HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

 

CHAPITRE XIII. — L'ITALIE ET L'ALLEMAGNE SOUS LES HOHENSTAUFEN. - NOUVELLES LUTTES DU SACERDOCE ET DE L'EMPIRE.

 

 

§ Ier. — GUELFES ET GIBELINS.

 

Etat de l'Allemagne et de l'Italie au XIIe siècle. Nous avons laissé l'histoire d'Allemagne et d'Italie à l'époque où s'éteignit, avec Henri V, là dynastie franconienne. La querelle des investitures avait porté un coup funeste au pouvoir impérial, si fort sous Conrad II et Henri III. Depuis lors, l'empereur dépendit des princes de l'Empire, plus que ceux-ci ne dépendaient de' lui. Ce n'est qu'en donnant satisfaction à leurs intérêts particuliers, qu'il put obtenir leur concours. Sa puissance était encore bien moindre en Italie qu'en Allemagne. Si Henri V s'était emparé de l'héritage de la comtesse Mathilde, les Normands, maîtres du midi, ne reconnaissaient nullement sa suzeraineté ; et les villes lombardes mêmes ne lui obéissaient qu'autant qu'elles le jugeaient à propos.

Venise, maitresse de la Dalmatie et de l'Istrie, formait une puissante république. Gênes et Pise faisaient la guerre aux Turcs pour leur propre compte et jouissaient de l'indépendance. A Rome, le pouvoir temporel du Pape, bien chancelant encore, était continuellement en lutte avec la commune et la noblesse. Dans le royaume de Bourgogne, le pouvoir impérial n'existait que de nom. L'ancienne suzeraineté de l'Allemagne sur la Hongrie, la Pologne, la Bohême, le Danemark, était ou anéantie, ou réduite presque à rien.

 

Election de Lothaire. Après la mort d'Henri V, la noblesse et le clergé allemands se rassemblèrent près de Mayence, aux bords du Rhin, pour mettre un nouveau roi sur le trône (1125), et se déchargèrent du soin de l'élection sur quarante princes choisis dans leur sein.

Ces électeurs mirent en avant deux candidats sérieux : Lothaire, duc de Saxe, et Frédéric II de Hohenstaufen, duc de Souabe et seigneur de Weiblingen. Celui-ci était trop puissant pour trouver faveur auprès des barons jaloux de leur indépendance ; et, dans la querelle des investitures, il avait montré trop d'ardeur contre les droits de l'Eglise, pour être agréé du clergé. Lothaire l'emporta donc, grâce surtout à l'appui d'Henri le Superbe, duc de Bavière, de la maison des Welfs. Frédéric refusa de restituer des domaines impériaux qu'il prétendait appartenir à la maison d'Henri V, son oncle. Il fallut dix ans de guerre pour le ramener à la soumission.

 

Les Welfs et les Weiblingen. Les Welfs et les Weiblingen — d'où sont venus les noms de Guelfes et de Gibelins —, étaient les deux plus puissantes familles de l'Allemagne, et devaient leur grandeur à Henri IV. Frédéric I de Hohenstaufen ou Weiblingen avait reçu de ce prince, avec la main de sa fille Agnès, le duché de Souabe. A la mort d'Henri V, tous les biens patrimoniaux de l'empereur passèrent encore, à ses neveux, et la Franconie entra également dans la maison des Hohenstaufen. Pour les Welfs, ils avaient reçu d'Henri IV le duché de Bavière. Lothaire récompensa le concours que lui avait prêté Henri le Superbe, en lui accordant, avec la main de sa fille Gertrude, le duché de Saxe et la Toscane, qu'il tenait en fief du Saint-Siège. Après la mort de Lothaire, dont le règne ne dura que douze ans, la diète eut à choisir entre les deux maisons rivales. En 1125, les Hohenstaufen avaient été écartés à cause de leur puissance ; c'étaient les Welfs qui étaient maintenant à craindre. Quelques princes s'empressèrent donc d'élire, avant l'assemblée légale, Conrad de Hohenstaufen, duc de Franconie (1138), et ce choix fut ensuite accepté par les autres princes. Conrad, voyant dans la puissance des Welfs un danger permanent pour l'Empire, enjoignit à Henri le Superbe de renoncer au duché de Saxe. Sur son refus, il le mit au ban de l'Empire et le dépouilla de ses duchés. La Bavière fut donnée à Léopold d'Autriche et la Saxe à Albert l'Ours, qui prit plus tard le titre de margrave de Brandebourg. Mais le prince welf sut se maintenir en Saxe malgré Conrad, et la Bavière fut rendue, sous le règne suivant, à Henri le Lion, fils d'Henri le Superbe.

 

Les Guelfes et les Gibelins. Dans la lutte qui s'éleva entre les deux puissantes maisons dont nous venons de parler, on donna le nom de Guelfes et de Gibelins aux deux partis opposés. Les rivaux cherchèrent un appui en Italie. C'est ainsi, par exemple, qu'en 1148, Henri le Lion et les autres princes allemands qui tenaient avec lui, firent alliance avec le roi normand Roger II de Sicile, dans le but de renverser Conrad III. Les noms de Guelfes et de Gibelins franchirent donc les Alpes. Après la ruine de la maison guelfe, on continua en Italie de nommer Gibelins les fauteurs des Hohenstaufen, ennemis de la papauté, et Guelfes, les partisans du pape et de l'indépendance italienne. Enfin, quand la lutte se fut concentrée dans la Péninsule, les Guelfes furent les défenseurs de la démocratie, et les Gibelins les champions de l'aristocratie.

 

§ II. — FRÉDÉRIC BARBEROUSSE.

 

Avènement de Frédéric Ier Barberousse (1152). Conrad III mourut en 1152, au retour de la deuxième croisade, sans avoir eu le temps de se faire couronner empereur. Comme il ne laissait qu'un fils de huit ans au plus, il recommanda, dans ses derniers jours, son neveu, Frédéric Barberousse, aux suffrages des électeurs. Gibelin par son père, guelfe par sa mère, Frédéric paraissait plus propre que personne à réconcilier les deux maisons rivales ; c'est ce qui réunit en sa faveur l'unanimité des voix. Le premier objet de ses soins fut le rétablissement de la paix. Afin de terminer les contestations relatives au duché de Bavière, il assigna les deux compétiteurs, Henri le Lion et le margrave d'Autriche, à comparaître devant une diète. Ce dernier ayant fait défaut, le duché fut adjugé à Henri le Lion. Le margrave d'Autriche accepta dans la suite (1156) cette sentence, à condition de voir son margraviat érigé en duché et en fief immédiat de l'Empire.

 

Première expédition d'Italie (1154-1155). Arnaud de Brescia. Après avoir ainsi pacifié l'Allemagne, Frédéric entreprit une expédition en Italie, où différents objets réclamaient sa présence. Il s'agissait d'abord pour lui d'y aller prendre la couronne impériale. D'ailleurs, le but principal qu'il s'était proposé dans sa politique, était, sinon de rétablir l'ancien empire romain, au moins de soumettre la Péninsule à son pouvoir effectif. Je n'aurais, disait-il, que l'ombre d'une royauté, je ne porterais qu'un vain titre, moi qui me nomme et suis véritablement empereur des Romains par la grâce de Dieu, si je me laissais enlever la souveraineté de la ville de Rome. Comme successeurs de Charlemagne et d'Otton II, les Hohenstaufen croyaient aussi avoir des droits sur l'Italie méridionale, et Frédéric trouvait une occasion favorable pour y entrer, car Robert II, prince de Capoue, dépouillé par Roger II de Sicile, réclamait son appui. Quelques villes lombardes, opprimées par les Milanais, attendaient de lui aida et secours. Frédéric passa les Alpes, et, n'osant pas encore attaquer la puissante commune de Milan, se contenta de prendre et de châtier au passage les autres villes opposantes. Le tribun Arnaud de Brescia avait usurpé la souveraineté à Rome. Ce moine hérétique et révolutionnaire prêchait l'incompatibilité du pouvoir spirituel et des biens temporels. D'après lui, un clerc ou un moine propriétaire, un évêque -souverain, ne pouvaient être sauvés. L'exercice de l'autorité séculière était interdit à l'Eglise, et le pape devait l'abandonner au sénat et au peuple romain, pour ne s'occuper que des affaires spirituelles. Au reste, Arnaud ne faisait que suivre et accélérer un courant d'opinion très vaste à cette époque. Il trouva de l'écho dans l'ancienne Pataria, qui dévia ainsi de sa première direction et changea complètement d'esprit. Elle s'était d'abord formée dans le but d'appuyer la réforme morale du clergé, inaugurée par Hildebrand. Franchissant les bornes de l'orthodoxie, les Patarins en vinrent, à la suite d'Arnaud, à réclamer systématiquement l'abolition du temporel des églises.

Barberousse se saisit du démagogue et le remit au Saint-Père, qui chargea le préfet de Rome de le juger. Le moine séditieux fut pendu, son cadavre livré aux flammes[1] et ses cendres jetées dans le Tibre.

Cependant, une députation de la municipalité romaine vint offrir à Frédéric la couronne impériale, mais à condition de reconnaître ses privilèges. Grisée par les discours de ses tribuns, la vieille cité parlait par la bouche de ses ambassadeurs, comme si elle eut encore été la maîtresse du monde. Ces prétentions n'étaient que ridicules appuyées cependant par une bonne armée, elles auraient bien valu celles de Frédéric à la domination universelle. Le prince éconduisit l'ambassade comme elle le méritait ; aussi Rome lui ferma-t-elle ses portes, et ce fut dans la Cité Léonine que Barberousse reçut la couronne impériale. Des affaires importantes le rappelant en Allemagne, il y retourna sans avoir soumis ni Rome ni le midi de l'Italie.

 

Premiers dissentiments entre le pape et l'empereur. L'accord entre le pape et l'empereur ne fut pas de longue durée ; il ne pouvait pas l'être. Frédéric portait beaucoup trop haut ses prétentions au pouvoir absolu. Il venait de faire reconnaître sa suzeraineté sur la Pologne, la Bohême et le Danemark ; la Hongrie subissait son influence ; la Bourgogne se soumettait à son pouvoir ; Henri II, roi, d'Angleterre, était son allié. Tous ces succès n'étaient pas de nature à diminuer son orgueil. Selon ses idées, le pape ne devait être qu'un instrument dans ses mains, un rouage dans l'Empire. D'ailleurs, sa première expédition d'Italie avait suffisamment trahi ses plans sur la Péninsule, pour éveiller les soupçons du souverain pontife. La prépondérance de l'empereur en Italie excluait l'indépendance temporelle du pape, si étroitement unie avec le libre exercice de son autorité comme chef suprême de l'Eglise. Or Adrien IV était trop pénétré du sentiment de sa dignité et de ses devoirs pour laisser perdre ses droits. Cependant il parvint, par sa condescendance, à retarder la rupture.

 

La diète de Roncaglia (1158). Les affaires en étaient là, quand Barberousse reparut à la tête d'une armée dans l'Italie toujours insoumise. Après avoir humilié Milan, la tête de l'opposition, il tint à Roncaglia une diète dans laquelle les jurisconsultes, imbus des maximes du droit romain, déclarèrent que le pouvoir absolu appartient au successeur des Césars. La plupart des membres de l'assemblée trouvèrent ces prétentions naturelles, tant on s'était entiché du Corpus Juris. Sachez, disait l'archevêque de Milan à l'empereur, sachez que tout le droit du peuple pour l'établissement des lois vous est concédé ; votre volonté est le droit, car il est dit : tout ce qui plaît au prince a force de loi. D'après ces principes, la diète porta une foule de décrets, qui tendaient à renverser tout l'ordre de choses existant. Elle anéantissait les privilèges des communes lombardes, et ne reconnaissait pour ainsi dire plus de droits qu'à l'empereur.

 

La ligue lombarde. Ces prétentions rencontrèrent une vive opposition, notamment de la part du pape et des Milanais. Adrien avait formé une ligue avec le roi de Sicile et plusieurs villes lombardes, lorsque la mort l'enleva tout à coup (1159). Un schisme éclata alors dans l'Eglise. Tandis que l'immense majorité du Sacré Collège se prononçait pour le cardinal Roland, qui prit le nom d'Alexandre III[2], deux ou trois cardinaux, partisans de l'empereur, élurent tumultueusement un antipape sous le nom de Victor IV. Frédéric se prononça pour l'antipape courtisan contre Alexandre, qu'il savait capable de résister à son despotisme, et de défendre vigoureusement l'indépendance de l'Eglise et celle de l'Italie. L'empereur triompha d'abord ; Alexandre fut contraint de se réfugier en France ; Milan, qui avait reçu à coups de pierres les délégués impériaux chargés d'exécuter les décrets de Roncaglia, fut détruit de fond en comble (1162), et Frédéric traita en despote les villes lombardes qui lui avaient résisté. Mais l'oppression provoqua bientôt une réaction, que le souverain pontife soutenait de toute son influence. Une seconde ligue se forma, dans laquelle entrèrent la plupart des grandes communes lombardes, et à laquelle Venise adhéra également. Milan se releva de ses ruines. Une ville nouvellement bâtie, comme un boulevard contre la parti gibelin, reçut le nom d'Alexandrie en l'honneur du pape, dont la cause se confondait avec celle de la liberté italienne. La ligue devenait de jour en jour plus redoutable. La guerre recommença entre l'empereur et les communes ; mais Henri le Lion, chef de la maison des Welfs, ayant refusé d'y prendre part, Frédéric essuya à Legnano une défaite complète (1176).

 

Paix de Constance. L'empereur fut alors obligé d'entrer en négociations et de renoncer à toutes ses prétentions sur Rome et la campagne romaine. La paix fut conclue à Venise entre le pape et lui. Quant aux villes lombardes, elles ne parvinrent à conclure qu'une trêve de six ans (1177), laquelle fut convertie en paix définitive à Constance avant son expiration (1183).

Aux termes du traité, les villes de la Lombardie[3], de la Marche d'Ancône et de la Romagne conservèrent leurs constitutions et leurs anciens privilèges, sous la suprématie de l'empereur. Elles étaient autorisées à exercer, dans toute l'étendue de leur district, les droits régaliens dont la coutume les avait investies. L'empereur leur reconnut le droit de se confédérer, de lever des armées, de se fortifier. Les villes de la Toscane, sans être signataires du traité, obtinrent les mêmes avantages. L'existence politique des communes, jusque-là contestée, recevait donc la confirmation légale. Pour la seconde fois, l'Empire était vaincu par la papauté.

 

Ruine de la maison welfe. Cependant, Barberousse avait tiré une vengeance éclatante de la conduite d'Henri le Lion. Sur une foule d'accusations formulées contre lui par les princes allemands, sur son refus obstiné de comparaître devant la diète, le prince welf avait été mis au ban de l Empire et dépouillé de tous ses fiefs. Les duchés de Saxe et de Bavière, considérablement diminués, furent donnés à de nouveaux titulaires. Les territoires qui en avaient été détachés, devinrent des fiefs immédiats de la couronne. Plusieurs cités furent déclarées villes libres de l'Empire. Les Welfs ne retinrent guère que leurs biens allodiaux de Lunebourg et de Brunswick. L'Allemagne qui, jusqu'au XIIe siècle, se composait de quelques duchés fort étendus, fut ainsi morcelée par Frédéric Barberousse en une foule de petites principautés. Le morcellement de la Franconie et de la Lotharingie était déjà depuis quelque temps un fait accompli.

 

Changement dans la constitution de l'Empire. La ruine de la maison welfe ne détruisit pas, comme on pourrait le croire, et comme Frédéric l'avait sans doute espéré, l'opposition féodale. Jamais, au contraire, elle ne fut plus puissante que par la suite. C'est qu'à ce moment s'accomplissait insensiblement dans la constitution de l'Empire une révolution importante, à laquelle Henri le Lion avait beaucoup contribué. Dans les siècles précédents, lorsque l empereur nommait un duc ou un comte, ce qu'il lui donnait en fief, l'objet principal de l'investiture, c'étaient les fonctions ducales ou comtales. A la fin du XIIe siècle, il n'en était plus ainsi. L'investiture vous donnait le territoire môme auquel était attachée votre dignité de comte ou de duc. Ce qui constitue une immense différence. A l'époque où le fief consistait dans l'emploi, le duché continuait à dépendre de l'empereur, qui y exerçait la souveraineté à côté du duc. C'est ainsi que nous avons vu Otton le Grand établir les comtes palatins pour exercer ses droits dans les duchés. Après la révolution dont nous parlons, comme c'était le territoire lui-même que donnait l'inféodation, les princes prétendirent être seuls maitres dans leurs principautés, à l'exclusion de l'empereur. Dans leur idée, eux seuls étaient liés à l'empereur, eux seuls dépendaient de lui. Pourvu qu'ils s'acquittassent de leurs obligations envers la couronne, tout était dit. L'Allemagne était moins un royaume qu'une sorte de fédération dont l'empereur était le chef. Ce furent les villes qui en empêchèrent la dissolution complète ; parce que, dans les villes, mieux que partout ailleurs, s'était conservé le sentiment national.

A première vue, il semble que l'opposition de ces petites principautés fût moins à craindre que celle des puissants duchés de l'époque précédente. En réalité, il n'en était pas ainsi. Un duc aspirait naturellement à exercer, avec l'appui de ses peuples, la prépondérance dans l'Empire et à saisir la couronne. Il rencontrait donc, de la part de ses collègues, une jalousie de nature à le retenir ; ou, s'il réussissait dans ses desseins, monté sur le trône, il employait sa prépondérance à sauvegarder l'unité de l'Empire. Les petits princes de l'âge suivant étaient trop faibles pour rêver la couronne et la prépondérance. Leur seule ambition était de se rendre indépendants. Leurs intérêts concordaient donc ; au lieu de se jalouser, ils firent cause commune contre l'empereur. Leur union faisait leur force.

Cette révolution n'obtint cependant pas immédiatement tous ses effets- Sans parler de leur énergie et de leur habileté, Barberousse et les autres Hohenstaufen avaient de vastes domaines, et possédaient ainsi une puissance considérable, à laquelle ne pouvaient résister les petites principautés sorties du démembrement des duchés de Saxe, de Bavière, de Lotharingie et de Franconie. Ils exigèrent rigoureusement les devoirs féodaux et donnèrent une grande influence aux ministériels. Ils cherchèrent surtout leur force dans la richesse territoriale ; chaque fois qu'un fief dépendant d'une église vint à vaquer, ils en demandèrent et en exigèrent même parfois l'investiture. Ce ne fut qu'après leur chute, que se consomma la révolution dont nous venons de parler.

 

Politique de Barberousse pendant ses dernières années. Pour Barberousse, il était tout puissant en Allemagne. Le mauvais succès de ses armes ne le fit pas renoncer à ses projets sur la Péninsule. Il changea seulement de politique, et, au lieu de recourir à l'épée, employa les négociations. La diplomatie lui gagna plus qu'il n'aurait pu espérer, si la victoire l'eût favorisé à Legnano. Il obtint pour son fils Henri la main de Constance, héritière des royaumes de Naples et de Sicile. Cette alliance ébranlait toute l'œuvre de Grégoire VII, et menaçait l'indépendance du Saint-Siège, en faisant passer du côté de l'Empire la seule puissance qui eût jusqu'alors servi de contrepoids à l'influence germanique au-delà des Alpes. Elle fut la source de tous les maux qui, pendant le XIIIe siècle, fondirent sur l'Italie et l'Eglise. En Lombardie, l'empereur gagnait le peuple de Milan, et par lui, toutes les villes de l'ancienne ligue guelfe, en le comblant de faveurs. Dans les états de la comtesse Mathilde, en Toscane, à Spolète, dans la Romagne et la Marche d'Ancône, le pouvoir impérial avait ses officiers. Les états pontificaux étaient comme bloqués au nord et au sud par la puissance allemande. Les choses en étaient à ce point, lorsque Barberousse partit pour la troisième croisade, et alla se noyer dans une petite rivière de Cilicie (1190). Doué des plus brillantes qualités, il ne lui manqua que d'avoir su modérer son ambition. Son règne marqua l'apogée de l'empire germanique, tant pour l'étendue que pour la force. Après avoir vu échouer ses plans de grandeur contre la résistance du Saint-Siège et des communes lombardes, il eut la sagesse de ne pas s'opiniâtrer dans des routes impraticables ; il obtint par la diplomatie ce que les armes avaient été impuissantes à lui procurer. Il s'est montré plus grand après qu'avant la défaite.

 

Avènement d'Henri VI. Son fils, Henri VI, qui lui succéda (1190), jura, en recevant la couronne impériale, de se montrer le défenseur du pape et de l'Eglise romaine, et de restituer tous les domaines usurpés par ses prédécesseurs sur le patrimoine de Saint-Pierre. Mais, infidèle à sa promesse, il envahit une partie des Etats de l'Eglise et l'inféoda à ses généraux ; là où ses usurpations n'avaient pas pénétré, il régnait par la terreur ; à Rome même, il transforma en vassal et avoué de l'empereur le préfet urbain, qui auparavant gouvernait la ville comme représentant du souverain pontife. A la mort du roi de Naples (1189), il lui fallut disputer à un rejeton bâtard de l'ancienne dynastie la couronne des Deux-Siciles. Il finit par la conquérir, avec l'aide des Pisans et des Génois ; mais des révoltes éclatèrent, qu'Henri réprima avec une barbarie justement flétrie par la postérité.

 

Vastes projets d'Henri VI. Réconcilié avec Henri le Lion, d maître des villes lombardes, il voyait l'Allemagne pacifiée, ï et l'Italie entière lui obéissait depuis les Alpes jusqu'à Reggio. Cela, toutefois, ne lui suffisait pas. Aussi ambitieux que son père, mais beaucoup moins sage, il prétendit, sans mesurer ni ses droits ni ses forces, soumettre à sa domination tout l'ancien empire romain. Richard Cœur de Lion, au retour de la troisième croisade, était tombé entre ses mains. Il ne lui rendit la liberté qu'après lui avoir fait prêter l'hommage de vassalité ; et lorsque ce prince voulut faire la paix avec Philippe-Auguste, Henri VI le lui interdit au nom de. sa suzeraineté. Il ne cachait pas le dessein qu'il avait de contraindre le roi de France à lui faire hommage de son royaume. Il élevait les mêmes prétentions sur les états chrétiens de l'Espagne, et même sur l'Asie Mineure et les princes musulmans de l'Afrique septentrionale. Il songeait aussi à soumettre l'empire - d'Orient, et ce projet avait même reçu un commencement d'exécution, lorsque d'autres soins l'empêchèrent d'y donner suite. Reprenant une idée que son père avait déjà travaillé à réaliser, il voulut rendre la couronne impériale héréditaire dans sa maison et incorporer la Sicile à l'Empire. L'obéissance de l'Allemagne, de l'Italie et de la Sicile était trop précaire, ces plans étaient trop vastes pour qu'Henri pût espérer réussir. Ni les princes ni le pape ne consentirent à l'incorporation de la Sicile ni à l'hérédité de la couronne impériale. D'ailleurs, la Providence anéantit tous ces desseins ambitieux. Henri mourut à la fleur de l'âge, ne laissant qu'un fils, nommé Frédéric, âgé de deux ans seulement.

 

Testament d'Henri VI. Aux approches de la dernière heure, soit qu'il comprît et réprouvât l'injustice de sa conduite, soit qu'il voulût assurer à son jeune fils l'appui du souverain pontife, l'empereur donna, par son testament, une large satisfaction au Saint-Siège. Cet acte important reconnaissait la suzeraineté du pape sur les Deux-Siciles, qui devaient faire retour à l'Eglise Romaine, dans le cas où le jeune Frédéric viendrait à mourir sans enfants. Le prince mourant désignait son fils pour lui succéder à l'Empire et cédait au pape, en échange de la couronne impériale, la presque totalité de l'héritage tant disputé de la comtesse Mathilde ; le duché de Ravenne, la Marche d'Ancône et quelques autres territoires devaient aussi reconnaître la suzeraineté du Saint-Père.

 

§ III. — INNOCENT III ET FRÉDÉRIC II.

 

Innocent III (1198-1216). A peine Henri VI était-il descendu dans la tombe, que la Providence fit monter sur le trône pontifical le plus grand homme, peut-être, qui l'ait jamais occupé. Appelé au gouvernement de l'Eglise à l'âge de trente-sept ans seulement, Innocent III y apporta, avec une science profonde, une grande piété, des mœurs irréprochables et toutes les plus aimables qualités, tous les talents qui font l'homme d'Etat : une vaste intelligence, une infatigable activité, une connaissance profonde des hommes et des affaires, la prudence, la fermeté, une grande force de caractère. D'une constance inébranlable dans la poursuite de son but, il ne s'opiniâtrait pas à soutenir une cause perdue. Jamais pape ne se forma une plus haute idée de sa mission. Pour lui, dit Montalembert, la chrétienté tout entière n'est qu'une majestueuse unité, qu'un seul royaume sans frontières intérieures, sans distinction de races, dont il est le défenseur intrépide au dehors et le juge inébranlable et incorruptible au dedans. Ces idées étaient chez lui le fruit non de quelque ambition, mais d'une conviction profonde, du sentiment de sa responsabilité et du désir de s'acquitter pleinement de son devoir. S'il intervint dans les affaires temporelles des empereurs et des rois, c'était pour protéger la justice et la faiblesse opprimée ; pour être le guide juste, impartial et sage des monarques chrétiens, qu'il considérait comme ses enfants. Cette mission, embrassant ainsi la société entière, était bien grande et bien ardue. Innocent III lui-même, malgré des circonstances exceptionnellement favorables, n'y a réussi qu'incomplètement[4]. C'est qu'il a rencontré des obstacles, des résistances devant lesquels il a dû reculer[5]. Mais on ne peut nier qu'il y eût de la grandeur dans cette conception, qu'elle répondît aux idées en vogue à cette époque, et qu'elle fût l'inspiration d'une âme vraiment généreuse[6].

 

Rétablissement du pouvoir temporel des papes. Un des premiers soins du nouveau pape fut de rétablir, dans les Etats de l'Eglise, l'autorité temporelle du pontife romain anéantie par Henri VI. Favorisé par un heureux concours de circonstances, il força le préfet de Rome à lui rendre hommage et à lui demander l'investiture de sa charge. Le sénateur, représentant du peuple romain, s'était rendu presque indépendant et s'arrogeait des pouvoirs fort étendus. Le pape le remplaça par un autre complètement dépendant de lui, et les magistrats de la création du sénateur durent céder leurs places à des officiers nommés par la cour romaine. La capitale soumise, les provinces suivirent. En moins de deux ans, Innocent III avait fait reconnaître les droits du Saint-Siège dans la plus grande partie des territoires que Pépin lui avait autrefois concédés. Cependant il ne faut pas s'exagérer l'étendue de son pouvoir. Le XIIIe siècle ne connaissait pas la monarchie telle que nous la concevons aujourd'hui. La féodalité et les communes presque indépendantes se rencontraient à cette époque dans les Etats de l'Eglise, comme dans tous les autres royaumes. Innocent était à peu près à Rome et dans le patrimoine de saint Pierre, ce que Louis VI ou Philippe-Auguste étaient en France. Les villes et les barons se faisaient la guerre. On vit même, sous Innocent III, les Romains prendre les armes les uns contre les autres, la faction démocratique contre les partisans du pape. On vit les deux partis opposés élever à la hâte, quelquefois en une nuit, des tours de pierre ou de bois dans lesquelles ils se retranchaient. Les anciens monuments, les maisons particulières, les églises se transformaient en forteresses, où l'on soutenait des sièges en règle. On tendait dans les rues des chaînes de fer pour arrêter la circulation. Innocent fut obligé une fois de prendre le chemin de l'exil ; mais il finit par triompher.

 

La ligue toscane. Les villes de la Toscane, à l'exception de Pise, avaient formé une ligue dans le but de défendre contre la domination étrangère leur autonomie. Elles firent alliance avec le pape et s'engagèrent à ne pas reconnaître d'autre empereur que celui qui serait agréé du pontife romain. Pise n'accéda pas à la ligue toscane, parce que son indépendance ne lui avait jamais été contestée par les empereurs.

 

Evénements de Sicile. Cependant l'impératrice Constance avait fait couronner son fils Frédéric comme roi de Naples et de Sicile ; elle gouvernait au nom du jeune prince parmi les plus grandes difficultés ; car deux partis, l'un allemand, l'autre normand, divisaient profondément le royaume. Pour donner satisfaction au sentiment national, elle éloigna les étrangers. Pour obtenir du pape l'investiture, elle rendit, par un concordat, aux églises siciliennes la liberté des élections et des relations avec Rome. Elle mourut bientôt après (1198), en confiant la régence du royaume et la tutelle du jeune Frédéric au Saint-Père son suzerain. Des troubles et des révoltes suivirent la mort de cette princesse et ensanglantèrent pendant dix ans ces malheureuses provinces. Chacun voulait profiter de l'enfance du roi pour le dépouiller et se rendre indépendant. On disputa la régence au souverain pontife. Mais Innocent sut maintenir avec vigueur et habileté ses droits et ceux de son pupille, sans parvenir toutefois à faire prédominer le parti normand. Il finit cependant par rétablir l'ordre.

 

Double élection en Allemagne. Dans le même temps, les Gibelins d'Allemagne, renonçant à soutenir, suivant les intentions du dernier empereur, la candidature impossible du jeune Frédéric, avaient élevé sur le trône Philippe de Souabe (1198), frère d'Henri VI, déjà frappé d'excommunication pour avoir usurpé des territoires pontificaux. De leur côté, les Guelfes offrirent la couronne à Otton de Brunswick, fils d'Henri le Lion. Philippe-Auguste appuyait chaudement la candidature du Hohenstaufen, tandis que Richard Cœur de Lion soutenait le chef de la maison welfe. Innocent III, quoique naturellement prévenu contre la cause d'un excommunié, chercha d'abord à s'interposer comme médiateur entre les deux partis. Tandis que Philippe semblait disposé a continuer les agissements de ses prédécesseurs, Otton notifia au pape son élection, et tâcha de le gagner à sa cause en lui promettant de suivre une politique favorable au bien de l'Eglise. Innocent se prononça enfin pour Otton (1201), et celui-ci, en retour, dut accorder au pontife un diplôme par lequel, il reconnaissait la souveraineté du pape sur les Etats ecclésiastiques tels, à peu près, qu'ils ont existé jusque dans ces derniers temps. Cet acte célèbre, connu sous le nom de Capitulation de Neuss, a été ratifié par tous les empereurs suivants. Il anéantissait complètement le pouvoir impérial dans les Etats de l'Eglise.

La décision d'Innocent produisit peu d'effet en Allemagne ; elle n'affaiblit point le parti de Philippe. La victoire s'étant déclarée contre Otton, le protégé du souverain pontife se vit généralement abandonné. Le vainqueur comprit cependant que son triomphe ne serait jamais complet, tant qu'il aurait le pape contre lui. Il entra donc en négociations avec le Saint-Siège et lui fit les plus belles promesses. Innocent ne renonça toutefois au prince de Brunswick, que lorsqu'il vit l'impossibilité complète de le faire réussir. Il allait conclure la paix avec Philippe et le reconnaître pour empereur, quand le malheureux prince fut assassiné par le comte Otton de Wittelsbach (1208). Ce meurtre changeait toute la face des affaires.

 

Otton de Brunswick. Jamais l'Allemagne n'avait été éprouvée comme pendant ces dernières années. La guerre civile n'avait épargné presque aucune province, avait fait disparaître tout ordre et toute sécurité, lâché la bride à tous les brigandages, à l'immoralité, à l'impiété. Tous aspiraient à voir le terme de ces maux, et l'élection d'Otton de Brunswick était le seul moyen de mettre fin aux dissensions. Innocent III, d'ailleurs, intervint auprès de ceux qui hésitaient encore, de sorte qu'Otton fut élu à l'unanimité des suffrages. Pour sceller la réconciliation des deux partis, il épousa Béatrice, fille de Philippe de Souabe, et mit au ban de l'Empire l'assassin du malheureux prince.

 

Frédéric II empereur. Cependant, la concorde ne fut pas de longue durée entre la papauté et l'Empire. Otton, en ceignant la couronne des Hohenstaufen, en avait revêtu l'esprit. Malgré la Capitulation de Neuss, il envahit les Etats de l'Eglise. Innocent III avait exigé et obtenu de lui une renonciation à tous ses droits, quels qu'ils fussent, sur Naples et la Sicile ; l'empereur viola sa promesse, s'empara de la Pouille et se fit reconnaître par un nombreux parti même en Sicile. Alors le pape l'excommunia (1210) et, appuyé par Philippe-Auguste, fit nommer Frédéric II à sa place, mais en faisant promettre au jeune prince de ne pas laisser unies les deux couronnes d'Allemagne et de Naples. Une telle puissance entre les mains d'un seul homme menaçait trop l'indépendance du Saint-Siège. Malgré l'excommunication, Otton IV parvint à se maintenir encore plusieurs années. Mais la bataille de Bouvines donna le dernier coup à sa cause en Allemagne ; et la condamnation prononcée contre lui par le concile œcuménique de Latran (1215), ruina entièrement son parti en Italie.

 

Caractère de Frédéric II[7]. Frédéric II est un des hommes les plus étonnants du moyen âge, aussi bien par son génie que par ses vices. Législateur habile, remarquable entre ses contemporains par l'intelligence et par la hardiesse de ses vues, protecteur des lettres, très instruit lui-même, il aurait pu, au jugement de quelques historiens, devenir le Périclès de son siècle, si les événements lui en avaient laissé le loisir. C'était un capitaine médiocre, mais un politique habile et retors, quoiqu'on puisse lui reprocher des fautes qui le précipitèrent dans l'abîme. C'est ainsi qu'il manqua l'œuvre de sa vie pour avoir porté trop haut ses prétentions, qu'il indisposa ses peuples en donnant trop sa confiance aux étrangers, et qu'il se créa de grandes difficultés, en ne tenant pas assez compte des idées de son siècle. C'est d'ailleurs trop rabaisser la politique que de recourir, comme faisait Frédéric, à l'astuce et à la duplicité ; de chercher à tromper par des réticences et des obscurités calculées. Attirer à une entrevue, sous quelque prétexte, les personnes dont on se défie, et s'en saisir à petit bruit et sans scandale, telles sont, dit un de ses historiens[8], les instructions que Frédéric II transmet à ses agents. Entouré, dès l'enfance, d'intrigants ambitieux qui se disputaient sa tutelle avec la régence du royaume, il était devenu naturellement défiant, dissimulé et rusé. L'intimité ne mettait pas ses amis à l'abri de ses soupçons. Le fond de son caractère était un égoïsme froidement cruel, et un orgueil démesuré. Ses amis, ses femmes même — il en eut quatre successivement —, n'étaient à ses yeux que des instruments dont il se servait aussi longtemps qu'ils lui étaient utiles pour arriver à ses fins, et qu'il sacrifiait ensuite impitoyablement. Il fut plein d'égards pour sa première femme ; quant aux autres, il les fit garder comme en prison par des esclaves africains. Sa surveillance allait si loin, que Richard de Cornouailles, frère du roi d'Angleterre, ne put sans permission entretenir seul à seul l'impératrice, qui était sa propre sœur. On cite de Frédéric des traits d'une cruauté raffinée, que n'excuse même pas la barbarie du temps. Son orgueil souffrait que ses courtisans lui prodiguassent des titres qui ne conviennent qu'à Dieu, et lui-même estimait la petite ville d'Iési aussi glorieuse de lui avoir donné le jour, que Bethléem d'avoir vu naître le Sauveur. Incrédule et sceptique, il ne laissait pas d'être superstitieux, et croyait aux astrologues, comme beaucoup de ses contemporains. Mais il ne faisait point parade de son incrédulité. Au contraire, joignant l'hypocrisie à ses autres vices, dans ses luttes contre l'Eglise, il se donna toujours comme plus catholique que le pape lui-même. A l'entendre, il ne voulait que ramener le Christianisme à sa pureté et à sa simplicité primitive, lui qui ne rougissait pas, en pays chrétien, d'imiter les mœurs corrompues des princes musulmans. Il s'était fait affilier à des confréries de moines. Un jour, pendant la cérémonie de la translation des reliques de Charlemagne, il monta lui-même avec un ouvrier sur l'estrade, en présence du peuple et des grands assemblés, et prenant un marteau, enfonça de sa propre main les clous qui devaient fixer le couvercle de la châsse. Malgré tous ces vices honteux, on a dit que Frédéric avait été un grand roi. Il eut certainement de grandes qualités. Mais quand on doit reconnaître, avec un de ses modernes admirateurs, qu'on a pu lui reprocher l'abandon de l'Allemagne, que ses sujets italiens ne l'ont guère connu que par les maux de la guerre et l'oppression du fisc, que Frédéric a usé un long règne à la poursuite d'un but impossible, et précipité, en définitive, sa maison dans l'abîme, il est bien difficile de lui accorder ce titre sans restriction.

 

Politique de Frédéric Il en Italie. Tant que vécurent Innocent III et Otton de Brunswick, le jeune prince observa ses engagements. Il s'efforça de consolider son pouvoir en Allemagne, plutôt par la pacification des esprits que par la force des armes, et de se concilier les princes et les villes de l'Empire par de nombreux privilèges. Mais ensuite, et surtout après son couronnement comme empereur, il ne se souvint plus de ses serments que dans la limite de son intérêt. Quoiqu'il eût promis de séparer la Sicile et Naples de l'Empire, son fils Henri, déjà désigné comme successeur au trône des rois normands, fut aussi nommé roi des Romains (1220). La Capitulation de Neuss, ratifiée solennellement par Frédéric, reconnaissait le pape comme souverain indépendant des Etats de l'Eglise ; Frédéric traita ces provinces comme sujettes de l'Empire. Evidemment sa politique était celle de Barberousse et d'Henri VI. Mais il est bon de noter que Frédéric était l'agresseur. Il n'avait pas même pour lui l'excuse de la nécessité. L'opinion du peuple allemand ne demandait pas cette politique. Au contraire, l'Allemagne, dit un historien[9], eût voulu avoir un souverain entièrement dévoué à sa nationalité, gouvernant exclusivement selon les vœux du pays et renonçant à ces expéditions au-dehors, pour lesquelles elle montra sous Frédéric un médiocre empressement.

 

Dissentiments entre le pape et l'empereur. L'empereur fournit encore aux souverains pontifes d'autres griefs contre lui. Dès l'année 1215, il avait pris la croix ; mais toujours son départ pour l'Orient avait été différé. Sans doute, les circonstances étaient difficiles ; les chrétiens ne montraient plus le même zèle qu'autrefois. Il faut que Frédéric ait rencontré de grandes difficultés, puisque le pape Honorius III consentit plusieurs fois à lui accorder de nouveaux délais. Mais il semble bien que Frédéric faisait naître lui-même obstacle sur obstacle. Il doit avoir fait preuve de mauvaise volonté, puisque ce même pape, qui poussa la condescendance jusqu'aux dernières limites du possible, jusqu'à se faire taxer de faiblesse, en vint à prendre enfin le ton du reproche et de la. menace. Dans un traité formel conclu à San-Germano avec le souverain pontife, Frédéric s'engagea à partir au bout de deux ans pour la terre sainte, sous peine d'excommunication (1225). Cependant l'empereur empiétait toujours, dans son royaume de Sicile, sur les droits des églises. La coutume avait accordé au roi l'administration du temporel des évêchés vacants et la perception de leurs revenus. Frédéric trouva lucratif de faire durer la vacance plus que de raison. Honorius, fatigué d'un abus qui tournait au détriment de la religion, nomma, sans consulter l'empereur, des titulaires à cinq sièges. L'empereur répondit à cette mesure par de nouveaux empiètements. La longanimité du pape était à bout, et une rupture allait probablement éclater, lorsque Honorius mourut, et fut remplacé par Grégoire IX, neveu du grand pape Innocent III (1227).

 

Excommunication de Frédéric II. Au mois d'août de la même année, Frédéric s'embarqua enfin à Brindes, en exécution du traité de San-Germano. Mais à la hauteur d'Otrante, il rentra dans ce port, alléguant pour motif de ce nouveau retard une maladie, dont il se serait trouvé atteint. Cette maladie était-elle réelle ou feinte[10] ? Le fait est que Grégoire IX n'y crut point, et frappa l'empereur d'excommunication, aux termes du traité de San-Germano. Certains historiens, prenant au sérieux le prétexte allégué par Frédéric, reprochent à Grégoire son impitoyable dureté. Pour nous, ayant à trouver en défaut ou un homme vertueux et digne de toute estime[11], ou un prince corrompu et perfide, il nous semble plus juste et plus naturel de croire que Frédéric voulait en cette occasion se jouer de Grégoire, comme il l'avait fait d'Honorius. D'ailleurs, Frédéric reconnut lui-même plus tard que le pape n'aurait pu agir autrement sans soulever les murmures et les reproches de la chrétienté. Pour le moment, il répondit par un violent manifeste dans lequel il conviait les princes chrétiens à s'unir il lui pour écraser la tyrannie papale.

 

Sixième croisade. Cependant, Frédéric ne renonçait pas à la guerre sainte. Gendre et héritier de Jean de Brienne, roi de Jérusalem, il prétendait bien faire valoir ses droits sur la Palestine. Les plans de royauté universelle, caressés par Henri VI, avaient passé tout entiers dans l'esprit de son fils. Frédéric se préparait donc sérieusement il la croisade, mais il la voulait faire à sa manière, et, au point de vue politique et stratégique, il n'avait pas tort. Il espérait plus des négociations que des armes ; et dans la nécessité de recourir aux armes, il ne tenait probablement pas aux bandes nombreuses, mal exercées, mal pourvues que l'annonce de l'expédition avait réunies autour de lui. Il s'embarqua enfin en 1228, et d'un trait de plume, sans tirer l'épée, procura aux chrétiens d'Orient des avantages que n'avaient pu leur obtenir les efforts réunis de Philippe-Auguste et de Richard Cœur de Lion. Le 18 février 1229, une trêve fut conclue pour six ans entre Frédéric et le sultan d'Egypte, qui rendit aux chrétiens Jérusalem, Bethléem et Nazareth avec tous les villages intermédiaires. Cette nouvelle manière de faire la croisade souleva beaucoup de récriminations, spécialement de la part du patriarche de Jérusalem. Mais le grand-maître de l'ordre Teutonique attesta que l'empereur avait obtenu tout ce que l'on pouvait humainement espérer. Grégoire IX lui-même accepta, dans la suite, le traité et enjoignit formellement au patriarche de le ratifier. Malheureusement, des dissensions s'élevèrent entre les chrétiens de la Palestine, et Jérusalem retomba, quelques années plus tard, sous le joug des musulmans (1239).

 

Nouveaux démêlés avec le Saint-Siège et la ligue lombarde. Quoique Grégoire IX eût lancé contre l'empereur, à son départ pour la croisade, une sentence de déposition, la paix se rétablit entre les deux puissances dans un second traité conclu à San-Germano (1230). Mais elle ne pouvait pas durer ; car Frédéric voulait réunir à l'Empire l'Italie entière, sans en excepter les Etats de l'Eglise, et par conséquent enlever au souverain pontife ce qui faisait la garantie de son indépendance. Il voulait établir la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir spirituel, et Grégoire IX n'était pas homme à lui sacrifier ses droits. C'étaient, à tout moment, des empiètements du pouvoir impérial sur les privilèges des églises et du clergé, et par suite des réclamations du souverain pontife. Ce qui empirait encore la situation, c'était l'affaire des communes lombardes, plus indépendantes et plus turbulentes que jamais. Frédéric regardait comme son droit et son devoir de rétablir l'ordre dans cette partie de l'Empire. Lés villes italiennes s'appuyaient sur le traité de Constance pour repousser son intervention. Le pape, médiateur entre les deux parties, avait bien de la peine à rendre une sentence qui satisfit l'une et l'autre. Cependant le fils aîné de Frédéric, Henri, auquel l'empereur avait confié le gouvernement de l'Allemagne, se révolta contre son père (1235) et trouva des alliés dans la ligue lombarde. Frédéric, soutenu puissamment par le pape, vainquit Henri, puis tourna ses armes contre la ligue, qu'il défit à Corte-Nuova (1237). La ligue n'en continua pas moins sa résistance ; le souverain pontife s'était de nouveau interposé comme médiateur, lorsqu'une nouvelle usurpation de Frédéric dans l'île de Sardaigne, qui appartenait au pape, décida Grégoire IX à se prononcer enfin contre un prince dont l'ambition effrénée rendait toute entente impossible. L'existence même de l'Eglise et de la papauté était en jeu. La guerre t3tait donc pour le souverain pontife le plus sacré des devoirs. Grégoire fit alliance avec Venise et la ligue lombarde contre l'empereur, excommunia Frédéric et déclara ses sujets déliés du serment de fidélité qu'ils lui avaient prêté (1239).

La sentence pontificale affaiblit beaucoup le parti de l'empereur en Italie ; elle produisit moins d'effet en Allemagne. Et cependant, Rome avait, dans les religieux de saint Dominique et de saint François d'Assise, des armées d'auxiliaires ardents, qui portaient partout ses ordres et en pressaient l'exécution. C'est que Frédéric, en politique rusé, savait donner à ses usurpations une couleur de légitimité, et que la question de droit, ainsi obscurcie, se compliquait encore d'une autre question controversée : celle du pouvoir qu'avait le pape de déposer les rois. Plusieurs princes de l'Empire, tant ecclésiastiques que séculiers[12], écrivirent en 1240 à Grégoire IX, pour le supplier de prendre en considération les maux qui allaient fondre sur l'Allemagne et d'accorder la paix à l'empereur, dont ils ne pouvaient ni ne voulaient en aucun temps abandonner les droits. Cette complication inévitable des choses spirituelles et temporelles faisait donc perdre à la cause pontificale, qui était celle de la justice et du droit, un certain nombre de ses partisans naturels. Frédéric exploitait habilement cette circonstance. A son instigation, l'aristocratie française et anglaise s'insurgeait contre l'extension du pouvoir spirituel au temporel et menaçait l'Eglise d'un schisme. Il cherchait à montrer aux rois que sa cause était la leur, et que, lui vaincu, ils ne seraient plus que les humbles sujets du souverain pontife. Toutes les tentatives faites pour rapprocher les deux puissances échouèrent, parce que l'empereur ne voulait faire aucune concession, et exigeait que les villes lombardes fussent exclues de la trêve. Le pape, en homme d'honneur, refusa constamment de trahir ses alliés. Une formidable invasion des Mongols en Hongrie et en Silésie, sous leur chef Tchinghiz-Khan — Gengiskan —, ne suspendit point la lutte. Cependant, l'empereur triomphait par les armes en-Italie. Grégoire IX était bloqué à Rome et enfermé comme dans une prison, lorsqu'il mourut presque centenaire (1241).

 

Concile de Lyon. A cette nouvelle, Frédéric, pour faire croire au monde chrétien que la querelle avait été toute personnelle entre Grégoire et lui ; qu'il n'en avait voulu qu'à l'homme, non au Saint-Siège, suspendit les hostilités et se retira dans son royaume. Le conclave porta sur le trône pontifical un ami de l'empereur, le cardinal Sinibald Fieschi (1243), qui prit le nom d'Innocent IV. Les courtisans allemands se réjouissaient de voir sous la tiare un partisan de leur souverain. Je crains bien, leur dit Frédéric, d'avoir perdu un ami dans le cardinal Fieschi, pour ne trouver qu'un ennemi dans le pape Innocent. Un pape ne peut être gibelin. Frédéric condamnait lui-même sa politique. Cependant, il entama de nouvelles négociations, qui échouèrent comme les précédentes, pour les mêmes motifs. Innocent croyait d'ailleurs ne pouvoir se fier à un prince tant de fois parjure. Il s'enfuit à Gênes, demanda asile au roi de France saint Louis, qui ne put le lui accorder, à cause de l'opposition des barons. Innocent se retira donc à Lyon, qui n'obéissait alors qu'à ses évêques. Là, se tint un concile œcuménique, dans lequel Innocent prononça solennellement la déposition irrévocable d'un empereur auquel il n'y avait plus à se fier (1245). Cette sentence porta un coup mortel à la domination de Frédéric en Allemagne. Les princes, qui avaient paru les plus dévoués à sa cause, l'abandonnèrent, et il fut dès lors à peu près oublié dans l'Empire. Quant au royaume d'Arles, on peut dire qu'il rompit les derniers liens qui l'unissaient encore aux souverains allemands.

 

Fin de Frédéric II. C'est alors que Frédéric, jetant tout à fait le masque, dévoila enfin complètement les sentiments qu'il nourrissait depuis longtemps dans son cœur. Animé de l'esprit qui suscita, trois siècles plus tard, la réforme protestante, il fit profession de vouloir ramener le clergé aux mœurs et à la pauvreté des premiers temps du Christianisme. Il voulait effectuer cette réforme en se substituant lui-même au pape, en usurpant dans l'Eglise une suprématie religieuse analogue à celle qu'exerce actuellement le czar en Russie. Il s'établit chef spirituel de l'Eglise de Sicile, avec Pierre de la Vigne, son ministre, pour vicaire et administrateur ; quiconque refusa de reconnaître le nouveau pontife, fut livré aux flammes du bûcher. Cependant des compétiteurs, Henri Raspe d'abord, puis Guillaume de Hollande, disputaient, à Conrad, son fils, la domination en Allemagne ; l'armée impériale était vaincue à Parme, l'empereur voyait son fils Enzio tomber aux mains des Bolonais. Frédéric II mourut en 1250, dans des sentiments religieux, dont il avait toujours fait hypocritement parade, mais que l'on peut croire sincères, dans un moment où les choses ont coutume de se présenter sous un tout autre aspect qu'aux jours de la force et de la prospérité. Par son testament, il ordonna de restituer aux ordres religieux les biens dont il les avait dépouillés, et de reconstruire les temples détruits. Il protesta de son respect pour l'Eglise romaine, qu'il appelait sa mère. Selon Matthieu Paris, il voulut même, conformément aux pratiques de l'époque, revêtir à ses derniers moments l'habit des religieux de Cîteaux, en signe de pénitence. Les conséquences de son règne prouvent une fois de plus, dit un de ses historiens, que les moyens condamnés par la morale ne produisent que des résultats contestables ou incomplets.

 

Les derniers Hohenstaufen. Dès lors, l'Italie se sépara presque entièrement et pour toujours de l'Empire, mais sans trouver plus de tranquillité que pendant ses luttes contre la domination étrangère. Le nord, divisé en une foule de petits états, principautés ou républiques, continua d'être déchiré par les luttes incessantes des Guelfes et des Gibelins. Dans le centre, le pape restait roi sans conteste, mais roi féodal, par conséquent sans beaucoup d'autorité. Pour les royaumes de Naples et de Sicile, après la mort de Conrad IV (1254), Manfred, fils naturel de Frédéric II, s'en empara, quoique le prince défunt eût laissé un enfant de deux ans, nommé Conradin. Le pape refusa l'investiture à l'usurpateur. Manfred se maintint cependant sur le trône, malgré Innocent IV et Alexandre IV. Urbain IV offrit, en qualité de suzerain, la couronne de Naples à Charles d'Anjou, l'indigne frère de saint Louis. Charles, en recevant la couronne, promit de ne jamais unir à son royaume la couronne impériale, la Lombardie ou la Toscane. Manfred périt dans la bataille de Bénévent (1266), et Charles d'Anjou fit la conquête de ses nouveaux états. Mais le jeune Conradin arrivait à la tête d'une armée allemande pour lui disputer le trône. Charles marcha contre lui, le vainquit à Tagliacozzo, le fit prisonnier, et fut assez barbare pour le faire périr sur l'échafaud. Le malheureux prince n'avait que seize ans. Avec lui s'éteignit la maison de Hohenstaufen.

 

Résultats de la lutte. Alors se termina aussi la longue lutte du Sacerdoce et de l'Empire. Le royaume de Sicile resta séparé de l'Allemagne, et l'Italie fut presque entièrement soustraite au joug teutonique, mais profondément divisée par les partis politiques. L'Allemagne était également troublée et fortement affaiblie. La division des esprits n'était pas moindre dans toute la chrétienté, où les deux puissances conservèrent leurs partisans convaincus. Mais le principal résultat de la ruine des Hohenstaufen, ce fut le triomphe de la civilisation chrétienne. La royauté universelle, la domination de l'Etat sur l'Eglise, rêvées et poursuivies par la maison de Souabe et principalement par Frédéric II, eussent été le comble des maux. C'eut été le triomphe du despotisme, la destruction de la liberté et des nationalités, le retour à la dégradation des derniers temps de l'empire romain. Les papes en combattant l'ambition des Hohenstaufen ont sauvé l'Europe de ce danger.

 

 

 



[1] Il ne fut pas brûlé vif. Voyez Giesebrecht, Deutsche Kaiserzeit, t. V, p. 64. — Otton de Frisingue ne peut, sans violence, être interprété autrement. Le fragment publié par Monaci dans l'Archivio della Societa Romana, t. II, p. 327, ne laisse à cet égard aucun doute.

[2] Beaucoup d'auteurs modernes, parmi lesquels Duruy (Hist. du Moy. Age, p. 278), attribuent à Alexandre III et au 3e concile de Latran un décret déclarant qu'un chrétien ne peut être esclave. Pour être exact, il faudrait ajouter d'un juif ou d'un mahométan. Un chapitre de ce concile défend d'ordonner un esclave (Labbe, Concil., t. X, col. 1730, E), ce qui prouve bien que l'esclavage ne fut pas aboli.

[3] Quelques-unes étaient exclues.

[4] Les rois et les princes du moyen âge ne se sont généralement soumis au tribunal du pape dans les affaires temporelles, que lorsque ses sentences leur étaient favorables, ou que la nécessité les y obligeait. Henri IV s'est humilié à Canosse, parce qu'il le fallait bien ; mais pour recommencer aussitôt son opposition. Henri V admet la sentence de déposition prononcée contre son père, parce qu'elle lui donne la couronne ; affermi sur le trône, il reprend la politique anti-romaine de sa maison. Innocent III, après avoir soutenu Otton IV contre Philippe de Souabe, le trouve indocile, et doit lui opposer Frédéric II, qui se tournera à son tour contre le Saint-Siège et sera frappé de ses foudres. Dans leur querelle avec Jean sans Terre, les barons anglais refusèrent de se soumettre à la sentence d'Innocent. Nous avons vu les barons de France s'opposer avec Philippe-Auguste à l'intervention du même pape. Aussi longtemps que les hommes resteront hommes, un tribunal qui ne disposera pas de la force armée, sera désobéi.

[5] Voyez Winckelmann, Philipp von Schwaben, II, 418.

[6] Il n'y pas dans ce portrait d'Innocent III un seul mot d'éloge, qui ne soit parfaitement d'accord avec ce qu'ont dit de ce grand pape les savants protestants les plus distingués, entre autres Raumer, Geschichte der Hohenstaufen, t. II, pp. 600-602, 2e édit.

[7] Ce portrait de Frédéric est conforme à celui qu'en a tracé Huillard-Bréholles. On n'a pas parlé des vices qui ne lui sont reprochés que par ses adversaires.

[8] Huillard-Bréholles.

[9] Huillard-Bréholles.

[10] Frédéric lui-même n'alléguait ce prétexte qu'avec hésitation. Voyez Döllinger, Hist. de l'Eglise, trad. de Bernard, Bruxelles, 1841, t. II, p. 248, note.

[11] Voyez, par exemple, le magnifique portrait qu'en trace le protestant Raumer, Gesch. der Hohenstaufen, 2e édit., t. III, p. 264 suiv. Cf. ibid., pp. 550 et 629.

[12] Savoir, trois archevêques, dix évêques, cinq ducs, le landgrave de Thuringe, deux margraves et plusieurs comtes.