. Déjà la Normandie avait pour duc Robert le Magnifique, surnommé le Diable pour sa manière de faire la guerre, Ce diable, succédant au bon Richard, après quelques mois de règne d'un frère aîné, avait annoncé la fin d'un trop long repos. Il avait enlevé la ville d'Évreux son frère, battu l'évêque de Bayeux ; rétabli Lecomte de Flandre chassé par son fils. Sa maxime était qu'il fallait pousser la guerre à outrance pour la terminer vite, ou ne pas la commencer. Il se faisait un jeu des affaires du ciel, comme des affaires de lai terre. Dans un pèlerinage à Jérusalem, fatigué d'une longue route, comme il était porté en licière par quatre Maures, un Normand le rencontrant lui demanda ce qu'il fallait dire au pays : Tu diras que tu m'as vu porter en paradis par quatre diables. Du reste, il fut fidèle à l'alliance des ducs normands avec les Capétiens. La reine Constance préférait à Henri son autre fils Robert ; elle armait pour lui le comte de Flandre, et Eudes, comte de Blois et de Chartres, héritier du comté de Troyes. Les secours de Robert le Diable sauvèrent Henri. Il battit son frère à Villeneuve-Saint-Georges, obligea sa mère au repos ; mais il donna à son frère le duché de Bourgogne, et céda au duc de Normandie le Vexin français. L'activité de Henri lui assurait la couronne, il la conserva par le même moyen. Eudes, son second frère, voulant aussi un duché, s'entendait avec les comtes de Blois, de Valois, de Champagne. Eudes fut pris et enfermé, ses complices battus, quelques-uns pris et dépouillés. Ainsi commençait la lutte du roi et de la féodalité, pour se terminer par le triomphe du roi.

Mais la résistance devait être longue et difficile ; deux grandes provinces allaient soutenir la lutte contre le roi, la Normandie et l'Aquitaine. Henri Ier contribua lui-mérite à la puissance des ducs normands ; il avait (1035) cédé le Vexin français, il sole tint encore le fils de Robert le Diable, Guillaume, contre des seigneurs rebelles, et les battit lui-même au Val-des-Dunes, entre Caen et Argentan (1047). Au midi, les ducs d'Aquitaine, après quelques guerres sans résultat contre les comtes d'Anjou, venaient d'acquérir le duché de Gascogne (1052), et les montagnards des Pyrénées se joignaient de nouveau aux Aquitains, comme au temps de Waïfre. Henri essaya vainement d'affaiblir plus tard le duc normand (1053) ; battu deux fois, il se hâta de faire couronner son fils Philippe pour lui assurer sa succession.

Philippe Ier, roi à sept ans (1060), sous la tutelle de Baudouin V de Flandre, et peut-être trahi par son tuteur, ne s'opposa point à l'expédition de Guillaume le Conquérant en Angleterre. Tandis qu'il acquérait le Gâtinais, par une cession du comte d'Anjou, et jurait de tenir la terre aux us et coutumes qu'elle avait été tenue (1068), le duc normand devenait roi des Anglais. Philippe ne put même soutenir le fils de son tuteur, Arnoul III, contre Robert le Frison, envahisseur de la Flandre, et épousa Berthe, elle de Robert (1071). Le duc de Normandie avait promis, dit-on, de tenir l'Angleterre comme fief de la France. Il allait maintenant refuser l'hommage pour la Normandie, et la lutte du roi et des vassaux de France devait être la rivalité de la France et de l'Angleterre.

 

 

 



[1] Voyez sur ces principautés féodales, les chroniques de saint Bertin, de saint Bénigne, et les Gesta consulum andegavensium, apud Achery.

[2] D'Argentré, Histoire de Bretagne.

[3] Voyez M. Desmichels, t. II, p. 634.

[4] Inter script. Normann.

[5] Radulphe Glaber.