HISTOIRE DE MARIE STUART

 

LIVRE DEUXIÈME.

 

 

Marie Stuart à la cour de France. — Son éducation. — Ses liaisons avec les poètes. — Les Valois. — Catherine de Médicis. — La duchesse de Valentinois. — Marie Stuart fiancée au Dauphin. — État des partis. — La réforme s'étend. — Antoine de Navarre. — Le prince de Condé. — L'amiral de Coligny. — Les Guise. — Claude de Lorraine et ses six fils. — Mort de Henri II. — Avènement de François II et de Marie Stuart. — Les Guise, nouveaux maires de palais. — Procès d'Anne Dubourg. — Conspiration d'Amboise. — Le chancelier de L'Hospital. — Mort de François II. —Douleur de Marie Stuart. — Elle se retire au couvent de Saint-Pierre à Reims. — Elle se décide à retourner en Écosse. — Vers de Ronsard. — Fontainebleau. — Partie de Saint-Germain, Marie Stuart arrive à Calais.

 

Retournons un peu sur nos pas, et revenons en France, à Saint-Germain, où grandit Marie Stuart.

L'imagination se plaît à la saisir, d'abord enfant, puis jeune fille, toujours belle, dans les détours de ce château de briques, entre la rivière semée d'îles riantes et l'immense forêt peuplée de sangliers, de biches et de chasseurs. Marie aimait ce palais. Elle y achevait son éducation d'Inch-Mahome. Son intelligence s'éclairait à toutes les lueurs, s'éveillait à tous les bruits. De sa fenêtre, tantôt elle regardait le ciel étoilé, tantôt elle croyait entrevoir sur les flots les jeux des naïades de la Seine. Du haut des balcons aériens, elle prêtait l'oreille aux sons du cor et suivait, à ces fanfares des bois, pendant de longues heures, les drames variés des chasses féodales.

Son goust fut de tout temps aux vesneries, à écrit d'elle Chastelard.

Dès son arrivée à Saint-Germain en Laye, elle dressait ses petites mains à lâcher et à rappeler le faucon.

Henri II avait à Saint-Germain la plus belle vénerie de l'Europe. Le chenil en était le principal bâtiment. C'était un autre palais, un palais bâti en briques comme le palais du roi.

On y menait Marie, pour la récompenser et la distraire, à l'heure où les chiens rentraient et se précipitaient par les portes, par les fenêtres basses vers leurs loges. Alors on préparait dans des auges innombrables leur repas, qui consistait en une soupe à la viande, au pain d'orge, de seigle et de froment, puis on criait : A table ! à table ! et Marie applaudissait avec ardeur à l'irruption des chiens sur leurs auges. Quand ils étaient repus et qu'ils s'étaient désaltérés au ruisseau de la vénerie, le transport de la jeune reine était le même lorsqu'en les sifflant on les attirait encore dans leurs loges où l'on avait renouvelé, durant le repas, leur litière de maïs et de paille.

Cette fraîche époque de la vie de Marie Stuart a été travestie par le roman. L'histoire lui doit un souvenir et une page.

Marie se fait remarquer dès lors par ses talents naissants. Sa conversation précoce étonne, sa grâce séduit Mus ceux qui l'approchent. Son oncle, le cardinal de Lorraine, en parle avec orgueil et complaisance à la régente d'Écosse :

.....  Vostre fille est creue et croist tous les jours en bonté, beauté et vertus. Le roy passe bien son temps à deviser avec elle, et elle le sçait aussi bien entretenir de bons et sages propos comme ferait une femme de vingt-cinq ans.

Dans une autre lettre, le cardinal observe avec plus d'ambition que de piété qu'elle est fort dévote. Cette dévotion, du reste, ne l'empêche pas de se livrer à toute la mobilité de ses fantaisies et à toute l'impétuosité de ses instincts. Elle danse jusqu'à ce qu'elle tombe épuisée. Elle s'enivre de bals, de spectacles, de concerts. La musique lui cause des frémissements électriques, et les poètes, qu'elle inspire déjà, déposent à ses pieds des guirlandes de vers, des couronnes de fleurs :

En vostre esprit le ciel s'est surmonté,

Nature et l'art ont en vostre beauté

Mis tout le beau dont la beauté s'assemble.

(JOACHIM DU BELLAY.)

Au milieu du printemps, entre les liz naquit

Son corps, qui de blancheur les liz mesures vainquit ;

Et les roses, qui sont du sang d'Adonis teintes,

Furent par sa couleur de leur vermeil dépeintes ;

Amour de ses beaux traits lui composa les yeux,

Et les Grâces, qui sont les trois filles des cieux,

De leurs dons les plus beaux cette princesse ornèrent,

Et pour mieux la servir les cieux abandonnèrent.

(RONSARD.)

Marie, tout étincelante de parure, caressée, adorée, devint l'un des enchantements de la cour des Valois. Nostre petite reinette écossoise, disait Catherine de Médicis, n'a qu'à sourire pour tourner toutes les testes françoises. Elle fut élevée dans ce mirage. Fiancée au Dauphin, plus heureuse de ce bonheur que fière de sa couronne d'Écosse, la charmante princesse jetait déjà des regards de souveraine sur celte cour brillante qui était à ses pieds et qu'elle devait gouverner un jour.

Elle voyageait, selon les saisons et toujours avec un jeune et nouveau plaisir, de résidence en résidence royale, de Saint-Germain au Louvre, du Louvre à Chambord, de Chambord à Fontainebleau, le lieu des délices, de la chasse et de l'amour. Elle admirait naïvement tous les arts, dont les chefs-d'œuvre ornaient ces belles demeures, les toiles du Titien et de Léonard de Vinci, les fresques du Primatice, les dessins de François Clouet, les monuments, les chapelles, les sculptures de Philibert Delorme, de Pilon, de Cousin et de Jean Goujon.

Elle cultivait aussi les lettres. Elle savait le grec, le latin, l'italien, l'espagnol et le français. Elle composa dans l'idiome et dans le style de Cicéron, à la mode de Florence, une harangue sur l'aptitude des femmes aux sciences de l'esprit, et elle la récita devant le roi Henri II, aux applaudissements de toute la cour. Elle se complaisait dans la conversation de Ronsard, de Joachim du Bellay, de Baïf, de Jodelle, d'Amadis Jamyn, de Remi Belleau, de Pontus de Thiard, de Pierre Ramus, des poètes et des humanistes. Elle préférait cependant, quoi qu'en disent les doctes biographes, les entretiens des jeunes seigneurs, le soir, dans les galeries de François Ier et de Henri II, ou le matin des jours d'été, le long des canaux, dans les sentiers des parcs, au bord de l'étang et des fontaines jaillissantes. Comme un peu plus tard sa sœur Marguerite de Valois, non moins savante qu'elle, le mot qu'elle désirait le plus prononcer et entendre dans toutes les langues du Nord et du Midi, c'était le mot : amour, le mot de cette cour galante, chevaleresque et corrompue.

Marie Stuart assistait sans déplaisir à l'humiliation de Catherine de Médicis, qu'elle appelait avec mépris la marchande florentine. Toute sa prédilection était pour la duchesse de Valentinois, qui s'était éprise de Marie, et dont Marie écrivait à sa mère, la reine douairière d'Écosse :

Madame, vous sçavés comme je suis tenue à madame de Valentinois pour l'amour que de plus en plus elle me montre....

Cette belle Diane de Poitiers, que ses envieuses avaient surnommée la Diane païenne, la Diane d'Éphèse, cette belle Diane, la protectrice des arts, l'idéal des peintres et des sculpteurs qui la représentaient, comme la déesse, avec un croissant sur la tête, fut la plus noble de toutes les maîtresses des Valois, la seule qui, parmi tant de galanteries sensuelles, ait éprouvé et inspiré une grande passion. Elle avait vingt ans de plus que son royal amant, et il l'adora jusqu'à la mort, tant était puissant l'attrait de cette âme tendre et fière ! Elle ne voulut point que Henri reconnut une fille qu'il avait eue d'elle. J'étais née, lui dit Diane, pour avoir des enfants légitimes de vous. J'ai été votre maîtresse parce que je vous aimais ; je ne souffrirai pas qu'un arrêt me déclare votre concubine.

Elle était sensible à la pitié et à l'amitié comme à l'amour. On nous a communiqué d'elle une lettre autographe et inédite, où ses beaux instincts et ses goûts légers se trahissent involontairement :

A MADAME MA BONNE AMIE MME DE MONTAIGU.

Madame ma bonne amie, l'on me vient de donner la relation de la pauvre jeune reine Jehanne — Jane Grey, décapitée à dix-sept ans —, et ne me suis pu retenir de pleurer à ce doux et résigné langage qu'elle leur a tenu à ce dernier supplice. Car jamais ne vit-on si accomplie princesse, et vous voyez qu'est à elles de périr sous les coups des méchants. Quand donc me viendrez-vous ici visiter, madame ma bonne amie, étant bien désireuse de votre vue, qui me ragaillardiroit en tous mes chagrins. Eh bien, voyez ce qu'advient souvent de monter au dernier degré, qui feroit croire que l'abîme est en haut. Le messager d'Angleterre m'a rapporté plusieurs beaux habillements de ce pays esquels, si me venez voir promptement, aurez bonne part qui vous doit bien engager à partir du lieu où vous estes et à faire activement vos préparatifs pour me demeurer quelque temps, et donnerai bon ordre pour qu'il vous soit pourvu à tout. Ne me payez donc pas de belles paroles et promesses, mais je veux vous étreindre à deux bras pour de votre présence être sûre. Sur quoi remettant à ce moment de vous embrasser, je supplierai Dieu très-dévotement qu'il oui garde en santé selon le désir de

Votre affectionnée à vous aimer et servir.

DIANNE.

 

Diane de Poitiers était la véritable reine de la Cour, et tout s'y faisait pour elle. Quand le roi revenait de la guerre, et qu'il se livrait à tous les exercices, à tous les plaisirs des héros, Diane n'était jamais oubliée. Il fallait qu'elle se présentât aux grandes chasses, aux fêtes, aux bals, aux tournois. L'hiver, si le roi jouait à la paume, s'il allait glisser sur la glace de l'étang de Fontainebleau, les jours de pluie s'il s'essayait à l'escrime dans une salle du château, Diane et les dames assistaient à tous ces caprices, à toutes ces saillies qui simulaient ou remplaçaient les combats. Ce roi soldat et illettré, moins dissolu que son père, moins cruel que ses enfants, fut le meilleur des Valois, grâce à Diane ; car cette femme, dont l'empire sur lui était absolu, avait l'âme intrépide, sensible et religieuse. On lui pardonne son fanatisme, qui était celui de son siècle ; son amour, qu'elle éprouvait dans le cœur bien plus que dans les sens ; mais on ne lui pardonne pas ses richesses trop accrues par les supplices et par les confiscations. Henri II portait les couleurs de la duchesse de Valentinois (blanc et noir), quand il fut blessé par Montgommery. Après la mort du roi, Diane, inconsolable, se retira dans sa maison d'Anet, cette miniature charmante de Fontainebleau. L'amour alors acheva de se dépraver étrangement à la cour. On le vit se blaser, s'égarer et se raffiner, corrompre, avilir les hommes et les femmes, se vautrer, se railler et tuer à la fois, comme dans la Rome des empereurs. Les fils de Catherine préludèrent aux massacres par des orgies. Charles IX s'enivrait près de Marie Touchet avant la nuit de la Saint-Barthélemy, comme Néron avec Poppée avant le meurtre des citoyens et des sages qui survivaient dans l'empire. Étranges époques où la débauche est féroce, pleine d'imagination et de scélératesse, où le sang est le complément de la volupté ! Dans cette cour italienne et française où régnaient toutes les fantaisies de l'art, toutes les élégances de ta vie, toutes les lièvres de l'ambition el du plaisir, Marie Stuart arrivait au trône de fête en fête.

La politique, sans qu'elle s'en doutât, tenait d'ailleurs le fil tragique de ses destinées.

Luther avait bouleversé l'Allemagne du Nord ; il s'était servi des princes. Calvin mit en feu la France, les Pays-Bas, l'Angleterre et l'Écosse ; il ébranla les peuples. La réforme s'étendit avec une effrayante rapidité.

Antoine de Navarre, le prince de Condé et Coligny, étaient les représentants du calvinisme en France.

Antoine de Navarre n'avait qu'une illustration : sa naissance. D'ailleurs un homme irrésolu, un esprit indécis, un caractère de vif-argent, oscillant et courant sans cesse de côté et d'autre sans pouvoir se fixer, facile, prodigue, courageux par boutades, mais, ainsi que tous ses descendants, à l'exception de son fils Henri IV, devant plus à la fortune qu'à lui-même.

Son frère cadet, le prince de Condé, était son aîné en mérite militaire. Il eût été digne d'être le chef de sa maison. Sa gaieté était française comme sa bravoure. Pétulant, hardi, martial, il n'avait rien du sectaire. Il s'était jeté dans la guerre civile par chevalerie et par élan d'ambition plutôt que par une foi vive. M. le prince, dont la taille était petite, la bouche grande, les yeux étincelants, avait le nez aquilin et les dents en saillie, double trait distinctif de sa lignée qui, par les parties supérieures et inférieures du visage, tirait à la ressemblance de l'aigle et du sanglier.

Du reste, cette branche des Condé était le cœur de la maison de Bourbon, et ses instincts ne démentaient point sa physionomie un peu fauve.

Le premier Condé, celui dont nous parlons dans cette histoire, était l'audace du parti calviniste en France. Antoine de Bourbon n'en était que le drapeau.

Mais la tête et le bras, la persévérance, la stratégie, l'habileté, la providence de ce parti, c'était M. l'amiral de Châtillon. Ce général austère, ce stoïcien obstiné, était un homme d'Etat accompli, et le diplomate achevait en lui le guerrier sous la sévérité d'un extérieur simple et vénérable. Ordinairement grave, taciturne, soucieux, Coligny ne se détendait que le jour d'une bataille, d'une retraite ou d'une négociation. Alors sa grande taille, un peu voûtée, se, dressait ; il passait de temps en temps la main sur sa barbe grise, ses lèvres minces et discrètes souriaient, ses traits s'illuminaient du dedans, les plis de son front chauve s'effaçaient, et les nuages de ses sourcils tombaient. Il paraissait rajeuni et transfiguré. Son visage n'exprimait plus que la sérénité d'un esprit supérieur, incertain des événements, mais plein de ressources et sûr de lui-même dans la bonne comme dans la mauvaise fortune.

Le parti calviniste ressentait pour lui la plus ardente admiration. Coligny ne trompa point cet enthousiasme. Il ne désespérait jamais. Son intrépidité était incomparable ; elle égalait sa prudence. Monsieur, lui disaient ses amis, n'allez pas à Blois auprès du roi et de la reine mère. Craignez un piège. — J'irai, répondait Coligny ; mieux vaut mourir d'un brave coup que de vivre cent ans en peur.

Adoré de la petite noblesse et de tout ce qui appartenait à la réforme, il était le vrai maître du protestantisme français. Génie sombre, ferme, opiniâtre, souvent vaincu, toujours indompté, le seul capable de faire face aux Guise.

Ces grands Lorrains, les chefs du catholicisme, étaient six frères, tous beaux et ambitieux, tous braves aussi, excepté le cardinal de Lorraine.

Leur grand-père était ce René II que les généalogistes faisaient remonter à Charlemagne, même à Priam, prince de Troie. Ce qui valait mieux que cette origine franque ou homérique, c'était l'étoile de René. Bien jeune encore, il s'était illustré comme général à Morat, à la tête des Suisses dont il était l'auxiliaire. Il défit le duc de Bourgogne sous les murs de Nancy. Charles le Téméraire fut retrouvé dans un ruisseau où son cheval l'avait enfondré, et où il fut tué par ceux qui le poursuivaient. René ordonna de relever ce corps, et, vêtu en grand deuil, il rendit à sou ennemi tous les honneurs funèbres. Le duc de Bourgogne fut religieusement inhumé à Nancy par les soins du duc de Lorraine. René renvoya sans rançon la plupart de ses prisonniers, et, pardonna généreusement à ses sujets qui l'avaient trahi pour son redoutable agresseur. De toutes ses confiscations, il ne retint, dit un vieil historien, qu'un vase de crystal où il buvoit l'oubli de ses vengeances.

A la mort de René, Antoine lui succéda comme duc de Lorraine. Claude, l'un des frères cadets d'Antoine, vint se fixer en France, et il y enracina sa branche, la plus glorieuse de sa maison.

Claude avait dans une mesure juste tous les dons heureux qui distinguèrent ses descendants avec plus de splendeur. Il avait une grâce chevaleresque, une valeur pleine de calculs. Ami de François Ier, qui le traitait moins en sujet qu'en frère d'armes, il se prononça d'instinct contre la réforme, et il eut soin de ne jamais s'absorber dans la cour. Il excellait 'dans l'art d'attirer à lui. Le nombre de ses partisans devint immense. Il s'était proposé de plaire à la France et singulièrement à la ville de Paris, qui l'aimait au-dessus même des princes du sang.

Claude fonda ainsi la politique et la popularité de sa maison.

Un matin qu'escorté de ses six fils il était venu rendre ses devoirs au roi : Mon cousin, lui dit François Ier, je vous tiens heureux de vous voir renaître avant de mourir dans une postérité de si belle espérance.

Il laissa en effet après lui la famille la plus ambitieuse, la plus habile et la plus riche du royaume. Les six frères avaient à eux environ six cent mille livres de rente, que l'on peut évaluer au moins à quatre millions de notre monnaie. Le cardinal Charles de Lorraine possédait à lui seul presque la moitié de ce prodigieux revenu.

Ce prélat, que Pie V appelait le pape d'au delà des monts, était un négociateur à deux tranchants, fier comme un Guise, délié comme un Italien. C'est lui qui le premier conçut le plan d'une sainte ligue. Institution puissante sur laquelle il comptait pour faire monter sa maison, par les degrés du catholicisme, sur le trône des Valois. Il avait une dextérité si soudaine et des-expédients si prompts, qu'on lui supposait un démon familier. Il ne se courbait avec déférence que devant le duc François, pour lequel il donnait l'exemple du respect à ses frères et aux plus grands seigneurs. Cc respect était universel.

Lorsque les Guise étaient à la cour, les quatre plus jeunes ne manquaient jamais de venir au lever du cardinal Charles ; puis de là ils allaient tous les cinq au lever du duc François, qui les conduisait chez le roi.

La situation du duc était à peu près celle d'un prince du sang. Il avait des pages, un aumônier, un argentier, huit secrétaires. Plus de quatre-vingts officiers ou gens de service mangeaient à ses tables. Son gentilhomme ordinaire M. de Hangest, et son maître d'hôtel M. de Crenay, étaient des personnages. Il n'y avait pas jusqu'à son valet de chambre, Denis, qui ne fût fort courtisé.

Sa vénerie, gouvernée par Verdellet, abondait en chiens de toute sorte.

Ses écuries étaient magnifiques. Elles étaient remplies de chevaux barbes qu'il tirait, par l'entremise de nos ambassadeurs et à grands frais, d'Afrique, de Turquie et d'Espagne. Il avait un goût vif pour les chevaux napolitains, et il lui en arrivait jusqu'à douze à la fois avec trente-six juments de la Calabre. Ils étaient marqués à ces trois lettres gravées, sur une plaque d'argent : Φ D G, initiales de François de Guise. Le Mouton et la Fleur de lis, ses chevaux favoris, étaient sous la surveillance spéciale d'Antoine Fèvre, chargé des écuries, du haras de Saint-Léger et de la sellerie. Fèvre était désigné dans la maison de Guise sous le titre de grand écuyer.

Les corps de l'État, les seigneurs briguaient la bienveillance du duc ; les souverains le ménageaient et le flattaient.

Le roi de Navarre lui annonce en ces termes la naissance de son fils, qui fut depuis Henri IV :

Puisqu'il a pieu au Seigneur Dieu me fayre tant de bien que de m'avoir donné un fils, ce sera pour estre compaignon du vostre comme nous avons esté, estant jeunes et petits.

je ne veulx pas douter, lui écrit-il encore, que vous ne cognoissiez assez de quelle perfection d'amitié je vous ay toujours aymé.

Les parlements de Rouen, de Dijon, de Bordeaux, de Toulouse, presque tous les parlements du royaume, lui envoient des députations.

Le parlement de Paris se recommande très-humblement à sa bonne grâce, et le supplie de lui donner audience.

Le maréchal de Brissac et M. de Brezé s'inclinent en toute occasion devant le prince lorrain.

L'orgueilleux connétable lui-même, Anne de Montmorency, lui écrit : Monseigneur, et Votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Le duc de Guise lui répond : Monsieur le connétable, et Votre bien bon amy. Chose futile que l'étiquette à notre époque, mais admirable pour indiquer à l'histoire la mesure de la considération d'un homme au XVIe siècle.

Le duc de Guise éprouvait les passions politiques et religieuses de sa race. Il s'était persuadé, ainsi que les prêtres et le peuple, que lui et les Lorrains ses frères étant de sang catholique autant que de sang noble, la croix faisait partie de leur blason. Tous semblaient avoir reçu du ciel la mission de défendre l'Église. Car si la maison de Lorraine n'était pas la fille aînée de l'Église, elle en était la fille de prédilection. Le pape était le droit divin de cette maison, et elle était le droit armé, le droit héroïque du pape. A Rome on tenait les Guise pour une sorte de dynastie catholique et pour les chevaliers de l'orthodoxie.

Ils avaient puisé dans leur dévouement unanime, dans leur gloire, dans leurs revers, dans leur puissance identifiée aux destinées du catholicisme, dans leurs souvenirs et dans leurs espérances une invincible haine contre le protestantisme, contre l'hérésie. Cette haine devait être le premier balbutiement et le long combat des Guises. Race privilégiée et tragique, l'une des plus illustres de nos annales ! Gentilshommes factieux ceints de la parole et du glaive, dont le forum était tantôt un champ de bataille, tantôt un carrefour des halles ; dont les rues de Paris étaient les forteresses, dont la tribune errante était leur cheval de guerre, et dont la grande mine affrontait tour à tour, sans pâlir, une armée, un peuple ou un roi !

Le plus grand des Guise, celui qui avait le plus ajouté à l'éclat et au prestige de son nom, c'était incontestablement le duc François. Il était l'idole du peuple, qu'il gouvernait à son gré. Il l'avait apprivoisé à ses manières, à sa voix et jusqu'à son costume. Lorsque, escorté de quatre cents gentilshommes, il sortait de l'hôtel de Guise, monté sur son genet noir, avec son pourpoint et ses chausses de soie cramoisie, avec son manteau et sa toque de velours surmontée d'une plume rouge ; lorsque, son épée au côté, cette épée que le duc de Parme estimait la meilleure de la chrétienté, il se dressait, comme à la bataille de Dreux, sur ses étriers, quoiqu'il fut de grande taille, pour voir de plus haut et plus loin, la foule accourait, folle de joie, sur son passage, inondait la ville qu'elle semait de fleurs en criant dans son ivresse : Vive, vive notre duc ! Le duc se penchait courtoisement à droite et à gauche, nommant l'un, puis l'autre, saluant les hommes, les jeunes gens, les vieillards, souriant aux femmes et aux enfants, le vrai roi, le roi des cœurs, le roi du peuple et de la cour, le roi de Paris, des Tournelles et du Louvre. Presque tous l'aimaient, et tous ceux qui ne l'aimaient pas le craignaient.

Il pouvait réduire les multitudes d'un geste, d'un discours, ou intimider d'un regard, d'un accent, tout un règne. Conjuré, soldat, général, chef de parti, nul mieux que lui ne savait parler, conspirer ou combattre.

On lui a reproché bien à tort, selon moi, la cause qu'il servait. II y a dans toutes les causes, même celle du passé, toujours assez de grandeur et de vertu pour honorer ceux qui les défendent avec génie et avec conviction. Pendant que le duc de Guise soutenait l'autorité sous sa forme la plus haute, le catholicisme, l'amiral de Coligny se dévouait à la conquête de la liberté civile et religieuse. Il attaquait la Rome moderne avec la formidable obstination d'Annibal contre la Rome ancienne. Le duc de Guise si généreux, si maitre de lui, qu'après une victoire il couchait et dormait dans le même lit que le prince de Condé, son ennemi mortel ; le duc de Guise était le Scipion, le grand général patricien de cette Rome papale abhorrée par Coligny. Tous deux étaient.de bonne foi, et Dieu lui-même n'exige rien de plus.

Le duc de Guise, de l'aveu de tous, était sage au conseil, calme au feu, séduisant à la cour. Son humanité était relevée encore par sa politesse. Au siège de Metz, don Luis d'Avila, lieutenant de l'empereur, lui redemanda un esclave more qui lui avait volé un cheval d'Espagne, et s'était enfui deus les murs de la ville. Il ajoutait que le cheval méritait d'être rendu, et l'esclave d'être pendu. M. de Guise lui renvoya le cheval merveilleusement caparaçonné. Quant à l'esclave, il ne l'inquiéta en aucune façon, et il écrivait à don Luis : Je suis heureux de vous renvoyer votre beau cheval, mais votre esclave more est hors de mon pouvoir. En touchant notre terre ; il est devenu libre. Telle est la loi de France.

Le politique équilibrait en lui le général, et les combinaisons du chef de parti le suivaient dans son camp. Il gagnait les cœurs et il enlevait des classes d'hommes tout entières. Quand il eut occupé Calais, le gouverneur qu'il nomma fut le capitaine Gourdau, un simple officier. Les seigneurs et les chevaliers de l'ordre murmurèrent. Le duc de Guise le sut, et un soir qu'il était entouré d'un groupe nombreux et mêlé, il dit : Le capitaine Gourdau est très-bon pour garder la place qu'il a contribué à prendre, et où il a laissé l'une de ses jambes à un assaut. Vous, Messieurs, il vous reste les deux jambes pour aller ailleurs chercher fortune.

Il réprimait avec une rare présence d'esprit et une fermeté rapide toute atteinte au respect qui était dû, soit à sa dignité personnelle, soit à la majesté du commandement.

Un jour qu'il visitait son camp et qu'il traversait le quartier séditieux des reîtres, le baron de Hunebourg, l'un de leurs chefs, s'adressa irrévérencieusement au duc de. Guise, et s'oublia même jusqu'à saisir un pistolet et à l'en menacer. Plus prompt que l'éclair, M. de Guise frappa d'un revers de son épée la main du baron et lui en appuya la pointe à la gorge. Le marquis de Montpezat, qui accompagnait le duc, tira aussi sa dague et allait en percer le baron de Hunebourg, lorsque M. de Guise, abaissant son épée, s'écria : Rengainez, Montpezat ; penseriez-vous tuer un homme mieux que moi ? Et, se tournant vers le baron déconcerté : Je t'accorde la vie ; car je t'ai tenu à ma merci. Mais comme tu as manqué au rai en ma personne, et à moi qui suis le duc de Guise, tu garderas les arrêts selon mon bon plaisir ; et il fit conduire le baron désarmé au cachot. Ce coup d'autorité accompli, M. de Guise, loin de se dérober à la colère des reîtres, la brava et la soumit. Accompagné de quelques gentilshommes seulement, il se promena au petit pas pendant plus de deux heures au milieu de cette soldatesque, et nul ne bougea. Tant ce grand capitaine leur parut imposant !

D'ailleurs, il était aimé autant qu'admiré et craint. Ses serviteurs étaient pour lui une seconde famille. Ils le regardaient et il se regardait comme leur providence. Dans un de ses moments les plus embarrassés, son intendant, qui s'efforçait d'alléger les charges du duc, lui apporta une liste de tous les gens inutilement attachés à la maison de Guise. Monseigneur, lui dit l'intendant, vous devez les réformer pour votre soulagement ; vous n'avez pas besoin d'eux. — Il est vrai, reprit le duc en déchirant la liste qui lui était présentée, je n'ai pas besoin d'eux, mais ils ont besoin de moi.

Sa bonté était célèbre, même chez les ennemis. Il en avait sauvé si souvent dans les batailles, que son nom seul était un secours au milieu de la mêlée. A Térouanne, au plus fort d'un combat qui tournait mal, et où les Français, écrasés déjà par le nombre, allaient être massacrés, ils s'avisèrent de crier aux vieilles bandes espagnoles : Souvenez-vous de M. de Guise ! Soudain la fureur des ennemis tomba, et plus de six mille hommes furent épargnés.

Que dire après cela ? La clémence, qui était regardée comme une faiblesse chez César, chez l'homme antique, était une vertu chez l'homme moderne, chez le chrétien, chez M. de Guise, et ajoutait un immense attrait à sa grandeur.

Le duc d'Aumale, le grand prieur, le marquis d'Elbeuf, le cardinal de Guise, étaient de brillants princes, mais ils n'étaient pas des chefs d'idées et de parti, comme le duc de Guise et le cardinal de Lorraine. Ils acceptaient la supériorité de leurs aînés et s'associaient volontiers à leurs desseins. Ils s'entendirent tous pour décider le mariage de Marie Stuart, leur nièce avec le Dauphin, et les noces se célébrèrent à Notre-Dame, le 24 avril de l'année 1558, au milieu de la joie nationale causée par la conquête de Calais, l'un des plus beaux faits d'armes du duc de Guise.

Marie Stuart était petite-fille de Marguerite, sœur aînée de Henri VIII, et par conséquent petite-nièce de ce monarque. Il avait laissé trois enfants à sa mort : Edouard VI, fils de Jeanne Seymour ; Marie, fille de Catherine d'Aragon ; et Élisabeth, fille d'Anne de Boleyn. Édouard et Marie régnèrent successivement. Élisabeth devint à son tour reine d'Angleterre. Henri VIII avait fait trancher la tête à Anne de Boleyn et annuler son mariage ; Élisabeth avait été déclarée bâtarde par un acte du gouvernement, puis rétablie par un autre acte dans tous ses droits et reconnue enfant légitime. L'Angleterre l'avait proclamée reine à Westminster.

Henri II, par une cupidité superbe et malhabile, prépara bien des orages à Marie Stuart, qu'il aimait si tendrement. Il exigea, et la jeune fiancée du Dauphin consentit de l'aveu des Guise, un acte de donation, daté du 4 avril 1558, par lequel elle transmettait au roi de France, quel qu'il fût, son royaume d'Écosse et tous ses droits au royaume d'Angleterre, advenant le cas qu'elle décedast sans hoirs procréés de son corps, que Dieu ne veuille !

Le mariage célébré, Henri II, de plus en plus obstiné dans son orgueil, ambitieux pour sa maison, déclara que Marie Stuart saisirait la première occasion de soutenir ses prétentions au trône de la Grande-Bretagne ; et il ordonna qu'elle prit le titre et les armés de reine de France, d'Écosse et d'Angleterre.

Le cardinal de Lorraine se hâta de renouveler la vaisselle de sa nièce, et il y fit graver avec complaisance le triple blason des Valois, des Stuarts et des Tudors.

Élisabeth s'indigna, et cette âme altière ressentit une de ces haines implacables qui ne s'éteignent que dans le sang.

Cette haine s'accrut encore lorsque, par le coup de lance de Montgommery, Marie et François montèrent sur le trône, fronts adolescents ornés d'une tiare laïque, de trois couronnes royales.

Leur avènement fut l'avènement des princes lorrains.

Le duc de Guise disposa des armées, le cardinal de Lorraine des finances. Ils furent les maîtres de l'État, et toutes les bassesses s'entassèrent à leurs pieds. Ils étaient de taille à gouverner. Rien n'échappa à leur dictature, et Buchanan remarqua avec vérité, que, dans tout le royaume de France, on ne pouvait disposer ni d'un soldat ni d'un écu sans leur concours.

Ils devinrent sous François II des maires du palais.

Jamais moment ne fut plus solennel dans l'histoire.

Une aurore sanglante se lève sur l'Europe. Les guerres de religion sont proches.

Philippe II opprime les Pays-Bas, menace sourdement l'Angleterre, et assiste à Valladolid, avec toute sa cour, à un auto-dafé où quarante réformés des deux sexes expirent dans les flammes. Un incident éclate au milieu de cette fête barbare. Un pauvre condamné, connu du roi, se tourne vers lui, et s'agenouillant sur son bûcher, implore grâce. Philippe se lève ; on le croit touché, malgré sa figure impassible. On attend avec anxiété. Point de grâce, dit le roi d'une voix haute, point de grâce à l'hérésie ! Si le prince, mon fils, l'héritier de mon trône, était à ta place, j'allumerais moi-même son bûcher.

A Rome, Paul IV soudoie les délateurs, encourage les dénonciations, construit des prisons et les remplit de suspects. Les exécutions sommaires se multiplient. L'inquisition frappe à coups redoublés. Paul IV, par une bulle, soumet nominativement à ce redoutable tribunal évêques, primats, cardinaux, comtes, barons, marquis, ducs, rois, empereurs, et jusqu'au pape.... si le pontife romain lui-même venait à tomber dans l'hérésie ou dans le schisme.

En France, les Guise brûlent de signaler leur zèle contre le calvinisme. Ils veulent à la fois humilier la réforme et abaisser les puissantes maisons de Bourbon et de Châtillon.

Le roi n'est pour eux qu'un instrument, un jouet. Leur nièce, Marie Stuart, les seconde. Supérieure, fanatique, ambitieuse pour ses oncles, elle adopte leurs plans et les insinue au roi dont elle est adorée.

Les protestants tremblent.

Les Guise les provoquent par le procès d'Anne du Bourg et de quelques autres conseillers au parlement.

Le quatrième jour du règne de François II, ce procès fut commencé.

Anne du Bourg n'avait qu'un tort, c'était d'être un héros. Il se serait méprisé s'il eût consenti à taire sa foi. Il aspirait au contraire à la confesser. Il avait parlé librement, en présence de Henri II, contre les supplices infligés aux huguenots, et il était traduit, pour son généreux courage, devant les tribunaux catholiques composés de ses ennemis. C'était un stoïcien du calvinisme, un de ces hommes qui n'ont qu'une loi, la conscience, et que la perspective du bûcher vers lequel ils marchent sans pâlir anime d'une sublime intrépidité et d'une sainte joie.

Du Bourg se prépara lentement.

Ce n'était pas sa propre cause, c'était celle de ses frères protestants qu'il voulait porter devant l'opinion publique.

Il se défendit en magistrat. Il se regardait comme tenu envers le dogme de son choix et la justice de son pays, de combattre jusqu'au bout et avec éclat pour la plus belle de toutes les libertés : la liberté religieuse. Il s'engagea dans le labyrinthe des ressources légales. Il avait été nommé successivement sous - diacre et diacre. Condamné à ces deux titres par l'officialité de Paris, il en appela comme d'abus au parlement, puis à l'archevêque de Sens, puis il s'adressa encore au parlement, puis au primat des Gaules, au cardinal de Tournon. Tous les degrés de juridiction parcourus, il s'enveloppa de sa toge et il se résigna tranquillement. Il avait disputé sa vie aux bourreaux, de texte en texte, sans concession, sans faiblesse, avec toutes les armes du droit et de l'expérience, comme ces capitaines, dont parle Brantôme, qui défendaient une place confiée à leur honneur, malgré la famine, la peste, le feu des assiégeants, de poste en poste, de redoute en redoute, et qui ne la rendaient qu'après avoir brisé leurs épées, usé leur poudre, épuisé leurs balles sur la brèche ouverte et démantelée.

Les juges de du Bourg eux-mêmes furent ébranlés, attendris. Ils désiraient en secret qu'il déguisât sa foi seulement par son silence. Son avocat, qui connaissait leur émotion, le pressa de se taire. Du Bourg résista. Comme la parole lui avait été ôtée devant ses juges, rentré dans sa prison il écrivit et déclara sa confession conforme à celle de Genève. Cette constance le perdit. Ses juges étaient des commissaires du parlement auxquels il avait été livré, comme hérétique, par les tribunaux ecclésiastiques. Ils n'osèrent l'absoudre. Ils siégeaient à la Bastille où le prisonnier avait été conduit, et c'est là qu'ils prononcèrent sa sentence. Ils le condamnèrent au bûcher.

Du Bourg se réjouit du martyre et ne se démentit pas un instant. Il se soumit à la dégradation avec une ironie profonde. Pendant qu'on lui arrachait l'un après l'autre les habits de son ordre, qu'on abolissait autant qu'on le pouvait sur sa personne le caractère indélébile du sacrement en passant légèrement le tranchant du verre sur sa tonsure, il disait : Je me félicite d'être dépouillé du signe de la Bête, afin de n'avoir plus rien de commun avec cet antéchrist qu'on appelle le pape.

Arrivé sur la place de Grève, son front devint serein, ses yeux brillèrent d'une douce flamme, et son sourire perdit toute expression amère. L'enthousiasme avait remplacé le sarcasme sur ses lèvres et dans sa physionomie. Six pieds de terre pour mon corps et le ciel infini pour mon âme, voilà ce que j'aurai bientôt, dit-il en se remettant à l'exécuteur. Le bourreau lui ayant passé la corde au cou et prononcé la terrible formule : Messire le roi vous salue, Anne du Bourg fut étranglé d'abord, puis brûlé, le 23 juillet 1559. Les catholiques applaudirent, mais les protestants, muets d'horreur, préparèrent leurs armes.

Les autres conseillers arrêtés avec Anne du Bourg, moins généreux que lui, se rétractèrent et n'encoururent que des peines temporaires ou des amendes.

Néanmoins, le seul supplice d'un aussi grand homme de bien, venant s'ajouter comme un sang de martyr à tous les griefs des protestants, fit déborder la coupe contenue de leur colère.

Un gentilhomme du Limousin, Godefroy de Barri, seigneur de la Renaudie, organisa une conspiration contre les Guise, ces tyrans du royaume, ces persécuteurs des réformés. Il résolut de s'emparer de la personne du jeune roi, de livrer les Lorrains au gibet, et d'appeler le prince de Condé à la direction des affaires. Le prince consentit à tout, et beaucoup de gentilshommes s'engagèrent dans cette périlleuse entreprise. De Chalosse devait commander les Gascons ; Mazères, les Béarnais ; Du Mesnil, les conjurés du Limousin et du Périgord ; Maillé de Brezé, ceux du Poitou ; la Chesnaye, ceux du Maine ; Sainte-Marie, ceux de la Normandie ; Cocqueville, ceux de la Picardie ; Maligny, ceux de Ille de France et de la Champagne ; Châteauvieux, les Provençaux et les Bordelais. Toutes ces bandes étaient destinées à s'avancer vers Blois, où le roi se trouvait avec la cour.

Averti par la trahison d'Avenelles, un avocat huguenot, ami de la Renaudie, le duc de Guise avait mené le roi de Blois à Amboise, place plus forte et plus facile à préserver d'un coup de main. Il prit des précautions militaires suffisantes pour vaincre les conjurés, sans les alarmer d'avance. Il les endormit pour les mieux envelopper. Un bruit sourd se répandit néanmoins que le duc était sur ses gardes. Inaccessible à toute crainte, la Renaudie persista. Soixante gentilshommes avaient juré de pénétrer de nuit dans Amboise, et trente de se glisser dans le château. Ces gentilshommes devaient livrer l'une des portes à la Renaudie et à ses huguenots. L'attaque de la ville était fixée au 16 mars (1560). Mais le duc de Guise veillait. Il fit murer la porte que les conjurés avaient marquée pour l'ouvrir à leurs amis. Il échelonna jusque dans la forêt d'Amboise des détachements dont il était sûr, et qui exterminèrent successivement presque tout ce qui se présenta en armes. Les rebelles portaient à leurs casques des pompons moitié blancs, moitié noirs, qu'ils avaient adoptés en signe de ralliement.

La Renaudie était à la tête d'une troupe d'élite. Il était épié par l'un de ses cousins, Pardaillan, qui commandait une compagnie de catholiques, et qui s'était embusqué dans le bois de Château-Renault.

Dès que Pardaillan et la Renaudie s'aperçurent ils se précipitèrent l'un sur l'autre. Ils s'étaient reconnus, et le cri du fanatisme étouffait la voix de la nature. Un combat acharné s'engagea entre les deux troupes, et surtout entre les deux capitaines. La Renaudie effleura d'une balle la tempe de Pardaillan, qui, d'un double coup de feu, atteignit son ennemi au bras droit et tua son cheval. La Renaudie, se dégageant, la cuisse foulée, le bras droit cassé, releva son épée de la main gauche et recommença le combat. Pardaillan, piqué au genou, s'élança furieux sur son brave cousin, et fut blessé mortellement. Un serviteur de Pardaillan, prompt à. venger son maître, acheva la Renaudie. Les papiers du chef des conjurés furent saisis avec son secrétaire et ses domestiques. Lui mort, le reste de la troupe se rendit.

Pardaillan, mourant, fut transporté à Amboise. Sa compagnie y rentra avec les prisonniers.

Les vaincus trouvèrent la justice des guerres civiles.

La Renaudie, coupé en quatre quartiers, fut exposé aux quatre angles du pont.

Beaucoup furent noyés, la plupart furent passés par les armes ou pendus tout bottés et éperonnés, soit aux créneaux, soit aux arbres de l'avenue, soit aux portes des maisons suspectes. Nul procès, nulle condamnation. L'exécution tenait lieu de jugement. Leurs noms même ne furent pas demandés aux victimes. Il y avait comme un tribunal invisible, silencieux, terrible, qui frappait au hasard, sans pitié, sans remords, sans souci ni de la terre ni du ciel.

Cependant, la cour se déplaisait un peu à Amboise, et regrettait les délices du château de mois. On imagina de la distraire. On réserva les principales exécutions, le supplice des chefs de la révolte, pour le soir, après dîner. C'était le spectacle des dames, qui assistaient aux tortures des malheureux huguenots en souriant, et qui amusaient leur ennui des suprêmes douleurs et des derniers gémissements des martyrs. Le prince de Condé n'osa pas refuser de paraître une fois à se spectacle horrible. Il se sauva par cette concession, par un démenti donné à ses accusateurs, et par un défi chevaleresque jeté indirectement en plein conseil au duc de Guise. Le duc dissimula, et permit au prince de sortir d'Amboise.

Tous ces massacres commençaient à lui peser. Il avait pris d'excellentes précautions militaires pour vaincre et pour punir un complot dirigé contre sa vie, contre celle de toute sa maison ; son malheur fut d'employer les bourreaux autant que les soldats. Il ne diminua pas assez les atroces exécutions devenues le passe-temps de la cour. Il fut le premier à les faire cesser, mais elles avaient duré trop longtemps.

Le cardinal de Lorraine fui le grand coupable de ces horreurs. Timide par nature, il se portait sans effort à la cruauté qui pouvait diminuer ses peurs ou servir son orgueil et son ambition.

Les calvinistes avaient cherché à l'épouvanter pour modérer ses rigueurs. On sait que Jacques Stuart, le même qui avait assassiné le président Minard, se servait dans ses expéditions de balles empoisonnées qu'on appelait de son nom : stuardes. Le cardinal trouva un matin sur son oratoire ce billet menaçant :

Garde-toi, cardinal,

Que tu ne sois traité,

A la minarde,

D'une stuarde.

Le cardinal, d'abord effrayé, se remit bientôt, et ne se montra que plus ardent.

Dans cette crise d'Amboise, où lui et les siens avaient été si près de l'abîme, le cardinal de Lorraine, se sentant à l'abri sous l'épée de son intrépide frère, donna carrière à ses vengeances. Il voulut exterminer ses ennemis et les ennemis de l'Église. Ce qu'il y eut de plus odieux, c'est qu'il mena souvent les petits princes, le roi, la jeune reine, sa nièce, sur la terrasse du château pour mieux contempler les supplices. Il leur désignait les huguenots les plus illustres, et riait de leur agonie. Comme ils mouraient presque tous avec un courage stoïque, il disait au roi : Voyez ces superbes que la mort même ne peut vaincre ! Que ne feraient-ils pas de vous, s'ils étaient vos maîtres ?

Un soir, le cardinal entraîna la duchesse de Guise à l'une de ces exécutions, à la suite du roi et de la reine. Ni le cœur ni les nerfs de la duchesse ne purent soutenir cette affreuse tragédie. Elle pensa s'évanouir et recula d'effroi dans le château. Elle se rendit à la chambre de la reine mère, qui, la voyant entrer pâle et tremblante, lui demanda ce qu'elle avait ? Ah ! madame, que de supplices ! Puisse le désastre ne pas venir sur notre maison, et tant de sang généreux ne point retomber sur elle !

Les terreurs de la duchesse n'étaient pas vaines.

Le nom des Guise fut abhorré. Le marché d'Amboise, ce théâtre des exécutions, rappelait au protestantisme les raffinements barbares de leur fureur. En passant, les plus sages d'entre les huguenots rugissaient et transmettaient à leurs descendants leur colère comme un héritage.

C'est là que Théodore-Agrippa d'Aubigné fut suscité à la haine des Guise et des catholiques par son père, qui était un homme grave, un philosophe de l'hérésie. Il conduisait son fils encore enfant à Paris, lorsqu'en traversant Amboise un jour de foire, il vit sur leurs poteaux d'infamie les têtes des conjurés encore reconnaissables. Tout ému, il lança son cheval au milieu de sept à huit cents personnes qui étaient là, en s'écriant :

Les bourreaux ! ils ont décapité la France ! Il songeait aux Guise, qui tenaient alors tout leur pouvoir de leur nièce Marie Stuart. D'Aubigné, reconnu à son cri pour un calviniste, fut poursuivi à coups d'arquebuse. Il piqua des deux, ainsi que son fils, et il s'échappa. Quand il fut hors de péril, il toucha son fils de la main droite, et lui dit : Mon enfant, ne ménage pas ta tête pour venger les têtes de ces chefs pleins d'honneur. Si tu t'y épargnes, tu auras la malédiction de ton père.

Agrippa d'Aubigné n'oublia jamais cette leçon. Sa vie fut un dévouement héroïque au calvinisme. Plus tard, bien plus tard, M. de la Trémouille, un grand seigneur protestant, menacé dans Thouars, pouvait lui écrire :

D'Aubigné, mon ami, je vous convie, suivant vos jurements, à venir mourir avec votre affectionné

L.

D'Aubigné répondait :

Monsieur, votre lettre sera bien obéie. Je la blasme pourtant d'une chose : c'est d'y avoir allégué mes serments, qui doivent estre trop inviolables pour me les ramentevoir.

Marie Stuart était comprise dans les imprécations des amis des victimes. Le sang criait contre elle et contre sa race.

Tant d'atroces exécutions portèrent malheur à ceux qui en furent témoins, et qui périrent presque tous, à très-peu de temps de là, de mort violente.

Le chancelier Olivier expira de douleur. Tous ces massacres auxquels il n'avait pas résisté agitaient sa conscience, et il s'écriait dans les angoisses de son âme, comme le chancelier de l'Hospital après la Saint-Barthélemy, mais avec moins de vertu :

Excidat illa dies !

L'Hospital, qui le remplaça, fut salué par les op-.es comme une consolation et comme une espérance.

Il n'y a, disoit-il à l'ouverture des étals d'Orléans, et tel fut toujours son langage, il n'y a opinion qui s'imprime plus profondément dans le cœur des hommes, que l'opinion de religion, ni qui tant les sépare les uns des autres. Nous l'expérimentons aujourd'huy, et voyons que deux François et Anglois qui sont d'une mesme religion ont plus d'affection et d'amitié entre eux que deux citoyens d'une mesme ville, subjects à un mesure seigneur, qui seroient de diverses religions, tellement que la conjonction de religion passe celle. qui est à cause du pays ; et, pour contraire, la division de religion est plus grande que nulle autre ; c'est ce qui sépare le père du fils, le frère du frère, le mari de la femme.

Il concluait :

La douceur profitera plus que la rigueur ; osions ces mots diaboliques, noms de factions et de séditions : luthériens, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens.

Malheureusement le chancelier de l'Hospital fut un grand exemple plutôt qu'une grande influence. Il était trop supérieur à son temps. Meilleur que les bons, plus intrépide que les braves, c'était le juste de l'antiquité assoupli par les mansuétudes de la philosophie du Christ et par l'onction de l'Évangile. Il n'était d'aucun parti, si ce n'est du parti de Dieu. Seul il représentait sur sa chaise curule le droit, la commisération. C'était le ministre des conciliations et de la concorde. Ce n'était Pas l'homme de son siècle, mais l'homme dès siècles. De là son impuissance passagère et sa gloire durable.

On aurait pu lui appliquer le verset du Psalmiste, et par là le définir :

La miséricorde et la vérité se sont rencontrées ; la justice et la paix se sont embrassées. (Ps. LXXXIV.)

Quand il se levait pour parler, soit dans l'assemblée des états, soit dans la chambre da conseil en face dit roi, de la reine et des princes, soit en plein parlement au milieu des juges, un frémissement involontaire de respect accueillait cette haute intégrité et cette calme éloquence. Sa taille imposante, son visage pâle, ses cheveux rares, son front chauve, sa barbe blanche et vénérable, ses manières graves, son air modeste et stoïque, faisaient de ce grand personnage le modèle du sénateur et du magistrat. L'équité était de flamme en lui comme l'amour chez les autres hommes. Elle était plus que sa règle, elle était sa religion. Chaque fois que cette fibre de soir cœur était touchée, même légèrement, elle rendait un son puissant. Les âmes, attirées et gagnées par l'accent pénétrant de cette conscience, suspendues à ce regard assuré, à ces lèvres d'où coulait la persuasion, et sur lesquelles passait de temps en temps un sourire triste, les âmes, émues d'abord, s'inclinaient à l'assentiment ; mais elles ne tardaient pas à se roidir. Les colères catholiques ou protestantes se dédommageaient d'un moment de surprise. Ce n'étaient plus qu'emportements et tumultes. L'huile que ce grand cœur avait versée sur les passions fougueuses, loin de les éteindre, les faisait brûler davantage. Cette voix, un instant écoutée avec faveur, se perdait dans le cliquetis des épées et dans les imprécations des partis.

Cependant, avons-nous dit, le cri des martyrs avait monté, et la vengeance semblait atteindre successivement les bourreaux d'Amboise.

Le chancelier Olivier expiré, ce fut bientôt le tour du roi. Il succomba dans l'année, le 5 décembre 1560.

Coligny ne quitta le lit de François II que lorsque le jeune monarque eut rendu le dernier soupir. Se tournant alors vers les seigneurs qui étaient là et qui entouraient les Guise : Messieurs, dit-il avec la gravité religieuse qui lui était naturelle, le roi est mort ; que cela nous apprenne à vivre !

Dans les préoccupations politiques d'un nouveau règne, François II fut vite oublié des courtisans. Il ne fut accompagné à Saint-Denis que par Sansac, la Brosse, ses anciens gouverneurs, et Guillard, évêque de Senlis. La pompe des obsèques fit remarquer davantage l'absence des grands vassaux de la couronne. Les restes, raconte Fornier, furent transportés dans un char d'ébène tiré par six chevaux noirs, toujours de nuit, au milieu d'une infinité de flambeaux de cire blanche et de toute la cavalerie de la garde, dont les cavaliers, vestus de deuil, avec de grands panaches et leurs chevaux houssez jusqu'à terre, portaient par intervalles, tantost l'espée nue et tantost le pistolet au chien abattu.

Marie, doublement frappée dans son amour et dans sa grandeur, s'abandonna seule au désespoir. François était doux et bon, dévoué tout entier aux moindres caprices de sa jeune femme. Elle comprit toute l'étendue de sa perte. Elle ne pouvait prier ; elle ne pouvait que gémir et pleurer. Sa douleur était sans bornes. Elle l'épancha d'abord en élégies touchantes, puis en lettres pleines de détresse :

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce qui m'estoit plaisant

Ores m'est peine dure ;

Le jour le plus luisant

M'est nuit noire et obscure,

Et n'est rien si exquis

Qui de moy soyt requis.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Si en quelque séjour,

Soit en bois ou en prée,

Soit sur l'aube du jour,

Ou soit sur la vesprée,

Sans cesse mon cœur sent

Le regret d'un absent.

. . . . . . . . . . . . . . . .

Si je suis en repos,

Sommeillant sur ma couche,

L'oy qui me tient propos,

Je le sens qui me touche.

En labeur et requoy,

Toujours est près de moy.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Elle écrivait, vers la même époque, (1561), à Philippe II :

Monsieur mon bon frère, je n'ay voulu laysser perdre ceste occasion pour vous remercier des honnestes lettres que m'avés despèchées par le signor don Antonio, et des honnestes langages que lui et vostre ambassadeur m'ont tenu du regret que aviés de la mort du feu roy, mon seigneur ; vous assurant, monsieur mon bon frère, que vous y avés perdu le meilleur frère que vous aurés jamais, et consolé par vos lettres la plus affligée pauvre femme qui soyt soubs le ciel, m'ayant Dieu privé de tout ce que j'aymois et tenois cher au monde.... Dieu m'aydera, s'il lui plest, à prendre ce qui vient de luy en patience. Car, sans son ayde, je confesse trouver un si grand malheur trop insupportable pour mes forces et peu de vertu.

Vostre bien bonne sœur et cousine,

M.

En même temps, Marie Stuart renonça au titre et aux armes de reine d'Angleterre, et se réfugia dans le couvent de Saint-Pierre, à Reims, auprès de Renée de Lorraine, sa tante. C'est là qu'elle se résolut à quitter la France, où elle ne régnait plus, et qui s'était rangée sous l'autorité de Catherine de Médicis.

Dès que cette décision fut connue, un cri s'échappa de la poitrine de Ronsard. Le poète, dans cette plainte personnelle, fut sans le vouloir l'interprète ému, la voix profonde, harmonieuse, de toute la cour :

Comme un beau prés despoüillé de ses fleurs,

Comme un tableau privé de ses couleurs,

Comme le ciel, s'il perdoit ses estoiles,

La mer ses eaux, la navire ses voiles,

Un bois sa fueille, un antre son effroy,

Un grand palais la pompe de son roy,

Et un anneau sa perle precieuse :

Ainsi perdra la France soucieuse

Ses ornements, perdant la royauté,

Qui fut sa fleur, sa couleur, sa beauté

Ha ! je voudrois, Escosse, que tu peusses

Errer ainsi que Dèle, et que tu n'eusses

Les piés fermez au profond de la mer !

Ha ! je voudrois que tu peusses ramer

Ainsi que vole une barque poussée

De mainte rame à ses flancs eslancée,

Pour t'enfuïr longue espace devant

Le tard vaisseau qui t'iroit poursuivant,

Sans voir jamais surgir à ton rivage

La belle rogne à qui tu dois hommage.

Puis elle adonc, qui te suivroit en vain,

Retourneroit en France tout soudain

Pour habiter son duché de Touraine :

Lors de chansons j'aurais la bouche pleine,

Et en mes vers si fort je la loü'rois

Que comme un cygne en chantant je mourrois.

Il paraît que Marie eut alors comme un pressentiment de sa destinée, et qu'elle fut tentée de se retirer dans un monastère admirable situé sur la pente des Vosges, entouré d'eaux courantes, de rochers et de sapins. Elle avait passé deux fois sous les murs de ce monastère, et elle songea souvent depuis à cette maison de silence et de paix où Dieu abritait les âmes contre les orages du monde. Dans le deuil où elle était plongée, elle pensa un moment, dit un contemporain, à y cacher sa vie. Quoi qu'il en soit, ce ne put être qu'un éclair de cette mobile imagination. La tempête l'appelait, et ses goûts n'étaient pris ceux du cloître.

Ses oncles d'ailleurs lui conseillaient de retourner en Ecosse, oh l'attendait un trône. Après recueillie quelque temps en Lorraine, elle revint en France, d'où elle devait partir pour toujours au commencement de juillet 1561. Sou douaire avait été assigné sur la Touraine et le Poitou ; il était fixé à vingt mille livres de rentes.

Son séjour à Paris se prolongea un peu.

Marie voulut revoir tous les lieux qui lui étaient chers avant de s'éloigner à jamais.

Elle resta deux jours à Fontainebleau, que son père avait habité, qu'elle préférait entre tontes les résidences royales, et qui était le toit de ses délices.

Un crespe long, subtil et délié,

Ply contre ply retors et replié,

Habit de deuil, vous sert de couverture

Depuis le chef jusques à la ceinture,

Qui s'enfle ainsi qu'un voile, quand le vent

Souffle la barque et la single en avant.

De tel habit vous estiez accoustrée ;

Partant, hélas ! de la belle contrée

Dont aviez eu le sceptre dans la main,

Lorsque pensive et baignant vostre sein

Du beau crystal de vos larmes roulées,

Triste marchiez parles longues allées

Du grand jardin de ce royal chasteau

Qui prend son nom de la beauté d'une eau.

(RONSARD.)

Ce dernier voyage fut grave et sombre comme un adieu.

Cette contrée emporte l'âme dans toutes les alternatives de la joie et de la tristesse. La tristesse y domine.

On rencontre partout l'amour parmi ces lambris semés de salamandres, sous ces hautes ombres, au bord de ces belles eaux ; puis, la religion au delà, dans ces vastes solitudes, à l'horizon de.ces déserts. Les deux infinis d'ici-bas.

Cette résidence, unique dans le monde, cette grande forêt rocheuse, ce château merveilleux font penser et rêver.

Fontainebleau sourit d'un sourire triste. On y sent vaguement le caprice, la galanterie, la passion ardente et profonde, la science, l'art, la vie humaine, tous les parfums de cette fleur vénéneuse et charmante de la renaissance.

L'attrait de Fontainebleau est dans tout cela. Une femme a bien des moments. Et cependant elle n'en a qu'un, elle en a un surtout qui laisse une odeur immortelle. Ainsi de Fontainebleau. Son moment incomparable, c'est le règne de François Ier, c'est le règne de Henri II, l'aurore de Marie Stuart.

François Ier et sa sœur, et la duchesse d'Étampes, et Léonard de Vinci, et André del Sarto, et Benvenuto Cellini, et le Rosso, et le Primatice ; et Rabelais, et Budé, et Lascaris, et Marot ; Henri II et les architectes, et les sculpteurs, et les frères du Bellay, et Calvin, et le cardinal de Lorraine, et Théodore de Bèze, et Montaigne, et Ronsard ; et Diane de Poitiers avec tous ses chiffres d'or et de tendresse ; et Catherine de Médicis avec ses cent cinquante filles d'honneur, les sirènes de sa politique italienne : voilà les années, la floraison, la fête, la jeunesse de Fontainebleau. C'est un songe, un songe arabe ; mais c'est encore plus de l'histoire ; car cet arc-en-ciel de poésie est souvent obscurci par les orages des guerres de religion qui suivirent la mort du roi Henri II, par les terribles démêlés des Guise, des Bourbons, des Montmorency et des Châtillon.

Marie Stuart se promena au milieu de ces mirages, à la fraîcheur des brises, au murmure de l'étang, sous les vignes, autour des pressoirs, le long des treilles chargées de grappes qui couvraient et revêtaient les murailles, imaginant peut-être, aux pieds des monts Pentlands et dans ces rudes climats où elle allait vivre, d'autres amours pour se consoler de l'amour.

Fontainebleau est l'Alhambra des Valois.

Cette race de rois légère et corrompue, en qui coulait comme d'une double source le sang français et le sang italien, entremêlait l'histoire au roman, et la chevalerie au génie. La France, sous cette dynastie, fut une Rome pour la guerre et le droit, une Athènes pour l'art, une Cordoue, une Grenade pour la fantaisie. Le duc François de Guise et l'amiral de Coligny, Cujas et l'Hospital, sont les contemporains de Jean Goujon, de Jean Cousin, de Germain Pilon, de Philibert de Lorme et de Serlio. Les batailles des glorieux chefs du catholicisme et du protestantisme, les œuvres du grand jurisconsulte et les ordonnances de l'austère chancelier, ont à peu près la même date que les Tuileries, le vieux Louvre, Anet, Fontainebleau, Chambord, et les plus exquis tombeaux de Saint-Denis. La barbarie des mœurs, un goût étrange de gibets et de tortures déshonoraient tant de nobles instincts, tant d'élégance et de courage. Même avant les horreurs de la guerre civile, Henri II assistait avec Diane de Poitiers, par manière d'amusement, au supplice qu'on appelait estrapade, et qui consistait, chose effroyable ! à suspendre de malheureux protestants au-dessus d'un bûcher, à les plonger et à les replonger dans les flammes jusqu'à la mort.

Telle était cette dynastie, cette cour, cette civilisation, ce siècle, qui rayonnaient et fleurissaient dans le feu, dans les larmes et dans le sang.

De retour à Paris, Marie Stuart visita d'abord Catherine au château des Tournelles. Athée et florentine, la fille des Médicis était née pour l'intrigue italienne ; mais l'intrigue était insuffisante à gouverner des partis fanatiques et les hommes de fer qui les dirigeaient. Catherine craignait ces hommes et ils la méprisaient. Car la politique était sérieuse pour eux, et pour elle la politique n'était qu'un jeu. Elle louvoyait donc et ne régnait point. Son influence cependant fut profondément humorale. Elle ne connaissait ni loi, ni scrupule, ni pitié. Son sein avait enfanté Charles IX, Henri III, Marguerite de Navarre, le crime et la débauche ; sa main empoisonnera en offrant des parfums, sa bouche sourira en ordonnant la Saint Barthélemy. Femme d'une scélératesse blasée chez qui l'organe du cœur n'existait pas, et qui, pour la postérité, reste une énigme de calcul, d'embûches et de vices ! Marie Stuart haïssait instinctivement la reine mère et elle la dédaignait un peu, ne la trouvant pas d'assez bonne maison. Elle ne vint donc au château des Tournelles que par bienséance. Catherine reçut bien la reine d'Écosse et lui proposa de l'accompagner au Louvre, où Marie logeait. Marie s'inclina et céda partout le pas à la régente. Sa fierté gémit de cette dégradation que lui imposait la fortune et qu'aggravaient les caresses cruellement hypocrites de son ennemie. Catherine se vengeait. Ces deux femmes hautaines se rappelaient une autre époque. Le soir même de la mort de Henri II, Catherine s'était effacée devant cette jeune rivale qu'elle humiliait maintenant. Sur le point de sortir en carrosse avec le roi François II et Marie Stuart, Catherine s'était arrêtée tout à coup, et, l'esprit présent au milieu de sa violente douleur, elle avait dit à Marie Stuart : Montez madame, montez ; c'est vous qui êtes la première.

Marie était redevenue la seconde, et son orgueil ulcéré lui faisait sentir, malgré son goût pour la France, la nécessité du départ.

Elle ne s'y prépara pas seulement par des regrets et des rêveries, mais par de longues et sérieuses conversations avec MM. de Martigues, de la Brosse et d'Oisel, qui connaissaient à fond les affaires de l'Écosse, où ils avaient résidé comme ambassadeurs pendant les troubles de la régence.

Marie Stuart s'arracha enfin au seuil du Louvre. Le roi, la reine mère, le duc d'Anjou, le roi de Navarre et son frère le prince de Condé, MM. de Guise et les plus grands seigneurs de la cour, l'accompagnèrent jusqu'à Saint Germain en Laye. Ses oncles se mirent à la tête du cortège qui la conduisit à Calais. Ce cortège était illustre et brillant. Tous les plus braves et les plus nobles gentilshommes de France se rangèrent autour de la plus belle des reines et des femmes. Plusieurs étaient blessés d'amour, le fils du connétable de Montmorency, le maréchal Damville, surtout. On citait de lui un trait héroïque et touchant. Un jour, dans une des mêlées si fréquentes entre les deux partis qui divisaient la France, les catholiques et les protestants, Damville se défendait et attaquait tour à tour. Il avait besoin de toutes ses forces. Soudain, tout en brandissant son épée, il se baisse, au risque d'être tué cent fois, afin de ramasser un fichu de soie de Chypre qui avait touché le beau cou de Marie et qu'elle s'était laissé dérober.

Un gentilhomme de la suite du maréchal, Chastelard, petit-neveu par sa mère du chevalier Bayard, était aussi éperdument épris de la reine d'Écosse. C'est Damville qu'elle aimait, et qu'elle eut épousé ; mais il était marié. On accusa la reine d'avoir conseillé au maréchal d'empoisonner sa femme pour faire disparaître tout obstacle entre eux. Cette première accusation n'a jamais été prouvée, et l'histoire l'écarte comme une calomnie.

Marie Stuart, voyageant à petites journées, arriva à Calais au commencement du mois d'août 1561 avec son escorte de princes et de chevaliers.