LA RENAISSANCE

 

CHAPITRE XI. — SAVONAROLE.

 

 

Charles VIII avait fait son entrée à Florence le 17 novembre 1494, huit jours après l’expulsion de Pierre de Médicis. Les boules rouges sur champ d’or qui décoraient le palais, construit par Michelozzo Michelozzi pour Cosme l’Ancien, avaient été remplacées par la grande croix du blason communal et la ville tombait sous la domination d’une des plus étranges personnalités et des plus puissantes aussi, que nous offre l’histoire : Frère Jérôme Savonarole. En ses oraisons enflammées, Savonarole avait prédit l’arrivée du roi de France et de ses armées en fléau déchaîné par le ciel pour châtier la corruption des Italiens. Il apparaîtrait en nouveau Cyrus armé par Dieu d’un glaive vengeur !

Girolamo Savonarole naquit à Ferrare, le 21 septembre 1452, dans une famille bourgeoise originaire de Padoue. Destiné à la médecine, où les siens s’étaient distingués, le jeune homme reçut une instruction littéraire et scientifique accomplie. Mais Jérôme témoignait d’une nature tout à la fois pensive, farouche et exaltée. Il recherchait la solitude pour s’attacher h l’étude de la philosophie d’Aristote et de Thomas d’Aquin.

Un sermon entendu dans la petite ville de Faënza, déclencha en Jérôme Savonarole une vocation irrésistible. Le 23 avril 1475, âgé de vingt-deux ans, il s’enfuit de la maison paternelle et se rendit à Bologne où il vêtit la robe blanche des Dominicains. Il me fallut prendre l’habit quoique j’en eusse, dira-t-il plus tard. La pensée d’entrer en religion chassait de mes yeux le sommeil ; j’en avais perdu l’appétit ; mais à peine eus-je fait ce que ma pensée me commandait, que je fus dans le contentement. Aujourd’hui que je suis moine, je ne troquerais ma condition contre nulle autre. Deux jours après avoir pris logis chez les religieux, Jérôme écrivait à son père que s’il était entré au couvent c’était par effroi des impiétés et des souillures dont se couvrait le monde retombé dans le bourbier de Sodome et de Gomorrhe. Sa nature sensible à l’extrême, nerveuse à l’excès, trouvait dans la paix monotone du cloître l’atmosphère qui lui convenait. J’aimais deux choses pardessus tout, dira-t-il : la liberté et le repos. Ce sont elles qui m’ont conduit au port. Pour avoir la liberté je n’ai pas voulu de femme et, pour avoir le repos, j’ai fui le monde et j’ai gagné l’asile de la religion.

A sa demande, il fut chargé dans le couvent des fonctions les plus humbles : celles de jardinier et de tailleur ; mais après une année de jardinage et de couture, ses supérieurs voulurent qu’il se consacrât à l’enseignement où il lui fallut débuter par la métaphysique. Les subtilités où celle-ci s’égarait ne tardèrent pas à lasser notre jacobin qui, dès lors, s’adonna presque exclusivement à la lecture et à l’étude des livres saints. L’Evangile demeurera pour lui l’unique source de vérité, doctrine qui fera voir parfois en Savonarole pn précurseur de Luther et de Calvin.

Le livre, dit-il, où l’on apprend toute la loi divine est celui de Notre-Seigneur Jésus le Crucifié. Lis dans ce livre : tout y est enfermé. Tu veux aimer, lis dans le livre du Crucifié ; tu veux la charité, lis dans le livre du Crucifié ; tu y trouveras toutes les vertus.

En 1482, Frère Jérôme fut transféré du couvent de Sainte-Marie-des-Anges de Bologne en la célèbre maison de Saint-Marc à Florence, que Cosme l’Ancien venait d’agrandir sur les plans de Michelozzo, que l’Angelico et Fra Bartolomeo avaient ornée de leurs chefs-d’œuvre, que saint Antonin avait illustrée de ses vertus. A Saint-Marc, Savonarole fut promu aux fonctions de lecteur qui consistaient à instruire les jeunes novices. Il les remplit quatre années durant (1482-1486), chargé entre temps de prêcher le carême à Saint-Laurent.

On est surpris d’apprendre que les débuts de ce prédicateur — qui fut le plus grand orateur de son temps, peut-être de tous les temps — ont été des plus malheureux ; certes, quand il parlait, ses grands yeux noirs jetaient des flammes, toute sa personne vibrait, frémissait d’ardeur et de conviction ; mais la voix demeurait sourde, comme enrouée ; les intonations étaient fausses, la tenue de l’orateur était embarrassée, et le style semblait lourd. A peine si une vingtaine de personnes, perdues dans la grande basilique, suivirent son carême jusqu’à la fin (1483).

D’autre part, dès 1484, se marque sa tendance à se mêler de politique. Il est pris d’une irrésistible passion : réformer l’Etat dans le sens démocratique, en lui donnant pour base la vertu et la religion.

Un conseil avait été établi à Florence pour travailler à doter la république d’une constitution nouvelle. Savonarole demanda à y être convoqué pour y exposer ses conceptions : elles étaient du caractère le plus populaire. 11 aimait avec passion Florence, l’Italie ; il aimait les humbles, les pauses, il popolo minutissimo. Il aimait la liberté qui lui semblait la condition première de la vertu, en opposition à la tyrannie des Médicis.

Frère Jérôme se montrait moine exemplaire par la pureté de sa vie, par sa modestie, son application au travail, sa piété profonde. Il passait des nuits entières en prière, en méditations ardentes. Sa pensée s’y exaltait. Dans la ferveur de ses extases, il se voyait en contact avec la divinité. Il lui semblait que celle-ci lui fît entendre directement ses enseignements, les enseignements du Christ dont le pauvre moine s’efforçait de se pénétrer. Tant et tant que Savonarole finit par croire que sa pensée venait à se confondre avec celle du Maître divin, pente au bas de laquelle il se trouva convaincu que les conceptions morales et politiques, germées, développées, fermentées en lui, y étaient déposées par Dieu même. Dieu va parler par sa bouche. A l’instar d’Isaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel et de Daniel, il est un prophète.

Conviction qui ne s’empara pas de sa pensée brusquement : elle s’-y insinua ; mais, une fois entrée, elle s’v ancra d’autant plus profondément que ses premières prédictions se réalisèrent : la mort d’innocent VIII, celle de Laurent le Magnifique, la chute des Médicis, l’invasion française. De là le cours que prendra sa vie, sa manière d’être, de parler et d’agir ; de là aussi les fautes qui le perdront.

Savonarole était naturellement modeste, mais l’idée que Dieu pensait en lui, parlait par sa bouche, le rendait orgueilleux ; il était naturellement bon et bienfaisant, mais la conviction qu’en le contrecarrant on allait contre Dieu même, le rendra intransigeant et dominateur ; il était de caractère faible et inconstant, mais le sentiment de ses dons prophétiques lui donnera une force et une énergie où sa nature, par elle-même hésitante, scrupuleuse et craintive, creusera des trous béants qui le feront trébucher : d’où les contradictions de son existence.

Perrens, en sa Vie de Savonarole, relève une particularité intéressante : la présence auprès de notre dominicain, d’un confrère, Fra Silvestro Maruffi, qui était somnambule et avait, pendant ses crises de somnambulisme, des visions qu’il traduisait à voix haute. En ce temps, dit Perrens, on croyait que les somnambules étaient plus près de la divinité. Il est vraisemblable que, dans cette intimité, une influence s’exerça sur Frère Jérôme.

Ensuite c’étaient des doutes, des scrupules :

Dieu m’est témoin que, dans, la nuit du samedi au dimanche, jusqu’à l’aurore, je ne pus fermer l’œil : je ne voyais aucune issue. J’avais perdu ma science ; je ne savais plus où me prendre. Lorsque le jour fut venu, tout fatigué d’une si longue veille, j’entendis une voix qui disait :

— Insensé ! ne vois-tu pas que Dieu veut que tu annonces l’avenir comme tu l’as déjà fait ?

C’est pourquoi le matin même, je prononçai un discours terrible.

Voilà le nerveux, l’exalté, l’enthousiaste, celui que ses passions entraînent ; passions qui ont toujours eu les mobiles les plus élevés. Puis un autre Savonarole et qui ne forme avec le premier qu’un seul personnage : l’être humain avec ses désirs humains, ses ambitions personnelles ; un homme de calcul, de réflexion, tout de prudence, de circonspection, un œil qui observe avec une singulière acuité, une pensée qui réfléchit avec un don de pénétration surprenant. Le prophète scrute les hommes, mesure les événements pour y adapter sa conduite. Il se rend compte avec tact des goûts, des tendances, des aspirations qui l’entourent. Ainsi le voit-on cheminer d’un pas prudent, parmi les écueils du chemin et les déclamations furieuses, les accès d’indignation auxquels il s’abandonne.

Savonarole était un petit homme, un petit homme de trois sous, dit Philippe Monnier ; son corps était chétif, souffreteux, sa poitrine creuse ; son dos se voûtait et il penchait la tête comme sous le poids des pensées dont elle était remplie. De grands yeux noirs, enfoncés dans leurs orbites, surmontés de gros sourcils roux, un grand nez aquilin, bossu, une grande bouche aux lèvres épaisses et charnues ; de chaque côté du visage des os saillants semblaient aux pommettes devoir lui percer la peau. Le musée des Offices à Florence possède de lui un très beau portrait peint de profil par Fra Bartolomeo : figure pâle, amaigrie, émaciée par les jeûnes et par l’ardeur incessante qui le consumait. Des rides lui sillonnent le front ; le capuce de sa tunique recouvre une lourde chevelure.

Cependant, la réputation de l’humble moine avait grandi. Les leçons qu’il donnait aux novices de son couvent en qualité de lecteur eurent tôt fait d’attirer toute la communauté et, du dehors, des auditeurs de plus en plus nombreux. Le lecteur dut transférer sa chaire dans la plus vaste salle de la maison ; celle-ci à son tour se trouva trop étroite : force est à notre jacobin de lire en plein air dans le jardin conventuel. Il parlait debout jouxte le rosier qui s’épanouissait en fleurs blanches à l’entrée de la chapelle. Il fut enfin appelé â prêcher dans la cathédrale, Notre-Dame de la Fleur. Savonarole fit entendre à Florence durant huit années (1490-1498) un nombre de sermons considérable. De ceux qu’on a conservés on a formé dix gros volumes et qui n’en contiennent pas la moindre partie.

En peu de temps l’orateur avait fait des progrès surprenants. Sa voix, dit Villari, était plus qu’humaine. Elle était sourde, caverneuse, mais sa conviction éclatait en ses paroles, elle les enluminait d’une flamme qui incendiait cœur et pensée. Dans les plus grandes églises, les auditeurs affluaient, pressés à l’entendre comme harengs dans la caque. Ils s’accrochaient en grappes aux grilles du chœur ; ceux qui n’avaient pu pénétrer dans l’édifice se tenaient immobiles au dehors à contempler les murs derrière lesquels sonnaient les flots d’une éloquence enfiévrée. Des paysans venaient de cantons éloignés, marchant de nuit, de longues heures, pour se trouver à l’ouverture de l’église.

Ah ! cette parole merveilleuse qui dompte les cœurs ! écrit un de ses disciples, Fra Domenico Buonvincini ; cette parole qui fait haleter toutes les poitrines, et tient tous les visages levés, les regards tendus vers l’orateur ! J’ai souvent vu la foule suspendue à ses lèvres, comme aspirée par leur souffle puissant, tremblante de fièvre et de peur, versant des larmes, poussant parfois des cris d’angoisse aux terribles accents qui lui traduisaient la colère de Dieu.

Le prédicateur parlait-il contre la parure des femmes, celles qui l’avaient entendu couraient, en sortant, se défaire de leurs robes précieuses, de leurs bijoux en faveur des pauvres gens. Parlait-il contre les richesses mal acquises, en quittant l’église manieurs d’argent, spéculateurs et marchands allaient restituer partie de leur avoir ; l’un d’eux, certain jour, 3.000 ducats d’or, qui feraient aujourd’hui 780.000 francs. Le sténographe, comme nous dirions, chargé de fixer par écrit les paroles de l’orateur, s’interrompt pour noter dans son texte : Ici l’émotion et les larmes m’ont empêché d’écrire.

L’orateur tonnait contre les vices du siècle, contre la corruption dont le monde était flétri ; mais les barbares viendront, fléau de Dieu ! Ils franchiront les monts, tuant, pillant, incendiant, saccageant. Ils emmèneront nos tyrans en esclavage, des anneaux de fer dans le nez, comme les bêtes du cirque. — En vain, criait l’orateur, tu fuiras à droite, à gauche, le fléau a tout envahi ; et partout se répandront les ténèbres : tu ne sauras plus où cacher ta tête ! Ténèbres ici, ténèbres là, toute chose est troublée : la terre troublée, le ciel troublé, le soleil et la lune troublés...

Et la malédiction se poursuivait, quand, tout à coup, s’arrêtant dans un mouvement d’angoisse déchirante :

— Pitié, pitié, mon Dieu ! au nom du sang de Jésus-Christ !

Le peuple haletait, éclatait en sanglots, se jetait à genoux, criant :

— Pitié ! pitié ! au nom du sang de Jésus-Christ !

Un feu intérieur, brûle mes os, disait Savonarole, et me force à parler. Il semblait dans ces moments comme soulevé en une extase surhumaine, le ciel et l’avenir ouverts à ses yeux.

La renommée des sermons de Savonarole s’étendit si loin que le sultan Bajazet pria l’orateur florentin à Constantinople de les lui procurer pour les faire traduire en turc.

Au milieu de ses succès retentissants, Savonarole restait humble et modeste, bienveillant, gracieux à tous. Combien il était aimé de ses compagnons en son couvent de Saint-Marc ! En 1491 ils le placèrent à leur tête en l’élisant pour prieur. Les réformes que Frère Jérôme introduisit parmi les siens furent l’expression de sa foi, de son désir de revenir aux mœurs simples, conformes à l’Evangile des premiers chrétiens. Il en écrit à la prieure d’un monastère pisan :

Nous n’avons pas d’autre manière de vivre que celle de notre règle, tout en supprimant quelques superfluités contraires aux coutumes de nos pères. Nous avons résolu de bâtir des couvents très simples, de ne nous vêtir que de draps grossiers, de manger et de boire simplement à l’imitation des saints, de demeurer en des cellules dépourvues de tout luxe, d’observer le silence et de vivre dans la contemplation.

Mais le prieur de Saint-Marc fondait aussi, en son couvent, une école des langues orientales où pourraient s’acquérir les connaissances nécessaires à la lecture des Ecritures dans le texte original, école qui ne tarda pas à être fréquentée, non seulement par les moines du couvent, mais par grand nombre de Florentins.

En ses sermons il continuait de critiquer la tyrannie médicéenne et commençait d’attaquer la dépravation de la cour romaine où régnait Alexandre VI. Laurent le Magnifique essaya d’apaiser cette opposition dont l’influence sur le peuple allait grandissant. Savonarole demeurait sourd aux offres les plus séduisantes :

— Allez répondre au Médicis qu’il fasse pénitence, car Dieu s’apprête à le punir, lui et les siens.

En 1492, le glorieux tyran se sentit gravement atteint :

— Je ne connais de vrai religieux que celui-là, disait-il, et il fit prier Frère Jérôme de venir l’assister à l’heure de la mort.

L’année suivante, le prieur de Saint-Marc fut appelé à prêcher à Bologne, d’où il entretint une active correspondance avec ses religieux.

Nous y voyons un homme tout de tendresse pour ceux dont il a la direction. Il entre dans les plus humbles détails avec un souci profond du bien et de la félicité de chacun. Dès son retour il était nommé vicaire général de Toscane, ce qui groupait sous son autorité les Jacobins de la province entière.

Savonarole est devenu le plus important personnage de l’Etat. Laurent le Magnifique est mort ; son fils Pierre est chassé ; c’est Savonarole qui est chargé des négociations florentines avec Charles VIII.

En chaire, Frère Jérôme traitait franchement des questions de gouvernement. Le renversement de la dynastie médicéenne, les troubles amenés par l’invasion française avaient jeté Florence dans l’anarchie. Les violences qu’on prévoyait, écrit Guichardin, eussent engendré la désunion du gouvernement, la révolution, les exils et, peut-être, en dernière extrémité, le retour de Pierre de Médicis avec des tueries et, finalement la ruine de la cité. Par les sages mesures qu’il proposa, Savonarole y mit un frein.

Sans titre officiel, tel jadis Cosme de Médicis, le prieur de Saint-Marc exerce une autorité princière à Florence. Ses talents, écrit Varillas en ses Anecdotes de Florence, le faisaient agir avec plus d’autorité que s’il eût été souverain ; on déférait à ses avis dans les assemblées publiques ; il était arbitre des affaires domestiques et vidait les querelles qui intervenaient entre maris et femmes, sans qu’il y eût jamais d’inexécution ni de plainte contre ce qu’il avait ordonné.

Savonarole fait proclamer le Christ Seigneur de Florence et demande à chaque citoyen de s’inspirer de ses vertus. Aimez-vous les uns les autres, travaillez à vous comprendre et à vous entr’aider.

Pour le gouvernement de l’Etat, il institue un conseil composé des citoyens âgés de plus de vingt-neuf ans, appartenant à une famille ayant exercé dans les trois générations antérieures, l’une des charges de la république dites charges majeures. Ce conseil faisait les lois et nommait aux emplois publics.

Frère Savonarole est tout au peuple. Entraîné par son amour des humbles, il va sans doute trop loin dans la guerre qu’il fait aux puissants et aux riches. Les débiteurs sont déchargés de leurs dettes, une banque de prêts gratuits est fondée pour les nécessiteux ; les changeurs et manieurs d’argent juifs sont chassés de Florence, — par quoi des haines sont semées et qui deviendront menaçantes.

Frère Jérôme entend que ses ouailles marchent dans les voies du Seigneur. Le Christ n’est-il pas désormais leur tyran ?

Il maniait les Florentins à son plaisir et à la cadence de sa parole, dit un de ses plus anciens historiens (Gabriel Naudé). Et voici que rapidement Florence, cette ville magnifique, splendeur de la Renaissance, ville de luxe, d’art et de plaisir,, devient une manière de cloître ou de grand couvent. Les cabarets sont fermés ; les jours de jeûne et d’abstinence deviennent si nombreux que les bouchers en font faillite ; dans les rues, sur la place de la Seigneurie, sur le Ponte-Vecchio, on n’entend que chants religieux, laudes, hymnes, psaumes et cantiques. Les gens, en marchant, se cognent de front l’un à l’autre, car ils vont le nez dans l’Evangile ou dans leur livre de prières. On dirait de tout un peuple astreint au bréviaire.

Et les divertissements ? car Florence renaissante est une ville de gaieté, de plaisirs. Ils se réunissent, écrit Burlamachi, en compagnies d’une trentaine, hommes et femmes, et se rendent en quelque endroit plaisant, à la ville ou à la campagne. Là, après avoir entendu la messe et communié, ils passent la journée à chanter laudes et psaumes. Groupés autour d’une image de l’Enfant-Jésus, ils lui adressent des prières en répandant des pleurs. Ils écoutent des sermons édifiants et promènent une image de la Madone.

Et les Florentins en étaient venus là non par contrainte, mais par persuasion. Le grand dominicain les avait pénétrés de son émotion. Cependant, ses attaques contre les mœurs, bientôt contre les doctrines, contre l’autorité môme du trône pontifical allaient s’exaspérant.

Si l’on vous commande quelque chose de contraire à l’honneur, vous ne devez pas obéir, voire au pape.

— Ô Frère, Papa omnia potest...

— Dites-moi, s’il peut tout, il pourra ordonner à un homme de quitter sa femme et d’en prendre une autre !... Un pape ne peut que ce qui est bien.

Savonarole s’attaque à l’infaillibilité.

Il désirait la convocation d’un concile général, pour la réforme du clergé. Il désirait que l’Eglise se réduisît à la simplicité primitive, ajoutant que le pontificat suprême ne s’obtenait le plus souvent que par de mauvais moyens.

Savonarole ne songea d’ailleurs jamais ni à so séparer du Saint-Siège, ni à mettre en doute l’un ou l’autre des dogmes fondamentaux du catholicisme auquel il resta, et jusqu’à la minute suprême, profondément attaché.

Emu par les premières attaques dirigées contre lui, le pape Alexandre VI s’efforça, comme l’avait fait Laurent le Magnifique, d’amadouer le terrible prédicateur. Il lui offrit les plus hautes dignités dont il pût disposer : l’archevêché de Florence et le chapeau de cardinal. Les rêves les plus ambitieux du jacobin n’auraient pu monter plus haut, mais, comme il l’avait fait des avances du Magnifique, Frère Jérôme repoussa celles du Pontife romain.

Les vives critiques du prédicateur suivant leur cours, le Souverain Pontife, par un bref du 25 juillet 1495, lui enjoignit de venir se justifier à Rome.

Savonarole refusa d’obéir et le pape, par deux nouveaux brefs (8 septembre et 15 octobre 1495) lui interdit de prêcher.

Mais Savonarole remonte en chaire pour y redoubler de violence. C’est à ce moment que sa fulgurante éloquence paraît avoir éclaté avec le plus de fracas.

Sous l’action de la fougue irrésistible qui l’entraînait, Savonarole va commettre l’une des fautes qui amèneront sa chute, le fameux autodafé, le Bruciamento della vanita (brûlement de la vanité) qu’il fixa au dernier jour de carnaval (7 février 1497). Il avait proscrit du haut de la chaire les plaisirs profanes : danses, jeux de cartes, jeu de trictrac, les vaines parures, masques et travestis, les instruments de musique frivole, les tableaux mythologiques ; la littérature d’imagination. Il avait formé des bandes d’enfants, des gamins, à suivre ses instructions. Ceux-ci arrêtaient les dames dans la rue pour les dépouiller de leurs bijoux ; ils pénétraient dans les demeures où ils raflaient les tableaux jugés par eux indécents, les cartes à jouer, les instruments de musique, perles et dentelles, les œuvres des poètes. Le produit de ces pieuses déprédations était réuni en une masse que Savonarole dénomma l’Anathème. Le 7 février 1497, un grand bûcher fut dressé sur la place de la Seigneurie où l’on accumula tous les objets que le prophète avait voués au feu.

Le premier rang, à compter du bas, était formé par les masques du carnaval, les fausses barbes, les costumes de matassins, corselets de soie, morions dorés, grelots et clinquants ; par-dessus, c’était le brillant amoncellement des parures féminines, robes de brocart, dentelles, bijoux, pommades, fards et parfums ; le quatrième rang était réservé aux instruments de musique profane, fifres, tambourins, mandolines et violes d’amour, où se mêlaient les jeux de cartes, jeux d’échecs et de trictrac ; enfin le couronnement se composait des œuvres d’art dites déshonnêtes, notamment de toutes les peintures où se voyaient des corps nus ; parmi elles des chefs-d’œuvre dus aux plus grands artistes. Telle était l’exaltation des esprits surchauffés par le prédicateur que des peintres admirables comme Baccio della Porta et Lorenzo di Credi étaient spontanément venus apporter, pour être livrés aux flammes, des tableaux peints dans leurs ateliers. Au signal donné, le feu fut mis simultanément aux quatre coins de l’immense bûcher qui s’enveloppa de flammes aux accords d’une fanfare, mêlés aux sonneries de toutes les cloches de la ville. La foule, autour du pieux autodafé, chantait des cantiques ; mais le moment de fièvre passé, les meilleurs esprits se dirent que le saint y allait tout de même .un peu fort : brûler les œuvres de Pulci, de Pétrarque et de Boccace, détruire des portraits de femmes, de purs chefs-d’œuvre, sous prétexte que ces dames étaient quelque peu décolletées, parut un sacrilège à la beauté dont les Florentins ne pouvaient pas ne pas être demeurés les admirateurs.

De ce moment Florence se divisa en deux camps : les Piagnoni (pleureurs), ainsi nommés des larmes qu’ils répandaient en entendant leur prédicateur, et les Arrabiati (les enragés), ainsi appelés de l’irritation où les jetaient les réformes du prieur de Saint-Marc. Les premiers les Piagnoni, aussi nommés les Blancs (bianchi) étaient généralement les adhérents du parti populaire ; les autres, les Gris (bigi) étaient pour la plupart les adhérents de l’aristocratie désirant le retour des Médicis. Dans la surexcitation des passions on en vint aux menaces, aux coups. Les partisans de Savonarole ne voulurent plus qu’il sortît sans escorte, une escorte armée.

Sur quoi intervint un incident qui contribua à surexciter les esprits.

Quelques notables avaient été condamnés à mort pour raisons politiques : il s’agissait d’un complot pour le rappel de Pierre de Médicis. Leurs parents, nous apprend Guichardin, firent appel de la sentence au Grand conseil du peuple en vertu d’une loi qui avait été établie à l’instigation de Savonarole lui-même. Mais ceux qui avaient été les auteurs de la condamnation, craignant que la compassion de l’âge et de la noblesse et la multitude des parents n’adoucissent, dans l’esprit du peuple, la sévérité du jugement, firent tant, qu’ils obtinrent qu’on s’en remettrait à quelques citoyens de décider s’il fallait permettre de poursuivre l’appel ou l’interdire. La majorité estimait qu’il fallait l’interdire comme chose dangereuse et de laquelle pourrait advenir sédition : la loi même permettait que, pour éviter tumulte, les lois pussent être dispensées ; sur quoi ceux qui tenaient le gouvernement furent impérieusement et presque par force et par menaces contraints de consentir que, nonobstant l’appel, l’exécution se fît dans la nuit même et se montrèrent affectionnés ù cela plus que les autres, les fauteurs de Savonarole, non sans l’infamie de celui-ci qui ne dissuada nullement de violer une loi proposée par lui-même peu d’années auparavant. Ce dernier point est, il est vrai, contesté.

Toujours est-il que les adversaires du prophète allèrent répétant qu’en cette circonstance il s’était montré cruel et de mauvaise foi.

Retentirent enfin les sentences d’excommunication lancées par Alexandre VI (13 mai 1497).

Le prophète les accueillit avec mépris :

Les excommunications sont de nos jours bon marché : quatre livres. En obtient qui veut contre qui lui déplaît.

Déjà la voix de Luther.

Il est venu un bref de Rome, disait encore notre jacobin. On m’y appelle filius perditionis, fils de perdition ! Et, s’adressant au pape : Celui que vous appelez ainsi n’a ni mignon ni concubine ! mais il s’attache à prêcher la foi du Christ. Ceux qui l’entendent exposer sa doctrine, n’emploient pas leur temps en infamies : ils se confessent, communient et vivent honnêtement. Ce Frère s’attache à exalter l’Eglise, vous à la détruire. Patience ! le moment viendra d’ouvrir la cassette — où sont les secrets de la corruption romaine —. Nous y donnerons un tour de clé : il en sortira tant d’infection que l’odeur en empestera toute la Chrétienté !

Savonarole écrivait aux princes de l’Europe, en parlant d’Alexandre VI : Je vous jure que cet homme n’est pas pape ; j’affirme qu’il n’est pas chrétien. Il ne croit pas en Dieu.

Mais les passions vont se calmer un moment. La peste s’abattit sur Florence. Après avoir congédié soixante-dix de ses religieux, le prieur de Saint-Marc se renferma avec une quarantaine d’autres dans son couvent. Nous sommes encore plus de quarante. Les citoyens pourvoient à notre subsistance et ne nous laissent manquer de rien. Comme nous ne sortons pas de la maison, ils nous apportent ce qui nous est nécessaire. Savonarole ajoutait qu’il était resté à Florence pour consoler les affligés. Mais, lui objectera-t-on, c’étaient les malades qu’il fallait aller consoler et les familles des morts. Singulière manière de répandre des consolations que de se claquemurer à l’abri de la contagion !

Notre prophète est dans le moment le plus défectueux de sa vie. Deux êtres discordants luttent en lui : un tempérament naturellement timide, craintif des souffrances, quelque peu égoïste, et une pensée toute en exaltation, enivrée de dévouement et de vertu.

L’épidémie passée, la conduite du prieur de Saint-Marc fut commentée par ses adversaires, les Gris et les Arrabiati, de la façon qu’on imagine. Sa personne, son action devenaient une source de discorde, non seulement entre factions adverses, entre Blancs et Gris, entre démocrates et patriciens ; mais jusqu’au sein des familles entre époux, entre parents et enfants. Les uns prenaient son parti, les autres lui étaient contraires ; les uns se pliaient de conviction à la vie chrétienne qu’il voulait imposer à tous, les autres la traitaient de bigoterie hypocrite.

On entendait tous les jours d’atroces menaces, dit un témoin ; la belle-mère jetait sa belle-fille il le porte, le mari se séparait de sa femme... clandestinement J’épouse avertissait le prophète de l’hostilité de son mari.

Cependant que les augustins et les franciscains, jaloux de la gloire que le prieur de Saint-Marc répandait sur la robe blanche de saint Dominique, allaient attisant griefs et passions.

Nerveux, irritable, Savonarole souffrait de l’opposition qui grandissait autour de lui. Il avait des moments d’abattement, puis il voulait se ressaisir :

J’ai adoré sincèrement le Seigneur ; je ne cherche qu’à retrouver ses traces divines ; j’ai passé des nuits entières en oraison ; j’ai perdu la paix ; j’ai consumé ma santé et ma vie au service du prochain. Non, non ! il n’est pas possible que le Seigneur m’ait trompé !

Dans sa surexcitation, sous l’action des circonstances, il en arriva à perdre, non seulement le calme, mais la mesure. Certain jour, en l’un de ses sermons, entraîné par son exaltation, il s’écria qu’il était certain de marcher dans le bon chemin et que, pour en donner la preuve, il était prêt à faire appel, concurremment avec ses contradicteurs, au jugement de Dieu (début de 1498).

Il s’agissait de l’épreuve par le feu.

Un cordelier releva le défi. De son côté, Fra Buonvincini, le plus ardent sectateur de Frère Jérôme, s’offrit à traverser les flammes en lieu et place de son prieur. L’opinion se passionna. On ne parlait plus à Florence que de l’épreuve. Les débats entre citoyens de factions hostiles en prirent une violence accrue. A vrai dire, le premier mouvement de surexcitation passé, de part et d’autre on éprouva le regret de s’être avancé étourdiment. Seul le champion des Franciscains faisait encore preuve d’ardeur :

Je suis certain de périr dans les flammes, mais Savonarole ou son représentant y périra aussi, par quoi sera mise au jour la fourberie du prophète.

Le Seigneurie désigna une commission de dix membres, composée en nombre égal d’adhérents à l’un et à l’autre parti, qui fixeraient le jour et les détails de l’épreuve.

La commission choisit le 7 avril 1498, veille des Rameaux, et fit dresser sur la place du Palazzo-Vecchio un bûcher mesurant en longueur quarante brasses, approximativement soixante mètres : étroit couloir aux parois de bois où les deux champions devraient passer après qu’on y aurait mis le feu.

L’hostilité contre Frère Jérôme, en germe parmi les Florentins, grandit du moment où l’on apprit qu’il ne se soumettrait pas personnellement à l’épreuve, mais par délégué.

Le samedi 7 avril, une foule enfiévrée emplissait la place du Palazzo-Vecchio. Au ciel, de lourds nuages menaçaient d’inonder la cérémonie. Fra Buonvincini arriva, accompagné de Savonarole, tenant en main une hostie consacrée. Le prieur de Saint-Marc prétendait que son représentant traversât les flammes armé du Saint-Sacrement. Protestations de ses adversaires. Exposer volontairement l’hostie consacrée au feu était sacrilège et si, d’aventure, elle était consumée, la foi du peuple en serait atteinte ; mais Savonarole tenait bon. La discussion suivait son cours, traînant en longueur, quand crevèrent les gros nuages noirs. Il tombait des hallebardes. Le bûcher fut arrosé de façon qu’il ne pouvait plus être question de l’allumer ; et l’assemblée fut dissoute, Savonarole déclarant que Dieu venait de manifester sa désapprobation de l’épreuve projetée.

La foi que les Florentins avaient mise en leur prophète se trouvait mortellement atteinte. Que si ,au dernier moment, le prieur de Saint-Marc avait fait tant de difficultés, c’était qu’il attendait du ciel — non de Dieu — mais des gros nuages qui y étaient amassés, le secours libérateur.

Dès le lendemain, 8 avril, le couvent de Saint-Marc fut attaqué par une foule hurlante que les Arrabiati avaient armée et qu’ils entraînaient à l’assaut. Les religieux s’étaient barricadés. Ils opposèrent aux assaillants une résistance vigoureuse. Maniées par nos moines, bombardes et arquebuses menaient bon jeu. Cinq des assaillants furent tués et trois des jacobins, dont le frère de Savonarole.

Alexandre VI se hâta de constituer un tribunal pour juger le prieur de Saint-Marc. Il le composa du Général des dominicains et de l’archevêque de Sorrente. La condamnation était certaine. Jérôme Savonarole fut exécuté le 23 mai 1498 sur la place de la Seigneurie, avec ses deux plus fidèles compagnons qui avaient tenu à partager son sort, Fra Domenico Buonvincini et Fra Silvestro Maruffi le somnambule.

Le supplice fut accompagné de circonstances répugnantes. La bête humaine y apparut dans sa laideur. Cette même foule, qui l’acclamait naguère et s’agenouillait sur son passage, huait à présent Frère Jérôme, le couvrait d’injures et d’ordures. Pluie de pierres et de détritus. L’une de ces brutes donna à l’illustre prédicateur un coup de pied dans le derrière :

C’est là que résidait ton esprit de prophétie !

Les trois dominicains furent pendus, leurs corps brûlés, les cendres jetées dans le fleuve. Les condamnés avaient subi la mort dignement, sans mot dire.

Jérôme Savonarole était dans sa quarante-sixième année.

Le lendemain du supplice parvenait à la Seigneurie une lettre de Louis XII qui venait de succéder à Charles VIII. Lé roi de France demandait qu’on ne fît pas périr le grand dominicain.

Puis, une réaction. Tout ce qui put être sauvé du bûcher fut pieusement recueilli. Le neveu de Pic de la Mirandole disait avoir en sa possession une parcelle du cœur de Frère Jérôme et que celle-ci opérait des miracles. À la mémoire du supplicié, Marc-Antoine Flaminius consacra cette épitaphe :

Dam fera flamma luos, Hieronyme, pasciiur arlus,

Religio sacras dilaniata cornas

Flevit et o ! dixit, crudeles parcite flammae,

Parcite, sunt ista viscera nostra rogo.

Tandis que la flamme sauvage dévore tes membres, ô Jérôme ! la religion défaite mouille de ses pleurs ses cheveux sacrés : Flammes cruelles, dit-elle, épargnez, épargnez ces entrailles qui sont les nôtres.

Botticelli glorifia Frère Jérôme et ses deux compagnons en son beau tableau de la Nativité, où des anges viennent les saisir pour les emporter en paradis ; Rafaël, en plein Vatican, place Savonarole aux côtés du Dante en son Triomphe du Saint-Sacrement ; Michel-Ange demeurera son admirateur fidèle. A Rome, deux années après la mort du prophète, à l’occasion même du jubilé pontifical (1500), se vendra publiquement une médaille frappée à sa gloire. Et, bien des années durant, des mains pieuses viendront, place de la Seigneurie, le jour anniversaire du supplice, répandre des fleurs à l’endroit où l’ardent dominicain avait rendu le dernier soupir. Luther déclarera que Savonarole était mort en martyr.

Pour terminer, voici le jugement émis sur Savonarole par l’historien-homme d’Etat Guichardin, son concitoyen :

On ne vit jamais religieux de si grande valeur ni qui obtint pareils autorité et crédit. Ses ennemis durent convenir qu’il était docte en beaucoup de sciences, particulièrement en philosophie. Dans la connaissance des saintes écritures on n’avait vu depuis des siècles homme qui lui fût comparable. Son éloquence passa celle de tous ses contemporains. Elle n’avait rien d’artificiel ni de contraint. Elle coulait simple et naturelle. L’autorité qui s’en dégageait était sans égale...

Mais comment juger sa vie ?

On n’y trouvera trace ni d’avarice, ni de luxure, nulle faiblesse ni passion ; mais un modèle de vie religieuse, charitable, pieuse, soumise aux règles monastiques, non l’écorce mais la moelle de la piété. Sur aucun de ces points ses ennemis ne parvinrent à noter la moindre faute, quelque peine qu’ils y prissent au cours du procès.

Dans la réforme des mœurs, il réalisa des œuvres saintes et admirables. On ne vit onques dans Florence autant de religion et de vertu que de son temps, puis, après sa mort, quelle chute de la piété et de la vertu ! par quoi apparaît clairement que le bien avait été réalisé par lui. On ne jouait plus en public, et dans le privé on jouait avec mesure. Les tavernes étaient closes, les femmes s’habillaient décemment ; les enfants menaient une vie sainte. Sous la conduite de Fra Buonvincini, ils allaient, répartis en compagnies, fréquentant les églises, portant les cheveux courts, poursuivant de pierres et d’injures les joueurs, les débauchés, les femmes vêtues en courtisanes...

Et l’œuvre de Frère Jérôme ne fut pas moins bienfaisante au gouvernement. Après la chute du Médicis, la cité demeurait divisée, les partisans , du gouvernement déchu en grand péril. Frère Jérôme arrêta les violences. Par l’institution du Grand Conseil il freina les ambitieux et, par l’appel à la Seigneurie, endigua les excès populaires. Enfin, par sa proclamation d’une paix universelle, il coupa court à toute recherche des faits passés et préserva les partisans des Médicis des vengeances dont ils étaient menacés.

Mesures qui firent sans aucun doute le salut de la République, pour le bien des vainqueurs et pour celui des vaincus.

En bref, les œuvres de cet homme furent excellentes. Quelques-unes de ses prédictions s’étant réalisées, bien des gens continuent de croire qu’il était inspiré de Dieu, nonobstant l’excommunication, le procès et le supplice où il est mort.

Et notre historien-homme d’Etat de conclure par cette constatation que n’eût pas désavouée son concitoyen et confrère Machiavel :

Si Frère Jérôme était sincère, notre temps a vu en lui un grand prophète, et si c’était un fourbe : un très grand homme.