CLOVIS ET LES MÉROVINGIENS

 

LIVRE IV. — RÈGNE DE CLOVIS.

 

 

Il serait difficile de suivre avec des détails précis, la fondation et le développement de la monarchie française sous Clovis et les progrès de la civilisation ; tant de barbarie, de force et de violence se mêlent aux actes des rois francs ! on ne trouve un peu d'ordre que dans la société gallo-romaine. Aëtius, le vainqueur d'Attila, avait pris ou reçu le titre de roi : son fils Syagrius, que les chroniques appellent aussi roi des Gaules romaines, lui succéda à titre héréditaire[1]. La Chronique de Frédégaire se borne à l'appeler Patrice, dignité toute byzantine conservée dans le livre de pourpre et d'or. Les empereurs, au reste, ne gardaient plus que des droits incertains sur les officiers du palais qui gouvernaient la partie romaine des Gaules depuis l'Auvergne jusqu'à l'Armorique, confédération libre et indépendante.

La puissance des chefs francs devait donc considérablement s'augmenter par leur alliance avec les évêques gallo-romains ; une grande partie de la milice était composée de Lètes et de Saliens qui avaient reçu des terres en bénéfices et se recrutaient dans les pays de la Thuringe, de la Meuse et du Rhin : dès qu'il s'éleva un chef de tribu, capable et habile parmi les Francs, il dut sans efforts se substituer au pouvoir de Syagrius, au lieu de subir l'autorité d'un officier romain. La société mixte de Francs, Lètes, Saliens, Gaulois, devait élire un de ses chefs le plus capable de la protéger et de la mener à la conquête.

Clovis, fils ou parent de Childeric[2], car à cette époque la loi d'hérédité n'existait pas absolue dans la ligne directe, attaqua hardiment Syagrius le Romain : sa lutte ne fut ni longue, ni incertaine. Partout Clovis trouvait comme auxiliaires ses vieux compagnons, déjà colons dans les champs cultivés, ou soldats sous la tente. La Chronique de Saint-Denis dit : Clovis moult estoit biaus et preus noble fu en bataille glorieux en victoire ; il chassa dehors de Soisson Siagre le fils de Gilon le romain. Les évêques qui craignaient que Syagrius par son alliance avec les Visigoths n'adoptât la foi des Ariens, favorisèrent les projets de Clovis. L'arianisme était la grande terreur de l'Église. Alaric, roi des Goths, renouvelait contre les catholiques les supplices des mauvais jours du polythéisme : les églises étaient fermées avec des troncs noueux d'arbres ou des épines aiguës, afin que les fidèles ne pussent y célébrer la messe. Quand Clovis parut au nord dans les colonies des Lètes, autour dé Cambrai, les choses étaient tellement préparées que tout fut décidé par une seule bataille : le patrice ou le roi Syagrius délaissé par les Lètes et les Colons fut vaincu avec ses Romains de l'Auvergne qui seuls obéissaient nominativement aux empereurs : il se retira en toute hâte à Toulouse[3]. Ainsi finit la domination des empereurs romains sur les Gaules[4]

Durant cette conquête, Clovis toujours au centre des Gaules, s'efforça de se rattacher les magistrats, évêques, sénateurs, dans les cités gallo-romaines, tous animés contre les Goths et les Bourguignons ariens. Si l'ost (l'armée) des Francs toloit et roboit tout ce qu'elle pouvoit, Clovis avec adresse réparait les pillages autant qu'il était en son pouvoir et les chroniques en ont laissé le témoignage dans le fameux vase de Soissons. Des soldats avaient enlevé d'une basilique un vase d'une grande valeur et d'une beauté étonnante de ciselure byzantine : L'évêque envoya vers Clovis, dit Grégoire de Tours, des messagers pour demander que si on enlevait les autres vases on lui rendit au moins celui-là. Le roi ayant entendu ces paroles dit au messager : Suis-moi jusqu'à Soissons, parce que c'est là qu'on partagera tout le butin et lorsque le sort m'aura donné ce vase, je ferai ce que demande l'évêque. Étant arrivé à Soissons, on mit au milieu de la place tout le butin et le roi dit : Je vous prie, mes braves guerriers, de vouloir bien m'accorder outre ma part ce vase que voici. Les plus sages répondirent aux paroles du roi : Glorieux roi, tout ce que nous voyons est à toi, nous-mêmes nous sommes soumis à ton pouvoir. Fais donc ce qu'il te plaît, car personne ne peut résister à ta puissance[5]. Lorsqu'ils eurent ainsi parlé, un Franc présomptueux, jaloux et emporté, éleva sa framée et en frappa le vase en s'écriant : Tu ne recevras de ceci, rien que ce que donnera vraiment le sort. A ces mots tous restèrent stupéfaits. Le roi, cachant le ressentiment de cet outrage, prit un air de patience. Il rendit au messager de l'évêque le vase qui lui était échu, gardant au fond du cœur une secrète colère. Un an s'était écoulé : Clovis ordonna à tous ses guerriers de venir au Champ de Mars revêtus de leurs armes pour voir si elles étaient brillantes et en bon état. Tandis qu'il examinait tous les soldats en passant devant eux, il arriva auprès de celui qui avait frappé le vase de Soissons et lui dit : Personne n'a des armes aussi mal tenues que les tiennes ; ni ta lance, ni ton épée, ni ta hache ne sont en bon état, et lui arrachant sa hache il la jeta à terre. Le soldat s'était baissé un peu pour la ramasser, le roi levant sa francisque la lui abattit sur la tête en lui disant : Voilà ce que tu as fait au vase de Soissons. — Après ce qu'il fut mort, continue la Chronique de Saint-Denis, se parti le roy de sa gent et retourna chascun en sa contrée. Ce fait espoventa si tous les François, que nul ne fu puis si hardi qu'il osast contredire sa volenté.

Ainsi le roi Clovis tendait la main aux évêques[6] ! Dans ce curieux récit de Grégoire de Tours on peut remarquer plusieurs traits particuliers : Clovis n'est encore que le premier entre ses compagnons d'armes : il a sa part de butin, rien au delà ; mais le barbare, très-rusé, garde la mémoire de sa vengeance et l'accomplit, ce qui lui donne un ascendant suprême sur ses compagnons d'armes. Ce fut après cette guerre finie que Clovis désira pour femme Clotilde, de la famille des rois bourguignons : Les Bourguignons avaient pour roi Gronderic[7] de la race du roi persécuteur Athanaric. Il eut quatre fils : Gondebaud, Godegisele, Chilpéric et Godemar. Gondebaud égorgea son frère Chilpéric, et ayant attaché une pierre au cou de sa femme, il la noya[8]. Le plus âgé des enfants de Ghilpéric avait pris l'habit religieux, il s'appelait Chrona et la plus jeune des filles était Clotilde. Clovis envoyait incessamment des députés en Bourgogne : ceux-ci virent la jeune Clotilde. Témoins de sa beauté et de sa sagesse et ayant appris qu'elle était du sang royal, ils dirent ces choses au roi Clovis. Celui-ci envoya des députés à Gondebaud pour la lui demander en mariage : Gondebaud, craignant les conséquences d'un refus, la remit entre les mains des députés qui recevant la jeune fille se hâtèrent de la mener au roi. Clovis transporté de joie à sa vue en fit sa femme. Il avait déjà d'une concubine un fils nommé Théodoric.

La Chronique de Saint-Denis donne plus de détails sur ce mariage : Gondebaud, roi des Bourguignons, oncle de Clotilde, ne se souciait pas de la donner à Clovis : mais il n'osait résister aux Francs, nation vaillante et vindicative : ils avaient envahi les terres des Bourguignons. Clotilde reçut l'anneau et les présents de Clovis. La pucelle se mit en route sous la garde du leude Aurélien[9]. A mesure qu'elle traversait les terres qui avaient appartenu à son père, Clotilde faisait tout brûler et piller pour le venger, et quand elle vit la terre ainsi endommagée elle tendit ses mains vers le ciel et dit : Souverain Dieu ! je te rens grâces et merci de ce que je vois si biau commencement de la venjance de la mort de mon père et ma mère. — Le roy reçut sa femme à grant liesce (fête) de cuer en la cité de Soissons[10]. Ainsi parle la Chronique de Saint-Denis. Jusqu'à ce mariage, Clovis avait vécu à la manière des barbares, entouré de concubines ou de captives qu'il menait avec lui sous la tente.

L'évêque Remy, né de parents sénateurs, habitait Laon sur le sommet de la colline ; dans son enfance, au milieu de la décadence des lettres, il s'était adonné à l'étude, aux règles de bonnes mœurs[11], et tel avait été son ascendant dans les cités que jeune homme, à vingt-deux ans, il fut élu par le peuple évêque de la métropole de Reims. Du sein de sa basilique, il gouverna le nord des Gaules par la puissance de ses lumières et de son caractère : dès que les Francs s'établirent dans cette province, saint Remy se mit en rapport avec les principaux chefs ou rois de la nation conquérante, avec Clovis surtout, le plus puissant d'entre eux. Remy appartenait au Sénat, à l'ordre des municipes qui exerçait un pouvoir réel au milieu des Gaules. Clovis, avec sa finesse barbare, sembla comprendre qu'il ne pouvait se substituer à la domination romaine qu'en s'identifiant avec les coutumes, les mœurs des habitants et il lui fallait le concours des évêques qui gouvernaient[12]. Il vit donc beaucoup l'évêque Remy, le consultant sur toute chose, et Remy lui insinua adroitement qu'il ne serait maître des cités gallo-romaines qu'en se faisant chrétien. Clovis hésitait néanmoins avant de prendre une telle résolution ; il paraissait fort attaché à ses dieux, à la religion des forêts ; ses leudes d'ailleurs accepteraient-ils cet abandon des habitudes de la Germanie ? La résolution de Clovis fut longtemps méditée et préparée. Les prières de Clotilde, la Bourguignonne catholique, avaient obtenu le baptême du premier enfant né en mariage : cet enfant mourut presque aussitôt, et l'on entendit murmurer qu'il était mort parce qu'il avait été offert à un autre Dieu qu'à celui des Francs. Lorsqu'un second fils naquit, Clotilde obtint encore qu'il serait baptisé, tant le roi ménageait la foi des Gallo-Romains ! Toujours en correspondance avec saint Remy, il lui écrivit que si personnellement il n'était pas éloigné de faire ce que l'évêque lui demandait, il n'était pas également sûr que ses compagnons adopteraient la même foi et suivraient son exemple : Clotilde, dit Grégoire de Tours, ne cessait de supplier le roi de reconnaître le vrai Dieu et d'abandonner les idoles ; rien ne put l'y décider jusqu'à ce qu'une guerre s'étant engagée contre les Allemands, les deux armées se battirent avec un acharnement terrible ; celle de Clovis commençait à être taillée en pièces[13]. Ce que voyant le roi éleva les mains vers le ciel et fondant en larmes il dit : Jésus-Christ, que Clotilde affirme d'être le fils du Dieu vivant, qui, dit-on, donnes du secours à ceux qui sont en danger et accordes la victoire à ceux qui espèrent en toi, j'invoque avec dévotion la gloire de ton secours ; si tu m'accordes la victoire sur mes ennemis, et que je fasse l'épreuve de cette puissance dont le peuple consacré à ton nom, dit avoir reçu tant de preuves, je croirai en toi et me ferai baptiser ; car j'ai invoqué mes dieux et ils se sont éloignés de mon secours ; ce qui me fait croire qu'ils ne possèdent aucun pouvoir, puisqu'ils ne secourent pas ceux qui les servent. Je t'invoque donc, je désire croire en toi ; seulement que j'échappe à mes ennemis. Comme il disait ces paroles, les Allemands tournant le dos, commencent à se mettre en déroute et leur roi mort ils se rendent à Clovis en lui disant : Nous te supplions de ne pas faire mourir notre peuple, car nous sommes à toi. Clovis ayant arrêté le carnage et soumis le peuple rentra en paix dans son royaume, et raconta à Clotilde comment il avait obtenu la victoire en invoquant le nom du Christ[14].

Le récit de Grégoire de Tours dit dans quelle condition Clovis résolut d'embrasser le christianisme ; il fallait achever l'ouvrage : Clotilde manda secrètement l'évêque Remy, le priant de faire pénétrer dans le cœur du roi la parole du salut. Le pontife fit venir Clovis et commença à l'engager secrètement à croire au vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre, et à abandonner ses idoles qui n'étaient d'aucun secours ni pour elles-mêmes, ni pour les autres. Clovis dit : Très-saint Père, je t'écouterai volontiers ; mais il me reste à te dire une chose, c'est que le peuple qui m'obéit ne veut pas abandonner mes dieux ; j'irai à eux et je leur parlerai d'après tes paroles. Lorsqu'il eut assemblé les Francs, avant qu'il eût parlé et par l'intervention de la puissance de Dieu, tout le peuple s'écria unanimement : Pieux roi, nous rejetons les dieux mortels et nous sommes prêts à obéir au Dieu immortel que prêche Remy. On apporta cette nouvelle à l'évêque qui transporté d'une vive joie ordonna de préparer les fonts sacrés. On couvre de tapisseries peintes les portiques intérieurs de l'église ; on les orne de voiles blancs : on dispose les fonts baptismaux, on répand des parfums, les cierges brillent de clarté, tout le temple est embaumé d'une odeur divine et Dieu fait descendre sur les assistants une si grande grâce qu'ils se croyaient transportés au milieu du paradis[15]. Le roi pria le pontife de le baptiser le premier. Le nouveau Constantin marche vers lu basilique pour s'y faire guérir de la vieille lèpre qui le souillait et laver dans une eau nouvelle les taches hideuses de sa vie passée. Comme il s'avançait vers le baptistère, l'évêque lui dit de sa bouche éloquente : Sicambre, abaisse humblement ton cou, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. Saint Remy était un évêque d'une grande science et livré surtout à l'étude de la rhétorique ; il était si célèbre par sa sainteté qu'on égalait ses vertus à celles de saint Silvestre. Nous avons un livre de sa vie où il est dit qu'il ressuscita un mort[16].

La hauteur hardie des paroles de saint Remy que tous les contemporains rapportent, exprimait avec énergie le triomphe de la civilisation gallo-romaine sur la barbarie des Francs. La Chronique de Saint-Denis ajoute au récit quelques naïves incidences : Messire sainct Rémi fist tout maintenant les fons appareiller, pour le roy baptisier et cens que sa prédication avoit convertis. Quant tout fu appareillé, le roy descendi es fons comme un autre Constantin. Et comme sainct Remi récitoit la manière de la passion de Jésus-Christ, Comme le Seigneur fu lié à l'estache, battu, escopié et puis crucefié, le roy qui avoit moult compassion des griefs que on lui avoit fait, dist un biau mot : Certes, si je eusse là esté atout mes François, je eusse bien vengié les outrages que on lui faisoit[17].

La place qu'occupait Clotilde dans cette société barbare fut toujours considérable ; si elle n'avait pu éteindre les instincts sauvages de la race des Francs, elle les avait apaisés autant qu'il était en son pouvoir, et par son caractère quelquefois implacable, elle avait favorisé l'autorité des évêques, médiateurs suprêmes ; elle avait bâti des églises pour constater sa foi et détruire l'idolâtrie ; elle avait fondé des monastères, maisons de refuge où les rois dépouillés de leur longue chevelure échappaient à la mort. Dans ces retraites, au pied des autels, souvent les rois déchus acquéraient par leur vertu, par leurs actions merveilleuses, l'influence qu'ils avaient perdue comme fils de la famille sacrée. La légende de saint Cloud (Clodowald)[18] constate comment un roi découronné pouvait agir sur la société franque dans ces jours de désordre. Clodowald n'avait plus la longue chevelure des Francs, mais dans la solitude d'un monastère il exerçait une sorte d'arbitrage sur toute sa famille. Les évêques n'avaient pas toujours une autorité assez forte pour lutter contre ces impitoyables habitudes ; les miracles et les légendes avaient à peine assez d'ascendant pour les contenir ; il fallait multiplier le culte des images. Ici la tunique d'un saint élevée en étendard empêchait le massacre du peuple ou protégeait une ville et ses habitants ; là les châsses d'or devenaient les protectrices des droits municipaux, souvent une vision récitée ou une apparition subite empêchait le mal ou préparait le bien. Les légendes et les miracles furent la sauvegarde de cette génération : il fallait du merveilleux pour contenir et diriger ces imaginations ardentes[19].

L'évêque Remy en déployant une grande pompe byzantine au baptême de Clovis et des Francs avait voulu frapper les yeux par l'aspect de la basilique couverte de tentures et de tapis à mille couleurs éclatantes. L'alliance du roi franc et de la société gallo-romaine était assurément accomplie par un acte aussi solennel que le baptême ; néanmoins en lisant les chroniques contemporaines on doit reconnaître que le vieux Sicambre ne s'était pas dépouillé de ses armures, ni jeté loin de lui sa sanglante framée. Clovis fut toujours le sauvage des bords du Rhin et de la Meuse, le Sicambre couvert de peaux de bêtes fauves, l'habitant des forêts Hercyniennes ou des Ardennes, et c'est à dompter ce caractère que Clotilde consacra sa vie : elle se mêla quelquefois même à ses actes cruels. Toutes les expéditions et les conquêtes de Clovis contre les Bourguignons et les Visigoths furent facilitées par le concours des évêques[20], Clovis fut le bras armé de l'Église catholique contre l'arianisme alors accepté par la grande majorité des barbares et qui menaçait d'absorber toutes les Gaules.

Les savants bénédictins ont admirablement résumé les expéditions de Clovis contre les Visigoths[21] : L'an 507, Clovis ayant assemblé les grands du royaume, C'est une honte, leur dit-il, qu'un prince arien, tel que cet Alaric, roi des Visigoths, possède la meilleure partie de la Gaule. Tous en même temps levèrent la main en protestant qu'aucun d'eux ne raserait sa barbe avant d'avoir vaincu et chassé Alaric. Clovis gagne une grande bataille à Vouglé près de Champagne-Saint-Hilaire sur le Clainis, à dix milles de Poitiers sous la domination d'Alaric (les auteurs du temps ajoutent in campo ou campania Vocladensi). Il tue Alaric d'un coup de sa framée. Ayant divisé son armée, Clovis en donna une partie à Thierry, son fils, qui soumit l'Albigeois, le Rouergue, le Quercy et l'Auvergne ; Clovis se réserva la conquête du Poitou, de la Saintonge et du Bordelais où il passa l'hiver. Au printemps, il parut devant Toulouse qui lui ouvrit ses portes sans résistance. Il s'empara des trésors d'Alaric que Gesalric, son successeur, n'avait pu emporter en se retirant à Carcassonne ; Clovis les fit transporter à Paris. Résolu de chasser entièrement les Visigoths des Gaules, il marcha sur Carcassonne. Son fils Thierry, auquel s'était joint Gondebaud, roi de Bourgogne, tenta de s'emparer d'Arles : il fut mis en fuite par le grec Ibbas[22], que Théodoric, roi d'Italie, avait envoyé au secours des Visigoths : Clovis leva le siège de Carcassonne et revint en Aquitaine où il assiégea la ville d'Angoulême qui se rendit après avoir vu tomber comme par miracle une partie de ses murailles.

Ainsi les bénédictins résument les faits avec une grande exactitude. La Chronique de Saint-Denis raconte avec la naïveté d'une chanson de gestes, cette expédition de Clovis contre les Visigoths sous ce titre : Comment le roy occit le roy Alaric par son corps ; et comment sa gent fut vaincue. Les Francs furent ainsi maîtres du midi.

Avant son expédition préparée, le roi avait envoyé des messagers au tombeau de saint Martin de Tours pour le consulter, et la réponse avait été favorable : ils avaient entendu chanter cette antienne : Sire (seigneur), tu m'as ceint et armé de vertu à bataille, et m'as donné les dos de mes ennemis. Ces paroles sacrées avaient été acceptées comme un augure. Après que Clovis eut tout son ost[23] assamblé, il vint fort contre ses ennemis à un fleuve qui est appelé Vianne (la Vienne), outre cuidièrent[24] passer, mais ils ne purent car les eaux abondoient. Dolant fu le roy, quant il vit qu'il ne put passer ni sa gent requist l'aide de Nostre-Seigneur par telles paroles : Sainte Trinité[25] et un seul Dieu en majesté donne-moi victoire contre les ennemis de la foi chrétienne et si m'octroie legier trespassement (passage) parmi ce fleuve. Aussitôt un cerf parut soudainement. Quand les Francs, qui d'ancienne coustume sont chasseurs plus qu'aucun autre virent la beste, fortement la prirent à chasser[26]. Le cerf se feri en l'eau et passa tout outre pour eux enseigner le passage. Le roy vint ainsi à Poitiers où il posa sa tente ; le matin tous les Francs se levèrent, le rûy commanda qu'ils fussent tous armés et chevauchèrent contre leurs ennemis, fortement combattirent de part et d'autre, mais à la parfin, furent les Goths déconfits et le dos tournèrent, et s'enfuirent comme saint Martin l'avoit dit. Le fort roy Clovis se feri dans la bataille où il choisi le roy Alaric au plus dru[27] de sa gent ; à lui se combatti corps à corps et l'abati à terre. Comme il le tenoit dessous lui et cherchoit là ou il pourroit ferir de mort, deux Goths le hurtèrent de deux glaives en ses deux costés mais ils ne le purent navrer (le blesser), car la souveraine vertu et le haubert le garantirent et sous lui il occit le roi Alaric avant qu'il se remuast de la place. En telle manière eut le roi victoire de ses ennemis par l'aide de Nostre-Seigneur.

Dans cette guerre de Clovis contre les Visigoths, on ne saurait trop le répéter, Clovis avec ses Francs trouvaient partout appui parmi les évêques du midi de la Gaule. C'est ce qui explique les invocations incessantes aux miracles de saint Martin de Tours auquel le roi consacrait une partie du butin fait sur les Visigoths[28]. Quand on lit les chroniques, on est vivement frappé de cette puissance qu'exerce le nom de saint Martin de Tours sur la société gallo-romaine. On invoque ses reliques ; son tombeau est respecté par toute la race belliqueuse des Francs.

A Tours, Clovis reçut des envoyés de l'empereur Anastase qui lui apportèrent les insignes du patriciat et les honneurs consulaires[29]. L'empire maintenait ainsi les vestiges de sa grandeur : Constantinople était encore le centre de la science, des arts, de l'industrie : ses églises, ses palais, ses hippodromes étaient cou verts d'or ; une population immense remplissait ses vastes voies où les chars roulaient jusqu'au but ; les factions vertes, pourpres ou jaunes se disputaient le prix de la course et de la lutte ; l'industrie des Grecs inventait les plus merveilleux produits dans les couleurs, les instruments, les ouvrages tissus de soie ou d'orfèvrerie qu'ils apportaient jusque dans les foires et marchés des Gaules. Le commerce s'y faisait par le concours des Juifs et des Lombards ; les ouvriers gaulois empruntaient beaucoup à l'art byzantin pour les anneaux, les colliers, les sièges, les trônes. La bulle écrite en pourpre adressée par l'empereur Anastase à Clovis, fut lue et relue avec joie et respect. Le roi se revêtit du manteau de patrice dans la basilique de Saint-Martin de Tours aux acclamations de la multitude[30].

En même temps le pouvoir de Clovis recevait la sanction de la Papauté. Anastase II lui écrivait : Glorieux et illustre fils, maintenez la joie de votre mère l'Église et ayez pour elle la solidité d'une colonne de fer, afin que cette mère vous protège dans toutes les voies où vous entrez, et qu'elle vous donne la victoire sur tous les ennemis qui sont autour de vous. A ce moment l'autorité de Clovis s'étendait sur presque toute la Gaule romaine : Soissons, Noyon jusqu'à Autun et Clermont en Auvergne. Par ses conquêtes, il imposait ses lois aux Allemands ; les Bourguignons furent définitivement domptés ; Clotilde appartenait à cette race. Dans ces guerres fortement conduites, le caractère de Clovis se révèle tel qu'il était, sauvage, sanglant, rusé à la manière des barbares : Le roi, dit Grégoire de Tours, marcha contre Chararic (c'était un chef franc établi à Thérouannes) dans la guerre contre les Syagriens. Clovis l'avait appelé à son secours, mais Chararic se tint loin de lui et ne secourut aucun parti, attendant l'issue du combat pour faire alliance avec celui qui remporterait la victoire. Indigné de cette inaction, Clovis s'avança contre lui et l'ayant entouré de pièges, il le fit prisonnier avec son fils et les fit tondre tous les deux en ordonnant que Chararic fût ordonné prêtre et son fils diacre[31]. Comme Chararic s'affligeait de son abaissement, et pleurait, on rapporte que son fils lui dit : Ces branches ont été coupées d'un arbre vert et vivant, il ne séchera point et en poussera de nouvelles. Plaise à Dieu que celui qui a fait ces choses ne tarde pas à mourir ! Ces paroles parvinrent à Clovis ; il crut qu'ils le menaçaient de laisser croître leur chevelure et de le tuer, il ordonna alors qu'on leur tranchât la tête. Après leur mort, il s'empara de leur royaume, de leurs trésors et de leurs sujets.

Grégoire de Tours continue : Il y avait alors à Cambrai un roi nommé Ragnachaire, si effréné dans ses débauches qu'à peine il épargnait ses propres parentes. Il avait un conseiller nommé Farron, souillé de semblables dérèglements. On rapporte que lorsqu'on apportait au roi quelque mets ou quelque don, il avait coutume de dire que c'était pour lui et son Farron ; ce qui excitait chez les Francs une indignation extrême. Il arriva que Clovis ayant fait faire des bracelets et des baudriers en faux or (c'était seulement du cuivre doré) les donna aux leudes de Ragnachaire pour les exciter contre lui ; il marcha ensuite avec son armée. Ragnachaire avait des espions pour reconnaître ce qui se passait. Il leur demanda quand ils furent de retour quelle pouvait être la force de cette armée ? Ils lui répondirent : C'est un renfort considérable pour toi et ton Farron. Mensonge pour tromper le roi. Clovis, étant arrivé, lui fit la guerre. Ragnachaire se préparait à prendre la fuite lorsqu'il fut amené avec son frère Richaire, les mains liées derrière le dos, en présence de Clovis. Celui-ci dit à Ragnachaire : Pourquoi as-tu fait honte à notre famille en te laissant enchaîner ? et il le frappa lui-même de sa hache. Après sa mort, ceux qui l'avaient trahi reconnurent que l'or qu'ils avaient reçu de Clovis était faux. L'ayant reproché au roi, il leur répondit : Celui qui de sa propre volonté traîne son maître à la mort, mérite de recevoir un pareil or, ajoutant qu'ils devaient se contenter de ce qu'on leur laissait la vie et de ne pas expier leur trahison dans les tourments[32]. Ceux-ci l'assurèrent qu'il leur suffisait qu'il les laissât vivre. Ces rois frappés de la framée étaient les parents de Clovis. Ricomer fut tué par son ordre dans la ville du Mans : Clovis recueillit ses royaumes et tous ses trésors. Ayant tué de même beaucoup d'autres rois, et ses plus proches parents, dans la crainte qu'ils ne lui enlevassent l'empire, il 'étendit son pouvoir dans toute la Gaule[33].

Il est impossible après avoir lu les récits de ce temps de ne pas reconnaître que la barbarie avait gardé toute sa puissance sur Clovis : le roi était redevenu Sicambre. La société au reste devait être accoutumée à ces mœurs, car les chroniques rapportent les faits avec indifférence. Clovis tue de sa main ses proches, ses parents pour s'emparer de leurs biens, et cette férocité n'excite ni pitié, ni étonnement ; on dirait le cours naturel des choses. L'esprit chrétien ne s'était emparé que de la superficie de ce barbare, qui restait impitoyable, rusé comme une bête fauve : Ayant un jour assemblé ses Francs, Clovis parla ainsi de ses parents qu'il avait fait lui-même périr : Malheur à moi qui suis resté comme un voyageur parmi des étrangers n'ayant pas de parents qui puissent me secourir si l'adversité venait ! Ce n'était pas qu'il s'affligeât de leur mort, il parlait ainsi seulement pour découvrir s'il avait quelques parents encore pour les faire tuer.

Ainsi était Clovis, proclamé roi, patrice, consul : ces titres d'une civilisation régulière ne changeaient pas son caractère ; les évêques intervenaient en vain. Les légendes de l'enfer n'avaient pas encore assez de puissance pour contenir et refréner les chefs. Il faut ajouter une observation générale[34] : partout où règne la polygamie, la famille n'existe pas régulière ; il y a de la froideur, de la jalousie entre les enfants de mères différentes ; la mère est la source de l'amour, de la douceur ; on ne se croit ni frère ni parent quand on ne sort pas des mêmes entrailles. Clovis avancé en âge vint habiter au palais des Thermes, dans Lutetia parisiensi, simple bourgade que César avait appelée Lutèce, les uns disent à cause de ses boues, les autres parce qu'elle était appelée l'île aux corbeaux (Louthouèsi, en celtique)[35]. César avait entouré l'île d'une ceinture de pierres : séjour du préfet des Gaules, elle était déjà renommée et l'empereur Julien dans son Misopogon écrit : Je passerai l'hiver au milieu de ma Lutèce chérie, elle est située dans une île où l'on entre par deux portes de bois (le pont au Change et le Petit pont) ; il y croît d'excellentes vignes et l'on y connaît aussi l'art d'élever les figuiers[36]. Les jardins des Thermes s'étendaient jusqu'à la Bièvre, chauffés par un beau soleil. Quelques villas avaient été construites au delà des murs. Sur le mont Leucotius s'éleva bientôt une basilique en l'honneur de saint Pierre et de saint Paul ; elle fut ensuite consacrée à sainte Geneviève par la reine Clotilde, témoignage de reconnaissance du peuple de Paris. La cité était encore bien étroite : il n'y avait dans l'enceinte que de petites chapelles. Clovis voulait avoir une basilique à côté de son palais. Clotilde fut la fondatrice des royales abbayes : il fallait donner un asile aux chefs découronnés. Les basiliques étaient simples, un peu dans cette forme sévère des églises qu'on trouve à Rome sur les flancs du cirque de Titus et du Campo Vaccino. Au palais des Thermes, Clovis scella ses dernières chartes avec le titre de Rex Francorum[37]. Grégoire de Tours ne dit qu'un mot sur sa mort : Clovis mourut à Paris où il fut enterré dans la basilique des Saints-Apôtres qu'il avait lui-même fait bâtir avec la reine Clotilde. Il mourut cinq ans après la bataille de Vouglé[38]. Son règne avait duré trente ans et sa vie quarante-cinq. On compte cent douze années depuis la mort de saint Martin jusqu'à celle du roi Clovis, arrivée la onzième année du pontificat de Licinius, évêque de Tours. La reine Clotilde, après la mort de Clovis, vint à Tours et là, s'établissant dans la basilique de Saint-Martin, elle y vécut pleine de vertus et de bonté et visitant rarement Paris[39]. La vieille chronique de Saint-Denis est encore plus laconique sur la mort de Clovis : Le fort roy Clovis qui avoit déjà tant vescu que il avoit aprochié les termes de son âge, trespassa de ce siècle, quant il eut régné trente ans crestien, et le neuvième an après qu'il eut occis le roy Alaric. Mis fu en sépulture en l'eglyse Saint-Pierre de Paris (qui maintenant est appelée Sainte-Geneviève), laquelle il avoit fondée à la requeste de sa femme la royne Clotilde. Sur sa sépulture fu mis une épitaphe, par vers moult bons et moult bien dis, que messire saint Rémi fist. Mort fu le fort roy cent et douze ans près le trépassement monseigneur saint Martin[40].

Les savants bénédictins ont donné sur les actes du gouvernement de Clovis des détails puisés aux vieilles et sérieuses sources de l'histoire : Clovis permit aux nations qu'il subjugua de vivre conformément aux lois qu'il trouva établies parmi elles. Ainsi les Gaulois continuèrent de suivre les lois romaines ; les Visigoths, les Bourguignons, les Allemands, les Bavarois leur code national et furent jugés suivant ce code. La distribution des provinces gauloises demeura la même dans l'ordre ecclésiastique qu'elle avait été dressée par les empereurs. Mais dans l'ordre civil le royaume fut partagé en comtés et en duchés ; chaque cité, divisée en cantons (Pagi), ayant à leur tête un centenier gouverné par un comte ; et un nombre de cités formaient un duché, ce qui n'était cependant pas uniforme ; car il y avait des duchés qui n'étaient composés que d'une cité, et des comtés qui n'étaient compris dans aucun duché[41]. Quelquefois aussi le duc était inférieur au comte, et de là vient qu'on ne faisait pas de difficulté de quitter le premier titre pour prendre le second : le duc de Toulouse devenu comte en est une preuve. Clovis, par un mélange de la coutume des Francs et des lois romaines, réunit la puissance des lois et celle des armes dans la personne des ducs et des comtes. A l'égard des impôts, il les laissa subsister sur le pied qu'ils avaient été établis par les Romains. Les Francs néanmoins firent quelques modifications à leur profit. Ainsi les terres saliques étaient exemptes de toutes redevances et leurs possesseurs ne furent tenus qu'au service militaire. Les Francs ne furent point dispensés des dons que la nation faisait annuellement aux rois dans les assemblées solennelles et que l'usage avait convertis en redevances.

Les bénédictins continuent : La justice fut sommaire chez les Francs ; Mallum était le nom qu'on donnait au tribunal où elle se rendait ; ceux qui le composaient avec le comte ou le vicomte s'appelaient Rachimburges sous la première race de nos rois[42]. Dans l'origine de la monarchie, y avait-il une noblesse héréditaire ? les emplois et les titres ne l'étaient pas. On ne devenait pas duc, vicaire, scabin, centenier par héritage ; mais il y avait une classe où l'on naissait avec le pouvoir de parvenir à tous ces offices, et cette classe était celle des ingénus. En dehors tout était serf. Il y avait trois différentes sortes de servitude : 1° les serfs proprement dits, dans une dépendance absolue de leurs maîtres qui pouvaient disposer de leur fortune et même de leur vie : serfs de corps ; 2° les serfs à la glèbe, servi adscripti glebæ, c'est-à-dire attachés à un fond de terre pour la cultiver, espèces de fermiers perpétuels qui cultivaient pour leur compte moyennant une rétribution payée au propriétaire. Us faisaient partie de la terre confiée à leurs soins, de manière qu'ils ne pouvaient la quitter et qu'ils étaient vendus avec le fond comme les bestiaux employés à le mettre en valeur ; 3° enfin il y avait les Fiscalins, de deux espèces, les uns serfs proprement dits du fisc royal ; ils avaient la propriété de certains fonds dont ils pouvaient disposer sous le bon plaisir du roi[43]. Clovis et les Mérovingiens dataient communément leurs diplômes des années de leur règne, du jour, du mois où ils les expédiaient ; à quoi ils ajoutaient quelquefois, mais très-rarement, l'indiction. Souvent aussi leurs diplômes n'avaient aucune date. Ces diplômes sont écrits pour la plupart sur papier d'Egypte[44]. Clovis à la tête des siens se qualifiait de Vir inluster.

De ces savantes recherches, complétées par la lecture des chroniques, il résulte quelques faits généraux : La société gallo-romaine s'était reconstituée et consolidée après la victoire d'Aëtius sur Attila ; la puissance des évêques avait grandi, les municipes s'étaient réorganisés lorsque Clovis parut à la tête des Francs. L'établissement de devis avait besoin de l'appui des évêques pour se consolider, et les évêques à leur tour avaient besoin de Clovis pour lutter contre l'arianisme presque dominant dans les Gaules. De là ce contrat d'alliance, scellé par le baptême de Clovis. La guerre contre Alaric, l'invasion des provinces du midi des Gaules par les Francs furent favorisées par les évêques ; Clovis leur dut l'affermissement et la grandeur de sa domination. Il ne faut pas s'étonner de son respect pour la tombe de saint Martin de Tours, le plus grand d'entre les Gallo-Romains, et de sa déférence pour saint Remy, le citoyen le plus capable, le plus vénéré des municipes. Mais, en dehors de cette alliance, Clovis reste Sicambre ; il frappe de sa framée et de sa hache d'armes tout ce qui s'oppose à ses desseins ; il est encore l'inexorable chef du vase de Soissons. Les écrivains qui ont vu dans Clovis le fondateur d'une monarchie régulière se trompent ; les vrais organisateurs du pouvoir ce furent les évêques. Ils firent la civilisation en France[45]. Nous ne trouvons que des témoignages incertains sur les costumes, les vêtements des Francs ; il n'existe que des statues informes sur quelques tombeaux ; les basiliques ne vont pas au delà du huitième siècle, et ces longues robes pendantes serrées à la taille ne peuvent être que le costume civil ; les cheveux sont longs, la barbe rasée, le sceptre mince comme un bâton de commandement ; les pieds sont serrés dans des sandales. Quelques Rois portent des couronnes comme on le voit aux basiliques de Reims, de Laon et d'Amiens. Sur les médailles et les scels, les vêtements diffèrent un peu ; les armes sont grossièrement travaillées ; l'art byzantin ne s'est pas encore empreint sur les monuments.

 

 

 



[1] Les noms romains se trouvent, du reste, presque toujours conservés dans les actes et chartes du cinquième siècle : le titre de sénateur même était un peu prodigué et l'on appelait sénat le simple conseil de la ville. Le testament de Ephebius, abbé de Geniac, est signé dans le sénat de Vienne ; une autre charte dit : Testamentum sororis nostræ, judicante senatu in Vienna. (D'Achery, Spicileg., t. III, 318-319.)

[2] Je n'adopte, ni n'accepte, je le répète, la prétentieuse et barbare orthographe qui écrit : Chlodowisch, le nom de Clovis. Il y a longtemps que dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, tome XX, page 67, on avait dit que Chlodowisch signifiait Louis : seulement on ne faisait ni bruit ni éclat d'une méthode qui brouille les récits.

[3] Grégoire de Tours dit de Syagrius : Terga vertit et ad Alaricum regem cursu veloce, Tolosan perlabitur. (Lib. II, cap. XXVII).

[4] Atque ex illo die, adominatione imperii sublata est Gallia. (Chronic. S, Benign. Div.)

[5] Grégoire de Tours parle ici une langue un peu trop monarchique pour les temps de la première race.

[6] Aussi les évêques désiraient-ils le triomphe de Clovis : Quia desiderium est ut Francorum dominatio hanc terram....

[7] Gregor. Turon., liv. II. Les Bourguignons étaient ariens.

[8] Il faudra nous familiariser avec ces traits de barbarie si fréquents dans l'histoire de la première race.

[9] Ce nom est romain.

[10] On a eu tort de faire de Clotilde une fille douce et obéissante : elle avait le caractère de sa race, la vengeance, qui domine toutes les nations primitives.

[11] Sur la vie et les gestes de saint Remy on peut comparer le Gallia Christiana avec l'Histoire littéraire de France, ouvrage des Bénédictins de Saint-Maur, tome V, p. 445.

[12] Ce concours des évêques, les Francs le trouvaient même chez les Visigoths. L'évêque de Rhodez fut chassé de son siège parce qu'il protégeait ouvertement les Francs. Voici le vieux texte provençal de la Vie de saint Amant, c'est un peu le Catalan :

Dijo que subjugar los vol certenamen

Al noble rei de Franses no los erra plasen.

[13] Cette bataille fut livrée en 496 : à Tolbiac, aujourd'hui Zulpich, pris de Cologne.

[14] D'après la Chronique de Saint-Denis, les premières paroles chrétiennes dites à Clovis, pour sa conversion, furent prononcées par saint Waast, évêque de Toul et qui le fut ensuite d'Arras. Voyez le chapitre : Comment et par quel miracle le roy fu converti en la foi par la victoire qu'il eut soudainement. J'ai suivi le texte de Grégoire de Tours. Les chroniques postérieures ont prêté beaucoup de mots à Clovis sur sa conversion ; ils ne sont nullement historiques.

[15] Saint Remy voulait vivement frapper l'imagination des barbares ; quoique la basilique primitive n'existe plus, je me représentai dans un récent voyage, 1868, cette grande cérémonie autour du baptistère de Reims.

[16] Grégoire de Tours, liv. II. Saint Remy exerça toujours une grande puissance sur Clovis. Les Bénédictins lui ont consacré une longue notice dans l'Histoire littéraire de France, tome III, p. 155-163.

[17] Ces paroles reproduisent bien le sentiment chevaleresque de l'époque où furent écrites les Chroniques de Saint-Denis (Charles V) : Comment le roy fu baptisé.

[18] La Vie de saint Cloud est dans les Bollandistes (septembre).

[19] Les Bollandistes ont rapproché toutes ces traditions.

[20] Plusieurs de ces évêques à Toulouse, à Carcassonne, avaient été chassés de leur siège, par les Visigoths, pour avoir favorisé les Francs. Dom Vaissète, Hist. du Languedoc, tome I, in-fol.

[21] Art de vérifier les dates, tome II, in-4°.

[22] Les Empereurs avaient encore quelque puissance sur les provinces du midi ; ils régnaient sur Arles ; les Byzantins avaient de la science stratégique.

[23] Armée.

[24] L'auteur des grandes Chroniques suit ici Grégoire de Tours, liv. II, chap. II.

[25] La Trinité était invoquée parce qu'elle était niée par les Ariens que Clovis combattait.

[26] Les biches et les cerfs jouent un très-grand rôle dans la légende des Francs ; celaient les bêtes des forêts profondes et des grandes chasses.

[27] Mêlée.

[28] Ces hommages à saint Martin de Tours étaient une tradition romaine. Les anciens consacraient à Jupiter, à Diane, les dépouilles du combat.

[29] Le nom de Clovis n'est pas dans les Fastes consulaires.

[30] Ce ne fut que sous Justinien que le pouvoir des Rois Francs, sur la Gaule, fui reconnu. (Procope, de Bello goth., lib. IV, 3.)

[31] A travers toutes ces formes barbares, Clovis conservait encore le nom de chrétien ; on a deux diplômes de Clovis datés de la première année de son christianisme : Primo nostro susceptæ christianitatis anno. (Dom Bouquet.)

[32] Une logique sauvage se trouve presque partout dans les Chroniques de Grégoire de Tours et de Frédégaire.

[33] Ce récit atroce est toujours dans Grégoire de Tours, liv. III. Il est curieux qu'on retrouvera chez les Turcs cette coutume d'étrangler dans les sept tours les parents du sultan.

[34] Dom Félibien, Histoire de Paris, a été la source où toutes les compilations modernes ont été puisées. (Édition in-fol., 1690.)

[35] Dom Félibien, Histoire de Paris (Édition in-fol., 1690.)

[36] Le vin des coteaux de la Bièvre avait alors une certaine renommée.

[37] Les Bénédictins ne reconnaissent d'authentique, parmi les Chartes de Clovis, que son épître aux Evêques pour la protection des églises contre la violence des Francs (anno. 510). Dans la collection de Dom Bouquet, t. IV, p. 54.

[38] Cette date est fixée au 27 novembre 511.

[39] Gregor. Turon., lib. II.

[40] Les Grandes Chroniques de France, liv. I, chap. XXV. La vie et la mort de saint Martin étaient alors la grande époque historique.

[41] Art de vérifier les dates, édition in-4°, t. II, par les religieux de la congrégation de Saint-Maur. Je crois que les Bénédictins ont confondu les époques : sous Clovis, il n'y avait pas de titre aussi expressément formulé ni de division si précise.

[42] On a beaucoup disserté sur la condition des personnes sous la première race ; les systèmes s'appuyant plutôt sur des conjectures que sur des faits invariables, je préfère aux études de Mably, Dubos, Montesquieu, les simples mémoires d'érudition qui se trouvent dans les huit premiers volumes de l'ancienne Académie des Inscriptions.

[43] Glossaire de Du Cange : Fiscus. Du Cange fut le plus grand érudit du dix-septième siècle ; son Glossaire est une merveille.

[44] Le papyrus d'Égypte venait dans les Gaules par Byzance et l'Italie.

[45] Un savant érudit calviniste, M. Guizot, a parfaitement reconnu ces services rendus par les évêques.