HISTOIRE DES RAPPORTS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT

DEUXIEME PARTIE. — RÉACTION

 

CHAPITRE IV. — L'ÉGLISE ET L'UNIVERSITÉ.

 

 

I. Croisade contre l’Université. — II. Campagne de 1843. — III. La loi Villemain. — IV. La question des jésuites devant les chambres. — V. La question des jésuites en cour de Rome. — VI. Complaisances du ministère pour l’Eglise. — VII. Progrès et exigences du clergé après les élections de 1846. — VIII. Apaisement relatif ; Pie IX et le parti de la Révolution. (1840-1848).

 

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SOURCES. — Garot, le Monopole universitaire dévoilé à lu France libérale et à la France catholique (1840). — Lacordaire, Discours sur la vocation de la nation française (1841) ; idem, Prédications à Nancy (1843) ; idem, Conférences à Lyon et à Grenoble (1845) ; idem, Conférences de Notre-Dame (1835-1850) ; idem, Correspondance avec Mme Swetchine (1862) ; idem. Correspondance inédite (1879) ; idem, Sermons, instructions et allocutions (1886-1888). — Lamennais, Du Passé et de l’avenir du peuple (1841) ; idem, Esquisse d’une philosophie (1841-1846) ; idem, Discussions critiques et pensées diverses sur la religion et la philosophie (1841) ; idem, De la Religion (1841) ; idem, Amschaspands et Darvands (1843) ; idem, Une Voix de prison (1846) ; idem, De la Société première et de ses lois, ou de la religion (1848) ; idem, Correspondance (1863). — Madrolle, les Magnificences de la religion (1841) ; idem, le Voile levé sur le système du monde (1842) ; idem, les Grandeurs de la Belgique expliquées par le catholicisme (1843) ; idem, Solution démonstrative et constitutionnelle des grandes questions qui agitent la France (1841-1845) ; idem, Législation universelle de la France et des nations civilisées (1846). — E. Quinet, le Génie des religions (1842) ; idem, De la Liberté de discussion en matière religieuse (1843) ; idem, Réponses à quelques observations de- Mgr l’archevêque de Paris (1843) ; idem, l’Ultramontanisme ou la société moderne et l’Église moderne (1844) ; idem, Correspondance. — Montalembert, Du Devoir des catholiques dans la question de la liberté de l’enseignement (1843) ; idem, Trois Discours sur la liberté de l'Église, sur la liberté d’enseignement et sur la liberté des ordres monastiques (1844) ; idem, Du Devoir des catholiques dans les élections (1846) ; idem, Du Rapport de M. Liadière (1841) ; idem, le P. Lacordaire (1862). — Lamartine, Lettre sur l’État, le clergé et l’enseignement (1843). — Desgarets, le Monopole universitaire (1813) ; idem, l’Université jugée par elle-même (1843). — Védrine, Simple Coup d’œil sur les douleurs et les espérances de l’Eglise aux prises avec les tyrans des consciences et les vices du XIXe siècle (1843). — Carie, la Liberté d’enseignement est-elle une nécessité religieuse et sociale ? (1843). — Michelet, les Jésuites (1843) ; idem, le Prêtre, la Femme, la Famille (1845). — Parisis, Examens sur la question de la liberté d’enseignement (1843-1846) ; idem, Lettres à M. le duc de Broglie (1844) ; idem. Un Mot sur les interpellations de M. Thiers (1845) ; idem, Examens sur la question de la liberté de l’Église (1845-1846) ; idem, Des Gouvernements rationalistes et de la religion révélée ; idem, Lettre à M. de Salvandy (1847) ; idem, Cas de conscience à propos des libertés réclamées par les catholiques (1847). — Ozanam, Correspondance. — Génin, les Jésuites et l’Université (1844) ; idem, Ou l’Église ou l'État (1847). — Dupin aîné, les Libertés de l’Église gallicane, manuel du droit ecclésiastique français (1844). — Troplong, Du Pouvoir de l’État sur l’enseignement d’après l’ancien droit public français (1841). — Dupanloup, Lettres à M. le duc de Broglie, rapporteur du projet de loi relatif à l’instruction publique (1844) ; idem, De la Pacification religieuse (1845) ; idem, Des Associations religieuses (1845) ; idem, Nouveau Projet de loi sur la liberté de l’enseignement (1847). — Ledru-Rollin, Lettre à M. de Lamartine sur l’État, l’Église et l’enseignement (1844). — De Vatimesnil, Lettre au R. P. de Ravignan sur l’état légal en France des associations religieuses non autorisées (1844). — Ravignan (le P. de), De l’Existence et de l'institution des jésuites (1844). — H. de Riancey, Histoire critique et législative de l’instruction publique et de la liberté d’enseignement en France (1844). — Crétineau-Joly, Histoire religieuse, politique et littéraire de la compagnie de Jésus (1841-1846). — Affre, De l’Appel comme d’abus (1845) ; idem, Observations sur les controverses élevées au sujet de la liberté de l’enseignement (1843). — Timon (Cormenin), Feu ! Feu ! (1845) ; idem, Oui et non (1845). — Thiers, Discours parlementaires. — Martin (du Nord), Expulsion des jésuites (1845). — Lesur, Annuaire historique (1840-1848). — Elias Régnault, Histoire de huit ans (1851). — Cruice, Vie de Mgr Affre (1849). — Grandidier, la Vie du P. Guidée. — A. Nettement, Histoire de la littérature française sous la royauté de Juillet (1854). — Guizot, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps (1858-1868). — Guettée, Histoire des jésuites (1859). — De Ponlevoy, Vie du R. P. de Ravignan (1860). — De Falloux, Mme Swetchine (1860) ; idem, Augustin Cochin (1875) ; idem, l’Évêque d’Orléans (1879) ; idem, Mémoires d'un royaliste (1888). — Ch. Daniel, la Liberté d’enseignement, les Jésuites, et la cour de Rome en 1845 (1866). — Chocarne, Lacordaire, sa vie intime et religieuse (1866). — Foisset, Vie du R. P. Lacordaire (1870). — Odilon Barrot, Mémoires (1875-1876). —Thureau-Dangin, l’Église et l’État sous la monarchie de Juillet (1880) ; idem, Histoire de la monarchie de Juillet (1886 et suiv.). — Ricard, l’Ecole mennaisienne (1881-1885). — C.-A. Ozanam, Vie de Frédéric Ozanam (1882). — Lagrange, Vie de Mgr Dupanloup (1883). — Metternich, Mémoires, documents et écrits divers, t. VII (1883). — Duc de Broglie, le Père Lacordaire (1889). — Vicomte de Meaux, Montalembert (1897).

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I. — La campagne s’ouvrit dès le mois de mai 1840 par la publication d’un pamphlet portant ce titre : le Monopole universitaire dévoilé à la France libérale et à la France catholique par une société d’ecclésiastiques, sous la présidence de l'abbé Rohrbacher. Cet ouvrage, inspiré par les jésuites de Nancy, avait été rédigé par un prêtre de cette ville nommé l’abbé Garot, et l’auteur était d’autant moins excusable qu’il appartenait lui-même à l’Université comme aumônier de collège. Au dire de cet écrivain, l’enseignement de l’Etat avait pour but de décatholiciser la France. Que répandait-il en effet parmi la jeunesse ? Des doctrines panthéistes, qui n’étaient qu’un nouveau paganisme, ou l’éclectisme de Cousin, qui reconnaissait comme vrais tous les systèmes, ou cette misérable anatomie de l'homme, connue sous le nom de philosophie écossaise, ou bien encore le déisme, c’est-à-dire la religion à la façon de Robespierre, la raison laissée à elle-même, sans frein, sans règle, si ce n’est la pensée, le caprice, l’intérêt de chaque individu. Que pouvait devenir la foi dans des collèges où les aumôniers ne vivaient que désarmés, pieds et poings liés ? Bref, le monopole, c’était la mort de la religion, et par monopoleurs le naïf pamphlétaire entendait tous les ennemis de l’Église représentée par le sacerdoce. Il faisait aux parents une obligation de conscience de secouer enfin le joug universitaire et de repousser un système d’éducation qui n’était conciliable ni avec les principes du catholicisme ni avec la liberté des cultes. Il affirmait audacieusement que les prêtres étaient exclus de l’Université — où ils étaient pourtant admis aux mêmes conditions que les professeurs laïques — ; il flétrissait la loi de haine et d'exception que Charles X lui-même avait faite aux petits séminaires, demandant que le corps ecclésiastique pût se développer sans entraves, et faisait des ordres monastiques, particulièrement des jésuites, une apologie sans réserve ; ce qui ne l’empêchait pas de déclarer que les accusations de jésuitisme ou d’ultramontanisme, trop souvent lancées contre l’Église, n’étaient que de vaines et stupides déclamations.

Hâtons-nous de le dire, ce factum n’eut que peu de retentissement. Mais les allusions malveillantes de l’abbé Garot à la philosophie cousinienne, qui régnait alors presque en souveraine dans l’Université, n’étaient pas de nature à convertir au principe de la libre concurrence le ministre de l’instruction publique. Cousin prépara donc un projet de loi qui ne pouvait guère contenter l’école de Nancy. Bientôt, écarté du pouvoir en même temps que Thiers (29 octobre 1840), il dut le léguer à Villemain, qui, redevenu grand maître de l’Université, n’était guère plus que lui disposé à la trahir. Il est vrai que Guizot, maintenant premier ministre de fait[1], était comme autrefois, et plus encore, désireux de plaire à l’Église. Aussi Villemain dut-il modifier le projet. Mais il eut beau l’adoucir ; il ne put lui faire trouver grâce devant l’intransigeance du clergé. La loi présentée par le ministre au commencement de 1841 reconnaissait bien en principe la liberté de l’enseignement ; mais elle subordonnait l’autorisation d’ouvrir des institutions secondaires libres à des conditions de grades et de capacité auxquelles les prêtres et les moines ne voulaient pas se soumettre ; elle plaçait ces établissements sous la surveillance de l’État, qu’ils repoussaient comme une odieuse tyrannie. D’autre part, elle accordait bien aux petits séminaires, réduits à vingt mille élèves depuis 1858, le droit d’en recevoir un nombre illimité ; mais elle prétendait les ramener au droit commun, tant sous le rapport du personnel enseignant que sous celui de la surveillance et de la juridiction — ce qui était la justice même — et ne leur accordait pour se mettre en règle qu’un délai de cinq ans.

Elle leur eût donné vingt ans que l’Église eût protesté tout de même. Le pamphlet de Garot n’avait été que l’avant-coureur de la grande guerre. Le projet de Villemain fut le signal d’une bataille rangée. A la seule pensée que les petits séminaires cesseraient d’être privilégiés, tout l’épiscopat prit feu. Cinquante-six évêques réclamèrent publiquement et avec la dernière violence, dans le courant de 1841, contre les prétentions de l’État, prouvant ainsi que, s’ils étaient sensibles aux avantages du droit commun, ils n’entendaient pas en accepter les charges. La liberté qu’ils voulaient, plusieurs d’entre eux eurent la simplicité de le dire[2], c’était la liberté comme en Belgique, état où les congrégations se multipliaient et s’étendaient sans obstacles, où les maîtres d’école tremblaient devant les curés, où l’Église en somme était non seulement indépendante, mais souveraine.

Il n’était pas besoin qu’ils criassent bien fort pour intimider le gouvernement. Louis-Philippe, plus que jamais, se faisait doux et caressant à l’égard du clergé. Il aimait à se montrer aux Tuileries en conversation familière avec le nouvel archevêque de Paris, Affre, qu’il flattait et enguirlandait de son mieux. A cette même époque, Lacordaire reparaissait à Notre-Dame, en froc de dominicain[3]. Des ministres allaient l'entendre ou l’invitaient à dîner. Tant d’égards pour l’Eglise ne présageaient pas que le gouvernement fût disposé à défendre avec beaucoup d’énergie son projet de loi. Et de fait, Guizot, qui ne l’approuvait pas, le retira sans bruit, si bien qu’il ne fut jamais discuté devant les chambres.

Il semblait que le parti de l’Église dût savoir gré au ministère d’un tel sacrifice. Loin de là, cette reculade l’enhardit au point qu’il ne se borna bientôt plus à dénoncer des doctrines ou des tendances, mais se mit à dénoncer des hommes. L’évêque de Belley put dans un mandement appeler les établissements universitaires des écoles de pestilence, sans que le gouvernement osât le poursuivre (mars 1842). Vers la même époque, l’archevêque de Toulouse[4] signalait comme indigne de garder sa place le philosophe Gatien-Arnoult, coupable de professer le déisme dans une faculté de l’État. L’Univers, journal officiel du parti, signalait d’un seul coup, comme ennemis delà religion, dix-huit professeurs[5] presque tous attachés à renseignement supérieur, ce qui montrait bien que ce n’était pas seulement dans les collèges que l’Église entendait faire la police. Et l’État, loin de défendre les siens, allait parfois jusqu’à les sacrifier à ses ennemis ![6] Le vieil évêque de Chartres, Clausel de Montais, dans une de ces diatribes dont il était coutumier, accusait l’Université de faire un horrible carnage d'âmes, et insinuait que Jouffroy — l’austère et pur Jouffroy ! — autorisait implicitement, par ses doctrines, le vol, le bouleversement de la société, le parricide, les voluptés les plus infâmes. A l’en croire, les maîtres de l’Université passaient leur temps à faire l’apologie des égorgeurs de 93, n’enseignaient que des systèmes sacrilèges, enfin transformaient les enfants en animaux immondes et en bêtes féroces[7].

Dans le même temps, sur tous les points de la France, les prêtres, du haut de la chaire, anathématisaient à Terni renseignement de l’État ; les feuilles religieuses rivalisaient d’emportement à l’égard des écoles de pestilence, et la jeunesse catholique, cédant aux plus haineuses excitations, commençait à se porter au collège de France, à la Sorbonne, pour y troubler de ses clameurs, au nom de la liberté, les cours des professeurs les plus populaires, les plus fidèles à l’esprit de la Révolution[8].

Au pied du trône, dans les chambres, les chefs attitrés du parti catholique ne cessaient de réclamer, toujours au nom du droit commun, au nom de la charte, une nouvelle loi sur l’enseignement secondaire[9]. Leurs exigences devinrent encore plus hautaines et plus pressantes vers la fin de 1842, quand, par la mort du duc d’Orléans (13 juillet 1842) et l’attribution de la régence éventuelle au duc de Nemours, esprit étroit dont les tendances réactionnaires n étaient un mystère pour personne, il leur sembla que la monarchie de Juillet, vacillant sur sa base, ne pouvait plus se passer de leur appui. Cet appui, ils étaient décidés à le vendre cher et, comme la réforme qu’ils exigeaient tardait encore à venir, le parti crut devoir donner un nouvel assaut à l’Université, mais un assaut général et dont la violence fit paraître presque insignifiantes ses précédentes attaques.

 

II. — Au commencement de 1843, les pamphlets soi-disant religieux contre l’État enseignant se multiplièrent, et, dès lors, ce fut pendant plus d’un an une marée montante de calomnies et d’outrages qui menaça de submerger l’Université. Nous ne citerons que quelques- uns de ces libelles, qui sont légion, et qui, pour le fond, sinon pour la forme, se ressemblent fort. Un des premiers et des plus bruyants fut le Monopole universitaire, de l’abbé Desgarets, chanoine de Lyon, volume épais et rempli de citations tronquées, d’allégations monstrueuses, où il était dit, par exemple, que les infâmes ouvrages du marquis de Sade n'étaient que des églogues auprès de ce qui se passait dans l’Université (p. 527). Les conséquences de l’enseignement monopolisé par l’État étaient, d’après l’auteur, le suicide, le parricide, l’homicide, l’infanticide, le duel, le viol, le rapt, la séduction, l’inceste, l'adultère, toutes les plus monstrueuses impudicités, les vols, les spoliations, les dilapidations, les concussions, les impôts et les lois injustes, les faux témoignages, les faux serments et les calomnies, la violation de tout ce que l’on nomme loi, les insurrections, les tyrannies, les révolutions, la mort, etc., etc.

Selon l’Université, ajoutait-il, il n'y a pas plus de vice, d’injustice, de mal à faire toutes ces choses qu’il n’y en a pour le feu de brûler, pour beau de submerger, pour le lion de rugir, pour les boucs et les chèvres de Théocrite de servir de modèle à leurs frères du collège de France et de l'Ecole normale et à leurs nombreux petits... (p. 478)

A ses yeux, Edgar Quinet, sorti d'un ver, n’était qu’un impur blasphémateur. Au moyen de textes falsifiés, Cousin, Génin, Libri, étaient représentés comme des détracteurs du christianisme. Patrice Larroque était assimilé à Lacenaire. Les collèges royaux étaient la sentine de tous les vices, et l’Université n’était maintenue qu’afin de préparer des victimes et fournir des pourvoyeurs aux bourreaux (p. 440). Par contre, les pauvres disciples d’Ignace de Loyola, victimes de tant d'inventions monstrueuses, étaient portés aux nues.

Le gouvernement, qui envoyait Lamennais en cour d'assises[10] et qui n’eût certes pas permis à un membre de l’Université d’outrager l’Église, ne poursuivit pas l'abbé Desgarets. Les chambres, il est vrai, s’émurent quelque peu de tant d’insolence. Le chanoine fut blâmé au Luxembourg (mai 1843) ; au Palais-Bourbon, Lamartine osa exprimer le vœu que l’Église fût séparée de l’État ; Dubois (de Nantes) n’eut pas de peine à démontrer qu’insulter l’Université, c’était insulter l’État et prouva, du reste, par des chiffres, qu’elle laissait vivre deux ou trois fois plus d’établissements libres qu’elle n’avait elle- même de collèges[11].

Mais le flot des haines religieuses n’en continuait pas moins de monter. Après Desgarets, le curé limousin Védrine crut devoir entrer en scène et lança lui aussi son réquisitoire sous ce titre émouvant : Simple Coup d'œil sur les douleurs et les espérances de l'Eglise aux prises avec les tyrans des consciences et les vices du XIXe siècle. Suivant lui, le gouvernement travaillait systématiquement à faire la France protestante. Quant à l’Université, son enseignement avait pour principes la philosophie de Voltaire, de Crébillon fils, la politique d'Hébert, l’histoire à la façon de Pigault-Lebrun, etc. Le digne prêtre faisait des enfants élevés par elle le portrait le plus dégoûtant[12]. Il ne voyait en elle que la presse des matelots du carbonarisme, l’Alger du monopole, c’est-à-dire un repaire de pirates et d’écumeurs. Lui aussi accolait avec bonheur aux noms les plus respectés les épithètes les plus grossières. Il ne trouvait guère dans le corps universitaire que calomniateurs, hommes sans croyances, impure vermine, mirmidons de l’athéisme. Du reste, il ne se piquait point, comme Montalembert, d’un semblant de libéralisme. Il ne cachait point que, s’il demandait la liberté, c’était en attendant — en attendant mieux sans doute. Jésus-Christ avait chargé ses apôtres d’abattre au pied de la croix les peuples et les rois. Il leur avait dit : Docete omnes gentes, donc l’enseignement appartenait au clergé. Il lui appartenait de droit divin ; l’Université l’avait usurpé (p. 91) ; il fallait que l'Université ou le catholicisme cédât la place (p. 104).

Le clergé devait s’emparer de la presse (p. 81). Quant a la liberté des cultes, n’en parlons pas, déclarait Védrine, c’est une invention de Julien l’Apostat.

Tous les champions de l’Eglise ne se laissaient pas aller à de pareils écarts de style. Quelques-uns les trouvaient même compromettants. L’archevêque de Paris, à qui son titre imposait plus de tenue et de dignité, écrivait à propos de la question en litige, des Observations qui, sans outrager l’Université, n’en tendaient pas moins à la détruire. Le docte prélat ne niait pas que ce grand corps ne renfermât de fort bons catholiques[13] ; il avait la prétention de lui rendre justice ; il déclarait même avoir pour elle de la sympathie ; mais elle n’en professait pas moins, à son dire, des doctrines inconciliables avec la foi, et l’on ne pouvait sortir chrétien de ses écoles. Il voulait bien concéder à l’État le droit de surveiller l’enseignement, mais non celui d’enseigner lui-même. Toutefois, puisque l’Université existait, il n’exigeait point qu’elle fût supprimée. Seulement, la base essentielle de l’enseignement étant la morale — c’est-à-dire, suivant lui, la religion —, et la religion ne pouvant être enseignée que par le prêtre, il n’admettait pas que l’État se substituât au prêtre dans sa plus auguste fonction (p. 42). Par conséquent, l’Université pourrait bien subsister, mais elle n’aurait plus que des écoles découronnées, sans morale et sans Dieu, et l’on juge bien que, dans la pensée de l’auteur, elle ne serait plus capable de lutter contre les écoles libres, où la religion brillerait de tout son éclat. L’archevêque se donnait du reste beaucoup de mal pour prouver que l’Église était faible, désarmée, qu’elle ne pouvait inspirer aucune crainte à la société civile. Il ne manquait pas de déplorer que tant de congrégations utiles eussent disparu ou n’eussent plus d’existence légale et désignait discrètement — sans la nommer — la Compagnie de Jésus comme la plus apte à diriger dans notre pays l’éducation de la jeunesse.

L’auteur des Observations déclinait d’ailleurs toute solidarité avec les Desgarets et les Védrine, qui avaient, à son sens, compromis une excellente cause par des citations contestables et par une manière fort peu chrétienne de défendre le christianisme[14].

Mais d’autres prélats, moins politiques, consolèrent d’un tel blâme les insolents libellâtes. De tous les rangs du clergé le chanoine de Lyon reçut des éloges et des encouragements. L’évêque de Chartres recommanda son livre aux pères de famille comme un ouvrage vraiment classique. Ce que voyant, Desgarets mit le sceau à sa gloire en publiant un nouveau pamphlet — l’Université jugée par elle-même —, où Voltaire était signalé comme le premier grand maître de l’Université, où la cause des jésuites était proclamée non seulement belle et grande, mais constitutionnelle, où les amis du monopole étaient représentés comme des fauteurs de l’absolutisme et de l’étranger, bref, où le bon chanoine revendiquait la liberté telle qu'en Belgique, incompatible avec les diplômes, les brevets de capacité, les certificats de moralité du monopole universitaire.

Pour éviter les redites, nous laisserons de côté beaucoup d’autres pamphlets du même genre qui parurent vers cette époque et qui firent aussi quelque bruit. Citons seulement comme un des plus curieux celui de l’abbé Carie — la Liberté d'enseignement est-elle une nécessité religieuse et sociale ? — On apprend dans ce livre que l’inquisition religieuse est un moyen de liberté ; que les professeurs de l’Université lisent devant leurs élèves, pendant la messe, les œuvres théologiques de Voltaire et de George Sand. On y voit qu’en bon ultramontain l’auteur ne reconnaît pas au gouvernement le droit d’interdire en France l’exécution d’une bulle du pape. Et l’on y trouverait sans doute également d’édifiants détails sur la corruption de l’Université, si le pudique écrivain ne se refusait à soulever le voile qui couvre ses immondes mystères.

Les journaux religieux soulevaient, eux, les voiles sans vergogne. Le plus insolent de tous, l’Univers, se surpassait lui-même, depuis que Louis Veuillot[15], frais converti, lui prêtait le concours de sa plume redoutable. Il avait juré de faire sauter l’Université par les fenêtres. Nous ne consentirons ni paix ni trêve, pouvait-on lire dans cette feuille. Il faut, nous y sommes résolus, que ceci devienne une affaire et une grosse affaire. (7 juin 1843.) Vainement l’archevêque de Paris, plus politique, recommandait-il la mesure et la prudence. Vainement Lacordaire invitait-il ses amis à ménager[16] au moins pour la forme le gouvernement. Vainement Parisis[17], évêque de Langres, qui commençait à jouer un rôle important dans les affaires de l’Église, protestait-il, dans ses Examens, que le clergé ne travaillait pas pour un parti, qu’il laissait les morts ensevelir les morts, que c’était bien vraiment la liberté du droit commun, la liberté pour tous. L'orateur le plus éloquent, le champion le plus autorisé de la faction, Montalembert, ne craignait pas de méconnaître de tels conseils el de démentir de telles assertions en revendiquant pour l’Église, sous le nom de liberté, la domination pure el simple. Dans un ouvrage publié à cette époque sur le Devoir des catholiques dans la question de la liberté de l’enseignement, le noble pair déclarait fièrement que la liberté ne se reçoit pas, qu’elle se conquiert. Lui aussi, rappelant le docete omnes gentes, soutenait que l’éducation est une partie pratique de la religion et comme un droit inhérent au sacerdoce. Ce qu’on appelait le progrès, l’esprit moderne, n’était à ses yeux qu’un odieux despotisme. Il détournait avec hauteur le clergé d’entrer au service de l’Université ; de prendre sa livrée, de recevoir ses gages. L’Église catholique, ajoutait-il, dit aux hommes : Croyez, obéissez, ou passez-vous de moi. Elle n’est ni l’esclave, ni la cliente, ni l’auxiliaire de personne. Elle est reine, ou elle n'est pas. Il donnait clairement à entendre au gouvernement que, s'il manquait à ses promesses, les néo-catholiques pourraient bien redevenir légitimistes. Il rappelait charitablement que les jésuites avaient chassé de Belgique la dynastie de Nassau. Quant aux congrégations religieuses, c’étaient elles seules, il tenait à le dire sans détour, qui régénéreraient l’éducation, et il n’était que juste, à son sens, d’assigner entre elles un rang élevé à ces jésuites qui ont sauvé la foi dans la plupart des pays catholiques au XVIe siècle. Mais quelle tactique adopter pour s’assurer la victoire ? Il en était une fort simple, à son sens. Il fallait que les catholiques formassent dans les chambres un parti, un parti compact et discipliné, indépendant de tous les autres, n’ayant pour guide que la religion, manœuvrant entre le gouvernement et l’opposition de façon à se faire payer son concours le plus cher possible. Il fallait devenir ce qu’on appelle en style parlementaire un embarras. Dans le pays, il fallait acheter ou fonder des journaux, créer des comités de propagande, pousser au pétitionnement, bref, agiter la France, comme O’Connell agitait l’Irlande. La démocratie était une force. L’Église serait-elle seule à ne pas savoir s’en servir ?

Les procédés de combat indiqués par le comte de Montalembert étaient approuvés par la grande majorité de l’épiscopat[18]. Dès la fin de 1843, on apprenait l'existence d’une vaste Association catholique, qui se répandait par toute la France et dont les membres, outre l’engagement de garder le secret sur l’existence ou les moyens ou les règles de l’œuvre, prenaient celui d’une soumission absolue et sans réserve à notre Saint-Père le pape[19]. Peu après, Montalembert constituait publiquement à Paris un comité laïque pour la liberté religieuse, qui le prit pour président[20] et qui, assisté d’un conseil de jurisconsultes, fut dès lors comme l’état- major et le gouvernement temporel du parti. D’autre part, vers la même époque, certains prélats ne craignaient pas, pour perdre l’Université, de recourir à des procédés plus violents et moins corrects. C’est ainsi que Bonald, archevêque de Lyon, non content d’insulter ce grand corps, parlait publiquement de frapper d’interdit, en leur enlevant leurs aumôniers, les collèges qui lui seraient ou lui deviendraient suspects — infaillible moyen de les discréditer ou de les soumettre au joug de l’Eglise —. L’évêque de Châlons, Prilly, renchérissait encore sur de pareilles prétentions et se livrait contre les lois existantes à des attaques si peu mesurées, que le ministère, à son corps défendant, crut devoir le déférer pour abus au conseil d’Etat. Comme on pouvait le prévoir, ces poursuites n’eurent d’autre effet que de fournir à l’épiscopat une occasion de manifester ses sentiments avec plus d’éclat. Les déclarations d'abus n’ayant, comme on sait, aucune sanction, Prilly répondit à l’arrêt qui le frappait par de nouvelles bravades et reçut publiquement de presque tous ses confrères les plus chaleureuses félicitations (déc. 1843). Dans le même temps, d’ailleurs, des propositions encore plus hardies que les siennes étaient jetées dans le public par un autre champion de la liberté. L’abbé Combalot, non content de demander en chaire la restitution des registres de l’état civil à l’Église, trouvait le moyen de surpasser, dans un nouveau pamphlet contre l’Université[21], la mauvaise foi et la grossièreté des Védrine ou des Desgarets et conseillait nettement aux évêques une mesure plus radicale que le retrait des aumôniers : Défendez, leur disait-il, aux pasteurs des paroisses d'admettre à la première communion et à la pâque des chrétiens les enfants catholiques que le monopole s'efforcerait de retenir dans son sein. Voilà donc comment des gens d’Église entendaient respecter ces principes de 89 dont ils réclamaient le bénéfice avec tant de hauteur !

 

III. — Devant ce débordement d'outrages, de calomnies et de menaces, le gouvernement, gardien de la loi, mais résolu à ne rien voir, à ne rien entendre, ne s’était fait remarquer durant une année que par son indifférence apparente et sa réelle platitude. Guizot et Louis-Philippe confondaient de plus en plus leur politique avec celle de l’apostolique cour de Vienne. Le ministre des cultes, Martin (du Nord), timide et dévot personnage, ne répondait d’ordinaire aux mandements séditieux des évêques que par de vagues et lénitives circulaires, où il semblait plaider pour l’État et pour la loi les circonstances atténuantes. Le ministre de l’intérieur passait pour avoir dans ses bureaux des rédacteurs de l’Univers. Au plus fort de la lutte, le gouvernement, avec une abnégation toute chrétienne, distribuait des décorations au clergé, des allocations aux églises, laissait les congrégations continuer leurs empiétements et leur accordait même de nouvelles immunités.

Quant à défendre l’Université, il en laissait philosophiquement le soin aux journaux ou à quelques professeurs qui, plus jaloux que lui de l’honneur de ce grand corps, ne craignaient pas de riposter pour leur compte aux attaques dont elle était l’objet. Le National, le Courrier français, le Constitutionnel, le Journal des Débats lui-même — malgré ses attaches gouvernementales —, se chargeaient chaque jour d’édifier le public sur les menées du parti ultramontain et, malgré le soin que prenaient encore les amis des jésuites de dissimuler et de nier leur puissance, dénonçaient bien haut la milice d’Ignace comme un ennemi national. Ces gens, écrivait rudement Génin, qui s’affichent avec tant d’éclat, sont sous le coup d’un arrêt de bannissement qui n’a jamais été révoqué. Que réclamez-vous ? La liberté ? On ne vous doit que l’expulsion. C’est ce que vous pouvez prétendre en vertu de la loi. Au collège de France, Michelet et Quinet, si grossièrement mis en cause par les folliculaires du parti catholique, réduisaient les perturbateurs au silence et, dans des leçons mémorables[22], aux applaudissements enthousiastes de la jeunesse vraiment libérale, dévoilaient sans pitié le mécanisme, la politique, la morale de la célèbre compagnie. A la Sorbonne quelques voix éloquentes protestaient aussi — avec un peu moins d’éclat — contre les insolences cléricales, et l’on vit le vieux Lacretelle remonter dans sa chaire pour dénoncer avec émotion le péril que la croisade jésuitique faisait courir à la liberté.

Une polémique aussi vive, aussi prolongée, n’était pas, on le pense bien, sans passionner le public. I/Église avait sans doute ses partisans. Mais l’opinion, dans les grandes villes et surtout à Paris, se prononçait visiblement contre les jésuites et leurs amis. Le gouvernement, obligé de compter avec elle aussi bien qu’avec le clergé, se trouvait dans le plus cruel embarras. Il était sur le point de déposer le nouveau projet de loi sur l’enseignement secondaire depuis si longtemps attendu. Comment le rédiger de façon à plaire à la fois aux deux partis ? En décembre 1843, Guizot faisait encore espérer à Montalembert et à Ravignan qu’ils auraient lieu d’en être contents. Mais les jurisconsultes les plus autorisés et les plus dévoués à la monarchie de Juillet, les Troplong, les Dupin, soutenaient avec éclat les droits du pouvoir civil contre les prétentions de l’Église. La chambre des députés se rangeait à leur avis et, dans son adresse au roi, demandait expressément que le projet en question maintint l'autorité et l'action de l’État sur l’éducation publique (25 janvier 1844).

C’est dans ces circonstances que la loi fut présentée aux chambres (2 février 1844), par le ministre Villemain qui, personnellement hostile aux jésuites, s’était cependant donné beaucoup de mal pour en rendre le texte acceptable aux amis de l’Église. Elle n’était de nature à satisfaire ni l’un ni l’autre des deux partis. D’un côté, en effet, ce projet assurait au clergé des avantages que les amis de l’Université devaient trouver excessifs. Non seulement il autorisait les particuliers à ouvrir des institutions ou des pensions sans rien exiger d'eux que la production du diplôme de bachelier, d’un certificat de moralité et d’un brevet de capacité[23], mais il accordait le bénéfice du plein exercice[24] à ceux de ces établissements dont les professeurs auraient les mêmes grades que ceux des collèges. Bien plus, sans enlever aux petits séminaires leur indépendance, non plus que leurs privilèges et immunités, sans exiger que leurs professeurs fussent pourvus de grades universitaires, il les autorisait à présenter au baccalauréat la moitié de leurs élèves sortants, le grade devant rester acquis à ces jeunes gens, quand même ils n’entreraient pas dans les ordres.

Mais, d’autre part, les néo-catholiques devaient trouver fort insuffisantes les concessions qui leur étaient annoncées. Si l’instruction morale et religieuse gardait la première place sur le programme de l’enseignement secondaire, la philosophie, tant de fois anathématisée par eux, y était également maintenue. Le droit d’ouvrir des institutions était bien reconnu aux particuliers ; mais les énergumènes du parti voulaient qu’il le fût sans conditions et repoussaient surtout hautement le brevet de capacité. Ils ne pouvaient admettre que les établissements privés restassent soumis, comme le voulait le projet, à la surveillance et à l’inspection de l’État. Il leur paraissait aussi exorbitant qu’ils le fussent, en cas de poursuites, à la juridiction des conseils académiques et du conseil royal de l’instruction publique. Ils trouvaient odieux que le ministre n’eût pas proposé la suppression du certificat d'études[25] et que le maximum des élèves des petits séminaires restât fixé à vingt mille. Mais ce qui surtout les exaspérait, c’était la clause par laquelle tout directeur ou professeur d’établissement libre devait déclarer par écrit qu’il n’appartenait à aucune association ou congrégation non autorisée par la loi. Cet article à lui seul sapait par la base tout l’échafaudage de leurs espérances.

C’est dans les rangs du clergé que le mécontentement se manifesta tout d’abord avec le plus de vivacité. En introduisant dans le projet une importante concession aux petits séminaires, le ministère avait compté gagner les évêques et les amener à séparer leur cause de celle des congrégations. Mais les évêques ne se laissèrent pas prendre à cette finesse. Presque tous marchaient d’accord avec Montalembert et, comme lui, voulaient tout ou rien. Un des plus modérés, Affre, se concerta, au mépris de la loi, avec plusieurs de ses suffragants pour adresser au roi un mémoire, bientôt reproduit par l’Univers, et qui attaquait dans son ensemble le projet Villemain avec beaucoup d’énergie. Et le roi ayant pris la liberté de blâmer cette inconvenance, la majeure partie de l’épiscopat se livra publiquement à de semblables manifestations, également concertées (mars 1844). Le clergé semblait à ce moment chercher les occasions de violer ou d’outrager la loi. L’abbé Combalot, que le gouvernement s’était décidé à poursuivre pour son libelle, ayant été condamné en cour d’assises, l’évêque de Châlons et nombre d’autres lui adressèrent de bruyantes félicitations[26].

Tous ces scandales amenèrent le vieux gallican Dupin aîné à dénoncer de nouveau à la chambre des députés (dans la séance du 19 mars) l’insolence et l’ambition de la faction cléricale, à demander si l’on voulait que l’Église fût dans l’État ou que l’État fût dans l’Église et à invoquer l’inflexibilité de la loi. Mais son discours fut relevé avec une hauteur singulière par Montalembert, qui peu après (16 avril) déclarait à la tribune du Luxembourg que les catholiques n’étaient ni des imbéciles ni des lâches, qu’ils n’étaient pas assez abâtardis pour livrer leur conscience à l’Université et tendre les mains aux menottes d'une légalité anticonstitutionnelle. Nous ne voulons pas être des ilotes, s’écriait-il fièrement ; nous sommes les successeurs des martyrs, et nous ne tremblerons pas devant les successeurs de Julien l’Apostat ; nous sommes les fils des croisés et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire ! La chambre des pairs était encore sous l’impression de ces éloquentes bravades quand le projet Villemain, dont elle avait été la première saisie, vint à l’ordre du jour (22 avril). Le débat long et passionné qui s’engagea dans cette assemblée[27] donna lieu à la présentation d’un contre-projet par lequel Montalembert et ses amis — Beugnot, Gabriac, Séguier, Barthélemy — demandaient : 1° le droit pour tout bachelier de fonder une école secondaire sans autre condition que celle d’un certificat de moralité ; 2° l’abolition du certificat d’études ; 3° l’institution d’un conseil supérieur de l’enseignement libre, auquel appartiendraient la surveillance et l’inspection de ces établissements ; enfin le partage entre ce conseil et le conseil royal du droit de présenter des candidats aux chaires de faculté. C’était exiger, à coup sûr, beaucoup plus que la chambre ne voulait accorder. Mais, si ses dispositions n’allaient pas jusqu’à consentir à la ruine de l’Université, elle témoignait cependant, comme le prouve le rapport qui lui fut lu par le duc de Broglie au nom de la commission chargée d’examiner le projet ministériel, d’une certaine méfiance à l’égard de ce grand corps. Vainement, à défaut du cabinet, dont l’attitude embarrassée et contrainte était un encouragement pour l’opposition, Cousin remontra-t-il, avec une pathétique éloquence, que les adversaires du prétendu monopole ne travaillaient en somme qu’à diviser la France, à compromettre l’unité morale de la patrie[28]. La Chambre des pairs ne vota le projet de loi qu’après y avoir introduit plusieurs amendements graves, qui étaient autant de victoires pour le parti catholique (24 mai 1844).

Tout d’abord, afin de restreindre l’enseignement de la philosophie, elle prescrivit que le programme du baccalauréat serait modifié et lit au conseil royal de l’instruction publique l’injure de lui substituer pour ce travail le conseil d’Etat. En second lieu elle réduisit presque à rien la place des membres du personnel enseignant dans les jurys chargés de décerner les brevets de capacité. Elle enleva, de plus, au conseil royal et aux conseils académiques la juridiction sur les établissements libres, pour la transférer aux tribunaux. Enfin elle décida qu’il ne pourrait pas y avoir de poursuites pour enseignement séditieux, mais seulement pour enseignement immoral.

Le parti catholique avait certes lieu d’être satisfait, et ses chefs ne dissimulaient pas leur joie. Veuillot déclarait que le régime parlementaire avait du bon et qu'il fallait s'y attacher avec amour. Mais il fallut bientôt déchanter, car la chambre des députés, saisie à son tour du projet de loi, manifesta des dispositions diamétralement contraires à celles de la chambre des pairs. La commission qu’elle chargea de l’étudier choisit Thiers pour son rapporteur. Cet homme d’État, passionnément attaché aux principes de 89, était de ceux qui les jugeaient menacés par Montalembert et ses amis[29]. En outre, il eût été bien aise de renverser, à l’occasion de cette affaire, un cabinet qui depuis quatre ans avait déjoué toutes ses attaques. Aussi le volumineux rapport qu’il déposa sur la question (le 13 juillet) et où les droits de l’État étaient lumineusement établis[30] concluait-il à des dispositions plus rigoureuses à l’égard du clergé que celles du projet Villemain. Il maintenait en effet en les approuvant les conditions de grades, de moralité, de capacité, pour l’ouverture des établissements libres, exigeait la déclaration de ne pas appartenir aux congrégations illégales, réservait la rédaction des programmes au conseil royal, qu'il maintenait, ainsi que les conseils académiques, en possession du droit de surveillance, d’inspection, de juridiction, enfin ramenait purement et simplement les petits séminaires sous le régime établi par l’ordonnance du 16 juin 1828.

 

IV. — Un pareil rapport semblait présager un débat violent d’où le parti catholique sortirait vaincu et meurtri. Le ministère résolut de se dérober à une discussion qui pouvait mal tourner non seulement pour ses alliés, mais pour lui-même. Les circonstances le favorisèrent. Les vacances parlementaires lui fournirent tout d’abord plusieurs mois de répit. Puis une maladie grave qui atteignit Villemain et le rendit pour un temps incapable de prendre part aux travaux de la chambre servir de prétexte pour retarder indéfiniment la mise à l'ordre du jour de son malencontreux projet. Guizot se sentait, du reste, bien soutenu par Louis-Philippe, qui ne voulait pas qu’il se laissât renverser pour une querelle de cuistres et de bedeaux. Il donnait à entendre qu’il ne regardait pas l’existence du cabinet comme liée à la nouvelle loi sur l’enseignement. Aussi Thiers et ses amis, qui voulaient avant tout le renverser, semblèrent-ils au bout de quelques mois s’accommoder de ces atermoiements et changèrent-ils de tactique. Le terrain sur lequel ils s’étaient placés n’était pour eux qu’à moitié bon. En combattant les prétentions d’un parti qui, à tort ou à raison, se prévalait de la charte pour réclamer une liberté entière d’enseignement, ils s’exposaient au reproche de ne pas respecter eux-mêmes ces principes de 89 au nom desquels ils avaient fait la révolution de juillet. Le langage équivoque de leurs adversaires, leur revendication bruyante du droit commun, pouvaient troubler certaines consciences et entraîner quelques votes. Des discussions abstraites et théoriques sur le droit de l’État laisseraient toujours dans beaucoup d’esprits quelque incertitude ou quelque indifférence. Mais, si l’on s’armait à son tour de la légalité, d’une légalité précise, incontestable, si l’on s’attaquait à une question concrète, à un ennemi vivant, palpable, bien connu, tout malentendu deviendrait impossible, et la victoire serait assurée. Or cette légalité, on la tenait, et il suffisait, ce semble, de poser cette question pour la résoudre, comme de dénoncer cet ennemi pour en faire justice. Il fallait prendre corps à corps ces congrégations factieuses, au nom desquelles l’Église demandait la liberté d’enseigner, et mettre le gouvernement, qui avait le tort de les tolérer, en demeure de les dissoudre. Et avant d’en venir à les exécuter toutes, il fallait signaler de préférence la plus impopulaire, celle qui passait à juste titre pour la plus redoutable, celle dont l’esprit avait pénétré l’Eglise entière, celle qui avait façonné à son image tous les ordres monastiques et presque tout le clergé séculier[31], la Compagnie de Jésus, pour l’appeler par son nom.

Le moment paraissait, du reste, on ne peut mieux choisi pour requérir contre elle l’exécution des lois ; car jamais, depuis 1830, les jésuites et leurs amis ne les avaient méconnues et bravées avec plus d’audace. La prudente compagnie s’était jusque-là tenue dans l’ombre. Naguère encore certains de ses partisans raillaient les bourgeois voltairiens et niais qui la croyaient vivante et dangereuse[32]. Maintenant elle se montrait au grand jour. Le P. de Ravignan, autorisé par ses chefs, venait de publier son apologie[33]. Vatimesnil soutenait hautement cette thèse originale, qu’il n’y avait pas de lois contre les jésuites et qu’autorisée ou non, la compagnie n’en avait pas moins le droit de vivre[34]. Un peu plus tard, Montalembert, avec sa véhémence ordinaire, sommait le gouvernement de faire respecter ce qu’il appelait les droits de l’Église, et Martin (du Nord) ne trouvait rien à lui répondre, si ce n’est qu’il était plus sage de parler moins haut et de ne pas attiser le feu (janvier 1845). L’archevêque de Lyon, traduit au conseil d État pour avoir, à propos d’un livre de Dupin[35], qu’il qualifiait d'hérétique, formellement contesté la validité des articles organiques, répondait à la déclaration d’abus dont il venait d’être frappé par une lettre d’une rare insolence au garde des sceaux (11 mars). Qu’était-ce que ce corps administratif qui voulait lui enseigner la religion ? Le pape seul avait le droit de le juger. Jusque-là, déclarait-il, un appel comme d’abus ne peut pas même effleurer mon âme. Le pape manifestait aussitôt son sentiment en faisant condamner par la congrégation de l’Index le manuel de Dupin (5 avril), et soixante évêques français déclaraient avec fracas adhérer aux doctrines de Bonald.

Tant de provocations commençaient à émouvoir le public. L’opinion se prononçait chaque jour avec plus de vivacité contre les jésuites et les rendait responsables des manifestations factieuses que nous venons de mentionner. Le professeur Génin, dans un livre qui avait alors le plus grand succès[36], venait de mettre à nu, avec une verve vengeresse, leurs procédés de polémique et d’enseignement. Michelet, par le Prêtre, la Femme, la Famille, les atteignait moins directement, mais avec plus de force encore et plus de sûreté (janvier 1845). Les lettrés seuls, il est vrai, lisaient de pareils livres. Mais d’un bout de la France à l’autre, la foule se passionnait pour le Juif errant, roman d’Eugène Sue, que publiait alors le Constitutionnel ; le jésuitisme, incarné dans l’odieux Rodin, devenait aux yeux du peuple comme le génie du mal et le fléau de l’humanité.

Des feuilles dévouées au ministère, et par exemple le Journal des débats, dénonçaient elles-mêmes la trop puissante compagnie comme un monument vivant du mépris de la loi. Un écrivain conservateur et profondément attaché à la monarchie de Juillet[37], signalait les jésuites comme des hypocrites patentés, des marchands d'indulgences, des pourvoyeurs d'absolutions, des colporteurs de pieuses calomnies.

Il semblait donc qu’il fût relativement aisé de les abattre et que l'heure fût propice pour les frapper.

Dès le mois de mars, à la chambre des pairs, Cousin avait provoqué le gouvernement à une discussion décisive sur l’exécution des lois qui leur étaient applicables. Mais le garde des sceaux était parvenu à s’y dérober. Il ne fut pas possible au cabinet d’éviter plus longtemps le débat, quand la question fut soulevée, cette fois par Thiers, sous forme d’interpellation solennelle, à la chambre des députés (2 mai 1845).

Cet homme d’État, secondé par des jurisconsultes de haute valeur — comme Dupin, Hébert, etc., — n’eut pas de peine à démontrer qu’en droit, si l’Église pouvait toujours instituer des congrégations, il appartenait à l’État de les admettre ou de ne pas les admettre dans le pays ; qu’en fait, l’arrêt de 1764, les lois de 1790 et 1792, le décret-loi du 3 messidor an XII, les lois de 1817 et 1825, enfin les ordonnances de 1828, applicables soit aux jésuites en particulier, soit aux associations religieuses en général, étaient toujours en vigueur ; que l’existence dans notre pays d’un ordre indépendant des évêques, lié à un chef étranger par un vœu d’obéissance absolue et sans réserve, constituait un péril national ; enfin que l’ancienne monarchie, tout comme les gouvernements issus de la Révolution, en avait jugé ainsi. Vainement Berryer, dont l’éloquence était digne de servir une meilleure cause, reproduisit-il en faveur de la compagnie la pitoyable argumentation de Vatimesnil. Il devint bientôt évident que la chambre se rallierait à l’ordre du jour présenté par l’interpellateur et portant qu’elle se reposait sur le gouvernement du soin de faire exécuter les lois de l'Etat.

Le gouvernement, plus que jamais, était dans un cruel embarras. S’il ne lui convenait pas de rompre avec l’Église, il ne lui convenait pas non plus de braver ouvertement l’opinion publique. Louis-Philippe disait nettement qu’il ne voulait pas risquer sa couronne pour les jésuites[38]. Guizot, qui eût pu le compromettre par ses hauteurs, se trouva malade juste à point pour n’avoir pas à prendre part au débat. Martin, du Nord, avec sa faconde évasive et molle, reconnut qu’en effet les lois étaient enfreintes, accepta les conclusions de Thiers, mais demanda que le cabinet, pour satisfaire au vœu de la chambre, pût librement choisir et l’heure et les moyens. Il donnait à entendre que le gouvernement, au lieu d’user simplement d’autorité, se proposait de négocier en cour de Rome. Thiers, persuadé que Guizot échouerait auprès du pape, ne fit pas d’opposition. Bref, son ordre du jour fut adopté à une forte majorité (3 mai 1845).

 

V. — Son parti, ses journaux triomphèrent aussitôt bruyamment de ce succès et n’épargnèrent pas les railleries au ministère. Par contre, les catholiques, se croyant battus, exhalèrent leur fureur en cris de rébellion et de menace. Les jésuites publièrent une consultation d’avocats et se déclarèrent prêts à la résistance judiciaire. Plusieurs évêques protestèrent contre la décision qui les visait et écrivirent au garde des sceaux ou au roi que, si on expulsait ces religieux de leurs maisons, ils les recueilleraient dans leurs palais épiscopaux. Parisis les exhortait à ne faire aucune concession. Plutôt cent ans de guerre, écrivait-il, que la paix à ce prix ! A la chambre des pairs, Montalembert affirmait qu’ils ne céderaient ni ne succomberaient et qu’ils avaient l’avenir pour eux. Prenez-y garde, disait à son tour Beugnot, l’Eglise est une enclume qui a usé bien des marteaux. (12 juin.) En somme on pouvait presque se croire à la veille d’une guerre civile.

Placé entre deux oppositions, celle de gauche et celle de droite, le gouvernement travaillait à ce moment même, sans bruit, à jouer la première pour apaiser la seconde. Certain que, s’il cherchait à contraindre les jésuites, l’épiscopat prendrait pour eux fait et cause, et qu’il aurait par suite à dos l’Eglise de France tout entière, il s’était avisé depuis quelque temps d’un expédient misérable, mais ingénieux, qui consistait à obtenir la soumission de la compagnie par l’entremise du pape. En disant soumission nous nous exprimons mal. Louis-Philippe et ses ministres savaient fort bien qu’ils ne l’obtiendraient pas. Mais il leur suffisait d'en obtenir l’apparence, de telle sorte que la chambre crût avoir gain de cause et que le clergé cessât de crier. C’est dans cet espoir que sa diplomatie équivoque et retorse manœuvrait depuis quelque temps auprès du Saint-Siège. Dès le mois de mars, le comte Rossi, aventurier politique dé grand talent, qui, originaire d’Italie, avait joué un rôle important en Suisse, puis avait passé au service de la France et devait mourir plus tard ministre du pape, avait été envoyé à Rome comme ambassadeur pour préparer Grégoire XVI aux concessions illusoires qu’on attendait de lui. Après le vote du 3 mai, ce personnage ne manqua pas de représenter au Saint-Père que le moment était venu pour lui d’intervenir entre le gouvernement et les jésuites de Fiance. Il lui remontrait qu’un refus de sa part pouvait avoir des conséquences graves ; que, si un semblant de satisfaction n’était pas donné à l’opinion publique, des violences populaires étaient à craindre ; il lui rappela le sac de l’archevêché, la dévastation de Saint-Germain l’Auxerrois. Il cherchait d’autre part à l’indisposer contre ce parti néo-catholique dont le libéralisme avait toujours paru suspect au Vatican et qui n’était, disait-il, que la queue de Lamennais. Que demandait-on, du reste ? Oh ! peu, bien peu de chose ! Simplement que les jésuites se missent dans un état qui permît au gouvernement français de ne pas les voir et qui les fit rester inaperçus, comme ils l’avaient été jusqu’à ces dernières années. Ainsi, que le pape les amenât à un semblant de capitulation ; qu'on put un moment faire croire leur compagnie dissoute en France bien qu’elle ne le fût pas, c’était tout ce qu’il fallait à la monarchie de Juillet.

Sur de pareilles bases, il était facile de s’entendre, même à demi- mot et sans se compromettre de part ni d’autre par d’imprudents engagements. Le pape soumit pour la forme la question des jésuites à la congrégation des affaires ecclésiastiques. La congrégation ne manqua pas de répondre que l'affaire ne regardait nullement le Saint-Siège. Le souverain pontife déclara donc que, dans les circonstances, il ne pouvait adresser d'ordres à la compagnie. Mais il pouvait leur faire donner des conseils par quelques cardinaux. Effectivement les cardinaux conseillèrent. La compagnie comprit quelle comédie il s’agissait de jouer et voulut s’y prêter dans une certaine mesure. Si bien qu’après deux mois de négociations, le gouvernement français publia triomphalement dans le Moniteur la note suivante (6 juillet) :

Le gouvernement du roi a reçu des nouvelles de Rome. La négociation dont il avait chargé M. Rossi a atteint son but. La congrégation des Jésuites cessera d'exister en France et va se disperser d’elle même : ses maisons seront fermées et ses noviciats dissous.

Cette note — on l’a su plus tard — n’était qu’un impudent mensonge. Les intéressés et leurs amis, qui en prirent d’abord un peu d’alarme[39], ne tardèrent pas à se rassurer. Le cardinal Lambruschini fit savoir aux jésuites de France qu’ils devaient s’en tenir à ce que le père général leur prescrivait de faire[40]. Or voici à quoi se réduisirent les ordres du père général : Trois maisons professes — celles de Paris, de Lyon, d’Avignon — et deux noviciats — ceux de Saint-Acheul et de Laval —, particulièrement en vue, seraient fermés. Les religieux qui les remplissaient seraient simplement répartis entre les maisons et les noviciats conservés — et il y en avait une trentaine[41]. Le gouvernement, pour la forme, demanda davantage et entama mollement à Rome une négociation qu’il savait bien ne devoir jamais finir. Les seuls établissements indiqués par le père Roothaan furent fermés. Le personnel de l’un d’entre eux[42] servit à former deux maisons nouvelles en plein Paris. Vers la fin de 1845, cette exécution des lois était terminée. Voilà comment l’ordre des jésuites avait cessé d’exister en France ! Le ministère n’en répétait pas moins à toute occasion que les droits de l’État avaient été vengés, si bien qu’il le fit croire à une grande partie du public. En réalité, il avait sauvé les jésuites, et Guizot s’en est fait plus tard un titre de gloire[43].

A cet égard, les chefs du parti catholique savaient bien à quoi s’en tenir. Lacordaire, en particulier, ne dissimulait pas sa joie[44]. D’autres, plus politiques, ne se plaignaient plus qu’avec mesure, mais remontraient le grand sacrifice que l’Eglise venait de s’imposer et demandaient au gouvernement des gages de sa reconnaissance. Il est certain que Rome, grâce à la comédie où elle venait de jouer son rôle, avait aidé le ministère à se tirer d’embarras. Or, comme elle ne fait jamais rien pour rien, elle voulait être payée de son concours par de nouvelles complaisances, et le ministère crut devoir s’exécuter.

 

VI. — Depuis plusieurs mois, Villemain avait été remplacé au ministère de l’instruction publique par le comte de Salvandy, orateur redondant et pauvre politique, dont le principal titre était, aux yeux de Guizot, la confiance qu’avait en lui le parti catholique. Confiance méritée, car, à peine installé, le nouveau ministre avait donné une première satisfaction à ce parti en suspendant le cours de Mickiewicz au collège de France. Un peu plus tard, à force de tracasseries, il réduisit Quinet à démissionner. Dès le mois d’août 1845, il faisait connaître son intention d’élaborer un nouveau projet de loi sur l’enseignement en nommant une commission spéciale chargée de préparer la révision et la codification des lois, décrets, ordonnances et règlements relatifs à l’Instruction publique. Le conseil royal semblait tout désigné pour une pareille tâche. Mais le ministre tenait en suspicion le conseil royal, qui, trop fidèlement, représentait l’esprit et défendait les droits de l’Université. Bientôt, du reste, il lui témoigna sa méfiance par une mesure plus significative et plus grave. On sait que ce conseil, doté d’attributions très étendues, se composait de membres inamovibles, par conséquent indépendants du ministre. Tout à coup, le 7 décembre, sur la proposition de Salvandy, fut signée une ordonnance royale qui leur adjoignait vingt conseillers extraordinaires nommés seulement pour une année, si bien que désormais le conseil ne devait plus être que l’organe docile de sa volonté.

C’était une sorte de coup d’État, et les adversaires non cléricaux du cabinet ne manquèrent pas de le dénoncer aux chambres comme un symptôme manifeste de son alliance avec le parti catholique. L’ordonnance fut vivement attaquée au Luxembourg par Cousin, au Palais-Bourbon par Saint-Marc-Girardin, par Dubois, surtout par Thiers, qui la signala comme une grande malice cachée sous une imprudence. Par contre, Montalembert et ses amis ne prirent pas la peine de cacher la satisfaction qu’elle leur causait. Guizot, du reste, ne dissimula pas que c’était bien là une mesure politique ; qu’à ses yeux, l’ancien conseil royal représentait trop exclusivement la cause de l’Université ; puis, élargissant la question, il déclara hautement qu’en matière d’enseignement les enfants appartenaient aux familles avant d'appartenir à l'Etat ; que le régime de l’Université n’était pas conciliable avec ce principe ; enfin que ce régime était aussi en opposition avec les droits des croyances religieuses (31 janvier 1846). Bref, le gouvernement jetait l’Université pardessus bord. Dès lors, il n’était pas douteux qu’il ne se refusât définitivement à discuter le projet de loi sur l’enseignement, présenté par lui-même au temps de Villemain. Défait, quand Odilon Barrot et Thiers lui demandèrent s’il se prêterait à ce que ce projet fut mis enfin à l’ordre du jour, Salvandy et Guizot répondirent qu'il était trop tard, vu la proximité des élections générales ; qu’ils n’étaient pas obligés de favoriser une manœuvre qui tendait évidemment soit aies renverser, soit à les compromettre ; enfin qu’il y avait lieu, à leur sens, d’élaborer un nouveau projet et qu’il fallait leur en laisser le temps (21 février 1846). La majorité se contenta de ces mauvaises raisons.

L’Université, trahie par le ministère, était moralement vaincue. Thiers, dont les calculs personnels venaient d’être déjoués une fois de plus, le constatait lui-même avec colère quelque temps après (mai 1846). Mais plus il s’indignait et menaçait le cabinet, plus le gouvernement devenait complaisant pour le parti prêtre. Et l’on comprend qu’il en fût ainsi. L’époque des élections générales approchait. Toutes les gauches et une bonne partie de la droite légitimiste faisaient cause commune contre le ministère et s'efforçaient de tourner contre lui le pays légal[45]. L’infatigable Thiers était l’âme de cette coalition et ne désespérait pas du succès. Par contre, Guizot et ses ministres, à qui l’appoint du parti religieux était maintenant indispensable, faisaient chaque jour aux ultramontains et aux adversaires de l’Université des avances plus significatives. Aussi l’audace du parti s’étalait-elle avec moins de retenue que jamais. Si quelques tacticiens, comme Dupanloup[46] ou Beugnot, croyaient devoir par politique recommander à leurs amis un peu de modération, de libéralisme, de tolérance, d’autres, plus nombreux, n’avaient à la bouche que des cris de guerre et de haine. Bonald demandait dans un mandement, et cette fois sans être censuré, que l’Église recouvrât la liberté des missions à l’intérieur ; que ses rapports avec le pape ne fussent plus gênés par aucune entrave ; que rien ne bornât plus son autorité législative — c’est-à- dire son droit de tenir des conciles et des synodes — ; enfin que les évêques pussent établir des ordres religieux en aussi grand nombre qu’il leur plairait. Parisis voulait remplacer dans l’enseignement secondaire les classiques latins et grecs par les pères de l’Église. L’évêque d’Orléans, Fayet, anathématisait la liberté des cultes et regrettait, avec la loi du sacrilège, le droit divin des rois. Montalembert surtout se faisait comme d’ordinaire remarquer par sa violence. Dans un ardent appel au corps électoral[47], il constatait d’abord avec un orgueil insultant que les néo-catholiques avaient vu le premier ministre revenir sur ses pas pour leur tendre la main et que les plus ardents de leurs ennemis se taisaient prudemment et sollicitaient leurs voix. Il leur avait conseillé jadis de manœuvrer de façon à devenir un embarras. Nous le sommes devenus, s’écriait- il, commuons ! Il recommandait de voter pour n’importe qui, même pour des protestants, pour des républicains, pour des socialistes[48], s'ils se prononçaient pour la liberté religieuse. Il flétrissait les amis tièdes et lâches, ceux dont la foi n’agissait pas. Quant aux adversaires, il les avertissait que la lutte n’aurait ni fin ni trêve jusqu’à ce qu’ils fussent vaincus et bien vaincus. Non, vous ne dormirez pas tranquilles, leur disait-il..., les dents du dragon sont semées, il en sortira des guerriers !... Nous sommes assez d'ultramontains, de jésuites, de néo-catholiques pour troubler à jamais votre repos jusqu’au jour où vous nous aurez rendu notre droit... Nous avons mordu au fruit de la discussion, de la publicité, de l’action ; nous avons goûté son âpre et substantielle saveur ; nous n’en démordrons pas...

 

VII. — Les élections eurent lieu le 1er août. Grâce à la propagande cléricale d’une part, à la corruption administrative de l’autre, elles furent un gros succès pour le ministère. Mais Guizot et ses collègues se trouvèrent plus que jamais à la merci de leurs alliés. Le comité Montalembert avait fait élire cent quarante-six de ses candidats, presque un tiers de la chambre, et parmi eux des hommes de haute valeur, comme le comte de Falloux[49], dont l’influence, bientôt considérable, devait être si puissante après la révolution de février. Aussi le gouvernement, qui auparavant n’ouvrait les yeux qu’à demi sur les empiétements du clergé, semblait-il maintenant les fermer tout à fait. Les évêques prêchaient impunément la révolte contre les lois. La loi sur les associations, notamment, était éludée ou violée de toutes parts sans que le pouvoir civil parût y prendre garde. Les communautés religieuses surgissaient, s’étendaient, s’enrichissaient avec une liberté parfaite. Le conseil général de la Seine demandait vainement à l’État d’arrêter les progrès des congrégations dans l’intérieur de Paris, envahi par la main morte. Les couvents se déclaraient inviolables. La justice n’osait qu’à grand’ peine et rarement y pénétrer pour constater des délits ou des crimes[50]. On laissait, comme sous la Restauration, le clergé embaucher des soldats à prix d’argent pour les mener communier ostensiblement[51]. Dans l’enseignement primaire, les écoles congréganistes se multipliaient à vue d’œil. Les Ignorantins, qui n’avaient que 87.000 élèves en 1830, en comptaient 175.000 en 1847 ; les congrégations enseignantes étaient recommandées en chaire et au confessionnal. Les dons et les collectes affluaient dans leurs caisses. En revanche, les instituteurs laïques, réduits souvent à 3 ou 400 francs de portion congrue, étaient calomniés, dénoncés, persécutés, quand ils ne se laissaient pas domestiquer par les curés[52].

Le clergé revendiquait toujours, endroit, une liberté absolue d’enseignement, c’est-à-dire qu’il rejetait toute condition d’autorisation, de grades, de brevets, toute surveillance, tout contrôle. En fait, le gouvernement semblait autoriser, par sa patiente condescendance, de pareilles prétentions. Au mépris de la loi il permettait à de simples bacheliers de tenir des institutions de plein exercice. Il tolérait que des écoles religieuses se refusassent à toute inspection et même qu’un aumônier de collège royal prétendit empêcher un inspecteur général de questionner ses élèves sur l’histoire sainte. Par contre, il admettait que le clergé lui dénonçât certains professeurs de philosophie comme indignes d’enseigner, pour cause de judaïsme ou de protestantisme[53].

Tant de ménagements, tant de reculades ne désarmaient pas la faction, loin de là. On avait beau donner à l’Église ou lui laisser prendre : elle se plaignait et demandait toujours. Vers la fin de 1846, l’archevêque de Paris, après avoir rédigé les doléances du clergé français, qui se disait persécuté, les adressait directement au pape, comme si le gouvernement n’eût pas existé. Dans le même temps, Montalembert reprenait avec une ardeur nouvelle sa campagne pour la liberté de renseignement secondaire. Le pétitionnement provoqué par lui se reproduisait avec une intensité croissante. Quatre-vingt mille signatures avaient été obtenues en 1846 : cent quarante mille le furent en 1847.

Le ministère était de nouveau sommé de payer ses dettes[54]. Il fit mine de s’exécuter en déposant, le 12 avril 1847, le projet de loi depuis si longtemps annoncé par Salvandy. Mais, bien qu’il se fut visiblement efforcé de satisfaire par ce nouveau texte les ennemis de l’Université, il ne les contenta pas plus que le parti adverse. Il avait bien compris l’impossibilité de faire abandon complet des droits de l’Etat sans risquer de perdre la majorité qui le soutenait à la chambre des députés et dont beaucoup de membres, fidèles encore à l’esprit de 1830, n’entendaient pas sacrifier l’autorité civile à l’Église. Il aurait dû prévoir d’autre part que l’Église ne trouverait pas suffisant l’octroi d’une liberté fort large, mais limitée, puisqu’elle exigeait une liberté sans bornes.

Les néo-catholiques auraient pourtant pu se montrer reconnaissants de la part qui leur était faite. En effet, si le projet Salvandy laissait à l’Université le droit de rédiger les programmes et de désigner les livres classiques, ainsi que la surveillance et le contrôle des établissements libres, il lui enlevait en grande partie, pour le transférer aux tribunaux, son droit de juridiction sur le personnel de ces écoles. S’il maintenait le certificat d’études, il facilitait étrangement l’ouverture d’institutions de plein exercice en réduisant à fort peu de chose les exigences formulées par le projet de 1844 au sujet des grades et des brevets[55] et il autorisait les élèves des petits séminaires à se présenter au baccalauréat. Enfin, si pour la forme il interdisait l’enseignement aux congrégations non autorisées, il annulait à peu près, d’autre part, cette disposition en n’exigeant point des chefs et des professeurs des écoles libres qu'ils déclarassent individuellement ne pas appartenir aux dites congrégations.

Toutes ces concessions n’empêchèrent pas le parti prêtre de se déclarer sacrifié. L’abbé Dupanloup[56] s’efforça de prouver que le projet était inacceptable. Le comité pour la défense de la liberté religieuse le repoussa hautement. La lutte, écrivit-il, doit être reprise avec plus d’énergie que jamais. Montalembert, gourmandant, comme d’habitude, la mollesse, la lâcheté des siens, sonna de nouveau la charge contre l’État enseignant. Par contre, les défenseurs de l’Université se montraient bien résolus à ne pas l’abandonner. Au Palais-Bourbon, la commission chargée d’examiner le projet se laissa sans peine influencer par Thiers et ses amis. Le rapport déposé en son nom sur le bureau de la chambre par le député Liadières reproduisit à peu de chose près les arguments et les conclusions présentés par Thiers lui-même en 1844.

Ce que voyant, le ministère, tout comme en 1844, ne songea plus qu’à gagner du temps et s’efforça de retarder l’ouverture des débats. Il lit si bien que la loi n’était pas encore venue en discussion quand éclata la révolution de février. Du reste, il se montrait toujours fort humble vis-à-vis de ses arrogants alliés. Guizot, sommé par Montalembert de faire le bien de l’Église, le suppliait platement de prendre patience et de tenir compte de ses embarras. Cela se fera, balbutiait-il[57], avec la prudence que nous y apportons, avec le temps que nous y mettons. Salvandy, de son côté, cherchait à se rendre agréable à l’Eglise par de nouvelles gracieusetés. Eu janvier 1848, le cours de Michelet était enfin suspendu. Les jésuites de France, qui n’avaient jamais été sérieusement inquiétés par le ministère, continuaient à se moquer de lui. Comment n’eussent-ils pas été rassurés, enhardis, quand ils voyaient Guizot, en plein accord avec Metternich, soutenir hautement les jésuites de Suisse et menacer de venger par les armes le Sonderbund récemment vaincu ?

 

VIII. — En somme la lutte de l'Église et de l’Université, depuis si longtemps ouverte et si violente à certains moments, n’avait encore amené aucun événement décisif. Les chefs des deux partis semblaient piétiner sur place, s’observant, se menaçant toujours, et gardant leurs positions. Le public, lui, paraissait se lasser un peu. En 1847 l’opinion ne se passionnait plus pour ou contre les jésuites, comme elle l’avait fait deux ou trois ans plus tôt. Les pamphlets devenaient plus rares ou étaient moins lus. La question de l’enseignement et des congrégations passait au second plan dans les préoccupations de la foule. Les hommes politiques et les chefs du clergé, bien éloignés sans doute de s’en désintéresser, ne l’envisageaient plus eux-mêmes tout à fait connue au temps de la grande crise de 1843, 4844 et 1845. Il semblait à beaucoup d’entre eux qu’une solution pacifique de la question n’était plus absolument impossible.

Cette double évolution des esprits est facile à expliquer.

D’une part en effet l’attention du public était détournée des affaires religieuses par une agitation politique d’où le gouvernement de Louis-Philippe ne voulait pas comprendre que la République put sortir à bref délai[58]. Dans tonte la France, la réforme électorale, si vainement discutée par les chambres, était à l’ordre du jour. La campagne des banquets était commencée. On reprochait à la monarchie de Juillet d’avoir compromis l’honneur de la France au dehors, d’avoir trahi au dedans la cause delà Révolution. On flétrissait des ministres vendus, de hauts personnages salis par de récents procès. La révolution du mépris s’opérait déjà dans l’âme du peuple. De toutes parts on sapait le trône ; on ne pensait plus guère à l’autel.

D’un autre côté, l’avènement au trône pontifical d'un pape qu’on disait libéral, ses premières paroles, ses premiers actes, donnaient à penser aux partisans de l’Église et aux défenseurs de l’État que la paternelle intervention du Saint-Siège pourrait bien terminer la guerre. Chacune des deux parties espérait, il est vrai, que l’accord se ferait à son profit et escomptait un peu légèrement le concours du souverain pontife.

Le vieux Grégoire XVI était mort le 1er juin 1846, et à cet irréductible ennemi des idées modernes avait succédé, sous le nom de Pie IX, le cardinal Mastaï. Or, par le seul fait qu’il n’avait pas commencé par anathématiser l’esprit de la Révolution, le nouveau pape avait acquis en peu de temps une immense popularité. Une amnistie donnée à propos, quelques essais anodins de garde nationale, quelques vagues promesses de réformes — purement administratives — dans les États de l'Église, avaient suffi pour lui faire la réputation d’un homme de progrès, d’un émancipateur, presque d'un démocrate. Gêné par les Autrichiens, qui faisaient malgré lui la police dans ses États, il semblait qu’il fût désireux de les voir expulsés de l’Italie entière. Les peuples de la péninsule, impatients de former une nation, le saluaient d’avance comme leur rédempteur. Il n’avait pas encore, comme il fit plus tard, invoqué l’appui de l’étranger. Pour le moment, Metternich le suspectait[59], Metternich, c’est-à-dire le génie de la sainte-alliance et de la contre-révolution. Cela suffisait pour qu’il fût l’idole des patriotes, l’espoir des nationalités opprimées. Il n’avait en rien désavoué l’encyclique de 1832. Mais il n’avait pas encore écrit le Syllabus. Cela suffisait pour qu'on le crût prêt à se rallier aux principes de 80. Affable, riant et doux, il recevait bien les visiteurs, et, sans rien dire de trop, les renvoyait tous contents, de quelque parti qu’ils fussent. Chaque fois qu’il sortait, un peuple en délire lui faisait ovation, et, parce qu’il se laissait acclamer, on pensait qu’il se laisserait entraîner.

En France tous les partis chantaient ses louanges. Les néo-catholiques le proclamaient un des leurs. Il avait osé les louer de leur campagne en faveur de la liberté de l’enseignement[60]. Il avait fait le plus cordial accueil à Dupanloup, un des théoriciens de la liberté pour tous et du droit commun, il avait fait l’éloge de Montalembert — un vero campione, disait-il. Aussi Montalembert le proclamait-il à la tribune l’idole de l’Europe. Parisis, dans ses Cas de conscience[61], prétendait établir que la fameuse encyclique de Grégoire XVI n’était pas exclusive des libertés modernes. Et, si Pie IX n'approuvait pas, du moins il ne désavouait pas ce singulier paradoxe. Aussi le clergé mettait-il en circulation dans toute la France l'idée que l’accord de la religion et de la liberté, depuis si longtemps cherché, serait l’œuvre du nouveau pape.

Cette idée, les ministres de Louis-Philippe la développaient aussi complaisamment à la tribune ou ailleurs. Guizot annonçait avec une émotion contenue que Pie IX accomplirait la réconciliation de l’Eglise catholique et de la société moderne. Les chambres, dans leurs adresses au roi, félicitaient le pontife d’avoir ouvert au monde une ère nouvelle de civilisation et de liberté. Les chefs de l'opposition parlementaire rivalisaient avec le président du conseil de verve laudative à l’endroit du nouveau pape. Le plus illustre et le plus autorisé, Thiers, s’écriait dans un élan d’enthousiasme : Un saint pontife a formé ce projet si noble de conjurer les révolutions en accordant aux peuples la satisfaction de leurs justes besoins. Courage, Saint-Père, courage !... Les représentants des partis avancés, soit par tactique, soit par entraînement, tenaient un langage analogue ; des socialistes même, parce qu’ils se réclamaient du Christ, n’étaient pas loin de se réclamer du nouveau pape. Bref, il semblait, à écouter tant de panégyristes, qu’un Lamennais fût assis sur le trône de saint Pierre. Et nul ne remarquait que le vrai Lamennais, toujours vivant, n’était pas relevé des censures de l’Église.

Un tel état d’esprit aide à comprendre l’extraordinaire complaisance dont la seconde république allait faire preuve envers le clergé. Mais elle ne suffit pas à l’expliquer, et nous aurons à exposer dans le chapitre suivant les circonstances et les calculs particuliers qui déterminèrent le gouvernement issu de la nouvelle révolution à concéder à l’Église ce qu’elle n'avait pu obtenir ni de l’Empire, ni de la Restauration, ni de la monarchie de Juillet.

 

 

 



[1] Le cabinet du 29 octobre 1840 avait à sa tête le maréchal Soult. Mais ce haut personnage n'en fut jamais que le chef nominal, et, dès le début, le ministre des affaires étrangères, Guizot, en fut le véritable chef.

[2] Notamment l’archevêque de Lyon, les évêques du Mans, de Saint-Flour, etc.

[3] Il y prononça, le 14 février 1841, son retentissant discours sur la Vocation de la nation française. Un peu plus tard, on le retrouve à Bordeaux, où il prêche pendant quatre mois (nov. 1841-mars 1842), puis à Nancy, où il fait également une longue station (1842-1813). Il fonde dans cette ville, au mépris de la loi, un premier couvent de dominicains (1843) et reprend peu après ses prédications à Notre-Dame, où dès lors il sera chargé des conférences de l’Avent jusqu’en 1851. C’est la même année qu’il institua à Paris pour servir d’auxiliaire laïque aux frères prêcheurs, le tiers ordre de Saint-Dominique.

[4] C’était ce même d’Astros qui, après avoir pris part à la rédaction du catéchisme napoléonien, avait été si malmené par l’empereur pour ses intrigues pendant la captivité de Pie VII (V. 1re partie de cet ouvrage, ch. VII et VIII).

[5] Cousin, Jouffroy, Charma, Nisard, Gatien-Arnoult, Ferrari, Ch. Labitte, Francisque Bouillier, Lherminier, Jules Simon Michelet, Joguet, Edgar Quinet, Philarète Chasles, Michel Chevalier, J.-J. Ampère, Patrice Larroque, Damiron.

[6] Les cours des professeurs Ferrari et Bersot, dénoncés par le clergé, furent en effet suspendus à cette époque.

[7] V. Génin, les Jésuites et l'Université, 2e partie.

[8] Celui de Michelet en particulier.

[9] Voir le discours adressé le 1er mai 1842 par l'archevêque de Paris à Louis-Philippe, qui dut en interdire l’insertion au Moniteur, et les discours prononcés le 1er mars et le 6 juin par Montalembert à la chambre des pairs.

[10] L'illustre écrivain avait été condamné, en décembre 1840, à un an de prison et 2.000 francs d'amende pour avoir écrit la brochure intitulée : le Pays et le Gouvernement.

[11] Il y avait à cette époque 369 collèges, royaux ou communaux, et plus de 1.000 institutions privées, tenues en grande partie par des ecclésiastiques, sans compter 127 petits séminaires, dirigés par les évoques et complètement indépendants.

[12] Vieillards de trois ou quatre lustres, à la face hâve et plombée, aux regards ternes et lascifs ; tristes victimes de la luxure qui dévore leur frêle organisation, éteint la pensée dans son foyer immortel, tarit le sang dans leur jeune cœur calciné par le feu des passions lubriques et putréfie l’air au fond de leurs poitrines haletantes sous une décrépitude précoce... (pp. 102-103).

[13] Remarquer qu’Ozanam, un des promoteurs du mouvement néo-catholique, professait alors à la Faculté des lettres de Paris.

[14] Le clergé, disait l’archevêque, repousse la responsabilité de deux livres récemment publiés. Le premier, adopté ou écrit par un chanoine de Lyon, signale des erreurs qui ne sont que trop réelles, trop pernicieuses ; mais, étant éloigné des écrivains qu'il voulait juger, il a confondu des hommes dont il aurait dû séparer la cause ; il a l'ait, en outre, des citations dont l’exactitude matérielle ne garantit pas toujours l’exactitude quant au sens. Il a pris un ton fort injurieux, ce qui est une manière fort peu chrétienne de défendre le christianisme. L’autre adversaire, qui nous est inconnu, n’a été ni plus heureux ni plus habile.

[15] Louis Veuillot (né en 1813, mort en 1883) avait mis en 1832 son rare talent de polémiste au service du gouvernement de Juillet, pour le compte duquel il avait rédigé plusieurs journaux. Secrétaire du général Bugeaud en 1842, puis employé au ministère de l’intérieur, il quitta sa place pour entrer à l’Univers religieux (1843) et se voua dès lors tout entier à la cause ultramontaine. Dans sa jeunesse, il s’était montré fort sceptique en matière religieuse. Sa foi et son zèle catholique étaient le résultat d’un voyage qu’il avait fait à Rome en 1838.

[16] Il le ménageait lui-même, par une politique facile à comprendre. Il fondait, à ce moment, un premier couvent de dominicains à Nancy (1843). Le gouvernement n’eut pas l’air de s’en apercevoir et ne l’empêcha pas non plus, un peu plus tard, d’en fonder un second et un troisième, à Chalais (en Dauphiné) et à Paris (1844-1845).

[17] Pierre-Louis Parisis, né en 1895, mort en 1766. Il était évêque de Langres depuis 1834. Il fit plus tard partie de l’Assemblée constituante de 1848 et de l’Assemblée législative de 1849, où il joua un rôle important comme champion de l’Église. Transféré à l’évêché d’Arras en 1851, il servit encore avec éclat la cause du pouvoir temporel du pape à partir de 1859.

[18] L’évêque d’Arras, La Tour d’Auvergne, osa seul, je crois, recommander à son clergé de ne pas signer de pétitions collectives et de rester étranger à des mesures que la véritable sagesse ne dictait point (11 janvier 1844).

[19] Génin, les Jésuites et l’Université, 318-320.

[20] La vice-présidence fut donnée à Vatimesnil, l’ancien ministre de 1828, qui, depuis la révolution de juillet, s’était de nouveau rallié sans réserve à la cause des jésuites.

[21] Mémoire à consulter adressé aux évêques de France et aux pères de famille. L’Université, lit-on dans cette diatribe, forme des intelligences prostituées qui vont chercher au fond des enfers la glorification du bagne, de l’inceste, de l’adultère et de la révolte... L’Université pousse les jeunes générations au brutisme de l’intelligence... Elle double toute la puissance de l’homme pour le mal... Elle livre les écoliers aux seuls instincts de la bête... Ces appétits, des habitudes vicieuses, des pratiques contre nature, des mœurs abominables deviennent alors le caractère dominant de la génération élevée dans les collèges... Les livres les plus infâmes, les feuilletons les plus obscènes, sont devenus les catéchismes de morale des enfants de leurs collèges...

[22] Quelques-unes de ces leçons (qui eurent lieu en avril et mai 1813) ; furent, comme on l’a dit, de véritables batailles et mirent en émoi non seulement le quartier latin, mais Paris entier et même toute la France. Michelet et Quinet les réunirent peu après et les publièrent sous ce litre : Les Jésuites. Ce livre eut un immense succès. Il serait trop long d’en faire ici l’analyse. Jamais peut-être, depuis Pascal, la compagnie de Jésus n’avait été plus magistralement fustigée. Les deux auteurs avaient surtout voulu démontrer que le jésuitisme, fondé sur l’obéissance passive et sans réserve, tendait à anéantir ou à atrophier toute raison, toute volonté, tout patriotisme, toute civilisation. Les constitutions des jésuites, réimprimées à cette époque, suffiraient pour donner une idée des effets que peut produire une telle machine de gouvernement.

[23] Le certificat de moralité serait délivré par le maire, le brevet de capacité par un jury formé du recteur, du maire, du procureur du roi, d’un chef d’institution et de quatre notables ou professeurs.

[24] C’est-à-dire le droit de ne pas conduire leurs élèves aux collèges de l’Université et de les présenter directement au baccalauréat.

[25] Ce certificat était exigé des candidats au baccalauréat et, pour l’obtenir, il fallait avoir suivi les cours de rhétorique et de philosophie dans un collège royal ou communal ou dans une institution où cet enseignement fût autorisé (décret du 16 février 1810, ord. du 5 juillet 1820, du 17 juillet 1835).

[26] L’évêque et le clergé de Châlons, lui écrivait Prilly, s’empressent de joindre leurs félicitations à celles de toute l’Église et de tous les gens de bien, que M. l’abbé Combalot a reçues. Il était digne de lui de donner un si bel exemple et de prendre aussi ouvertement la défense de nos vérités catholiques contre l’Université, qui en est l’ennemie déclarée...

[27] Il dura plus d’un mois.

[28] Dès l’enfance, disait-il, nous apprendrons à nous fuir les uns les autres, à nous renfermer comme clans des camps différents, des prêtres à notre tète. Merveilleux apprentissage de cette charité civile qu’on appelle le patriotisme ! Et ce pays qui, du moins, dans ses malheurs, avait conservé une ressource immense, la puissance de son unité, la perdra...

[29] Plus tard il changea d’avis, et nous dirons pourquoi. (Voir au chapitre suivant).

[30] L’esprit de notre révolution, disait-il, veut que la jeunesse soit élevée par ses pareils, par des laïques animés de nos sentiments, animés de l’amour de nos lois. Les laïques sont-ils des agents d’impiété ? Mon encore, car, nous le répéterons sans cesse, ils ont l'ait les hommes du siècle présent plus pieux que ceux du siècle dernier. Si le clergé, comme tous les citoyens, sous les mêmes lois, veut concourir à l’éducation, rien de plus juste, mais comme individus, à égalité de conditions, et pas autrement. Le veut-il ainsi ? Alors plus de difficultés entre nous. Veut-il autre chose ? Il nous est impossible d’y consentir.

[31] L’esprit de mort, écrivait à cette époque Michelet, appelons-le de son vrai nom, le jésuitisme, autrefois neutralisé par la vie diverse des ordres, des corporations, des partis religieux, est l’esprit commun que le clergé reçoit maintenant par une éducation spéciale et que ses chefs ne font pas difficulté d’avouer. Un évêque a dit : Nous sommes jésuites, tous jésuites. Aucun ne l’a démenti. La plupart cependant ont moins de franchise ; le jésuitisme agit puissamment par ceux qu’on lui croit étrangers, par les sulpiciens qui élèvent le clergé, par les ignorantins, qui élèvent le peuple, par les lazaristes, qui dirigent six mille sœurs de charité, ont la main dans les hôpitaux, les écoles, les bureaux de bienfaisance, etc. Tant d’établissements, tant d’argent, tant de chaires pour parler haut, tant de confessionnaux pour parler bas, l’éducation de deux cent mille garçons, de six cent mille tilles, la direction de plusieurs millions de femmes, voilà une grande machine. L’unité qu’elle a aujourd’hui pouvait, ce semble, alarmer l’État. Loin de là, l’Etat, en défendant l’association aux laïques, l’a encouragée chez les ecclésiastiques. Il les a laissés prendre près des classes pauvres la plus dangereuse initiative : réunions d’ouvriers, maisons d’apprentis, associations de domestiques qui rendent compte aux prêtres, etc., etc.

[32] En 1843, l’évêque de Chartres écrivait dans l'Univers : On a décidé qu’on ressusciterait un fantôme disparu depuis treize ans... Quel est ce fantôme ? Qui le croirait ? C’est un petit nombre d’hommes retirés du monde et dont on veut faire croire que la main toute-puissante y remue tout par des ressorts invisibles... Quelle misérable comédie ! Que sont aujourd’hui les jésuites ? Où sont leurs biens ? Où est leur fortune ? Ont-ils donc en leur pouvoir quelqu’un de ces moyens qui, par la nature des choses, mettent seuls en état d’agir sur la disposition générale des esprits et sur la marche des affaires humaines ? Nous déclarons ici hautement que cette supposition n’est qu’une fable ridicule, une fiction grossière et sans ombre de réalité...

[33] De l’Existence et de l'institut des Jésuites (1844).

[34] Lettre au R. P. de Ravignan sur l'état légal en France des associations religieuses non autorisées (1844).

[35] Libertés de l'Église gallicane, manuel du droit public ecclésiastique français. — Cet ouvrage, publié pour la première fois sous la Restauration et depuis lors célèbre, venait d’être réédité (1844) avec d’importantes additions qui lui donnaient un grand intérêt d’actualité (Réponse à quelques assertions de M. le comte de Montalembert ; défense des articles de la loi organique du 16 germinal an X attaqués par les ultramontains, etc.).

[36] Les Jésuites et l’Université (1841).

[37] Cuvillier-Fleury.

[38] Il se rappelait sans doute le mot de Michelet : Pour nous débarrasser des jésuites nous avons chassé une dynastie, et nous en chasserions au besoin dix autres.

[39] Les jésuites de France demandèrent à Rome des explications et des instructions. On les tranquillisa. Le marquis de Roissy interpella le ministère à la chambre des pairs (16 juillet) ; Guizot le calma par l’éloge de la politique pacifiante que venait de faire triompher Louis-Philippe, et tout fut dit.

[40] Un membre influent et bien informé de la compagnie, le P. Rozaven, écrivait de Rome au P. de Ravignan, le 28 juin, les lignes suivantes : Vous savez sans doute que M. Rossi a complètement échoué dans sa mission. Le secrétaire de la légation est parti, il y a quelques jours, porter à Paris l’ultimatum. On fera peut-être courir le bruit de quelques concessions qu’aurait faites le Saint-Siège, mais n’y ajoutez pas foi. Le lin diplomate n’a rien obtenu ni par ruse ni par intimidation. Il faut pourtant lui rendre la justice qu’il a employé tous les moyens en son pouvoir pour persuader que son gouvernement, en toute cette affaire, est animé des sentiments les plus bienveillants pour la religion, et pour dépeindre toutes les fâcheuses conséquences auxquelles l’Église et le Saint-Père seraient exposés, si le gouvernement pontifical n’entrait pas dans les vues du gouvernement français. Mais tout a été inutile, il n’a rien obtenu, absolument rien... La légation française et ses adhérents font circuler dans tout Rome que le R. P. général a donné ordre de fermer nos noviciats en France et d’évacuer nos autres maisons. Vous savez qu’il n’en est rien. C’est tout simplement un jeu de M. Rossi pour cacher son désappointement. Vous apprendrez sans doute d’autres fables... — Voici maintenant en quels termes Lambruschini écrivait (le 4 août) au nonce apostolique à Paris : ... Quant à l’étendue des mesures à prendre, jamais il n’a été question, pour les jésuites, de perdre ou d’aliéner leurs propriétés, de fermer leurs maisons et de ne plus exister en France ; et comme, après la lecture de la note ministérielle, je réclamais auprès de M. Rossi, celui-ci déclara nettement qu’il ne l’avait point écrite. Des personnes qui se croient bien informées affirment aussi que M. Rossi a fait savoir indirectement au R. P. général des jésuites qu’il ne fallait pas entendre les paroles au pied de la lettre. Votre Excellence pourra dire aux jésuites, sous forme de conseil, de s’en tenir à ce que leur P. général leur prescrira de faire ; ils ne sont nullement obligés d’outrepasser les instructions de leur supérieur.

[41] Génin dit même quelque part que les jésuites avaient en France quarante-sept établissements.

[42] La maison de la rue des Postes, plus tard rouverte d’ailleurs, et dont le personnel servit en 1815 à former les établissements de la rue du Roule et de la rue de Sèvres. — Thureau-Dangin, l'Église et l'Etat sous la monarchie de Juillet, p. 420.

[43] Parlant de cette bénigne exécution des lois, il a écrit en 1866 : ... J’ai fait en sorte en 1845 que le gouvernement et le public français s’en contentassent et j’y ai réussi... Si j’avais agi autrement, si les lois civiles avaient été appliquées et exécutées, quelle eût été en 1848 la situation des jésuites ? Croit-on qu’il eût été facile au gouvernement nouveau, quelles que fussent ses dispositions, d’abolir des lois formellement reconnues, des arrêts récents, et de ressusciter une congrégation naguère frappée ? J’ai ajourné le coup, j’ai tenu la question en suspens, et il a été infiniment plus facile de la résoudre selon le vœu et le droit de la liberté.

[44] Nous sommes battus en apparence, écrivait-il, victorieux en réalité ; Dieu laisse l’ombre à nos ennemis, à nous le corps... Je crois qu’en matière religieuse, le succès sans le triomphe est ce qu’il y a de mieux.

[45] C’est-à-dire les deux cent mille censitaires qui formaient à eux seuls tout le corps électoral.

[46] C’est ce que le premier avait déjà fait avec beaucoup de talent en 1815 par son livre de la Pacification religieuse. L’abbé Dupanloup, né en 1802, avait été, dans les dernières années de la Restauration, catéchiste du duc de Bordeaux, grâce à la faveur de l’archevêque de Paris et du duc de Rohan. Depuis, il avait pris, comme vicaire de la Madeleine et de Saint-Roch, une part importante à l’œuvre des catéchismes de persévérance et avait donné, comme supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, toute la mesure de ses hautes qualités d’éducateur (1837-1845), ce qui ne l’avait pas empêché de publier différents ouvrages d’apologétique chrétienne et d’occuper avec distinction la chaire d’éloquence sacrée à la faculté de théologie de Paris. Il s’était en outre fait de bonne heure une grande réputation non seulement comme prédicateur, mais comme directeur de conscience, surtout depuis qu’il avait assisté au lit de mort le prince de Talleyrand et avait obtenu de lui la rétractation de ses erreurs (1838). Dès le début de la crise universitaire, il avait pris position, non sans éclat, en faveur de l’Eglise. C’est sur ses instances réitérées que Ravignan s’était décidé à écrire son livre sur l’Existence et l’Institut des jésuites. Depuis, l’abbé Dupanloup avait adressé publiquement au duc de Broglie deux lettres retentissantes, l’une sur la Situation intellectuelle et religieuse du clergé, l’autre sur les Petits Séminaires (1844), et, devenu l’intime ami de Montalembert, l’avait très activement secondé dans la création de son Comité pour la défense de la liberté religieuse. — Il était depuis 1837 vicaire général de l’archevêque de Paris et depuis 1845 chanoine titulaire de Notre-Dame.

[47] Du Devoir des catholiques dans les élections (juillet 1846).

[48] De fait le protestant Gasparin et le phalanstérien Considérant furent soutenus par son comité.

[49] Né en 1810, mort en 1885. Le comte de Falloux était inspiré depuis sa jeunesse par Mme Swetchine, dont il a plus tard écrit la vie. Il s’était associé déjà très activement à diverses œuvres catholiques et avait attiré sur lui l’attention publique par deux ouvrages historiques où éclataient à la fois sa foi politique et sa foi religieuse (l'Histoire de Louis XVI, en 1840, et l’Histoire de saint Pie V, en 1844).

[50] Certains cas de séquestration ou de tortures monacales firent grand bruit en 1846. Le monstrueux forfait du frère Léotade (viol et assassinat de Cécile Combette) en fit bien davantage l’année suivante.

[51] Génin, Ou l'Église ou l’État, p. 125.

[52] Génin, Ou l’Église ou l’État, 103-106, 111-113.

[53] Génin, Ou l’Église ou l’État, 117, 99, 101.

[54] Notamment par Dupanloup, qui, dans une brochure remarquée (l’État de la question, en mars 1817), réclamait vivement une nouvelle loi sur renseignement secondaire. Ce n’est pas, disait-il, une loi de circonstance, c’est une loi d’avenir, ce n'est pas une loi de politique vulgaire, c’est une loi religieuse et sociale qu’il s’agit de faire. Cette grande loi est aujourd’hui plus facile à faire qu’on ne le pense. Car, au fond, nous sommes d’accord sur les principes généraux et sur les points les plus importants de la discussion...

[55] Il supprimait le certificat de moralité, le brevet de capacité, le stage, et n’exigeait que des conditions de grades, variables suivant la nature et l’importance des fonctions à remplir.

[56] Par ses derniers écrits (la Pacification religieuse et l'État de la question), cet ecclésiastique avait semblé faire quelques avances au pouvoir. Il avait réprouvé ce qu’il appelait les opinions extrêmes. L’évêque de Langres, Parisis, qui s’était cru visé par cette expression, s’en était montré profondément blessé. L’Univers, dont le principal rédacteur, Veuillot, était l’ennemi personnel de Dupanloup, l’avait accusé brutalement de songer à se vendre au gouvernement. Aussi l’ancien supérieur de Saint-Nicolas se montra-t-il particulièrement vif dans la critique du Nouveau Projet de loi sur la liberté de l'enseignement (qu’il publia le 25 avril 1847) et obtint-il cette fois d’être loué par Veuillot.

[57] Chambre des pairs, décembre 1847.

[58] Il n’y a pas de jour pour le suffrage universel, disait encore fièrement Guizot au commencement de 1818.

[59] Ce ministre semblait prendre au sérieux les tendances politiques qu’on lui attribuait : Le pape qui libéralise, écrivait-il à cette époque, évoque des monstres qu’il ne sera pas le maître de terrasser... Le plus grand malheur qui ait pu être réservé au corps social, c’est de voir les partis du désordre matériel et moral marcher au cri de Viva Pio nono et sous les couleurs du chef de la catholicité.

[60] Allocution du 18 juin 1847.

[61] Cas de conscience à propos des libertés exercées ou à réclamer par les catholiques, ou accord de la doctrine catholique avec la forme des gouvernements modernes (1817).