HISTOIRE DE MARIE STUART

 

FRAGMENTS DE JOURNAUX ET DE LETTRES SUR LA PREMIÈRE ÉDITION DE L'HISTOIRE DE MARIE STUART, PAR J. M. DARGAUD.

 

 

JOURNAUX.

 

On ne s'étonnera pas qu'un recueil comme le nôtre aime à saluer dans l'histoire les noms qui appartiennent par leur double origine à la France autant qu'à l'Angleterre. Tel est le nom de Marie Stuart, dont la beauté, les faiblesses et les malheurs, passionnent encore, après deux siècles, les lecteurs des deux pays. C'est avec une véritable émotion que nous avons ouvert ces deux volumes consacrés à Marie Stuart par un écrivain qui réunit la patience des érudits à l'imagination des poètes. L'ouvrage de M. Dargaud sera certainement un événement dans le monde littéraire de Londres comme dans le monde littéraire de Paris, et il va renouveler cette espèce de tournoi posthume, où l'infortunée reine d'cosse voit encore autour de son échafaud, les mêmes champions et les mêmes ennemis transformés, par la polémique et l'imagination, eu historiens, en critiques, en poêles, en romanciers.

C'est déjà un curieux sommaire bibliographique, que la liste des écrivains qui ont écrit sur Marie Stuart, depuis Buchanan jusqu'à Chalmers, depuis Brantôme jusqu'à M. Dargaud. Ce sommaire termine le second volume de celui-ci, qui cite aussi, avec raison, parmi les éléments de son beau livre, les traditions qu'il a recueillies sur les lieux, les tableaux et les gravures du temps, les châteaux et les sites où il a retrouvé les moindres traces de son héroïne, et les reliques de ses adorateurs. Il énumère jusqu'aux articles des Revues anglaises et françaises, avec une conscience minutieuse.

De toutes ces autorités, M. Dargaud a fait l'usage qu'il en devait faire ; il s'en est inspiré, sans hérisser son récit de citations pédantesques, n'éludant aucune discussion, mais faisant revivre Marie Stuart pour la suivre dans toutes les scènes de sa vie agitée, au lieu de l'immobiliser sur une sellette, sous prétexte de la juger. C'est surtout à cette résurrection de Marie qu'il a su employer tous les documents récemment découverts qui lui ont permis de donner une couleur nouvelle à cette histoire d'un intérêt inépuisable qu'on relit dans son livre avec une curiosité qu'exciterait seule, au même degré, la révision d'un de ces procès contemporains pleins de mystérieuses péripéties, et dont la sentence finale provoque soudain les tardives révélations d'un témoin inattendu.

Nous croyons notre comparaison exacte, parce que Marie Stuart n'est pas seulement une grande figure historique, mais encore un problème. Ce problème, M. Dargaud aura puissamment contribué à le résoudre. Il a posé hardiment toutes les questions controversées sur l'innocence ou la criminalité de la rivale d'Élisabeth. Il les a toutes éclairées du jour vrai, disant le bien et le mal sans haine et sans amour, mais non sans attendrissement et sans pitié. Bien loin de lui en faire un reproche, nous l'en louons, car nous l'aurions peut-être poussée plus loin que lui encore. La pitié est souvent la justice de l'histoire.

AMÉDÉE PICHOT.

Revue britannique, février 1851, n° 2.

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Son livre a réussi.

Il y a toujours, après tout, quelque raison bonne ou mauvaise au succès d'un livre, M. Dargaud est un écrivain vif et animé, très-entraîné et très-ému, mêlant du reste tous les genres, et peu soucieux de contradictions.

M. Dargaud parfois touche au vrai ; il a du nerf, de l'entrain et plus d'un rayon de solide éclat. Il peint bien ; peut-être a-t-il trop de propension à peindre. Entre-t-ii dans un château à la suite de quelque personnage de son histoire, il fait ce que Boileau reprochait déjà aux descriptifs de son temps.

Il a répandu dans son livre toutes les perles de son écrin de voyage ; il rassemble autour de Marie Stuart tous les trésors de son archéologie chèrement payée ; il prodigue pour elle tous les produits de ses fouilles savantes dans cette terre où elle a régné, sous ces ruines qu'elle a faites, et jusque dans ces tombeaux que sa passion a creusés. Le livre de M. Dargaud pourra bien n'être pas absolument indispensable à ceux qui voudront retrouver un jour quelques vestiges de la physionomie morale de la reine d'Écosse ; mais il ne sera pas possible d'avoir une idée complète de sa cour et de sa maison, de son chenil et de sa cuisine, de sa toilette, de ses atours, de ses promenades, de sa vie domestique et extérieure, sans avoir recours à M. Dargaud. Jardinier, architecte, joaillier, sommelier, chroniqueur curieux de chevaux, de chiens et de vénerie, M. Dargaud est tout ce qu'on veut dans son histoire, excepté pourtant historien.

CUVILLIER-FLEURY.

Journal des Débats, 30 novembre 1851.

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Il y a deux manières distinctes d'écrire l'histoire, toutes deux illustrées par de grandes œuvres dans ces derniers temps. Celui qui raconte et juge les faits accomplis peut se placer en dehors de leur mouvement, disséquer tranquillement ce qui en reste, classer le tout d'après des règles fixes, et présenter ainsi les actions du passé étiquetées à leur rang dans la sévère nudité de la science ; ou bien, emporté par le flot historique, il peut écrire au milieu même de ses oscillations et de son bruit, en ressaisir toutes les formes, en refléter toutes les nuances, se plonger enfin dans le siècle qu'il veut peindre, et y vivre assez longtemps pour en ressortir avec quelque chose de ses idées, de son accent, de ses attitudes.

En entreprenant l'Histoire de Marie Stuart, M. Dargaud avait à choisir entre les deux méthodes ; il a préféré la seconde, ce dont nous nous sommes réjoui pour lui et pour ceux qui le lisent. Car si cette méthode n'a pas les rigides vertus de sa rivale — ni surtout les graves apparences qui en tiennent lieu ! —, elle a cette grâce de la vie qui supplée au reste et que rien ne peut remplacer.

Il y a deux Marie Stuart, celle de la légende et celle de l'histoire. La première, doux et charmant martyr que ses douleurs couronnent comme une auréole ; la seconde, séduisante mais dangereuse beauté instruite dans cette cour des Médicis où le crime absolvait du vice.

Le difficile pour l'historien de nos jours était de faire prévaloir la dernière, d'enlever à l'héroïne des ballades sa pureté mensongère en évitant de la faire descendre trop bas, d'éteindre enfin la lampe autour du piédestal sans renverser la statue. M. Dargaud y a réussi en nous ouvrant le XVIe siècle lui-même, et en nous faisant voir comment Marie Stuart en refléta tous les charmes et toutes les corruptions.

Il suit la vierge folle de la papauté à travers ses mille aventures de politique et d'amour qui la jettent des bras du musicien Riccio dans ceux de Darnley, puis de Bothwell. A mesure que le récit avance, on voit se grossir l'orage. Les nuées accourent du côté de l'Angleterre, secrètement poussées par la main hypocrite d'Élisabeth. Marie Stuart cherche en vain un abri dans le catholicisme ébranlé de toutes parts ; elle appelle en vain à son secours la France et l'Espagne ; l'esprit nouveau s'avance comme une marée montante, inonde les palais, renverse les citadelles, et ne laisse à la descendante de Robert Bruce qu'une prison pour abri.

Tout le monde connaît la longue agonie infligée par la reine vierge à sa chère sœur d'Ecosse. M. Dargaud a trouvé, dans les documents historiques récemment publiés, des détails pleins d'intérêt sur cette odieuse captivité. Il analyse, avec une sagacité singulière, toutes les révoltes et tous les abattements de la prisonnière cherchant tour à tour la délivrance par la conspiration ou les présents, l'insulte ou l'humilité, et enfin, quand l'heure douloureuse est venue, il trouve une véritable éloquence pour raconter le suprême dénouement.

Toute cette dernière partie du livre de M. Dargaud a une ampleur et une onction qui élèvent le cœur dans l'attendrissement. Du reste, à part quelques regards trop complaisants jetés sur le XVIe siècle, quelques ornements littéraires qui détournent du récit, l'ouvrage entier révèle les fortes études et la vive perception qui font les historiens. On y sent circuler ce grand souffle philosophique et religieux à la fois qui est la gloire de notre époque, et lui donne, quoi que puissent dire ses détracteurs, un caractère si profondément humain.

M. Dargaud n'a pas seulement consulté les documents écrits relatifs à son histoire, il s'est informé sur les lieux de la tradition populaire. Il a religieusement visité le théâtre des terribles scènes. Il s'est impressionné des peintures du temps, des livres feuilletés par ses héros, des habitations et jusque des meubles dont l'usage leur avait été familier. Il a compris que la révélation des caractères n'était point uniquement dans les actes, mais dans les détails de la vie domestique, et que ces foyers déserts gardaient l'empreinte des âmes qui s'y étaient autrefois arrêtées, comme la chrysalide celle du papillon qui s'est envolé.

Cette méthode est au reste celle des plus grands historiens de l'antiquité, c'est la méthode d'Hérodote et de Salluste. C'est de nos jours celle d'Augustin Thierry. Pour eux, comme pour M. Dargaud, l'histoire n'est pas une thèse qui développe des idées sur une époque, ou un bulletin qui en fait connaître les événements, mais une chambre obscure dans laquelle le siècle se décalque tout entier, avec ses œuvres d'art, ses costumes, ses allures et ses paysages. Le pittoresque n'exclut point pourtant l'appréciation générale.

L'historien de Marie Stuart n'est pas un simple chroniqueur, écrivant, ainsi que le veut Quintilien, poser raconter, non pour prouver ; il tire ses conclusions, mais il les fait jaillir du drame lui-même. Debout sur les hauteurs de son sujet, comme le vieillard d'Homère sur les tours d'Ilion, il montre de loin au lecteur cette grande armée du XVIe siècle qui se déroule à ses pieds ; il en fait le dénombrement. On reconnaît chaque nation à l'aspect, chaque chef à sa parole ou à son armure. Cette mêlée passe sous nos yeux dans l'élan de la vie, mais sans confusion, et tout en décrivant les évolutions de la bataille, l'historien montre les fautes et donne les enseignements.

ÉMILE SOUVESTRE.

Le Siècle, 7 janvier 1831.

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L'historien digne de ce nom ne doit pas seulement le récit facile, élégant et correct à ceux qui le lisent ; il leur doit aussi la lumière qui est le rayon de la vérité éternelle dans les événements accidentels et mobiles ; il leur doit la passion qui est la vie réelle et palpitante dans l'action qui revit et dans l'homme qui renaît ; il leur doit la couleur qui est le reflet des temps écoulés sur les peintures dans lesquelles ces temps se reproduisent. En un mot, l'historien est tout à la fois un annaliste qui raconte, un peintre qui colore, un statuaire qui sculpte, un philosophe qui pense, un moraliste qui juge, un poète qui s'émeut.

C'est ainsi que l'histoire a été comprise par M. Dargaud. Il ne se contente pas d'explorer le terrain, il le fouille. Il cherche dans les mœurs, dans les civilisations, dans les traditions, dans la nature surtout, le secret des choses qu'il retrace. Il met une clarté dans chaque date, un enseignement dans chaque fait, une vérité dans chaque conclusion ; il note tous les mouvements de l'esprit humain, et de toutes ces impressions, de tous ces attendrissements, de tous ces fanatismes, de tous ces héroïsmes, il compose la vie dans son expression la plus fidèle, mais la vie en face du temps qui la dépasse et de Dieu qui la juge.

M. Dargaud a voyagé en Écosse, s'est pénétré de l'impression des lieux, s'est penché sur les ruines qui sont les témoins du passé, a vu et touché le sol, a étudié les figures dans les vieux portraits suspendus aux murailles des abbayes et des musées, a senti son sujet, en un mot, avant de le traiter. Il a taillé ainsi une statue vraie de Marie Stuart, une statue qui est l'image d'une époque, d'une civilisation, des religions aux prises, des ambitions eu lutte, d'une femme qui fut une reine, et d'une reine qui fut une martyre ; une statue, pour tout dire, vivante et parlante comme l'humanité.

A. DE LA GUERRONNIÈRE.

Le Pays, 5 octobre 1851.

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Voici un livre dont la publication est toute récente, et qui pourtant a déjà été l'objet des controverses les plus passionnées. Attaqué sans mesure comme sans équité, et ardemment défendu, le livre de M. Dargaud a eu cette bonne fortune d'émousser aux yeux du public ces dénigrements et de justifier ces sympathies, deux mérites à notre sens et deux succès pour un !

Nous nous rendons facilement compte du sentiment qui a poussé M. Dargaud à prendre pour sujet cette saisissante figure de Marie Stuart, et à la faire revivre sous nos yeux dans le cadre splendide du XVIe siècle.

La fatalité, qui devait présider à la destinée de Marie, la prend au berceau.

Arrachée aux périls qui la menaçaient en Écosse, et conduite en France, sa présence est un éblouissement pour la cour des Valois, habituée cependant à tant d'élégances et à tant de merveilles.

Mais bientôt la scène change. Marie retourne en Écosse.

Il faut lire dans le livre de M. Dargaud les amours tragiques de la reine d'Écosse, et le long martyre de ses prisons.

Une éternelle espérance d'évasion éternellement déçue, la captivité toujours plus étroite, toujours plus sinistre, la trahison même d'un fils dénaturé, les dégradations infligées à la reine, les outrages à la femme ; puis, à mesure que les dix-huit ans lentement épuisés minute à minute, angoisse à angoisse. la rapprochent du terme fatal, la suprême agonie de toute espérance, les dernières palpitations de la vie qui protestent contre le dénouement terrible ; enfin, la morne attente du coup de hache d'Élisabeth ; les attendrissements des adieux, le courage des apprêts, la mort si ferme, si noble, qui vient clore et racheter cette destinée, tout cela est décrit avec une force, une simplicité, une émotion, une vérité saisissantes, et forme un tableau qui est pour nous comme l'événement même.

En tournant ces dernières et pathétiques pages du livre de M. Dargaud, nous comprenions bien la pitié qui s'attache au souvenir de Marie Stuart. Il y a dans sa fin une majesté touchante qui appelle à la fois l'admiration et les larmes. Elle est morte avec grandeur, avec calme, avec héroïsme, nous dirions presque avec innocence, si on peut se laver dans son propre sang du sang qu'on a répandu. Le cœur seul parle en présence de si longues souffrances et d'une telle mort, et on oublie les fautes pour ne se souvenir que du courage et de la grandeur de l'expiation.

Le livre de M. Dargaud explique et juge Marie Stuart. Cette mémoire, qui avait jusqu'à présent échappé à l'appréciation historique, est désormais fixée. Mais Marie Stuart n'est pas la seule héroïne de l'œuvre de M, Dargaud. Il y a dans cette œuvre un autre héros, c'est le XVIe siècle, le XVIe siècle avec tous ses orages de religion et ses audaces de philosophie, avec le cortège de ses hommes d'État, de ses poètes, avec la renaissance des lettres, avec la splendide efflorescence de l'art. La vie de Marie Stuart eût été incomplète séparée de la vie générale de son temps, de toutes les influences qui agirent si puissamment sur elle, de tous les intérêts de politique et de religion auxquels elle fut mêlée, en un mot de ce XVIe siècle dont elle fut une des plus brillantes expressions. M. Dargaud l'a compris. Il a su élargir une biographie aux proportions mêmes de l'histoire.

ALEXANDRE REY.

Le National, 21 avril 1851.

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L'Histoire de Marie Stuart, par M. Dargaud, est affichée sur tous les murs de Paris. De grandes lettres blanches détachées sur fond rouge recommandent cet ouvrage aux passants. Cette fantaisie d'auteur ne suffisait pas à attirer l'attention ; mais les journaux se sont montrés plus complaisants que les murailles à l'égard de l'écrivain. Ils n'étalent pas seulement le titre de son livre : le Siècle, la Presse et le National ne lui marchandent pas leurs louanges longuement motivées. Les recommandations de ces divers publicistes n'étaient point, il est vrai, pour éveiller nos sympathies ; au moins pouvaient-elles nous faire supposer qu'elles s'adressaient à un ouvrage sérieux, digne d'être contrôlé, et dont l'Univers devait examiner les conclusions.

Nous y avons été complètement trompés, et nous nous en plaignons.

Le livre de M. Dargaud, comme valeur historique et littéraire, est de ceux sur lesquels les amis sont trop heureux de se taire. Quand ils ne peuvent garder tout à fait un sage et prudent silence, au moins devraient-ils ne pas se lancer dans des éloges qui deviennent grotesques lorsqu'on les rapproche du sujet qui les excite. Nous ne devinons pas ce qui a pu valoir à l'historien de Marie Stuart une bienveillance aussi outrée. Il ne cesse de tomber dans des contradictions flagrantes.

Il ne faut pas chercher le discuter les interprétations d'un pareil écrivain. Évidemment, sa visée est ailleurs. Il serait superflu de lui rappeler que de Thou, malgré sa gravité magistrale et sa belle latinité, n'est pas un historien ; c'est un pamphlétaire effronté, violent, haineux, menteur, accueillant toujours avec joie toute injure et toute atteinte portées à l'Église ; et il a beau être escorté de Hume, il ne constitue pas une autorité suffisante pour faire accepter les atrocités que le nouvel écrivain attribue à Marie Stuart.

Les histoires, les confidences, la manie de parler de soi, les dans les portraits, le perpétuel souci de la philosophie, de la liberté, l'amour de la révolution, dont les flammes servent de régénération plutôt que de destruction, tout cela montre à quelle école appartient M. Dargaud. Il mât peut-être mérité de rencontrer de meilleurs maîtres.

LÉON AUBINEAU.

L'Univers religieux, 28 et 29 janvier 1851.

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Nous sommes heureux d'avoir à saluer, dès le seuil de cette revue littéraire, un de ces grands et beaux livres qui sont les apparitions de la science et de la pensée contemporaines : l'Histoire de Marie Stuart par M. Dargaud.

De cette pathétique destinée, M. Dargaud a fait un chef-d'œuvre d'intérêt et d'émotion. La vie surabonde dans son livre, une vie de chaleur et de lumière qui éclaire les visages, rallume les passions, colore les mœurs, illumine les caractères, pénètre les consciences et réalise l'idéal de l'histoire, la résurrection : la résurrection d'une grande époque ranimée par une inspiration puissante, expliquée par la science, devinée par l'intuition, réchauffée par le cœur, vivifiée par les magies mouvantes de la forme et du style. C'est dans les portraits surtout que brille ce prestige de vie qui est le don par excellence de M. Dargaud. Marie Stuart, Élisabeth, Bothwell, Morton, Knox, Burleigh, revivent en traits ardents sous cette plume d'artiste, à la fois ondoyante et précise, pinceau d'Holbein trempé dans la palette de Van Dyck, qui dessine dans le mouvement et burine dans la couleur.

L'Histoire de Marie Stuart est plus large qu'une monographie ; elle enveloppe l'époque tout entière. M. Dargaud a encadré la reine d'Ecosse dans une éblouissante perspective de la Renaissance. Il a groupé sur les seconds plans et dans les demi-jours de son œuvre, Philippe II, Calvin, Henri III, Catherine de Médicis, Giordano Bruno, le duc de Guise, les grandeurs, les passions et les fanatismes de ce XVIe siècle, dont Marie fut la charmante et tragique incarnation.

Mais le génie de ce livre, ce n'est pas seulement son talent et son éloquence, c'est sa vertu f c'est la conscience qui l'inspire, c'est le cœur qui l'attendrit ; un cœur qui se partage et se multiplie entre toutes les douleurs et tous les martyres qu'il raconte ; une conscience qui scrute et qui juge avec la pureté lumineuse de son instinct. La voix intime de l'historien ne se perd jamais dans les mille bruits de son récit ; elle condamne, elle pardonne, elle prédit, elle enseigne, et à son accent religieux et sévère, on croirait entendre le chœur d'une tragédie grecque élever son chant d'expérience, de prophétie et de sagesse dans la mêlée d'un drame de Shakespeare.

Les âmes, suivant les livres sacrés de l'Inde, parcourent après leur mort un cercle de métempsycoses avant de rentrer dans la vérité de leur être. Les âmes de l'histoire ont, elles aussi, leurs transmigrations. Elles errent de siècle en siècle et travers toutes les ombres du rêve, de l'illusion et de la chimère, avant d'arriver à la forme solide et durable qui les consacre pour l'avenir. Le livre de M. Dargaud est pour Marie Stuart cette consécration ; son nom restera attaché à cette mémoire de deuil et de splendeur, comme celui des grands artistes du XVIe siècle à la frange de pourpre du manteau des reines dont ils éternisaient la beauté dans leurs chefs-d'œuvre.

PAUL DE SAINT-VICTOR.

Les Foyers du peuple, janvier 1851, n° 1.

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Marie Stuart, cette sirène du XVIe siècle, qui eut tous les dons cruels ou enivrants de la vie, la Beauté, la Royauté, le Génie, la Passion, l'Infortune, le Crime, et la fin héroïque et sanglante : cette Marie-Madeleine de la royauté, qui versa tout son sang sur les pieds du crucifix d'ivoire qu'elle embrassait en mourant, comme la courtisane de Jérusalem, moins durement éprouvée, répandit son vase de parfums sur les pieds vivants du Sauveur ; cette femme, enfin, énigme de vice et de vertu, qui fut tout un cœur orageux, toute une politique, toute une destinée, a rencontré, non pas seulement un peintre de plus, elle en avait assez d'ailleurs, une telle femme en fit toujours naître, mais un historien qui l'a regardée, étudiée longtemps, sans que le spectre charmant de la tentatrice, couchée dans sa tombe, l'ait rendu amoureux ou fou, et qui, les yeux froids, la tête ferme et saine, a tracé sa vie et dit sa mort avec l'expression inspirée et parfois attendrie d'un poète et la science patiente et détaillée d'un chroniqueur.

Pour l'expression d'un poète, ce n'était pas miracle : M. Dargaud, l'auteur de la nouvelle Histoire de Marie Stuart, en est un. Il a fait ses preuves de poésie et de style. Mais pour la curiosité passionnée du renseignement, pour la recherche infatigable et minutieuse qui regarde par les deux côtés de la lorgnette afin d'y voir mieux, pour ce culte du détail sur lequel passent d'ordinaire d'un vol insouciant tous ces esprits qui ont des ailes, voilà ce qu'on ne savait pas de M. Dargaud, et ce que son histoire nous a appris. Entrée de plain-pied dans la légende, dans le drame, dans le roman, Marie Stuart avait autour d'elle une perspective dans laquelle elle se perdait trop, là diminuée, ici grandie, plus souvent grandie que diminuée ! Elle avait une auréole, un nimbe éclatant, coupé de temps en temps par une nuée, à travers laquelle on eût dit qu'il étincelait mieux. Mais elle n'avait point de cadre précis et net, s'ajustant à elle, la prenant toute.

Des points lumineux indiquaient son action ou sa présence dans le clair-obscur des événements de son histoire, et cette ombre, éclairée à demi, était un charme de plus pour la contemplation attirée ; mais la lumière ne tournait pas, d'une égale clarté, autour de son personnage, de manière à en détacher toutes les parties et à en faire saillir tous les gestes. C'est cette lumière que M. Dargaud a voulu répandre : c'est cette vérité complète, tout à la fois vaste et microscopique, qu'il a tenté de dégager. Pour cela, rien ne lui a coûté. Il a vécu plusieurs années dans une relation intime et profonde avec son sujet. Homme heureux, il a pu s'entourer du plus beau siècle qui fût jamais pour la passion, pour la conviction, pour le mouvement de la gloire et l'antagonisme de toutes les grandeurs, et vivre ainsi comme dans un buisson ardent, oubliant la chétive époque où nous sommes, goutte épuisée du sang de nos pères, qui n'avons pas même la force des tristes passions qui nous restent ! Livres, manuscrits, monuments, antiquités, voyages d'Angleterre et d'Écosse, relations sociales, lettres inédites, M. Dargaud a mis tout en œuvre ; il a tout interrogé, tout consulté, dans l'intérêt de son histoire, jusqu'aux portraits et aux statues, ces souvenirs taillés dans le marbre, avec lesquels on peut reconstruire l'être qui vécut et en donner une plus forte idée. Sans doute, le fait arraché à ce qui l'enveloppait et le cachait, la vérité, une fois trouvée, passe à travers l'esprit qui l'a découverte, et cet esprit très-poétique, je l'ai dit, en M. Dargaud, jette sur elle les prismatiques reflets de ses impressions et les résonnances de ses sentiments personnels. Mais le moyen de n'avoir pas son âme en écrivant l'histoire ? Pour ma part, j'ai toujours un peu souri des songe-creux d'impartialité ; car, à une certaine profondeur, un tel mot n'a plus rien d'humain et ne cache plus que l'impossible. Mais, à part cette inévitable condition de tout historien d'aborder l'histoire avec sa propre personnalité et de colorer involontairement de certaines teintes du moi individuel la vérité des faits, sans manquer pourtant à la probité de l'exactitude, comme une liqueur, dans une coupe de cristal, n'altère pas, tout en la teignant, la pureté de sa transparence, le livre de M. Dargaud, malgré des erreurs philosophiques, est, à le bien prendre, une des études les plus loyales et qui attestent le plus l'amour de la vérité pour elle-même que nous ayons vues dans ce temps. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Telle est la Marie Stuart que M. Dargaud évoque à nos yeux et conduit depuis son adolescence, en snood rose et en plaid de satin noir, sous les bouleaux de l'Écosse, jusqu'à l'heure où le bourreau, foudroyé par son incomparable magie, manqua son coup de hache sur sa nuque délicate, et s'y reprit à deux fois pour couper ce beau lis ployé. Toute la partie de son affreuse intimité avec le comte de Bothwell est un des plus beaux et des plus 'émouvants passages du livre de M. Dargaud. Il semble avoir été tracé avec cette plume de milan dont parle la chronique d'Écosse, qui n'aurait jamais été assez noire pour écrire l'histoire de Bothwell. La fatalité de cette passion, terrible comme les incestes antiques, que les contemporains crurent eux-mêmes l'effet de quelque philtre damné, de quelque incantation sinistre, une espèce d'envoûtement du cœur de Marie, y est décrite avec des circonstances nouvelles et des touches larges et palpitantes comme en ont les écrivains qui se connaissent à cette rage du cœur. Voilà principalement, si je ne me trompe, ce qui saisira les esprits et décidera le succès, le bon succès, le succès durable, de l'histoire de M. Dargaud. Les hommes politiques le critiqueront, le blâmeront ou l'exalteront du fait divers de leur point de vue ; mais ceux qui vivent en dehors de la préoccupation politique, les penseurs désintéressés, les artistes, les poètes, les gens du monde, les femmes, c'est-à-dire, en fin de compte, les trois quarts et demi des gens qui lisent, liront ce livre avec l'intérêt passionné que l'auteur a mis à l'écrire.

Où je me séparerai profondément de M, Dargaud, c'est dans l'appréciation des opinions de ce siècle. M. Dargaud est rationaliste, je le dis avec regret, car on aime l'âme de l'auteur à travers son livre, et cette âme est restée assez chrétienne pour qu'on désirât qu'elle fût catholique. Ici nos horizons sont diamétralement opposés, et nous voilà en vis-à-vis de combat, l'un contre l'autre, comme si nous étions au XVIe siècle.

C'est que le XVIe siècle dure toujours.

JULES BARBEY D'AUREVILLY.

L'Opinion publique, 3 mars 1851.

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Je ferme l'histoire de M. Dargaud, et je dis volontiers : Il y a encore des parfums dans Galaad.

Je crois qu'à force de talent, M. Dargaud a fini par me faire aimer ; aimer, non, mais comprendre Marie Stuart.

Nous n'avions pas encre en France une véritable histoire de la reine d'Écosse. Il semblait que toutes les générations de talent s'étaient donné le mot d'âge en âge pour prolonger cet oubli.

M. Dargaud vient de réparer cette injustice de notre littérature. Il s'est épris pour la mémoire de Marie Stuart de cette ardente sympathie qui lie, à travers les siècles, les morts aux vivants. Il a soufflé sur cette cendre, et il l'a ressuscitée pour nos regards du souffle de son esprit.

M. Dargaud avait surtout les qualités d'une semblable histoire. Homme biblique, habitué à tous les secrets de l'Écriture par ses savantes traductions, il devait comprendre mieux que personne le sombre fanatisme de la réforme ; poète initié par des œuvres d'imagination à tous les mystères de la poésie, il pouvait dans une langue pathétique comme la réalité, traduire l'immense émotion de son sujet ; penseur, enfin, façonné par l'étude à tous les problèmes de la pensée, il pouvait dominer de haut les intrigues passionnées d'idées qui s'agitaient dans la renaissance.

Aussi a-t-il fait de son récit l'abrégé rapide de l'humanité, dans son plus dramatique moment.

M. Dargaud a parfaitement compris qu'autour de Marie Stuart, il y avait le drame du monde entier....

Recueilli dans sa pensée, il a été chercher de donjon en donjon la trace presque effacée des pas de Marie Stuart.

Le voyageur d'une idée n'allait pas porter là, sans doute, les impatiences de notre génération. Il allait pieusement interroger l'histoire. Respectueux pour le passé, qui nous a tous engendrés à la vie, il n'a pas invoqué contre lui le présent comme un reproche.

Il l'a raconté tel qu'il a vécu, tel qu'il pouvait vivre seulement dans ce temps de barbarie et d'ignorance.

On n'appelle sur son travail la muse de l'histoire qu'à la condition d'avoir une religieuse tendresse pour le temps de son récit. L'historien de Marie Stuart a cette précieuse qualité. Il revit dans ses héros comme dans les souvenirs de sa mémoire. On dirait qu'il les a connus, qu'il les a aimés, qu'il les connaît, qu'il les aime encore. Il a conversé avec eux une dernière fois dans le vent des ruines qu'il a visitées en Angleterre.

Car M. Dargaud ne s'est pas contenté de fouiller les archives de telle ou telle bibliothèque, il a consulté encore cette grande bibliothèque du soleil et de la nature. Il a voulu donner au drame son paysage, car il y a toujours entre les sites et les événements de mystérieuses correspondances.

C'est ainsi qu'il a écrit une histoire complète, par la richesse de l'érudition et la peinture des sentiments. J'avais donc raison de dire, en commençant, qu'il y avait encore des parfums dans Galaad.

EUGÈNE PELLETAN.

La Presse, 8 décembre 1850.

 

LETTRES.

 

P. J. BÉRANGER A J. M. DARGAIJD.

Mon cher ami,

.... Je vous ai lu et bien lu. Vous m'avez entraîné. Votre Marie Stuart est une histoire vraie. Elle ne contient pas un mot qui pour moi ne soit authentique, et ce n'est pas son moindre attrait. Lamennais, qui aime la passion autant que j'aime la sincérité dans l'écrivain, est de mon avis sur ce bel ouvrage.

BÉRANGER.

Paris, 15 décembre 1850.

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LAMARTINE A BÉRANGER.

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Je me réjouis comme vous, mon cher Béranger, du succès de notre ami, et de l'intérêt de cœur et de talent qui s'attache à son Histoire de Marie Stuart. Je lis ce livre en ce moment, et j'y trouve à la fois instruction et charme. Vous savez que j'aime les récits et que je n'aime pas les annales. L'histoire est pour moi le drame des choses humaines. J'ai dit quelque part : Il n'y a rien de plus convaincant qu'une larme : la pitié est le jugement du cœur. Il y a beaucoup de larmes dans les salles d'Holyrood, ce palais des amours tragiques. Il y en aura davantage sur ces pages. Ce sera là le succès de cette histoire ; c'est le plus grand.

L'humanité est pathétique. Vraiment, le chef-d'œuvre de notre ami n'est-il pas d'avoir exhumé un pareil sujet ? Quel personnage qu'une enfant des Guise, veuve à seize ans d'un roi de France, transportée en Écosse sur un trône barbare, disputée comme Hélène entre deux patries, déchirée par deux religions qui s'arrachent sa conscience, adorée, enviée, enlevée par des prétendants qui possèdent ou perdent son cœur, épiée par une Agrippine jalouse à la fois de son trône, de sa jeunesse, de sa beauté ; tour à tour amante, guerrière, captive comme une héroïne du Tasse, assez poile elle-même pour immortaliser ses peines dans ses vers, délivrée d'un premier cachot par l'amour, réemprisonnée par la trahison, inspirant encore des passions à ses bourreaux à travers les grilles de ses tours et les larmes de son supplice ; entraînant ses libérateurs dans sa perte, et finissant par monter en reine sur On échafaud, pour s'élancer au ciel purifiée du soupçon par le martyre ?...

Ah ! si nous avions eu, vous ou moi, une pareille héroïne à vingt ans, quelles chansons et quels poèmes !... Notre ami a mieux choisi que vous et moi, et bien que son poème soit une histoire, il raconte, il chante et il pleure comme nos strophes. Il a une raison sévère, morale, incorruptible dans ses appréciations, mais il a surtout une âme. Voilà pourquoi son livre sera lu, discuté, loué, attaqué, haï et aimé. C'est le sort des ouvrages qui remuent autant de sentiments que d'idées.

On lui adressera bien des critiques, on lui dira qu'il est trop jeune, trop coloriste, trop attendri de style, qu'il émeut trop son lecteur pour lui laisser tout le sang-froid et toute l'impartialité du jugement. Dites-lui de ne pas se corriger. Il faut répéter, au contraire, à l'écrivain qui grave l'histoire d'une femme, le mot de Tacite : Ventrues foré ? visez au cœur ! Dargaud a visé au cœur et il a touché ! quoi de plus ?

Il y a deux manières d'écrire l'histoire : celle qui instruit et celle qui intéresse ! Je suis comme vous pour celle qui intéresse ; car celle qui n'intéresse pas n'instruit pas. Qui la lit ?

Adieu ; faites mes compliments à l'auteur. Le livre a de la vie, car il remue. Il vivra....

LAMARTINE.

Saint-Point, décembre 1850.

La Presse, 31 avril 1851.

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G. SAND A J. M. DARGAUD.

Oui, monsieur, c'est un beau livre. C'est l'histoire réelle la plus émouvante que j'aie jamais lue. C'est aussi saisissant que le meilleur roman de Walter Scott, et les esprits qui s'attachent difficilement à la réalité, comme le mien, par exemple, sont ici pénétrés de tout l'intérêt, de tout l'enchantement qui ressortent de la fiction. Pourquoi ce charme, pourquoi cette couleur, pourquoi ce sentiment profond ? Ce n'est pas seulement le sujet qui vous les a donnés, ce n'est pas seulement la magie de votre style qui les y a mis, c'est que vous avez demandé autant de part à la tradition qu'aux monuments dans cette création originale et charmante. La tradition populaire est la source de toute poésie dans le passé, la légende, comme dit Michelet, cette preuve des preuves, à mon avis. Jusqu'ici l'histoire n'a pas donné assez d'attention et de respect aux souvenirs inédits des peuples. Il faut être artiste comme vous l'êtes pour avoir compris la valeur de cet élément historique. Cela, aidé des monuments, de la peinture et de la gravure, apporte à votre manière d'envisager le passé un cachet de vérité, une apparence de vie qui nous y reportent comme si nous avions vu de nos yeux les types et les événements. Enfin, vous avez résolu un problème aussi sérieux que charmant, c'est de faire de l'histoire un roman et un poème, sans sortir des lois et des sévérités de l'histoire.

Quant à Marie Stuart, vous me demandez de la juger ; mais est-il possible d'en avoir une autre opinion que la vôtre quand on vous a lu ? J'ai été élevée dans un couvent d'Anglaises et d'Écossaises catholiques, en face d'un portrait fort dramatique de Marie Stuart en pied, dans le costume qu'elle avait pour monter à l'échafaud, et autant que je me le rappelle, exactement tel que vous le décrivez.

C'était une peinture du temps, avec de longues inscriptions en lettres d'or sur des fonds noirs, qui laissaient cependant voir dans un coin, comme dans un lointain fantastique, la scène de l'échafaud. Marie était belle, mais rousse. Je ne sais si la peinture était bonne, mais elle était saisissante comme tout ce qui est un témoignage contemporain. Nos vieilles nonnes écossaises la vénéraient comme une sainte image ; nos vieilles nonnes anglaises disaient en souriant que la sainte de l'image avait beaucoup péché. Dans ce couvent fondé à Paris par la veuve de Charles Ier, le procès n'était pas encore jugé. Nos Écossaises, les sœurs converses surtout, qui avaient l'imagination populaire, me racontaient des détails que j'ai retrouvés dans votre livre avec un plaisir exquis, l'histoire de la petite chienne entre autres. Je ne savais donc pas autrement l'histoire de la belle reine, car, dans les couvents, on n'apprend pas l'histoire. Mais je me souviens d'avoir regardé ce tableau, et d'avoir rêvé à cette destinée mystérieuse pendant des heures entières ; d'avoir cherché dans les traits de cette beauté le mot de l'énigme, et d'avoir senti de profondes tristesses dans mon cœur d'enfant.

Depuis, j'avoue que je n'ai guère pensé à la définir, peut-être craignant à mon insu de voir détruire en moi le charme des vagues émotions du passé par un examen approfondi. Mais j'ai fait l'examen avec vous, et le charme détruit au premier volume est revenu à la fin du second. Ce long martyre, cette belle mort doivent racheter les plus grands crimes ; et si le sentiment humain est mortellement blessé par les feintes caresses au pauvre Darnley, par l'abandon de Chastelard et par l'oubli envers Bothwell — ce sont là pour moi les trois taches capitales —, le sentiment chrétien nous force à la pitié et au respect quand le drame finit sous la hache.

Je vous suis bien reconnaissante pour ma part d'avoir peint de main de maître cette odieuse Élisabeth, cette personnification toujours vivante de la traître politique anglaise, de l'égoïsme des hommes de ce pays, et de l'hypocrisie de leurs femmes. Knox, Calvin, Giordano, sont admirablement compris, admirablement montrés. Il y a partout une grandeur de sentiment, un bonheur d'expression qui me frappent dans les moindres détails. Quelquefois, très-rarement, trois fois au plus peut-être dans tout l'ouvrage, un peu de recherche puérile. Vous voyez que je dis tout ce que je pense, et par là vous devez voir combien mon approbation et mon admiration sont sincères.

A présent, qu'allez-vous faire pour nous ? Soyez sûr que cette manière d'instruire va donner la passion d'être instruit. Est-ce que vous ne nous compléterez pas la Vie de cet homme antique dont le nom n'est pas populaire, et dont les gens peu instruits ne savent presque rien, d'Agrippa d'Aubigné, qui a dit de plus beaux mots que tous les anciens, et qui m’a toujours semblé un héros de toutes pièces ? Vous nous en avez dit autant que vous pouviez pour l’harmonie des proportions que votre cadre devait contenir, et c’est une heureuse citation que celle de ce vers qui vaut les plus beaux du Dante

...... L'enfer, d'elle ne sort

Que l'éternelle soif de l'impossible mort.

Mais ce n'est pas assez pour l'envie que j'ai de le voir mettre tout entier dans sa lumière, avec l'art moderne si nécessaire pour que le public sente ce que l'art et la science du passé nous ont laissé sur les hommes et sur les choses.

Adieu, monsieur. Je vous remercie de tout mon cœur de m'avoir envoyé ce beau livre, et vous prie en grâce de ne pas m'oublier quand vous en publierez un autre. Moi qui n'ai ni la volonté, ni le temps de lire beaucoup, il me semble que je vous lirais toujours.

GEORGE SAND.

Nohant, 10 avril 1831.

Constitutionnel, 10 mai 1851.