LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HONDSCHOOTE

 

CHAPITRE II. — KILMAINE.

 

 

I. L'armée après le départ de Custine. - Proclamation des représentants. - Revue des troupes et acclamations en faveur de Custine. - Harangue de Delbrel. - Desacy au camp. - Disposition des soldats. - Le club de Cambrai. - Lespomarède. — II. Kilmaine. - Situation alarmante des troupes. - Destitutions et suspensions. - Lamarche ; Le Veneur ; D'Hangest, etc. - Les commandants de forteresses, Tourville, Rosière, Gobert, Lapalière, Neyrod. - O'Moran, Richardot et Jouy. - Sentiments des officiers et des généraux. - Le chef d'état-major Thüring. - Découragement. — III. Plan de Cobourg et de Hohenlohe. - Colloredo. - Clerfayt et Alvintzy. - La colonne de York. Conseil de guerre de Cambrai. - Retraite sur Arras. - Dispositions de Kilmaine. - Affaire de Marquion (8 août). - Panique du gros de l'armée. - Fautes des alliés. - Kilmaine au camp de Gavrelle. - Sa suspension. - Le général Barthel. - Lettres de Kilmaine et accusations portées contre lui.

 

 

I. Custine, mandé à Paris par le Comité de salut public, avait quitté Cambrai le 16 juillet. Dufresse, chargé par Bouchotte de sonder les esprits, prétend que ce départ ne produisit aucun effet, que tout demeura silencieux et que nul sentiment ne se manifesta[1]. Mais Custine était aimé du militaire. Dans le premier transport de leur colère, des bataillons avaient déchiré ou brûlé les numéros du Père Duchesne qui le diffamaient, et ils déclaraient hautement qu'il était un brave homme, qu'il réorganisait l'armée, qu'il lui redonnait le courage et la vigueur[2]. Un soldat du nom de Francœur, répondait au journaliste Laveaux, l'un des plus implacables adversaires du général Moustache, que les troupes, lasses de leurs retraites, accablées de leurs défaites, soumises aux plus cruelles épreuves, ne désiraient que la discipline, unique cause de leurs revers, et que puisque Custine leur avait rappris la discipline et fourni les moyens de vaincre, elles lui resteraient dévouées, malgré les clameurs et les délations[3]. Davout, commandant du 3e bataillon des volontaires de l'Yonne, louait non seulement les talents de Custine, mais son républicanisme, et se rendait caution de sa loyauté[4]. Les officiers de l'état-major et les généraux Le Veneur, D'Hangest, Sabrevois, Baussancourt, Desponchés ne cachaient pas l'estime et le respect qu'il leur inspirait. Quelques-uns travaillaient l'armée. insinuaient que le camp de César devait écrire à la Convention et redemander son chef. D'autres disaient que c'était une infamie d'appeler Custine à Paris ne fût-ce que pour trois ou quatre jours, dans l'instant du plus terrible péril, lorsque tonnait au loin la canonnade, lorsque Valenciennes envoyait peut-être à l'Autrichien ses derniers boulets. D'autres affirmaient qu'il serait dédommagé de son voyage et reviendrait avec des pouvoirs illimités, que le peuple de Paris l'acclamait, le portait en triomphe de la Convention à la rue Saint-Martin[5].

Soudain éclata la nouvelle de l'arrestation de Custine. L'état-major fut déconcerté, et les agents ministériels mandaient qu'il ne savait plus quelle contenance faire. L'armée avait la même surprise, le même saisissement, et les représentants Delbrel, Le Tourneur et Levasseur, voyant que la sensation était grande, résolurent de parcourir les camps, tant celui de Paillencourt que les petits camps ou, comme on les nommait, les camps flanqueurs, pour empêcher les malintentionnés d'égarer l'opinion et de produire un mouvement[6].

Les soldats se rassemblèrent par brigades, en bataillon carré, sans armes, sur le front de bandière. Les commissaires, accompagnés de Kilmaine et des généraux, et entourés de tout l'appareil de la représentation nationale, lurent une proclamation conforme aux circonstances. Ils engageaient l'armée à rester dans l'ordre et l'obéissance, lui assuraient que Custine était gravement inculpé et serait prochainement jugé, mais que s'il prouvait son innocence, il rentrerait au camp de César et que ses dénonciateurs seraient punis. Le cri de Vive la République termina leur harangue. Les troupes le répétèrent froidement et sans enthousiasme. Une morne tristesse s'était emparée d'elles. Les uns demandaient en donnant des marques d'abattement et de consternation : Serons-nous donc trahis à chaque instant en face de l'ennemi ? Les autres regrettaient Custine, et des soldats, des officiers crièrent aux représentants : Vive Custine ! Qui vous dit que nous aurons confiance dans un nouveau chef ?[7]

Parmi les troupes de ligne, le 72e régiment d'infanterie et le 6e régiment de cavalerie montraient le plus de mécontentement. Mais des bataillons de volontaires se plaignaient également de l'arrestation du général. C'étaient les bataillons bretons, encore dévoués de cœur et d'âme, comme leurs départements, au parti de la Gironde. Les représentants avaient lu leur proclamation au milieu d'un carré formé par le 22e régiment et le 1er bataillon d'Ille-et-Vilaine. Le 22e cria : A bas la noblesse ! plus de nobles pour nous commander ! Mais les volontaires d'Ille-et-Vilaine, officiers et soldats, répliquèrent avec fureur : Nous voulons Custine ! Sans Custine, point d'armée ![8]

Delbrel prit la parole. Quoi, dit-il, seriez-vous assez lâches pour abandonner la défense de la patrie, vous, Bretons, vous qui, les premiers, levâtes l'étendard de la Révolution ! Ne préjugeons rien sur la culpabilité du général Custine ; reposons-nous sur la justice de la Convention nationale. Si Custine est innocent, il vous sera rendu ; s'il était coupable, voudriez-vous devenir les complices ou les instruments des trames qu'il a ourdies ? N'avez-vous pas été plusieurs fois déjà victimes de la perfidie de vos chefs ? Les exemples en sont trop funestes et trop récents pour être effacés de votre souvenir. A Dieu ne plaise que je veuille affaiblir en vous l'esprit de subordination nécessaire dans une armée ! Vous devez obéissance et respect à vos généraux, aussi longtemps qu'ils conservent la confiance du gouvernement. Mais, lorsque des préventions s'élèvent contre eux, il est du devoir du gouvernement d'examiner scrupuleusement leur conduite. La Convention nationale que l'expérience du passé a rendue ombrageuse, devait-elle attendre qu'un chef devenu suspect eût accompli ses premiers desseins, qu'il eût livré nos places, qu'il nous eût livrés à un massacre inévitable, pour lequel tout eût été concerté et disposé d'avance entre lui et nos ennemis ? Votre vie est précieuse à la patrie, et c'est pour ménager votre sang que la Convention nationale ne veut laisser à votre tête que des hommes dont la fidélité lui soit parfaitement connue. La surveillance qu'elle exerce et la sévérité qu'elle déploie ne devaient vous inspirer que de la reconnaissance. Comment se fait-il qu'elles soient aujourd'hui pour vous un motif de rébellion ? Quel est votre égarement ? Voulez-vous faire triompher nos ennemis, vous qui criez si fort : point de général, point d'armée ! N'est-ce pas un général, n'est-ce pas un chef digne de votre estime, celui que nous vous proposons au nom de la Convention nationale ? Le général Kilmaine, combat depuis longtemps à votre tête ; vous avez été souvent à même d'apprécier ses talents et son intrépidité. En vous donnant aujourd'hui un chef digne de vous, nous espérons trouver en vous une armée digne de la République.

 

Cette harangue produisit quelque impression sur le grand nombre. Mais plusieurs volontaires et surtout des officiers poussèrent encore des clameurs séditieuses : C'est Custine qu'il nous faut ! Les représentants pouvaient user de sévérité, punir les plus mutins et statuer un exemple. Ils firent semblant de ne rien entendre : ils savaient que le temps et la réflexion ramèneraient le soldat à des sentiments plus calmes. Nos discours et nos proclamations, mandaient-ils au Comité, maintiennent le bon ordre, et ils priaient leurs collègues de publier au plus tôt les preuves du crime commis par Custine[9].

Pendant que Delbrel, Le Tourneur et Levasseur parcouraient le camp à cheval, en costume, avec leur escorte et toutes les marques distinctives de leur mission, le représentant Desacy faisait sa tournée à, pied sans autre suite qu'un secrétaire et d'autre insigne que le plumet de son chapeau. Les soldats, voyant qu'il n'avait près de lui ni généraux ni officiers, causèrent librement sans gêne ni contrainte. Les volontaires se soumettaient volontiers aux décisions de la Convention nationale. L'Assemblée, disaient-ils à Desacy, a bien fait de ne pas nous renvoyer Custine, puisqu'il est suspect. Quel que soit le successeur qu'on lui donne, nous lui obéirons, nous le suivrons partout où il nous conduira. Un seul volontaire, jeune, presque enfant, remarqua : Et notre général Custine ? Est-ce que nous ne le reverrons plus ? Mais ses camarades lui répliquèrent : Tais-toi, la Convention sait mieux que toi ce qu'il nous faut. La Convention était en effet l'idole de la plupart des volontaires. Ils approuvaient tout ce qu'elle décrétait. Nos législateurs, écrit un Corrézien, travaillent journellement au bien public ; quiconque attaque la Convention, attaque l'armée républicaine ; Custine était très aimé ; mais s'il est innocent, il triomphera de ses ennemis ; s'il est coupable, qu'il périsse, le traître !

Le lendemain, Desacy s'arrêta de préférence aux habits blancs. Les soldats des vieux régiments n'acceptaient pas les décrets de l'Assemblée aussi docilement que faisaient les volontaires ; mais ils n'eurent pas une parole de rébellion. Tous désiraient connaître les griefs du Comité de salut public contre Custine et disaient à Desacy : Si Custine est coupable, qu'on le punisse ; s'il est innocent, qu'on le renvoie. Plusieurs, mais en petit nombre, ajoutaient : Ou qu'on nous donne un général qui ait autant de talents que lui[10].

Quelques jours plus tard, le 9 août, Bentabole et Levasseur visitaient le camp de la Madeleine, sous les murs de Lille. Les bataillons qu'ils haranguèrent, leur répondirent par les cris de Vive la République, vivent les représentants. Des soldats sortirent des rangs pour se plaindre de la trahison des généraux et prier les commissaires de purger l'armée. Leur seule idée, attestent les deux conventionnels, c'est d'être bien commandés et conduits[11].

Les esprits, d'abord animés contre la Convention et favorables à Custine, tournèrent donc peu à peu. Celliez et Varin, agents du pouvoir exécutif, s'efforçaient, comme les représentants du peuple, de patriotiser l'armée. Ils appelaient les militaires aux séances du club de Cambrai, un des clubs les plus enragés de France, et qui proposait naguère de nommer le camp de César camp de la République. Là, Celliez lisait, aux applaudissements de l'assistance, le numéro du Père Duchesne où Hébert déclarait traîtres tous les aristocrates et jurait de crier et de tempêter tant que la Convention n'aurait pas ôté le commandement au ci-devant Custine qui méditait de livrer Lille aux Impériaux[12]. Une fois, deux soldats défendirent le général : le premier criait Vive Custine et le second s'étonnait que les chefs de l'armée fussent dénoncés tous les jours. Mais Celliez et Varin ripostèrent aisément aux deux avocats de Custine : les troupes de ligne, écrivaient-ils à Bouchotte, pouvaient être un instant égarées par leurs officiers, mais cette erreur ne serait que passagère[13].

Lespomarède, naguère capitaine des douanes à Delle, sur la frontière du Haut-Rhin, et depuis quelques semaines adjudant général, secondait Celliez et Varin. Le ministre de la guerre l'avait chargé de recueillir à Cambrai les fugitifs de Neerwinden. Mais Lespomarède était resté dans la ville sous le titre de commissaire national pour enflammer le patriotisme de la garnison. Il aimait ce rôle d'instructeur civique et proposait sérieusement à la Convention d'attacher à chaque armée de semblables émissaires qui ne cesseraient d'éclairer les soldats et de surveiller les Officiers[14]. Après l'arrestation de Custine, il déploya tout son zèle de prédicant et, avec plus d'ardeur que jamais, exposa dans les séances du club les vrais principes de la sans-culotterie. La tranquillité, disait-il à Bouchotte le 26 juillet, règne dans l'armée ; malgré l'aristocratie qui a voulu crier que sans Custine tout était perdu, le soldat n'a été pénétré que de respect pour la loi[15].

 

II. Charles-Edouard Jennings de Kilmaine — dont le nom est bizarrement orthographié dans les lettres et les journaux de l'époque Kilmene, Killermaine, Kuillemaine, Killemann, Killemain, Guillemin, Guillen et Culman — était né à Dublin, le 19 octobre 1751, et apparenté à la famille des Jennings, de Kilmaine, dans le comté de Mayo. Il vint en France à l'âge de onze ans et vécut quelque temps à Tonnay-Charente où son père exerçait la médecine. En 1774, il s'engageait dans le régiment de Royal Dragons. Quatre années plus tard, il était adjudant aux volontaires étrangers de la marine et prenait part en cette qualité à l'expédition du Sénégal. Mais c'est au 6°hussards, ci-devant Lauzun, qu'avant de s'élever aux hautes dignités de l'armée, il fit, à proprement parler, plus sa carrière de soldat. Sous-lieutenant et remarqué en Amérique par Mathieu Dumas qui louait sa vigueur et son jugement, lieutenant, capitaine, il dirigea durant neuf ans le manège et la petite guerre au régiment de Lauzun, et ce fut lui qui, à Metz, enseigna les nouvelles manœuvres aux détachements des six régiments de hussards. Il se distingua dans l'Argonne, et son escadron, pénétrant par Marcq au travers de la forêt, en des endroits où jamais cheval n'avait passé, allait jusqu'à Grandpré et Buzancy, harceler les Prussiens et couper leurs convois. Beurnonville assurait qu'on ne pouvait être plus adroit, plus ferme, plus intelligent que cet excellent capitaine. Dumouriez le nommait le brave Kilmaine, un des hommes les plus expérimentés de l'armée de Belgique, et témoignait qu'à Jemappes il avait, en couvrant la trouée laissée par la brigade Drouet, rendu les mêmes services que le fameux Baptiste et que le duc de Chartres, et sauvé le centre de la ligne d'infanterie. Nommé lieutenant-colonel après Jemappes, Kilmaine obtint l'année suivante, dans l'espace de cinq mois, les grades les plus éminents ; il était en janvier 1793 colonel, en mars général de brigade, en mai, général de division. Présomptueux, infatué de ses mérites, il se vantait de parler les quatre principales langues d'Europe aussi bien que le français, d'être le seul officier de la République qui pût produire les rapports les plus honorables sur sa conduite, et. à l'entendre, nul ne l'égalait à la tête d'un régiment de cavalerie, des troupes légères et de l'avant-garde. Mais il avait justifié ses rapides promotions par sa brillante valeur dans les bois de Raismes et de Vicoigne aux mois d'avril et de mai lorsque l'armée du Nord tenta de débloquer Condé. Le représentant Courtois le jugeait actif, entreprenant et difficile à remplacer en cas de malheur. Du Bois du Bais proposait au Comité de lui donner, à cause de ses talents et de son énergie, l'armée des côtes de La Rochelle. Le Conseil exécutif voulait, à la mort de Dampierre, lui confier l'armée du Nord. Kilmaine eut du moins la division ou armée des Ardennes qui n'existait pas, et qu'il créa, forma, organisa tant bien que mal dans le camp de Villy, près de Carignan. On lui sut gré du projet qu'il conçut, dans les derniers jours de mai, de tendre la main à l'armée de la Moselle et d'essayer de concert avec elle une puissante diversion dans le Namurois et l'évêché de Liège. L'opération n'eut pas lieu, sur l'ordre positif de Custine ; mais Kilmaine soutint qu'elle était possible et il se piquait, sans être un téméraire et encore moins un rêveur, de la mener à bonne fin. Son zèle lui valut les éloges des représentants Hentz et De La Porte. S'il n'avait pas, disait-il, assez de forces pour marcher en avant, il tâcherait de défendre efficacement la frontière de Longwy à Givet, et il fit quelques heureuses incursions en pays ennemi, décida de la victoire d'Arlon en dépêchant des secours à Delaage. Aussi, lorsque Bouchotte appela Custine à. Paris pour le destituer et le perdre, il chargea Kilmaine de commander provisoirement l'armée du Nord[16].

Kilmaine laissa sa division des Ardennes à Champollon et se rendit à Cambrai, le 15 juillet, pour y recevoir les instructions de Custine. Les difficultés qui l'entouraient ne parurent pas l'effrayer d'abord. S'il trouvait l'intrigue au plus haut point et croyait malaisé d'écraser cette hydre, s'il se plaignait de la désertion et annonçait avec-humeur qu'un adjudant-général et cinq sergents-majors du 47e régiment, ainsi qu'un officier, avaient passé dans le camp des alliés, n'importe, écrivait-il, cela ira, il faudra que ça aille ou que j'y perde la vie ! Il menaçait les traîtres qui s'agitaient dans Valenciennes : Nous rejoindrons ces lâches coquins et ils ne riront pas ; je vous le prédis et n'ai rien prédit en vain jusqu'à ce moment ; mes hussards me nommaient le prophète et l'heureux colonel ! Il prenait même en face des ennemis un ton singulier d'audace et de jactance. Cobourg lui réclamait un sous-lieutenant Lichtenhayn qui s'était enfui chez les Français après avoir volé le prêt. Kilmaine répondit au prince qu'il ne rendrait Lichtenhayn qu'en échange de Thouvenot, l'ancien chef d'état-major de Dumouriez : Thouvenot se trouvait à Leuze, à portée ; lui aussi était déserteur, lui aussi avait volé la caisse. Et les commissaires du pouvoir exécutif, Celliez et Varin, louaient ce style nouveau que les généraux français n'avaient pas encore employé ; à leur avis, une pareille lettre ne faisait qu'augmenter la confiance que leur inspirait Kilmaine[17].

Le ton de sa correspondance se modifia bientôt et dès le 28 juillet, il déclarait qu'il ne pouvait plus se charger du fardeau. Il demanda des renforts. Il demanda de l'artillerie légère pour suppléer au défaut de cavalerie[18]. Il demanda des lieutenants qui l'aideraient à s'acquitter de sa tâche. Nous sommes, disait-il, dans une extrême pénurie d'officiers généraux et le service en souffre extrêmement. Il ajoutait que, si Valenciennes capitulait, sa situation deviendrait critique ; le camp de César était excellent après la déroute de Famars et il avait alors sauvé l'armée ; mais, après la reddition de Valenciennes, il serait très mauvais ; il ne couvrait pas une grande étendue de frontière et, si l'armée y restait, les coalisés s'empresseraient de l'assiéger, de l'emprisonner, de se mettre entre elle et Cambrai. Son plan de retraite était déjà dressé. Il irait camper derrière les sources de l'Escaut, entre Honnecourt et le Catelet, dans une position avantageuse qu'il avait fait reconnaître par Coquebert de Montbret et qu'il avait vue de ses propres yeux : de la sorte, il ne cesserait pas de protéger la Sensée, l'Escaut, le canal de Palluel à Douai et il comptait par le canal de flottage qui va du Catelet à Bohain et par les bois qui se prolongent sur la droite jusqu'à la Sambre, garder ses communications avec Landrecies, avec Maubeuge, peut-être avec le Quesnoy.

Vint la prise de Valenciennes. Sans doute, remarquait Kilmaine, il eût fallu secourir la ville. Mais les moyens existaient-ils ? Etait-il possible d'agir sans cavalerie ? Qu'auraient pu 5.000 chevaux contre les innombrables escadrons autrichiens ? Les régiments de hussards et de dragons manquaient des objets indispensables. Les bataillons d'infanterie ne comptaient chacun que 400 hommes capables de tenir la campagne. Le 1er d'Ille-et-Vilaine avait juste 344 volontaires. Et les alliés approchaient, ces redoutables alliés qui faisaient la guerre avec plus d'habileté que l'année précédente, qui prenaient des places fortes pour appuyer leurs communications et assurer leurs subsistances, qui visaient à devenir le vrai possesseur despotique du territoire !

Gay-Vernon exhalait les mêmes plaintes. Lui aussi jugeait la situation désolante ; lui aussi demandait des secours, surtout en cavalerie, pour tirer les troupes de l'état de mollesse auquel elles étaient condamnées. Nous sommes bien pauvres, mandait-il à Bouchotte, et il affirmait que, sur toute la frontière, de Dunkerque à Carignan, la République n'avait au plus que 8.000 vigoureux défenseurs.

Comme Gay-Vernon et Kilmaine, les représentants trouvaient la situation de l'armée de plus en plus alarmante. Ils reconnaissaient que l'infanterie était en assez bon état et paraissait assez bien instruite. Mais la cavalerie demeurait nulle ; elle comptait six à huit mille hommes tant au camp de César que dans les places et elle devait en compter cinq à six mille de plus. Des corps nouvellement formés ne manquaient de rien, tandis que de vieux régiments n'avaient ni chevaux ni armes. 400 hussards de Chamborant n'étaient ni montés ni équipés. Et les représentants s'en prenaient à Bouchotte .et à la Convention. Pourquoi le ministre ne fournissait-il pas les selles, les sabres et les pistolets ? Pourquoi l'Assemblée n'avait-elle pas, en décrétant la levée de 30.000 cavaliers, prescrit la levée des chevaux et le mode d'opération ? Pourquoi n'envoyait-on pas au camp de Paillencourt les chevaux de luxe réquisitionnés ?

Du Bois du Bais avait perdu toute confiance dans les troupes. Ce qui arrive aujourd'hui, écrivait-il, n'est arrivé dans aucun temps, et il déclarait qu'à la moindre terreur les soldats se débarrassaient de leurs armes. Il avait vu des fuyards qui n'étaient pas poursuivis, jeter presque sous les murs de Maubeuge le fusil qu'ils auraient pu conserver sans inconvénient. Les Français, concluait-il avec tristesse, regardaient autrefois comme un déshonneur d'abandonner leur drapeau ; aujourd'hui ils s'en font un jeu, et il rappelait amèrement que les rebelles de la Vendée qui n'avaient d'abord que des bâtons, disposaient maintenant de carabines et de pièces d'artillerie qu'ils avaient prises aux républicains[19].

Au même moment le ministre achevait de désorganiser l'armée, du moins pour quelques jours, en frappant à coups pressés dans les rangs de l'état-major. Les généraux de division Lamarche, Le Veneur, d'Hangest, Sabrevois, les généraux de brigade Baussancourt, Desponchés, Kermorvan, Devrigny, le chef de l'état-major Des Bruslys, les adjudants généraux Chérin et d'Ardenne furent suspendus de leurs fonctions. Ils étaient victimes de Celliez, de Varin et de Defrenne. Ces trois commissaires du pouvoir exécutif, et particulièrement Celliez, les avaient dénoncés à l'administration de la guerre, et Bouchotte les était à l'armée parce que Celliez les lui désignait et les notait comme des suspects, justement suspects, et plus que suspects, comme des gens qui tenaient une conduite incivique et qui devaient être proscrits, puisque leurs intérêts différaient essentiellement des intérêts de la sans-culotterie. Nous sommes trahis, avait écrit Celliez le 15 juillet, et l'ennemi connaît toutes nos démarches. Que ces hommes disparaissent enfin ! Quoi ! des nobles, des complices de Dumouriez, des biribis, des ignares, des intrigants de toute espèce, sans talents et sans vertus, à la tête des soldats républicains ! Et Bouchotte suspendait, suspendait. Tous les officiers que dénonçait Celliez, venaient à Paris rendre compte de leurs actes[20].

Lamarche était condamné depuis l'affaire du camp du Famars. Il est, disait Delacroix, inepte ou traître, et un officier mandait aux Jacobins de Paris que ce soudard était d'autant plus dangereux que son obscurité le mettait à l'abri de l'animadversion publique, 'qu'il était en réalité le plus astucieux des conspirateurs, qu'il avait opéré la plus honteuse retraite, et que Cobourg s'étonnait sûrement qu'un pareil anthropophage eût échappé à la guillotine. Celliez et Varin le qualifiaient d'ivrogne parfait et l'inculpaient nettement de trahison ; il fallait, marquaient-ils à Bouchotte, en purger l'armée, et ils rapportaient avec un sentiment d'indignation qu'il était, depuis l'arrestation de son ami Custine, plus taciturne et plus sombre que jamais[21].

Le Veneur avait donné de l'ombrage dès l'année précédente, et s'il avait fait les campagnes de l'Argonne et de la Belgique, on n'oubliait pas qu'il s'était, au 10 août 1792, déclaré pour Lafayette et qu'il engageait ses chefs de bataillon à rétablir le roi et à marcher contre Petion et Paris. Bouchotte n'avait pas caché sa surprise lorsque les représentants confiaient à ce général le commandement du camp de Paillencourt pendant que Custine parcourait les places de la Flandre. Mais Celliez ne manqua pas d'attiser la colère du ministre ; il accusa Le Veneur de loger au village d'Abancourt chez un parent de Calonne, royaliste avéré, dont les deux fils, l'un officier, l'autre chanoine, avaient émigré. Ernouf, alors adjudant-général et naguère quartier-maitre du 1er bataillon de l'Orne, incriminait Le Veneur plus gravement encore : sous l'ancien régime, disait Ernouf, Le Veneur était détesté des soldats ; retiré dans sa terre de Carrouges, il avait su se faire élire procureur-syndic du département de l'Orne, mais bientôt perçait le bout de l'oreille ; les patriotes, fatigués de ses menées, lui administraient à la fête du 14 juillet une volée de coups de bâton, et il fallait, pour le sauver, le couvrir de la bannière fédérative. Et, ajoutait Ernouf, cet intrigant se transformait quelques mois plus tard en général ! Le Veneur fut suspendu. Il regimba, répondit que la patrie avait besoin de défenseurs et qu'il resterait à l'armée comme simple soldat. Outré, Bouchotte écrivit à Kilmaine que Le Veneur n'avait qu'à déférer aux ordres du Conseil exécutif et que, s'il refusait de quitter le camp, il devait être traduit devant une cour martiale. Mais déjà Le Veneur était sous les verrous ; il projetait de publier une adresse à ses concitoyens ; les représentants Levasseur et Le Tourneur, irrités qu'il désobéît au pouvoir civil et voulût notifier aux troupes sa désobéissance, le firent arrêter[22].

D'Hangest, Sabrevois, Des Bruslys, Baussancourt, Desponchés, Kermorvan, Devrigny, Chérin, d'Ardenne subirent le même sort.

D'Hangest était depuis longtemps accusé de professer des opinions anticiviques ; Dumouriez le nommait dans les premiers jours d'avril, commandant de Douai, et le ministre ne l'avait conservé que sur la proposition de Lamarche[23].

Sabrevois était, suivant le mot de Celliez, un autre d'Hangest[24].

Des Bruslys, dénoncé par Defrenne, par Celliez et Varin, par Vincent, par Billaud-Varenne et Niou, passait pour un aristocrate, un égoïste dangereux, et l'on disait qu'il n'avait aucune morale dans les principes, qu'il avait signé l'ordre atroce de faire fusiller le soldat, qu'il avait tout mis en œuvre pour livrer l'armée aux ennemis[25].

Baussancourt n'avait pas dissimulé son attachement à Custine[26].

Desponchés, ancien colonel du 19e régiment, ci-devant Flandre, était, selon l'expression de Celliez et de son collègue, un intrigant consommé et l'un des plus ardents adversaires de la Révolution[27].

Kermorvan, lui aussi, était un intrigant, et le complice de Lamarche ; Celliez et Varin prétendaient qu'il avait trahi la République au 23 mai en ouvrant le camp de Famars aux Impériaux, et Courtois ajoutait qu'il manquait de talents militaires et devait son avancement à ses liaisons intimes avec Dumouriez[28].

Devrigny était star, après la chute de Custine, de ne plus rester à. l'armée du Nord : il avait reçu du général et des représentants, malgré les plus vives objections du ministre, des pouvoirs illimités pour inspecter les corps de cavalerie. Aussi Bouchotte, Vincent, Ronsin l'avaient-ils accablé d'invectives ; on scrutait son passé, et si l'on reconnaissait qu'il avait provoqué la sédition de Belfort en 1790 lorsqu'il était porte-étendard aux hussards de Lauzun, on rappelait qu'il appartenait à la noblesse et brutalisait le soldat[29].

Chérin, ce Chérin que Dumouriez chargeait d'étouffer à. Sedan la rébellion de Lafayette, ce Chérin qui se prononçait avec fougue contre la défection de Dumouriez et que les représentants nommaient alors un patriote actif et intelligent, n'était plus aux yeux des agents ministériels qu'un petit intrigant et un contre-révolutionnaire parce qu'il avait arrêté Celliez et Compère au camp de César. N'a-t-il pas dit, écrivait Celliez, que, s'il en avait le pouvoir, au lieu de nous conduire à Cambrai et de nous enfermer dans la citadelle, il nous ferait pendre aussitôt ? Celliez l'accusait même de connivence avec l'ennemi : puisque Chérin dirigeait le service de l'espionnage, n'avait-il pas trouvé l'occasion de trahir la République[30] ?

Quant au collègue de Chérin, l'adjudant-général d'Ardenne, il avait fait, le 2 avril, arrêter Pille qui résistait à Dumouriez ; il avait pris la place de Pille à l'état-major ; il était en relations étroites avec Custine et Le Veneur[31].

Les commandants des forteresses n'étaient pas davantage épargnés, et Bouchotte les suspendait pour la plupart : Tourville à Maubeuge, Rosières à Douai, Gobert à Philippeville, Lapalière à Cambrai, Neyrod au Quesnoy, Kerenveyer à Dunkerque.

Le lorrain Chapuis de Tourville, volontaire à quinze ans, colonel du 18e régiment d'infanterie, ci-devant Royal-Auvergne en 1791, maréchal de camp en 1792 et lieutenant-général depuis le 8 mars 1793, avait, dès le premier instant, abandonné Dumouriez. Il maintenait l'ordre parmi les troupes de Maubeuge et déclarait qu'il ne souffrirait pas dans l'armée des gens sans frein. D'Harville le regardait comme un des meilleurs généraux de la République et le jugeait intelligent, dévoué à la patrie, toujours occupé des besoins du soldat et partageant leur peine, humain et compatissant autant que juste. Du Bois du Bais le défendait avec chaleur contre les attaques des émissaires jacobins ; il avouait que Tourville était sévère et que ce vieux militaire avait le caractère un peu rude et l'ancienne manie d'une discipline rigoureuse ; mais on n'aurait pu mettre, assurait Du Bois du Bais, plus de bonne foi, plus d'activité, plus de scrupule dans l'accomplissement de ses devoirs ; grâce à Tourville, la division de Maubeuge était extrêmement bien tenue, et le représentant invoquait le témoignage de Jourdan. Ce général plébéien ne proclamait-il pas que Tourville avait tant de zèle et de vigilance qu'on lui trouverait malaisément un successeur. ? Mais Tourville était noble ; il avait fait chasser de Maubeuge l'agent Defrenne qui répandait dans le camp retranché le Père Duchesne et le Journal de la Montagne ; il avait écrit que Hébert était évidemment payé par les ennemis pour désorganiser toutes choses ; il avait protesté contre le départ de Custine, le seul qui, suivant lui, eût réussi à dresser et à instruire l'armée du Nord ; il avait averti Bouchotte que les ci-devant qui restaient fidèlement à leur poste et que le ministre remplaçait par des ignorants, iraient peut-être porter chez les alliés leurs connaissances et leur ressentiment. Bouchotte saisit la balle au bond ; il envoya la lettre de Tourville au Comité : Voilà, s'écriait-il, ce que pensaient ces aristocrates qui envisageaient sans frémir l'instant où ils pourraient rejoindre Cobourg ! Tourville accueillit sa suspension avec sang-froid ; il fit de simples et touchants adieux à la division de Maubeuge, loua la subordination de ses soldats, leur ardeur, leur émulation et leur désir d'apprendre : Je vous exhorte, leur disait-il, à persévérer dans ces excellents principes, et la victoire couronnera vos travaux[32].

Rosières, chevau-léger de la garde, puis capitaine dans Fumel-cavalerie, avait cherché fortune en Hollande et aux Pays-Bas autrichiens. Lieutenant-colonel dans la légion de Maillebois et ensuite dans un corps de lanciers ou de uhlans levé par les patriotes contre le stathouder, général-major de l'armée belge et l'un des coopérateurs de Van der Mersch en Flandre et à Namur, capturé par les Impériaux et détenu pendant huit mois, il avait regagné la France lorsqu'éclata la guerre de la Révolution. Nommé maréchal de camp, il conduisit dans l'Argonne un corps de 1.100 Belges et il dirigeait à, Jemappes cette partie de l'aile droite qui emporta Quargnon. Il avait présidé le comité militaire de Bruxelles et tenté de former une armée belge dont il devait être le chef. En février 1793, il vint à la barre de la Convention offrir Bruxelles à la Franco et demander, au nom des représentants provisoires de la ville, que les dettes contractées avant l'annexion fussent payées en numéraire. Rentré an service de France après les revers et promu général de division, il avait mené la gauche de l'armée sous les ordres de Miranda. Il se vantait d'avoir entraîné du camp de Bruille à Valenciennes trente-six bataillons et sauvé la République dans ce moment critique. Mais on lui reprochait d'avoir hautement professé les opinions de Dumouriez, et l'on assurait, non sans raison, qu'il avait louvoyé dans les premiers jours d'avril et fait arrêter sur l'injonction du traître les adjudants-généraux Chérin et Pille. Enfin, il était comte et s'appelait naguère M. de Rosières. L'agent Defrenne disait qu'il ne valait pas mieux que Moreton, et Courtois le déclarait incapable de défendre une place aussi importante que Douai[33].

Gobert avait donné des preuves de son républicanisme et de son expérience depuis le début des hostilités. Après avoir aidé Kilmaine à organiser l'armée des Ardennes, il avait fait tant bien que mal approvisionner les places de Cambrai, de Bouchain, du Quesnoy, de Landrecies, de Saint-Quentin, et réparer leurs remparts. Il est pourtant l'ami de Dampierre, s'écria Guy-Vernon en apprenant qu'il était suspendu, et il est parvenu par ses talents ! Mais Celliez et Varin l'avaient dénoncé comme un faux jacobin, ennemi de nos succès et grand ami de Custine. Gobert obéit à l'ordre du ministre. Le 4 août, il se retirait à Corbeil ; arrêté au Ménil, à six lieues de Paris, fouillé de la tête aux pieds, traîné dans une prison, gardé deux jours au secret, il fut enfin conduit au Comité de sûreté générale qui le reconnut innocent et le mit en liberté. Rendez-moi, disait alors ce vaillant officier, rendez-moi l'honneur et la confiance de mes concitoyens ; j'ai occupé les postes les plus importants ; je les quitte sans peine, avec le regret cependant de voir qu'on prive la patrie d'un bon et brave défenseur[34].

Guéroult Lapalière, ancien gendarme de la garde, réforme en 1184, rentré au service sous la Révolution, était devenu, promptement général de brigade. Mais on croyait qu'il devait son avancement à Delacroix et à Danton, ses amis, et bien qu'il eût déclaré, selon la formule du temps, qu'il s'ensevelirait sous les ruines de Cambrai, un agent prétendait qu'il avait le gousset garni pour rejoindre Dumouriez lorsqu'il aurait livré la ville. Defrenne et Lavalette le traitaient de coquin : suivant eux, Lapalière n'avait pas le ton qui sied à un républicain ; il publiait que l'ennemi avait des forces doublement supérieures à celles de l'armée du Nord, et depuis son arrivée à Cambrai, l'aristocratie y était montée de plusieurs crans[35].

Neyrod, retraité comme capitaine en 1773, élu lieutenant-colonel du 1er bataillon des volontaires de la Moselle, était général de brigade depuis le 15 mai 1793 et commandait au Quesnoy. Le représentant Du Bois du Bais le jugeait actif, zélé, et assurait que sa correspondance était franche, pleine de patriotisme et nullement suspecte. Mais Defrenne avait dit que Neyrod faisait plus d'embarras que de besogne, et un capitaine des grenadiers du ter bataillon de la Vendée, Alexis Vinet, le nommait le plus maussade des officiers, dénonçait ses propos inciviques, affirmait que Neyrod regrettait l'ancien régime et qualifiait les commissaires de la Convention d'imbéciles, d'ignorants et de patauds. Le 25 juillet, Bouchotte donnait ordre à Neyrod de cesser ses fonctions et de se rendre à Paris[36].

Les représentants Duquesnoy et Le Bas secondaient Bouchotte dans sa tâche d'épuration. Ils inspectaient l'aile gauche de l'armée du Nord et le 6 août ils faisaient arrêter les deux généraux qui commandaient les camps de Cassel et de Ghyvelde, O'Moran et Richardot.

L'Irlandais O'Moran qui devait périr sur l'échafaud le 6 mars 1794 avec Chancel et Davaine, avait servi dans le régiment de Dillon, plus tard le 87e, et du rang de cadet s'était peu à peu élevé jusqu'au grade de colonel. Maréchal de camp et lieutenant-général en 1792, à huit mois d'intervalle, commandant de Tournay et de la Westflandre pendant l'expédition de Belgique, il avait, après la retraite de Dumouriez, rassemblé 16.000 hommes dans les cantonnements et places de la Flandre maritime. Mais il était infirme, malade et très circonspect. Il se défiait de ses bataillons et s'imaginait que les forces ennemies qui lui faisaient face ne cessaient de grossir : Cela, écrivait-il une fois, ne fera que croître et embellir de jour en jour. Les municipalités ne croyaient pas à son civisme et ne cachaient pas les soupçons qu'elles avaient sur son compte : à les entendre, il ne prenait aucune mesure pour dissiper les inquiétudes des habitants, laissait Bergues sans défense, refusait de réprimer les désordres des troupes, projetait de lever le camp de Cassel et d'abandonner le pays à la merci des Autrichiens. Defrenne prévenait Bouchotte de le surveiller de près parce que les patriotes n'en disaient pas de bien. Gasparin et Lesage-Senault n'osaient le suspendre : les rapports qu'ils recevaient contre lui ne leur semblaient pas assez prononcés ; mais les deux représentants demandaient que cet étranger qui ne pouvait monter à cheval et remplir de fonctions actives, fût employé dans une ville moins considérable que Dunkerque. Courtois le notait royaliste outré et plus que suspect. Carnot le ménageait et se contentait de remarquer qu'O'Moran craignait toujours de se compromettre : Il est d'une prudence qui me désespère et que je nommerais pusillanime si je ne respectais ses talents militaires. Le Comité avait fini par prescrire à Bouchotte de déplacer O'Moran et de l'employer dans une forteresse de deuxième ou de troisième ligne. Mais Duquesnoy, ce Duquesnoy que l'agent Gadolle appela le grand rd fleur des généraux, assurait qu'O'Moran, ainsi que bien d'autres encore, trahissait la France. Pourquoi cet Irlandais avait-il constamment désapprouvé l'attaque de Furnes ? Pourquoi, malgré les avis des émissaires, prétendait-il que les ennemis se renforçaient à Furnes et à Ostende ? N'avait-on pas dû le pousser, l'épée dans les reins, à cette entreprise et le menacer de destitution ? N'avait-il pas essayé de rendre l'expédition inutile et de faire tout manquer ? N'était-ce pas sa faute si la division de Stettenhoffen était arrivée une heure après la reddition de Furnes ? Duquesnoy avait saisi les papiers d'O'Moran. Il y découvrit une lettre du général à Custine : la présence des commissaires Carnot et Duquesnoy, y lisait-on, avait sans doute empêché les exemples de sévérité, et Custine seul pouvait établir et propager la discipline. Duquesnoy fut exaspéré : O'Moran louait donc en public les représentants qui s'opposaient aux excès du soldat, et en secret il rejetait sur eux l'insubordination de l'armée ![37]

Richardot eut le même destin qu'O'Moran. Ce Toulousain qui devait mourir de maladie dans les prisons de la Terreur, était colonel des chasseurs du Hainaut lorsqu'il fut nommé général de brigade. L'agent Gadolle le jugeait bien essentiel, actif, ferme, brave et franc. Mais on répétait que Richardot appartenait à la perfide coalition des généraux ci-devant nobles et qu'il s'entendait avec Custine. On l'accusait d'avoir dit, devant Fromentin et le curé de Rexpoëde, que les Français ne pouvaient se passer de roi et que les troupes de ligne étaient à plaindre parce qu'elles servaient avec ces canailles de volontaires. On lui reprochait de laisser ses bataillons dans l'inaction, de blâmer les attaques ; et, lorsqu'elles avaient réussi, de n'en tirer aucun avantage. On lui imputait l'insuccès de l'échauffourée de Furnes : il avait allégué, comme O'Moran, que l'ennemi disposait de forces considérables ; il avait affirmé que le canal de Furnes était large de quinze pieds, au lieu de quarante ; il avait fourni des madriers qui n'avaient que la moitié de la longueur nécessaire ; il n'avait donné ni pelles ni pioches ni haches pour faciliter le passage de l'artillerie dans un pays coupé de haies et de fossés[38].

Avec O'Moran et Richardot disparaissait de l'armée du Nord un personnage appelé plus tard à la célébrité : Etienne dit Jouy, le futur académicien et l'écrivain libéral de la Restauration. Après avoir brillamment servi dans l'Inde, il s'était jeté dans la Révolution, et Gorsas, son ancien maître, s'honorait d'être l'ami de ce fervent patriote. On avait vu Jouy, dans les représentations tumultueuses, guider le parti républicain. Le 3 novembre 1790, au Théâtre Italien, après un affreux vacarme, il faisait par les seules armes de la politesse et de la raison sortir de leur loge les noirs forcenés qui bravaient le parterre. Le 17 novembre suivant, au théâtre de la Nation, avant le lever du rideau, il venait, au nom du public, haranguer Mirabeau. Lieutenant au 1er régiment d'infanterie, capitaine (1792), adjudant-général chef de bataillon (1er avril 1793), il était aide de camp d'O'Moran qui vantait ses talents militaires. Mais, Français du XVIIIe siècle jusqu'à la moelle, méchant, roué, mystificateur, ne cherchant qu'à s'amuser, courant d'aventures en aventures et d'intrigues en intrigues, jouant volontiers les rôles que lui offrait l'occasion, inconséquent et imprudent à plaisir, Jouy avait plus d'esprit et d'imagination que de cœur et de jugement. Il fit l'aristocrate tout en servant la République et causa par ses indiscrétions et ses folies la disgrâce d'O'Moran autant que la sienne propre. Suspecté par Duquesnoy, dès le mois de juin, défendu, puis abandonné par Carnot, il fut suspendu le 11 août. Mais il avait prévu le coup et pour le parer, il s'était rendu dans les derniers jours de juillet à Paris. Là, par ses grimaces et le verbiage jacobin qu'il adopta pour la circonstance, il sut obtenir une mission importante. Bouchotte qui le crut aussi patriote qu'intelligent, le chargea de conduire en Flandre les renforts de l'armée des Ardennes. Jouy s'acquitta de sa tâche avec succès, mais sans renoncer aux sottises et aux extravagances dont il avait pris l'habitude, mêlant de sang-froid aux actes d'un républicain d'inutiles effusions de royalisme, requérant de l'argent dans les villes bien qu'il eût reçu les fonds nécessaires, content de faire à. la fois le bien et le mal, trouvant une piquante jouissance à se distinguer et à se compromettre tout ensemble, plein de rage lorsqu'il connut sa suspension méritée, heureux finalement de se cacher à Paris dans un asile sûr, et, après mille étourderies, gagnant la Suisse sous un déguisement et à l'aide d'un passeport dérobé[39].

 

Tant de suspensions et d'arrestations déconcertaient, alarmaient les officiers. La plupart des généraux tremblaient pour eux-mêmes et s'évertuaient à ne pas donner de soupçons. Quelques-uns se rebutaient du métier. Tous refusaient de l'avancement. Colaud écrivait qu'il était fatigué d'être général et qu'il désirait rentrer dans son régiment pour servir la République sans crainte. Les simples soldats, ajoutait-il[40], disent qu'ils ne voudraient pas être généraux, et ils ont raison.

Quant à Kilmaine, il approuvait le ministre. Mieux vaut, lui mandait-il, n'avoir personne que d'avoir de mauvais citoyens. Il nous faut des hommes qui n'aient d'autre alternative que la République ou la mort : il n'y a dans ce moment point de milieu pour nous ; tous les gens, ménageant les deux partis, doivent être exclus. Pourtant, il ne dissimulait pas au ministre l'embarras et le trouble où le jetait la soudaine disparition de ses lieutenants. Où trouver des successeurs aux généraux qui s'éloignaient ? A qui confier les divisions et les brigades ? Il assurait qu'il n'avait plus personne pour le seconder et qu'il ne répondait pas des événements. Bouchotte lui répliqua qu'une promotion se faisait dans les bureaux et que de bons commandants de bataillons rempliraient provisoirement les fonctions vacantes. Mais Kilmaine ne cessait de se lamenter. Il n'avait pas encore remis à son chef d'état-major Des Bruslys la lettre qui le suspendait[41] ; il ne pouvait se passer de lui et ne savait comment le remplacer ; tous ceux qui lui semblaient capables de tenir l'emploi, le refusaient sans hésiter. Il demanda Achille du Chastellet, lui proposa de venir au camp de César : Bouchotte objecta que Du Chastellet n'avait pas la confiance. De guerre lasse, Kilmaine signifia sa suspension à Des Bruslys et nomma chef d'état-major à titre intérimaire l'adjudant-général Thüring. Ce Thüring connaissait bien la Belgique et la Flandre : il avait eu de Dumouriez une mission secrète en Hollande ; il s'était lié au club de Saint-Omer avec Carnot qui le protégeait. Mais pouvait-on compter sur 'cet aventurier, homme de cabale et d'intrigue, ancien sergent du régiment suisse de Castella et sous -lieutenant de Royal-Liégeois, officier de la garde nationale dunkerquoise, capitaine de compagnie franche, lieutenant-colonel du génie belge, qui n'aimait dans l'état-major que la partie de l'espionnage et ne cachait pas son envie de manier des fonds[42] ?

Enfin, le soldat se décourageait. Depuis la prise de Valenciennes, il murmurait de son inaction. On disait dans le camp qu'il était dégoûtant pour des militaires de rester l'arme au bras et d'assister de loin à des désastres sans faire un pas ni tirer un coup de fusil. Des hauteurs de Paillencourt on avait vu Valenciennes en feu. Pourquoi n'avait-on pas marché au secours de la garnison et porté à ces malheureux frères d'armes le renfort qu'ils attendaient de jour en jour ? Ne semblait-il pas que l'armée n'avait plus de chefs ? Nous sommes désorganisés, écrivait Gay-Vernon à Xavier Audouin, nos troupes n'ont pas le moindre enthousiasme et il nous déserte du monde de la division de Lille[43].

 

III. Maîtres de Valenciennes, Cobourg et le duc d'York avaient résolu d'emporter le camp de César. Il fallait, comme disait le colonel Murray, chef d'état-major du prince anglais, livrer une bataille qui serait sûrement gagnée ou du moins chasser l'ennemi de sa position.

Le camp de César ou de Paillencourt formait un carré irrégulier dont l'Escaut, la Sensée, l'Agathe et la forêt de Bourlon couvraient les côtés. Son aile droite s'appuyait à l'Escaut ; son aile gauche s'étendait jusqu'à Aubigny-au-Bac et Oisy ; son front était protégé par la Sensée et défendu par des redoutes. Tous les passages entre Bouchain et Cambrai avaient été bordés de retranchements. Pareillement, sur le derrière du camp, de Cambrai, à Marquion et sur le terrain compris entre l'Escaut et l'Agathe, on avait élevé des fortifications de campagne garnies de canons et d'obusiers. Des abatis masquaient la lisière dé la forêt de Bourlon. Enfin, sur la rive droite de l'Escaut, les villages de Hordain, d'Iwuy, de Thun-Saint-Martin, d'Escaudœuvres étaient occupés par des partis d'infanterie et de cavalerie, qui s'abritaient derrière de grands épaulements.

Les dispositions de Cobourg prouvèrent une fois de plus l'esprit méticuleux et finassier des stratégistes de la vieille école. Aujourd'hui, pour augmenter la vigueur de l'opération essentielle, on attirerait à soi tous les détachements qui ne sont pas indispensables dans l'endroit où ils se trouvent ; à cette époque, on renforçait au contraire ces détachements pour que l'adversaire ne mît pas obstacle à l'attaque principale. Aussi, bien que l'effort le plus énergique dût se faire par le centre, le généralissime et son chef d'état-major, le prince de Hohenlohe-Kirchberg, crurent-ils nécessaire d'affermir les ailes, la droite à Marchiennes et à Orchies, la gauche à Villerspol, Houdain et à Bettignies. Ils envoyèrent à Marchiennes 5.000 Hanovriens, à Orchies 4.000 autres hanovriens. à Villerspol et à Houdain 8 bataillons et 8 escadrons d'Impériaux. Les Hessois eurent ordre de marcher sur Rome-ries pour observer la forêt de Mormal. Les troupes postées à Denain durent se diriger vers Aubigny-au-Bac pour tenir en respect les garnisons de Bouchain et de Douai. Restaient ainsi pour l'action capitale, 23 bataillons, 16 compagnies et 44 escadrons de troupes autrichiennes, ainsi que des Hessois, des Hanovriens et des Anglais an nombre de 9.000, c'est-à-dire en tout 35.000 hommes.

Le camp français ne pouvait être attaqué de front et sur le flanc droit qu'avec de grandes difficultés et non sans pertes considérables. Cobourg et Hohenlohe-Kirchberg décidèrent d'occuper l'ennemi sur les bords de l'Escaut et de le tourner au sud de Cambrai. Ils formèrent trois colonnes. La première composée de 9.000 Hessois et Anglo-Hanovriens et de 5.000 Impériaux, sous les ordres du duc d'York et de Hohenlohe-Kirchberg, devait assaillir les Français sur leurs derrières. La deuxième et la troisième colonne, menées, l'une par Colloredo et l'autre par Clerfayt, les inquiéteraient sur les rives de la Sensée et de l'Escaut et, comme on disait alors, leur donneraient des jalousies.

La colonne que conduisait Colloredo, partie le 7 août du camp de Hérin, poussa par Saulzoir sur Villers-en-Cauchies, et, après avoir dispersé des partis de cavalerie qui tentaient de l'arrêter à Rieux et quelques pelotons d'infanterie qui défendaient mollement le village de Naves, arriva près de l'Escaut. Mais les Français avaient ouvert les écluses et inondé la plaine. Colloredo ne pouvait passer la rivière qu'au pont de Thun-l'Évêque qui semblait fortement gardé. Il attaqua le bourg de Thun-Saint-Martin, refoula les troupes françaises qui comprenaient, suivant la relation autrichienne, un régiment de cavalerie et deux bataillons d'infanterie ; puis, sans donner aux fuyards un instant de répit, il s'empara du pont et du village de Thun-l'Évêque où il mit trois compagnies de tirailleurs. La nuit qui tombait et la lassitude de ses soldats lui interdirent d'aller plus loin.

La colonne de Clerfayt, partie également le 7 aoùt, traversa la Selle à Haspres et entra dans Iwuy. De leurs retranchements, sur le bord opposé de l'Escaut, les Français firent contre Iwuy un feu violent ; mais Clerfayt se maintint dans sa position et durant la nuit, sur l'ordre -de Cobourg, il dressa plusieurs batteries et prépara les matériaux d'un pont qui serait jeté dans la matinée du lendemain.

Tandis que Clerfayt se logeait dans Iwuy, son lieutenant Alvintzy assaillait Hordain. Ce village était retranché et avait pour garnison deux bataillons et un escadron. Alvintzy s'en rendit maitre après une assez vive résistance, et les patriotes, coupant les ponts, s'enfuirent sur l'autre rive de l'Escaut. Mais ce fut tout ce qu'entreprit Alvintzy dans cette journée : l'inondation et le feu de l'artillerie française l'empêchèrent de rétablir les ponts.

Clerfayt et Colloredo, exécutant le programme tracé par Cobourg, tenaient ainsi l'armée du Nord en échec sur l'Escaut et la Sensée, pendant que le duc d'York et Hohenlohe-Kirchberg s'avançaient pour l'envelopper sur ses derrières. La colonne que commandait le prince anglais, s'était formée le 6 août à Villers-en-Cauchies et à Saint-Aubert. Le 7, à la pointe du jour, elle se mettait en marche par Saint-Hilaire, Bevillers, Beauvois, Wambaix, et chassant les piquets de cavalerie française, venait passer l'Escaut à Masnières, à Crèvecœur et à Honnecourt. De toutes parts se fusillaient les avant-gardes, le canon tonnait, et les coalisés commençaient à décrire un grand demi-cercle autour de Cambrai.

Kilmaine vit aussitôt que York et Cobourg voulaient prendre à revers le camp de César. Il réunit un conseil de guerre auquel assistèrent le représentant Delbrel, les commissaires du ministre Celliez et Varin, ainsi que les principaux officiers. Delbrel qui se piquait de connaissances militaires, proposait d'exécuter à la faveur de la nuit un mouvement qui serait peut-être décisif, de ne laisser sur l'Escaut et la Sensée que les postes nécessaires pour contenir les patrouilles ennemies, de ramasser le gros des forces françaises, de fondre sur la colonne, du duc d'York et de Hohenlohe, de la battre et de revenir sur les deux colonnes qui menaçaient la gauche et le centre de la position. Mais le général en chef répondit justement qu'il ne pouvait avec une armée aussi peu manœuvrière que la sienne tenter une pareille aventure, qu'il n'avait pas de cavalerie, qu'il aimait mieux reculer sans être entamé. tous les membres du Conseil approuvèrent Kilmaine et opinèrent qu'il fallait quitter incontinent le camp de César : si l'on demeurait plus longtemps à Paillencourt, les alliés se rendraient maîtres des routes d'Arras et de Bapaume ; l'armée resserrée, recognée, n'aurait plus d'autre issue que l'étroite chaussée d'Arleux à Douai, et il était impossible de la jeter sur ce chemin avec son artillerie et ses bagages. Mais où aller ? Il était trop tard pour se replier sur les sources de l'Escaut, entre Honnecourt et le Catelet. Quelques membres, auxquels se joignirent les commissaires Celliez et Varin, estimaient qu'il serait avantageux de s'établir entre Péronne et Saint-Quentin, .et de prime abord, ce parti semblait le meilleur : c'était faire front à l'envahisseur ; c'était couvrir Paris[44]. Mais Gay-Vernon déclara qu'il valait mieux porter l'armée sur la Scarpe entre Arras et Douai : on gardait ainsi ses communications avec la Flandre maritime ; on avait Lille derrière soi ; on était, comme au camp de César, protégé par des forteresses et par une rivière, et si l'on abandonnait un riche pays aux incursions des coalisés, on se plaçait dès le premier jour sur le flanc de leur ligne d'opérations. Le plan de Gay-Vernon était celui de Kilmaine ; mais le général en chef ne l'avait pas encore exposé pour ne pas peser sur le Conseil de guerre ; il fut unanimement adopté.

Sur le champ Kilmaine expédia ses ordres. Il fit évacuer sur Arras et Bapaume par le commissaire-ordonnateur Petitjean le trésor, la poste, les ambulances et les voitures de l'administration. Il prescrivit que l'armée prendrait la route d'Arras et enverrait les équipages aussi loin qu'ils pourraient aller, au moins jusqu'à Vis-en-Artois. Lui-même gagna Fontaine-Notre-Dame, le premier village qu'on rencontre au sortir de Cambrai sur le chemin de Bapaume, et s'y installa avec une forte division pour couvrir la retraite des bagages et du reste de ses troupes. Le duc d'York et Hohenlohe auraient pu l'assaillir pendant ce mouvement. Mais leur colonne avait fait autour de Cambrai un immense circuit, la chaleur était extraordinaire, et les derniers bataillons ne traversèrent l'Escaut qu'à cinq heures du soir. Les Austro-Anglais virent les républicains lever leur camp et se retirer sur Fontaine-Notre-Dame ; mais ils ne les abordèrent pas. Las et recrus après avoir fourni cette longue traite, ils remirent l'attaque au lendemain. La fatigue des hommes et des chevaux, assure Cobourg dans son Journal, défendit de pousser plus avant.

Mais le jour suivant, une fois encore, Kilmaine rompit le dessein des coalisés. Il savait que sa position de Fontaine-Notre-Dame n'était pas tenable. Le 8 août, dès l'aube, l'armée se dirigea sur Biache-Saint-Vaast. L'infanterie était en tête, puis venaient le parc et les équipages flanqués par un régiment de chasseurs à cheval. L'artillerie légère et la cavalerie fermaient la marche. On avait fait une lieue lorsque Kilmaine et Delbrel ébranlèrent l'arrière-garde qui appuyait sa droite à Marquion et sa gauche à Bourlon. A ce moment le duc d'York arrivait sur le flanc des républicains. Il avait formé trois colonnes qui s'étaient acheminées sur Cantaing, Anneux et Graincourt. La première colonne s'arrêta entre Cantaing et Marcoing. Les deux autres continuèrent d'avancer. York comptait attaquer l'ennemi sur les hauteurs de Bourlon. Mais déjà Kilmaine avait évacué Bourlon et se repliait au delà de Marquion. Le duc traversa Bourlon, Sains-les-Marquion, et déboucha devant Marquion.

Il y avait encore à Marquion deux bataillons d'infanterie française. Ces bataillons, demeurés en arrière et partis de Thun-l'Évêque, avaient pris la route de Marquion, au lieu de celle d'Aubencheul-au-Bac. Ils tombèrent au milieu de la cavalerie anglaise qui les enveloppa. Une pièce de 12 qu'ils traînaient avec eux, leur fut enlevée. Plusieurs se rendirent. La troupe entière allait déposer les armes. Mais Kilmaine accourut avec Delbrel. Il mit une partie de sa cavalerie et l'artillerie légère en bataille et en réserve à droite et à gauche du chemin ; puis, avec le reste de ses escadrons, il chargea l'adversaire. Le choc fut rapide, mais impétueux. Le 2e régiment de dragons, ci-devant Condé, était en tête de la colonne française, et semblable, dit un témoin oculaire, à un torrent auquel rien ne résiste, il renversa tout ce qu'il rencontra. Des hussards noirs, montés sur des chevaux sans selle et ne maniant que des bâtons, firent des prisonniers. Grâce à ce mouvement hardi, les deux bataillons furent dégagés, et lorsqu'ils aperçurent Delbrel coiffé de son chapeau au plumet tricolore : Représentants, s'écrièrent-ils, sais-tu qu'il était temps d'arriver ? Nous avions usé toutes nos cartouches ! Ils sortirent de Marquion en bon ordre.

Kilmaine, satisfait de ce résultat, revint au delà de Marquion dans la position qu'il occupait d'abord. Avant d'abandonner Marquion, il avait coupé le pont du ruisseau de l'Agathe, rompu la chaussée à l'endroit du pont et incendié le village. Le duc d'York fut arrêté par les obstacles du chemin et la rupture du pont. Les Anglais ne purent passer le ruisseau qu'avec peine, lentement et un à un, non sans être incommodés par la chaleur des flammes qui dévoraient les maisons. Enfin, ils se mirent en bataille et firent mine de charger en flanc la cavalerie française. Mais, à l'instant, des escadrons que Kilmaine gardait en réserve, se précipitèrent au-devant d'eux. On aurait dit, rapporte Delbrel, que les deux partis allaient s'écraser, se foudroyer, et, durant plusieurs minutes, le conventionnel admira ce spectacle imposant. Bientôt les Anglais tournèrent bride. York n'avait avec lui que 2.000 chevaux. Il voyait la cavalerie française qui l'attendait sur deux lignes, forte de la supériorité du nombre et d'ailleurs protégée sur son front par des pièces d'artillerie légère. Après quelques volées de canon, il se retira. Il avait failli périr. Suivi d'une seule ordonnance et de l'émigré Langeron, il avait traversé Marquion embrasé au grand galop et poussé en avant de l'Agache sur une petite hauteur, lorsqu'il remarqua de la cavalerie à vingt pas de lui. Le jeune duc avait plus de bravoure que d'expérience. Il crut voir des escadrons de Hanovre qui portaient à peu près le même uniforme que les Français, et s'écriant : Voilà, mes Hanovriens ! il courut à l'ennemi. Langeron n'eut que le temps de saisir la bride de son cheval : Monseigneur, lui dit-il, ce sont les Français, et lui faisant faire demi-tour, il le ramena vers Marquion.

Cependant, la colonne de Colloredo avait, durant la matinée, passé l'Escaut sur le pont de Thun-l'Évêque, et celle de Clerfayt, sur le pont de bateaux jeté à Iwuy. Elles se réunirent et dressèrent leur camp dont la gauche s'appuyait à Thun-l'Évêque et la droite à Cuvillers. Huit escadrons furent dépêchés à la suite des nationaux et rejoignirent le duc d'York à Marquion. La journée était terminée.

L'arrière-garde républicaine, conduite par Kilmaine et Delbrel, reculait donc au pas habituel, dans une fière et menaçante attitude, sous les yeux de quelques Anglais qui l'observaient encore et la serraient parfois d'assez près. Si Cobourg, Hohenlohe et York avaient su ce que Cachait l'épais rideau de cavalerie que leur opposait Kilmaine Le gros de l'armée française, infanterie, parc d'artillerie, bagages, marchait tranquillement vers Arras, à l'abri de toute insulte, de tout péril. Mais soudain des lâches crièrent sauve qui peut. L'alarme se répandit d'un bout à. l'autre de la colonne. Des bataillons, pris de terreur, se débandèrent et arrivèrent aux portes d'Arras comme si ces kaiserliks, qu'ils n'avaient pas vus, étaient à leurs trousses. Le soldat, écrivaient Billaud-Varenne et Niou, s'est tellement trouvé abandonné à lui-même que, dans le désordre général, l'artillerie est allée se réfugier au delà des murs d'Arras, et le corps d'armée en a été sépare pendant près de douze heures[45].

Ainsi fut pris ce fameux camp de César qui, de même que le camp de Famars, était trop étendu et facile à tourner. Kilmaine eut le mérite de mettre hors d'atteinte son armée fugitive. Sa retraite, qu'on nomme la retraite de la Scarpe, est sûrement son plus glorieux exploit. Elle sauva le dernier noyau de forces qui restait à la République sur les frontières du Nord. L'Irlandais avait su profiter des fautes de la coalition. Les mesures de Cobourg et de Hohenlohe étaient mal conçues. A quoi bon envoyer Clerfayt et Colloredo à Iwuy et à Thun-l'Évêque contre le front inattaquable des Français, avec des troupes considérables ? A quoi bon donner à Clerfayt et à Colloredo trente-quatre escadrons qui ne pouvaient leur être d'aucune utilité ? Pourquoi ne laisser à la colonne du duc d'York que vingt-quatre heures d'avance sur les deux autres colonnes, et ne confier au prince anglais que dix escadrons ?

Il eût fallu, pour enlever la position et détruire l'armée qui la gardait, adopter le plan de Langeron. L'émigré proposait de lancer ostensiblement un corps d'infanterie légère vers le Cateau et Solesmes, comme si les alliés avaient l'intention de se diriger sur le Quesnoy, puis, par une marche forcée, de pousser ce corps à droite, derrière Cambrai, sur le chemin d'Arras, par Inchy, Pro - ville, Villers-les-Cagnicourt, et de couper de la sorte toute retraite aux Français ; cependant, deb têtes de colonnes auraient menacé le front du camp, et les meilleurs bataillons, choisis exprès, auraient emporté coûte que coûte le poste d'Aubencheul-au-Bac sur la Sensée : les républicains, absolument entourés, étaient anéantis ou contraints de capituler.

Mais, quand York n'aurait fait que se conformer au plan de Cobourg et de Hohenlohe, il eût, avec un peu de promptitude, mis Kilmaine en déroute. Son corps d'armée, qui vint le 7 août à Crèvecœur, avait six lieues au plus à parcourir. Comment son arrière-garde ne franchit-elle l'Escaut qu'à cinq heures du soir ? De même, le 8 août, lorsqu'il alla de Crèvecœur par Marcoing et Cantaing sur Bourlon, pourquoi ne s'ébranlait-il pas dans la nuit et en toute diligence ? Pourquoi donnait-il à Kilmaine le temps de faire filer sur Arras les équipages, la grosse artillerie et la plupart des bataillons ? Pourquoi laissait-il une de ses colonnes à Cantaing ? Pourquoi ne demandait-il pas sur-le-champ aux autres colonnes des renforts de cavalerie, la seule arme dont il eût besoin ?

Évidemment, l'opération fut maladroitement conduite. Au lieu de s'avancer avec rapidité, de brusquer le dénouement, de frapper un coup subit et vigoureux, on s'attarda, on ne partit qu'après la pointe du jour, on marcha lentement, pesamment, et non sans plusieurs haltes. Les alliés eux-mêmes reconnurent leurs erreurs. Un peu de lenteur, marque un officier dans une lettre en français, nous a fait négliger tous les avantages que la fuite de Kilmaine nous offrait, et nous n'avons pris qu'un canon, fait une centaine de prisonniers, et tué autant. N'ayant plus d'ennemi devant nous, nous avons tourné tout autour de Cambrai, et une partie de l'armée y a bivouaqué. Après tous ces succès, le résultat est que l'armée retourne dans son ancien camp. Thugut, irrité, écrivit de Vienne qu'on avait perdu quelques jours précieux après la reddition de Valenciennes, que les républicains avaient eu le loisir de prendre leurs mesures et d'échapper : Ils se sont, disait-il, retirés pour le moment et reviendront nous harceler par la suite, et les petits combats qui coûtent tant de monde, n'auront jamais de fin[46].

Kilmaine fixa son quartier-général d'abord à Vitry-en-Artois, puis à Gavrelle, sur la route d'Arras à Douai. Le corps d'armée occupait les hauteurs sur la rive gauche de la Scarpe qui couvrait par conséquent le front du camp. La droite était à Rœux et la gauche en face de Biache-Saint-Vaast. Les flanqueurs de droite s'étendaient de Rœux à Arras et les flanqueurs de gauche, conduits par Colaud, s'installaient entre Palluel et Courchelettes, derrière le canal de la Sensée ; mais la compagnie des Quatre Nations, munie de carabines, traversait le canal pour écarter les patrouilles ennemies aux alentours d'Arleux. L'avant-garde s'établit à Biache ainsi qu'à Monchy-le-Preux, et ses reconnaissances poussèrent sur le chemin d'Arras à Cambrai. La cavalerie, appuyée par l'infanterie légère, tenait Palluel, Hamblain-les-Prés, Sailly-en-Ostrevent. De petits postes défendaient Étaing, l'Écluse et Hamel[47].

Dans cette position qu'on a nommée le camp de Gavrelle ou encore le camp de Biache, Kilmaine pouvait, disait-il, rassembler toutes ses forces plus facilement qu'à Paillencourt. Il était fier de sa manœuvre et sur ce ton avantageux qui lui était propre, il assurait qu'il avait défait les alliés, bien qu'ils lui fussent trois fois supérieurs en nombre ; qu'il avait opéré, sans perdre un seul homme, par une plaine de six lieues, une retraite comme il y en a peu ; que tous ses cavaliers s'étaient battus en héros et que l'Anglais avait plus particulièrement senti le poids de leurs sabres ; que l'audace française dégoûtait les coalisés. Mais, à son insu, il était déjà remplacé. Il passait pour noble, se targuait de noblesse avant 1789, et l'État militaire de France l'avait qualifié de baron.

L'armée se défiait de lui et savait qu'il ne la menait que provisoirement : Comment, disait Gay-Vernon, la confiance peut-elle s'établir ? Les commissaires du pouvoir exécutif le regardaient comme sujet à caution, et Defrenne avait insinué qu'il était la créature de Dumouriez. Surtout, on lui reprochait d'être Irlandais, et cette origine qui devait rehausser sa gloire, se tournait alors contre lui. On vanta plus tard ce fils d'Érin qui montrait sur une terre hospitalière comment il faut combattre pour la liberté, et lorsqu'il recevait le commandement de l'armée d'Angleterre, on aimait à dire qu'il attachait les yeux sur le pays natal et qu'il allait délivrer sa patrie du joug britannique. En 1793 on suspectait cet étranger. C'est un bon soldat, pensaient Celliez et Varin, mais on a des craintes sur son compte. Courtois remarquait que le républicanisme ne se fixe pas aisément dans une tête irlandaise et qu'on agirait peut-être imprudemment en le nommant général en chef. Kilmaine lui-même écrivait à. Bouchotte que sa naissance donnait aux malveillants un prétexte de dénonciation : J'ai le malheur d'être né en Irlande, quoique élevé en France, et il offrait, soit de reprendre la direction de l'armée des Ardennes, soit de servir à la division de Cassel, sous les ordres du général Barthel ; si on l'avait employé à l'expédition d'Ostende, ajoutait-il avec sa jactance habituelle, ce port n'existerait plus ; bref, que le ministre le mit ici ou là, il ferait son devoir. Le 4 août, le Comité notifiait aux représentants la suspension de Kilmaine : le général avait des relations de famille avec les Anglais ; il avait, avant la capitulation de Valenciennes, exprimé les plus vives espérances, et ensuite il déclarait qu'il avait trop peu de monde pour résister ; comment se fier à lui[48] ?

Houchard succédait à Kilmaine. Mais il était à l'armée de la Moselle et ne pouvait gagner sur-le-champ son nouveau poste. Bouchotte prescrivit au général Barthel de faire l'intérim. Barthel, Lorrain et Thionvillois, alors âgé de soixante-quinze ans, était parvenu dans l'armée royale au grade de capitaine des grenadiers. Il était lieutenant-colonel du Pr bataillon des volontaires de l'Orne et commandant temporaire à Bergues lorsque Carnot et Duquesnoy voulurent réparer l'injustice du Conseil exécutif à son égard. Nommé, le 1er juillet 1793, général de brigade et, le 30 du même mois, général de division, il remplaça O'Moran à Cassel. Mais Duquesnoy reconnut bientôt que Barthel, excellent patriote, n'avait plus la tête ni l'activité nécessaires pour exercer une fonction de cette importance. Ce fut ce Barthel que le ministre chargea de commander les troupes du Nord et des Ardennes jusqu'à la venue de Houchard. Le vieux soldat partit incontinent. Le 7 août, en entrant à Cambrai, il apprenait que son armée, tournée par les Impériaux, se repliait en hâte et que l'état-major, ainsi que les représentants, avait quitté la ville ; il voyait les alliés pousser leurs postes sur le glacis ; il entendait de toutes parts les feux de la mousqueterie et de l'artillerie. Ignorant la situation, n'osant sortir de peur d'être enlevé par les coureurs ennemis, ne pouvant se procurer des chevaux, Barthel resta dans Cambrai. Le 11 août, dès que l'adversaire eut disparu des environs, Barthel se rendit au quartier-général d'Arras. Mais Houchard était arrivé ; Barthel, confus, reprit immédiatement le chemin de Cassel et renvoya au ministre la lettre de destitution qu'il n'avait pu remettre à Kilmaine[49].

Kilmaine ne reçut donc sa lettre de suspension que le 16 août. Il informa Bouchotte qu'il se retirait à Passy sans inquiétude ni crainte aucune : il n'était ni vain, ni ambitieux ; il n'avait jamais intrigué, jamais sollicité de grade ; malgré les calomnies et des injustices d'ailleurs inévitables sous un régime qui sacrifie les intérêts particuliers au bien commun, il demeurait inviolablement attaché à la République et à la plus sublime cause que les mortels eussent encore défendue ; mais, ajoutait-il, vous avez besoin d'un homme comme moi pour commander la cavalerie. En dépit de cette fière assurance, il fut arrêté le 29 décembre et n'obtint qu'en 1795 sa réintégration dans l'armée. Un des agents du ministre, Viger, l'accusait d'avoir interdit la distribution des papiers patriotiques. Bouchotte écrivait à Fouquier-Tinville qu'il aurait dû se poster à Solesmes pour se lier avec la forêt de Mormal et qu'il avait abandonné le camp de César sans coup férir. Robespierre le qualifiait d'Anglais et prétendait que Kilmaine était, comme Dumouriez et Custine, un membre de cette faction anglaise qui voulait mettre sur le trône de France le duc de Brunswick ou le duc d'York, qu'il avait livré le camp de Paillencourt presque sans combat, qu'il projetait pareillement de livrer Cambrai. Barère déclarait qu'il fallait ôter des armées non seulement les nobles, mais les Irlandais, et Saint-Just disait dans son fameux rapport sur l'arrestation des étrangers dont les gouvernements étaient en guerre avec la République : Qui peut répondre d'un Anglais, après Kilmaine comblé de faveurs parmi nous ? Le général s'estima fort heureux de n'être pas traduit devant le tribunal révolutionnaire[50].

 

 

 



[1] Dufresse à Bouchotte, 18 juillet (A. G.).

[2] Valenciennes, 194.

[3] Réponse de Francœur à Laveaux (A. G.).

[4] Mme de Blocqueville, Davout, 1879. I, 308. Davout était un modéré. Dans les derniers jours d'avril, les agents de Bouchotte, Huguenin et Garnerin, firent visite à Dampierre qu'ils trouvèrent avec Davout et un aide de camp. Les deux officiers ne cachèrent pas leur aversion pour la Montagne ; ils parlèrent de Marat, de Danton, de Robespierre avec indignation ; ils firent l'éloge de Petion, de Brissot, de Guadet ; ils vantèrent les vertus de Roland. Au diner, Garnerin qui s'était chargé de faire la chouette, dit que Paris jouissait de la plus grande tranquillité et que le calme serait sûrement de longue durée puisque la Convention avait traduit Marat au tribunal révolutionnaire. Les officiers de l'état-major et Davout tombèrent dans le piège, et répondirent que Marat méritait son sort. Garnerin avait reconnu Davout. N'êtes-vous pas, lui dit-il, cet officier de Royal-Champagne qui fut chassé de sou corps et enfermé à la citadelle d'Arras ? C'est vous qui, en 1790, aviez pris parti pour les soldats patriotes qui donnaient le premier exemple d'un pacte fédératif entre les citoyens et les troupes de ligne. Je suis étonné de vous voir aujourd'hui si fortement prévenu contre Marat, Robespierre et les jacobins. Ne sont-ce pas les jacobins Robespierre et Marat qui vous ont défendu lors pie voua étiez victime du pouvoir arbitraire ?Je ne suis pas, répondit Davout, prévenu contre ceux qui furent mes défenseurs en 1790 ; je refusais alors de servir los projets d'un roi qui était mon bienfaiteur ; je refuse aujourd'hui, pour la même raison, de servir les jacobins et de soutenir leurs plans qui me parais- sent désastreux. Huguenin dénonça Davout. Mais on se souvenait que Davout avait poursuivi Dumouriez fugitif. Le 8 juillet il fut nommé adjudant-général chef de brigade à l'armée des côtes de La Rochelle où l'on avait besoin d'agents militaires qui eussent déjà beaucoup d'expérience dans le métier des armes. Quelques jours plus tard il était promu général de division à l'armée du Nord : Celliez et Varin avaient écrit le 24 juillet qu'il s'était distingué par son patriotisme en toute occasion et qu'il joignait à ce civisme des connaissances militaires. Davout répondit le 29 août en donnant sa démission : Je ne puis accepter cette place parce que j'ai été noble. Bouchotte l'approuva, et Davout revint en Bourgogne pour se livrer, disait le ministre, à l'étude militaire et à la pratique des vertus civiques jusqu'à ce que le souvenir de son origine ne fût plus un obstacle à la confiance publique qui lui était due personnellement. (Documents de la guerre ; cf. Léon Hennet, Le maréchal Davout, 1885, p. 14-15).

[5] Celliez et Varin à Bouchotte, 24 juillet (A. G.)

[6] Celliez et Varin à Bouchotte, 25 juillet (A.G.) ; Rec. Aulard, V, 445 ; cf. Dohna, III, 153 (nouvelles reçues de Lille : das Kriegsvolk kann sich nicht von dem Staunen erholen.)

[7] Journal du canonnier Bricard, 68-69 ; Kilmaine à Bouchotte 4 août ; Levasseur à la Convention, 27 juillet (A. G.)

[8] Il faut se rappeler que ce premier bataillon des volontaires d'Ille-et-Vilaine était commandé par Moreau.

[9] Delbrel, Notes historiques, 37-33 ; Delbrel, Levasseur et Le Tourneur au Comité, 28 juillet (A. G.)

[10] Desacy au Comité, 30 juillet (Rousset, Les volontaires, 219-222) ; lettre de Darcambal (Seilhac, Les bataillons de volontaires de la Corrèze, 1882, p. 99-100.)

[11] Bentabole et Levasseur au Comité, 9 août (A. G.)

[12] Le n° 259 ; cf. Valenciennes, 183 et une lettre de Cernez à Bouchotte, 18 juillet (A. G.)

[13] Celliez et Varin à Bouchotte, 11, 25 et 28 juillet (A. G.) Le club de Cambrai avait, outre son président Lespomarède, deux secrétaires dont une femme, la citoyenne Druon.

[14] Patriote Français, du 15 avril et Journal de la Montagne du 16 juillet. Bentabole proposait également d'envoyer aux armées des missionnaires de la liberté chargés de réparer le mal que les généraux et officiers traîtres faisaient à la République (Rec. Aulard, V. 540.)

[15] Lespomarède à Bouchotte, 23 juillet ; Rousset, Les volontaires, 218 ; Barth, Notes biographiques sur les hommes de la Révolution à Strasbourg, 369 ; Retraite de Brunswick, 203 ; Rec. Aulard IV, 499. Ce Lespomarède était parti de Delle, avec l'autorisation du ministre des contributions publiques Clavière, et il avait fait la route à pied, son sac sur le dos et un mousquet sur l'épaule. Il vit la retraite des Prussiens et suivit, comme aide de camp, Valence en Belgique. Après avoir rempli durant le mois de mars 1793 les fonctions provisoires de commissaire des guerres, puis celles d'inspecteur des douanes de Saint-Amand et employé ses préposés à empêcher la désertion dos volontaires, il devint le coryphée du club de Cambrai qui vantait sa vertu républicaine et entraînante et le déclarait incorruptible. Il n'a jamais, disait le club, composé avec personne, jamais connu que les principes et il a toujours opposé en front d'airain à tout ce qui sentait la tyrannie, l'arbitraire et l'injustice (Le club à Souchette, 9 et 31 août). Le 12 septembre, après la défaite de Declaye, il haranguait sur la place, au nom des autorités constituées, la garde nationale de Cambrai : J'ai vu vraiment du patriotisme, écrivait-il aussitôt à Bouchotte, notre position n'est pas heureuse, mais comptez que je me brûlerai la cervelle, malgré notre faiblesse, plutôt que de consentir que la ville se rende. Deux jours après, on lui volait 6.525 livres dans son armoire, et il recommandait à Bouchotte sa femme et ses enfants qu'il avait laissés à Delle. (Lettres du 12 et du 14 septembre). L'année suivante il est à Strasbourg ; le 28 mars il entre aux Jacobins ; le 31 mai, il les préside.

[16] Alger, Englishmen in the French Revolution, 1889, p. 152-153 ; Charavay, Carnot, II, 338 et 405 ; Retraite de Brunswick, 464 ; Dumas, Mém., I, 71 ; Beurnonville à Dumouriez, 2 oct. 1792 ; Correspondance de Dumouriez et de Pache, 1793, p. 189 et 192 ; Courtois à Bouchotte, 5 juin ; Du Bois du Bais au Comité, 30 juillet ; Kilmaine à Bouchotte, 18 juin ; Bouchotte à Kilmaine, 12 juillet (A. G.) ; Wissembourg, 26 ; Valenciennes, 82, etc.

[17] Kilmaine à Bouchotte, 24 juillet et 4 août ; à Cobourg, 29 juillet ; Celliez et Varin à Bouchotte, 31 juillet (A. G.).

[18] Kilmaine à Bouchotte, 28 et 29 juillet (A. G.) ; Moniteur, 3 août. C'est ainsi que Bentabole disait aux Jacobins que, puisqu'on n'avait pas de cavalerie, il fallait doubler l'artillerie volante, qu'une compagnie de se genre valait à elle seule deux régiments de cavalerie : Nos ennemis n'en ont pas, et cette arme terrible qui passe partout avec la rapidité de l'éclair, leur cause une terreur inconcevable. (Moniteur du 13 octobre.)

[19] Kilmaine à Bouchotte, 30 juillet et 4 août ; Gay-Vernon à Bouchotte, 28 juillet ; Desacy au Comité, 30 juillet ; Levasseur à la Convention, 27 juillet : Levasseur, Le Tourneur et Delbrel au Comité, 27, 28 et 30 juillet ; Du Bois du Bais au Comité, 30 juillet (A. G.) ; Rec. Aulard, V, 923.

[20] Rec. Aulard, V, 420 ; Celliez à Bouchotte, 14 juillet (A. G.).

[21] Mot de Delacroix, séance du 10juillet (Moniteur du 12) ; séance des Jacobins des 15 et 17 juillet (Journal de la Montagne des 16 et 19 juillet) ; Celliez et Varin à Bouchotte, 25 et 28 juillet (A. G.)

[22] Celliez à Bouchotte, 14 juillet ; dénonciation d'Ernouf ; Bouchotte à Kilmaine, 2 août (A G.) ; Rec. Aulard, V, 444 ; VI, 15 ; Cf. sur Le Veneur le travail d'Et. Charavay, (A. G.), Le Général Le Veneur, 1895.

[23] Celliez à Bouchotte, 15juillet (A.G.) ; cf. Trahison de Dumouriez, 185.

[24] Celliez à Bouchotte, 15juillet (A. G.)

[25] Celliez et Varin à Bouchotte, 25 juillet ; Defrenne à Bouchotte, 22 avril ; Billaud et Niou au Comité, 11 août (A. G.) Né à Brives (7 août 1757), lieutenant d'artillerie en second (1780) et en premier (1783), adjudant général lieutenant-colonel (1er sept. 1792), colonel (8 oct. 1792), général de brigade (15 mai 1793), Des Bruslys devint général de division le 13 juillet 1808 et se brûla la cervelle à la Réunion le 25 sept. 1809 plutôt que de traiter avec les Anglais.

[26] François de Baussancourt, né à Andelot (Haute-Marne) le 17 septembre 1742, avait servi en Pologne et s'était retiré avec le grade de capitaine ; élu lieutenant-colonel du 3e bataillon de la Marne au mois de septembre 1791, il était général de brigade depuis le 12 avril 1793.

[27] Celliez et Varin à Bouchotte, 25 juillet (A. G.)

[28] Celliez et Varin à Bouchotte, 25 juillet (A. G.) ; Courtois à Bouchotte, 5 juin (Charavay, Carnot, II, 330).

[29] Rapport de Ronsin, 17 août (A. G.) ; Cf. Valenciennes, 174-176.

[30] Cf. sur Chérin, Trahison de Dumouriez, 192 et Valenciennes, 190-191, 195 ; Celliez et Varia à Bouchotte, 31 juillet (A. G.) ; Chérin, arrêté, écrivait le 5 au Comité pour comparaître devant le tribunal révolutionnaire.

[31] Celliez à Bouchotte, 14 juillet (A. G.).

[32] Charavay, Carnot, II, 241 ; d'Harville à Pache, 25 déc. 1792 ; Du Bois du Bais au Comité, 30 et 31 juillet 1793 ; Tourville à Bouchotte, 26 juillet (et note de Bouchotte) ; Tourville à la division de Maubeuge, 6 août (A. G.) ; Cf. Trahison de Dumouriez, 205 et Valenciennes, 188.

[33] Charavay, Carnot, II, 243 et 330 ; Rosières à Bouchotte, 4 août ; Defrenne à Bouchotte, 6 mai ; Courtois à Bouchotte, 5 juin (A. G.) ; Cf. Jemappes, 24, 90, 208, 251 et Trahison de Dumouriez, 190.

[34] Celliez et Varin à Bouchotte, 25 juillet (A. G., Exposé de la conduite de Gobert, 13-15 ; cf. sur Gobert nos volumes précédents, notamment Valmy, p. 73, 251, 253, et Charavay, Le Veneur, p 15 et annexes.

[35] Charavay, Carnot, II, 242 ; lettre d'un agent secret, 18 juin (A. E.) Defrenne à Bouchotte, 30 avril et 6 mai ; Lavalette à Bouchotte, 7 mai (A G.)

[36] Defrenne à Bouchotte, 16 mai ; Du Bois du Bais au Comité, 31 juillet (A. G.) ; cf. Charavay, Carnot, II, 241. Il sera question de Kerenveÿer au chapitre de Dunkerque.

[37] Charavay, Carnot, II, 248, 257, 272, 337, 344, 447 ; cf. Defrenne à Bouchotte, 27 avril. Gasparin et Lesage-Senault au Comité, 19 mai ; Courtois à Bouchotte, 5 juin ; Duquesnoy et Le Bas au Comité, 11 août (A. G.) ; Rec. Aulard, V. 4 ; déposition de Duquesnoy au procès d'O'Moran (A. N. W. 335.)

[38] Gadolle, lettre du 14 juin (A. E.) ; dénonciations d'Ernout et de Duquesnoy. (A. N. W. 335) ; Charavay, Carnot, II, 168. 310, 448.

[39] Courrier de Gorsas, nos des 5 et 19 nov. 1790 ; Charavay, La Révolution française, n° du 14 nov. 1822, 410-420 et Carnot, II, 429 ; Mém. du général Thiébault, I, 352, 359, 397, 414-442 ; ordre de Bouchotte du 24 juillet (A. G.)

[40] Colaud à Des Bruslys, 4 août (A. G.)

[41] Pareillement, le général Queyssat, suspendu le 30 juillet, ne reçut sa lettre de suspension que le 11 août de la main de Houchard ; le 2 août, les représentants Levasseur et Le Tourneur écrivaient à Bouchotte que Kilmaine désirait conserver provisoirement Queyssat.

[42] Kilmaine à Bouchotte, 1er et 7 août ; Bouchotte à Kilmaine, 1er et 8 août ; Gay-Vernon au Comité, 1er août et à Xavier Audouin, 3 août (A. G.). Cf. sur Thüring la notice de Charavay (Carnot, II, 91) et plusieurs lettres de Berthelmy (notamment celle du 24 août), qui suspecte la délicatesse de Thüring et refuse d'apostiller ses mémoires et de rembourser ses dépenses.

[43] Journal de Bricard, 68-69 : Gay-Vernon à Audouin, 3 août ; relation d'Arnaudin (A. G.). Cet ingénieur accompagnait le duc d'York : Les Français, dit-il, n'avaient point de chef. Le Veneur qui avait succédé k Custine, venait d'être destitué. Un certain général Antoine commandait la cavalerie, et peut-être était-ce lui qui commandait en chef. On a aussi parlé dans le temps d'un général Kilmaine. Cette incertitude démontre autant que toute autre chose l'extrême confusion qui régnait parmi les Français.

[44] Le Conseil de guerre de Landrecies envoyait en effet deux commissaires à Péronne parce qu'il croyait que le quartier général s'était transporté dans cette ville (Foucart et Finot, II, 362.)

[45] Witzleben, Coburg, II, 258-284 ; Sichart, Gesch. der hannov, Armee 1871, vcl. IV, p. 236-239 ; Delbrel, Notes hist., 41-44 ; Jomini, IV, 19-33 ; Gay-Vernon, Custine et Houchard, 220-226 ; relations d'Arnaudin et de Langeron ; Billaud et Niou au Comité, 11 août (A. G.).

[46] Cf. outre Witzleben, Jomini et Langeron, Dohna, III, 203, et Vivenot, Vertraul. Briefe an Thugut, I, 30. Scharnhorst (voir la biographie de Max Lehmann, I, 113) essaya de justifier le duc d'York : la chaleur, dit-il, était trop grande ; une partie de l'infanterie resta en chemin ; on eut tort de ne faire marcher los troupes qu'en une seule colonne, enfin, le but de l'entreprise fut atteint puisqu'on voulait simplement, selon les instructions du quartier-général, se débarrasser de l'ennemi pendant quelque temps.

[47] Kilmaine à Bouchotte, 8 août ; Houchard à Bouchotte, 10 août ; Colaud à Des Bruslys, 10 août (A. G.).

[48] Defrenne à Bouchotte, 22 avril ; Courtois à Bouchotte, 5 juin ; Celliez au même, 18 et 26 juillet ; Kilmaine à Bouchotte. 4 et 8 août (A. G.) ; Rec. Aulard, V, 474 ; Charavay, Carnot, II, 328 ; Galerie militaire, an XIII, tome IV, p. 355 et 359.

[49] Bouchotte à Barthel, 4 août ; Barthel à Bouchotte, 7 et 12 août ; Hédouville à Houchard, 11 août (A. G.) ; cf. sur Barthel le Carnot de Charavay, II, 26, 247, 250, 369 ; et une lettre de Duquesnoy au Comité, 25 août.

[50] Kilmaine à Bouchotte, 17 août ; Viger au Comité, 14 septembre (A. G.) ; Bouchotte à l'accusateur public, 12 pluviôse an II (A. M. W. 335) ; Robespierre aux jacobins, 11 août (Journal de la Montagne du 13) ; Moniteur des 27 septembre et 18 octobre ; ordre du Comité de mettre le ci-devant général Kilmaine en état d'arrestation (9 nivôse).