LE SIÈGE DE BITCHE

6 août 1870 – 27 mars 1871

 

PAR ACHILLE-JULES DALSÈME

PARIS - E. DENTU - 1875.

 

 

PROLOGUE.

CHAPITRE PREMIER.

La vallée d'Alsace. — Bitche dépendance du duché de Lorraine. — Autrefois et aujourd'hui. — La Cense aux Loups et la Ferme du Hasard. — De la déclaration de guerre (15 juillet 1870) à la levée du camp du 5e corps. — Le Commandant de place Teyssier. — Premières heures. — Provisions et armements.

CHAPITRE II.

Les éclaireurs du 7 août. — Reconnaissances ennemies. — Conseil de défense. — Canonnade. — Les ripostes du château. — Prisonniers Allemands. — Nos piétons. — Ordre de la place. — Leurs parlementaires. — Lettre du commandant en chef bavarois. — Propositions repoussées.

CHAPITRE III.

Deuxième canonnade. — Ironie du destin. — Nouvelles ouvertures du colonel Kollermann. — Préparatifs de résistance. — Les hauteurs. — Où est l'ennemi ? — Les sorties du 1er et du 3 septembre. — Soupçons d'espionnage. — Un souvenir de 1793. — Traître puni. — Mystère dévoilé.

CHAPITRE IV.

Troisième canonnade. — Le bombardement. — Nos artilleurs. — Le capitaine Jouart, le commandant Bousquet et le capitaine Guéry. —Le feu au fort. — Poudrières. — L'incendie de la cité. — Départ des impotents. — Du 11 au 20 septembre. — La fournaise. — Commission municipale. — M. Lamberton. — La population et l'armée. — Traits de bravoure. — Le fond du sac.

CHAPITRE V.

Dix mille assiégeants et vingt mille obus. — Après dix journées. — Offres et demandes. — Les privations. — Audace campagnarde. — L'homme au sel. — Entreprise de ravitaillement. Un complot heureux. — La franc-maçonnerie du patriotisme. — Patrouilles déçues. — La porte de Phalsbourg.

CHAPITRE VI.

Octobre. — Petites expéditions. — Avantages et inconvénients. — La défensive. — Le Hohekopf. — Sinistres rumeurs. — Autre parlementaire. — Aubaines — Les roueries de la poste aux lettres. — Nos envoyés secrets — Une folle. — Faux cuirassier. — Exécution.

CHAPITRE VII.

Continuation du blocus. — La période d'observation. — Quartiers d'hiver. — Le capitaine Morlet et son détachement. — Tristes nouvelles du dehors. — Situation critique. — Plus d'argent ! — Le lieutenant Mondelli. — Un montagnard des Vosges. — Mission verbale. — Sottise tudesque. — Entre Bitche et Tours. — Les pérégrinations du comte de Drée. — Le rapport de l'émissaire.

CHAPITRE VIII.

Le 54e régiment de marche. — Cartouchières, ceinturons et képis. — Un air de Béranger. — Ceux qui s'en vont. — La garnison de Bitche à la fin de novembre. — Un trésor. — La solde des douaniers. — Décembre 1870 et janvier 1871. — Journaux en fraude. — Accablement.

CHAPITRE IX.

L'alerte du 1er février. — Une dépêche de l'ennemi annonce l'armistice. — Omission. — Respect à la loi. — Froids rigoureux. — Voyage à Paris. — Une lettre du ministre de la guerre. — Sauf-conduit. — Correspondance inutile. — Le postscriptum de Ferrières. — Journée du 15 mars. — L'honneur du drapeau.

CHAPITRE X.

Troisième sommation. — Branle-bas de combat. — Négociations. — Rupture et reprise des pourparlers. — Le dernier ordre de la place. — Convoi du 27 mars. — Les adieux. — Évacuation. — Les martyrs du devoir. — Conflit entre vainqueurs. — Catastrophe du Bahn-Stein. — Le passé et l'avenir.

 

 

PROLOGUE.

 

La France mutilée subissait la loi du plus fort ; accablés sous le poids du présent, incertains de l'avenir, à peine, à travers les brumes sanglantes qui voilaient l'horizon, osions-nous sonder l'immensité du désastre. Nous étions à une de ces heures où l'on désespère de tout, même de la patrie.

A cette heure sinistre, cependant, seule au milieu de la tourmente et de l'effondrement, Bitche, épave glorieuse échappée au naufrage, Bitche donnait au monde l'exemple de ce que peuvent, pour le salut d'un peuple, le sentiment du devoir, le respect du drapeau, le culte de l'honneur.

Au milieu du glas de nos défaites, ce simple nom : Bitche, résonne comme un coup de clairon.

Sedan, la Révolution, la chute de Metz, la reddition de Paris, l'armistice, la conclusion de la paix, toutes les rumeurs qui accompagnaient ces événements, tous les commentaires qui en étaient la suite, étaient venus se briser contre le stoïcisme des défenseurs du dernier rempart de nos frontières.

Quand Bitche a ouvert ses portes, il y avait deux mois déjà que l'armistice était signé, un mois bientôt que l'Assemblée nationale avait ratifié les préliminaires de paix.

Parmi les prescriptions relatives aux places assiégées, il en est une qui ordonne aux chefs et à leurs troupes de rester sourds aux nouvelles du dehors. Pour avoir su, sans tergiversations, sans compromis d'aucune sorte, s'incliner devant cet article d'un règlement, Bitche, pendant huit mois, a défié la Prusse : pour avoir, sans arrière-pensée et sans calcul, obéi aux seuls principes dont doivent s'inspirer des âmes droites, ses défenseurs ont conquis une place à part dans les annales de la guerre de 1870-1871.

Cette lutte, accompagnée de tant de faiblesses, fut aussi l'aurore de plus d'un haut fait.

Malheureusement, combien de dévouements oubliés ou méconnus !

Toul, Montmédy, La Fère, Mézières, Lichtemberg, Shlestadt, dont le Conseil d'enquête sur les capitulations rapportait la belle défense, étaient cités fièrement ; on dévorait les récits des chefs rendant hommage aux combattants qui s'étaient distingués sous leurs ordres.

Mais les batailles qui n'avaient pas encore leurs narrateurs officiels ? Mais les forteresses qui, n'ayant point capitulé, échappaient aux appréciations du Conseil ? Pour celles-là, le temps seul pouvait dissiper les doutes.

Le temps a accompli son œuvre : on sait aujourd'hui comment une citadelle laissée presque sans ressources a résisté aux plus effroyables épreuves ; comment, exemple unique dans cette guerre unique, elle a, livrée à sa propre initiative, réussi à accroître ses moyens de défense et ses approvisionnements ; comment, quand le pays désarmé par un protocole de paix fléchissait devant le vainqueur, elle bravait encore, elle chétive, l'orgueil du conquérant ; par quelle série, enfin, d'incroyables conjonctures, oubliée dans la convention d'armistice, exclue par un vice de forme des préliminaires approuvés par l'Assemblée, Bitche n'a vu le drapeau national cesser de flotter sur ses murailles que le 27 mars 1871, après une résistance de deux cent trente jours !

En racontant Bitche, celui qui écrit ces lignes s'est consolé d'avoir raconté Metz.

 

C'est Metz, au surplus, qui a fourni à l'auteur l'occasion de connaître la vérité sur Bitche.

Il se livrait, dans une feuille très répandue, à une étude que la sympathie des lecteurs accompagnait ; des communications lui parvenaient, les unes confirmant des faits à sa connaissance, les autres apportant des indications nouvelles, étrangères, parfois, à la question qu'il traitait.

Parmi les renseignements qui nous étaient ainsi adressés, figuraient des traits de dévouement, de valeur militaire ou de vertu civique, évidemment destinés à faire, — sous forme de digressions, — ressortir davantage la culpabilité du commandant en chef de l'armée du Rhin.

Mais, outre que des digressions n'eussent pu qu'entraver la marche d'un tel récit, les faits signalés méritaient, en bien des cas, mieux qu'une allusion rapide ou une mention forcément tronquée.

Et puis, a un écrivain qui se pique d'être exact, est-il permis d'accepter les yeux fermés des rapports de toutes provenances ? La vérité veut être puisée aux sources mêmes, et l'on y doit consacrer un temps et des soins dont il est impossible de disposer quand d'autres devoirs absorbent l'attention. Il fallut donc attendre.

 

Notre publication sur Metz terminée, nous relûmes les notes dues à la bienveillance de nos correspondants. Au nombre de ces derniers, un officier distingué que nous avions eu l'occasion de rencontrer chez un ami commun, écrivait : Je regrette de n'avoir pas eu plus tôt la pensée de vous entretenir de la défense de Bitche, inconnue jusqu'ici de tous pour des motifs qui, probablement, seront dévoilés plus tard. Que de rapprochements n'eussiez-vous pas mis en lumière ! Sans doute, le sergent-major Bœltz a fait preuve de beaucoup d'énergie et d'intelligence à la Petite-Pierre ; le lieutenant-colonel Taillant a montré, à Phalsbourg, ce que valent les soldats qui ont blanchi sous le harnais ; le colonel Denfert a écrit, avec Belfort, sa page dans l'histoire. Mais Bitche, insouciante ou redoutant les ordonnances militaires, n'a pas encore fait entendre sa voix. C'est pourquoi nul ne paraît se douter que, dans notre malheureuse guerre, une seule place a survécu, une seule a réalisé ce miracle, étant laissée à elle-même, d'augmenter ses ressources, après avoir supporté trois bombardements. L'on devine si ce début excita nos appétits de chercheur.

Après le don divin d'inspirer les actions d'éclat et la gloire de les accomplir, est-il un rôle plus tentant que celui de les révéler au monde qui les ignore ?

D'autres, plus autorisés, eussent pu faire mieux. Le hasard nous favorisait. Nous renouâmes nos rapports avec l'officier de Bitche ; nous causâmes longuement de ce siège auquel il avait pris une part glorieuse : nous le laissâmes causer, plutôt, n'interrompant son récit que par les exclamations involontaires qu'appelaient les tableaux déroulés devant nos yeux.

 

Enfin ! dans cette campagne néfaste où le moindre succès était acheté au prix de terribles revers, il se trouvait donc plus d'une page vierge de souillure !

Un coin de notre France demeurait immaculé ; une citadelle que le destin avait marquée d'avance pour le sacrifice suprême était restée debout et invaincue, alors que tout autour d'elle un passé orgueilleux s'écroulait avec fracas.

Comme s'il eût été écrit que notre armée entière devait avoir sa part dans cette résistance, Bitche s'était trouvée défendue par des fractions de troupes appartenant à soixante-douze corps différents.

 

Certains documents faisaient défaut à notre narrateur ; nous nous les procurâmes. Le dossier de Bitche reconstitué, force était de dépouiller, classer, coordonner les pièces, après un contrôle attentif des faits. Plus nous avancions dans notre besogne, plus nous nous passionnions pour cette admirable épopée. Il est impossible, nous disions-nous, qu'un tel souvenir demeure éparpillé, sous forme d'archives, dans la poussière de quelques cartons ; pour l'honneur de l'histoire, il faut qu'il voie le jour !

Voilà par quel enchaînement de circonstances fut publié, dans un journal, d'abord, le récit de ce siège de huit mois, — récit que nous avons considéré comme un devoir de réunir en ce petit volume, dont nous offrons aujourd'hui au lecteur une nouvelle édition soigneusement corrigée.

 

L'AUTEUR.

Paris, 13 juillet 1881.