CHRONIQUE DE MATTHIEU D’ÉDESSE (962 – 1136)

 

TROISIÈME PARTIE

 

 

CLXXI. Après avoir rassemblé, jusqu’à l’année 550,[1] la suite chronologique des événements de 150 ans, nous avions terminé nos industrieuses investigations, laissant à d’autres le soin de ces discussions raisonnées, de ces controverses intellectuelles. Après nous être retiré de la carrière, nous avions cédé la place à d’autres plus sagaces, plus savants, plus habiles que nous, suivant cette parole du saint Apôtre : « Le premier se taira ! »

Le prodige que nous venons de rapporter arriva sous le pontificat des catholicos d’Arménie, Grégoire Vahram et Basile, époque à laquelle fut instituée l’adoration [de la lumière du saint Sépulcre]. Le patriarche des Romains siégeant à Constantinople, était le seigneur Nicolas,[2] 3e patriarche d’Antioche, Jean[3] le patriarche de Jérusalem, Siméon,[4] le patriarche des Syriens, Athanase. Il y avait 6610 ans écoulés depuis Adam,[5] mais nous n’avons point tenu compte de cet excédant de dix années dans nos calculs chronologiques. Nous avons aussi négligé l’art d’écrire.

Cependant en contemplant chaque jour les châtiments dont la colère divine frappait les fidèles, et en voyant tomber et s’écrouler d’année en année la force des armées chrétiennes, nous nous sommes aperçu que personne ne songeait à s’enquérir de ces malheurs et de ces catastrophes, et à les consigner par écrit, afin que la mémoire s’en conservât pour la postérité, lorsque Dieu accordera aux fidèles, devenus plus heureux, de vivre dans un temps qui ne leur fournira que des sujets de joie. Alors nous avons entrepris avec un extrême plaisir, comme si nous exécutions un ordre de Dieu, de mettre par écrit ces souvenirs et de les transmettre aux générations futures, et bien que notre œuvre ne soit pas embellie par une érudition spirituelle, ne brille point par l’artifice du style ou un caractère d’utilité, elle contient néanmoins le récit des punitions que le Seigneur nous a infligées, à cause de nos péchés, lorsque, par des fautes de tout genre, nous avons excité son courroux. Oui, c’est de lui que nous avons reçu ces punitions, c’est lui qui nous a frappés de sa verge. Maintenant donc, il est convenable, il est digne de ne pas oublier cette pensée, nous tous qui vivons dans ce siècle-ci ; il faut, au contraire, annoncer à ceux qui doivent nous suivre dans la carrière de la vie, que ces châtiments sont le fruit des péchés, fruit dont la semence est plantée par nos pères, et qu’ils ont fait produire au septuple. Mû par ces considérations, moi, Matthieu, indigne de la miséricorde divine, j’ai consacré de longues années à ces recherches laborieuses, à un infatigable travail d’esprit, occupé à rassembler à Édesse les matériaux de mon livre, et à le continuer jusqu’au temps actuel. Il me reste encore à retracer l’histoire de trente années[6] et à en réunir les éléments, et cependant ce travail serait le propre des docteurs et des savants consommés, et ne devrait pas être laissé à. notre impuissance et à notre courte érudition. Mais il est dans les vues de Dieu d’exiger des êtres faibles et imparfaits quelque labeur utile. C’est ainsi que les essaims d’abeilles s’offrent à nos regards, pour nous faire admirer leur hiérarchie si bien organisée, et pour nous montrer comment, de leurs frêles corps, elles tirent de quoi rassasier les hommes, en leur fournissant un miel si doux, et de quoi suffire aux besoins des sanctuaires, et donnent des produits qui sont en honneur même à la table des rois. C’est ainsi que le ver qui, une fois mort, renaît à une nouvelle vie, peut, par ses travaux, orner de couleurs variées le costume des monarques et des princes, et enrichir les églises de somptueux ornements. De même, notre faiblesse s’est enhardie, et en présence des lettrés et des savants, des hommes les plus profondément sagaces et des investigateurs exercés, nous avons exprimé notre pensée, et nous leur recommandons notre ouvrage pour qu’il soit jeté par eux dans le creuset de l’examen. Nous ne leur faisons aucune objection, parce que notre histoire n’a pas à lutter contre leur savoir. Ce petit oiseau qui, par son chant, diffère de tant d’autres, et qui est au-dessous deux par l’exiguïté de son corps, je veux parler de l’hirondelle, nous ressemble pour l’admirable structure de son nid ; elle le construit avec des débris sans valeur, et l’élève dans les airs sans lui donner de fondement, en portant dans son bec du limon et des brins de paille, elle supplée à la force par l’adresse, et établit son asile avec solidité, jalouse de le transmettre en héritage à. ses petits ; travail impossible pour des oiseaux énormes, c’est-à-dire l’aigle et autres. Ceux-ci, dans leur vol puissant, exécutent, il est vrai, des choses qui exigent du courage, et y déploient une grande force ; mais l’ouvrage qu’accomplit la faible hirondelle, ils ne l’exécuteront jamais. De la même manière, les hommes ingénieux et savants peuvent bien scruter à fond l’ancien et le nouveau Testament, et mettre au jour les découvertes qu’ils font, à l’aide d’infatigables et lumineuses recherches ; moi, je dirai avec confiance et sans aucune hésitation : « Gloire soit au Christ éternellement ! Amen ; » parce que cet ouvrage a été rédigé après avoir été bien médité, et qu’il est impossible à tout autre de trouver ou de rassembler l’histoire de toutes ces nations, rois, patriarches, princes, et de réunir dans les livres la suite chronologique des temps écoulés. Comme les anciens écrivains, témoins oculaires des faits qui se sont passés dans les siècles antérieurs, ne vont point jusqu’à notre époque, personne n’est en état d’exécuter ce que nous avons fait, parce que nous avons consacré à notre œuvre quinze années d’efforts incessants, discutant ce que nos lectures nous faisaient découvrir dans les ouvrages historiques, et l’enchaînement chronologique des événements. Nous avons aussi consulté les vieillards, et nous avons recueilli avec soin et consigné ici les informations que nous avons pu nous procurer.

Donc, moi, Matthieu,[7] j’ai senti, par toutes ces considérations, naître le désir de revenir par ce même chemin que j’avais suivi, pareil à l’homme qui, depuis de longues années, parcourant le vaste Océan et égaré sur les flots, en butte à de fréquentes tempêtes, rentre après un naufrage, sain et sauf dans sa maison ; puis, se rappelant la passion qu’excitent les bénéfices du commerce, il oublie les fatigues passées, et regardant comme rien toutes les richesses englouties dans la mer, il s’empresse, entraîné par ses désirs ardents, de recommencer ses pérégrinations maritimes. Tel nous sommes, en parvenant au point de notre livre que nous avions quitté, et en retrouvant la véritable et ancienne route que nous avions suivie, lorsque nous sommes arrivés à l’année 550. Nous avions alors entrepris de raconter les événements d’un intervalle de vingt-cinq ans ;[8] une nouvelle période de trente ans complétera notre chronique, parce que les années de l’ère arménienne ont continué de s’accumuler au milieu des plus déplorables calamités. Nous sommes donc revenus avec empressement l’époque du patriarcat du seigneur Grégoire et du règne de l’empereur Alexis, et nous commençons ici le récit des massacres et des tribulations qui ont signalé ces temps malheureux. Nous avons écrit, non pour satisfaire un vain orgueil, ainsi que le penseront quelques personnes, mais pour laisser un souvenir et une admonition à la postérité. Nous avons oublié la faiblesse de notre intelligence et notre inaptitude aux travaux d’érudition ; les gens habiles dans la science de l’ancien et du nouveau Testament sont capables de corriger notre style d’après les règles de la grammaire, et de rectifier les fautes de notre élocution, en vertu des grâces divines qui leur ont été départies ; mais nous, nous dirigeant suivant la mesure de nos connaissances bornées et imparfaites, nous avons esquissé nos récits avec autant de lucidité que possible, en consultant une foule d’histoires qui ont été composées sur nos malheurs en divers lieux, et qui nous ont été transmises comme un souvenir de leurs auteurs. Nous les avons toutes réunies avec le plus grand soin ; nous avons appris des faits de la bouche de personnes honorables, instruites des événements et des catastrophes, et qui, exemptes d’erreur, étaient profondément versées dans la science de l’histoire et de la chronologie. De plus, nous avons eu des conférences avec les vieillards connaissant les temps passés, et nous les avons interrogés, d’après le conseil du Prophète, qui dit : « Adresse-toi à tes anciens, et ils te parleront ; aux vieillards, et ils te feront des récits. » C’est ainsi que nous avons travaillé sans relâche, abandonnant toutes les autres affaires, et ayant sans cesse à soutenir le poids de cette tâche difficile.

Nous l’avons commencée par l’invocation de Dieu, d’après la parole du bienheureux Grégoire de Nysse, qui a dit : « Moi qui suis vieux, je reste en arrière dans l’hippodrome, et j’ai laissé à d’autres le travail et aussi les recherches. » Nous avons va chacun renoncer à entreprendre cette histoire, et aussi que le temps s’écoule peu à peu en offrant à nos regards les vicissitudes, la caducité et la disparition de ce qui existe, et en nous révélant l’instabilité de l’humanité sur la terre, et la transition de la vie présente à la vie future ; car les années et les siècles sont passagers, et tout ce qui en découle est transitoire. De même que les choses de la vie future sont éternelles, ainsi tout ce qui en est le produit est infini. Bienheureux ceux qui obtiendront de pareilles allégresses ! Bienheureux ceux qui s’assiéront au banquet du royaume céleste !

CLXXII. Cette même année, 550, le comte de Saint-Gilles retourna de chez les Francs, parce qu’à l’époque où la sainte cité de Jérusalem fut enlevée aux infidèles, il prit la lance du Christ et partit ; et lorsque l’on sut qu’il l’avait emportée, toutes les populations se soulevèrent. Il revint dans l’intention d’attaquer Tripoli.[9] Il comptait 100.000 guerriers sous ses ordres. Arrivé à Constantinople, il fut comblé de présents par Alexis, qui lui fournit les moyens de traverser l’Océan. Mais l’empereur de Grecs renouvela envers les Francs l’œuvre de Judas ; car il fit dévaster par l’incendie tous les pas qu’ils avaient à parcourir, ordonna de les guider à travers des plaines désertes, et empêchât qu’ils reçussent des vivres, les condamna à souffrir les tourments de la faim. Réduits aux dernières extrémités, ils mangèrent leurs chevaux. Alexis, qui avait fait prévenir sous main les Turcs de leur marche, souleva toutes leurs forces contre eux. Le sultan Kilidj Arslan accourut, leur livre une grande bataille dans les environs de Nicée, et en fit un horrible carnage. Cent mille Francs périrent. Saint-Gilles se sauva avec trois cents hommes seulement, et se réfugia dans Antioche.[10] Tout le reste de l’armée chrétienne avait passé sous le tranchant du glaive. Les femmes et les enfants furent emmenés esclaves en Perse. Cette défaite fut le châtiment de leurs péchés ; car tous avaient suivi avec amour la voie criminelle, et abandonné celle de Dieu. Le comte d’Antioche, Tancrède, profita de l’occasion pour s’emparer de la personne de Saint-Gilles, et le fit conduire, chargé de chaînes, dans la ville de Sarouantavi.[11] Quelque temps après, le patriarche des Francs, à Antioche, et les autres membres du clergé intercédèrent pour lui auprès de Tancrède, qui lui rendit la liberté. Saint-Gilles, délivré de ses fers réunit des troupes et alla investir Tripoli ; il pressa vivement cette ville, et en construisit une tout auprès.[12]

A la même époque, le grand comte Franc de Poitou,[13] à la tête d’une armée de 300.000 cavaliers, traversa le pays des Romains et des Grecs, et parvint avec ces forces devant Constantinople. Il parla avec une souveraine hauteur à Alexis, lui accordant seulement le titre d’Eparche[14] et non d’Empereur, quoique le comte ne fût lui-même qu’un jeune homme de vingt ans environ. Il effraya Alexis et tous les Grecs. L’empereur se rendit au camp du comte de Poitou avec les grands de sa cour, et, à force d’instances, l’amena dans la ville. Il lui fit une magnifique réception, lui donna d’immenses trésors et de splendides festins, et fit de grands frais pour le transporter de l’autre côté de l’Océan, dans la contrée de Cappadoce / Kamir[15]. Il lui donna aussi des troupes grecques pour l’accompagner. Dès ce moment, il mit à exécution ses projets perfides, en prescrivant à ses officiers de conduire les Francs à travers des lieux inhabités. On leur fit parcourir pendant quinze jours des solitudes dépourvues d’eau, où rien ne s’offrait au regard que le désert dans toute son aridité, rien que les âpres rochers des montagnes. L’eau qu’ils trouvaient était blanche comme si l’on y avait dissous de la chaux, et salée.[16] Alexis avait recommandé de mêler de la chaux au pain, et de le leur fournir ainsi apprêté. C’était un crime énorme devant Dieu. Ainsi affamés et épuisés pendant une longue suite de jours, les croisés virent la maladie se glisser dans leurs rangs. La conduite de ce prince à leur égard avait pour motif la rancune qu’il nourrissait contre eux de ce qu’ils avaient violé le serment qu’ils lui avaient fait dans l’origine, et n’avaient pas tenu leurs promesses. Mais les Grecs n’en furent pas moins coupables aux yeux de Dieu, en se montrant impitoyables envers les croisés, en les rendant victimes de leurs vexations et de leur perfidie, et en causant leur ruine.[17] Aussi le Seigneur permit que les infidèles marchassent contre les Grecs et leur fissent expier leurs péchés.

CLXXIII. Le grand sultan d’Occident, Kilidj Arslan, ayant appris l’arrivée des Francs, écrivit à Néo-Césarée, pour en prévenir Danischmend, ainsi que les autres émirs. Puis, à la tête d’une armée formidable, il s’avança contre les chrétiens. Ceux-ci se rencontrèrent avec les infidèles dans la plaine d’Autos.[18] Une lutte acharnée s’ensuivit et dura une bonne partie du jour ; le sang coula à flots. Les Francs, écrasés et perdus dans un pays étranger pour eux, ne voyaient aucun moyen de sortir de leur situation désespérée. Dans leur perplexité, ils se groupèrent et s’arrêtèrent comme des bestiaux effrayés. Ce fut une journée sanglante et terrible pour eux. Sur ces entrefaites, le général qui commandait les Grecs prit la fuite. Le comte de Poitou, placé sur une montagne voisine dont les infidèles entouraient la base, contemplait la défaite des siens. Quel spectacle ! Les arcs vibraient de tous côtés avec un bruit strident ; les chevaux se cabraient effrayés, et les montagnes retentissaient du fracas du combat. A la vue de ses soldats massacrés, le prince franc pleura amèrement. Les infidèles ayant redoublé d’efforts, le comte, acculé sur tous les points, prit la fuite avec quatre cents cavaliers. Son armée, forte de trois cent mille hommes, fut détruite entièrement. Il alla chercher un asile, à Antioche, auprès de Tancrède, et de là se rendit à Jérusalem. Il en partit au bout de quelques jours pour le pays tics Francs, d’où il était venu. Il jura par un serment solennel de revenir contre les Perses, de tirer vengeance de cet échec et de punir la perfidie, de l’empereur des Grecs. Il voyait, en effet, ses soldats traînés captifs par milliers en Perse.

CLXXIV. Cette même année, l’Egypte entière se mit en mouvement, et, s’étant réunie en une armée formidable, marcha contre Jérusalem. Le roi de la Cité sainte alla à la rencontre des infidèles avec une poignée de troupes qui furent mises en déroute.[19] Baudouin courut se réfugier à Jérusalem. Ce fut dans cette rencontre que fut tué le comte de Delouk’,[20] Guillaume Santzavel.[21] Le roi Baudouin avait d’abord gagné Baalbek, et c’est de là qu’il arriva chez lui ; tandis que les infidèles, fiers de ce triomphe signalé, rentraient à Ascalon, qui leur appartenait.[22]

CLXXV. L’année 551 (24 février 1102 - 23 février 1103) fut marquée par une violente perturbation de la foi religieuse, dont la célébration de la Pâque devint l’occasion. Dix nations chrétiennes tombèrent à ce sujet dans l’erreur, à l’exception des Arméniens et des Syriens, qui maintinrent la véritable tradition. Les Romains et les Francs reçurent la mauvaise semence répandue par l’infâme hérétique Irion, qui établissait l’époque de la Pâque au 5 avril, et faisait coïncider la pleine lune avec la fête de saint Lazare, en fixant cette époque au samedi,[23] tandis que pour les Arméniens, les Syriens et les Hébreux, elle tombait au 6 avril. Lui, la fit cadrer avec le dimanche des Rameaux. Ce philosophe Irion, qui était Romain d’origine, avait ainsi faussé l’ordre du comput, parce que, à l’époque où le calendrier fut institué, d’après la forme de la période composée de dix-neuf cycles,[24] les autres savants ne l’avaient pas appelé pour concourir à ce travail. Cet oubli lui inspira une extrême animosité contre eux : il vint, et s’étant saisi furtivement de leurs livres, il fit du 6 un 5, et des premiers nombres les derniers calculs qui déplacent la célébration de la Pâque tous les quatre-vingt-quinze ans. C’est là ce qui produisit l’erreur dans laquelle se trouvent les Grecs et les Romains, à chaque renouvellement de cette période. Tel fut le comput auquel Irion donna cours parmi les Romains, et d’où naquirent de grands débats entre les Grecs et les Arméniens. Les Francs n’avaient aucun souci de disputer avec ces derniers sur ce point de doctrine ; mais il en fut tout autrement des Grecs, qui curent les plus violentes querelles avec les Arméniens. Les habitants d’Antioche, de la Cilicie et d’Édesse eurent des discussions sans fin à soutenir avec eux à ce sujet, parce que les Grecs s’efforçaient d’imposer aux Arméniens leur calendrier vicieux. Par ces luttes, ils suscitèrent des désagréments à notre nation, sans toutefois réussir à l’ébranler. Les Syriens d’Édesse, cédant à la crainte, embrassèrent le parti des Grecs, et renoncèrent à l’alliance qu’ils avaient formée avec les Arméniens.

Précédemment les Grecs étaient tombés dans une erreur semblable, et les lampes [du saint Sépulcre] ne s’allumèrent pas. Dans cette occasion, les infidèles massacrèrent les pèlerins accourus pour visiter les Saints-Lieux. C’était sous le règne de [l’empereur] Basile, et dans l’année 455 (20 mars 1006 – 19 mars 1007).[25] Dans cette troisième partie de notre histoire,[26] les Grecs se montrent pour la seconde fois dans l’aberration sur le même sujet. Les ecclésiastiques d’Édesse en avertirent par une lettre le catholicos d’Arménie, Grégoire, qui habitait la Montagne Noire, dans le célèbre couvent d’Arek ; et il leur répondit de sa propre main pour les engager à demeurer fermes dans la foi orthodoxe.

Sa lettre était ainsi conçue : « Aux véritables amis du Christ, à ceux qui professent la croyance en la Sainte-Trinité, aux prêtres, aux grands et à tout le peuple fidèle, salut.

Que la bénédiction, accompagnée d’une digue affection, découle sur vous, du siège de notre saint Illuminateur. J’ai lu votre lettre où éclate l’amour divin, et qui m’apprend ce que vous désirez ; nous avons parfaitement compris toutes les observations qu’elle contient ; aussi rendons-nous avec empressement grâces à Dieu, en vous rappelant les paroles que l’apôtre saint Paul adresse à ses disciples : « Lorsque j’apprends votre piété et votre foi en notre Seigneur, je m’en réjouis en rendant des actions de grâce à Dieu. » (Ép. à Philémon, v. 4 et 5.) Car c’est Dieu le Verbe lui-même, issu du Père, qui a invité les hommes à glorifier l’éclat de sa grandeur et de sa divinité, lui qui nous a reçus avec clémence, nous, faibles créatures, et qui a accordé la force à ceux qui cil étaient dépourvus, afin qu’ils puissent résister aux invisibles suggestions du Tentateur. C’est notre Seigneur Jésus-Christ qui vous donnera le secours et la force en tout, et qui vous accordera la sagesse, lorsque vous vous présenterez devant les savants obéissant ainsi à ses ordres infaillibles. N’ayez aucun souci, a-t-il dit, de savoir comment ou ce que vous répondrez, parce qu’il vous suggérera en ce montent les paroles que vous aurez à dire » (S. Luc, XII. 11 et 12) ; en effet, il connaît tout par sa grâce, qui est omnisciente, et par sa puissance, dont la pénétration embrasse tout. Il rependant nous péchons contre lui, qui du néant nous a appelés à l’existence, qui nous a relevés et exaltés par ses bienfaits, comme il le fit à l’égard d’Israël, dans les temps anciens. Malgré cela nous péchons sans cesse contre lui, nous et le peuple, tous à la fois, par pensée, par parole, par savoir, par ignorance, pendant cette vie passagère. Néanmoins j’existe par la foi, et ma foi existe. Mais aucun de nous ne pèche contre le roi, contre le chef qui nous gouverne, contre l’armée, contre les généraux, contre nos supérieurs, ni contre le troupeau qu’il conduit. Loin de là, nous sommes soumis à tous, et nous nous sommes nus à leur service, suivant le précepte de l’Apôtre : « Rendant à chacun ce qui lui est dû, l’impôt à qui nous devons l’impôt, la crainte à qui nous devons la crainte, l’honneur à qui nous devons l’honneur, le titre de César à qui il appartient, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (S. Paul, Ep. aux Romains, XIII, 7 ; S. Matthieu, XX, 21 ; 5. Marc, XII, 17 ; S. Luc. XX, 25.) Il ne faut être envers personne comme un débiteur en retard, ni rendre le mal pour le mal. La justice que vous aurez montrée envers les autres, servira de règle pour vous juger, comme s’il s’agissait de gens inférieurs ou vulgaires. D’après ces préceptes, qui ne trompent jamais, ce sont des châtiments au lieu de faveurs que nous méritons. Mais toutefois soyez sans trouble et sans crainte, car le temps du salut approche, et l’avènement du Seigneur n’est pas éloigné. Nous avons un grand nombre de paroles consolantes dites par les Prophètes touchant la vie future, Dieu Notre-Seigneur et les Saints : elles doivent s’accomplir et s’exécuter, afin que la vérité apparaisse. Certes, je vous prodigue les exhortations, et je vous encourage en vous enseignant la patience, et non comme un pasteur au cœur timide qui ne prend aucune part des peines communes. Je me ferai volontiers votre compagnon dans le trépas, dans butes les occasions et dans les tourments, quels qu’ils soient. Je ne m’éloigne pas de mon poste, et je ne renie pas mes devoirs, lors même que ce serait une tâche trop pénible pour moi, que celle de vous adresser des discours, de me livrer à des recherches, ou de répondre à des interrogations. Au contraire, nous sommes prêts à donner sur chaque point une solution à tout ce qui nous sera demandé, pourvu que ce soit en temps opportun et convenable ; et lors même qu’on nous ferait souffrir des tourments et la violence, nous ne renoncerions point à notre foi, et nous rendrions grâces à nos maîtres. Nous avons été dans la crainte et condamné, et maintenant nous éprouvons un sort pareil de la part des chrétiens. Mais vous, ne vous découragez pas, car Dieu peut tout dans les tentations, et nous en faire sortir en nous les faisant supporter avec patience. Cependant nous devons, autant qu’il est en notre pouvoir, combattre comme de braves soldats du Christ, en défendant avec courage la vérité. Le Seigneur mon Dieu m’est témoin, à moi qui suis continuellement en sa présence, que je ne professe aucune erreur, que je n’ai altéré aucun dogme, que je n’ai pas des sentiments d’arrogance ; au contraire, je crois être dans une juste mesure ; penser différemment serait le propre des insensés et des ignorants. Eclairé par la grâce de Dieu et la doctrine des saints illuminateurs, nos prédécesseurs, nous suivons le royal et véritable chemin en Jésus-Christ, ne déviant ni vers la droite ni vers la gauche, ne nous écartant 1as des préceptes divins. ci ne nous levant pas dés l’aurore pour nous livrer à des folies, ne montrant pas un visage hautain et fier comme les Romains et antres, dont il est inutile de rappeler le nom.[27] Si nous dissimulions sous des dehors trompeurs une foi corrompue, pourquoi serions-nous tourmenté comme un coupable, et alors n’aurions-nous pas le repos, tandis que nous sommes plongé dans la tribulation, errant sur tuer sur terre, comme S. Paul le raconte de lui-même à ceux auxquels il adressait ces paroles. Pourquoi sommes-nous sans cesse tourmenté, jeté dans les prisons et dans les fers ? j’ai combattu les bêtes féroces, j’ai souffert au fond des abîmes. » (Cor. XV, 32). Dans le cas où mon espérance en vue de Jésus-Christ serait vaine, je dirais qu’il eût été superflu de supporter les fatigues de ces courses, ces fuites, ces tourments et ces peines, mais surtout si j’avais enduré tout cela pour une croyance condamnable. Il y a quarante ans que j’exerce les fonctions pontificales ; j’ai abandonné la maison paternelle dans un temps de paix pour venir m’établir ici, Certainement moi seul j’ai été abusé, niais cependant je conserve l’espoir en Dieu, et je m’attache au témoignage des Livres Saints, parce que j’ai une foi orthodoxe et parfaite. Vous qui êtes associés à mon ministère et à ma foi, que ce ne soit pas par faveur ou par respect humain que vous m’honoriez ou que vous me révériez. Ne vendez pas votre Dieu pour une vaine existence, car voici le temps de mériter le titre d’élu et d’obtenir du Christ la couronne. Je suis votre garant devant Jésus-Christ pour vous promettre que celui qui n’entoure pas comme d’un mur le pain sacré, sera couronné avec les saints, et que si quelqu’un préfère la gloire des hommes à celle de Dieu, celui-là sera placé au jour du jugement dernier au nombre de ceux qui n’ont pas confessé le Christ comme Dieu ; celui-là doit être exclu de notre Église, et privé de notre bénédiction. Mais ceux qui croiront avec nous, qu’ils soient bénis par les habitants du ciel et par ceux de la terre, par Dieu et par nous, par Dieu qui est glorifié dans l’éternité. Amen !

En recevant cette lettre, les fidèles d’Édesse furent plus que jamais confirmés dans la véritable doctrine. A la Pâque, les habitants de Jérusalem allumèrent les lampes du saint Sépulcre par supercherie et en fraude ; et trompant leurs nationaux, se servirent pour ces lampes divines d’un feu supposé. Mais elles prirent feu spontanément à la Pâque des Arméniens, comme en furent témoins tous les chrétiens qui se trouvaient à Jérusalem. Alors les Grecs furent couverts de confusion, parce qu’ils avaient célébré cette fête le dimanche des Rameaux.[28]

CLXXVI. Cette même année, le roi d’Égypte et celui de Damas firent une nouvelle levée de boucliers, et s’avancèrent avec des forces très considérables contre Jérusalem. Le roi Baudouin se porta à leur rencontre. Les Egyptiens avaient déjà mis les chrétiens en déroute, après une lutte acharnée, lorsque l’on vit débarquer des masses de Francs, qui repoussèrent les infidèles, les mirent en fuite et les taillèrent en pièces, sans faire quartier à aucun.[29]

Baudouin étant parti pour retourner à Jérusalem, un musulman d’Acre, éthiopien de nation, qui se tenait en embuscade sous un arbre, l’atteignit d’un coup de pique dans les côtes. Le meurtrier fut tué sur la place même, mais la blessure du roi resta incurable jusqu’à sa mort. Jérusalem, désolée de ce funeste accident, fut plongée dans le deuil et la tristesse.[30] Ce malheur fut la punition de la fausse célébration de la Pâque. Déjà les Grecs avaient osé donner l’exemple d’une pareille subversion sous le règne de l’empereur Basile, lorsque les lampes ne s’allumèrent pas, et que les infidèles massacrèrent les pèlerins dans l’église de la Résurrection, à l’entrée du saint Sépulcre.

CLXXVII. Au commencement de l’année 552 (24 février 1103 - 23 février 1104), un châtiment terrible frappa la ville d’Édesse. Une inondation survint le jeudi de la Petite semaine,[31] inondation qui rappela le souvenir du déluge universel. L’air, violemment agité, se condensa dans l’atmosphère ; des bruits accompagnés d’éclats de tonnerre se firent entendre ; toute la face du ciel était bouleversée avec un fracas horrible quelques personnes pensaient que c’en était fait d’Édesse. A partir de l’aurore, il tomba des torrents de pluie mêlée de grêle. Au lever du soleil, les eaux, se frayant une issue du côté de l’ouest, se développèrent dans toute l’étendue qui va d’une colline à l’autre ; elles se précipitèrent contre le rempart, et l’entrouvrant, envahirent toute la ville, dont une partie fut détruite. Un grand nombre de maisons s’écroulèrent, et beaucoup d’animaux périrent. Mais personne ne perdit la vie dans ce désastre si imprévu et si subit, parce qu’il eut lieu de jour, et que chacun put s’échapper.

CLXXVIII. Cette même année, le comte des Francs. Bohémond, fut racheté des mains de Danischmend, au prix de 100.000 tahégans,[32] par l’intermédiaire et grâce à la générosité du grand chef arménien Kogh-Vasil.[33] C’est lui qui fournit les fonds de cette rançon, tandis que le comte d’Antioche n’y contribua en rien. Vasil réunit tout ce qu’il put d’argent, en employant, pour se le procurer, toutes les ressources et tous les soins imaginables, et fit porter la somme exigée jusqu’aux limites de sa province, il alla au devant de Bohémond devenu libre, le reçut avec hospitalité dans son palais, le traita avec la plus grande distinction, et lui offrit de magnifiques présents. Il ne se montra pas moins généreux envers ceux qui avaient amené le comte : les largesses qu’il leur distribua montaient à 10.000 tahégans. Au bout de quelques jours, Bohémond partit pour Antioche, après être devenu, par la consécration de serments solennels, le fils adoptif de Kogh-Vasil. Quant à Richard, neveu de Bohémond, Danischmend l’offrit en cadeau à l’empereur Alexis, en retour de sommes considérables que celui-ci lui donna.

CLXXIX. Cette même année, le comte d’Édesse, Baudouin, rassembla des troupes et entreprit une expédition contre les Turcs, sur le territoire des musulmans, dans le district de Mardin. Il les extermina, et fit prisonnier leur émir Oulough’-Salar.[34] Il s’empara de leurs femmes et de leurs enfants qu’il rendit esclaves ; il prit aussi des troupeaux de brebis par milliers, environ mille chevaux, autant de gros bestiaux et de chameaux. Il rentra à Édesse avec ce butin.

CLXXX. Cette même année, le catholicos d’Arménie, le seigneur Basile, étant parti de la ville d’Ani, escorté de tous ses serviteurs, de nobles, d’évêques et de prêtres, se rendit à Édesse. Le comte Franc, Baudouin, l’accueillit avec les égards dus à sa haute dignité ecclésiastique, lui donna des villages, le combla de présents et lui témoigna beaucoup d’amitié.

CLXXXI. Cette même année, mourut le catholicos des Agh’ouans, le seigneur Étienne. Alors le catholicos d’Arménie, le seigneur Basile, et les évêques des Agh’ouans tinrent une assemblée, et le frère d’Etienne[35] fut sacré et installé comme son successeur, dans la ville de Kantzag. Mais dans la suite il se montra indigne de ces augustes fonctions : il fut excommunié par le seigneur Basile, puis chassé de son siège et privé de sa dignité. Cette punition lui fut attirée par sa mauvaise vie.

CLXXXII. En l’année 553 (23 février 1104 - 21 février 1105), le comte d’Édesse Baudouin et Josselin marchèrent contre Khar’an. Ils envoyèrent à Antioche appeler le grand comte des Francs, Bohémond, ainsi que Tancrède. Ils s’adjoignirent toutes les troupes arméniennes, et formèrent une armée très nombreuse. Arrivés devant Khar’an, ils assiégèrent vigoureusement cette ville ; elle eut cruellement à souffrir du manque de vivres. Pendant ce siège, un Franc fit une chose très déplaisante à Dieu. Après avoir ouvert un pain et y avoir fait ses ordures, il alla le déposer en face de la porte de la ville. Par malheur, les habitants avant aperçu ce pain, l’un d’eux se jeta dessus et s’en saisit pour le manger : mais ayant découvert les saletés qu’il contenait, il fut pris de dégoût. Néanmoins il l’emporta et vint le montrer aux antres. A cette vue, des gens judicieux dirent : « C’est là un péché que Dieu ne laissera pas impuni ; il ne leur accordera pas la victoire, parce qu’ils ont souillé le pain ; profanation sans exemple sur la terre. »

Cependant les Perses marchèrent contre les chrétiens, ayant à leur tête Djekermisch, émir de Mossoul,[36] et Soukman, fils d’Artoukh. Les chefs des Francs ayant appris l’approche des infidèles, partirent tout joyeux pour aller à leur rencontre. Ils étaient déjà à deux journées de marche de la ville, à un lieu nommé Auzoud (sablonneux. Le comte d’Édesse et Josselin, pleins de présomption, placèrent Bohémond et Tancrède dans un poste éloigné, en se disant : « C’est nous qui attaquerons les premiers, et seuls nous aurons l’honneur de la victoire. Mais lorsque la lutte se fut engagée entre Baudouin et Josselin d’un côté, et les Turcs de l’autre, l’action devint sanglante et terrible ; un pays étranger, celui des musulmans, en était le théâtre. Les Perses eurent le dessus et firent tomber sur les chrétiens le châtiment d’un Dieu irrité. Le sang coula à torrents, et les cadavres jonchèrent le sol. Plus de 30.000 chrétiens furent immolés, et la contrée resta dépeuplée. Le comte d’Édesse Baudouin et Josselin furent faits prisonniers, et tramés en captivité. Les deux autres chefs Francs, ainsi que leurs troupes, n’éprouvèrent aucun mal. Ils prirent avec eux leurs plus vaillants soldats et coururent chercher un asile à Édesse.[37]

Ce qui affligea surtout les chrétiens d’Édesse, c’est que les habitants de Khar’an, coupant la retraite à ces débris échappés aux mains des infidèles, cernèrent la montagne et la plaine, et massacrèrent tous les fuyards au nombre de dix mille. Ils causèrent plus de mal aux fidèles quo les Turcs eux-mêmes, Une profonde douleur, les plaintes, la tristesse, les pleurs, tel était le spectacle que présentait Édesse. On n’entendait partout que lamentations ci gémissements. Toutes les contrées chrétiennes étaient livrées au désespoir. Le comte Baudouin fut conduit à Mossoul, ville des musulmans, et Josselin à Hisn-Keïfa (Harsenkev),[38] chez Soukman, fils d’Artoukh. Ce fut Djekermisch qui emmena Baudouin.

Cependant Bohémond conçut le projet de retourner dans le pays des Francs pour aller chercher du renfort, et laissa le gouvernement d’Édesse et d’Antioche à son neveu (fils de sa sœur) Tancrède. Lorsqu’il fut parvenu chez les Francs, il rencontra une dame fort riche, qui avait été mariée à Etienne Pol (Sdéph’an Bôl), comte Franc d’une illustre origine, Bohémond ayant habité chez cette dame, elle le retint de force, en lui disant : « Prends-moi pour ta femme, car j’ai perdu mon mari, et ma terre ainsi que ma cavalerie qui erre à l’aventure, sont sans maître. » Mais Bohémond rejeta ces propositions : « Je suis venu ici, lui répondit-il, lié par un serment solennel, pour me procurer des troupes, et je désire m’en retourner promptement, pour porter secours aux débris de l’armée chrétienne, entourée en ce moment par les infidèles de la Perse. » Cette femme renouvela ses instances avec une violence extrême, quoique Bohémond lui opposât toujours les mêmes refus. Voyant sa persistance inébranlable, elle le fit charger de chaînes et jeter en prison. Après y avoir demeuré quelques jours, il céda, et l’ayant épousée, il eut d’elle deux fils. Au bout de cinq ans, le grand comte des Francs mourut, sans avoir revu l’Asie.[39]

CLXXXIII. Cette même année, Danischmend, grand émir du pays des Romains, et Arménien d’origine, cessa de vivre. C’était un homme bon, bienfaiteur des populations, et très miséricordieux envers les fidèles. Sa perte fut vivement sentie par les chrétiens qui dépendaient de lui.[40] Il laissa douze fils, dont l’aîné, nommé Gazi,[41] lui succéda et se défit secrètement de ses frères.

CLXXXIV. Cette même année mourut Soukman, fils d’Artoukh. qui possédait autrefois la sainte cité de Jérusalem. Artoukh y laissa des traces bien visibles de son passage dans l’église de la Résurrection. Car on y remarque trois flèches qu’il lança au plafond, et qui y sont restées fixées jusqu’à présent. Il finit ses jours à Jérusalem, et fut enterré sur le chemin qui conduit au temple de Salomon. Son fils, Soukman, était un méchant homme, une bête féroce, ardente à verser le sang. Il avait rassemblé des troupes perses et marchait au secours de Tripoli contre les Francs, lorsque la mort le surprit en route. Aussitôt ses soldats se débandèrent et s’en revinrent dans leur pays.

CLXXXV. Cette même année mourut le roi des Perses. Barkiarok, fils de Mélik Schah, fils d’Alp Arslan. Il eut pour successeur Daph’ar,[42] qui était né d’une femme kiptchak (Kheph’tchakh),[43] la même qui avait empoisonné le puissant monarque Mélik Schah, à Bagdad.[44]

CLXXXVI. Cette même année, la ville de Marasch fut perdue pour les Grecs ; le Prince des princes ayant quitté cette ville, la céda à Josselin. Il vendit en outre l’image de la sainte Mère de Dieu, pour une forte somme, ai) grand chef arménien Thoros, fils de Constantin, fils de Roupen,[45] et partit pour Constantinople.

CLXXXVII. En l’année 554 (23 février 1105 - 22 février 1106), le saint patriarche Grégoire, nommé aussi Vahram, fils de Grégoire Magistros, fils de Vaçag, et Bahlavouni d’origine, termina sa carrière. Ainsi tomba la colonne de la foi arménienne, le rempart de l’Église de la Nation orientale. C’était un homme qui opérait des miracles parmi les populations, qui brillait par l’éclat de sa vertu, et dont la vie s’écoula dans la pratique des austérités dans le jeûne et la prière, et dans le chant des psaumes par lesquels il célébrait les louanges de Dieu. Il restaura la foi arménienne. Il s’occupait sans cesse à faire des traductions ; et tout ce qui nous manquait dans l’observance des commandements de Dieu, il le rétablit avec une complète et magnifique régularité. Il s’appliquait tout entier et sans relâche à faire traduire des livres grecs ou syriaques. Il remplit des lumières des Saintes-Lettres l’Église d’Arménie. D’un esprit doux, humble de cœur, il joignait à ces qualités une haute piété et une pratique assidue des préceptes divins. Il avait toute l’aptitude nécessaire pour pourvoir aux besoins du troupeau du Christ, tant il possédait abondamment les grâces célestes. Il ressemblait aux anciens savants d’Arménie, je veux dire Moïse et David,[46] car il avait une tête athénienne et une langue de feu, et c’était avec facilité qu’il soulevait le voile de l’ancien et du nouveau Testament. Il ouvrait les sources qui découlent du sein de Dieu, et répandait l’intelligence de l’Esprit-Saint parmi les fidèles qui accouraient pour l’entendre. Il devint le modèle des religieux, les surpassant tous par l’exercice des plus sublimes vertus.

Après avoir siégé pendant quarante ans sur le trône pontifical, il se trouvait au moment de sa mort chez le prince Kogh-Vasil, cet illustre guerrier, auprès duquel s’étaient alors groupés les débris de notre armée nationale. Il y avait là aussi un jeune homme nommé Grégoire,[47] petit-neveu (fils du fils de la sœur) du seigneur Vahram. Le patriarche Grégoire le désigna, dans une assemblée, pour lui succéder comme catholicos d’Arménie, après la mort du seigneur Basile, et plaça l’exécution de ses volontés sous la sauvegarde de Kogh-Vasil, seigneur de Kéçoun et autres lieux. Basile se conforma aux ordres de Grégoire, et, dès ce jour, il prit auprès de lui Grégoire, fils d’Abirad, patriarche désigné. C’est dans le mois de drê, la première semaine du carême de l’été,[48] un samedi, que mourut ce saint patriarche. Il fut enterré avec solennité à Garmir-Vank’ (Couvent Rouge), non loin de Kéçoun. Le seigneur Etienne, supérieur de ce couvent, réunit autour de son tombeau des moines et des prêtres, et l’envoya rejoindre la milice des Saints avec les honneurs dus à sa haute position comme patriarche. Vasil et les autres membres de la noblesse arménienne versèrent des larmes amères sur cette perte, et déplorèrent profondément le vide qu’elle allait produire parmi eux. Les Arméniens pleurèrent au souvenir de cet homme de bien et en se rappelant le sort qui les condamnait à vivre déshérités de leur souveraineté nationale, au milieu des peuples étrangers, et à finir leurs jours loin de leur patrie.

CLXXXVIII. Cette année, mourut le thaumaturge éminent, Marc, ermite. Il avait passé soixante-cinq années de sa vie dans la retraite, ne se nourrissant que d’herbages, sens goûter au pain ni à aucun autre aliment. Il possédait l’intuition des Prophètes, et beaucoup de personnes avaient acquis la certitude que tous les jours l’Esprit-Saint se révélait à lui. Il habitait dans la province de Mogk’,[49] sur une montagne aride appelée Gonkanag. Il était Syrien de Kharsina,[50] d’un lieu voisin du territoire de la ville de Marasch. Par ses prières, il fit jaillir de l’eau en deux endroits différents, dans ce pays. Lorsque les Francs conquirent la sainte cité de Jérusalem, il prédit que les Perses reprendraient le dessus et pénétreraient, le glaive à la main, jusqu’aux bords de la Mer océane, prédiction dont nous avons vu, en effet, l’accomplissement.

[Voici ses paroles :] — « Nous dirons au sujet des prêtres et des peuples, qu’ils se relâcheront de la foi, et que le culte de Dieu cessera parmi eux ; leur croyance s’affaiblira, et les portes de la sainte Église se fermeront. Ils seront aveuglés par leur perversité ; ils oublieront de nouveau les préceptes de l’Évangile. Les péchés et le mal inonderont la surface de la terre, et les fils des hommes seront emportés au milieu du débordement des crimes, comme au milieu des flots de la mer. Toutes les nations fidèles cesseront de pratiquer la justice. »

Ce digne moine fut enterré dans le couvent de Gasdagh’ôn, auprès du château-fort de Vahga’, dans la chaîne du Taurus.

CLXXXIX. Cette même année, Djekermisch, émir de Mossoul et de Nisibe, vint, à la tête de forces considérables, camper aux portes d’Édesse, au moment de la moisson. Le général des Francs, Richard, auquel Tancrède avait confié la défense de cette ville, fit imprudemment une sortie à la tête de son infanterie, pour se mesurer avec les milices aguerries de la Perse. Celles-ci, profitant de cette faute, fondirent sur les chrétiens, les rejetèrent tous dans les fossés de la ville, et leur tuèrent quatre cent cinquante hommes. Les infidèles écorchèrent les têtes des cadavres et les emportèrent en Perse. Ce désastre jeta le désespoir dans Édesse. Chaque famille était dans la désolation, chaque maison retentissait de gémissements. Les campagnes ruisselaient de sang. Après quoi, Djekermisch rentra en triomphe dans son pays.

CXC. Cette même année mourut le comte des Francs, Saint-Gilles,[51] pendant qu’il assiégeait Tripoli. Il laissa la ville extérieure qu’il avait bâtie[52] et ses troupes au fils de sa sœur, Bertrand,[53] guerrier illustre. C’est ce Saint-Gilles qui avait emporté la lance du Christ et l’avait donnée l’empereur Alexis, à Constantinople.

CXCI. Cette même année la ville d’Ablastha, dans le district de Dchahan,[54] eut à souffrir bien des tourments et des calamités de la part des Francs. Elle fut tellement maltraitée, que les habitants résolurent de s’en venger cruellement. Ils se tournèrent du côté des infidèles. Leur ayant envoyé un secret message, et ayant appelé dans leurs murs la cavalerie du district, les Arméniens se liguèrent avec eux et investirent la forteresse. Va t’en chez ta nation, dirent-ils au chef des Francs, et que Dieu soit avec toi. » A ces mots, ceux-ci, furieux, s’élancèrent comme des bêtes féroces sur les habitants. Mais ces derniers furent vainqueurs et les massacrèrent tous ; pas un n’échappa. Le Seigneur tint compte aux gens d’Ablastha de ce qu’ils avaient fait comme d’un acte de justice. Cette journée vit périr environ trois cents hommes, qui expièrent ainsi les maux dont ils avaient accablé les fidèles, car ils avaient ruiné et dépeuplé la contrée. La terre qui portait plus que des ronces et était devenue stérile sous leurs pas. Les vignes et les arbres s’asséchèrent, les plaines se hérissèrent de chardons, les sources tarirent. Ils détruisirent l’affection et la joie entre amis ; la trahison et la haine s’étendirent partout. Les fidèles, rebutés par les vexations dont ils les rendaient victimes, ne venaient plus avec un concours empressé à l’église. Les portes de la maison du Seigneur se fermèrent ; les lampes qui l’éclairaient s’éteignirent ; les bénédictions de Dieu cessèrent de s’attacher à son temple. Les prêtres furent courbés sous le joug de la plus dure servitude et jetés en prison. Les autels et les baptistères furent abattus et détruits ; les mystères de la Croix disparurent dans l’ombre ; l’odeur de l’encens se perdit ; les louanges de Dieu furent empêchées tout à fait dans le district d’Ablastha. En d’autres endroits les chapelles furent démolies. Les prêtres devinrent un objet de mépris. La controverse religieuse fut abolie, la vérité persécutée, la justice rejetée, la piété proscrite. Le jugement du redoutable tribunal de Dieu fut mis en oubli. Ces maux furent l’ouvrage de la nation enragée des Francs. Car alors les chefs et les guerriers les plus illustres de cette nation n’existaient plus, et leurs principautés avaient passé à des successeurs indignes. Telle est la cause qui porta les Francs à susciter aux fidèles des persécutions et des tourments qui n’avaient au fond d’autre mobile que la cupidité.[55]

CXCII. Cette même année l’église de Sainte-Sophie, à Édesse, s’écroula du côté occidental ; une grande partie de cet édifice tomba.

CXCIII. Cette même année apparut une comète d’un aspect terrible à la fois et merveilleux, et dont l’orbite immense inspira l’effroi. Elle occupait le sud-ouest. Sa queue couvrait une vaste étendue de la voûte céleste. C’était le 13 février au soir, veille de la fête de la Présentation de Notre-Seigneur dans le Temple, qu’elle se leva sur l’horizon. Elle brilla pendant cinquante jours, jetant la consternation dans tous les cœurs, parce que le mouvement de sa queue ressemblait aux ondulations d’un fleuve. Personne n’avait jamais ouï parler d’un phénomène pareil. Les savants et les gens d’expérience assurèrent que c’était l’astre d’un roi, et que cette année il en naîtrait un qui étendrait son empire d’une mer à l’autre, comme Alexandre le Grand de Macédoine.[56]

Cette même année, les Arabes sortirent de leur pays, au nombre de trente mille environ, pour venir s’emparer d’Alep et de tout le territoire musulman.[57] Le vaillant champion de Dieu, Tancrède, comte d’Antioche, s’avança contre eux, et les ayant mis en fuite, rentra dans cette ville avec un riche butin.[58]

CXCIV. En l’année 555 (23 février 1106 - 22 février 1107) Djekermisch, émir de Mossoul, fut tué par Djâwali (Dchauli),[59] émir perse, dans une lutte acharnée qui s’était engagée entre eux. Djâwali vainquit Djekermisch, et l’atteignit d’une flèche. Quelques jours après, cette bête féroce expira, laissant sa principauté au sultan Kilidj Arslan. Il lui donna aussi Baudouin, comte d’Édesse, qu’il retenait dans les fers. Kilidj Arslan, sultan d’Occident, ayant réuni ses troupes, vint prendre possession de Mossoul, de Djézireh, et de toutes les contrées qui appartenaient Djekermisch.

CXCV. Cette même année, mais antérieurement à ces événements, Kilidj Arslan était venu avec des forces imposantes assiéger Édesse. Il fit pendant quelques jours de grands efforts pour se rendre maître de cette ville, mais il échoua. Ayant opéré sa retraite, il vint s’emparer de Khar’an. Après avoir soumis tout le pays qui en dépend. il regagna ses États.

CXCVI. En l’année 556 (23 février 1107 - 22 février 1108), une guerre terrible éclata dans la province de Mossoul, qui est au musulmans. Kilidj Arslan et l’émir Djâwali, chacun à la tête de troupes nombreuses, en vinrent aux mains. Il y eut de part et d’autre beaucoup de sang répandu. Mais la victoire se déclara pour Djâwali. Les débris de l’armée du sultan se sauvèrent à Mélitène. Ce dernier périt dans l’action, et sa mort fut nu deuil pour les chrétiens. Car c’était un prince d’une bonté et d’une bienveillance extrêmes. Ses quatre fils se mirent en possession des provinces qu’il avait assignées à chacun d’eux.[60]

CXCVII. Cette même année, un corps de douze mille Perses franchit le Taurus et pénétra sur les limites d’Anazarbe, semant la désolation dans tout le pays de Thoros, petit-fils de Roupen. Après avoir traversé la plaine de Marasch et avoir fait une multitude de captifs, ils parvinrent sur le territoire de Kogh-Vasil, à un lieu nommé Pertousd, dans les limites consacrées.[61] A la nouvelle de cette invasion, Vasil avant réuni la légion arménienne, ces soldats intrépides comme des aigles, courageux comme de jeunes lions, coururent à l’ennemi, et après une lutte longue et acharnée, remportèrent nue victoire complète. Ayant déconfit les Turcs, ils se mirent tous ensemble à les poursuivre, l’épée dans les reins, et en les massacrant. Ils leur enlevèrent quantité de prisonniers, et leur reprirent le butin et les captifs dont ils s’étaient emparés. Vasil s’en revint avec toute la noblesse arménienne, fier et joyeux de ce beau succès, et rentra dans sa ville de Kéçoun. Il rendit des actions de grâces à Dieu, qui avait confondu les ennemis de la Croix.

CXCVIII. Au commencement de l’année 557 (22 février 1108 - 20 février 1109), les Perses rassemblèrent une nouvelle armée, forte de six mille hommes, tous guerriers d’élite, placés sous le commandement de leur sultan. Ils marchèrent contre Vasil pour tirer vengeance de l’échec qu’il leur avait fait récemment éprouver à Pertousd. Comme des animaux furieux, ils arrivèrent sur le territoire de la ville de Hisn-Mançour,[62] au temps de la moisson et des récoltes. Les ouvriers des champs furent, les uns exterminés, les autres réduits en servitude. Les infidèles s’arrêtèrent auprès de la forteresse de Harthan.[63] Kogh-Vasil, instruit de leur approche, s’avança contre eux à la tête de cinq cents hommes. Cette poignée de braves Arméniens combattit avec une rare intrépidité. Les nobles s’excitant l’un l’autre, se distinguèrent par les plus brillants faits d’armes. L’un d’eux, Ablaçath,[64] chargea à la tête des siens ; Pierre, oncle maternel de Kogh-Vasil, secondé par ses nobles, se signala par ses prouesses ; Vasil, surnommé Dgh’a’,[65] noble du côté de sa mère, à la tête d’un détachement, et en compagnie de l’intrépide Dikran (Tigrane), qui descendait de l’une des plus illustres familles d’Arménie, culbuta les ailes de l’armée perse. La vaillante légion arménienne fit des prodiges de valeur, et remporta sur les infidèles une victoire décisive. Elle en fit un horrible massacre, et s’empara de la personne du sultan d’Arménie[66] et d’une foule d’officiers perses. Kogh-Vasil les emmena en esclavage, en les faisant marcher devant lui. Après ce magnifique triomphe, il rentra, chargé de butin, dans sa ville de Kéçoun. Il remit en liberté tous les prisonniers faits par les infidèles, et l’allégresse éclata parmi les chrétiens.

CXCIX. Cette même année, Josselin racheta à Djâwali le comte d’Édesse, Baudouin, pour une somme de 30.000 tahégans.[67] Celui-ci et Josselin se rendirent auprès de Vasil, qui les accueillit de la manière la plus honorable et les combla de présents. Baudouin étant parti, réunit un corps de cavalerie à Raban,[68] ville qui appartenait à Vasil, dans l’intention de faire la guerre au pieux Tancrède. Baudouin et Josselin commirent une œuvre d’iniquité, et se rendirent coupables au plus haut point devant Dieu. Ils envoyèrent un message à l’émir perse Djâwali, lui persuadèrent de venir à leur aide avec cinq mille cavaliers, et attaquèrent avec acharnement le comte d’Antioche, Tancrède. Cette agression était motivée sur ce que Tancrède, pendant leur captivité, s’était emparé des districts qui leur appartenaient, et refusant de les rendre, voulait que ces deux princes fussent ses vassaux, prétention qu’ils repoussèrent bien loin. Vasil envoya aux deux chefs Francs un détachement de huit cents hommes, et un corps de Patzinaces[69] qui étaient à la solde de l’empereur des Grecs, et cantonnés dans la ville de Mécis (Mopsueste). Ces renforts réunis formèrent une année considérable. Sur ces entrefaites, Tancrède, le champion du Christ, arriva avec un millier de cavaliers et un corps d’infanterie. L’engagement eut lieu sur les limites de Tellbâscher. Baudouin et Tancrède se combattirent l’un l’autre, avec rage et avec une valeur héroïque, tandis que les Perses écrasaient l’infanterie de Tancrède. Cependant celui-ci, tentant un suprême effort, vainquit Baudouin et le mit en fuite ; puis fondant avec fureur sur Djâwali et frappant à coups redoublés, il porta la mort dans les rangs de ses soldats. Dans cette journée, deux mille chrétiens restèrent sur la place. Après cette insigne victoire, Tancrède s’en retourna dans sa ville d’Antioche, et Baudouin, fugitif, alla se renfermer dans la forteresse d’Aréventan.[70] Josselin se sauva dans sa forteresse de Tellbâscher.[71]

Lorsque les habitants d’Édesse connurent cette défaite, ils furent dans la désolation. Ils regrettaient Baudouin qu’ils croyaient mort. Alors ils tinrent, dans l’église de Saint-Jean, une assemblée où se trouvait le Babiôs (archevêque) Franc de cette ville, pour se concerter sur le parti qu’il y avait à prendre ; car ils craignaient qu’Édesse ne tombât de nouveau entre les mains de Tancrède, qui la remettrait sans doute à Richard. En effet, lorsque ce dernier occupait Édesse, il avait causé la ruine d’une foule de personnes. Dans cette réunion, les habitants inculpèrent vivement l’archevêque. Que vos hommes, ajoutèrent-ils, et les nôtres, gardent la forteresse[72] jusqu’à ce que nous sachions quel est le maître qui doit nous gouverner. » Mais le surlendemain arrivèrent Baudouin et Josselin, qui firent leur entrée à Édesse et s’enquirent des propos qui avaient été tenus dans cette assemblée. Ils considérèrent ces propos comme très dangereux et les interprétèrent dans un sens tout à fait criminel. Ils firent piller les maisons d’un grand nombre d’habitants et crever les yeux à des gens qui n’étaient nullement coupables. Ils infligèrent dans cette occasion de cruels supplices aux chrétiens, car les Francs prêtaient facilement l’oreille aux dénonciations les plus calomnieuses et se plaisaient à répandre le sang innocent. Ils poussèrent la cruauté à un tel excès qu’ils voulurent arracher les yeux à l’archevêque arménien, Etienne. Les habitants, sachant qu’on n’avait rien à lui reprocher, le rachetèrent pour une somme de 1.000 tahégans.[73]

CC. Cette même année, l’hiver fut si rigoureux, que l’intensité du froid fit périr partout beaucoup d’animaux domestiques et d’oiseaux. En Perse, il tomba de la neige noire, phénomène qui fut interprété par les sages de cette nation, comme un présage funeste pour elle.

CCI. Cette même année, il y eut dans la partie de l’Arabie qui se nomme Bosra,[74] et qui est la patrie de Job, de grands combats entre les Turcs et les Arabes. Ceux-ci se défendirent avec la plus grande bravoure, mirent leurs ennemis complètement en déroute et les taillèrent en pièces. Cependant le général perse recruta de nouvelles troupes et se mit derechef en campagne. Après une lutte où il déploya une valeur extraordinaire, il repoussa les Arabes. Cinquante mille de ces derniers passèrent dans la province d’Alep, afin de chercher à se mettre sous la domination de Tancrède. Ayant demeuré là quelques jours, ils s’en retournèrent chez eux.

CCII. En l’année 558 (22 février 1109 - 21 février 1110), Baudouin, comte d’Édesse, et Josselin, comte de Tellbâscher, se dirigèrent vers Khar’an, afin de ravager le territoire de cette ville. Avec eux se trouvait un noble Arménien qui servait dans l’armée de Vasil, et qui était fils de Dadjad, seigneur de Darôn ; il se nommait Ablaçath, et était un des plus valeureux guerriers de son temps. Ayant quitté Vasil, par suite de quelques démêlés, il était venu à Édesse. Arrivés en vue de Khar’an, ceux d’Édesse se mirent à ravager la campagne. Tout à coup quinze cents cavaliers Turcs fondirent sur eux et leur tuèrent cent cinquante hommes. Les Francs, qui étaient en petit nombre, prirent le parti de s’enfuir vers Édesse, tandis qu’Ablaçath, poussant un cri d’aigle. et donnant ainsi le signal aux siens, se précipitait sur les ennemis qu’il dispersa. Les Francs revinrent à la charge, niais les Turcs les forcèrent de reculer. Ils se sauvèrent de nouveau vers Édesse, et quoique rudement menés par les infidèles, ils réussirent à rentrer sains et saufs dans ses murs. Ablaçath, ne s’accommodant pas de la conduite des Francs, s’en retourna auprès de Vasil. Quoique blessé au bras, il ne succomba pas, parce que le fer de son armure avait arrêté la force du coup.

CCIII. Cette même année, la ville maritime de Tripoli fut prise. Après onze ans de siège, les habitants, fatigués des assauts terribles et du blocus rigoureux qu’ils soutenaient, car Baudouin, roi de Jérusalem, et Bertrand, parent du grand comte de Saint-Gilles, les pressaient vivement, les habitants appelèrent Tancrède, comte d’Antioche, et se donnèrent à lui.

Aussitôt le roi de Jérusalem et Bertrand se mirent en guerre avec Tancrède ; en effet, c’étaient eux qui conduisaient les travaux du siège. Le patriarche et les évêques Francs intervinrent, et la paix ayant été rétablie, Tancrède reprit le chemin d’Antioche. Cependant le roi de Jérusalem équipa une flotte pour agir contre Tripoli, et ayant investi cette ville par mer et par terre, l’attaqua avec vigueur. Les Francs l’ayant enfin emportée d’assaut, y mirent Le feu, en exterminèrent la population, et y répandirent le sang à flots. Ils s’emparèrent de riches trésors, et emmenèrent d’innombrables captifs.[75]

CCIV. Au commencement de l’année 559 (22 février 1110 - 21 février 1111), le comte d’Édesse voulut recommencer la guerre contre Tancrède. Baudouin et Josselin, le cœur plein de haine contre ce dernier, conçurent une pensée indigne d’un chrétien, ils envoyèrent à Mossoul appeler à leur secours le général des Perses, Maudoud (Mamdoud),[76] guerrier intrépide, mais féroce et sanguinaire. Maudoud acquiesça à cette demande avec empressement, et ayant rassemblé tous ses Turcs, se mit en marche avec des forces imposantes et parvint sur le territoire de Khar’an. Ayant mandé auprès de lui le comte d’Édesse, celui-ci, effrayé, n’osa pas se rendre à cette invitation. Maudoud, comprenant que le comte l’évitait,[77] s’avança coutre Édesse. Aussitôt Baudouin chargea Josselin d’aller chercher du renfort, et envoya dire au roi de Jérusalem d’accourir. Celui-ci était alors occupé au siège de Bérouth, ville située sur le bord de la Mer océane. Pendant que ces démarches avaient cours, l’émir Maudoud arrivait avec une armée qui se déploya sur toute l’étendue de la vaste plaine d’Édesse. Il investit de toutes parts la ville et couvrit de ses bataillons la montagne et les collines.

L’Orient tout entier était rangé sous ses drapeaux. Toutes les populations se sauvèrent et quittèrent le pays, qui devint désert, tandis que les assiégés, en butte à des attaques incessantes, étaient consternés. Pendant cent jours, ils furent dans la situation la plus critique et dans des angoisses extrêmes. Déjà accablés par les assauts qu’ils avaient à soutenir, ils commencèrent à souffrir de la famine. L’accès et la sortie de la ville étaient empêchés par la multitude des ennemis qui l’entouraient, et qui massacraient ceux qui tombaient entre leurs mains. Dans la campagne aux environs s’amoncelaient les cadavres ; l’incendie dévorait tout ; pas un édifice ne resta sur pied. Par ce système de dévastation, Maudoud obéissait aux ordres du sultan, émir de l’Orient.[78] Il détruisit les jardins qui étaient en dehors des murs et démolit jusqu’aux fondements les monastères qui s’élevaient sur la montagne. Cette guerre à outrance plongea Édesse dans la désolation.

Quelque temps après, et grâce à la protection de Dieu, Bérouth était enlevée aux musulmans. Les habitants furent passés au fil de l’épée, et les Francs se rassasièrent de butin. Josselin assista à la prise de cette ville et y déploya la plus grande valeur.[79]

De là il partit à la tête de l’armée pour marcher au secours d’Édesse, avec le roi de Jérusalem et Bertrand, comte de Tripoli. Ils allèrent trouver Tancrède à Antioche, et à force d’instances le décidèrent à les accompagner ; puis, continuant leur route, ils arrivèrent chez le prince arménien Vasil, lequel donna l’ordre aux siens de s’équiper, et se dirigea vers Samosate. Le chef arménien Abelgh’arib,[80] qui possédait la ville de Bir,[81] prit part aussi avec ses troupes à cette expédition. Ces forces, réunies en un contingent considérable, parvinrent sur le territoire d’Édesse. A cette nouvelle, le général des Turcs, Maudoud, leva le siège et se porta vers Khar’an, tandis que les Francs arrivaient sous les murs d’Édesse, où ils établirent leur camp. Le lendemain, au point du jour, ils se disposèrent au combat. Arborant la sainte Croix de Varak au haut d’une lance, ils la portèrent en tête de leurs bataillons. Sur ces entrefaites, les Turcs reculèrent au delà de Khar’an, afin d’attirer les chrétiens par un stratagème, dans un pays inconnu pour eux ; en même temps, ils placèrent en embuscade, dans l’intérieur de la ville, un fort détachement. Les généraux Francs ayant eu vent de ce piège, retournèrent sur leurs pas et vinrent camper sur le territoire musulman, non loin du château fort de Schênav,[82] qu’ils attaquèrent résolument. Tancrède ayant su qu’une trame était ourdie contre les siens par les autres chefs, se retira vers Samosate avec le corps qu’il commandait, et fit halte sur les bords de l’Euphrate, Bientôt toute l’armée franque vint le rejoindre. Les habitants d’Édesse et ceux de la province qui s’étaient renfermés dans la ville, en sortirent tous, jusqu’aux femmes et aux enfants, pour suivre les Francs. Deux Francs accomplirent dans cette circonstance un acte de prévarication. Ils se rendirent au camp de Maudoud et abjurèrent la foi chrétienne. Ils lui annoncèrent la fuite et la retraite des leurs. Alors Maudoud se mit à leur poursuite ; depuis Édesse jusqu’à l’Euphrate, il versa partout le sang, exterminant les populations de la ville et celles de la campagne. Parvenu sur la rive du fleuve, il en fit une boucherie horrible. Les Francs avaient déjà gagné le bord opposé. Les fidèles accourus, aussi nombreux que des troupeaux de brebis, passèrent sous le tranchant du glaive. Maudoud fit tomber sur eux le châtiment de la vengeance céleste avec une telle rigueur, que l’Euphrate ne roula que des flots de sang. Beaucoup se noyèrent dans ses eaux. Ceux qui s’y précipitaient à la nage et s’efforçaient d’atteindre l’autre rive ne purent y parvenir. Un nombre plus considérable encore se jetaient dans les bateaux. Cinq ou six de ces embarcations sombrèrent pleines de monde, car chacun voulait y trouver place. Ce jour vit saccager et dépeupler toute la province d’Édesse. C’était le désastre que les anciens prophètes avaient consigné dans leurs livres : « Malheur, s’étaient-ils écriés, malheur à la nation d’Abgar ! » Les Francs qui stationnaient sur la rive occidentale contemplaient ces scènes douloureuses sans pouvoir les empêcher, et versaient des larmes amères. Après ce succès signalé, Maudoud s’en retourna à Khar’an, et de là dans son pays, avec des masses de captifs et un butin incalculable.

Cependant, le sultan, grand émir de l’Orient, s’étant emparé de l’émir Balag,[83] le fit charger de chaînes et renfermer dans la forteresse d’Aïdziats, au pays de Darôn. Les Francs s’en revinrent, la honte dans le cœur, parce qu’au lieu de sauver les fidèles, ils avaient causé leur ruine. Le vaillant champion du Christ, Tancrède, ayant réuni des troupes, vint dans la province d’Alep attaquer la place forte d’Athareb (Théreb).[84] Après un siège prolongé pendant quelque temps, il s’en rendit maître, mais il épargna la garnison.[85]

CCV. Cette même année, les Turcs envahirent le territoire d’Anazarbe, et le ravagèrent dans tous les sens, ainsi que celui de Maraba. Le grand chef arménien Thoros, fils de Constantin, fils de Roupen, se tint sur la défensive en présence des forces supérieures des Perses, et ne se risqua pas à aller les combattre. Les Turcs, traînant après eux d’innombrables captifs et chargés de butin, s’en retournèrent chez eux, après avoir dévasté la contrée de fond en comble.

Cette même année, un phénomène terrible eut lieu en Arménie, dans la province de Vasbouragan. Un jour, pendant l’hiver, au milieu des ténèbres de la nuit, un feu éclata du plus haut de la voûte céleste, qui s’entrouvrit en lançant des tourbillons de flamme. Ce feu frappa la mer de Vasbouragan,[86] dont les flots retentirent de violents mugissements ; il atteignit aussi le littoral, et la terre et l’onde, agitées avec violence, tremblèrent. La mer prit une couleur de sang, et la flamme enveloppa toute la surface de l’abîme. A l’aurore on aperçut des masses de poissons morts, accumulées sur le rivage comme des piles de bois. Elles répandirent au loin l’infection. La terre, dans le voisinage, s’entrouvrit en crevasses d’une profondeur effrayante.

CCVI. En l’année 560 (22 février 1111 - 21 février 1112), Maudoud tenta une nouvelle invasion à la tête d’une armée formidable de Turcs. Il vint attaquer la forteresse de Thelgouran[87] la garnison, réduite à l’extrémité, se rendit. Il s’y trouvait quarante Francs que Maudoud fit passer au fil de l’épée. Il se rendit maître aussi de Kaudêthil.[88] Après quoi il vint à Schênav, auprès de Mani (Mni), émir arabe. De là il se dirigea dans la province d’Édesse, vers la forteresse de Dchoulman,[89] où des renforts considérables lui furent amenés par le grand émir Ahmed Yel (Ahmadil),[90] par Soukman, émir de l’Orient,[91] et le fils de Boursoukh (Poursoukh).[92] Tous ensemble marchèrent contre Édesse. Après avoir passé là quelques jours, ils se rendirent à Sëroudj, et ayant franchi le grand fleuve Euphrate, ils parvinrent devant la forteresse de Tellbâscher. Il y avait en ce moment dans ses murs le comte Franc, l’intrépide Josselin. Les Turcs, qui étaient en nombre immense, incommodèrent beaucoup les assiégés par leurs assauts répétés, mais ils échouèrent. L’émir perse Ahmed-Yel, qui depuis longtemps avait entendu vanter la bravoure de Josselin, se lia d’amitié avec lui, et ils devinrent frères. De là, Maudoud, se dirigeant avec toutes les troupes perses vers Antioche, s’arrêta dans le lieu nommé Schéïzar (Schèzar).[93] Aussitôt Tancrède réunit autour de lui tous les Francs. Il fut rejoint par le roi de Jérusalem, Baudouin, par Bertrand, comte de Tripoli, et Baudouin, comte d’Édesse. Les infidèles et les chrétiens se rencontrèrent à Schéïzar, mais ils n’en vinrent pas aux mains ; Maudoud se retira furtivement dans son pays, et les Francs rentrèrent chez eux en paix.[94] A cette époque, Soukman, émir de l’Orient, mourut subitement en chemin, trépas qu’il méritait bien, et dont le Seigneur le frappa pour le punir d’avoir porté si souvent la ruine et le massacre dans la province d’Édesse.[95]

CCVII. Cette même année, Dieu vengea l’effusion du sang innocent par le châtiment qu’il infligea aux meurtriers de Kakig Schahenschah, fils d’Aschod, le Bagratide, en se servant du bras du valeureux prince arménien Thoros, fils de Constantin, fils de Roupen. Du temps de Thoros, les assassins de Kakig, roi d’Arménie, habitaient la forteresse de Guentrôsgavis. Ce château, entouré de formidables défenses, élevait fièrement ses murs inexpugnables de tous côtés. Les trois fils de Mandalê étaient encore vivants. L’un d’eux s’était allié à Thoros, et par suite de la parenté qui existait entre eux, ceux-ci lui avaient promis de lui livrer la forteresse ; car elle était située sur les limites des États de Thoros, dans le voisinage de la contrée nommée Tzeguen-Dchour (Rivière du poisson), où est une montagne faisant face à la Cappadoce. Thoros partit avec un faible détachement pour aller leur faire une visite d’amitié. Parvenu sur leur territoire, il fit annoncer son arrivée. Alors un des meurtriers s’étant muni de présents, vint trouver le prince arménien, par lequel il fut accueilli parfaitement. Il lui offrit un couteau de prix et un riche costume, et tous deux s’assirent pour manger ensemble. Thoros lui dit : « Maintenez-vous la promesse que vous m’avez faite au sujet de la forteresse ? Livrez-la-moi, et en retour vous choisirez tel lieu qui vous conviendra dans toute l’étendue de mes domaines. » Mais l’autre, démentant ce qui avait été convenu précédemment, lui dit : « Nous ne pouvons pas vous céder cette forteresse, parce que c’est un héritage venu de nos pères, et la demeure de nôtre famille. » Thoros voyant qu’il avait été trompé, lui rendit les présents qu’il avait reçus et ajouta avec colère : « Va, pars, reviens t’en chez toi, et dès ce moment soyez en garde contre moi. » Le déicide[96] s’en retourna, tandis que Thoros faisait semblant devant lui de prendre le chemin de sa résidence. Dès que le meurtrier eut disparu aux regards, Thoros revint sur ses pas avec ses troupes, et pendant la nuit, s’approcha jusque sous les murs de la forteresse. Il plaça en embuscade ses fantassins et s’éloigna dans la campagne avec ses cavaliers, afin d’y faire une incursion. Au lever de l’aurore, les soldats de la garnison sortirent tous à la fois et se trouvèrent en face des gens apostés par Thoros. Aussitôt ils prirent la fuite, et ceux-ci les poursuivirent en gravissant la colline abrupte que domine la forteresse. A cette vue, les fuyards fermèrent la porte, tandis que les soldats de Thoros en barricadaient l’entrée par dehors. En même temps, commençant l’attaque, ils mirent le feu à la toiture, qui s’enflamma rapidement. Témoins de l’incendie, ceux de l’intérieur ayant ouvert une issue qui donnait d’un autre côté, sortirent et se mirent à courir. Aussitôt ceux de Thoros s’emparèrent de la forteresse, et tirent prisonniers les fuyards. Ils vinrent raconter ce succès à Thoros, qui en fut tout surpris, et qui, plein de joie, fit son entrée dans le fort. Le trésor fut le premier objet que cherchèrent les vainqueurs, car tout l’or et l’argent du pays y avaient été mis en dépôt et entassés. Thoros dit aux fils de Mandalê : « Remettez-moi l’épée et les vêtements de Kakig, roi d’Arménie. » Ceux-ci lui obéirent. A la vue de ces objets, Thoros et les siens fondirent en larmes. Ensuite il leur dit de lui indiquer leur trésor, et comme ils s’y refusaient obstinément, il ordonna de les appliquer à la torture. Un des trois frères ayant supplié les officiers de Thoros de le conduire dans un endroit escarpé, afin qu’il pût verser de l’eau, profita de cette occasion pour se précipiter du haut du rocher, et fut écrasé du coup. Thoros ayant commandé de torturer l’un des deux qui restaient, celui-ci lui dit avec impudence :

Toi, tu es Arménien, et nous, nous sommes des seigneurs romains : quelle réponse vas-tu donner à notre souverain pour avoir maltraité un Romain ? Ces paroles rendirent Thoros furieux, et sa figure changea de couleur. Saisissant un bâton qui servait de massue, il en frappa le Grec avec la rage d’un animal furieux. «Qui êtes-vous, lui criait-il, qui êtes-vous, vous autres qui avez assassiné un héros, le roi d’Arménie, consacré par l’onction sainte, et que répondrez-vous à la nation arménienne ? » Et il continua de l’assommer, en lui arrachant des gémissements, jusqu’à ce qu’il l’eût fait périr de cette mort douloureuse. Thoros rendit grâces à Dieu de ce que sa justice n’avait pas laissé impuni le meurtre de Kakig, car Thoros descendait de ce monarque par son grand-père Roupen. Il enleva tout ce que les fils de Mandalê possédaient de richesses, leurs trésors, qui étaient considérables, des étoffes de brocart, des croix en argent d’une très grande dimension et des statues coulées en or et en argent. Il emporta ce riche butin au château de Vahga’, emmenant avec lui celui des trois frères qui avait survécu, et après avoir confié à ses troupes la garde de la forteresse qui venait de tomber en son pouvoir.

CCVIII. En l’année 561 (22 février 1112 - 20 février 1113), Maudoud, cette bête féroce, ce buveur de sang, ayant fait une nouvelle levée de troupes, marcha contre Édesse, dans un moment où l’on était loin de l’attendre. Il parut tout à coup devant cette ville, le lendemain de Pâques, jour de la fête des Morts, au commencement du mois de sahmi.[97] Il arriva devant Goubïn, et de là aux portes d’Édesse, avec toutes ses forces. Étant resté en cet endroit huit jours, il se rendit, sur le sommet de la montagne de Saçoun,[98] d’où il descendit en se dirigeant vers les Saints-Martyrs, non loin du rempart. Le victorieux champion du Christ, le comte Josselin, à la tête de 300 cavaliers et de 100 fantassins, se porta vers Sëroudj, où il entra. Aussitôt les Turcs, au nombre de 1.500 cavaliers, firent une diversion vers cette ville, le samedi d’Élie.[99] Josselin tomba sur eux, les battit, fit cinq de leurs chefs prisonniers, et leur enleva tous leurs bagages. Les infidèles qui échappèrent à cette défaite coururent auprès de Maudoud, vers Édesse. Celui-ci, en apprenant cette nouvelle, s’avança contre Josselin, à Sëroudj ; mais Josselin, en étant parti furtivement, regagna Édesse. Maudoud ayant demeuré sept jours à Sëroudj, revint sur Édesse. Quelques traîtres, accourus à lui, lui dirent en route : « Fais-nous miséricorde, et nous livrerons aujourd’hui notre ville entre tes mains ». Il consentit avec joie à cette proposition. Comme ces gens-là souffraient beaucoup de la disette, dans l’état de détresse où ils ne trouvaient, ils ne surent pas ce qu’ils faisaient. Ayant conduit pendant la nuit Maudoud et cinq hommes[100] avec lui, ils leur livrèrent la populeuse cité d’Édesse. Ils leur remirent une tour qui domine la ville du côté de l’est, et cent hommes en prirent possession ; puis ils s’emparèrent de deux autres tours, où ils s’établirent en plus grand nombre. Mais Dieu, qui ne veut pas la perte des fidèles, avait conduit auparavant Josselin au secours d’Édesse, la cité bénie. Ce brave champion de Dieu, instruit de cette surprise, s’adjoignit le comte d’Édesse, Baudouin, et, à la tête des Francs, vola au rempart pour combattre les Turcs. Il attaqua la tour avec tant de vigueur et d’intrépidité, qu’il précipita tous les infidèles du haut des murailles. Ce fut ainsi que périrent à la fois et les traîtres qui avaient livré la tour, et les ennemis qui s’y étaient installés. En ce jour, Édesse fut délivrée des Turcs par la bravoure de Josselin et des troupes de la ville. Ce prince, la colère dans le cœur, et excité par des délations calomnieuses, fit couler beaucoup de sang innocent parmi les habitants, ordonnant de les massacrer, de les brûler ou de leur infliger les plus cruels supplices. Cette injuste rigueur fut odieuse aux yeux du Seigneur. Maudoud, ayant levé le siège, vint s’emparer de Thelmouzen ;[101] de là il se rendit dans le Khoraçan, couvert de honte et d’opprobre.

CCIX. Cette même année, le comte d’Antioche, Tancrède, ayant rassemblé des troupes, marcha contre le prince arménien Kogh-Vasil. Il attaqua Raban, et après de vigoureux assauts, lui enleva cette ville, de là, il s’avança sur Kéçoun, et s’arrêta à l’extrémité de la plaine de Nerkiag, à Thil. Vasil, de son côté, réunit 5.000 hommes. Quelques jours s’écoulèrent sans qu’ils en vinssent aux mains ; après quoi ils firent la paix, et Raban fut rendue à Tancrède par Vasil, qui avait pris aux Francs le district d’Hisn-Mançour, ainsi que Thourer[102] et Ouremn.[103] Tancrède s’en revint tranquillement chez lui, à Antioche.

CCX. Cette même année, le 24 du mois d’arek (samedi 12 octobre), mourut le grand prince Kogh-Vasil. Cette perte occasionna un deuil universel dans notre nation. Auprès de lui s’étaient réunis les débris de l’armée arménienne, les troupes des Bagratides et des Bahlavounis ; à sa cour résidaient les princes du sang royal et la noblesse militaire d’Arménie, où ils vivaient en paix, et avec les honneurs dus à leur rang. Le siège du patriarcat avait été transféré dans ses États, dont il avait reculé au loin les limites par sa valeur. Les moines, les évêques, les pères et les docteurs s’étaient rassemblés auprès de lui, et ils y passaient leur vie, parfaitement traités. Après sa mort, ce prince fut enterré à Garmir-Vank’. Son père spirituel et son confesseur était le soigneur Basile, catholicos d’Arménie. Pour prix de la sépulture qui fut accordée à Vasil, le couvent reçut mille tahégans. Cent cinquante, ou même plus, furent consacrés à des messes. Il y eut des repas sans fin pour les pauvres. Tancrède reçut en cadeau une foule d’objets précieux, qui lui furent apportés de la maison de Vasil, beaucoup d’argent, des étoffes de brocart, des chevaux et des mulets. Le diadème de l’épouse de Vasil fut envoyé à la femme de Tancrède. Les autres chefs de provinces obtinrent aussi une grande quantité de présents.

Les pauvres eurent également une bonne part de ces largesses. La principauté de Vasil fut donnée à Vasil Dgh’a’, comme à un fils dans le sein de son père.[104] C’était un jeune homme de bonne mine, à face de lion, habile, bonne tête, un fier et vaillant guerrier. Il avait vingt-cinq ans. On le fit asseoir sur le trône de Vasil, et toute l’armée se soumit à lui, gagnée par la générosité et la munificence dont il donnait publiquement des marques à ses amis. Le seigneur Basile, ayant réuni une assemblée générale, lui remit les rênes du gouvernement. Ce choix fit éclater l’allégresse parmi la nation arménienne.

CCXI. Cette même année, le 18 du mois de maréri (jeudi 5 décembre), périt empoisonné le plus grand de tous les fidèles, Tancrède, comte d’Antioche.[105] C’était un homme pieux et saint, d’un caractère bienveillant et plein de charité ; il avait sans cesse l’attention tournée à faire le bien des chrétiens ; il se montrait plein d’humilité envers tous et ne condamnait à la peine capitale que d’après les lois de Dieu. Il mourut à Antioche et fut inhumé dans la principale église de cette ville, à Saint-Pierre, dont les fondements avaient été posés jadis par les apôtres saint Pierre et saint Paul. Conformément aux volontés de Tancrède, ou lui donna pour successeur le fils de sa sœur, Roger (R’ôdjêr),[106] qui était un intrépide guerrier. Le patriarche et les chefs Francs l’ayant installé sur le trône, le mirent en possession de la principauté d’Antioche.

Cette année, deux chefs qui faisaient partie de l’armée de Vasil, le grand Dikran Tigrane) et Ablaçath, furent tués par les Turcs, dans le pays de Léon (Lévon), petit-fils de Roupen.[107]

CCXII. En l’année 562 (24 février 1113 - 20 février 1114), l’émir Maudoud, général des Perses, ce scélérat sanguinaire, s’avança à la tête de troupes innombrables contre les Francs ; il arriva à Khar’an, ville des musulmans. En ce moment, Baudouin, comte d’Édesse, se trouvait avec les siens, dans la ville de Tellbâscher. Quelques Francs, gens pernicieux et habitués à ruminer le mal, rapportèrent au comte des propos inventés par la méchanceté et la perfidie, et lui dirent qu’une foule d’habitants s’étaient concertés pour livrer Édesse aux Turcs ; le comte ajouta foi à ces délations et écouta les paroles de ces langues menteuses. Un mauvais dessein émana de sa pensée ; il envoya immédiatement le comte de Sëroudj, Payen (Baïên),[108] à Édesse, avec l’ordre d’en faire sortir les habitants, de manière à ce qu’il n’y en restât pas un seul. Cette nation, à l’aspect hideux, résolut de les chasser ce jour même, l’épée à la main, et de les massacrer. Les Francs s’empressèrent ainsi de répandre le sang innocent, d’immoler des gens qui n’avaient commis volontairement aucune faute ; mais cette nation au cœur pervers regardait toutes les autres connue capables de mal.

Le 20 du mois de sahmi, un dimanche, à l’heure du repas (midi),[109] une horrible calamité tomba sur Édesse : le père méconnut son fils, le fils renia son père ; les plaintes, les lamentations et les gémissements éclataient partout ; chaque maison, plongée dans le deuil, le chagrin et le désespoir, retentissait de cris. Ils expulsèrent les habitants de leurs foyers, les chassèrent hors de la ville, et ordonnèrent de brûler ceux que l’on trouverait renfermés dans les maisons ; il n’en resta pas un seul, à l’exception de quatre-vingts hommes, qui se réfugièrent vers le soir dans l’église de Saint-Thoros, et qui furent placés dans la citadelle, sous la garde de soldats. Ce fut un jour terrible pour Édesse. Chacun de ceux qui en furent témoins déplorait le sort de cette ville. Il n’y eut pas d’atrocités que les Francs ne commissent. Alors s’accomplit la parole des anciens prophètes, qui avaient dit : « Malheur au peuple d’Abgar ! » Ces infortunés proscrits se retirèrent à Samosate ; et Édesse, cette illustre capitale, resta déserte ; elle devint comme une pauvre veuve, celle qui auparavant était la mère de tous, qui groupait autour d’elle les populations dispersées des autres pays et ceux aussi qui accoururent avec la Croix au-devant des Francs, lorsque ces derniers vinrent à eux en mendiants. Et maintenant, pour prix des bienfaits qu’Édesse leur avait prodigués, ils l’ont accablée des plus indignes traitements et ont fait le malheur des fidèles.

CCXIII. A cette époque, les Turcs qui stationnaient à Khar’an, ayant franchi l’Euphrate. se portèrent en nombre immense contre Jérusalem, pour attaquer le roi de la Cité sainte et toute la race des Francs. Baudouin, en apprenant cette nouvelle agression de Maudoud, et son arrivée aux portes de Jérusalem, eut honte de la trahison dont il s’était rendu coupable envers les habitants d’Édesse. Il écrivit pour donner l’ordre de les y faire rentrer, et au bout de trois jours, chacun d’eux revit ses foyers.

Les infidèles campèrent auprès de la ville de Tibériade (Dabar), non loin de la mer de ce nom. Le roi de Jérusalem envoya chercher à Antioche le grand comte des Francs, Roger, toutes les troupes franques ainsi que le comte de Tripoli, fils de Saint-Gilles,[110] qui tous répondirent à cet appel. Cependant, les troupes de Jérusalem, enflées d’orgueil, se hâtèrent de marcher contre les Turcs, afin de prévenir l’arrivée de celles d’Antioche et de leur enlever l’honneur de la victoire. Dieu, offensé de cette pensée présomptueuse, la fit tourner à leur confusion. Les deux armées en étant venues aux mains, les Turcs culbutèrent les chrétiens, les mirent en fuite et leur tuèrent plusieurs chefs d’un haut rang. Toute l’infanterie franque fut exterminée. Un infidèle, qui était un des plus braves, fondant sur le roi de Jérusalem, lui asséna sur les épaules un coup de sa massue de fer. dais Dieu veillait sur le roi et le sauva ; car dans ce moment survinrent ceux d’Antioche et de Tripoli. A la vue des Francs ainsi maltraités, le comte d’Antioche, Roger, rugissant comme un lion, se précipita sur les Turcs, les mit en fuite et dégagea le roi de Jérusalem et son armée. De là, les infidèles allèrent camper sur un des flancs de la montagne, et le combat prit fin. Après s’être arrêté quelques jours, Maudoud se retira à Damas, tandis que les divers corps Francs reprenaient chacun la route de leurs villes respectives.[111]

Pendant son séjour à Damas, Maudoud conçut la pensée de faire périr Toghtékïn, émir de cette ville, dans l’intention de s’en emparer. Cette trahison étant parvenue aux oreilles de l’émir, il tira de prison un condamné à mort, Perse de nation, lui promit sa grâce et des honneurs, s’il voulait tuer Maudoud, et lui donna en même temps cinq cents tahégans. Au moment où Maudoud sortait de la mosquée, où il était allé faire sa prière, et qu’il était debout au milieu du portique, auprès d’une colonne rouge, le Perse s’approcha, et, lui plongeant tout à coup son couteau dans le flanc gauche, lui donna la mort. Telle fut la fin de cette bête féroce, altérée de sang. Le meurtrier fut impitoyablement massacré sur le lieu même ; et les troupes de Maudoud, se débandant, s’en retournèrent en Perse.[112]

CCXIV. Cette même année, dans le mois de drê, un jeudi,[113] mourut le catholicos d’Arménie, le seigneur Basile, par un accident qui fut l’œuvre du démon. Monté sur la terrasse de sa maison, dans le village de Vartahéri, situé non loin et sur les confins de Béhesni,[114] il était là en prières avec ses disciples, des prêtres et des évêques, lorsque tout à coup la maison s’écroula. Personne n’éprouva de mal, si ce n’est Basile, qui se heurta et se brisa le côté contre la muraille. Il survécut trois jours à cette blessure. Il se fit transporter à son couvent de Schough’r ;[115] et, avant de rendre le dernier soupir, il donna lui-même le trône et le voile[116] du patriarcat à Grégoire, fils d’Abirad, qui était le fils de la sœur du seigneur Vahram.[117] Basile fut enterré à Schougr avec une pompe solennelle, et déposé dans le tombeau des patriarches.

CCXV. Cette même année, le seigneur Grégoire, fils d’Abirad, fut élevé sur le siège d’Arménie. Il descendait de Grégoire Magistros, fils de Vaçag, le Bahlavouni. Après que Basile fut mort, des évêques et des pères tinrent une assemblée à Garmir-Vank’, suries limites de la province de Kéçoun ; et, par la volonté de l’Esprit-Saint, ils consacrèrent le seigneur Grégoire, d’abord évêque de la nation arménienne, et ensuite, le même jour, catholicos, et le placèrent sur le trône de saint Grégoire. Il était tout jeune, car la barbe n’avait pas encore commencé à lui pousser ; il était haut de taille, beau de visage et humble de caractère.

CCXVI. En l’année 563 de l’ère arménienne (21 février 1114 - 20 février 1115), le sultan des Perses, Daph’ar, fils de Mélik Schah, rassembla une armée et en confia le commandement au grand émir Boursouky (Poursoukh).[118] Celui-ci, ayant pris avec lui le fils du sultan encore enfant,[119] marcha contre Édesse, à la tête de forces imposantes. Le 24 du mois de sahmi, un vendredi,[120] il arriva sous les murs de cette ville, et ne cessa de l’attaquer vivement pendant trente jours. De là, il atteignit l’Euphrate et ravagea tout le pays qui longe ses bords ; puis il se porta contre la ville de Bir, située sur l’Euphrate. Toutes les troupes franques du côté occidental de ce fleuve se réunirent, mais n’osèrent pas se mesurer avec lui. Boursouky revint vers Édesse et de là vers Nisibe, ville des musulmans. L’émir Ilgazi (Khazi)[121] et Balag, ayant joint leurs troupes, lui livrèrent un rude combat, le vainquirent et le mirent en fuite. Ils firent prisonnier le fils du sultan ; mais plus tard ils le relâchèrent.

CCXVII. Cette même année, Dieu fit éclater sa colère contre ses créatures. Dans sa toute-puissance et son courroux, il jeta ses regards sur elles. Il était irrité contre les fils des hommes qui s’étaient égarés, en s’écartant du droit sentier, d’après cette parole du Prophète : Il n’y a dans ce temps-ci personne, ni prince, ni prophète, ni chef qui pratique la justice ; il n’y en a pas un seul. (Jérémie, XXXII, 82.) Ce fut ainsi que tous suivirent avec entraînement la route de la perversité, qu’ils prirent en haine les commandements et les préceptes de Dieu ; princes, guerriers, hommes du peuple, chefs, prêtres, moines, aucun ne resta ferme dans la bonne voie. Tous s’abandonnèrent aux penchants corporels, aux voluptés mondaines, choses que le Seigneur considère comme le plus haut degré du pêché. On vit alors se réaliser cette menace du Prophète : « Voici, il regarde la terre et la fait trembler ; Dieu ayant jeté un regard courroucé sur « ses créatures, elles n’ont pu s’empêcher d’être abattues par la terreur de ses prodiges. » (Psaume CIII, 32.) C’est précisément ce qui eut lieu ; car le 12 du mois de maréri, un dimanche, jour de la fête de l’Invention de la Croix,[122] un phénomène terrible éclata, signe de colère tel que jamais de mémoire d’homme un pareil n’était survenu dans les siècles passés, ou dans le nôtre, tel que ne fut jamais aucun de ceux dont l’Écriture fait mention. Tandis que nous étions plongés dans un profond sommeil, tout à coup on entendit un bruit horrible, dont l’univers entier retentit. Un tremblement de terre se fit sentir ; les plaines et les montagnes furent soulevées avec fracas ; les rochers les plus durs se fendirent et les collines s’entrouvrirent. Les montagnes et les collines, ébranlées avec violence, retentissaient, et, comme des animaux vivants, s’agitaient en rendant un souffle. Ce fracas arrivait aux oreilles, comme la voix de la multitude dans un camp. Semblables à une mer bouleversée, les créatures se ruaient de tous côtés, éperdues de la terreur que leur inspirait la colère du Seigneur ; car les plaines et les montagnes résonnaient avec la sonorité du bronze et s’agitaient en tous sens comme les arbres tourmentés par le vent. Les gémissements des populations s’échappaient en sourdes rumeurs, comme les plaintes d’un homme depuis longtemps malade. La frayeur les faisait courir à leur perte. La terre était comme un fugitif réduit aux abois et tremblant ; consternée comme un condamné qui pousse des lamentations et des gémissements accompagnés de larmes. Sa voix se fit entendre encore après le tremblement de terre, pendant une heure environ, cette même nuit. flans ce désastre, chacun crut que c’en était fait de sa vie. Tous s’écriaient : « C’est notre dernière heure ! c’est le jour du jugement dernier ! » Ce jour-là formait, en effet, une date déterminée et caractéristique ; c’était un dimanche, il était marqué par le sixième ton de la musique arménienne,[123] et, de plus, la lune était sur son déclin. Il réunissait ainsi tous les signes du dernier jour. Chacun était plongé dans le désespoir, comme s’il eût été déjà mort. Cette nuit vit la ruine de beaucoup de villes et de provinces ; mais ce fut uniquement dans les pays occupés par les Francs ; dans les autres et dans ceux des infidèles, rien de fâcheux n’arriva. A Samosate, à Hisn-Mançour, à Kéçoun, à Raban, le fléau exerça ses ravages. A Marasch, il fut terrible, et quarante mille personnes perdirent la vie ; car c’était une cité très populeuse, et personne n’échappa. Il en fuit de même dans la ville de Sis, où il périt une multitude innombrable d’habitants. Beaucoup de villages et de couvents furent détruits, et une multitude d’hommes et de femmes, écrasés. Dans la célèbre Montagne Noire, au couvent des Basiliens, se trouvaient rassemblés, pour la bénédiction de l’église, de saints moines et docteurs arméniens. Tandis qu’ils étaient à célébrer l’office divin, l’édifice tomba sur eux, et trente moines ainsi que deux docteurs furent engloutis sous les décombres, et leurs corps sont restés enfouis jusqu’à présent. Pareil accident se reproduisit auprès de Marasch ; le grand couvent des Jésuéens (‘Içouans)[124] écrasa sous ses ruines tous les religieux. Lorsque les secousses cessèrent, il commença à tomber de la neige, et le pays fut enseveli sous ses couches épaisses. L’illustre docteur arménien Grégoire, surnommé Maschguévor,[125] périt dans le même lieu. Ce fut ainsi que des accidents multipliés et d’effroyables malheurs frappèrent les fidèles, en punition de leurs péchés : car ils avaient abandonné le véritable sentier des préceptes divins et s’étaient jetés avec ardeur dans la voie de l’erreur, s’écartant des règles tracées par les Livres Saints et agissant en insensés. Comme les hommes, au temps de Noé, uniquement occupés à manger et à boire jusqu’au jour de leur perte, si bien méritée par leurs actions coupables ; ceux-ci continuèrent à se livrer à la joie jusqu’au moment où ils furent atteints par le Seigneur, qui détruisit ces ouvriers d’iniquité, parce qu’ils commettaient des crimes énormes.

CCXVIII. Cette année, mourut le saint docteur Mégh’rig,[126] homme éminent, religieux admirable. Il avait vécu dans la solitude et dans l’accomplissement des devoirs les plus rigoureux, pendant cinquante ans. Il en avait soixante dix quand il termina sa carrière. Ses jours s’étaient écoulés dans l’abstinence et la pratique continuelle des austérités. Il ne se nourrissait que d’aliments secs. Par ses mœurs et sa piété, il fut l’égal des saints des âges antiques. Pendant toute sa vie il passa le dimanche se tenant debout, en prière. Il était Arménien de naissance, originaire de la province de Vasbouragan, d’un gros village appelé Analiour. S’étant voué dès l’enfance à la vie monastique, il acquit promptement une grande renommée et s’éleva à une haute perfection. Il devint un exemple pour beaucoup de chrétiens et le confesseur de toute l’Arménie. Il rappelait les peuples à la voie lumineuse et les offrait régénérés par la pénitence, à l’adoption du Père céleste.[127] Il expira dans les sentiments d’une foi parfaite, et fut enterré dans la province d’Anazarbe, au grand couvent de Trazarg,[128] qui avait été restauré par l’illustre prince Thoros.

CCXIX. Dans l’année 564 (21 février 1115 - 20 février 1116), un phénomène terrible eut lieu à Amid, ville des musulmans, attiré par le débordement des crimes atroces et infâmes de cette nation. Le feu du ciel tomba tout à coup, pendant la nuit, sur la principale mosquée. Ce feu avait une intensité telle, et s’enflamma si vivement, qu’il dévora avec rage les pierres des murs comme du bois. Les habitants accoururent, mais sans pouvoir maîtriser cet incendie inextinguible. Au contraire, il s’amoncelait de plus en plus et s’élevait jusqu’aux cieux. Il consuma et ruina entièrement la maison de prière des musulmans, ce lieu immonde de leurs réunions. Voilà ce qui se passa dans la ville d’Amid, jadis bâtie par Tigrane Ier (Dikran), roi d’Arménie.[129]

CCXX. Cette même année, le général des Perses, l’émir Boursoukh, ayant de nouveau rassemblé des troupes, arriva devant Édesse. Après avoir fait une halte de quelques jours, il traversa l’Euphrate et se rendit à Alep.[130] De là, il vint s’emparer de Schéïzar sur les musulmans. Puis il voulut saccager Tellbâscher et la province d’Antioche. Aussitôt les Francs de toutes nations se réunirent à Antioche, auprès du comte Roger. Le roi de Jérusalem et Baudouin, comte d’Édesse, accoururent aussi et se rencontrèrent dans le district de Schéïzar. En même temps arriva au camp des Francs le puissant émir perse, Ilgazi, fils d’Artoukh, qui vint avec des forces considérables trouver Roger ; car Ilgazi était l’ennemi juré de Boursoukh.[131] On vit aussi arriver l’émir de Damas, Toghtékïn. Ils se joignirent aux Francs et contractèrent avec eux une alliance et une amitié cimentées par un serment solennel. De même, l’émir d’Alep[132] se rallia aux Francs. L’armée des infidèles et celle des chrétiens restèrent en présence pendant quatre mois, sans que les Turcs osassent en venir aux mains. Après quoi Boursoukh se retira furtivement et à l’insu des Francs. Ayant appris sa retraite précipitée, le roi de Jérusalem, le comte de Tripoli, l’émir Ilgazi, Toghtékïn et l’émir d’Alep, s’en retournèrent. Boursoukh, instruit du départ des Francs, marcha vers Antioche, dans l’intention de ravager le territoire de cette ville. A cette nouvelle, le comte d’Édesse revint à Antioche, et ayant emmené avec lui Roger et 700 cavaliers, s’avança contre Boursoukh, dans le district d’Alep. L’ayant surpris, il fondit sur lui, remporta une victoire complète et le mit en fuite. Les Francs firent prisonniers des officiers distingués et enlevèrent un butin considérable, que lui fournit le pillage du camp des Turcs. Échappés à cette défaite, les infidèles se sauvèrent honteusement.

CCXXI. Cette même année, le comte d’Édesse, Baudouin, entreprit de faire la guerre à Vasil Dgh’a’, le grand prince arménien.

CCXXII. Baudouin vint assiéger la place forte de Raban. Il continua ses attaques pendant un temps assez long, sans en venir à bout, quoiqu’il la tint étroitement bloquée.

CCXXIII. Vasil Dgh’a’ s’étant rendu auprès du grand prince arménien Léon,[133] fils de Constantin, fils de Roupen, et frère de Thoros, pour épouser sa fille, ce dernier invita Vasil à venir le trouver, s’empara traîtreusement de sa personne et le conduisit à Édesse, auprès de Baudouin, comte de cette ville. Baudouin fit torturer cruellement cet illustre guerrier, lui arracha la cession de ses États, et enleva ainsi tout ce pays à la domination arménienne. Vasil se retira auprès de Léon, son beau-père, et de là s’en vint à Constantinople, où il fut accueilli très honorablement, ainsi que les troupes qui l’accompagnaient, par l’empereur.

CCXXIV. En l’année 566 (20 février 1117 - 19 février 1118), le comte Baudouin du Bourg, ayant rassemblé des troupes et s’étant associé le comte de Sëroudj, marcha avec lui contre le chef arménien Abelgh’arib, frère de Ligos et fils de Vaçag. Ces deux frères avaient conquis sur les Perses, par la vigueur de leur bras, un grand nombre de lieux, et entre autres la ville de Bir, qu’ils restaurèrent pour en faire leur résidence ; car c’étaient d’intrépides et illustres guerriers. Ils comptaient mille hommes sous leurs ordres. Le comte ayant porté ses regards sur la province qui leur appartenait, l’envie prit violemment empire sur son cœur ; il ne put résister à ce sentiment criminel et vint, à la tête de ses troupes, attaquer Bir. Il avait plus de haine contre les chrétiens que contre les Turcs. Il tint pendant un an Abelgh’arib assiégé avec une rigueur extrême et en lui faisant endurer des souffrances de tout genre. Dans cette situation critique, Abelgh’arib, voyant qu’il n’y avait plus d’espoir pour lui, livra Bir et tout le district à Baudouin, et se retira auprès de Thoros, petit-fils de Roupen, à Anazarbe. Le comte céda Bir et le territoire qui en dépend à Waléran (Kalaran),[134] prince Franc. Il sévit successivement contre les divers chefs arméniens et les renversa tous, se montrant plus impitoyable envers eux que les Perses eux-mêmes. Il persécuta ces chefs, restes échappés à la férocité des Turcs ; il les proscrivit avec une barbarie inouïe. Il détruisit la principauté de Kogh-Vasil, et força tous les nobles attachés au service de celui-ci à chercher un refuge à Constantinople. Il ruina également le brave chef arménien Pakrad,[135] qui résidait à l’orient de la Cilicie, non loin de Gouris,[136] et le dépouilla de ses États. Il abattit aussi Constantin, seigneur de Gargar’,[137] lequel mourut misérablement dans les fers, renfermé dans la forteresse de Samosate. La nuit du tremblement de terre, on le trouva sur les bords de l’Euphrate, précipité de haut en bas et cloué à un chapiteau de colonne, comme il l’avait été dans sa prison. Ce fut dans cette position et par cette chute qu’il périt. Bohémond, de son côté, avait chassé le Prince des princes,[138] qui gouvernait pour les Romains la ville de Marasch. Une foule d’autres grands personnages, recommandables à divers titres, finirent leur vie en prison, dans les tortures ou dans les fers. Plusieurs eurent les yeux crevés, les mains ou le nez coupés, les parties génitales tranchées, ou expirèrent attachés à une croix ; ils sévissaient contre les enfants innocents, en haine de leurs parents. Ces supplices multipliés et indicibles n’avaient d’autre motif que le désir cupide de s’emparer des trésors que possédaient ces Arméniens. C’est ainsi que par les plus iniques et les plus affreux moyens ils désolèrent ces contrées. C’était là leur occupation de chaque instant ; ils n’avaient autre chose dans l’esprit que la méchanceté et la fraude ; Ils aimaient toutes les œuvres de mal, n’ayant aucun souci de faire le bien ou une noble action. Nous aunons voulu énumérer leurs nombreux forfaits, niais nous n’avons pas osé le faire, parce que nous étions placés sous leur autorité.

CCXXV. En l’année 567 (20 février 1118 - 19 février 1109), Baudouin du Bourg, comte d’Édesse, se rendit en triomphateur à Jérusalem, un des jours du carême.[139] Le roi de la Cité sainte, Baudouin, frère de Godefroy, s’était dirigé vers l’Égypte afin de ranger ces barbares sous son obéissance ; mais il trouva tout le pays désert et les populations en fuite. Alors il se remit en route pour retourner directement à Jérusalem ; dans le trajet il tomba malade et mourut. Avant d’expirer, il avait recommandé d’envoyer à Édesse chercher Baudouin et de rétablir lieutenant-général du royaume de Jérusalem, jusqu’à ce que son frère [Eustache] fût arrivé de chez les Francs, et de donner la couronne à ce dernier. Le corps du roi fut placé dans une litière et transporté à Jérusalem, où il fut inhumé devant le saint Golgotha. C’était un homme de bien, ami de la sainteté et humble de cœur. Ceux qui l’avaient accompagné dans cette expédition ayant trouvé Baudouin Du Bourg à Jérusalem, furent tout étonnés et en même temps ravin de joie, par la pensée que sa présence était un effet de la bonté divine. D’après les dernières dispositions du roi, ils lui conférèrent la régence. Mais Baudouin, qui ambitionnait le rang suprême, n’accepta pas ces fonctions. Il promit cependant d’attendre un an, en stipulant que si passé ce délai le frère du roi n’était pas de retour, il serait libre de monter sur le trône. Toute la nation des Francs s’empressa d’adhérer à ces conditions. Le dimanche des Rameaux,[140] le comte d’Édesse fut conduit au temple de Salomon et élevé sur le trône, et à la fin de l’année, on lui posa la couronne sur la tête. Ce prince était un des Francs les plus illustres par son rang et sa valeur, d’une pureté de mœurs exemplaire, ennemi du péché et rempli de douceur et de modestie ; mais ces qualités étaient ternies par une avidité ingénieuse à s’emparer des richesses d’autrui et à les accumuler, par un amour insatiable de l’argent et un défaut de générosité ; du resto très orthodoxe dans sa foi, très ferme dans sa conduite et par caractère, Voilà donc deux rois qui sortirent d’Édesse et qui se nommaient l’un et l’autre Baudouin.

CCXXVI. Cette année fut signalée par la mort du sultan de Perse, Daph’ar, fils de Mélik Schah. C’était un prince cruel à l’excès ; car, dans ses derniers moments, il fit une chose horrible et inouïe jusqu’alors. Lorsqu’il sentit approcher sa fin, songeant à l’intérêt de ses fils, il ordonna d’appeler dans son palais sa femme Kohar-Khatoun,[141] qui était fille de l’émir Ismaïl,[142] et de l’égorger en cachette des troupes, en sa présence, afin qu’elle ne pût se remarier et frustrer ses enfants de la couronne et de l’héritage qu’il leur laissait. Car il descendait de puissants monarques, et possédait une armée considérable. Il avait rassemblé, d’entre toutes les nations, quatre cents jeunes filles qui se tenaient devant lui debout, parées des plus beaux atours, de pierres précieuses et de perles enchâssées dans de l’or d’Arabie, ayant un diadème sur le front, les cheveux tressés et entremêlés d’or ; elles brillaient par leur magnifique parure, que rehaussait l’éclat de couleurs variées. Son but, en faisant périr sous ses yeux la grande reine, était d’éviter qu’elle épousât son frère,[143] qui régnait avec le titre de sultan dans l’intérieur de la Perse, dans les villes d’Ozkend[144] et de Ghizna,[145] à trois mois de marche plus avant dans le royaume qu’Ispahan (Asbahan). Après cette exécution, Daph’ar fit asseoir sur le trône son fils aîné Mahmoud,[146] et lui remit le gouvernement de la Perse. Il établit son fils cadet Mélik[147] en qualité de sultan dans la ville arménienne de Kantzag et lui laissa l’empire de l’Orient. Il avait encore deux autres fils, mais aucun de Kohar-Khatoun.[148]

Cette même année mourut le khalife des Perses (Arabes),[149] qui occupait le trône de Mahomet (Mahmed) à Bagdad.

CCLXVII. Cette même année le grand comte des Francs, Roger, seigneur d’Antioche, ayant levé des troupes, vint attaquer Azaz,[150] ville qui appartenait aux musulmans et située non loin d’Alep. Le prince arménien Léon, fils de Constantin, fils de Roupen, se joignit avec ses forces à cette expédition. Roger tint Azaz assiégée pendant trente jours, empêchant les Turcs d’introduire des renforts dans la place. Après quoi il céda aux Arméniens le soin de l’attaque. Il appela Léon et lui dit : « Demain tu marcheras au combat, afin d’éprouver un peu la valeur « des Arméniens. » Léon ayant donné l’ordre à ses soldats qui étaient dans le camp de se grouper autour de lui, ce brave champion du Christ les exhorta l’un après l’autre à se bien comporter. Le lendemain, les Turcs s’ébranlèrent pour attaquer les Francs, et Léon ayant commandé aux siens de s’armer, aussitôt, au signal qu’il donna, ils se précipitèrent sur les infidèles. Léon, poussant des cris comme un lion, les culbuta et les poursuivit l’épée dans les reins jusqu’aux portes de la ville, les massacrant et leur enlevant des prisonniers. Dès lors, les ennemis ne tentèrent plus de sortie. Léon s’acquit une réputation de bravoure dans cette journée, et son nom devint l’objet des éloges universels parmi les Francs. Dès ce moment Roger se prit d’affection pour les troupes arméniennes. Par ses assauts réitérés, il força Azaz à se rendre. Mais il usa de clémence envers les habitants, et loin de leur faire aucun mal, il les laissa se retirer tranquillement. Une ardente inimitié naquit entre Ilgazi et Roger, qui étaient auparavant intimes, et ils devinrent irréconciliables, parce qu’Alep et Azaz appartenaient à Ilgazi. Cet émir turc frémissait de rage dans son cœur.

CCXXVIII. Au commencement de l’année 568 (20 février 1119 - 19 février 1120), Ilgazi rassembla une armée formidable ; et comme il était considéré à cette époque comme le chef suprême des musulmans,[151] tous vinrent à lui avec un concours empressé. Il marcha coutre Roger, à la tête de 80.000 hommes. Ce fut avec ces forces imposantes qu’il arriva sous les murs d’Édesse. Il s’arrêta là quatre jours[152] sans rien entreprendre contre cette ville. Puis il se dirigea vers l’Euphrate, qu’il traversa. Il marchait, pareil à un coursier qu’un galop long et rapide met hors d’haleine. Il saccagea un grand nombre de lieux ; car aucune des provinces occupées par les Francs n’était prémunie contre cette subite invasion. Il s’empara de forteresses, de villages, de couvents, massacrant les populations, jusqu’aux vieillards et aux enfants. Parvenu à Bezah,[153] il fit halte. Cependant Roger, dans l’orgueil de sa puissance, n’avait songé à faire aucun préparatif de défense ; plein de confiance en lui-même, il se souvenait de la fierté de la race de laquelle il descendait, et méprisait profondément les Turcs. Il négligea les précautions que réclamait la prudence en cette occasion. Sans s’être entouré de troupes suffisantes, sans avoir appelé les Francs ses alliés,[154] il partit, plein de présomption, à la rencontre des infidèles. Il avait sous ses ordres 600[155] cavaliers Francs, 500 cavaliers arméniens, et 400 fantassins ; il était suivi en outre de 10.000 hommes, tourbe recrutée parmi toute espèce de gens.[156] Les Turcs avaient recouru à tous les moyens possibles pour s’assurer la victoire. ci avaient disposé quantité d’embuscades. Le territoire de la ville d’Athareb fut le théâtre de la lutte terrible qui s’engagea entre les deux armées. La multitude des Perses enveloppa les chrétiens qui se virent cernés de tous côtés sans issue pour s’échapper. Presque tous furent passés au fil de l’épée, et le grand comte des Francs, Roger, avec eux. Quelques-uns à peine parvinrent à se sauver. A partir de l’Euphrate jusqu’à l’Océan, les Turcs étendirent partout leurs ravages, répandirent le sang et firent une foule de captifs. L’armée chrétienne avait été anéantie. Ce désastre eut lieu le 6 du mois de k’agh’ots, le samedi du carnaval qui précède la Transfiguration.[157] Le roi de Jérusalem Baudouin se rendit à Antioche, et ayant réuni le reste des troupes franques, marcha contre les Turcs. Le 25 du mois d’arats, c’est-à-dire le 16 août,[158] un nouveau combat fut livré dans le même lieu que le précédent. Les chrétiens immolèrent nombre de Turcs, puis les deux armées prirent la fuite, chacune de son côté, sans avoir eu l’une ou l’autre l’avantage ou le dessous, car chaque parti avait éprouvé beaucoup de pertes. Celles des infidèles s’élevèrent à 5.000 hommes. Ce ne fut pas seulement le fer qui fit tant de victimes, mais aussi la chaleur ; elle fut meurtrière, surtout pour le roi de Jérusalem. Les Francs se retirèrent dans leurs provinces, et le roi Baudouin rentra dans la Cité sainte.[159]

Cette année mourut l’empereur Alexis,[160] prince vertueux et sage, intrépide à la guerre, miséricordieux pour tous les fidèles, excepté pour notre nation qu’il haïssait profondément. Il se rendit illustre, il est vrai, mais il viola les commandements de Dieu ; car il ordonnait de conférer une seconde fois le baptême, réprouvant avec mépris ce sacrement tel qu’il a été institué par le concile de Nicée, et propageant la foi du concile de Chalcédoine.[161] Il faisait sans remords rebaptiser les Arméniens, et sans redouter l’Esprit-Saint qui a fondé avec éclat cet auguste sacrement. Il mit en oubli la prescription de l’apôtre saint Pierre, qui a dit : « Baptiser une seconde fois celui qui l’a été déjà, c’est crucifier de nouveau le Fils de Dieu et débuter par une œuvre de mort.[162] » Cette année, le fils et successeur d’Alexis, Jean Porphyrogénète (Berph’éroujên), monta sur le trône ; prince remarquable par son courage militaire, par sa clémence et sa mansuétude. Il se déclara également contre les Arméniens, et exigea, avec encore plus de rigueur que son père, l’obligation du second baptême, rejetant le baptême spi rituel pour y substituer un sacrement imparfait.

CCXXIX. Cette même année, le roi de Jérusalem, Baudouin, donna Tellbâscher et Édesse au comte Josselin, et le renvoya dans cette dernière ville.[163] A l’époque de la mort de Tancrède, il avait arraché Josselin de sa maison et de ses domaines ; et, après l’avoir ainsi dépouillé, il l’avait jeté dans un cachot, où il infligea à ce noble guerrier les tortures de la faim et les plus mauvais traitements. Puis, l’en ayant retiré avec violence, et le traitant comme un homme souillé de crimes, il le chassa elle contraignit à aller servir dans les pays étrangers. Le roi précédent de Jérusalem, appelant auprès de lui Josselin, l’avait reçu avec une haute distinction ; il lui avait cédé la ville de Tibériade, avec le territoire qui en dépend. Là, Josselin résista victorieusement aux ennemis de la Croix. Lorsque Baudouin mourut et qu’il fut remplacé sur le trône par Baudouin du Bourg, celui-ci fit revenir Josselin à Édesse, en le chargeant d’opposer une barrière aux invasions des Perses. C’était, en effet, un chef renommé parmi les Francs pour sa brillante valeur. Josselin reprit des sentiments de bienveillance et d’humanité pour les habitants d’Édesse, et abjura les sentiments de cruauté qu’il avait montrés auparavant. Baudouin du Bourg régna sur Antioche, sur la Cilicie entière, sur Jérusalem et ses possessions s’étendaient jusqu’aux confins de l’Égypte.

CCXXX. Vers le commencement de l’année 569 (20 février 1120 - 18 février 1121), l’émir Ilgazi rassembla de nouveau et équipa ses bataillons, qui comptaient 130.000 hommes. Il marcha contre les Francs et se porta avec rapidité sous les murs d’Édesse. Les plaines environnantes furent couvertes de ses soldats. Il campa quatre jours devant cette ville, pendant lesquels il ravagea toute la campagne. De là, il vint passer par Sëroudj et fit traverser à la dérobée l’Euphrate à une grande partie de ses troupes. Depuis Tellbâscher jusqu’à Kéçoun, il fit prisonniers les hommes et les femmes, les massacra impitoyablement, et fit brûler et rôtir les enfants avec une barbarie sans exemple et en nombre incalculable. Après avoir franchi l’Euphrate avec des forces considérables, il extermina les populations d’une foule de villages : les prêtres et les moines périrent par le fer ou le feu. Le comte Josselin, qui se trouvait en ce moment sur le territoire de la ville foi te de Raban, courut à Kéçoun et à Béhesni, et convoqua ses troupes. A l’aurore, s’étant mis à la poursuite des Turcs, il fondit sur eux et en tua un millier. Ilgazi se retira et vint camper dans le voisinage d’Azaz. Sur ces entrefaites, le roi de Jérusalem, à la tête de tous les Francs, se porta vers Azaz, à la rencontre des Turcs. Josselin arrivé à Antioche vint grossir l’armée du roi. Les infidèles et les chrétiens restèrent plusieurs jours en présence, sans engager de combat. Alors Ilgazi opéra sa retraite et vint dans la partie du territoire de Mélitène que l’on nomme Garmian.[164] Le roi rentra à Jérusalem et Josselin à Édesse.[165]

CCXXXI. En l’année 570 (19 février 1121 - 18 février 1122), un émir de la contrée de Kantzag, nommé Gazi, homme sanguinaire, effronté, pervers et assassin, lequel était voisin des Géorgiens, ami et vassal de leur souverain,[166] conçut un mauvais dessein. Ayant recruté 30.000 Turcs, il pénétra sur le territoire géorgien et trama en captivité une partie des habitants arrachés à leurs foyers ; puis il vint asseoir son camp dans le pays de sa résidence. En apprenant cette agression, David (Tavith), roi de Géorgie,[167] envoya ses troupes pour châtier les Turcs, Celles-ci étant parties à la dérobée, tombèrent sur eux et exterminèrent ces 30.000 hommes ; elles s’emparèrent de leurs femmes, de leurs enfants, de troupeaux de brebis et de moutons, et s’en retournèrent chargées d’un immense butin. Les Turcs qui avaient échappé au glaive des Géorgiens, accablés par ce revers, déchirèrent leurs vêtements et répandirent de la poussière sur leurs têtes. Vêtus de deuil et le front découvert, ils allèrent à Kantzag porter leurs doléances à leur sultan, Mélik, fils de Daph’ar, et implorer, en fondant en larmes, sa pitié dans leur malheur. D’autres se rendirent chez les Arabes, dans la contrée de Garmian, auprès de l’émir Ilgazi, et lui racontèrent, en pleurant amèrement, ce désastre. Celui-ci, dans sa puissance et son orgueil, ordonna de lever une armée considérable et d’appeler tous les Turcs, depuis la contrée des Grecs, jusqu’à l’Orient, ainsi que dans le pays de Garmian. Il fit le dénombrement de ses soldats, dont le chiffre était de 150.000. Il envoya dans les contrées du Midi, chez les Arabes, mander le roi de cette nation, Sadaka (Sagh’a), fils de Doubaïs,[168] qui arriva à la tête de 10.000 hommes. Ce prince était un valeureux guerrier ; il avait saccagé la ville de Bagdad, et trois fois combattu avec succès Daph’ar, sultan des Perses. Il était Rafédhite (Ravadi) d’origine, blasphémateur de Mahomet et de sa religion.[169] Il avait planté ses tentes au milieu de l’Éthiopie et de l’Inde. Il vint alors et épousa la fille de l’émir Ilgazi. Cette année, ce dernier arriva à Kantzag avec des forces considérables, en se dirigeant vers la Géorgie.

CCXXXII. En même temps, Mélik, sultan de Kantzag, à la tête de 400.000, cavaliers aguerris, pénétra en Géorgie du côté de la ville de Deph’khis (Tiflis), par la montagne de Tégor.[170] Le roi de Géorgie, David, fils de Bagrat (Pakarad), fils de Giorgi (Korki), instruit de l’approche des Turcs, s’avança avec un corps de 40.000 guerriers intrépides. Il avait en outre sous ses drapeaux 15.000 hommes d’élite que lui avait donnés le roi des Kiptchaks (Kaph’tchakhs) ;[171] 6.000 que lui avaient fournis les Alans[172] et une centaine de Francs. Ce fut le 15 août, le jeudi de la semaine du jeûne observé pour la fête de la Mère de Dieu,[173] qu’eut lieu la bataille. Elle fut terrible ; les deux montagnes entre lesquelles elle fut livrée retentissaient du choc des combattants. Mais le Seigneur vint au secours des Géorgiens ; et leurs héroïques efforts réussirent à mettre les Turcs en déroute. Le carnage fut horrible, les cadavres comblèrent les fleuves et les vallées et s’accumulèrent jusqu’à la crête des montagnes, qui disparut cachée sous cet amas de corps. Les Turcs laissèrent 400.000 hommes sur la place ; 30.000 furent faits prisonniers ; les chevaux et les armes des morts couvraient au loin la surface des plaines. Pendant huit jours, les Kiptchaks et les Géorgiens poursuivirent l’ennemi jusque sur les limites de la ville d’Ani. Le sultan perse Mélik et Ilgazi regagnèrent ignominieusement leurs Etats. Les infidèles qui parvinrent à se sauver, mais avec beaucoup de peine, ne dépassaient pas 20.000, faible reste de cette innombrable armée.[174]

Cette même année David enleva Deph’khis aux Perses, et y répandit des flots de sang. Il fit enfiler et empaler l’un sur l’autre 500 hommes, qui expirèrent dans cet affreux supplice.[175]

CCXXXIII. Cette même année, au mois d’août, la foudre éclata et brûla la principale mosquée de Bagdad, édifice construit sur un plan magnifique par le sultan Thogrul, frère d’Alp Arslan, lorsqu’il conquit la Perse. Ce prince avait guerroyé pendant vingt ans contre les Perses avant de les réduire sous le joug et de se rendre maître de leur empire. A celte époque, étant venu à Bagdad, il fit élever celte maison de prière pour les Turcs, afin de leur éviter d’entrer dans celle des Arabes. Ce fut ainsi que le feu du ciel dévora la mosquée des Turcs, le lieu immonde de leurs réunions.

CCXXXIV. En l’année 571 (19 février 1122 - 18 février 1123), Ilgazi, général des Perses, rassembla des troupes et marcha contre les Francs. Il se porta d’abord vers Alep, de là il vint camper à Schéïzar, ville des musulmans. Baudouin, roi de Jérusalem accourut, et Josselin, comte d’Édesse, vint se joindre à lui. Ayant réuni leurs forces, ils allèrent camper en présence de l’armée turque. Mais tout l’été s’écoula sans qu’il y eût d’engagement, quoique les deux partis fussent face à face. Au mois de septembre, ils se retirèrent, et chacun des chefs s’en revint. L’émir Ilgazi rentra dans Alep, et l’émir Balag, fils de sa sœur,[176] qui était un valeureux guerrier, partit secrètement pour se rendre dans son district de Hantzith. Josselin et Waléran avant eu avis de son départ, coururent sur ses traces, à la tête de 100 cavaliers, et l’atteignirent sur le territoire d’Édesse, au village de Daph’thil. Balag stationnait avec 800 cavaliers dans un endroit où coulait une rivière et que des marais environnaient de toutes parts, et s’était retranché dans cette forte position. Les Francs, comme des inconsidérés et des fous, s’élancèrent sur les Turcs ; mais ils ne purent franchir les ravins profonds qui les protégeaient. Balag leur tint tête avec tous les siens. Les infidèles, à coup de flèches, blessèrent les chevaux des Francs, qui furent mis en fuite. Ils firent prisonniers Josselin et Waléran, et taillèrent en pièces tous les chrétiens. Les deux comtes, chargés de chaines, furent conduits à Kharpert et jetés en prison. Vingt-cinq de leurs compagnons furent emmenés à Palou.[177] Ce désastre fut un deuil pour les fidèles, qu’il plongea dans la consternation. Il eut lieu le 13 septembre.

A cette époque mourut le grand émir Ilgazi, fils d’Artoukh, laissant ses États au fils de sa sœur, l’émir Balag. ainsi que le soin de sa maison et de ses enfants, Soliman et Timourtasch (Dêmour-Dasch).[178] Son corps fut transporté dans un litière d’Alep à Khar’an, et de là à sa ville de Meïafarékïn, où il fut enterré. Balag se trouva ainsi maitre d’un grand nombre de contrées.

CCXXXV. En l’année 572 (19 février 1123 - 18 février 1124), le roi de Jérusalem, Baudouin, réunit des troupes pour attaquer Balag et venger les deux comtes Josselin et Waléran, que celui-ci retenait dans les fers. Le roi arriva avec toutes les forces franques à Raban, tandis que Balag était déjà sur les limites de cette province, où il était venu piller et enlever des captifs. Les deux armées ignoraient la présence l’une de l’autre. Baudouin étant venu avec un faible détachement à Schendché-Kanthara (Pont de Schendché),[179] traversa le fleuve sur ce pont et choisit pour camper un lieu nommé Schendebrig. Balag, avec des forces considérables, était posté non loin de là en embuscade. Lorsque l’on eut planté la tente du roi, il voulut se donner le plaisir de la chasse au faucon. Tout à coup Balag se précipita avec les siens sur les chrétiens, en fit un massacre épouvantable et s’empara du roi ainsi que du fils de sa sœur. Cet événement arriva dans le mois de hor’i, le quatrième jour après Pâques.[180] Balag conduisit aux portes de Gargar’ Baudouin, qui lui fit cession de cette ville. De là le roi fut traîné avec son neveu à Kharpert, où, après avoir été chargés de chaînes, ils furent jetés dans un profond cachot où gémissaient déjà Josselin et Waléran.[181]

CCXXXVI. Cette même année, cinq mois plus tard, il se passa un fait admirable, mais qui occasionna de grands malheurs. Quinze hommes s’étant associés, partirent de la place forte de Béhesni, méditant une entreprise héroïque ; ils accomplirent une action immortelle. S’étant rendus dans le district de Hantzith, ils se mirent en observation devant la forteresse de Kharpert, où étaient renfermés le roi de Jérusalem, Josselin et Waléran. S’étant aperçus que la garnison était peu nombreuse et qu’elle ne se tenait pas sur ses gardes, ils s’approchèrent de la porte, vêtus d’habits misérables et sous l’apparence de gens en querelle. Ils se ménagèrent des intelligences avec un homme de l’intérieur. Au bout d’un peu de temps, ils s’élancèrent dans la forteresse et cherchèrent à se faire jour jusqu’à la prison. Les soldats qu’ils rencontrèrent à l’entrée furent égorgés ; puis, fermant la porte, ils parvinrent, en poussant de grands cris, jusqu’à celle du fort où étaient détenus le roi de Jérusalem, Josselin et Waléran, ainsi que d’autres chefs, et brisèrent leurs fers avec des transports d’allégresse. Ils rendirent aussi la liberté à une foule de guerriers et à différentes personnes, hommes ou femmes. Quelques habitants du pays s’étaient introduits dans la prison pour aider les libérateurs. Le roi et ses compagnons d’infortune, dégagés de leurs chaînes, s’emparèrent de la forteresse et de toute la maison de Balag.[182] En apprenant ce qui venait d’arriver, les infidèles qui stationnaient dans la contrée la quittèrent en s’enfuyant. Une nuit, à l’aurore du quatrième jour de la semaine (mercredi), Josselin étant parti secrètement avec une escorte de fantassins, se rendit à Kéçoun et de là à Antioche, afin de rassembler des troupes et de porter secours au roi et à ses compagnons de captivité. A cette époque, le général des Francs était le comte Geoffroy (Djoph’rè),[183] guerrier intrépide, et le croyant le plus fervent qu’il y eût. Il défendait par la vigueur de son bras, contre les Turcs, les provinces qui formaient le domaine des Francs, Jérusalem, Antioche et Édesse. Il les protégeait par son habileté, sa prudence et son courage. Lorsque Balag, qui se trouvait à Alep, eut connu dans tous ses détails le coup de main qui avait rendu les chrétiens maîtres de Kharpert, il partit avec la rapidité d’un aigle, et en quinze jours il arriva devant cette ville, dont il assiégea vigoureusement la forteresse. Axant dressé ses machines et miné les remparts, il renversa la tour du Grand Émir, et terrifia par ce succès les chrétiens. Le comte Waléran, partageant cette frayeur, alla trouver Balag et lui livra Kharpert. ce jour même, l’émir fit périr tous les prisonniers, au nombre de 65 environ, et 80 femmes charmantes ; il les condamna à être précipités du haut des murailles. Dans sa fureur, il fit de nouveau charger de chaines le roi, Waléran et le neveu du roi. Cependant Josselin s’avançait à leur secours à la tête des Francs, lui et Geoffroy ayant appris ce fatal événement, furent saisis d’une extrême douleur, et s’en revinrent, le cœur navré, chacun de son côté. Le roi Waléran et le neveu du roi restèrent en captivité.[184]

CCXXXVII. Cette même année, la guerre éclata entre les oiseaux, dans la province de Mélitène. Les cigognes, les grues et les arôs[185] accoururent de toutes parte et se combattirent. Les grues vainquirent les cigognes et les exterminèrent. A peine s’il en resta quelques-unes.[186]

CCXXXVIII. Cette année vit mourir le grand philosophe arménien Paul (Bôgh’os),[187] ce docteur qui brilla du plus vif éclat, et qui était profondément versé dans la connaissance de l’ancien et du nouveau Testament. Il atteignit à la perfection des docteurs des temps primitifs. Il apparut comme le second Illuminateur[188] de notre nation ; comme un rocher de diamant contre lequel vinrent se briser les efforts des hérétiques ; comme le champion de l’orthodoxie. Il fut toute sa vie d’une sévérité excessive contre les corrupteurs de la foi. Il était natif de la province de Darôn. Il fut enterré dans le couvent de saint Lazare. non loin de Saçoun.

CCXXXIX. Cette année, David, roi de Géorgie, extermina 60.000 Perses ; voici à quelle occasion. Le sultan de Kantzag vint avec des forces considérables établir sur le fleuve Gour (Cyrus)[189] un pont de bateaux où passèrent ces 60.000 hommes, qu’il conduisait dans le pays des Aph’khaz.[190] A cette nouvelle, le roi de Géorgie fit partir des troupes et détruire le pont, et tailla en pièces l’année des infidèles. Le sultan s’enfuit en Perse, dans la ville d’Ozkend, auprès du frère de son père.[191]

Le roi David était un brave ; il déploya un rare courage dans les guerres qu’il soutint contre les Perses. Il remporta sur eux de nombreuses victoires et renversa leur puissance de fond en comble. Il leur enleva de magnifiques provinces à la pointe de l’épée et par la force de son bras. Il s’empara des villes de Deph’khis, Tmanis,[192] Schirvan,[193] Schaki,[194] Schamkar[195] et autres lieux. C’était un saint et vertueux monarque, d’une haute piété et d’une justice accomplie. Il se montra toujours bienveillant pour notre nation, et notre ami. Il avait attiré auprès de lui les restes de l’armée arménienne. Il fonda en Géorgie une ville arménienne qu’il appela Kôra,[196] et y bâtit nombre d’églises et de couvents. Il prodigua à notre nation toute sorte de consolations et de bienfaits. Il avait un fils légitime nommé Dimitri (Témédré),[197] qui lui était né d’une femme arménienne, et un frère nommé Thodormé.

CCXL. En l’année 573 (19 février 1124 - 17 février 1125), Balag réunit des troupes et marcha contre les Francs. il se rendit d’abord à Alep, et au bout de quelques jours il vint attaquer Menbêdj,[198] ville des musulmans. Avant dressé ses catapultes contre la forteresse. il les fit jouer vigoureusement et causa beaucoup de mal aux assiégés. L’émir qui défendait la place envoya demander du secours aux comtes Josselin et Geoffroy, leur promettant que, dès qu’ils seraient arrivés, il céderait la ville à Josselin. Ces deux chefs se rendirent à cet appel avec les débris des troupes Franques que Josselin avait réunis. Mahuis (Mahi), comte de Delouk, Aïn-tab (Anthaphi’)[199] et Raban, accourut aussi. Dès que Balag eut connaissance de leur approche, il s’avança à leur rencontre, non loin de Menbêdj. L’action fut terrible car les infidèles étaient aussi nombreux que les Francs l’étaient peu. L’avantage fut d’abord pour ces derniers, et les Turcs furent repoussés. Les chrétiens mirent en fuite une aile de leur armée, tandis que Josselin taillait l’autre aile en pièces. Mais un corps de Turcs enveloppa le comte de Marasch et une foule d’autres guerriers, ainsi que la noblesse de Josselin, et ils périrent de la mort des martyrs. En apprenant ce malheur, Josselin lâcha pied et fut vaincu sur ce même champ de bataille. Le lendemain, Il se réfugia dans sa ville de Tellbâscher. Cette journée désastreuse vit tomber une foule de grands personnages d’entre les Francs ; ce fut le 10 du mois de sahmi, date qui correspond au 4 mai,[200] qu’elle eut lieu. Après cette victoire signalée, Balag se porta contre la ville de Menbêdj, et donna l’ordre à ses troupes d’en commencer l’attaque. Dans la joie que son succès lui inspirait, il se dépouilla de sa cotte de mailles en fer. En même temps, un adorateur du soleil (Arévabaschd)[201] lança de la forteresse une flèche qui l’atteignit à l’aine et le blessa mortellement.[202] Ayant mandé auprès de lui Timourtasch, fils d’Ilgazi, il lui remit ses États, et à l’instant il rendit le dernier soupir. A cette nouvelle, ses troupes se dispersèrent. Sa mort causa une joie universelle parmi les Francs ; mais, dans les contrées qui lui appartenaient, ce fut un deuil général et une tristesse profonde, car il avait toujours témoigné de la bienveillance aux Arméniens qui étaient sous sa domination.[203]

CCXLI. Lors de cette bataille, le roi, son neveu et Waléran se trouvaient à Alep. Le comte Josselin et la reine traitèrent avec Timourtasch de la rançon du roi, et lui donnèrent en otage sa fille et le fils de Josselin, avec quinze autres personnes. La rançon fut fixée à 100.000 tahégans. Dans le mois de septembre, le roi Baudouin fut enfui délivré des mains des infidèles. Étant arrivé à Antioche, son retour excita des transports de joie parmi les chrétiens. Mais le comte Waléran et le neveu du roi restèrent au pouvoir de Timourtasch et furent mis à mort. Ainsi, par les soins de Josselin, Baudouin fut affranchi deux fois de la captivité.[204]

CCXLII. Cette même année, grâce au secours de Dieu, Gargar’ fut enlevée aux Turcs. Le seigneur de cette ville, Mikhaïl, fils de Constantin, entreprit de s’en rendre maitre, à la tête de cinquante hommes. Il accabla par une lutte opiniâtre les Turcs qui étaient renfermés dans la forteresse. Ceux-ci, dénués de secours et réduits à l’extrémité, se rendirent et lui livrèrent Gargar’. Ce fut de cette manière et par les mêmes efforts que Mikhaïl enleva la forteresse de Bébou[205] aux Turcs. Ce triomphe répandit l’allégresse parmi les fidèles.[206]

CCXLIII. Cette même année, le roi de Géorgie, David, fit de nouveau un horrible massacre des Perses. Il en tua 20.000 environ. Il s’empara d’Ani, et prit dans ses murs les fils de Manoutchê,[207] qu’il emmena à Deph’khis. Ainsi fut affranchie cette cité royale du joug qui avait pesé sur elle pendant soixante ans.[208] L’auguste et vaste cathédrale, que les infidèles avaient convertie en mosquée, réunit dans son enceinte, par les soins de David, des évêques, des prêtres et des moines de l’Arménie, et fut bénie avec une pompe solennelle. Ce fut un grand bonheur pour notre nation de voir ce saint édifice arraché au pouvoir tyrannique des infidèles.

CCXLIV. Cette même année, un duc arriva du pays des Francs avec des forces considérables. Il établit son camp devant la ville de Tyr (Sour), située sur les bords de l’Océan. Il la tint investie pendant longtemps et la pressa vigoureusement. Il l’avait bloquée par mer avec une flotte, tandis que du côté du continent il la cernait avec une nombreuse armée, l’environnant ainsi de tous côtés. Il éleva des tours en bois, dressa des catapultes et des balistes pour battre les murailles. Les assiégés eurent à supporter à la fois et la famine et de continuels assauts. Leur position devint si critique qu’ils consentirent à se rendre, et, après avoir obtenu du général Franc le serment d’épargner leur vie, ils lui livrèrent la ville et se retirèrent à Damas. En quelques jours Tyr, le tombeau du Christ, fut évacuée. Le duc s’en retourna avec son armée chez les Francs.[209]

CCXLV. Cette même année, le roi de Jérusalem, Baudouin et Josselin, convoquèrent toutes les troupes franques et marchèrent contre Alep. Josselin alla trouver le roi des Arabes, Sadaka (Salê), fils de Doubaïs[210] et gendre d’Ilgazi ; ils firent alliance et amitié ensemble, et le roi des Arabes se joignit avec ses troupes à Josselin. Le petit-fils du sultan Tetousch,[211] ainsi que le sultan de Mélitène, fils de Kilidj Arslan,[212] accoururent aussi. Ces divers contingents formèrent une masse imposante de forces réunies devant Alep. Les habitants, après avoir longtemps et cruellement souffert du manque de vivres et des attaques des assiégeant, envoyèrent à Mossoul demander du secours à Boursouky. Celui-ci réunit des troupes considérables, et, au bout de six mois, arriva en vue d’Alep. Il repoussa les Francs et la ville fut sauvée.[213] Les chrétiens opérèrent leur retraite sans éprouver aucune perte. Le roi des Arabes, en se retirant, vint saccager Mossoul et tout le territoire de Boursouky. Ce dernier, ayant passé quelques jours à Alep, se rendit à Damas, où il fit alliance avec Toghtékïn, émir de cette ville.

CCXLVI. Cette même année, Gazi, émir de Sébaste et fils de Danischmend, marcha contre Mélitène. Il attaqua vivement cette ville et lui fit beaucoup de mal. Le siège s’étant prolongé pendant six mois, les habitants furent en proie à une cruelle famine, qui, augmentant chaque jour, les emportait par milliers. Dans la pénurie qui les accablait, ils sortaient des murs et se rendaient au camp des ennemis. Enfin, n’y pouvant plus tenir, ils remirent Mélitène à Gazi ; et la femme de Kilidj Arslan,[214] qui en était la souveraine, se retira à Meschar.[215]

CCXLVII. En l’année 574 (18 février 1225 - 17 février 1126), le général perse Boursouky et Toghtékïn se mirent à la tête d’une armée de 40.000 hommes d’élite, recrutés dans toute la Perse, et avec lesquels ils avancèrent contre Azaz, forteresse des Francs, et l’attaquèrent avec vigueur. Boursouky se vantait insolemment de l’emporter d’assaut, et de fouler aux pieds avec mépris la puissance des chrétiens. Les infidèles établirent une batterie de douze balistes, et ayant miné deux des murailles qui flanquaient la forteresse, elles s’écroulèrent. Azaz était en grand danger, et la garnison avait perdu tout espoir. Cependant le roi de Jérusalem ayant appris que Boursouky était retourné à Alep, se rendit aussitôt à Antioche, et, ayant rassemblé les troupes Franques, il fut rejoint par le comte Josselin, qui accourut en toute hâte, ainsi que par le comte de Tripoli, fils de Saint-Gilles, et Mahuis, comte de Delouk. L’armée chrétienne se composait de 1.300 cavaliers Francs, de 500 cavaliers arméniens, et de 4.000 fantassins. Le roi de Jérusalem se porta sur Gouris. A cette nouvelle, le général perse vint avec un détachement camper auprès d’Alep. Les Francs, laissant leurs bagages à Gouris, volèrent vers Azaz. Cette cité leur présenta le spectacle d’un monceau de ruines prêt à tomber entre les mains des infidèles. Les Perses, poussant alors en avant contre les Francs, les enveloppèrent, et, les harcelant, les mirent dans un péril extrême, car toute issue pour se procurer des vivres leur était fermée. Ceux-ci n’attendaient plus que la mort, et ne conservaient aucun espoir. Les Turcs les défiaient par des paroles pleines de menace et d’arrogance, et les tenaient cernés de tous côtés. Puis, avec des cris terribles et comme un aigle qui fond sur une troupe de colombes, ils se précipitèrent en masse sur eux. Les Francs, réduits aux abois et frappés de terreur, ne désiraient plus rien que la mort, et croyaient toucher à leur dernière heure. Tandis qu’ils étaient dans cette douloureuse perplexité, le roi eut une excellente inspiration. Il dit au commandant de ses troupes : « Allons, marchons directement vers Athareb, nous ferons croire aux Turcs que nous prenons la fuite, et ceux d’entre eux qui sont en embuscade courront après nous ; alors, nous reviendrons sur eux et nous verrons ce que le Christ fera pour nous. » En même temps, il prescrivit à la garnison d’Azaz, lorsque les infidèles se grouperaient pour les poursuivre, de lui en donner le signal, en élevant une colonne de fumée sur le sommet de la forteresse. Le roi s’étant dirigé vers Athareb, Boursouky, s’imaginant que les Francs prenaient la fuite, commanda aux siens de les poursuivre. Les infidèles se précipitèrent tous à la fois sur leurs traces, comme des loups après des brebis, en poussant des clameurs. Après avoir parcouru une distance d’environ deux milles, ils serrèrent leurs rangs pour attaquer les chrétiens. En ce moment, les gens d’Azaz tirent le signal convenu. Le roi de Jérusalem et ses officiers l’ayant aperçu, bénirent le Seigneur en versant des larmes et en gémissant ; dans leur douleur, ils élevaient leurs voix suppliantes vers Dieu, pour le prier de venir au secours de son faible troupeau.

Aussitôt le roi ordonna de faire retentir les trompettes pour donner le signal de la charge, et les chrétiens fondirent, par un mouvement simultané, sur les infidèles, en invoquant l’aide du Seigneur, et firent les plus héroïques efforts. Leurs rites fuirent exaucées. Ils repoussèrent avec fureur les Turcs, les firent passer sous le tranchant du sabre et les dispersèrent au loin sur la surface de la plaine. Le comte Josselin, emporté par son impétuosité et pareil à un lion rugissant qui poursuit des bœufs, se jeta sur eux et se gorgea de sang. Le roi et toute l’armée du Christ, acharnés de leur côté, les taillèrent en pièces sans leur faire quartier, en les poursuivant jusqu’aux portes d’Alep. Il y eut 5.000 Turcs de tués. Le général perse et Toghtékïn s’en retournèrent couverts de honte. Quinze émirs avaient péri dans ce combat. Les chrétiens s’en revinrent ivres de joie et avec un riche butin. Cette victoire répandit l’allégresse parmi les fidèles. Elle fut remportée le 24 du mois de drê, un jeudi.[216] Quelques jours après, Boursouky emmena la fille du roi et le fils de Josselin à Kala’-Dja’bar,[217] où il les déposa, et partit pour Mossoul.[218]

Au bout d’un an, des gens de sa nation, de ceux que l’on nomme Hadji (Hadchi),[219] pénétrèrent dans son palais sous leurs vêtements de pèlerins, et le tuèrent à coups de couteau. Les meurtriers furent massacrés par ses serviteurs, qui firent subir le même sort à tous ceux qu’ils trouvèrent dans la ville portant un pareil costume, au nombre de quatre-vingts.

CCXLVIII. Cette même année, le général des Perses, émir de l’Orient, Ibrahim (Apréhim), fils de Soukman, ainsi que l’émir de Hantzith, Davoud (Davouth), fils de Soukman, fils d’Artoukh, firent une levée immense de troupes. Une foule d’autres émirs leur amenèrent des renforts considérables, et tous ensemble marchèrent contre la Géorgie. Le souverain de ce pays s’étant avancé à leur rencontre, en fit un grand carnage, les mit en fuite et les maltraita encore plus que dans les occasions précédentes, il les poursuivit pendant cinq jours, et inonda de sang les plaines et les montagnes. Toute la contrée fut infectée de l’odeur qu’exhalaient les cadavres.

CCXLIX. Cette année mourut le saint roi de Géorgie, David. On plaça sur le trône après lui Dimitri (Témédrê), son fils, prince belliqueux, rempli de piété, et qui, par ses belles actions, se montra l’émule de son père. Il renvoya les fils de Manoutchê à Ani, après leur avoir fait jurer d’être ses fidèles vassaux, et de lui rester à jamais soumis. Il leur donna cette ville, qui avait beaucoup souffert de la part des Perses, lorsque David mourut. Il leur fit cette cession, parce que d’autres guerres et l’administration de ses États réclamaient des soins dont il était surchargé. Il était né d’une femme arménienne. Les fils de Manoutchê s’engagèrent en outre, par un serment solennel, à laisser les Arméniens en possession de la cathédrale, et à empêcher tout musulman d’y entrer.

CCL. En l’année 575 (18 février 1126 - 17 février 1127) arriva du pays des Francs le fils de Bohémond, fils de Robert, lequel se nommait Bohémond comme son père.[220] Il vint avec des troupes à Antioche et épousa la fille du roi de Jérusalem. Celui-ci lui promit la couronne après sa mort ; il lui céda Antioche et toute la Cilicie. Bohémond, fils de Bohémond, soumit à son autorité, par sa puissance et son ascendant irrésistible, toute la nation des Francs. Le comte d’Édesse, Josselin, et le fils de Saint-Gilles reconnurent sa suprématie. Bohémond était cependant tout jeune ; il n’avait pas plus de vingt ans, et son menton était sans barbe ; mais déjà il avait fait ses preuves dans les combats. Il était de haute taille, à face de lion ; il avait les cheveux de couleur fauve. Une foule de nobles et de grands étaient accourus avec lui du pays des Romains.[221]

CCLI. En l’année 576 (18 février 1127 - 17 février 1128) mourut le docteur arménien Guros (Cyrus), l’égal des saints de l’ancien temps. Il avait appris par cœur la Bible en entier, et était exercé aux investigations les plus profondes. Il possédait l’intelligence complète de l’ancien et du nouveau Testament. Il avait été le compagnon du saint docteur Georges, surnommé Mégh’rig. Il fut enseveli dans le couvent de Trazarg, appelé le Tombeau des saints docteurs, où était aussi la sépulture du bienheureux Mégh’rig. Celui-ci, avant rassemblé dans ce couvent une congrégation d’athlètes du Christ, y établit les règles et la discipline des saints Pères des premiers siècles.

CCLII. En l’année 577 (18 février 1128 - 17 février 1129), le général des Perses, l’émir Zangui (Zanki),[222] fils d’Ak-Sonkor, l’ancien maître d’Alep, arriva avec des troupes sur le territoire d’Édesse et fit amitié avec le comte Josselin. Il parvint jusqu’à Alep sans avoir été inquiété en route.[223] Désirant se lier avec le comte Bohémond, seigneur d’Antioche, il employa dans cette négociation Josselin comme médiateur. Après avoir séjourné quelque temps à Alep, il se rendit avec toutes ses forces à Damas car l’émir de cette ville, Toghtékïn, était mort et avait été remplacé par son fils.[224]

Cette même année vit mourir le sultan de Perse, Mahmoud, fils de Daph’ar ; il eut pour successeur son frère Mélik,[225] le même qui résidait à Kantzag, et qui fut défait par David, roi de Géorgie, et forcé de s’enfuir en Perse.

CCLIII. En l’année 585 (16 février 1136 - 15 février 1137) le sultan Mohammed (Mahmad),[226] fils d’Amer Gazi (Khazi), fils de Danischmend[227] vint avec une armée considérable dans la contrée de Marasch. auprès de Kéçoun, et incendia les villages et les couvents. On était à l’époque des vendanges. Il demeura six jours campé devant la ville, mais sans élever des fortifications, ni dresser des machines, ou lancer des flèches. Il restait tranquille, occupé seulement à couper l’eau du fleuve, à ravager les jardins, à faire des incursions çà et là et à recueillir et entasser le butin qu’il enlevait. Cependant les habitants, qui s’attendaient de jour en jour à un assaut, à l’effusion du sang et au triomphe des ennemis, tombèrent dans un tel excès de découragement, qu’une nuit ils abandonnèrent le rempart extérieur. Mais leurs chefs et les prêtres parvinrent à les ranimer à force d’exhortations. Alors, adressant leurs supplications à Dieu, ils résolurent de mourir plutôt que de tomber entre les mains des infidèles et de devenir un objet de raillerie et d’opprobre pour les païens, en se livrant à eux avec leurs familles. La croix à la main, et les bras étendus, ils passaient la nuit entière en prières, chantant À haute voix les louanges de Dieu. Aussi Celui qui est infiniment bon et miséricordieux ne voulut pas nous abandonner, quoique pécheurs, à nos ennemis ; il eut compassion de nous, qui avons été rachetés par le sang de son fils bien-aimé, Jésus-Christ. Il ne commanda pas aux infidèles d’investir et d’attaquer la ville, et le vendredi, qui est le jour de la Passion de notre Sauveur, Kéçoun fut délivrée. L’ennemi brûla Garmnir-Vank’, la chapelle et les cellules des religieux, brisa les croix de bois et de pierre, et s’empara des croix en fer et en bronze ; et, démolissant les autels où s’offrait le pain du saint Sacrifice, en dispersa les débris. Il enleva la porte, où se dessinaient des enroulements admirables, ainsi que d’autres objets, et les emporta dans son pays pour les montrer à ses concubines et à la populace, comme fit autrefois le Babylonien.[228] C’est ainsi qu’il donna lieu à l’accomplissement de ces paroles : « J’ai abandonné la fille de Sion, comme une tente au milieu des vignes, ou comme la cabane de ceux qui gardent les fruits,[229] ou bien comme une tourterelle plaintive restée seule après avoir été délaissée par sa compagne, ou comme le corbeau à l’aspect hideux qui plane sur des cadavres. Mohammed battit subitement en retraite, un vendredi, comme nous l’avons dit plus haut, en apprenant que l’empereur des Romains[230] accourait au secours de Kéçoun assiégée et de notre comte Baudouin,[231] qui l’en suppliait à genoux. Déjà l’empereur approchait d’Antioche, ravageant les pays musulmans (Dadjgasdan).[232] Après avoir dépouillé notre prince Léon de sa souveraineté, il se rendit maître de ses villes, de ses forteresses, et s’étant assuré de sa personne, l’emmena dans la contrée des Grecs, de l’autre côté de la mer, sur les limites de l’Asie.[233]

 

 

 



[1] Un de nos mss. porte : « en 500 », un autre : « en 551 ». Ces deux dates ont été altérées. Matthieu ayant commencé son récit en 401, atteint ici la 150e année, comme il le dit lui-même.

[2] Nicolas IV, surnommé Muzalon, qui siégea de 1097 à 1151.

[3] Jean, patriarche grec d’Antioche, monta sur le siège en 1090. En 1098, cette ville ayant été prise par le Croisés, ils nommèrent pour patriarche latin, Bernard Valentin (de Valence, RHC), évêque d’Arles (Arta, en Epire - Chronique), qui avait suivi à la croisade l’évêque du Puy, Adhémar, en qualité de chapelain. (Guill. de Tyr, VI, xxiii.) Siméon monta sur le siège en 1088. Au bout de deux ans, Jean abdiqua, et se retira à Constantinople.

[4] Siméon monta sur le siège en 1088. Lors de la prise de Jérusalem par les Croisés, le patriarcat de cette ville fut donné à Daimbert, ou Dagobert, archevêque de Pise.

[5] C’est l’ère mondaine de Constantinople, qui compte 5508 ans écoulés, le 1er septembre de l’année qui précède l’ouverture de l’ère chrétienne. L’année 6610 équivaut à 1101-1102, comme l’a très bien calculé Matthieu.

[6] Il faudrait lire 35, puisque nous sommes en 550 E. A., et que Matthieu termine sa chronique en 585.

[7] L’auteur emploie Indifféremment, en parlant de lui-même, la première personne du singulier ou du pluriel. Nous avons conservé scrupuleusement ces formes de style, quoiqu’elles puissent paraître quelquefois dissonantes.

[8] Il faut lire de 48 ans, puisque la seconde partie de l’histoire de Matthieu commence en 502 E. A.

[9] Le comte de Toulouse s’était rendu, en 1099, comme nous l’avons vu, à Constantinople, auprès de l’empereur Alexis. Notre chroniqueur est d’accord avec Guillaume de Tyr (IX, 13) sur l’époque de ce voyage. D’après Anne Comnène (liv. XI), ce ne fut qu’après la mort de Godefroy et pendant la vacance du trône de Jérusalem (1100), que Saint-Gilles alla à Constantinople : et cette opinion a été suivie par le moderne éditeur de l’Histoire de Languedoc, de dom Vaissete, M. Al. du Mège (additions et notes du liv. XV, t. III). Ce savant me paraît avoir soutenu avec raison contre l’auteur de l’Histoire des Croisades, Michaud, que l’empereur Alexis ne donna pas la ville de Laodicée à Raymond. Anne Comnène, qui, mieux que personne, aurait pu être instruite de ce fait, non seulement n’en dit pas un mot, mais elle nous fournit la preuve du contraire en rapportant une lettre de son père Alexis à Bohémond, écrite après la mort de Saint-Gilles, et dans laquelle l’empereur réclame au prince de Tarente Laodicée, que celui-ci retenait encore, au mépris du serment qu’il avait fait avec les autres chefs de la croisade, de rendre à Alexis les places qu’ils enlèveraient aux infidèles, et qui avaient appartenu à l’empire. Guillaume de Tyr. en racontant le voyage de Raymond à Constantinople (ibid., et X, 12), dit que ce prince passa à Laodicée en Syrie, où il laissa sa femme et sa famille ; qu’il fut parfaitement accueilli à la cour d’Alexis, et qu’après cela il revint en Syrie. Mais nulle part il ne donne à entendre que l’empereur eût fait don de Laodicée au comte de Toulouse. Il y a plus, il affirme positivement que Laodicée était au pouvoir des Grecs, lorsque Tancrède s’empara de cette ville. Enfin, l’historien arabe Ibn Khaldoun, en parlant de la mort de Raymond, survenue pendant qu’il faisait le siège de Tripoli, nous dit que l’empereur des Grecs avait défendu aux habitants de Laodicée d’apporter par mer des vivres aux Francs occupés à ce siège. Voir Ibn Khaldoun, Narratio de expeditionibus Francorum in terras islamismo subjectas, éd. C. J. Tornberg, Upsaliae, in 4°, 1840.

[10] Chronique : Albert d’Aix raconte que Raymond gagna d’abord le château de Pulveral, ensuite Sinope, puis Constantinople. Suivant le même auteur, le comte de Toulouse fut retenu prisonnier par Bernard l’Etranger (Extraneus), au port Saint-Siméon, et remis ensuite entre les mains de Tancrède, qui le garda en prison à Antioche. Il recouvra plus tard la liberté à la sollicitation des autres chefs de la croisade, qui lui confièrent la défense de Tortose, dont ils venaient de s’emparer. Guill. de Tyr, X, 18 et 19.

RHC : J’ai déjà fait observer l’erreur de Matthieu relativement au prétendu voyage de Raymond en Europe. Il y a encore dans ce qu’il dit au sujet du lieu où Saint-Gilles fut défait dans l’Asie Mineure et des aventures qui lui arrivèrent après cet échec, quelques inexactitudes qu’Anne Comnène, Albert d’Aix et Guillaume de Tyr nous permettent de rectifier. Après avoir laissé à Laodicée sa femme et sa famille, il se rendit à Constantinople pour demander du secours à Alexis, afin de retourner en Syrie et d’y conquérir quelques villes ; car il voulait, dit Guillaume de Tyr, consacrer le reste de sa vie à la croisade et ne plus revenir dans sa patrie. Il resta deux ans auprès de l’empereur, qui le combla d’honneurs et de bienfaits. Sur ces entrefaites arriva une armée de croisés de la Lombardie, conduite par Anselme, évêque de Milan ; Albert, comte de Blandraz ; son frère Guy, Hugues de Montbel et autres seigneurs italiens. Ils commirent toutes sortes de déprédations sur les terres de l’empire et dans Constantinople même, et Alexis eut la plus grande peine a leur faire passer le détroit de Saint Georges. Arrivés à Nicomédie, aux approches de la Pentecôte (1er juin 1101), ils furent rejoints par Conrad, connétable de l’empire germanique, à la tête de deux mille chevaliers teutoniques, Etienne, comte de Blnis, et Etienne, duc de Bourgogne ; ils formaient une armée de deux cent soixante mille hommes. Alexis leur avait donné pour guide Saint-Gilles avec cinq cents cavaliers turcopoles. Le comte de Blois et Raymond leur conseillèrent prudemment de suivre la route qu’avaient tenue Godefroy et la grande armée : mais les Lombards, confiants en leur nombre et pleins, de présomption, déclarèrent qu’ils voulaient marcher vers le Corrozan, et aller délivrer Bohémond, ou détruire de fond en comble la ville de Baldach (Bagdad). Ils tournèrent donc vers la Paphlagonie, précèdes de Raymond, qui ne voulut pas les abandonner ; et de ses turcopoles. Mais ils furent battus auprès de la ville de Marasch, entre Constamnes (Kastamouni) et Sinope. Le comte de Toulouse, voyant la partie perdue, s’enfuit du camp pendant la nuit avec ses Provençaux et les Turcopoles, à travers les montagnes, abandonnant les croisés. Il atteignit le château de Pulveral, qui appartenait à l’empereur, puis Sinope, et s’embarqua le lendemain pour Constantinople. A peine l’armée se fut-elle aperçue de son départ, que, saisie de frayeur, elle prit la fuite vers Sinope, don elle gagna Constantinople. Alexis, irrité de la défection du comte de Toulouse, lui en fit des reproches ; mais son mécontentement céda aux explications que lui donna Raymond. Il le traita parfaitement, ainsi que les autres chefs, leur donna de l’or, de l’argent, des chevaux, des mulets et des vêtements, en compensation de ce qu’ils avaient perdu, et les retint pendant l’automne et l’hiver, fournissant largement à tous leurs besoins. Albert d’Aix rapporte que le bruit avait couru que Raymond, séduit par les présents et les vivres que lui fournissaient les Turcs, et se conformant aux instructions secrètes de l’empereur avait égaré les croisés dans l’Asie Mineure et causé leur perte ; mais un peu plus loin il le justifie complètement. D’ailleurs le grave et savant archevêque de Tyr affirme que ce furent leurs désordres et leur désunion qui occasionnèrent leur défaite. En outre, Anne Comnène en rapportant les mêmes événements, dit positivement que l’année ayant été mise en déroute par les Turcs, Saint-Gilles, qui n’avait conservé avec lui qu’une poignée de cavaliers, fut forcé de se sauver. D’après le témoignage de la fille d’Alexis, c’est sur les limites du Thema Paphlagonum et du Thema Armeniacum que cette défaite eut lieu. Le nombre de cent mille morts énoncé par Matthieu est certainement exagéré ; Guillaume de Tyr n’en compte que cinquante mille. Au commencement de mars de l’année suivante, .les chefs qui avaient échappé au désastre de Maresch passèrent par mer à Antioche. Lorsqu’ils abordèrent au port Saint Siméon, un certain Bernard l’Étranger, Bernardus Extraneus, qui possédait la ville de Longinach auprès de Tursolt (Tarse), prévenu contre Raymond, par les bruits qui avaient couru sur le compte du prince toulousain, le saisit et le livra à Tancrède, qui le fit mettre en prison à Antioche ; mais, grâce à l’intervention des chefs les plus influents, il recouvra la liberté, sous la condition qu’il ne tenterait aucune entreprise contre le territoire qui s’étend depuis Acre jusqu’à Antioche. Connaissant sa valeur et sa prudence, ils lui confièrent la défense de Tortose, dont ils venaient de s’emparer, d’après ses conseils.

[11] Dans l’un des manuscrits de la bibliothèque du couvent de Saint-Lazare, à Venise, on lit Sarouantoui. Ce doit être la forteresse dont le nom est écrit ordinairement Sarouantik’ar (le rocher de Sarouant), en Turc Serfendkiar, à la distance d’une journée de marche et au sud-ouest d’Anazarbe ; elle est située au sommet d’un rocher. Dans le voisinage, et au sud, coule le fleuve Djeyhân. — Indjidji, Arm. mod., et Hadji-Khalfa, Djihan-Numa, de la traduction française manuscrite, conservée à la Bibliothèque impériale de Paris.

[12] Le Château Pèlerin, que Raymond de Saint-Gilles fit bâtir sur une colline près de Tripoli, et que Raymond lui donna le nom de Mont Pèlerin, parce que ce furent des croisés venus pour visiter les Saints Lieux qui le bâtirent en 1103. Les Arabes appelaient ce château Hisn-Sendjil, le château de Saint-Gilles. — Cf. Aboulféda, Ann. t. III, et Guill. de Tyr, X, 17.

[13] Chron. :Il y a dans le texte Bédévin. On trouve ce mot écrit sous la même forme dans un état des redevances qui appartenaient à l’église du Saint-Sépulcre. Cf. Cartulaire de l’Eglise du Saint Sépulcre de Jérusalem, publié par M. E. de Rozière, Paris, in 4°, 1849.

Matthieu veut parler de Guillaume IX, comte de Poitiers. lly eut à cette époque (1101-1102), à ce qu’il parait, trois expéditions différentes des Francs, pour la Terre-Sainte, et qui, parties d’Europe, vinrent échouer complètement dans les plaines de l’Asie Mineure. La première, celle des Croisés lombards, auxquels s’étaient joints le connétable Conrad avec deux mille guerriers allemands, le comte de Chartres, les évêques de Laon et de Soissons, et où figura le comte de Toulouse, fut anéantie par les Turcs, dans les environs de Nicée, suivant notre chroniqueur. La seconde année, conduite par les comtes de Nevers et de Bourges, fut écrasée dans la Galatie, près de Stancon. Le troisième corps, commandé par Guillaume IX, comte de Poitiers, auquel s’étaient réunis Wolf, duc de Bavière, et la margrave d’Autriche, Ida, fut exterminé dans la Lycaonie, sur les bords du fleuve Halys. Matthieu ne mentionne que deux de ces expéditions, la première et la troisième.

RHC : Guillaume de Nevers, parti avec quinze mille hommes de cavalerie et d’infanterie, aborda à Civitolyprès de Nicomédie, vers la fin de juin (post Beati.Ioannis Baptistae nativitatem). Laissant la route suivie par Godefroy et Bohémond, il arriva en deux jours à Ancras (Ancyre), place qui avait été prise précédemment par les Lombards ; puis, tandis que ceux-ci continuaient leur marche à gauche vers la Paphlagonie, les nouveaux venus tournèrent a droite, et, tirant vers le sud, parvinrent à Stancon et ensuite à Reclei (Héraclée, dans la Lycaonie). C’est dans ce lieu que les Turcs, réunis sous le commandement de Soliman (Kilidj Arslan) et de Donisman (Danischmend, émir de Cappadoce), les exterminèrent. Le comte de Nevers, son frère Robert, et Guillaume de Nonanta s’enfuirent avec tous leurs cavaliers à Germanicopla (Germanicopolis, dans l’Isaurie). Là, se confiant à douze Turcopoles, qui avaient la garde de cette place pour l’empereur, et qu’ils avaient soudoyés, ils partirent pour Antioche ; mais en chemin ils furent dépouillés par leurs conducteurs et laissés nus et à pied au milieu d’un désert. Le comte continua son voyage, déguise sous des haillons, et, après mille traverses, atteignit Antioche, où Tancrède, par sa réception, s’efforça de lui faire oublier les malheurs qu’il avait éprouvés.

A Guillaume de Poitiers, s’étaient joints Guelfe IV, duc de Bavière, le comte de Vermandois, l’évêque de Clermont, et Ida, margrave d’Autriche. Cette expédition comptait plus de cent soixante mille pèlerins, combattants ou femmes. Elle traversa le détroit de Saint-Georges, au temps de la moisson, et, après s’être arrêtée à Nicomédie, parvint à Stancon ; de là à Phiniminum (Philomelim) et Salamia, que l’armée détruisit. Ayant fait halte à Reclei, au bord d’un torrent où les croisés élanchèrent leur soif, ils furent mis en déroute et écrasés par Soliman, Donisman, Carati et Agunich. Le duc Guelfe, après avoir abandonné sa cuirasse et tout ce qu’il possédait, s’enfuit à travers les montagnes. L’évêque de Clermont se sauva aussi avec peine ; mais la margrave Ida disparut sans qu’on ait pu savoir ce qu’elle devint. Quant à Guillaume de Poitiers, escorté d’un seul écuyer, il réussit à gagner Lunginach, auprès de Tarse, où Bernard l’Etranger l’accueillit avec empressement et lui fournit tout ce dont il avait besoin. Quelques jours après, Tancrède l’envoya chercher sous la protection d’une escorte de soldats, et le reçut magnifiquement à Antioche. (Albert d’Aix, VIII, xxv-xl)

L’itinéraire de Guillaume de Nevers et de Guillaume de Poitiers dans l’Asie Mineure, tel qu’il est retracé par Albert d’Aix, présente des difficultés qui sont loin encore d’avoir été éclaircies, mais dont je n’essayerai point ici de chercher l’explication, pour ne pas sortis du cadre, dans lequel je dois me circonscrire.

[14] C’est-à-dire commandant, préfet ou gouverneur.

[15] RHC : La contrée de Kamir est le nom que les Arméniens donnent à la Cappadoce, et qu’ils font dériver de Gomer (Kamer), fils de Japhet. Ils comprennent souvent, sous cette dénomination, la plus grande partie de l’Asie Mineure. (Cf. Moïse de Khoren. II, et Vartan, Géographie, apud Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. II).

[16] Cette description des solitudes que parcourut l’armée du comte de Poitiers rappelle les vastes et arides plaines de la Lycaonie, et les lacs de cette partie de l’Asie Mineure, aux eaux saumâtres et saturées de sulfate de soude et de magnésie. (Cf. Asie Mineure, de M. Pierre de Tchihatcheff, 1re partie Géographie physique comparée, chap. iii).

[17] C’est la troisième armée franque dont Matthieu veut parler, celle qui était sous les ordres de Guillaume de Poitiers ; elle pénétra sur le continent asiatique par la province de Nicomédie.

[18] Aulos, en grec, vallon, ravin. — Il faut chercher la position de la plaine d’Aulos aux environs de Reclei ou Héraclée, dans la Lycaonie. L’armée du comte de Poitou, suivant Albert d’Aix, après avoir saccagé les villes de Phiniminis et de Salamia, arriva à Reclei, sur les bords d’une rivière (Halys). C’est là qu’elle fut détruite par les Turcs.

[19] Ce combat eut lieu aux environs de Ramis. Les Egyptiens étaient commandés par le fils du vizir El Mélik el-Afdhal, Schéref el Mé’âli Ibn Alathir, ad annum 496 ; Schems el- Mé’âli, dans Ibn Djouzi).

[20] Dêlouk, château fort de la Comagène, situé non loin d’Aïn-tab, sur la croupe d’une chaîne de montagnes qui, en se détachant de l’Amanus, se prolonge vers l’Euphrate. Tulupa de Guillaume de Tyr.

[21] Le mot Sandzavel parait être une corruption des deux vieux mots français, Sens avehor ou Sans aveir, qui formaient le surnom de tous ceux qui, n’ayant pas de fief, étaient considérés comme sans avoir dans le système féodal. Ce surnom était aussi celui de Gauthier, qui guidait l’avant-garde de l’armée de Pierre l’Hermite.

[22] Déjà Mélik el Afdhal avait envoyé en Syrie Saïd eddaula el-Thouci, mamelouk de son père, qui ren contra les Francs entre Ramla et Jaffa ; il fut battu, et dans sa fuite, son cheval s’étant abattu, il fut tué. Alors Afdhal fit partir son fils, Schéref ei-Mé’àli à la tête d’une nombreuse armée, qui attaqua les Francs près d’Yazour, au nord-ouest de Rarnla.. Cette fois les chrétiens eurent le dessous. Dans cette bataille périrent Etienne, comte de Blois, et Etienne duc de Bourgogne. Quelques circonstances du récit de Matthieu sont entachées d’erreur ; Baudouin, d’Anne Comnène, après la bataille, ne se dirigea point vers Baalbek ni Jérusalem ; il se réfugia à Ramla, où les infidèles vinrent l’assiéger. Il était dans le plus grand danger et dans une anxiété extrême, lorsqu’un émir musulman, dont il avait sauvé la femme du déshonneur et de la mort, vint lui proposer de le conduire secrètement hors des murs. Sous la protection de ce guide fidèle, il gagna les montagnes, et de là, à travers les embûches des ennemis, la ville d’Arsur, d’où il passa par mer à Joppé. Son retour inattendu répandit la joie la plus vive parmi les chrétiens. (Guillaume de Tyr, X, xx-xxii).

[23] La mémoire de la résurrection de Lazare est fixée dans l’Eglise arménienne au samedi qui précède le dimanche des Rameaux. — Ce chapitre est rapporté tout entier dans mes Recherches sur la chronologie arménienne (t. Ier, 1re part.) J’y ai expliqué le comput particulier d’Irion, et en quoi il diffère de celui que suivaient les Arméniens.

[24] C’est-à-dire la période pascale de 532 ans, qui est formée du cycle solaire de 28 ans multiplié par le cycle lunaire de 19 ans. Après chacune de ses révolutions, les dates de la Pâque reviennent dans le même ordre qu’auparavant, aux mêmes quantièmes mensuels et aux mêmes fériés. C’est la période connue en Occident sous le nom de Victorienne ou Dionysienne.

[25] Matthieu d’Édesse prétend que les chrétiens qui furent massacrés dans l’église de la Résurrection étaient au nombre de dix mille, et que leurs ossements se voyaient encore, de son temps, conservés dans une caverne à l’occident de Jérusalem, et étaient vénérés sous la dénomination de Reliques des jeunes gens.

[26] La Chronique de Matthieu d’Édesse est effectivement divisée en trois parties, dont la première s’étend depuis 952 jusqu’en 1051 : la seconde jusqu’en 1161, et la troisième jusqu’en 1136.

[27] Le patriarche Grégoire Vahram fait allusion principalement par ces dernières paroles, avec la réserve que lui prescrivaient son caractère sacerdotal et sa haute position comme catholicos, aux Francs, qui occupaient le comté d’Édesse, le nord de la Comagène et la partie orientale de la Cilicie, pays peuplés d’Arméniens. Il rappelle en termes indirects, dans sa lettre, les accusations dirigées par les Grecs contre la croyance arménienne, et celles aussi auxquelles elle donnait lieu de la part des Latins.

[28] Dans mes Recherches sur la Chronologie arménienne, j’ai retracé l’histoire de ces contestations souvent sanglantes auxquelles donna lieu le comput pascal entre les Arméniens et les Grecs ; elles se reproduisirent encore en 1728.

[29] Chron. : C’est le combat livré auprès de Jaffa, et dans lequel les Sarrasins, qui étaient venus pour attaquer cette ville, furent défaits par Baudouin. La flotte qui débarqua en ce moment, et qui décida la victoire, comptait deux cents navires montés par des pèlerins parmi lesquels étaient d’illustres guerriers venus d’Angleterre et de Germanie. (Michaud, Hist. des Croisades, I. V.) — Par ces mots, le roi d’Egypte et celui de Damas, Matthieu désigne Schéref el-Mé’âli et Toghtékïn.

RHC : Baudouin, parvenu à Joppé, ne tarda pas à y être assiégé par les musulmans ; mais bientôt arrivèrent devant le port de cette ville deux cents navires montas par des pèlerins anglais et allemands. Les vaisseaux des musulmans, qui la bloquaient, les attaquèrent et furent repoussés ; ce combat fut livré un mardi du mois de juillet 1102. Les croisés purent ainsi entrer dans la ville, et trois jours après ils firent une sortie, avec Baudouin à leur tête, et mirent en fuite les musulmans, dont une partie se réfugia dans Ascalon, et l’autre, qui crut pouvoir échapper sur mer, fut engloutie par la tempête. Trois mille infidèles avaient péri dans l’action. Le lendemain, Baudouin retourna avec tous les pèlerins à Jérusalem (Albert d’Aix, IX, ix-xiii).

[30] Baudouin partit de Jérusalem pour aller assiéger Ptolémaïs ; mais, n’ayant point de flotte, il fut oblige d’abandonner son entreprise, après avoir tué quelques habitants et enlevé des troupeaux et du butin. Voulant revenir par Césarée, il rencontra des brigands à Pierre-Incise (Petra Incisa) dans le lieu appelé Distrutam, auprès de Tyr, entre Capharnaüm et Dora ; les uns furent tués, les autres mis en fuite ; mais l’un d’eux atteignit par hasard le roi d’un trait dans la région du cœur. L’art des médecins conserva la vie à Baudouin ; mais cette blessure lui causa jusqu’à sa mort de cruelles souffrances (Guillaume de Tyr, X, xxvi).

[31] L’explication de l’expression Petite Semaine ne nous étant fournie par aucun auteur, nous allons essayer d’en déterminer la signification. Açogh’ig (II, 2) dit positivement que la Petite Semaine tombe dans le carême de Pâques. En 1103, cette fête se rencontra le 29 mars, et le dimanche de la Quadragésime le 9 février. Des sept semaines pleines dont se compose le carême arménien, Il y en a une à laquelle ne saurait convenir l’expression précitée ; c’est la Semaine sainte ou Grande Semaine, Arak schapat. D’un autre côté, le 1er de navaçart de cette année coïncida avec le 24 février, lundi de la 3e semaine du carême. Il en résulte que la Petite Semaine ne peut être que l’une des quatre comprises entre la 3e et la 7e exclusivement. Peut-être est-ce celle qui précède la Grande Semaine, et qui, par opposition, aurait reçu le nom de Petite Semaine, quel qu’il en soit, le désastre qui cette année frappa Édesse dut avoir lieu dans l’intervalle du jeudi 27 février au jeudi 19 mars.

Cette inondation n’est pas la seule qu’ait produite la rivière Daïsan ou Scirtus, et qui ait été fatale à Édesse. Evagre, Théophane, Cedrenus, Zonaras et l’auteur de la Chronique d’Édesse en mentionnent une encore plus terrible, qui eut lieu en 525, et qui fit périr une multitude de personnes. Le même événement se reproduisit, suivant Denys de Tel-Mahar, en 753, et, suivant Théophane, en 725 et en 750. — Le Scirtus ou Daïsan prend sa source dans le Taurus, au nord-ouest d’Édesse, coule à l’ouest de cette ville et va se Jeter dans le Balissus ou Ballas, l’un des affluents de l’Euphrate. Cf. Bayer, Historia Osrhoena et Édessena, in 4°, Petropoli, 1754 et de Spruner, Atlas antiquus.

[32] Vartan dit, comme Matthieu, que la rançon de Bohémond fut de 100.000 tahégans, et que Kogh-Vasil y contribua pour 10.000. On lit dans Raoul de Caen (Gesta Tancredi, apud Muratori, Rerum italicarum scriptores, t. V, p. 286). Boamundus revertitur decem myriadibus michelatorum vix redemptus. Les Chroniqueurs arabes portent cette rançon à 100.000 dinars, et ajoutent que Bohémond s’engagea à remettre en liberté la fille de Bàghi-Siân, qui était retenue captive à Antioche. D’après Albert d’Aix (IX, xxxiii-xxxviii), l’empereur Alexis offrit à Danischmend, qui avait en son pouvoir le prince d’Antioche, une somme de 260.000 besants pour le racheter ; il espérait, en se rendant maître de sa personne, se délivrer des craintes que Bohémond lui inspirait. Mais Soliman (Kilidj Arslan), apprenant cette proposition, écrivit à Danischmend pour fui réclamer la moitié de la rançon : Danischmend, qui désirait garder le tout, demanda conseil à Bohémond, dont il connaissait l’habileté et l’esprit fertile en expédients. Celui-ci lui offrit 10.000 besants, que fourniraient ses amis et ses parents, en échange de sa liberté. Le prince turcoman accepta. et la somme convenue fut bientôt réunie, tant à Antioche qu’à Édesse et en Sicile. Bohémond revint à Antioche l’année de la prise de Ptolémaïs.

[33] C’est-à-dire Basile le Voleur : on lui avait donné ce surnom parce qu’il tombait toujours à l’improviste sur l’ennemi. Il faisait sa résidence à Kéçoun, ville de la Comagène, au nord-est de Marasch ; il possédait en 1112, à sa mort, tout le district de Hisn Mansour, qu’il avait enlevé aux Francs. Il avait reçu de l’empereur Alexis le titre de sébaste. Sa cour était le séjour de tout ce que l’Arménie avait alors de chefs illustres, et le siège patriarcal avait été transféré dans ses Etats. (Cf. chap. lx.) Il était le frère de Pakrad, ou Pancrace, seigneur d’Arévêntan. Albert d’Aix l’appelle Corouassilius, Guillaume de Tyr Covasilius.

[34] Ces deux mots sont plutôt un titre qu’un nom propre ; oulough en Turc signifie grand, magnifique, et salar, comme nous l’avons vu déjà, général d’armée. — On lit dans un de nos mss. Sarkh-salar. — Cet émir était sans doute un des officiers du prince Ortokide Nedjm ed-din Ilgazi, qui d’abord avait été gouverneur de Bagdad pour les sultans seldjoukides de Perse, et qui, après la mort de son frère Soukman, occupa Mardin. Ilgazi devint un des princes les plus puissants de la Syrie (1117) et soutint de nombreux combats contre les Croisés. Il mourut dans le mois de ramadan 516 hég. = novembre 1122, suivant Abou’l Méhacen, Ibn Alathir, Aboulféda et Ibn Djouzi, date qui se rapporte à celle donnée par Matthieu. Ibn Djouzi ajoute que d’autres fixaient la mort d’Ilgazi en 515 hég. (1121 - 1122) ; et qui s’accorderait avec l’époque marquée par Guillaume de Tyr (XII, 14), qui indique l’année 1121 de l’incarnation. — En 511 de l’hégire (1117 - 1118), les habitants d’Alep, fatigués des perturbations qu’occasionnait dans le gouvernement la minorité de Sultan Schah, fils de Radhouân, tour à tour livré à des tuteurs (atabeks) différents, et craignant les Francs, remirent leur ville à Ilgazi, qui en confia la défense à son fils Houçam ed-din Timourtasch. (Aboulféda, Ann. t. III).

[35] Jean V, dans la liste de Schahkhathouni.

[36] Schems eddaula Djekermisch, émir de Djézireh Ibn ‘Omar, avait succédé en 495 hég. (26 oct. 1101 - 14 oct. 1102) à Kerbogâ dans la principauté de Mossoul. Il se rendit maître de cette ville après que le Turcoman Mouça, appelé par les habitants pour être leur souverain, eut été assassiné par les soldats de garde, avant même d’avoir pris possession de cette principauté. —Aboulféda, Ann. t. III.

[37] Les habitants de Khar’an, pressés par la famine, vinrent au camp des croisés faire leur soumission. Une contestation s’éleva alors entre Bohémond et Baudouin, pour décider auquel des deux se rendrait la ville, et quel étendard y flotterait le premier. Ils résolurent de retarder au lendemain pour avoir le temps de vider leur différend. Mais avant l’aurore arrivèrent en nombre considérable les Turcs, qui, après un court engagement, mirent en déroute les chrétiens. Baudouin et Josselin furent faits prisonniers, ainsi que Benoît, archevêque latin d’Édesse, qui, avec Bernard, patriarche d’Antioche, et Humbert, patriarche de Jérusalem, avait accompagné l’expédition. Les Turcs le mirent sous la garde d’un chrétien, qui eut pitié de lui et le laissa s’échapper, l’archevêque rentra quelques jours après à Édesse. Guill. de Tyr. X, xxiv et xxx.) Soukman et Djekermisch, qui avaient réuni leurs forces, comptaient sous leurs ordres : le premier, sept mille cavaliers Turcomans ; et le second, trois mille cavaliers Turcs, arabes ou kurdes. Ils rencontrèrent les chrétiens sur les bords de la rivière Balikh, qui se jette dans l’Euphrate au-dessus de Rakka. et ou l’on en vint aux mains. Les musulmans ayant simule la fuite, les chrétiens les poursuivirent l’espace de deux parasanges ; mais les infidèles, ayant fait volte-face tombèrent sur eux et les culbutèrent. Une grande quantité de troupeaux et de richesses tombèrent entre les mains des Turcomans de Soukman, qui prirent aussi Baudouin. (Ibn Alathir et Aboulféda, ad annum 497).

[38] C’est-à-dire château de Keïfa, bourg sur la rive orientale du Tigre, au sud d’Amid. Indjidji (Arm. mod.) pense que c’est peut-être l’ancienne forteresse de Kentzi, dans la quatrième Arménie.

[39] Ce récit sur le voyage et la fin de Bohémond en Europe est évidemment apocryphe. Ce récit du voyage et de la fin de Bohémond en Europe est évidemment un roman qui avait cours parmi les populations orientales et que Matthieu a reproduit. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce prince, se voyant à bout de ressources et dans l’impossibilité de résister aux Grecs et aux musulmans, imagina, pour sortir d’embarras, un stratagème dont les détails singuliers sont racontés par Anne Comnène (liv. XI, in fine ; cf. Guillaume de Tyr, XI, i et vi). Il se fit passer pour mort et se renferma dans un cercueil qui fut placé, avec un grand appareil funèbre, sur un navire tendu de noir. Il sortit ainsi sans accident du port Saint-Siméon. Lorsque le navire fut parvenu à Korypho (Corfou) Bohémond ressuscita tout à coup et apparut aux regards étonnés des habitants qui étaient accourus. Il se rendit à Rome, où le pape l’accueillit comme un héros et un martyr, et ensuite à la cour de Philippe Ier, roi de France, qui le traita magnifiquement et lui donna en mariage sa fille Constance, épouse séparée d’Hugues, comte de Champagne. Ayant réussi à rassembler une armée, dans le but avoué d’aller au secours des Saints-Lieux, il se jeta sur les terres de l’empire grec et attaqua la ville de Dyrrachium (Durazzo), en Illyrie. Mais il échoua et se retira dans sa petite principauté de Tarente où il mourut au commencement de mars 1111, ne laissant qu’un fils encore enfant, qui plus tard lui succéda en Palestine. Il avait eu un autre fils nommé Jean, mort en bas âge. —Voir Romuald de Salerne, apud Muratori, Rerum italicarum scriptores, t. VIII. Cf. Guill. de Tyr, XI, 1 et 6.

[40] Mohammed ou Ismaël-ibn-el Danischmend mourut, suivant Aboulfaradj (Chron. syr.), en 1417 des Grecs = 1106 ère chr.

[41] Voir la généalogie des princes Turcomans de Cappadoce, à la fin du volume.

[42] Ainsi que l’a fait observer Silvestre de Sacy (Notices et extraits des manuscrits, t. IX), Daph’ar est très probablement le nom turc d’Abou Schodja Mohammed Ghiâth ed-din, frère et successeur de Barkiarok. Anne Comnène le fait fils de Barkiarok. Du Cange, dans ses Notes sur l’Alexiade, s’est également mépris sur l’identité de ce prince, en le confondant avec son père Mélik Schah.

[43] Suivant Matthieu d’Édesse (t. Ier de la Bibl. hist. arm. chap. cxxxix), la femme de Mélik Schah, Turcan Khatoun, était fille du sultan de Samarcande, de la rare des Tartares du kiptchak. D’après Hamdallah Mustaufy (Tarikh i Guzideh, apud M. Defrémery, Journ. asiat.). elle était fille de Thogmadj khan, fils de Boghra khan, fils de Nasr, fils d’Ilek khan, fils de Boghra khan l’Ancien, souverains de la race des Tartares Hoei-ke, dans le Mâwarâ-el-Nahar.

[44] Il existe sur la mort de Mélik Schah une autre version, que nous fournit Aboulfaradj (Chron. syr.). Il dit qu’en l’année 485 hég. (1093) un différend s’éleva entre Mélik Schah et le khalife. Celui-ci avait épousé la fille du sultan ; Mélik Schah voulait que le fils qui naîtrait de cette union fût déclaré khalife et successeur de ce dernier. Sur le refus de son gendre, le sultan lui envoya dire de sortir de Bagdad. Le khalife répondit : « Je ferai ce que tu m’ordonnes ; mais laisse-moi dix jours seulement pour faire mes préparatifs de départ. » Le septième jour, le sultan fut pris d’une fièvre ardente à laquelle il succomba. Le bruit courut qu’un esclave kurde l’avait empoisonné. Après sa mort, sa femme Turcan Khatoun, qui était d’une prudence consommée, prit les rênes de l’administration, et le fils de Mélik Schah, Mahmoud, âgé seulement de cinq ans, fut proclamé sultan à Bagdad.

[45] Thoros Ier est le troisième des princes roupéniens de Cilicie, et le successeur de Constantin Ier. Il régna de 1100 à 1129.

[46] Moïse de Khoren et David le Philosophe, surnommé l’Invincible, auteurs du Ve siècle ; le premier, célèbre surtout par son Histoire d’Arménie, écrite avec une grande érudition et une admirable élégance de style ; le second, par ses travaux sur Aristote. Les Arméniens les comprennent dans cette pléiade d’écrivains et de savants que produisit leur pays au ve siècle, et qui s’appliquèrent à faire passer dans leur langue les chefs-d’œuvre de la littérature grecque. Comme un de leurs travaux les plus estimés est la traduction de la Bible sur le texte des Septante, ils sont désignés et honorés dans l’Église arménienne sous le titre de saints traducteurs.

[47] Grégoire III, dit le Bahlavouni, c’est-à-dire issu de la race royale des Arsacides, était fils du prince Abirad, fils d’une sœur de Grégoire II. C’est lui qui acheta à la veuve et au fils de Josselin le jeune la forteresse de Hr’om-gla’. où il établit la résidence patriarcale, et qu’il transmit à ses successeurs. Il occupa le siège de 1113 à 1166. Il assista au concile que tint à Jérusalem le légat du pape, Albéric, évêque d’Ostie, en 1136, le troisième jour après Pâques, 25 mars, quelques points de dogme, controversés entre les Arméniens et les Latins y furent discutés et réglés, et le catholicos promit d’opérer plusieurs réformes dans le rite et la discipline, (Guillaume de Tyr, XV, xviii. Cf. mon ouvrage intitulé : Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l’Eglise arménienne orientale)

[48] Le 12 juin. — Cf. mes Recherches sur la chronologie arménienne. —On peut consulter le même ouvrage pour la discussion des quantièmes mensuels dont la concordance est donnée dans la suite de la chronique du Matthieu.

[49] Mogk’, l’une des quinze provinces de la Grande Arménie, au nord-est de la Mésopotamie syrienne.

[50] Kharsina. Suivant le dictionnaire des noms ethniques arabes, intitulé Lobb el-lobâb (éd. Veth). C’était une localité de Syrie ; l’auteur du Merâcid el-itthila dit que c’était une ville du pays de Kouni, dans le voisinage de Mélitène. D’après Aboulfaradj (Chron. syr.), elle était située près du château d’Abdabar non loin de l’Euphrate et ce chroniqueur en montre clairement la position, lorsqu’il nous apprend qu’une partie de la montagne voisine, s’étant écroulée dans là vallée qui est entre le château d’Abdabar et la ville de Kharschéna, arrêta le cours de l’Euphrate pendant trois heures. On fit dans Assetnani (Bibliotheca orientalis, t. II, Dissertatio de Monophysitis) : « Urbs Cyrrhesticae » apud Mabugum (Menbêdj) seu Hierapolim, armenis Cilicia régibus subjecta. » Toutes ces indications, rapprochées de celles que fournit Matthieu, qui place Kharsina dans le voisinage du territoire de Marasch, fixent la position de cette ville dans la partie de la Syrie appelée Euphratèse, vers le nord. Il paraît donc certain que notre Kharsina ou Kharschéna ne saurait être identifiée, comme on a voulu l’établir, avec une localité aussi éloignée que le Charsianum castrum. En effet, le Thema Charsianum, où s’élevait le château fort du même nom, était traversé par le fleuve Halys et formait le centre de là Cappadoce, en y comprenant Césarée. C’était l’une des trois divisions que la Cappadoce avait reçues sous Justinien ou l’un de ses successeurs immédiats (Cf. Constantin Porphyrogénète, De Thematibus, lib. I, et De admin. imper, cap. l), et elle était séparée de l’Euphrate par le Thema Sebastea. Je n’ai point à m’occuper ici de savoir si quelquefois les auteurs arabes ont confondu la Kharsina de l’Euphratèse avec le Charsianum castrum de la Cappadoce, en prolongeant le territoire du Thema Charsianum jusqu’à l’Euphrate ; il me suffit d’avoir prouvé par les passages que j’ai rassemblés et notamment par ceux de Matthieu d’Édesse et d’Aboulfaradj, dont l’autorité est sur ce point d’autant plus grande qu’ils vivaient dans des pays voisins de la localité susmentionnée, que cette localité était située sur la rive orientale de l’Euphrate.

[51] La mort de Raymond de Saint Gilles arriva le 28 février 1105, deux ans après la prise de Ptolémaïs. (Guillaume de Tyr, XI, ii ; Albert d’Aix. IX, xxxii).

[52] C’est-à-dire le Château Pèlerin.

[53] Matthieu se trompe : Bertrand était fils de Raymond de Saint-Gilles. Son erreur vient de ce qu’il a confondu Bertrand avec le petit-cousin de Raymond, Guillaume Jourdain, comte de Cerdagne, qui prenait part avec ce dernier au siège de Tripoli, et qui, après sa mort, le continua pendant quatre ans. Au bout de ce temps, Bertrand arriva en Palestine avec une flotte génoise pour réclamer les conquêtes de son père Raymond. Guillaume Jourdain refusa d’abord de les lui rendre, mais par suite d’une entrevue qui eut lieu entre eux, et grâce à l’intervention d’amis communs, il fut convenu que Guillaume aurait les villes d’Arka et Tortose, et Bertrand, Tripoli, Byblos et le Mont-Pèlerin. Guillaume Jourdain étant mort quelque temps après, Bertrand resta seul maître des possessions de son père. Guill. de Tyr, XI, 2 et 9.

[54] Ablastha, ville appelée aujourd’hui par les Arméniens Albesthan ou Elbisthan, et située auprès de la source du Seyhan, dans le nord de la Cilicie.

[55] Ces récriminations amères des Arméniens contre les Francs, reproduites par Matthieu ici et en une foule d’autres endroits, sont des aveux très curieux à noter, parce qu’elles forment la contrepartie des accusations que les Occidentaux faisaient entendre à leur tour contre les chrétiens indigènes, et que l’on trouve consignées dans les historiens latins. Ce mécontentement réciproque explique l’attitude, hostile des chefs Francs, et principalement des comtes d’Édesse, a l’égard des Arméniens, leurs sujets, et les mesures rigoureuses dont ils usèrent quelquefois contre eux.

[56] C’est la même comète dont l’apparition est mentionnée par Ibn Alathir à l’année 499 hég. (13 sept. 1105 – 1er sept. 1106). « En cette année, dit-il, au mois de rabi’ 1er, apparut dans le ciel un astre dont la chevelure était comme l’arc-en-ciel, et s’étendait de l’occident jusqu’au zénith. On aurait cru voir le soleil pendant la nuit, avant qu’il se montre à l’horizon. Après avoir brillé pendant plusieurs nuits ; cette comète disparut. »

[57] Matthieu d’Édesse entend ici la partie septentrionale de la Syrie.

[58] L’auteur veut parler sans doute de l’expédition commandée par le prince d’Alep Radhouân, et dans laquelle il fut battu par Tancrède auprès de Schéïzar, et forcé de prendre la fuite. Les chrétiens firent un très grand nombre de captifs, et s’emparèrent de la forteresse d’Artah. Les musulmans étaient commandés par Ridhouân, prince d’Alep, dont l’étendard tomba au pouvoir des chrétiens, et qui prit la fuite le premier. (Guillaume de Tyr, XI, 11, et Albert d’Aix. IX, xlvii. ) Suivant Kemal ed-din (ad annum A98), les Arméniens d’Artah, secouant le joug des Francs, s’étaient donnés à Ridhouân, et c’est pour les faire rentrer dans l’obéissance que Tancrède se mit en campagne. — Ibn Alathir et Aboulféda, ad annum 498 ; Guill. de Tyr, XI, 2.

[59] Djâwali Sakâwa ou Ben Sakâwa fut d’abord gouverneur de Mossoul, puis vice-roi de la province de Fars en Perse, en qualité d’atabek ou tuteur d’un enfant de deux ans, nommé Djaghry, fils du sultan Mohammed. Il mourut en 510 hég. (1116 - 1117) suivant Aboulféda.

[60] Voici le récit abrégé de la mort de Djekermisch et de Kilidj Arslan dans Aboulféda (ad annum 500) : « Le sultan de Perse Mohammed ayant donné à Djâwali le gouvernement de Mossoul, que possédait déjà Djekermisch, celui-ci s’avança à la tête de ses troupes pour repousser son compétiteur ; mais il fut défait et tomba entre les mains de Djâwali. Djekermisch, sexagénaire et paralytique, s’était fait porter au combat dans une litière. Djâwali le fit promener chargé de fers tout autour de Mossoul, exhortant les habitants à se rendre ; mais ils s’y refusèrent. Djekermisch succomba au milieu de ces indignes traitements. Cependant les habitants de Mossoul appelèrent à leur secours Kilidj Arslan, fils de Soleïman, fils de Koutoulmisch, sultan de Roum. A la nouvelle de son arrivée à Nisibe, Djâwali se sauva et se dirigea vers Rahabah. Kilidj Arslan s’empara alors de Mossoul, puis se mit à la poursuite de Djâwali. Sur ces entrefaites, celui-ci ayant grossi ses forces de celles de Radhouân, prince d’Alep, et d’autres émirs, en vint aux mains avec Kilidj Arslan auprès du fleuve Khabour. Le sultan fut vaincu, et, voulant se sauver, se jeta dans le fleuve, où il se noya. Alors Djâwali revint sur Mossoul, qui se rendit à lui. »

[61] Ou bien Pertous, Pertounk’ et Pertouk’, château fort situé dans le voisinage de la forteresse de Gaban, et comme le texte nous porte à le croire, sur le territoire de quelque église ou couvent.

[62] Forteresse sur les limites du district de Dchahan, au sud-est, non loin de Haçan Méçour. — Tchamitch, t. iii, Index, et Mékhithar abbé, Dict. des noms propres. Haçan-Méçour, ville de la Petite Arménie, située dans le district du même nom, au sud de Mélitène, près de Samosate, et sur la rive droite de l’Euphrate. La dénomination vulgaire Haçan Méçour ou Hacen Méçour est une corruption de l’arabe Hisn Mansour, « forteresse de Mansour », ainsi appelée parce qu’elle fut bâtie du temps de, Merwân, le dernier des khalifes omeyyades, par Mansour ben Djou’ounah el-Amery. (Aboulféda, Géographie ; Merâcid el-itthila, t. 1)

[63] Harthan, forteresse située sur les limites du district de Dchahan, au sud-est, non loin de Haçan Méçour.

[64] Ablaçath était de l’illustre famille des Mamigoniens, laquelle tirait son origine du pays des Djên ou la Chine, et était venue s’établir en Arménie sous les règnes de Tiridate II et de Saper Ier, fils d’Ardeschir, roi de Perse. — Cf. Moïse de Khoren, II, 81. — Ablaçath fut tué en 1112 dans un combat contre les Turcs.

[65] Le mot Dgh’a’, surnom du jeune Vasil, signifie en arménien enfant. Vasil Dgh’a’ était de la famille Gamçaragan, qui descendait des souverains arsacides de Perse par la branche Garên Bahlav. Il succéda à Kogh-Vasil dans sa principauté.

[66] La qualification de sultan d’Arménie, que l’on lit dans tous nos manuscrits, pourrait peut-être conduire à penser qu’il s’agit ici de Soukman el-Kothby, roi de Khélath, ville située au nord ouest du lac de Van. Après avoir été comme mamelouk au service de Kothb ed-din-Ismaïl prince seldjoukide de l’Azerbaïdjan. Il devint maître de Khélath et de plusieurs villes voisines, avec le titre de Schah-Armên (roi d’Arménie), qu’il transmit à ses descendants. Il régna depuis 593 hég. (1090) jusqu’en 606 (1112). Aboulféda, t. III. — Tchamitch (t. III) prétend que cette seconde expédition des Perses contre la Cilicie, entreprise en 1407, était commandée par le sultan de Perse Mohammed (Daph’ar) en personne. Mais Matthieu d’Édesse, qu’il cite comme garant de cette assertion, ne donne pas le nom du sultan chef de cette expédition. — Telle, est l’opinion que j’ai émise dans ma traduction de Matthieu d’Édesse (Biblioth. Histor. armén. t. I) sur la possibilité d’identifier le sultan d’Arménie, dont parle ici notre auteur, avec Soukman el-Kothby. Mais, en y regardant de plus près, je crois que cette opinion n’est pas exacte ; si l’on tient compte de la direction que suit l’année des Turcs, de la plaine d’Anazarbe vers Marasch et delà vers Pertousd, sur le territoire de Kogh-Vasil, c’est-à-dire de l’ouest a l’est, on a lieu de croire qu’il s’agit d’une expédition partie des Etats du sultan d’Iconium ; et cette induction est corroborée par le titre même de sultan d’Arménie. En effet, nous savons, par plusieurs monnaies présentant des légendes bilingues, en arménien et en arabe, où figurent les noms du roi Héthoum Ier et des sultans Ala ed-din Keï-Kobad, et Ghiâth ed-din Keï-Khosrou ben Keï-Kobad, que les princes d’Iconium se considéraient comme suzerains de l’Arménie et furent reconnus quelquefois comme tels par les Arméniens eux-mêmes. (Cf. Numismatique de l’Arménie au moyen âge, par M. V. Langlois, p. 55-57, et planches I, n° 11 et 12 ; II, n° 1, et IV, n° 4). En même temps je dois faire remarquer que M. Langlois s’est trompé en donnant à ces sultans, le père et le fils, le même prénom, Ghiâth ed-din, tandis que le père, Keï-Kobad, portait celui de Ala ed-din, comme nous le savons par les historiens et comme on le fit distinctement sur la médaille de ce prince (ibid. planche IV, n° 4).C’est en vertu de cette prétention que les souverains d’Iconium durent prendre le titre de sultan d’Arménie. Du reste, aucun auteur, que je sache, autre que Matthieu, ne mentionne ces deux expéditions des Turcs d’Iconium contre la Cilicie.

[67] « En l’année 502 hég. (11 août 1108 - 30 juil. 1109) le sultan Ghiâth ed-din Mohammed ayant envoyé Maudoud à la tête d’une armée considérable contre Djâwali, émir de Mossoul, celui-ci, après avoir fortifié cette ville et y avoir laissé sa femme, qui était la sœur de Boursoukh, partit pour aller chercher du secours. Il amenait avec lui Baudouin du Bourg, qu’il retenait dans les fers à Mossoul, et qui avait été fait précédemment prisonnier par Djekermisch. Il lui rendit alors la liberté, à condition qu’il lui paierait une rançon de 70.000 dinars, qu’il relâcherait les musulmans captifs, et que dans toutes les occasions où il aurait besoin de ses services, il accourrait avec les Francs : et en outre, qu’il resterait à Kala’-Dja’bar jusqu’à ce que sa rançon eût été payée. Baudouin fut donc libre, et ayant fait venir Josselin, fils de sa sœur, et l’ayant laissé comme caution, il partit pour aller chercher la somme promise. Djâwali ayant revêtu Josselin d’un costume royal, et lui ayant donné son propre cheval, le renvoya à son oncle Baudouin afin qu’il fit bâter l’envol de la rançon et la délivrance des musulmans. Josselin s’étant rendu à Antioche, députa Tancrède vers Djâwali avec 30.000 dinars et 100 captifs, hommes ou femmes, qui étaient du territoire d’Alep. » — Aboulfaradj, Chron. syr. — Guillaume de Tyr (XI, viii) place en 1109 la délivrance de Baudouin, qu’il appelle consobrinus de Josselin, et qui était resté cinq ans dans les fers.

[68] Raban, ville et district de l’Euphratèse, entre Marasch et Kéçoun, et au sud-ouest de cette dernière ville. — Mékhithar abbé, Dictionnaire précité, et Tchamitch, t. III, Index.

[69] Les Patzinaces ou Petchénègues, peuple de race turque, étaient fixés originairement entre l’Atel ou Volga et le Geech ou Yaïk (Oural), suivant Constantin Porphyrogénète (De admin. imper. ch. xxxvii). Sur la fin du xe siècle, les Ouzes, s’étant ligués avec les Khazars, qui habitaient la Chersonèse Taurique, attaquèrent les Patzinaces et les obligèrent à leur céder le territoire qu’ils occupaient. Les Patzinaces, dans cette émigration forcée, tombèrent sur les Ouzes, les chassèrent devant eux, et se répandirent jusqu’au delà du Danube. Une partie resta confondue avec les Ouzes, et les autres passèrent dans les pays dont les Turcs s’étaient emparés cinquante ans environ auparavant ; ils se partagèrent toutes les terres qui sont sur le cours inférieur du Danapris (Dniepr) ou Borysthène. Leurs incursions s’étendirent dans la Russie méridionale et désolèrent aussi l’empire byzantin. Sous Alexis Comnène en 538 de l’ère arménienne (27 février 1089 - 26 février), au rapport de Matthieu d’Édesse, les Patzinaces vinrent piller la Thrace et la Macédoine. et défirent les impériaux. Mais, dans une seconde rencontre, l’armée grecque, forte de trois cent mille hommes recrutés parmi diverses nations, parvint à mettre le feu aux chars sur lesquels les Patzinaces combattaient, et remporta une victoire complète. Le roi des Patzinaces resta mort sur le champ de bataille, sa famille fut exterminée et son royaume réduit en province de l’empire. Depuis cette époque, les souverains de Constantinople se servirent des soldats Patzinaces comme garnison, principalement dans les villes d’Asie. (Voir M. Fréd. Neumann, Die Völker des südlichen Russlands, Leipzig, 1807)

[70] Aréventan, forteresse de l’Euphratèse, à l’ouest, et près de la ville de Gouris ou Kouris ; à cette époque, elle appartenait, avec le district environnant, à un chef arménien, nommé Pakrad. —Tchamitch, t. III. Les Arabes la nomment Rawendan, et Guillaume de Tyr Ravandel.

[71] Voici comment Aboulfaradj rend compte de ce combat et des causes qui le provoquèrent : « Radhouân, irrité contre Djâwali, qui dévastait ses possessions, demanda du secours à Tancrède, et obtint de lui 1.500 cavaliers francs auxquels Radhouân joignit 500 cavaliers Turcs. Baudouin et Josselin accoururent au secours de Djâwali. L’action s’engagea auprès de Tellbâscher. L’avantage resta aux Francs et aux Turcs qui étaient du parti de Radhouân ; un grand nombre de Turcs périrent. Les Francs ne combattaient pas les uns contre les autres corps à corps ; montés sur leurs chevaux, ils se bornaient à se lancer des flèches. Baudouin et Josselin se réfugièrent à Tellbâscher, ainsi qu’une partie des Turcs de Djâwali, qui lui furent renvoyés après qu’ils eurent été guéris de leurs blessures. Ibn Alathir (ad annum 502) rapporte ces faits à peu près de la même manière. Il dit que Djâwali plaça à l’aile, droite de son armée les émirs Aksiân, Altoun Tasch et autres ; à la gauche, l’émir Bedrân ben Sadaka, l’isbahbed Sabâwah et Sonkor Daraz ; et au centre, Baudouin et Josselin. (Cf. le récit de Kemal ed-din, apud M. Defrémery, Récit de la première croisade, dans ses Mémoires d’histoire orientale.)

[72] Cette forteresse, qui servait de citadelle à répandait Baudouin, et dont Édesse faisait les frais, Édesse, avait reçu le nom de Maniacès, en souvenir du protospathaire Georges Maniacès, qui, sous le règne de Romain Argyre ; s’en était emparé et s’y était maintenu, pendant longtemps, contre tous les efforts des émirs les plus puissants du voisinage (Cf. Matthieu d’Édesse, t. I de la Bibl. hist. arm. chap. XLIII.)

[73] On a déjà vu que les princes latins ne vivaient point en bonne intelligence avec leurs sujets arméniens ; l’impartialité exige de dire que les torts furent réciproques. Si ces princes accablaient d’exactions les populations qui s’étaient données volontairement à eux, et les traitaient en conquérants, à leur tour elles se montraient prêtes, au moindre nié- contentement, à pactiser avec les infidèles et à les attirer. Cette désunion entre Baudouin et les Edesséniens avait éclaté déjà peu de temps après qu’ils l’eurent choisi pour maître. Comme leur ville était inondée de Francs, attirés par les libéralités que répandait Baudouin et dont Édesse faisait les frais et empressés de prendre du service chez lui, douze des principaux habitants, mécontents d’ailleurs de voir leurs conseils négligés, et la direction des affaires remise aux mains des Francs, formèrent un complot. Ils envoyèrent secrètement vers les Turcs pour les engager à leur venir en aide pour tuer Baudouin et les siens, ou les chasser. Le comte, instruit par la révélation d’un des conjurés, qu’Albert d’Aix nomme Enxha, et confirmé dans le rap- port que cet homme lui avait fait par la contenance de ses complices, dont l’espérance avait ranimé la physionomie, fit saisir les conjurés par une bande de Français, manu Gallorum, a sa dévotion, et les fit jeter en prison. Puis il ordonna de transporter dans son palais ce qu’on put trouver de leurs richesses, qu’il distribua à ses officiers. Les coupables, qui avaient caché la majeure partie de leurs trésors et leurs effets les plus précieux dans les forteresses du voisinage, offrirent de se racheter pour une somme considérable. Baudouin, épuisé par ses prodigalités, finit par y consentir et reçut de chacun d’eux une somme de 20.000, 30.000 ou 60.000 besants, des mulets et des chevaux, des vases d’argent et autres objets de valeur. Deux seulement des conjurés furent privés de la vue ; d’autres, parmi les gens du vulgaire, eurent les jambes ou les bras coupés, et furent expulsés de la ville. Le beau-père de Baudouin, Taphnuz (Thoros), effrayé de ces exécutions, et craignant, s’il ne payait le reste de la dot qu’il devait encore à Baudouin, d’être mis à mort, s’enfuit dans ses forteresses au milieu des montagnes, et, malgré toutes les invitations de revenir, ne reparut plus. (Albert d’Aix, V, xvi-xviii ; Guillaume de Tyr, VII, vi.)

[74] Bosra ou Bostra, ville de l’Idumée orientale, dans le pays de Theman. C’est la capitale de la partie de l’Arabie située au midi de Damas et appelée Hauranitide. Déjà au ive siècle elle avait le rang de métropole de la Première Arabie. (Cf. Wesseling, In Hieroclis Syncedemum comment., éd. de Bonn). Son nom vulgaire était Bassereth.

[75] Ibn Alathir, Aboulféda et Noveïri fixent la date de la prise de Tripoli au 11 de dsou’lhiddjé 503 (21 juin 1110). Ibn Djouzi indique l’année 502, avec le même quantième de dsou’lhiddjé (10 juin 1109), date qui est identique avec celle qu’indique Guillaume de Tyr, XI, 10. Ce fut au roi de Jérusalem et à Bertrand, suivant ce dernier historien, que la ville se rendit, et non à Tancrède ; elle fut remise à Bertrand, qui, en retour, prêta hommage au roi.

[76] Schéref-eddaula Maudoud, fils d’Altoun-Tékïn ou Altoun-Tasch, général des armées de Mohammed Daph’ar. Il fut envoyé par ce prince contre Djâwali pour lui enlever Mossoul. Maudoud prit cette ville dans le mois de fer 502 hég. (sept. - oct. 1108). — Aboulféda, Ann. t. III, p. 378 et 382. — Guillaume de Tyr le nomme Menduc, et Albert d’Aix Malducus. Il avait le titre d’Isfaçalar ou Asbaçalar, que M. de Slane dans sa traduction d’Ibn Khallican rend d’une manière un peu vague par commander of the troops, et qui signifie littéralement général de la cavalerie. — Voir ch. CXLV.

[77] Notre ms. 95 lit ph’akiav, il s’enfuit, en parlant du comte d’Édesse, qui cherchait à éviter la présence de Maudoud. Les mss. de Venise portent khaph’etsav, il fut trompé en appliquant ce mot à Maudoud, qui se serait alors regardé comme ayant été la dupe de Baudouin. Ces deux leçons donnent l’une et l’autre un sens également admissible.

[78] Matthieu veut désigner ici le sultan Mohammed (Daph’ar).

[79] Guillaume de Tyr (XIII, xi) fixe la date de la prise de Bérouth au 27 (20, trad. franc.) avril 1111, deux ans après celle de Tripoli ; Foulcher Chartres (chap. xxxvi) en 1110. Suivant ce dernier historien, le siège, commencé en février, dura soixante quinze jours, ce qui nous porte vers la fin d’avril. Ibn Alathir, Ibn Djouzi et Elmakïn marquent à très peu près la même date, l’année 503 (30 juillet 1109 - 19 juillet 1110).

[80] Abelgh’arib ou Abelkharib était fils de Vaçag, et arrière petit-fils du prince Grégoire Magistros, de la famille arsacide des Bahlavouni. Il avait un frère nommé Ligos, dont il est parlé au ch. ccxxiv. (Cf. le Tableau généalogique de la famille de Grégoire Magistros, à la fin de Matthieu d’Édesse, tome 1er de la Biblioth. histor. arménienne).

[81] Bir, en arabe Birah, place forte de la Mésopotamie, située sur la rive orientale de l’Euphrate, à quelque distance et au nord-ouest de Khar’an.

[82] Schênav, place forte au nord-est et à trots heures de marche de Khar’an. On voit, au chap. CCVI, que l’émir arabe qui était alors maître de cette place s’appelait Mani’, nom que Matthieu a transcrit sous la forme Mni.

[83] Nour eddaula Balag, fils de Behram, fils d’Artoukh (Ortok), occupa d’abord la place forte de Sëroudj, qui lui fut enlevée par Baudouin ; il vint plus tard, en 517 (1er mars 1123 - 18 février 1124), s’emparer d’Alep sur Soleïman. L’année suivante, il alla assiéger Menbêdj ou Hiérapolis, qui appartenait à un émir nommé Haçan, son cousin. Guillaume de Tyr (XIII, si) l’appelle potentissimus Turcorum satrapa. Sa principale résidence était la forteresse de Kharpert, Quartapiert ou Catapiert (Guillaume de Tyr, XII, xvii), aujourd’hui Kharpout, dans le district de Dzoph’k (Sophène), situé dans la Quatrième Arménie, au sud de l’Euphrate méridional, Ar’adzani des Arméniens, Arsanias de Pline, le Mourad-tchaï actuel. Guillaume de Tyr raconte (XIII, 41) que, comme cette ville était voisine des possessions de Josselin le Vieux, comte d’Édesse, le prince franc rassembla aussitôt les troupes d’Antioche et celles de sa principauté, et marcha vers Menbêdj. Un grand combat fut livré, dans lequel Balag périt de la main de Josselin. Nous verrons (chap. CCXL) un récit de la mort de Balag, tout différent de celui du savant archevêque de Tyr, et conforme à la version adoptée par les auteurs arabes. — Matthieu d’Édesse entend par le sultan, grand émir de l’orient, le prince de Khélath, Soukman Elkothby, auquel appartenait le pays de Darôn et la forteresse d’Aïdziats, où il renferma Balag. Voir ch. CCVI.

[84] Athareb, château fort à environ deux parasanges et au nord d’Alep, suivant le Merâcid-el-itthiha’ ; Cerepum de Guill. de Tyr (XII, 9, 10, 11, et XIII, 15).

[85] Ibn Alathir (ad annum 503) affirme, au contraire, que deux mille hommes de la garnison furent passés au fil de l’épée par les Francs, et le reste fait prisonnier. Tancrède avait intercepté les vivres aux assiégés, qui bientôt se trouvèrent dans une position très difficile. Alors ils pratiquèrent une ouverture au mur du château pour faire une sortie vers le camp de Tancrède. Lorsqu’ils en furent près, un jeune homme Arménien de nation, vint lui demander l’aman et lui fit connaître ce qui se passait. Tancrède, se mettant en défense, les combattit si vigoureusement qu’il se rendit maître de la place. De là il se dirigea sur la forteresse de Zerdana, qu’il prit pareillement, et dont il traita les habitants comme ceux d’Athareb.

[86] La mer de Vasbouragan, ainsi appelée de la province de ce nom qui la borde à l’est. Elle est nommée aussi lac de Van, mer d’Agh’thamar ou de Peznounik’, Arsissa palus des anciens.

[87] Thelgouran ou Thoulkouran, en arabe Tellkouran, bourg fortifié de la Mésopotamie, situé à deux journées au sud d’Amid.

[88] Kaudêthil, bourg au sud-est et à six heures de marche de Bir, dans la Mésopotamie. Il est aujourd’hui en ruines.

[89] Dchoulman ou Dchôlman, village situé au sud-est d’Édesse, et habité par des Arabes.

[90] Ahmed-Yel (le brave) ben Ibrahim ben Wahsoudan, de la tribu kurde des Réwadis, émir de la ville de Méraga, dans l’Azerbaïdjan. D’après l’historien arabe Ibn Férat, cité par Et. Quatremère, dans son Mémoire sur les Ismaéliens, inséré au tome IV des Mines de l’Orient, il périt en 509 ou 510 hég. (1115 ou 1116), de la main des Bathéniens ou Assassins. Ibn Djouzi et Abou’l Méhacen placent sa mort en 508 (1114 - 1115 de J.-C.)

[91] Dans le nombre de nos manuscrits, les uns portent le sultan, les autres Soliman ; mais ce sont de mauvaises leçons. Il faut lire Soukman ; car nous savons positivement que Soukman el-Kothby (Cf. ch. CXCVIII) prit part à l’expédition dont il est ici question.

[92] Boursoukh, ou suivant la transcription arabe, Boursoukh était l’un des fils de Boursoukh, qui avait été compagnon de Thogrul beg, et le premier schihneh ou représentant de ce sultan, à Bagdad.

[93] Schéïzar, ville de Syrie, sur l’Oronte, dans le voisinage et au nord-ouest de Rama, anciennement Larisse ; Casara de Guillaume de Tyr, et Sézer de Nicétas Choniatès ; aujourd’hui Kala’-Séïdjar.

[94] Albert d’Aix, en racontant cette expédition, donne la liste des vassaux de la principauté d’Antioche qui accoururent au secours de Tancrède, et dans le nombre il énumère les chefs arméniens de la Cilicie. Cette mention nous apprend que les princes d’Antioche se regardaient connue suzerains de ces chefs ; mais il est fort douteux que ceux-ci reconnussent la légitimité de cette prétention. L’historien latin dit : « Venerunt et Paneras (Pakarad, seigneur d’Arevëntan) et Corrouasilius (Kogh-Vasil) de civitate Crasson (Kéçoun) ; Ursinus quoque de montanis Antiochiae, (le prince Oschïn de Lampron) ; Antevellus (le prince Roupénien Thoros Ier) et Léo frater ejus (Léon Ier). A Maudoud s’étaient joints comme auxiliaires l’atabek Toghtékïn, Ahmed-Yel le Kurde, Soukman el-Kothby, Boursouk fils de Boursouk, et autres émirs. (Cf. le fragment de Kemal ed-din, traduit par M. Defrémery, sous le titre de Récit de la première croisade, dans ses Mémoires d’Histoire orientale). L’issue de cette invasion de Maudoud est marquée par Albert d’Aix à la fin de septembre (le 23), in festo Sancti Michaelis archangeli. (Cf. Foulcher de Chartres, ad annum mi, cap xxxvii. ; Kemal ed-din raconte que les confédérés musulmans étaient arrivés, dans leur marche vers Antioche, à Maarraten-no’mân le 39 de séfer 505 (14 septembre 1111).

[95] Ibn Alathir raconte à l’année 505 hég. (10 juil. 1111 - 27 juin 1112), que Soukman el-Kothby s’étant porté contre Alep avec plusieurs autres émirs, ses confédérés, tomba malade devant cette ville, et qu’en s’en retournant Il mourut à Buis. Les siens l’avaient placé dans un cercueil pour le transporter chez lui, lorsqu’ils furent surpris par Ilgazi, qui tomba sur eux puer les faire prisonniers et les piller. Alors Ils mirent le cercueil au milieu d’eux, et ayant repoussé Ilgazi, lui enlevèrent le butin qu’il portait avec lui ; après quoi ils rentrèrent dans leur pays.

[96] Matthieu donne à l’un des assassina de Kakig l’épithète de déicide, en assimilant le meurtre d’un roi, qui avait reçu l’onction du sacre, au crime des Juifs qui crucifièrent Jésus-Christ.

[97] Le lundi 22 avril. Dans l’Eglise arménienne, le lendemain de Pâques, ainsi que des autres grandes fêtes, Epiphanie. Transfiguration, Assomption, Exaltation de la Croix, est consacré à prier pour les morts. En mai, Pâques tomba le 21 avril, et le lendemain 22, lundi, jour des Morts, correspondit au 1er du mois de sahmi dans l’année arménienne 561 qui s’ouvrit le 22 février.

[98] Saçoun ou Saçounk, forme vulgaire du mot Sanaçounk’, nom d’un district montagneux et considérable de la Mésopotamie arménienne, compris dans la province d’Agh’êtznik’.—La partie nord de ce district était habitée par des populations sauvages qui, suivant la tradition, descendaient des Assyriens de basse extraction émigrés dans ces lieux à la suite d’Adramélech et de Saraiar. fils de Sennachérib, roi d’Assyrie, lorsque ceux-ci, après avoir tué leur père, cherchèrent un refuge en Arménie. (Cf. Moïse de Khoren, Histoire d’Arménie, I, xxiii.) Thomas Ardzrouni. historien de la fin du ive siècle, a donné, sur les mœurs et la manière de vivre de ces montagnards, de très curieux détails que j’ai reproduits dans mes Recherches sur la chronologie arménienne. Voir aussi la note 44.

[99] Le 16 juin. Le samedi d’Elie est celui de la semaine qui suit la Pentecôte, et pendant laquelle les Arméniens observent le jeûne. Ils la nomment la Semaine du prophète Elie.

[100] Un autre ms. porte 10 hommes.

[101] Thelmouzen, ville ancienne et en ruines, située entre Ras-’aïn et Sëroudj, à une distance de dix milles environ de Ras-’aïn. — Merâcid el-itthila’, éd. Juynboll, t. Ier.

[102] Thourer, ville située dans le voisinage et à l’ouest de Hisn-Mansour.

[103] Ouremn, ville du nord de l’Euphratèse.

[104] Phrase biblique, empruntée à l’évangile de saint Jean, 1, 18, et dont le sens est ici : comme à un fils vénérable et légitime. Vasil-Dgh’a’ avait été en effet adopté par Kogh-Vasil.

[105] Le chronographe arménien Samuel d’Ani (trad. de Zohrab), auteur du douzième siècle et Guiragos, historien du xiiie siècle, affirment que Tancrède mourut empoisonné par le patriarche d’Antioche. Ce patriarche était Rodolphe, qui fut exclu de son siège dans un concile tenu à Antioche en 1141, sous la présidence du légat du pape, Albéric, évêque d’Ostie. Tchamitch dit que peut-être ce crime fut un des chefs d’accusation portés contre Rodolphe. Guillaume de Tyr n’en fait pas mention parmi ceux qui furent produits et qu’il rapporte. XV, 15-17 — Aboulféda, ad annum 506 hég. (1112 - 1113), dit que Vasil l’Arménien étant mort, le seigneur d’Antioche partit pour aller s’emparer des Etats de ce dernier, et qu’ayant succombé en chemin, sire Roger (Sirodjâl) s’en rendit maître. Foulcher de Chartres (chap. xxxviii) donne la date du 26 novembre :

Jam bis tredecies sol viserat Arcitenentem.

Cum subiit quod erat, ut quodi fuit id foret ipse.

RHC : Le siège était alors occupé par Bernard de Valence, ancien évêque d’Arta, en Epire, qui le conserva jus qu’en 1129. Il avait suivi à la croisade, en qualité de chapelain, le légat Adhémar de Monteil, évêque du Puy. Aboulféda, ad annum 506 (1112 -1113

[106] Roger était fils de Richard du Principat, cousin-germain de Tancrède. Il gouverna la principauté d’Antioche, pendant la minorité du fils de Bohémond. Cf. Guillaume de Tyr, XI, 18, 22 ; et Du Cange, dans l’Alexiade, Stemma ducum Apuliae et regum Siciliae ex familia nornamnica.

[107] Léon Ier était frère de Thoros et fils de Constantin, fils de Roupen. Thoros étant mort sans laisser d’enfants, Léon lui succéda vers 1120. Par ces mots, le pays de Léon, Matthieu entend la Cilicie, qui était appelée quelquefois, au temps des croisades, pays du fils de Léon, ou bien royaume de Léon. —Cf. Ibn Alathir, ad annum 505, et d’Anville, Géogr. anc. t. II.

[108] Paganus de Sororgia, dans Albert d’Aix.

[109] Cette année, le 20 de sahmi vague tomba le 11 mai julien. — L’expression office du repas désigne la quatrième heure canonique de l’Eglise arménienne, sexte du bréviaire latin. Cette heure correspond à peu près à midi.

[110] Le comte de Tripoli dont parle ici Matthieu est Pons, fils de Bertrand et petit-fils de Raymond de Saint-Gilles. C’est donc à tort qu’il le nomme fils de Saint-Gilles. Bertrand était mort en 1112. Pons avait épousé Cécile, veuve de Tancrède, fille de Philippe Ier, roi de France, d’après le désir exprimé par Tancrède lui même, dans ses derniers moments. Guill. de Tyr, XI, 18.

[111] D’après Aboulfaradj (Chron. syr.), Maudoud avait sous ses ordres 7000 cavaliers ; Baudouin et Josselin n’avaient que 2.000 fantassins et un petit nombre de cavaliers. Maudoud les attaqua auprès du lac de Tibériade et leur tua 130 fantassins. Alors arrivèrent au secours des chrétiens le petit-fils de Saint-Gilles, qui vint de Tripoli, et Roger, d’Antioche. Les Francs gagnèrent la montagne qui était en face des Arabes. Les deux armées restèrent pendant 26 jours sans bouger ; puis les Francs descendirent vers le Jourdain, et les Arabes, qui se trouvaient éloignés des villes qui leur appartenaient, furent forcés par le manque de vivres de se retirer, et se portèrent vers Damas. — Suivant Ibn Alathir et Aboulféda (ad annum 507), l’armée musulmane qui vint cette année attaquer les Francs avait pour chefs Maudoud, seigneur de Mossoul, Témirak, seigneur de Sindjar, Ayaz, fils d’Ilgazi, et Toghtékïn, seigneur de Damas. Les chrétiens étaient sous les ordres de Baudouin, roi de Jérusalem, de Josselin et autres chefs. Le combat fut livré auprès de Tibériade le 13 de moharrem (30 juin 1123). Les musulmans victorieux rentrèrent à Damas dans le mois de rabi’ premier (sept.-oct.) — Guillaume de Tyr (XI, 19), affirme comme Matthieu que la défaite des chrétiens fut occasionnée par l’impatience du roi de Jérusalem, qui ne voulut pas attendre l’arrivée de ses alliés.

[112] On lit dans Ibn Alathir, Aboulféda et Ibn Khallican que Maudoud fut tué par un Bathénien au moment où il sortait de la grande mosquée de Damas. C’était le vendredi 12 de rabi’ second (21 sept. 1113). Cet homme fut massacré à l’instant même. Afin de constater son identité, on prit sa tête après l’avoir coupée, mais personne ne le reconnut. Matthieu est d’accord avec Guillaume de Tyr (XI, 19) peur imputer le meurtre de Maudoud à des sicaires apostés par Toghtékïn.

[113] Le mois de drê correspondit cette année à l’intervalle compris entre le 22 mai et le 20 juin inclusivement. Cette année ayant eu pour lettre dominicale E, le jeudi tomba le 22 et le 29 mai le 5, le 12 et le 19 juin. Il est impossible de préciser lequel de ces cinq quantièmes auquel mourut Basile.

[114] Béhesni ou Béhesdin, place forte de l’Euphratèse, à deux journée de marche et nord-ouest d’Aïn-tab, entre Raban et Hisn-Mansour, non loin de Marasch et Samosate. Tchamitch, en rapportant (t. III) l’accident qui fit périr le patriarche Basile, dit qu’il se brisa la colonne vertébrale.

[115] Schough’r, couvent de la Montagne Noire, sur une élévation très boisée, citée entre Marasch et Sis, à deux journées de distance de la première de ces deux villes. L’ancienne église de Schougr, bâtie en pierres, subsiste encore aujourd’hui. Indjidji, Arm. mod. Ce monastère est appelé aussi couvent des Basiliens, parce qu’il était sous la règle de saint Basile.

[116] L’un des insignes des patriarches arméniens est le voile, dont l’usage est passé aussi aux évêques et aux vartabeds (docteurs en théologie). Il est en étoffe noire, et recouvre la tête en forme de capuchon conique, en retombant sur les épaules.

[117] Grégoire III. C’est lui qui acquit de la veuve et du fils de Josselin le Jeune, le château de Hr’om-gla’, où il fixa sa résidence, et qui fut celle de ses successeurs jusqu’en 1293, époque où ce château fort fut pris par les Egyptiens. Il mourut, suiv. Vartan, en 617 E. A. (8 fév. 1168 – 6 fév. 1169).

[118] Abou Saïd Ak-Sonkor el-Boursouky el-Gâzi, surnommé Kacim-eddaula Seïf ed-din, affranchi de l’un des deux Boursoukh, dont il est parlé ch. CCVI. Le sultan Mohammed le fit émir de Mossoul, à la place de Maudoud et après la mort de ce dernier. Boursouky conserva ce gouvernement jusqu’en 509 (1115 - 1116), où il fut remplacé par l’émir Djoïousch-Beg, et il se retira dans la ville de Rahaba, qui lui fut assignée comme fief. En 512 (1118 - 1119) le sultan le nomma préfet ou schikneh de Bagdad ; plus tard, en 515 (1121 - 1122), ce même souverain lui rendit la principauté de Mossoul avec ses dépendances, comme Djézireh Ibn ‘Orner et Sindjar (Aboulféda, t. III). — Albert d’Aix le nomme Burgoldus, et Guillaume de Tyr Borsequinus (trad. fr. Borsses ou Borssequin).

[119] C’était Ghiâth ed-din Maç’oud qui régna plus tard. Ibn Alathir et Ibn-Djouzi disent, comme Matthieu, qu’il accompagna Boursouky dans cette expédition avec des forces considérables.

[120] Le 15 mai. Cette date concorde avec celle que donne Ibn Alathir, qui indique le mois de dsou’lhidjé 508 = mai 1114.

[121] Cf. note 550.

[122] Le 13 de maréri vague concorda cette année avec le 29 novembre julien, veille de la fête de Saint André. C’est par erreur que Matthieu rappelle ici celle de l’Invention de la Croix, fête mobile de l’Eglise arménienne, variant dans l’intervalle du 23 au 29 octobre inclusivement. La date de la veille de Saint André. c’est à-dire la nuit du 28 au 29 novembre, est confirmée par Gauthier le Chancelier. Seulement ce chroniqueur s’est trompé d’une année en écrivant 1115 pour 1115. Ibn Alathir et Kemal ed-din mentionnent le même événement en 508 dans le mois de djoumada second (novembre 1114).

[123] Ce ton, qui est un des huit tons de la musique arménienne, est appelé var’. Chacun sert tour à tour à régler le mode d’après lequel doit être chanté l’office du jour, à l’église. Le ton var’ a un caractère plaintif, et cette circonstance, jointe à la coïncidence du dimanche et du déclin de la lune, explique les Idées superstitieuses que les populations se formaient du phénomène physique raconté par notre chroniqueur. La nuit du samedi au dimanche, consacrée à la mémoire de la Résurrection de Notre-Seigneur, doit être témoin, suivant l’antique croyance arménienne, de la résurrection générale et du jugement dernier. — Voir le discours synodal du patriarche Jean Otznetsi, de ses Œuvres complètes, Venise, in-8°, 1833.

[124] Dans la liste des prélats et des barons qui assistèrent au couronnement du roi d’Arménie Léon II, l’historien Sempad de Cilicie (éd. de Moscou), mentionne Joseph, archevêque d’Antioche et abbé du couvent des Jésuéens.

[125] Maschguévor ou Maschgouor, couvent de Cilicie, ainsi nommé, sans doute, parce que les religieux étaient vêtus de peaux d’animaux dépouillées de leurs poils.

[126] Il s’appelait Kêork (Georges), et il avait été surnommé Mégh’rig (mielleux) à cause de la bonté et de la douceur de son caractère. On lui donnait communément aussi le surnom de Sévanetsi, parce qu’il était moine du couvent de l’île de Sévan, dans le lac de Kégh’am. — Tchamitch, t. III.

[127] C’est une phrase empruntée au Scharagan, ou Recueil des hymnes de l’Eglise arménienne.

[128] Le couvent de Trazarg était situé près de Sis, et placé sous la juridiction immédiate du catholicos d’Arménie. Dans les chartes latines des rois de Cilicie, ce nom a été transcrit par un jeu de mots sous la forme tres arcus ou tres arces. Les ruines de ce couvent n’existent plus aujourd’hui.

[129] Tigrane Ier, de la dynastie des Haïceins, ou première dynastie arménienne, lequel régna, suivant Tchamitch. dans le vie siècle avant J.-C. D’après le témoignage de Moïse de Khoren (I, xxx), Dikranaguerd était un bourg, que Tigrane agrandit et embellit, et qu’il donna à sa sœur Dikranouhi, femme d’Astyage, roi des Mèdes. Il l’appela de son nom, Dikranaguerd, mot dans lequel entre la racine du verbe arménien faire, bâtir, construire, c’est la célèbre ville d’Amida des écrivains grecs et latins. Il paraît que déjà, dès le ive siècle, elle portait aussi le nom d’Amid ou Amith, puisqu’un historien arménien de cette époque, Faustus de Byzance (III, x), l’appelle la nomme. C’est aujourd’hui Diarbékir, chef lieu du pachalik de ce nom. (Cf. Indjidji, Arm. anc. et Arm. mod.)

[130] Cette expédition et la précédente paraissent avoir été réunies en une seule par Ibn Alathir.

[131] Matthieu a ici confondu Boursoukh ibn-Boursoukh avec Ak Sonkor el-Boursouky. C’est ce dernier auquel Ilgazi en voulait particulièrement. D’après Ibn Alathir et Ibn Djouzi, le sultan Mohammed ayant confié à Ak-Sonkor el-Boursouky le gouvernement de Mossoul, lui ordonna de marcher contre les Francs. Ak-Sonkor appela à lui les émirs du voisinage, et Ilgazi lui envoya son fils Ayaz avec une petite troupe. Ak-Sonkor, mécontent, pilla les gens d’Ilgazi et s’empara de son fils. Alors Ilgazi s’étant adjoint l’émir Rokn-eddaula Daoud, fils de son frère Soukman, et un parti nombreux de Turcomans, marcha contre Ak-Sonkor. et l’ayant rencontré auprès du fleuve Khabour, le défit et le força à prendre la fuite, et Ayaz fut délivré. Le sultan Mohammed, instruit de l’échec qu’avait éprouvé son lieutenant, fit partir Boursoukh Ibn Boursoukh contre Ilgazi. Celui-ci, effrayé, courut à Damas implorer le secours de Toghtékïn, qui était fort mal avec le sultan, comme accusé par la voix publique d’avoir machiné le meurtre de Maudoud. C’est dans ces conjectures que ces deux émirs firent cause commune ensemble, et s’aillèrent aux Francs.

[132] Cet émir se nommait Loulou. C’était un eunuque qui, après la mort de Radhouân, arrivée en 508 hég. (1113 - 1114), fut chargé du gouvernement de cette ville au nom du fils de Radhouân, nommé Tadj-eddaula Alp Arslan el-Akhras ou le Muet, qui n’avait encore que 16 ans, et qui était né d’une fille de Baghician, émir d’Antioche. L’année suivante, le jeune prince fut tué par ses propres officiers dans la forteresse d’Alep, et Loulou mit à sa place Sultan-Schah, autre fils de Radhouân. Lorsque Loulou apprit que le sultan de Perse Mohammed allait envoyer une armée en Syrie, sous les ordres de Boursoukh-ibn-Boursoukh, craignant qu’on ne voulût lui ôter Alep, il se jeta dans le parti de Toghtékïn. — Aboulféda, Ann. t. III ; Aboulfaradj, Chron. syr.

[133] Léon Ier fut l’un des princes plus distingués d’entre les Roupéniens, et aussi des plus malheureux par la manière dont finirent son règne et sa vie. S’étant emparé de la ville de Mécis sur les Grecs, il s’avança jusqu’à Tarse, parcourut, les armes à la main, la Cilicie, et reprit les villes que ceux-ci avaient enlevées à son père Constantin. Les exploits qu’il fit dans ces expéditions répandirent partout le bruit de son nom, et lui valurent de nombreuses marques d’estime de la part des Croisés. Après la mort de Roger, comte d’Antioche, dont il était l’ami, Raymond de Poitiers, qui succéda à Roger, jaloux de Léon, conçut le projet de lui enlever ses États. Mais, n’osant pas recourir à la force ouverte, il s’entendit avec Baudouin, comte de Kéçoun et de Marasch, qui invita Léon à venir faire une visite à Raymond. Ce dernier s’empara du chef arménien et le renferma dans une forteresse. Après y être resté deux mois, Léon consentit à livrer à Raymond deux villes, Mécis et Adana, à lui payer une rançon de 80.000 tahégans, et lui donner un de ses fils en otage. A ces conditions, il recouvra la liberté. A peine dégagé de ses fers, Léon conquit de nouveau les villes qu’il avait cédées, et battit si complètement les princes latins ses voisins, qu’ils furent obligés d’appeler à leur secours Foulques, roi de Jérusalem. On en vint aux mains sur les frontières de la Cilicie. Mais tous les efforts des Croisés contre Léon étant restés impuissants, ils lui renvoyèrent son fils et lui donnèrent à leur tour des otages. Les Francs ayant imploré la médiation de Josselin le Vieux, dont la femme était sœur de Léon, il rétablit la paix. Léon battit encore les Grecs dans plusieurs rencontres, et leur enleva d’antres forteresses. — Tchamitch, t. III. On peut voir, ch. CCLIV comment Léon Ier fut fait prisonnier par l’empereur Jean Comnène, et conduit à Constantinople, où il mourut dans les fers.

[134] Waléran ou Galéran était cousin (consanguineus) de Josselin de Courtenay. Guill. de Tyr, XII. 17. Foulcher de Chartres (ch. liii) l’appelle neveu (nepos) de Baudouin du Bourg. Mais c’est probablement une erreur et cet historien, qui parle de Waléran à l’occasion de la captivité de Baudouin, de son neveu et de Waléran, à Kharpert, où les retenait l’émir Balag, aura sans doute confondu ces deux derniers.

[135] Pakrad, seigneur d’Aréventan. Cf. ch. CXCIX.

[136] Gouris ou Kouris, l’ancienne Cyrrhus, capitale de la Cyrrhestique, place forte de la Syrie, située dans la montagne au nord d’Alep. (Tchamitch, t. III) Coricium, Corice, de Guillaume de Tyr) ; aujourd’hui Khoros.

[137] Le chef arménien Constantin dont il est question ne doit pas être confondu avec Constantin, fils de Roupen. Cf. ch. CLIV.

[138] Sur le titre de Prince des princes, cf. ch. CLXVI.

[139] En 1118, Pâques étant tombé le 14 avril, le dimanche de la Quadragésime fut le 24 février ; par conséquent, c’est dans cet intervalle que Baudouin du Bourg se rendit à Jérusalem. Guillaume de Tyr. (XII, iii et xii) dit que ce fut le dimanche des Rameaux, 7 avril. Il était venu pour visiter les Saints Lieux et y faire ses dévotions. Les chefs du clergé et les principaux de la ville, ayant tenu un conseil pour donner un successeur au frère de Godefroy, Josselin de Courtenay, à qui sans doute Baudouin du Bourg avait promis d’avance le comté d’Édesse, fit un pompeux éloge des qualités de ce prince, et entraîna tous les suffrages. Le dimanche suivant, jour de Pâques, le nouveau souverain fut proclamé et reçut l’onction sainte dans l’église de la Résurrection. Deux ans après, en 1120, il fut couronné solennellement, avec sa femme Morfia, le jour de Noël, dans l’église de Bethléem.

[140] Le 7 avril. Suivant Guillaume de Tyr (XII. 3-4), Baudouin étant arrivé à Jérusalem le dimanche des Rameaux, reçut l’onction royale et fut couronné le dimanche suivant, 14 avril, jour de Pâques.

[141] Kohar en arménien, Gueuher en persan, signifie perle, pierre précieuse, et Khatoun, en Turc oriental, a le sens de dame noble, princesse, reine.

[142] Kothb ed-din Ismaïl, fils d’Yakoub, frère de Zobeïdé-Khatoun, première femme de Mélik Schah. Il avait été envoyé par ce prince, en 1090, à Marand dans l’Azerbaïdjan, en qualité d’ôsdigan ou gouvemeur. Il fut tué par deux de ses officiers en 1091, comme le raconte Vartan, dans son Histoire universelle, encore inédite. Il était cousin et en même temps beau-frère de Mélik Schah.

[143] Ce frère de Daph’ar (Mohammed) était Sindjar, auquel Barkiarok avait donné, en 1097, la royauté du Khoraçan. Daph’ar redoutait avec raison son ambition, car, lorsque ce dernier fut mort, Sindjar attaqua son neveu Mahmoud, dans l’Irak Persique et le défit entre Reï et Saveh. Après quoi il lui accorda la paix, mais à condition que son nom serait prononcé le premier comme sultan dans la Khothba ou prière publique, le vendredi, et le nom de Mahmoud le second. Aboulféda, Ann., ad annum 513

[144] Ozkend, ville du Ma-wara-ennahr, près de Ferghana, sur la rive méridionale de l’Iaxarte ou Seihoun, au nord-est de Samarcande.

[145] Cf. ch. CXXXIX.

[146] Mougbith ed-din Abou’l Kacem Mahmoud régna de 1118 à 1131.

[147] Mélik ou roi est le titre de ce prince, qui se nommait Thogrul. C’est à tort que Matthieu le qualifie ici de sultan, titre au-dessus de celui de Mélik. Il monta plus tard sur le trône de Perse, et régna de 1132 à 1134.

[148] Le sultan Mohammed mourut le 24 de dsou’lhiddjé de l’année 511 (17 avril 1118), à l’âge de trente-six ans lunaires. quatre mois, six jours. Aboulféda, Annal., t. III), c’est-à-dire trente-cinq années solaires, un mois et quelques jours.

[149] La qualification de khalife des Perses, donnée par notre auteur au khalife de Bagdad, Mostadhhir billah Abou’l Abbas Ahmed, fils de Moktadi biamr allah, s’explique par le fait que cette ville était alors au pouvoir des sultans seldjoukides qui s’y faisaient représenter par un schihneh ou préfet, et que le souverain pontife de l’islamisme n’y exerçait l’autorité temporelle que d’une manière nominale. Mostadhhir mourut le 16 de rabi second 512 (6 août 1118), suivant Ibn Alathir et Aboulféda.

[150] Azaz ou Ezaz, place forte au nord ouest et à une journée de marche d’Alep. (Merâcid-el-itthila t. II) ; Hasarth de Guillaume de Tyr.

[151]Gazi veno major vocabatur eorum.” (Fulcherii Carnotensis Gesta peregrinantium Francorum, ch. xlvi)

[152] Dans un de nos mss. on lit : trois jours.

[153] Bezah, Biza ou Boza, ville située à une journée de distance au nord-est d’Alep et dépendante du territoire de cette dernière. ville. (Aboulfaradj, Géographie).

[154] Matthieu est ici en contradiction avec Guillaume de Tyr (XII, ix), qui raconte que lorsque Roger eut appris qu’Ilgazi, accompagné de Toghtékïn et de Doubaïs, roi des Arabes, s’avançait vers le territoire d’Antioche, à lu tête de six mille hommes, et était déjà campé auprès d’Alep, il appela aussitôt à son secours, avec de grandes instances, Josselin, comte d’Édesse ; Pons, comte de Tripoli ; Baudouin, roi de Jérusalem ; et que ce n’est qu’après avoir longtemps attendu ces deux derniers qu’il se porta à la rencontre des infidèles. Suivant Ibn Alathir ad annum 513, l’armée d’Ilgazi, composée de ses troupes et de volontaires, était forte de vingt mille hommes. Il avait avec lui Oussama ben-Elmobarek ben Schebl le Kélabite, l’émir Schems eddaula Thoghan Arslan, seigneur de Bitlis et d’Arzen. Kémal ed-din fixe le chiffre de l’armée d’Ilgazi à un peu plus de quarante mille hommes. Les Francs comptaient trois mille cavaliers et neuf mille fantassins. Le combat fut livré auprès d’Athareb, dans un lieu appelé Tell-Ifrin (dans Guillaume de Tyr Campus sanguinaris), au milieu des montagnes, dans une position inaccessible d’un côté, le 15 de rabi premier, 513 (26 juin 1119). Suivant Kemal ed-din, ce fut le 17 de rabi premier (28 juin) qu’il eut lieu près de Belat, non loin des gorges de Sarméda, au nord est d’Antioche. (Cf. Gauthier le Chancelier ; Foulcher de Chartres, chap. xlv). Aboulfaradj (ad annum graec. 1430 = 1er oct. 1118 – 30 sept. 1119) dit que ceux d’Alep avaient obtenu de Roger une trêve de quatre mois pour faire la moisson et la récolte des fruits, et qu’aussitôt après ce délai il vint mettre le siège devant leur ville ; ils appelèrent Ilgazi, qui accourut à la tête de sept mille Turcs, et qui livra à Roger le combat dans lequel celui-ci perdit la vie. Les Turcs se répandirent dans le territoire d’Antioche, et massacrèrent un grand nombre de moines de la Montagne Noire, jusqu’au moment où survint le roi Baudouin.

[155] Un autre ms. porte 100.

[156] Notre auteur fait allusion par ces paroles à cette multitude de marchands qui avaient suivi Roger et que mentionne Guillaume de Tyr (XII, ii). Ce dernier raconte effectivement que l’armée d’Antioche se composait de sept cents chevaliers et trois mille fantassins tout équipés, sans compter les marchands qui avaient coutume d’accompagner l’armée pour vendre et acheter.

[157] Il faut lire 9 de k’agh’ots au lieu de 6 ; c’est-à-dire le 28 juin.

[158] Il faut 14 août au lieu de 16 : et ce qui le prouve, c’est que Guillaume de Tyr (XII, 12) indique la veille de l’Assomption seulement l’historien latin est en retard d’une année sur le chroniqueur arménien.

[159] Suivant Ibn Alathir et Kemal ed-din, Ilgazi défit les Francs dans cette seconde rencontre ; tandis que d’après Guillaume de Tyr (XII, 12), d’accord avec Matthieu et Aboulfaradj (Chron. syr.), ce furent ceux-ci qui remportèrent la victoire.

Le roi et le comte de Tripoli, partis pour venger la défaite et la mort de Roger, arrivèrent à un lieu appelé Mons Nigronis ; aussitôt Ilgazi envoya contre eux dix mille cavaliers d’élite, qui se divisèrent en trois corps, se dirigeant, l’un vers le port Saint Siméon, les deux autres, par des chemins différents, vers l’endroit où rampaient les chrétiens. Un de ces deux derniers détachements, ayant atteint le roi de Jérusalem, fut repoussé, entièrement défait et mis en fuite. De là Baudouin se rendit à Antioche, tandis qu’Ilgazi s’emparait d’Athareb {Cerepum) et de Zerdanâ (Sardonas). Le roi, pensant le rencontrer à Athareb, se dirigea sur Rugia ; puis, traversant la ville de Hab, sur le territoire d’Alep, il assit son camp sur la montagne de Danim. Le lendemain Ilgazi vint l’attaquer avec une armée considérable. Baudouin avait sept cents chevaliers ; il divisa les siens en neuf corps. L’effort des infidèles porta principalement sur l’infanterie des Francs, dont ils connaissaient la bravoure et l’impétuosité ; ils en mirent une grande partie hors de combat. Le roi, tombant alors sur eux avec quatre corps qu’il tenait en réserve, les mit en déroute et décida la victoire ; mais elle lui coûta sept cents hommes de pied et cent chevaliers, Ilgazi, Toghtékïn et Doubaïs (Debeis) s’enfuirent, abandonnant les leurs ; Baudouin rentra à Antioche au bout de deux jours. Ce triomphe fut remporté la veille de l’Assomption. (Guillaume de Tyr, XII, xi et xii, et Foulcher de Chartres, chap. xlv.) — La date du 16 août indiquée par Matthieu exige une explication et une rectification. En l’année 568 de l’ère arménienne (20 février 1119 - 19 février 1120), l’Assomption, qui est une des fêtes mobiles des Arméniens, variant dans les limites inclusives du 12 au 18 août, tomba en effet pour eux le 17 août. Mais notre historien n’a pas fait attention que le renseignement dont il fait ici usage est calculé sur le rite des Eglises grecque et latine, où l’Assomption est invariablement fixée au 15 août ; il aurait donc dû dire en réalité 14 et non 16, et ce qui achève de le prouver, c’est qu’en 1119, le 25 du mois d’arats-vague coïncida avec le 14 août. D’ailleurs Foulcher de Chartres énonce positivement la même date, 19 des calendes de septembre. Il faut remarquer en même temps que Guillaume de Tyr est en retard d’une année sur Matthieu d’Édesse et Foulcher de Chartres, en marquant 1120 au lieu de 1119.

[160] Matthieu est ici en retard d’un an. D’après Zonaras et Nicétas Choniatès, Alexis Comnène mourut le 15 août, indiction 11 = 1118. Son fils Jean, appelé aussi Kaloioannès, c’est-à-dire le beau Jean, lui succéda immédiatement.

[161] Au moment où fut tenu le concile de Chalcédoine (451), les Arméniens, occupés à soutenir la guerre contre Azguerd (Yezdedjerd II), roi de Perse, furent empêchés d’assister à cette assemblée, et fiaient sans communication avec les Crées. Des partisans d’Eutychès et de Dioscore, patriarche : d’Alexandrie, dont les doctrines avaient été con damnées par ce concile, se répandirent en Arménie, et représentèrent les Pères de. Chalcédoine comme ayant renouvelé l’erreur de Nestorius. Les Arméniens, abusés par ces faux rapports, rejetèrent ce concile, tout en reconnaissant le dogme de la coexistence des deux natures en Jésus-Christ, tel que l’avait défini saint Cyrille d’Alexandrie. Ils comptent même Eutychès au nombre des hérétiques, et prononcent anathème contre lui. Leur position mal définie entre l’Eglise grecque et l’Eglise latine subsiste encore aujourd’hui. (Voir l’ouvrage intitulé Exercice de la foi chrétienne, par M. Msérian, professeur de théologie à l’institut Lazareff des langues orientales de Moscou, in-12, 1850 ; ouvrage qui a paru avec l’approbation et le sceau de feu Mar Nersès, précédent catholicos d’Arménie.)

[162] Cette citation est apocryphe.

[163] Précédemment, en 1102, Baudouin du Bourg, alors comte d’Édesse, avait commencé la fortune de Josselin de Courtenay, son cousin, vir nobilis de Frauda, de regione quae dicitur Gastineis. Il lui donna la partie de son comté située sur l’Euphrate, et qui comprenait les villes de Gouris (Coricium) et de Dolouk (Tulupa), et les places fortes de Tellbâscher, Aïn-tab et Rawendan, avec quelques autres ; il ne garda pour lui que le pays au delà de l’Euphrate, dans le voisinage immédiat des infidèles, et Samosate, quoique englobée dans le territoire qu’il cédait à Josselin. (Guillaume de Tyr, X, xxiv.) Plus tard, Josselin se montra ingrat envers son bienfaiteur, au milieu de l’abondance où il nageait. Il ne vint point au secours de Baudouin, quoiqu’il sût d’une manière certaine que ce dernier et les siens étaient dans la détresse. L’historien latin raconte (XI, xxii), dans le» mêmes termes que Matthieu d’Édesse, comment Baudouin punit Josselin, et comment celui-ci. chassé de ses domaines, se rendit auprès du roi de Jérusalem, qui lui donna Tibériade. Nous avons vu que Josselin, usant de son influence sur les barons de la Syrie, fit prévaloir l’élection de Baudouin comme roi de Jérusalem. Le nouveau souverain, en récompense de ce service, et désirant lui faire oublier la violence avec laquelle il l’avait traité, lui donna le comté d’Édesse. Josselin connaissait parfaitement ce pays. Baudouin, après avoir reçu son serment de fidélité, lui conféra l’investiture par l’étendard, et Josselin prit possession de son fief. (Guillaume de Tyr, XII, iv).

[164] La dénomination de Garmian ou Guermian, donnée à une partie du territoire de Mélitène, date probablement de l’époque des Seldjoukides, et vient de quelque émir Turcoman de ce nom. Le savant orientaliste M. Defrémery (Athenaeum français, 1852) a proposé de lire Garsian, et pense qu’il s’agit de la contrée appelée par les Grecs Charsianos, et Kharschénoun par les Arabes, à laquelle Il suppose qu’appartenait la ville de Kharschéna (ch. CLXXXVIII). Mais cette correction est inadmissible ; car le nom de Garmian revient trois fois écrit très distinctement dans le texte de Matthieu, et cette leçon est confirmée par l’autorité de cinq manuscrits. D’ailleurs la transformation du grec Charsianos en Garsian choque les règles fondamentales de l’orthographe arménienne.

[165] Cette agression d’Ilgazi contre les Francs doit être la même que celle qui est racontée par Aboulféda et Ibn Alathir à l’année 514 hég. (2 avril 1120 - 21 mars 1121). Mais Josselin ne tarda pas à prendre sa revanche sur les Infidèles, comme on le voit dans les nièmes auteurs, d’accord avec Matthieu.

[166] Les détails par lesquels Matthieu d’Édesse caractérise l’émir Gazi (khazi), vassal du roi de Géorgie, montrant suffisamment que ce personnage ne doit pas être confondu avec le célèbre prince de Mardin, Ilgazi, quoique le nom de l’un et de l’autre soit écrit, dans le texte arménien, de la même manière ; en effet, notre auteur appelle toujours Ilgazi Gazi. comme Aboulfaradj et Guillaume de Tyr ; Gauthier le chancelier écrit Algazi.

[167] David II, dit le Réparateur, monta sur le trône en 1089 et l’occupa jusqu’en 1125.

[168] Matthieu est dans l’erreur : il s’agit ici d’Abou’l Azz Doubaïs, fils de Sadaka, d’après le témoignage de tous les auteurs musulmans, et de l’historien chrétien Aboulfaradj. Il appartenait par son origine à la tribu arabe des Beni-Açad, et était souverain de Hillah, sur l’Euphrate. Son père était mort en 1108. En 517 14. (1123) le khalife Mostarsched ayant vaincu Doubaïs, celui-ci se sauva dans la tribu arabe de Ghaziah, qui ne voulut pas l’accueillir, et de là dans celle de Montafek, avec laquelle Il vint saccager Basra ; delà Il passa en Syrie, chez les Francs, auxquels Ils s’efforça de persuader de s’emparer d’Alep. En 523 (1129) il pilla une seconde fois Basra. — Aboulféda, Ann. t. III. — Il fut mis à mort par l’ordre du sultan Maç’oud, auprès de la ville de Khoï, par un esclave arménien, le 14 de dsou’lhidjé 529 hég. = 12 août 1135.

[169] Rafédhite, c’est-à-dire hérétique de la secte de ceux qui maudissent Abou Bekr, Omar et Othman, et leur refusent la qualité de légitimes califes ou vicaires de Mahomet, tout en soutenant au Contraire, avec une partialité poussée jusqu’à l’excès, qu’Au et ses descendants en ligne directe sont les seuls et véritables successeurs du Prophète. Cette secte, à laquelle se rattachent les musulmans Shiites de la Perse, donna naissance à celle des Bathéniens, Ismaéliens ou Assassins, dont le chef est connu par les récits de nos chroniqueurs occidentaux et de Marco Polo sous le nom de Vieux de la Montagne. La secte des Ismaéliens sapait dans ses fondements la doctrine du Coran, et en général toute religion révélée. — Cf. S. de Sacy, Exposé de la religion des Druzes. — Ce qui explique encore la qualification de blasphémateur de Mahomet que notre auteur attribue à Doubaïs, c’est que celui-ci fut en guerre continuelle avec le khalife Mostarsched, qui le dépouilla de ses Etats. Mostarsched périt dans le mois de dsou’lka’dé 529 hég. juillet 1135, sous le poignard de quelques Ismaéliens, envoyés, comme l’affirment Noveïri et Aboulfaradj, par le sultan Sindjar.

[170] Le mont Tégor ou Didgor est au S.-O. de Tiflis.

[171] Les Kiptchak (Khaph’tchakh, Kheph’tchakh ou Kheph’tchikh en arménien), peuples habitant au nord de la Géorgie, depuis le Tanais, en s’étendant vers l’est, tout le long du bord septentrional de la mer Caspienne, jusqu’au delà du Iaïk.

[172] Les Alans ou Alains avaient leur demeure au nord de la Grande-Arménie, et étaient bornés à l’ouest par la Géorgie, au nord par le pays des Massagètes, et à l’est par la mer Caspienne. Une colonie d’Alains vint s’établir sur les bords du Danube, d’où, vers 406, ces peuples allèrent avec les Suèves et les Vandales ravager la Germanie. Ils se répandirent dans les Gaules et dans la péninsule Hispanique.

[173] Il faut lire le 14 août. Cf. pour la rectification de cette date mes Recherches sur la chronologie arménienne.

[174] Dans le récit de cette expédition contre la Géorgie, il est facile de reconnaître combien notre auteur a exagéré le chiffre de» infidèles et les circonstances de leur défaite. Le témoignage d’Ibn-Alathir. d’Ibn-Khaldoun et d’Ibn Djouzi (apud M. Defrémery, Fragments de géographes et d’historiens arabes inédits relatifs aux anciens peuples du Caucase et de la Russie méridionale, Journal asiatique, 1849), ainsi que celui d’Aboulfaradj (Chron. arabe), doivent être mis en contraste avec celui de Matthieu. —En 514 hég. (1120-1121). les Géorgiens, unis aux Kiptchaks, s’étant avancés suite territoire musulman, Ilgazi, Doubaïs ben Sadaka et Mélik Thogrul, auquel appartenait l’Arran et Nakhdjavan jusqu’à l’Araxe, marchèrent à leur rencontre avec trente mille hommes. Les deux armées se rencontrèrent près de Tiflis. Elles se préparaient au combat, lorsque s’avancèrent deux cents Kiptchaks ; les musulmans, pensant qu’ils venaient demander merci, n’eurent aucune défiance ; tout à coup ces Kiptchaks font une décharge de flèches et jettent le désordre dans leurs rangs ; ceux qui étaient par derrière, croyant à une déroute, prirent la fuite. Les Géorgiens les poursuivirent l’espace de dix parasanges, en en faisant un grand carnage : quatre mille musulmans furent faits prisonniers. Mélik Thogrul, Ilgazi et Doubaïs parvinrent à s’échapper.

[175] Les chroniqueurs musulmans varient sur la date de la prise de Tiflis par le roi David II. Aboulféda et Hadjil-Khalfa la placent en 514 de l’hégire (1120 - 1121) ; Yakout et Elaïny en 515 (1121-2) ; Déhéby et Haméky en 516 (1122-3) ; et Ibn Késir en 517 (1123-6). Cf. Brosset, Histoire de la Géorgie, ce savant pense que la durée de deux ans, assignée au siège de Tiflis par Déhéby, peut servir à concilier ces différentes dates. Mais l’ordre de la narration de Matthieu semble impliquer un temps moins long, et Ibn Alathir atteste que le siège dura de 514 à 515.

[176] Balag n’était point fils de la sœur d’Ilgazi, comme le prétend Matthieu, mais de Behram, frère de ce dernier.

[177] Palou, place forte sur la rive septentrionale de l’Euphrate, et chef-lieu du district de Palakovid ou Palahovid (vallée de Palou), dans le district de Khozan, qui fait partie de la quatrième Arménie. Palou est à trois journées ait nord d’Amid. Indjidji, Arm. Anc. et Arm. mod.

[178] Houçam ed-din Timourtasch succéda à son père Ilgazi à Mardin, et Schems eddaula Soleïman à Meïafarékïn.

[179] Le Schendjé ou Sindja, en arabe Nahr Elazrak (fleuve bleu), le Singas de Ptolémée, est une rivière considérable qui coule au sud de Samosate et se jette dans l’Euphrate du côté occidental. Le pont du Sindja est de construction romaine, et les écrivains arabes le citent comme une des merveilles du monde. Voir M. Reinaud, Géographie d’Aboulféda, et Schultens, Index geographicus in vitam Saladini, au mot Fluvius Sensja.

[180] Cette année le mois de hor’i vague correspondit au 22 mars - 20 avril ; Pâques tomba le 15 avril, et, par conséquent, le mercredi suivant fut le 18 avril 1123 (Cf. mes Recherches sur la Chronol. armén.)

[181] Le roi, voulant connaître par lui-même l’état des affaires dans les possessions chrétiennes au delà de l’Euphrate, cheminait de Tellbâscher vers Édesse, lorsqu’il fut pris, pendant la nuit, à l’insu des gens de son cortège, par Balag, embusqué sur son passage. Ce malheureux événement avant été connu, les grands du royaume et le clergé se réunirent près de Saint Jean d’Acre, et donnèrent la régence à Eustache Grenier, connétable du royaume, seigneur de Sidon et de Césarée. Mais Grenier mourut bientôt après, dans l’année, et fut remplacé par Guillaume de Bures, seigneur de Tibériade, qui administra avec le concours de Païen le chancelier. (Guillaume de Tyr, XII, xvii, xxi, xxiv, xxv.) Kemal ed-din (ad annum 517) raconte que Baudouin. étant parti le mercredi 17 de séfer (16 avril 1123) pour combattre Balag, qui assiégeait la forteresse du Kerker (Gargar), le rencontra dans un lieu appelé Aurasch, (Urasch, apud Wilken, t. II), non loin du pont du Sendja. Le roi fut battu et fait prisonnier, et la plus grande partie de son année et de ses officiers périrent, quoique son armée fut supérieure en nombre à celle des infidèles. Balag pilla la tente du roi, et, au bout d’une semaine, réduisit Kerker. Après quoi, il alla renfermer Baudouin à Kharpert avec Josselin et Waléran.

[182] Ce coup de main si hardi entrepris par quelques Arméniens, contre la forteresse de Kharpert, pour délivrer les prisonniers chrétiens que Balag y tenait renfermés, et la fatale issue qu’il eut, sont racontés par Guillaume de Tyr (XII, 8) qui dit que les libérateurs étaient au nombre de cinquante.

[183] Suivant Guillaume de Tyr (XII, 17 et 21), le royaume de Jérusalem fut administré pendant la captivité du roi Baudouin, d’abord par le connétable Eustache Grenier (Grener ou Guernier), seigneur de Sidon et de Césarée, lequel mourut en 1122, et ensuite par Guillaume de Bures (Wilelmus de Duris), seigneur de Tibériade.

[184] Suivant Kémal ed-din, Balag prit la forteresse de Kharpert le 23 de redjeb 517 hég. =16 sept. H23. Il fit mettre à mort tous ceux de ses guerriers, dans la garnison, qui l’avalent trahi, et les Francs qui se trouvaient dans la place. Il ne fit grâce qu’à Baudouin, à Waléran et au fils de la sœur de Baudouin. Après quoi il les fit conduire à Harrân (Khar’an), où ils furent mis en prison.

[185] Les arôs sont une sorte d’oiseau que nous ne connaissons que très imparfaitement. Le dictionnaire arménien vulgaire de Mékhithar abbé rend ce mot par tchig, thôïl. Tchig me parait être l’arabe schik, sorte d’oiseau aquatique du genre anas ; thôïl est sans doute l’arabe thouwel, qui désigne un oiseau aquatique, à longs pieds, ayant la queue noire et le plumage cendré.

[186] Ce fait si singulier est rapporté pareillement par Michel le Syrien, Guiragos, Vartan et plusieurs autres historiens arméniens. Il a quelque ressemblance avec celui que raconte Théodulphe, évêque d’Orléans (viiie siècle) dans ses Œuvres poétiques, ap. Sirmond, Bibliotheca Patrum. (Voir d’Aldéguier, Histoire de Toulouse, t. 1er)

[187] Paul, surnommé Darônatsi, habitait le couvent de Saint-Lazare, appelé aussi des Saints-Apôtres, à Mousch., dans le district de Darôn, non loin de la ville d’Aschdischad. Il se montra un des plus ardents adversaires de l’Eglise grecque.

[188] Matthieu fait allusion à saint Grégoire, premier patriarche de l’Arménie, et surnommé par les Arméniens Louçavoritch ou l’Illuminateur, comme ayant éclairé de la lumière de l’Evangile leur pays, couvert des ténèbres de l’idolâtrie.

[189] Le Gour ou Cyrus, l’un des plus grands fleuves de l’Arménie, prend sa source au mont Barkhar, le Paryadrés des anciens, dans la province de Daïk’, qui est dans le nord-ouest de la Grande-Arménie, pénètre en Géorgie, où il passe à Kôri et à Tiflis ; descendant ensuite vers le sud-est, il rentre sur le territoire arménien, et, grossi par l’Araxe, va se jeter par plusieurs embouchures dans la mer Caspienne.

[190] Les Aph’khaz, ou Abkhazes et Abazes, Abasgi ou Avasgi, peuple chrétien, occupant de toute antiquité une portion du pourtour oriental de la Mer Noire, entre la Circassie au nord et la Mingrélie au Sud, sur le versant occidental du Caucase. Une fraction assez considérable de ce peuple, désignée sous le nom d’Abadza, habite les hauteurs de la chaîne vers le nord, où elle s’est mêlée aux tribus Tcherkesses. Les Aphkhases du littoral, convertis au christianisme par Justinien au VIe siècle, furent depuis lors sous la dépendance, tantôt des empereurs de Constantinople, tantôt des rois de Géorgie ; ils sont aujourd’hui soumis au protectorat de la Russie et gouvernés par un des membres de l’ancienne famille régnante des Scherwaschidzé, le prince Mikhaïl.

[191] Le sultan Sindjar.

[192] Tmanis ou Toumanis, ville de l’Arménie, sur les confins de la Géorgie, à l’extrémité de la province de Koukark’, vers le nord-est.

[193] Schirvan, ancienne capitale de la province de ce nom, aujourd’hui en ruines. La province de Schirvan s’étend au nord-est de l’Arménie, entre le fleuve Cour et la mer Caspienne. Indjidj, Arm. mod. Elle est appelée aussi Agh’ouank’ ou Albanie. Voir ch. LXXXVIII.

[194] Schaki ou Schakê, ville arménienne qui a donné son nom à une contrée située sur la rive gauche du Cour. Cette ville est mentionnée par Guiragos et Etienne Orbélian, historiens du treizième siècle, apud Indjidji, Arm. anc.

[195] Schamkar ou Schamkor, ville de la province arménienne d’Oudi, à l’ouest et sur les bords du Cour. Guiragos en attribue la fondation à Schath le khazir, fils de Dchapoukh, sous le règne de Khosrov, roi de Perse, au sixième siècle. « Il bâtit, dit-il, cinq villes au nom de Schath, savoir : Schathar, Schamkor, Schaki, Schirvan, Schamaki, ainsi que Schabôran. » apud Indjidji. Arm. anc. Jean Catholicos, historien du ixe siècle, mentionne aussi la ville de Schamkar.

[196] Kôra, et en arménien vulgaire Kôri, ville de Géorgie, au nord du Gour et à l’ouest de Tiflis. Mékhithar abbé, Dictionnaire des noms propres. Voir la description de cette ville dans la Géographie de Wakhoucht, trad. de M. Brosset.

[197] Dimitri Ier, fils de David II, régna sur la Géorgie vingt-huit ou vingt neuf ans, de 1125 à 1154 ou 1155.

[198] Menbêdj appartenait à Haçan ben-Kumuschtékin el-Ba’lbéky. Suivant Kémal ed-din (ad annum 518), Balag ayant passé auprès de cette place, invita Haçan à se joindre à lui pour marcher ensemble contre Tellbâscher. Mais aussitôt Balag, qui avait quelque sujet de mécontentement contre Haçan, le voyant en son pouvoir, se saisit de lui et entra dans Menbêdj. Alors le frère de Haçan, nommé ‘Iça, se réfugia dans la forteresse pour tenir tête à Balag. C’est dans ces conjonctures qu’il écrivit à Josselin. — D’après Ibn Djouzi, Haçan se trouvait en ce moment à Alep, et ce fut là que Balag s’empara de lui.

[199] Aïn-tab, place forte de la Syrie, au nord d’Alep ; Hamtap ou Hatab de Guillaume de Tyr.

[200] Cette correspondance, établie par notre auteur entre le 10 de sahmi et le 4 mai, est fausse. En cette année 573 le 10 de sahmi, dans le calendrier vague arménien, coïncida avec le 28 avril. (Voir mes Recherches sur la chronologie arménienne).

[201] On appelait Arévabaschd, adorateur du soleil, ou Arévorti, fils du soleil, les Arméniens qui avaient conservé l’ancien culte du feu, professé par cette nation avant qu’elle se convertit au christianisme, vers le commencement du quatrième siècle. Les Arévorti se maintinrent dans la Mésopotamie, principalement dans la ville de Samosate. Ils y vivaient mêlés avec les Musulmans. Grégoire Magistros, qui écrivait au onzième siècle, fait mention de ces sectaires dans une lettre adressée au patriarche des Syriens. Ceux de Samosate voulurent embrasser le christianisme dans le siècle suivant, comme on le voit dans une des lettres du patriarche saint Nersès Schnorhali. Thomas de Medzoph’, historien du quinzième siècle, dit, en racontant l’invasion de Timour (Tamerlan) en Mésopotamie : « Il vint à Mardin et saccagea cette ville ; il détruisit de fond en comble quatre villages habités par les adorateurs du feu, savoir : Schôl, Schmerschakh, Safari et Maragh’i. Mais ensuite, par les instigations de Satan, ces sectaires se multiplièrent à Mardin et Amid. » Ils subsistent encore dans la Mésopotamie. Indjidji, Arm. anc., et Tchamitch, t. I et t. III.

[202] Kémal ed-din dit que la flèche qui frappa Balag venait, comme le bruit courait, de la main même de ‘Iça, et qu’elle l’atteignit à la clavicule gauche. Ibn Alathir et Aboulféda affirment que l’on ignorait de qui ce coup était parti. Guillaume de Tyr (XIII, ii) donne une version tout à fait différente ; il dit que Balag périt dans le combat qu’il livra contre les chrétiens, et que c’est Josselin lui-même qui le tua, puis lui coupa la tête, sans le connaître. Cf. Reiske, Adnot. histor. ad Abulfeda Annal. t. III.

[203] Thomas de Metzoph, historien du xve siècle, (ms. de la Bibliothèque impériale de Paris, supplémeut arménien, 11°, f°, 16), en racontant l’invasion de Timour (Tamerlan) en Mésopotamie, dit : « Il vint à Mardin, et saccagea cette ville... Il détruisit de fond en comble quatre villages habités par les Arévorti, Schôl, Shêmrakh, Schmerschakh, apud Indjidji, Archéol. armén. t. III). Mais ensuite, par les artifices de Satan, ces sectaires se multiplièrent à Mardin et à Amith. La croyance des Arévorti se rattachait au sabéisme, qui avait son foyer dans la Mésopotamie, son principal sanctuaire et une école, devenue célèbre, dans la ville de Harran.

[204] Le roi Baudouin, cette fois, était resté dix-huit mois et un peu plus au pouvoir des infidèles. Sa rançon fut de cent mille michaelitae, « quae moneta, ajoute Guillaume de Tyr (XIII, xv), in regionibus illis, in publicis commerciis et rerum venalium foro principatum tenebat. » Kémal ed-din (ad annum 518) affirme que le roi sortit de prison de Schéïzar, le vendredi 17 de redjeb (30 août 1114).

[205] Bébou, forteresse de l’Euphratèse.

[206] Tchamitch raconte, t. III, que la forteresse de Gargar’ avait été d’abord enlevée à Mikhaïl par Baudouin, auquel les Turcs la prirent ensuite. Plus tard, les Turcs rentrèrent en possession de Bébou et de Gargar’, et enfin il en furent chassés par les Latins, qui en confièrent le commandement à Vasil, frère du patriarche saint Nersès Schnorhali. On lit dans Aboulfaradj (Chron. syr.) que Mikhaïl s’empara de Gargar’, qui avait été vendue aux Francs par Balag, qu’il céda cette place en échange de Souprous à Josselin le jeune, lequel la revendit à Vasil. Plus tard, Mikhaïl étant allé saccager le territoire de Kéçoun, tomba dans une embuscade que lui dressèrent les Francs, et fut tué.

[207] Manoutchê, émir de la famille des Beni-Scheddad, de la tribu kurde des Réwadis. — Cf. ch. X.

[208] Les habitants du district de Schirag, et particulièrement ceux d’Ani, exposés aux incursions continuelles des Turcs, étaient fatigués de cet état de choses. Ils avaient alors à leur tête Abou’lséwar, fils de Manoutchê, homme sans courage et incapable de les protéger. Il résolut d’abandonner cette ville, et proposa à l’émir de Gars de la lui vendre pour une somme de 60.000dinars, suivant le témoignage de Vartan. Les habitants, informés de ce projet, furent dans le trouble, et donnèrent avis de ce qui se passait au roi de Géorgie, David II. Ce prince étant arrivé aussitôt, ils lui livrèrent Ani, en 573 E. A.(19 fév. 1124 - 17 fév. 1125). Il y avait 60 ans que cette ville était au pouvoir de infidèles. Après en avoir confié le commandement à un chef géorgien appelé Abelhêth, et à Ivanê, fils de ce dernier, il s’en retourna à Tiflis, emmenant avec lui Abou’lséwar. Tchamitch, t. III.

[209] Suivant Guillaume de Tyr (XIII, 14-3), la ville de Tyr fut prise le 3 des calendes de juillet (28 juin) 1124, et Baudouin du Bourg recouvra sa liberté deux mois après, le 4 des calendes de septembre (28 août). Matthieu s’est donc trompé en plaçant la délivrance de ce prince à une date antérieure à cette conquête. Le duc franc dont parle ce chroniqueur est le doge de Venise, Dominique Michieli, qui prit une part active au siège, en bloquant avec sa flotte le port de Tyr. Les opérations militaires du côté du continent furent dirigées par Pons, comte de Tripoli, petit-fils de Raymond de Saint-Gilles, lequel était régent du royaume de Jérusalem pendant la captivité de Baudouin. Les Croisés avaient tait venir d’Antioche un ingénieur arménien nommé Avédik’. — Aboulféda (ad annum 518) dit que la ville se rendit à composition, et que les habitants en sortirent, le 20 de djoumada premier 518 (5 juillet 1124), emportant tout ce qu’ils purent sauver de leurs richesses.

[210] Il faut lire Doubaïs fils de Sadaka. Notre auteur commet la même erreur que nous avons signalée précédemment, ch. CCXXXI.

[211] Sultan-Schah, fils de Radhouân.

[212] Aboulfaradj nomme quatre fils de Kilidj Arslan à savoir : Maç’oud, Mélik Schah, ‘Arab et Thogrul Arslan. Le premier, en succédant à son père, fixa sa résidence à Iconium et laissa à Mélitène ses deux frères ‘Arab et Thogrul Arslan. Mélik Schah avait été fait prisonnier par Gazi, fils d’Ibn el-Danischmend, et aveuglé. C’est donc ou Thogrul Arslan ou ‘Arab que Matthieu désigne sous le nom de sultan de Mélitène ; mais je crois qu’il s’agit du dernier, comme semble l’indiquer le récit de l’historien syrien.

[213] Ak-Sonkor el-Boursouky prit possession d’Alep dans le mois de dsoul’hiddjé 518 (janvier 1125), suivant Ibn Alathir.

[214] La veuve de Kilidj Arslan se nommait Isabelle, et était sans doute chrétienne, comme on peut l’inférer de son nom. — Cf. Aboulfaradj, Chron. Syr.

[215] Je crois que Meschar est la même ville dont le nom est écrit quelquefois Masr, et dans Aboulfaradj, Maçara, et que Ptolémée mentionne dans la description de la Petite Arménie (V, vii). Elle semble répondre aujourd’hui à une position appelée Maschiré, (Méséré dans la carte de l’Asie Mineure de Kiepert), village à huit lieues au sud-est de Malathia (Mélitène), sur la route de Samosate, et chef-lieu d’un lieu du même nom, dépendant du pachalik de Malathia.

[216] Le 11 juin. — Kémal ed-din donne la date du 6 de rabi’ second 519 hég. = 12 mal 1225. Ce chroniqueur et Ibn Alathir ajoutent que les musulmans éprouvèrent un terrible échec. Toutefois il parait que Matthieu est tombé dans l’exagération ; car Guillaume de Tyr porte à deux mille le nombre des musulmans qui furent tués, et Ibn Alathir dit seulement qu’il y en eut plus d’un millier. Kemal ed-din assure qu’aucun des émirs et des principaux officiers ne perdit la vie. Il est probable que ces deux auteurs ont dissimulé la gravité du désastre que subirent leurs coreligionnaires.

[217] Kala’-Dja’bar, c’est-à-dire le château de Dja’bar, forteresse de la Mésopotamie, sur l’Euphrate, non loin de Rakka. Calogenbar de Guillaume de Tyr.

[218] Après avoir parlé du retour de Boursouky à Mossoul. Guillaume de Tyr ajoute, (XIII, vi) que le roi, ayant réuni une somme considérable, soit par les dépouilles des infidèles, soit par la libéralité de ses amis, racheta sa fille, âgée de cinq ans, qu’il avait donnée en otage en garantie de sa propre rançon.

[219] Hadji, en arabe, pèlerin, celui qui a fait le pèlerinage de La Mecque, prescrit par la religion musulmane. — Au rapport de Kémal ed-din, Boursouky fut tué par huit Bathéniens déguisés en derviches, qui se jetèrent sur lui le vendredi après son retour à Mossoul, dans la mosquée où il était ailé faire sa prière, et tandis qu’il s’avançait vers la chaire. Suivant Ibn Alathir, c’était au moment où il priait dans la Djami’, placé au premier rang des assistants, que dix hommes l’assaillirent à coups de couteau, et il succomba après en avoir tué lui-même trois. Il expira le même jour, 8 de dsou’lka’dé 520 hég., ou suivant Ibn Khallican, le lendemain 9 = 17 ou 18 nov. 1126 ; en 519, suivant Abou’l Méhacen. Aboulfaradj remarque que le seigneur d’Antioche fit parvenir à ce jeune prince la première nouvelle de la mort de son père ; les Francs, dit-il, l’avaient connue avant tous le» autres, à cause de l’extrême diligence qu’ils apportaient à s’informer tout ce qui concernait les musulmans.

[220] Bohémond, le père du jeune Bohémond, après une malheureuse expédition contre l’empereur Alexis, et avoir reçu un échec devant Durazzo, était revenu dans sa petite principauté de Tarente, où il mourut au commencement de mars 1111. Son fils, né en 1107, avait 22 ans, lorsqu’il arriva en Palestine pour lui succéder à Antioche ; il épousa Aalis, seconde fille de Baudouin du Bourg. Il eut de violents démêlés avec Josselin, comte d’Édesse, qui, s’alliant aux Turcs, était entré sur les terres de Bohémond. Mais Baudouin rétablit la paix entre eux. En 1130. Radhouân, prince d’Alep, étant venu ravager le territoire d’Antioche, Bohémond accourut pour le repousser, et s’étant avancé jusque dans la Cilicie, fut tué auprès d’Anazarbe, dans la plaine appelée Pratum palliorum. Guill. de Tyr, XIII, 21-27.

[221] C’est-à-dire du pays des Francs. Rome ayant été la capitale politique de l’Occident sous les empereurs romains, et plus tard sa métropole religieuse, est la ville de cette partie du monde que les Arméniens connurent le mieux et dont le nom leur servait quelquefois à désigner l’Europe d’une manière générale.

[222] Emâd ed-din Zangui n’avait que dix ans lorsqu’il perdit son père, Kacim eddaula Ak-Sonkor, émir d’Alep. Il apprit le métier des armes sous les plus grands généraux de son temps, Kerbogâ, Djekermisch, Maudoud et Boursouky. Apres avoir été préfet de Bagdad, il fut créé émir de Mossoul en 521 hég. (16 janv. 1127 - 5 janv. 1128) par le sultan Mahmoud. Zangui étendit son pouvoir sur Nisibe, Sindjar, Harrân, Djézireh, et ensuite sur Alep, Hama, Emesse, Baalbek et autres places de la Syrie, qu’il posséda tout entière, à l’exception de Damas (Aboulféda, Ann. t. III. Cf. M. Reinaud, Extraits des historiens arabes relatifs aux Croisades). Il fut la tige des princes atabeks de Syrie. Nos chroniqueurs latins le connaissent sous le nom de Sanguinus. Il laissa un fils qui devint encore plus célèbre que lui, Nour ed-din.

[223] En l’année 522 hég. (6 janv. - 24 déc. 1128). Zangui occupa Alep. Les habitants de cette ville, redoutant précédemment les Francs, l’avaient livrée à Ak-Sonkor el-Boursouky, qui, en s’en retournant à Mossoul, laissa son fils Maç’oud à Alep. Après que Boursouky eut péri de la main des Bathéniens, Maç’oud vint s’établir à Mossoul, siège du gouvernement de son père. Alep passa entre les mains de plusieurs maîtres successifs. Au milieu des troubles que ces changements occasionnèrent, les Francs songeaient à s’emparer de cette ville. Josselin tenta d’y entrer, mais les habitants obtinrent son éloignement à prix d’argent. Sur ces entrefaites Zangui ayant été investi du commandement de Mossoul, envoya à Alep des forces considérables sous la conduite des émirs Ak-Sonkor Daraz et Haçan Karakousch, avec un ordre du sultan Mahmoud qui soumettait Mossoul, la Mésopotamie et la Syrie à Zangui. Celui-ci s’étant mis lui-même en route pour Alep, prit en chemin Menbêdj et Bezah ; lorsqu’ils fut près d’Alep, les habitants accoururent au-devant de lui et le reçurent avec joie. Une fois en possession de cette ville, dans le mois de moharrem (janvier) de cette année, il y rétablit l’ordre et la tranquillité. — Ibn Alathir et Aboulféda, ad annum 522.

[224] Ce fils de Toghtékïn, émir de Damas, se nommait Tadj el-Molouk Bouri. Après la mort de son père, arrivée en 522 hég. (1128), il lui succéda dans sa principauté. Il mourut le 20 de redjeb de l’an 526 (17 mai 1132), après un règne de 4 ans 5 mois et quelques jours. (Aboulféda, t. III).

[225] Mélik-Thogrul fut placé sur le trône de Perse par son oncle Sindjar en 526 hég. (1132). Il l’occupa pendant 3 ans et 2 mois, et mourut à Hamadan dans le mois de moharrem 529 hég. = (21 oct. - 19 nov. 1134). — Aboulféda, t. III.

[226] Nicétas Choniatès et Cinnamus le font succéder immédiatement à Danischmend, tandis qu’il ne devint prince de Cappadoce qu’après son père Gazi, fils de ce dernier. Gazi s’était emparé de Castamon (Kastemouni) dans le thema Paphlagonum, et c’est ce qui détermina l’empereur Jean Comnène, avec d’autres raisons dont il sera question plus loin, à faire alliance avec le sultan d’Iconium contre Mohammed et à passer en Asie : Après avoir pris Castamon et Gangra, il revint à Constantinople, d’où l’année suivante (1137) il entreprit son expédition de Syrie.

[227] La généalogie dynastique des émirs Turcomans de Cappadoce présente, dans Matthieu, Grégoire le Prêtre, Vartan et Michel le Syrien, de notables différences avec celle qui est donnée par Deguignes, Hist. des Huns, t. I. En combinant les données que fournissent ces quatre historiens avec les indications d’Aboulfaradj, de Nicétas Choniatès et Cinnamus, d’Ibn Alathir et Aboulféda, j’ai essayé de rétablir d’une manière aussi complète que je l’ai pu, la série des princes de cette dynastie. — Voir à la fin du volume.

[228] L’auteur fait allusion au roi de Babylone, Balthasar, qui, dans le splendide festin qu’il donna et que décrit Daniel (V, 6), se fit apporter les vases sacrés du temple de Jérusalem, et y but, avec ses grands officiers et ses concubines.

[229] Isaïe, 1, 8. — Les paroles qui suivent sont une imitation plutôt qu’une citation de l’Ecriture Sainte.

[230] C’est Jean Comnène.

[231] Baudouin, comte de Kéçoun et de Marasch, mentionné par Guillaume de Tyr, XVI, III et 17, sous le nom de Balduinus de Mares. Le continuateur de Matthieu, Grégoire le Prêtre, nous apprend (ch. CCLIX) que Baudouin était frère de Raymond de Poitiers, prince d’Antioche, et par conséquent fils de Guillaume IX, duc d’Aquitaine. Jusqu’à présent on ne connaissait que trois fils de Guillaume IX, savoir : Guillaume X, qui lui succéda dans le comté de Poitou et dans les duchés d’Aquitaine et de Gascogne, Raymond, qui devint prince d’Antioche, et Henri, dont fait mention Guillaume de Tyr (XIV, 20), et qui fut religieux de Cluny (Dom Vaissete, Hist. de Languedoc, XVI, 83). Les deux premiers étalent nés à Toulouse, l’un vers le commencement de 1099, et l’autre dix mois après, comme semble l’indiquer l’auteur de la Chronique de Maillesais, pendant que Guillaume IX faisait son séjour dans cette ville, dont il s’était emparé en l’absence de Raymond de Saint-Gilles, alors en Terre-Sainte. (Dom Vaissete, XV).

L’assertion de l’auteur arménien sur le degré de parenté qui unissait Baudouin à Raymond de Poitiers concorde parfaitement avec les paroles du docteur Huile, dans son Oraison funèbre du comte Baudouin, et mérite d’autant plus de confiance, que Basile habitait la ville de Kéçoun et était le confesseur de ce dernier. Les relations intimes qui existaient entre Raymond et Baudouin viennent à l’appui de cette assertion. Nous avons vu (ch. CCXXIII) Baudouin s’associer à la trahison dont Raymond se rendit coupable envers le prince arménien Léon Ier. Les deux villes de Kéçoun et de Marasch, dont Baudouin était seigneur, se trouvaient dans la partie du territoire de la Cilicie sur laquelle s’étendait la puissance des princes d’Antioche

[232] Les pays musulmans (Dadjgasdan) dont Matthieu veut parler dans ce passage sont la partie de l’Asie Mineure qui se trouvait sur la route de Jean Comnène vers la Syrie, et qui formait les Etats des sultans d’Iconium.

[233] Cf. sur cette expédition, ch. CCXXIII.