L'IMPÉRATRICE THÉODORA

ÉTUDE CRITIQUE

 

PAR ANTONIN DEBIDOUR.

PARIS - DENTU - 1885.

 

 

AVANT-PROPOS.

INTRODUCTION.

La légende de Théodora. — Où est la vérité ? — Procope et ses ouvrages. — L'Histoire secrète est-elle de lui ? — Ce qu'il importe de savoir sur l'auteur de l'Histoire secrète. — Des contradictions de Procope. — Des motifs religieux de sa partialité. — Motifs moraux et politiques. — Des autres témoignages sur Théodora. — Des documents négligés.

CHAPITRE PREMIER. — LA FEMME.

La jeunesse de Théodora. — Justinien séduit. — Y eut-il opposition de la famille impériale au mariage ? — La loi sur les comédiennes. — Sollicitude de Théodora pour les femmes. — Mesures contre la prostitution et le proxénétisme. — Théodora et la question du divorce. — Lois sur l'adultère et politique matrimoniale. — Bienfaisance de Théodora, ses amitiés et ses haines.

CHAPITRE II. — L'IMPÉRATRICE.

La cour de Théodora. — Les factions de l'Hippodrome et l'affaire de Nika. — Théodora, les Vandales et les Goths ; question d'Amalasonthe. — Suite de la politique extérieure. — Théodora et les ministres de Justinien. — De la prétendue disgrâce de Bélisaire. — Théodora et sa police secrète. — Surveillance administrative et essais de réformes. — Travaux publics. — Théodora fut-elle populaire ?

CHAPITRE III. — LA CHRÉTIENNE.

Rôle religieux de Théodora méconnu. — Les religions et les sectes dans l'empire ; hérésie de Théodora. — Les persécutions de Justinien. — Si l'orthodoxie de Justinien fut altérée par Théodora. — Dans quel esprit Théodora prit part aux querelles religieuses. — Théodora et les papes ; affaire de Silvère. — Théodora, Justinien et Vigile.

CONCLUSION.

 

AVANT-PROPOS

Depuis quelques mois on a beaucoup parlé en France et surtout à Paris de l'impératrice Théodora. De son vivant le théâtre, dit-on, lui avait valu un trône. Le théâtre aujourd'hui lui vaut une notoriété posthume qu'elle eût peut-être souhaitée si elle n'eût été qu'une aventurière et une héroïne de cirque. Comme elle fut probablement tout autre chose, il y a gros à parier que, si elle revenait en ce monde, elle n'irait pas remercier M. Sardou du rôle qu'il lui fait jouer dans sa dernière pièce.

Je ne veux pas dire pour cela qu'un auteur dramatique n'ait point le droit de modifier l'histoire, de rhabiller et de la faire parler à sa guise quand il la traduit sur la scène. Le poète est, par essence, un créateur. Il ne prend du passé que ce qui lui convient. S'il lui plaît de ressusciter les morts, il peut lui plaire aussi de ne pas les faire renaître tels qu'ils ont vécu. S'il crée des personnages vivants, bien vivants, qui nous fassent pleurer ou rire au besoin, peu importe que leurs costumes aient, comme on dit, de la couleur locale, que leurs discours et leurs actes soient ou non conformes aux chroniques.

L'historien, lui, n'a pas cette liberté. Les chroniques le tiennent, l'enveloppent. Il est l'esclave du document. Il ne peut à son gré faire courir les rues aux impératrices à la recherche d'un philtre, ni étrangler les gens seize années avant leur vraie mort. Être intéressant, c'est son rêve ; être exact, c'est son devoir.

Il lui faut aussi parfois rompre en visière au monde entier, prendre corps à corps des opinions reçues qui vivent depuis des siècles et qui n'en vivent que mieux, flétrir certaines gloires, laver certaines infamies. Si de l'examen complet et loyal des témoignages qui ont valu aux uns le respect, aux autres le mépris de la postérité, il résulte à ses yeux qu'on s'est trompé, il peut et doit le dire.

Mais on criera au paradoxe. Ne vaudrait-il pas mieux se taire ?

J'hésiterais peut-être, pour ma part, à publier la réhabilitation historique d'une femme universellement décriée, si quelques amis ne m'y avaient engagé et si le travail qu'on va lire n'avait reçu bon accueil des juges les plus graves et les plus compétents. Cette étude a d'abord été écrite en latin. Elle a été présentée à la Sorbonne comme thèse de doctorat en 1877. Je l'avais à peu près oubliée. Il m'eût fallu des loisirs pour la refaire sur un nouveau plan, sous une forme plus attrayante et moins scolastique. Pressé par le temps, j'ai dû me contenter de la traduire, en ajoutant seulement ça et là quelques explications et notes sans lesquelles ma discussion n'eût pas toujours paru bien claire au lecteur. Pour ne pas rendre tout à fait illisible cette critique parfois sèche de textes souvent barbares, j'ai renoncé à un étalage trop facile d'érudition. J'ai mis en français mes citations. Sur bien des points je me suis borné à renvoyer (mais très exactement) aux ouvrages originaux où j'avais puisé. J'ose espérer que le public reconnaîtra ce qu'il m'a fallu de recherches et de rapprochements pour me créer la conviction que je désire lui faire partager. S'il trouve tout d'abord Théodora trop vertueuse dans ce livre, peut-être finira-t-il par se dire qu'on l'a faite trop criminelle dans les autres. J'ajoute que, si l'on applaudit à la Théodora du théâtre, ce n'est pas une raison pour refuser son suffrage à la Théodora de l'histoire.

A. D.

Mars 1885.

 

INTRODUCTION

La légende de Théodora. — Où est la vérité ? — Procope et ses ouvrages. — L'Histoire secrète est-elle de lui ? — Ce qu'il importe de savoir sur l'auteur de l'Histoire secrète. — Des contradictions de Procope. — Des motifs religieux de sa partialité. — Motifs moraux et politiques. — Des autres témoignages sur Théodora. — Des documents négligés.

 

LA LÉGENDE DE THÉODORA.

Si les honnêtes femmes sont celles dont on ne parle pas, il ne semble point, au premier abord, que l'impératrice Théodora ait mérité d'être comptée parmi elles. L'auguste parvenue du sixième siècle qui, de la plus humble condition, s'était élevée au premier trône du monde, n'a pas seulement passionné ses contemporains. La postérité n'a jamais fait le silence autour de sa tombe, et l'on remplirait de gros volumes du bien et du mal que l'on a dit d'elle jusqu'en ces derniers temps. Du mal surtout, car je dois bien reconnaître que presque tous les auteurs qui ont parlé de Théodora l'ont jugée avec défaveur. Ses mœurs, son caractère, sa vie ont été généralement dépeints sous les plus noires couleurs. Il semble que son histoire salisse la plume. Comme on ne voit en elle qu'une aventurière, aussi dépravée que perfide et cruelle, on ne croit d'ordinaire lui devoir que colère et mépris. Nul, à ma connaissance, n'a jusqu'à présent osé prendre ouvertement sa défense. Seuls, ou à peu près, l'Anglais Gibbon, dans l'Histoire de la décadence et de la chute de l'empire romain, et l'Allemand Ludewig, dans sa Vie de Justinien et de Théodora[1], ont timidement plaidé pour elle les circonstances atténuantes. Encore n'était-ce pas, suivant toute apparence, par sympathie pour elle. Aux yeux de ce dernier, l'indignité de la femme eût rejailli d'une manière fâcheuse sur le mari et même sur ce Corps du droit civil, à la confection duquel elle n'était pas restée étrangère et qui lui inspirait à lui, Ludewig, tant de respect et d'admiration. Quant à Gibbon, les écrivains catholiques avaient si fort maltraité Théodora qu'il trouvait de bonne guerre, en voltairien qu'il était, d'avoir quelques égards pour cette pauvre excommuniée. Voilà tout. Les autres historiens ne se donnent pas en général la peine de démêler ce qu'il y a de faux et de vrai dans les imputations si graves dont cette impératrice a été l'objet. Plusieurs même ne parlent jamais d'elle qu'avec une animosité singulière. On dirait, à les entendre, qu'il s'agit pour eux d'une ennemie personnelle et qu'ils ne la jugent pas suffisamment déshonorée par leurs devanciers. Écoutez par exemple le cardinal Baronius, dans ses Annales ecclésiastiques[2]. Quelle indignation ! quels éclats de voix ! C'est une créature détestable, une seconde Eve trop docile au serpent, une Dalila, une autre Hérodiade altérée du sang des saints. Bientôt même il lui faut recourir à la mythologie païenne pour trouver des comparaisons qui rendent bien sa pensée. Femelle enragée ! s'écrie-t-il, c'est plutôt aux enfers à lui donner un nom, celui dont la fable gratifia les Furies ; c'est Alecto qu'il faut l'appeler, c'est Mégère, c'est Tisiphone, nourrie par les démons, agitée de l'esprit satanique, piquée de la mouche du diable et mettant en fuite cette paix que les confesseurs et les martyrs avaient achetée au prix de leurs sueurs et de leur sang...

 

OÙ EST LA VÉRITÉ ?

Sans manquer de respect à Baronius, on peut bien dire que c'est là le ton d'un polémiste et d'un énergumène plutôt que celui d'un historien. Du reste, quand il eût jugé Théodora plus froidement, je ne crois point qu'il fallût adopter sans examen l'opinion de ce docte écrivain. Pas plus que nous il n'avait vu l'impératrice ; pas plus que nous il n'avait été témoin de sa vie.

Quelques textes tronqués et discordants, tirés d'autres auteurs, lui avaient suffi pour dresser ce jugement absolu, conforme du reste à la loi générale qu'il s'était imposée dans ses Annales de glorifier la papauté. Les écrivains qui ont pour ainsi dire saisi l'histoire au vol, qui l'ont prise sur le vif, qui nous ont raconté les événements accomplis sous leurs yeux ou dont ils tenaient le récit de leurs contemporains, ne méritent pas sans doute forcément notre confiance. Mais ils en sont plus dignes que ceux qui, après dix siècles, viennent exhumer un passé en poussière, auquel ils ne sauraient rendre la vie. Si donc vous voulez connaître Théodora, son caractère, son influence sur Justinien, enfin son rôle politique et religieux dans l'empire, laissez de côté la plupart des écrivains modernes ; adressez-vous de préférence à ceux qui ont vécu de son temps ou tout au moins sous l'impression encore vive des événements auxquels elle avait été mêlée. C'est le parti que j'ai pris pour mon édification et, par suite, pour celle du lecteur.

 

PROCOPE ET SES OUVRAGES.

Le premier historien à consulter, parmi les contemporains de Justinien, celui qui paraît le mieux informé et qui, comme on dit, fait autorité, c'est évidemment Procope de Césarée. Ce personnage fort instruit, qui fut secrétaire et adjoint civil[3] de Bélisaire, plus tard préfet de Constantinople et qui, décoré du titre d'Illustre, vivait dans l'entourage immédiat, peut-être dans l'intimité de l'empereur et de l'impératrice, était mieux placé que personne pour tout voir, tout entendre. Aussi attache-t-on avec raison le plus grand prix aux huit livres dans lesquels il a raconté les guerres de Justinien contre les Perses, les Vandales et les Goths[4], aux six qu'il a consacrés à décrire les constructions ordonnées par ce prince[5], enfin au petit ouvrage qu'on lui attribue d'ordinaire et où sont si crûment dénoncés les crimes et les turpitudes de la cour de Byzance au sixième siècle[6]. Mais quand on a lu ces travaux, deux remarques viennent naturellement à l'esprit. La première c'est que les huit livres des Guerres et les six des Edifices ont bien été publiés du vivant de Procope, tous le reconnaissent et nul n'y contredit, tandis que la fameuse Histoire secrète (qui est vraiment l'acte d'accusation de Théodora) n'a été mise en lumière qu'au dix-septième siècle[7] et qu'on ne peut affirmer qu'elle soit de cet écrivain. La seconde, c'est que beaucoup d'endroits de cet ouvrage sont en contradiction absolue avec les précédents récits du même auteur. En présence d'un historien qui, sur le même personnage, tient deux langages si différents, si opposés, on se demande où et quand il a dit la vérité. On reste dans l'incertitude. Il y a là une difficulté que, pour ma part, je ne puis éluder. Dans une étude sur Théodora, la valeur de l'Histoire secrète, qui contient à l'égard de cette impératrice de si graves imputations, doit être examinée avec le plus grand soin. Si Baronius, dont je parlais tout à l'heure, eût pu la lire, il se serait reproché d'avoir traité l'épouse de Justinien avec trop d'indulgence dans ses Annales[8]. Ce livre est en effet celui où l'on trouve les détails les plus précis et en même temps les jugements les plus acerbes sur le caractère et la vie de cette parvenue. Le lecteur voudra donc bien me permettre quelques objections générales à l'Histoire secrète, en attendant l'examen particulier des diverses allégations qu'elle renferme.

 

L'HISTOIRE SECRÈTE EST-ELLE DE LUI ?

On pourrait tout d'abord, comme je viens de le dire, prétendre — sans témérité — que l'auteur de cet ouvrage n'est pas celui de l'histoire des Guerres et du traité des Édifices. Eichel[9] en 1654 et, plus récemment, en 1858, Reinkens, professeur à l'Université de Breslau, en ont formellement attribué la paternité à un faussaire, qui aurait usurpé le nom de Procope. Comment, demandent ces critiques, un homme comme l'historien de Césarée, élevé du rang le plus humble aux plus hautes dignités par la faveur impériale, comblé toute sa vie des bienfaits de Bélisaire et de Justinien, a-t-il pu avoir l'impudence d'accabler d'outrages dans un de ses livres ces deux personnages et leurs proches, qu'il écrase dans ses autres ouvrages du poids de ses louanges ou, pour mieux dire, de ses flagorneries ? D'autre part, comment admettre qu'un historien qui, dans ses œuvres authentiques, a toujours écrit de sens rassis, avec tant de raison et de sagacité, ait eu l'esprit assez faible pour composer un libelle où sont rapportées avec complaisance tant de niaiseries ou d'absurdités ? Lisez par exemple les chapitres 12, 13 et 22 de l'Histoire secrète. Vous y verrez que Justinien n'était pas un homme, mais un démon, sans métaphore, qu'il espérait ne pas mourir, qu'il comptait être enlevé au ciel tout vivant, que Théodora l'avait enchaîné par des moyens magiques. Tenez compte aussi de ce fait que Procope était un littérateur de talent, que ses autres ouvrages sont composés avec un art dont le lecteur est frappé et que celui dont il s'agit a été écrit à bâtons rompus, sans suite, sans méthode, comme un amas de notes incohérentes. Qu'on ne dise pas que l'auteur n'a pu y mettre la dernière main. Car le livre passe pour avoir été terminé en 559 ; il a dû même l'être beaucoup plus tôt, puisqu'il n'y est mentionné aucun fait de quelque importance postérieur à l'année 546, date de la mort de Théodora ; et l'on sait que Procope vivait en 562, époque où il devint préfet de Constantinople. Enfin, je veux bien que ce fonctionnaire ait tenu sous clef, du vivant de Justinien, un pamphlet si diffamatoire, pour ne pas dire si calomnieux ; je veux qu'il l'ait gardé des années, qu'il ne se soit pas donné le plaisir de communiquer une pièce si piquante, si salée, au plus intime de ses amis. Mais après la mort du prince et de l'auteur lui-même, quand la famille de Justinien eut été remplacée par d'autres sur le trône[10], comment expliquer que l'Histoire secrète soit restée ignorée d'écrivains qui avaient connu Procope, qui avaient lu et goûté ses autres ouvrages ? Évagre[11], par exemple, qui écrivait à la fin du sixième siècle et qui était Syrien comme lui, cite fréquemment son histoire des Guerres, mais ne fait nulle part la moindre allusion à l'Histoire secrète. La première mention que nous en trouvions émane d'un auteur du dixième siècle, de ce Suidas, dont l'autorité est si justement suspectée et dont l'espèce de dictionnaire a servi de véhicule à tant de billevesées. C'est Alemanni qui, le premier, publia cette étrange composition, en 1623. Et il est à remarquer que les manuscrits qu'il eut entre les mains ne portaient pas de nom d'auteur. Celui de Procope ne se trouve que sur un seul manuscrit de l'Histoire secrète, découvert à Milan dans la bibliothèque Ambrosienne et publié par Maltret en 1662. Est-ce une raison suffisante pour regarder le brillant secrétaire de Bélisaire comme le rédacteur de ces plats et dégoûtants commérages ?

 

CE QU'IL IMPORTE DE SAVOIR SUR L'AUTEUR DE L'HISTOIRE SECRÈTE.

Je ne veux pas prolonger une pareille discussion, d'autant que nul ne sait et ne peut savoir la vérité absolue sur cette question. Je dois reconnaître, du reste, que si certains auteurs dénient à Procope la paternité de l'ouvrage qui nous occupe, d'autres, et plus nombreux, la lui accordent sans hésiter. Remarquons parmi ces derniers Alemanni, dont l'autorité est certainement respectable. Son opinion a été soutenue et étayée de nouveaux arguments, au dix-huitième et au dix-neuvième siècle, par de judicieux critiques, parmi lesquels je citerai Reinhardt[12], Teuffel[13], Eckardt[14], Gundlach, Dahn[15] et Auler[16]. J'avouerai franchement, pour ma part, que je suis encore dans le doute. Mais que l'auteur de l'Histoire secrète soit bien Procope ou ne soit qu'un faussaire, il n'importe guère après tout ; c'est l'œuvre beaucoup plus que l'homme que nous avons à juger. Ce qui est évident, c'est que ce petit livre a été composé par un homme qui avait vu de près la cour de Justinien et de Théodora. A-t-il calomnié l'impératrice ? Voilà toute la question. Admettons une fois pour toutes que ce soit Procope. Il reste à rechercher s'il n'a pas pu se tromper, ou mieux, s'il n'a pas voulu tromper ; en d'autres termes, s'il a écrit sans partialité et de bonne foi.

 

DES CONTRADICTIONS DE PROCOPE.

Quelques auteurs modernes, et notamment Hermann Eckardt, cité plus haut, admettent bien que Procope, en général, mérite confiance, mais reconnaissent que l'Histoire secrète ne doit être lue qu'avec beaucoup de précautions. Leur opinion diffère sur ce point de celle d'Alemanni, juge érudit, mais passionné, qui, dans sa dissertation et ses notes sur l'ouvrage en question[17], paraît n'avoir d'autre but que de laver Procope de tout reproche d'erreur ou de partialité. Pour assurer le succès de sa thèse, qui eût été impossible s'il eût publié en entier le manuscrit de l'Histoire secrète, le docte éditeur de 1623 supprima deux passages du chapitre IX où sont rapportées, à la charge de Théodora, des anecdotes tellement immondes qu'elles en sont incroyables. Ces racontars cyniques, que Bernard Monnoye imprima depuis dans ses Menagiana, prouvent que Procope était bien crédule ou bien haineux. Comment, du reste, Alemanni n'a-t-il pas vu que Procope avait, à l'avance et lui-même, infirmé par ses propres aveux son autorité d'historien ? Que lisons-nous en effet dans la préface de l'histoire des guerres ? L'éloquence, dit gravement Procope, convient à l'orateur, la fiction au poète, la vérité à l'historien. C'est pourquoi l'auteur de ce livre n'a point dissimulé les fautes même de ceux qu'il aimait le plus ; il a au contraire scrupuleusement mis en lumière les actions de chacun, belles ou honteuses ? Et que déclare-t-il dans la préface de l'Histoire secrète ? Justement qu'il n'a pas tout dit dans ses premiers ouvrages et que la crainte lui a fait passer bien des faits sous silence. Quelle confiance peut inspirer au lecteur un pareil caractère ?

 

DES MOTIFS RELIGIEUX DE SA PARTIALITÉ.

Un des arguments les plus spécieux d'Alemanni en faveur de son client, c'est qu'il n'avait aucun motif de haine contre Justinien et Théodora. Il est difficile de croire qu'il n'ait pas eu de raisons tout à fait personnelles pour déchirer comme il l'a fait ces deux personnages. Mais enfin on ne voit nulle part, j'en conviens, que l'empereur ni l'impératrice l'eussent lésé dans son honneur, ses intérêts ou ses affections. Ce point admis, on ne peut s'empêcher de remarquer, quand on lit ses œuvres avec attention, qu'il était loin de partager les croyances et les opinions religieuses de son maître. Justinien, sombre et dur sectaire, voulait, comme je le montrerai plus loin, contraindre tous ses sujets à penser exactement comme lui de Dieu et des questions ecclésiastiques ; des discussions obscures, subtiles et sans fin absorbaient ses jours et ses nuits ; le fer et le feu menaçaient sans relâche quiconque s'écartait des règles de foi qu'il avait tracées. Aussi cette tyrannie lui faisait-elle bien des ennemis secrets. Beaucoup de sujets restaient encore imbus des croyances païennes. D'autres, sans doute sceptiques, répugnaient par nature à toute controverse religieuse. De ce nombre était Procope qui, d'ailleurs, au premier livre de la Guerre des Goths a fait entendre assez clairement ce qu'il pensait des disputes dogmatiques et des persécutions. C'est à mon sens, dit-il, de la folie et de l'outrecuidance de rechercher quelle peut être la nature de Dieu. L'homme, c'est du moins mon sentiment, ne pénètre même pas à fond sa propre nature ; comment connaîtrait-il celle de Dieu ? Pour moi, s'il est des dogmes que l'on n'honore convenablement que par une pieuse crédulité, il est prudent de n'en point parler ; de Dieu je me contente d'affirmer qu'il est souverainement bon et que sa puissance embrasse l'univers entier. Que tout homme, d'ailleurs, prêtre ou laïque, parle à sa guise de tout cela...

L'auteur de ces lignes était, on ne doit pas l'oublier, originaire de Césarée, c'est-à-dire d'une ville de Palestine. Or on sait que cette province, où pullulaient, sous le règne de Justinien, les samaritains, les hérétiques, les païens, fut plus que toute autre ensanglantée par les rigueurs de ce prince[18]. Ne serait-ce pas pour cette raison que Procope se livrait en secret à de violents emportements de plume et se dédommageait ainsi de la contrainte respectueuse qu'il s'imposait d'ordinaire vis-à-vis de ses souverains ?

 

MOTIFS MORAUX ET POLITIQUES.

On a pu observer dans tous les pays et dans tous les temps que le despotisme, qui ne veut pas de la liberté, a pour contrepoids la licence. Proscrire la critique, c'est provoquer la satire. Empêchez vos sujets de parler, ils écrivent. La liberté que vous leur refusez en public, ils la prennent à huis clos. Ils en usent et en abusent. Si vous ne voulez pas qu'ils vous disent vos vérités en face, ils se cacheront pour vous calomnier. Croit-on que si Procope eût pu mettre sans réserve et sans réticence dans ses précédents ouvrages tout ce qu'il savait sur les hommes et les choses de son temps, il eût accueilli si légèrement dans son livre secret des fables niaises, des commérages odieux, tout à fait indignes de la majesté de l'histoire et dont il ne pouvait, du reste, fournir la moindre preuve ? Je suis convaincu pour ma part qu'il n'eût point si complaisamment accepté, si malignement mis au jour tout ce qu'il a écrit de la jeunesse et du caractère de Théodora. D'autant que, s'il n'a point inventé ces anecdotes, il ne les savait que par ouï-dire et ne pouvait accompagner d'aucun témoignage sérieux ses scandaleuses allégations. Comment ! Il s'agit de turpitudes sans exemple, qui sont, il nous l'assure, de notoriété publique. La capitale entière de l'empire en a été témoin. Et lui seul nous les rapporte ! Est-il admissible que tous ses contemporains se soient tus et que tous les autres historiens aient ignoré des faits si connus, si monstrueux ?

 

DES AUTRES TÉMOIGNAGES SUR THÉODORA.

Mais, dira-t-on, ces témoignages que vous niez et qui corroborent l'Histoire secrète, ils existent ; Alemanni a pris soin de les réunir, de les mettre en lumière. Qu'il ait ramassé des textes à l'appui de sa thèse, je ne le conteste pas. Mais il s'agit de savoir ce qu'ils valent et ce qu'ils prouvent. Il arrive souvent que, pour défendre une opinion ou une doctrine, on tire de livres sans aucun rapport avec le sujet que l'on traite des citations tronquées qui, adaptées avec adresse au raisonnement, servent à démontrer une proposition et qui, par une adaptation différente, pourraient démontrer le contraire. De plus, lorsque l'on soutient la véracité d'un historien, on est assez porté à invoquer tous ceux qui ont pensé, qui ont parlé comme lui, sans distinguer entre eux et sans se demander s'ils ont une autorité propre. On ne se souvient pas toujours que, lorsqu'on produit des témoins, il faut tenir compte non seulement de leur caractère et de leur valeur intellectuelle, mais du parti auquel ils ont appartenu, de leur religion, du temps où ils ont vécu et de leur nationalité. Quand on a tout pesé avec soin, on voit qu'ils ne méritent pas tous la même confiance ; et on leur en accorde d'autant plus qu'ils ont moins péché par ignorance ou par passion. A ce compte, Alemanni avait-il le droit, pour corroborer Procope, de faire appel à Baronius, dont j'ai montré plus haut l'extrême malveillance à l'égard de Théodora ? Qu'est-ce que Baronius avait, du reste, ajouté de neuf aux livres qui, avant ses Annales, avaient fait connaître Théodora ? Absolument rien. Quant aux historiens byzantins, Alemanni cite souvent Zonaras et Georges Cédrénus ; mais le premier[19] n'a écrit ses Annales qu'au douzième siècle et je ne sache pas qu'en ce qui regarde Justinien et Théodora on y trouve rien qui n'ait été dit longtemps avant lui ; le second vivait à peu près à la même époque[20] et on peut faire la même remarque sur ses Chroniques, servile imitation de Théophane et monument de crédulité plutôt que de sagacité. La Chronographie de Théophane[21], qui est du huitième siècle, n'échappe pas à ces reproches. Alemanni, qui invoque si fréquemment ce dernier auteur, ne fait pas assez remarquer qu'en bien des endroits il confond et brouille les époques. On peut en outre admettre que ce chroniqueur n'a pas toujours écrit avec assez de soin, ni d'équité. On sait que les discordes ecclésiastiques de son temps remplirent et troublèrent sa vie. Il est à croire qu'elles ne lui laissèrent guère le repos et le sang-froid qu'exigent des recherches historiques. Anastase le Bibliothécaire[22], bien qu'il n'ait écrit que vers la fin du neuvième siècle, mérite, à mon sens, plus de confiance. Beaucoup de traits nouveaux ont été ajoutés par lui, dans ses biographies des papes, à l'histoire de Justinien et de Théodora. Mais sa chronologie est aussi bien fautive et ses récits sont trop souvent en désaccord évident avec la vérité. J'ajoute que les passages de son livre sur lesquels Alemanni s'appuie pour incriminer Théodora sont justement (on le verra plus bas) ceux que l'on pourrait produire à la décharge de cette impératrice. — Quant aux écrivains du sixième siècle qui ont traité de notre sujet, ils ont sans doute à mes yeux beaucoup plus d'autorité que les autres et c'est à eux que je m'attacherai de préférence dans la suite de cette discussion. Il ne faut cependant pas les croire toujours sur parole et sans examen. La plupart étaient animés à l'égard de Justinien et de sa femme d'une haine ou tout au moins d'une malveillance qui doit nous les rendre suspects. Qu'il suffise de citer Cyrille de Scythopolis[23], qui, en écrivant la vie de saint Sabas, partageait, à n'en pas douter, l'animosité de ce dernier contre l'impératrice ; Libératus le Diacre[24], Facundus d'Hermia[25] et Victor de Tunes[26] qui firent une si vive opposition à l'empereur dans l'affaire des Trois Chapitres[27]. Il faut les consulter et les citer, comme Alemanni, mais avec précaution et en se réservant de les réfuter au besoin. Il n'est guère qu'un témoin qui me paraisse à la fois tout à fait éclairé et tout à fait impartial, c'est Évagre le Scholastique[28], qui fut compatriote et contemporain de Procope, mais qui, s'il le loua et le cita souvent, ne sacrifia pas, comme lui, à la flatterie ou à la haine. Lui seul, peut- être, ne parle de Théodora ni en courtisan ni en détracteur.

 

DES DOCUMENTS NÉGLIGÉS.

Je tiens encore à faire remarquer, avant de commencer l'examen des faits imputés à Théodora, que les notes d'Alemanni présentent une double lacune. D'abord en ce qui touche aux mœurs de cette femme célèbre et aux débordements inouïs que lui attribue l'Histoire secrète, le commentateur n'a produit aucun témoignage à l'appui des incroyables allégations de Procope ; il n'en a pu trouver nulle part la confirmation. Et puis, Alemanni me semble avoir totalement négligé (peut-être de parti pris) les documents d'où pouvait résulter la justification de l'impératrice. En effet, sans compter les écrits de Sévère d'Antioche[29], de Philoponus[30], de Léonce de Byzance[31], du pape Pelage[32] et d'autres encore qui seront cités plus loin, pourquoi tient-il si peu compte des Actes des conciles ? Il y verrait à quoi doivent se réduire les accusations d'impiété, de fureur théologique si souvent portées contre Théodora. Enfin n'est-il pas singulier qu'un critique aussi érudit n'ait fait presque aucun emprunt au Corps du droit civil et surtout au livre premier du Code et aux Novelles[33] de Justinien ? Ces deux recueils sont indispensables pour juger de la place que tint Théodora dans le gouvernement temporel et spirituel de l'empire. Grâce à eux, on sait à peu près quelle fut la mesure de son influence et aussi quelle en fut la nature. C'est en m'appuyant sur ces documents et sur ceux que j'ai précédemment signalés, c'est en observant les règles que je me suis tracées tout à l'heure que je vais soumettre à une révision suivant moi légitime le procès de Théodora. J'espère démontrer ainsi que les arrêts si souvent portés contre elle doivent être sinon tout à fait cassés, du moins singulièrement adoucis.

 

 

 



[1] Vita Justiniani et Theodorœ ; Halle, 1731, in-4°. — Parmi les auteurs modernes, on peut aussi consulter sur le même sujet : Wieling, De Justiniano ac Theodora Augustis ; Francker, 1729, in-4°. — Jugler, De eruditione Theodorœ Augustœ ; Hambourg, 1742, in-4°. — Isambert, Histoire de Justinien ; Paris, 1856, in-8. — Etc.

[2] T. VII, p. 244.

[3] Paredros, titre que les auteurs latins traduisent, d'ordinaire, par assessor. — Procope avait été, dans sa jeunesse, avocat et professeur d'éloquence. Il suivit Bélisaire en Asie, en Afrique et en Italie. Dans la guerre contre les Goths, il fut chargé du service des vivres et de la marine. Il ne devint préfet de Constantinople (prœfectus urbi) que vers la fin du règne de Justinien, en 562, longtemps après la mort de Théodora. On ne sait pas au juste à quelle époque se termina sa vie. — Les Illustres étaient au second rang de l'espèce de hiérarchie nobiliaire créée par les empereurs ; le premier, qui comprenait les Nobilissimes, n'était guère formé que des princes de la famille impériale.

[4] La Guerre des Perses et la Guerre des Vandales remplissent chacune deux livres ; la Guerre des Goths, beaucoup plus importante, en forme quatre. Ces ouvrages ont été plusieurs fois traduits, soit en latin, soit en français.

[5] Ce traité, si précieux pour l'étude de la géographie de l'empire au sixième siècle, est généralement désigné en français sous ce titre : Des Édifices de Justinien.

[6] Anecdota ou Histoire secrète.

[7] En 1623, par le savant Nicolas Alemanni, qui l'a longuement et curieusement annotée.

[8] Le cardinal Baronius était mort en 1607. Ses Annales ecclésiastiques avaient paru de 1588 à 1593.

[9] Jurisconsulte allemand du dix-septième siècle, cité, comme Reinkens, par Hermann Eckardt dans son étude De Anecdotis Procopii Cœsariensis (Regimonti, 1861), p. 4-7.

[10] Justinien eut pour successeur son neveu Justin II, qui régna treize ans (565-578). Mais ensuite vinrent Tibère II (578-582), Maurice (582-602), Phocas (602-610), etc., que leur naissance ne rattachait nullement à ces princes.

[11] Évagre le Scholastique, né à Epiphanie, en Syrie, vers 536, mourut au commencement du septième siècle. Il exerça la profession d'avocat (scholasticus) à Antioche, fut questeur sous Tibère II, préfet sous Maurice. Il a laissé une excellente Histoire ecclésiastique, qui, partant à peu près de l'époque où s'étaient arrêtés Théodoret (429) et Socrate le Scholastique (489), s'étend jusqu'à l'année 594.

[12] Auteur d'une dissertation De Vita ac scriptis Procopii, publiée en 1753 et citée par Eckardt.

[13] Commentaire sur Procope, cité aussi par Eckardt.

[14] De Anecdotis Procopii Cœsariensis (Regimonti, 1861).

[15] Gundlach, Quœstiones Procopianœ ; Dahn, Procopius von Cœsarea ; — ouvrages cités par Eckardt.

[16] De Fide Procopii Cœsariensis in secundo bello Persico Justiniani I imperatoris enarrando (Bonnae, 1876)

[17] Voir le travail d'Alemanni, au t. III de Procope, dans le Corpus scriptorum historiœ Byzantinœ (Bonnae 1838).

[18] Voir plus loin, ce qui concerne les troubles religieux de Syrie et de Palestine, sous le règne de Justinien.

[19] Jean Zonaras mourut vers 1130 ; il avait occupé, sous Alexis Ier, d'assez hauts emplois ; il les résigna sous Jean II et entra comme moine dans un des couvents du mont Athos. Sa Chronique va du commencement du monde à l'an 1118.

[20] Un peu plus tôt ; sa Chronique finit à l'an 1059.

[21] Saint Théophane, l'Isaurien, né en758, mort en 818. Il était de famille riche et noble. Mais il entra de bonne heure dans la vie monastique. Il fut abbé de Mégalagre, en Mysie, et combattit violemment les Iconoclastes ; ce qui lui valut, sous l'empereur Léon IV, favorable à cette secte, d'être relégué dans l'île de Samothrace, où il mourut. Comme historien, il continua la Chronographie de son ami Georges Syncelle, de 277 à 811. Il montre, en général, dans cet ouvrage, moins de sens critique que de crédulité.

[22] Cet auteur, qui mourut probablement vers 886, a vécu près de plusieurs papes et a bien connu leur politique. Il était cardinal depuis 848. Il fut, à une certaine époque, chargé d'une mission politique à Constantinople. On sait qu'il assista au concile où fut condamné Photius. C'était un homme fort instruit et un écrivain laborieux. C'est à lui qu'on attribue le recueil des Vies des papes (Vitœ pontificum a Petro usque ad Nicolaum I) connu sous le titre de Liber pontificalis. — M. Duchesne, dans sa remarquable étude sur le Liber pontificalis (Paris, 1877), regarde Anastase comme étranger à la rédaction de cet ouvrage. Mais il ne conteste pas l'ancienneté du livre.

[23] Ce cénobite célèbre s'attacha, dès l'âge de seize ans, à saint Sabas, fondateur d'un grand nombre de couvents en Palestine. Il écrivit diverses biographies de saints et notamment celle de son maître, qui est un document important pour l'histoire religieuse du sixième siècle.

[24] Libératus, diacre de Carthage, fut envoyé plusieurs fois à Rome pour affaires ecclésiastiques. Il y vint notamment en 535, au nom du concile de Carthage. Il avait recueilli en Italie, à Alexandrie et ailleurs, de nombreux documents sur l'histoire du nestorianisme et de l'eutychianisme. Il s'en servit pour écrire (vers 556), en vingt-quatre chapitres, un intéressant Abrégé (Breviarium) de l'hérésie de Nestorius et d'Eutychès, de 424 à 553. Comme Facundus et Victor, il était, sans l'avouer, quelque peu nestorien ; aussi prit-il, ainsi que ces deux auteurs, la défense des Trois Chapitres.

[25] Facundus, évêque d'Hermia, en Afrique, était à Constantinople, à l'époque où Justinien s'efforçait d'obtenir du pape Vigile la condamnation des Trois Chapitres. Il fit, sur ce point, la plus vigoureuse opposition à l'empereur. Il refusa, même plus tard, de se soumettre au concile de Constantinople, qui, en 553, avait anathématisé les Trois Chapitres, et il fut quelque peu persécuté pour cela. Ses trois principaux ouvrages sont : 1° Pro defensione trium capitulorum, libri XII ; 2° Contra Mocianum liber ; 3° Epistola fidei catholicœ in defensione trium capitulorum.

[26] Victor de Tunones ou Tunes était aussi un évêque africain. Très attaché aux Trois Chapitres, il fut, pour ce motif, battu, mis en prison en 556, puis interné dans divers monastères. La Chronique, qui lui est attribuée par saint Isidore de Séville (De Viris illustribus, ch. XXXVIII) et qui est très vraisemblablement de lui, allait de la création du monde à l'an 566. La partie qui nous en reste, et qui est de beaucoup la plus intéressante, ne commence qu'à l'an 444.

[27] Sur l'affaire des Trois Chapitres, voir plus loin.

[28] Sur Évagre le Scholastique, voir plus haut.

[29] Sévère, de Sozopolis, en Pisidie, célèbre hérésiarque du sixième siècle, qui fut patriarche d'Antioche, de 512 à 518. Déposé, proscrit à plusieurs reprises, il n'en conserva pas moins dans tout l'Orient une grande influence. Il fut, sous Anastase, Justin et Justinien, le chef le plus remarquable de l'eutychianisme. On l'avait surnommé dans son parti la Bouche de tous les docteurs. Il reste encore de lui de nombreux écrits, dont les plus importants se trouvent en entier ou par fragments dans le t. X du Spicilegium romanum, de Maï. — Sur les rapports de Sévère avec Théodora et Justinien, voir plus loin.

[30] Jean Philoponus, grammairien et philosophe alexandrin, vivait au commencement du septième siècle. Il était partisan de l'hérésie des trithéites, dont il sera question plus loin. Outre d'importants commentaires sur Aristote, il a laissé des Commentaires sur la cosmogonie mosaïque, un traité Contre Proclus sur l'éternité du monde, etc.

[31] Léonce de Byzance, qu'il ne faut pas confondre avec un historien du même nom qui vivait au dixième siècle, était un écrivain ecclésiastique du commencement du septième siècle. Voir plusieurs fragments de ses ouvrages dans la Bibliotheca Patrum de Galland.

[32] Pélage, né à Rome en 495, mort en 560, fut chargé en 546, par le pape Vigile et Justinien, d'aller déposer Paul, patriarche d'Alexandrie. Élevé au souverain pontificat en 555, il confirma la condamnation des Trois Chapitres portée par le concile de Constantinople en 553 et se vit par suite accusé d'hérésie par les nations chrétiennes d'Occident et surtout par les Francs, qui voyaient dans sa conduite un acte de complaisance pour l'eutychianisme. Il reste de lui seize Epîtres, très intéressantes pour l'étude de l'histoire de l'Église sous Justinien.

[33] On sait que les Novelles ne sont autre chose que les Constitutions ou Lois nouvelles portées par Justinien postérieurement à la publication du Code (dont l'édition repetitœ prœlectionis est de l'an 584). Elles furent presque toutes rédigées d'abord en grec. En 570, Julien, antécesseur ou professeur de droit à Constantinople, donna un Épitomé latin de cent vingt-cinq d'entre elles. Peu après parut une traduction latine in extenso des Novelles. C'est ce qu'on appelle souvent la Vulgate, le Corpus Authenticorum, le Liber Authenticorum ou simplement l'Authenticum. C'est de ce texte que je me servirai dans la suite de ce travail.