HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

 

CHAPITRE VII. — LA FÉODALITÉ.

 

 

§ Ier. — ORIGINE DE LA FÉODALITÉ.

 

Idée de la féodalité. La féodalité consistait avant tout dans le démembrement de la souveraineté. Sous ce régime, le pouvoir souverain n'appartenait plus exclusivement au roi, à ses ministres, à un gouvernement central, mais à une foule de seigneurs qui, à vrai dire, étaient rois dans un territoire plus ou moins étendu. Au lieu de former un grand peuple, gouverné par un monarque, chaque royaume était partagé en une foule de petits états, ayant chacun leur souverain, qui conservait cependant encore quelque dépendance vis-à-vis du roi. Chaque grand propriétaire était, jusqu'à certain point, souverain dans ses terres. Propriété et souveraineté étaient réunies.

 

Du démembrement de la souveraineté. Comment donc s'est accompli ce démembrement de la souveraineté ? Comment, entre les hommes libres, primitivement sujets du roi au même titre, cette inégalité, cette hiérarchie s'est-elle établie ? Par quels moyens les uns se sont-ils élevés jusqu'à une sorte de souveraineté subordonnée, tandis que les autres, d'abord leurs égaux, tombaient dans leur dépendance ? Voici quelles furent les causes de cette lente mais complète révolution.

Tandis qu'une partie des hommes libres s'enrichissaient, soit par habileté, soit par injustice — en Allemagne aussi parle défrichement des terrains incultes —, les autres succombaient sous les charges militaires et s'appauvrissaient, victimes des déprédations de voisins plus puissants. Ce fut une nécessité pour le faible de se mettre sous la protection du fort. On vit généralement le petit propriétaire, à cette époque de violence, abandonner ses terres à un patron, la reprendre de sa main en bénéfice, et se reconnaître vassal de son protecteur. Ainsi s'accrut, avec leurs terres et le nombre de leurs vassaux, la puissance de certaines familles. Les fonctions comtales et les autres offices royaux devinrent héréditaires dans leur sein. Or le vice de la constitution germanique, réunissant dans les mains d'un même gouverneur de province tous les pouvoirs, militaire, judiciaire, administratif et politique, faisait du comte une sorte de petit roi. L'immunité fit passer du trône à l'aristocratie une foule de droits régaliens. Le roi se trouva moins puissant que beaucoup de ses sujets et, par là même, incapable d'exercer sur eux une action vraiment efficace. Les invasions des Northmans, des Hongrois, des Sarrasins, favorisèrent, comme nous venons de le dire, cette révolution.

Ce que les comtes et les ducs faisaient à l'égard du roi, se répétait, sur une moindre échelle, dans chaque duché et dans chaque comté. Les usurpations des grands seigneurs furent imitées par les petits ; les vassaux des ducs et des comtes se rendirent presque indépendants de leurs suzerains, comme ceux-ci s'étaient affranchis de l'autorité royale. Les serfs agirent à l'égard de leurs maîtres de la même façon. Lorsqu'un grand propriétaire fut devenu seigneur, son intendant s'érigea en officier public. En peu de temps, la possession fit place à la propriété, et la propriété conduisit à une sorte de magistrature[1].

 

Développement de la féodalité en France. Nulle part, la féodalité ne fit d'aussi rapides progrès qu'en France. A la mort de Charles le Chauve, second successeur de Charlemagne, le pouvoir royal était presque entièrement ruiné, et, par suite, les souverainetés particulières presque complètement constituées. En l'année 842, à Strasbourg, dès le début de son règne, Charles jurait à Louis le Germanique une fidèle alliance, et autorisait ses sujets à l'abandonner, s'il manquait à son serment. C'était évidemment fournir un facile prétexte à toutes les désobéissances. Quelques années plus tard, en 858, une bonne partie du clergé et de la noblesse française se révolta contre son roi, et offrit la couronne à Louis le Germanique. La tempête apaisée, Charles reconnut, en pleine assemblée, qu'il tenait son pouvoir de l'élection, et qu'en conséquence, il était soumis au jugement des évêques. C'est ainsi que la royauté abdiquait ses droits l'un après l'autre. Elle aliénait son domaine pour s'attacher ses serviteurs. Un célèbre capitulaire de Kiersy, en 877, consacrait implicitement l'hérédité des bénéfices. A partir de Charles le Simple, les rois Carolingiens de France n avaient plus sous leur pouvoir direct que le pays de Laon ; le reste obéissait à des ducs ou à des comtes. Réduits ainsi à l'impuissance, Louis d'Outre-Mer et Lothaire, deux rois dignes d'un meilleur sort, n'eurent pas d'autre but, pendant tout leur règne, tout en admettant franchement la féodalité, que de retenir les grands dans une certaine dépendance, et d'étendre le domaine de la couronne, c'est-à-dire, de s'assurer quelques provinces qui fussent directement soumises à leur pouvoir. Tous leurs efforts échouèrent contre l'opposition de l'aristocratie.

 

Avènement des Capétiens (987). Ce furent même leurs tentatives qui amenèrent probablement la chute de leur dynastie. A la mort de Louis V, fils de Lothaire, la ligne Carolingienne n'était pas éteinte. On l'éloigna cependant du trône, pour y placer le duc de France, Hughes Capet. Pourquoi cela ? Si les derniers Carolingiens avaient voulu se contenter du rôle de rois fainéants, on les aurait vraisemblablement laissé régner jusqu'à l'extinction de leur race. Mais ils ne se résignèrent pas à ce sort. Ils entreprirent d'exercer une autorité réelle et de rendre à la couronne ses prérogatives. Ils gênaient ; on s'en défit. La plupart des grands vassaux s'abstinrent de prendre part-à l'élection. Cette révolution devait cependant avoir de graves conséquences.

 

Condition faite à la royauté sous les premiers Capétiens. Elle était d'abord la consécration de la féodalité. Sous les derniers Carolingiens ; en effet, les grands vassaux jouaient le rôle d'usurpateurs défendant, contre un maître légitime, les lambeaux de pouvoir et de territoire dont ils avaient dépouillé le roi. Hughes Capet n'avait aucun reproche à leur faire à ce sujet. Usurpateur, il l'était autant et plus, que les autres. Sa présence sur le trône légitimait donc, devant la couronne, le système féodal, puisque les Capétiens ne pouvaient le réprouver sans se condamner aussi du même coup.

Une autre conséquence du changement de dynastie, ce fut la consolidation de la royauté. Les derniers Carolingiens, dénués de tout domaine considérable, matériellement plus faibles que les grands feudataires, s'étaient vus réduits à l'impuissance. La nouvelle maison était riche en territoires et en hommes. Le roi ne dépendit donc plus absolument des grands vassaux. La royauté recouvra sa liberté d'action. Elle rie pouvait pas beaucoup, mais enfin elle pouvait quelque chose.

A considérer uniquement la force matérielle, le roi ne surpassait point les grands vassaux. Ceux-ci, en effet, se considéraient comme les égaux, comme les pairs du roi. Hughes Capet l'ayant un jour oublié, Adelbert, comte de Périgord, le lui rappela fièrement. Qui t'a fait comte ? lui avait dit le roi avec hauteur. Qui t'a fait roi ? lui répliqua le comte. Voilà ce qu'était le roi aux yeux de la noblesse ; pour le clergé et le peuple, il était toujours la source du droit, le dépositaire du souverain pouvoir, le protecteur de l'ordre, le successeur de Charlemagne. Il y avait, dans cet ensemble d'idées, une force morale pleine de fécondité pour l'avenir.

Quoique l'élection de Hughes Capet ne fût pas positivement personnelle, le droit de ses descendants à lui succéder n'était cependant pas incontestable. Aussi les premiers Capétiens eurent-ils la précaution d'associer leur fils aîné au trône de leur vivant ; ce qui ne se fit pas toujours sans difficulté. Après quelques générations, l'hérédité était devenue la loi. Hughes Capet, et ses successeurs immédiats, Robert le Pieux et Henri Ier, firent peu de choses remarquables. Non pas qu'ils fussent fainéants, mais parce qu'ils avaient peu de puissance. Ce fut assez pour eux de consolider insensiblement leur pouvoir.

 

Premiers développements de la féodalité en Allemagne. Les progrès de la féodalité furent plus tardifs en Allemagne qu'en France. D'abord, parce que les invasions des Northmans épargnèrent davantage le royaume teutonique. Ensuite, parce que la conquête avait enrichi subitement les compagnons de Clovis ; de cette époque, par conséquent, datait en France le mouvement qui tendait à établir entre les hommes libres l'inégalité, tandis qu'en Allemagne l'égalité primitive avait persisté plus longtemps. Enfin, Louis le Germanique avait plus de fermeté que Charles le Chauve, et rencontra moins de difficultés de la part d'un peuple qu'unissait, jusqu'à certain point, la communauté de race, de langage et d'institutions. Arnoul sut aussi régner avec fermeté (887-899). Il exerça même, sur les autres royaumes sortis du démembrement de l'Empire, une sorte de suzeraineté, à laquelle Eudes, roi de France, se soumit, au moins dans les commencements. Mais Arnoul ne laissa pour lui succéder en Allemagne qu'un enfant de dix ans. Le règne de Louis l'Enfant (900-911) fut une ère de désordres. Les grands profitèrent de la minorité pour augmenter leurs richesses et leur crédit par les moyens que nous avons indiqués plus haut. Aussi, lorsqu'à la mort de Louis, Conrad Ier de Franconie ceignit la couronne germanique, le pouvoir royal était presque ruiné. L'institution des missi, qui avait été, entre les mains de Charlemagne, un puissant levier pour faire sentir son pouvoir jusqu'aux extrémités les plus reculées de l'Empire, était complètement tombée en désuétude dans le royaume germanique. Les offices et les bénéfices étaient devenus de fait presque héréditaires, puisque le souverain ne pouvait plus les enlever à la famille du possesseur, sans exciter de vives réclamations et, parfois même, des révoltes armées. C'est ainsi, par exemple, que Conrad, à la mort du duc Otton de Saxe, ayant voulu disposer de quelques-uns de ses bénéfices pour un autre que le jeune duc Henri l'Oiseleur, celui-ci parvint à s'y maintenir en dépit du roi. Le souverain se trouvait désarmé devant cette aristocratie dont plusieurs membres étaient aussi puissants ou même plus puissants que lui. Il ne resta presque plus d'appui au roi que dans le clergé.

 

Politique des rois d'Allemagne à l'égard du clergé. Il semblerait, à première vue, que les évêques et les abbés dussent faire cause commune avec l'aristocratie laïque et partager ses aspirations. Tirés presque exclusivement des plus grandes familles, habitués, en dépit des lois canoniques, à conduire eux-mêmes leurs vassaux en campagne et à mener une vie assez mondaine, leurs intérêts ne paraissent pas différents de ceux de la noblesse. En réalité, néanmoins, il en était tout autrement. Les biens des églises et des monastères étaient sans cesse convoités par les laïques, les ecclésiastiques souvent méprisés et maltraités par les comtes. Le concours du pouvoir royal était nécessaire au clergé pour la défense de ses biens et pour le maintien de ses droits. Les évêques et les abbés avaient donc le plus grand intérêt à soutenir le trône. Le roi, de son côté, trouvait son avantage à favoriser l'Eglise aux dépens des seigneurs laïques. La richesse de l'Eglise était une force pour le pouvoir souverain. En effet, les bénéfices et les offices royaux étant devenus héréditaires, ou peu s'en faut, dans les mains de ces seigneurs, échappaient presque au pouvoir du roi et donnaient à l'aristocratie séculière une position quasi indépendante, tandis que le souverain avait généralement la collation des évêchés et des abbayes. Les fiefs ecclésiastiques étaient donc, dans la main du roi, autant de forces à opposer, dans l'occasion, aux ennemis du trône. Aussi peut-on bien admettre que la plupart des rois de cette époque, indépendamment des motifs de piété qu'ils avaient d'ailleurs, se firent une règle politique de travailler à augmenter la puissance des évêques et la richesse des abbayes, en leur accordant des terres, des immunités et des droits régaliens. Mais il fallait avant tout au roi, pour être puissant, des domaines considérables soumis à son autorité directe. C'était faute de tels domaines, nous l'avons vu, que les derniers Carolingiens de la branche française n'avaient été rois que de nom. Aussi Conrad, plus désireux du bien public que de la grandeur de sa famille, conseilla-t-il, sur son lit de mort (918), aux grands qui l'entouraient, de donner la couronne à ce même Henri de Saxe, dont il n'avait pu entamer la position. Le désir du mourant fut accompli.

 

Les duchés allemands. Parmi les puissances naissantes que Conrad avait rencontrées à l'intérieur du royaume, et qu'il s'était efforcé vainement de soumettre, nous devons remarquer les duchés. L'Allemagne renfermait dans son sein quatre peuples, de même origine, de même langue, germains en un mot, mais cependant différents : les Saxons, les Bavarois, les Souabes — Alemans —, les Franconiens — Francs —. Les ducs étaient leurs chefs. Ce n'étaient pas, comme originairement les comtes, de simples officiers royaux, mais les véritables souverains de ces différents peuples. Sous Charlemagne, on ne connaissait pas cette sorte de ducs. Mais depuis, l'Empire se dissolvait, les quatre peuples germaniques tendaient à se séparer. Conrad avait voulu remonter le courant, faire rentrer les ducs dans une entière dépendance. La tâche était impossible, il avait succombé. Instruit par l'expérience, Henri l'Oiseleur, chef de la dynastie saxonne, suivit une autre ligne de conduite. Il admit le fait accompli et reconnut le pouvoir ducal. Les ducs restèrent souverains, mais souverains subordonnés il un pouvoir suprême, à la couronne. Ils conservaient, dans un certain cercle, une action indépendante, disposaient des armées de leurs :duchés, avaient avec les états voisins des relations de souverain à souverain. Mais ils devaient au roi le service militaire, venaient aux assemblées du royaume, ne pouvaient, dans certaines circonstances, se passer, pour agir, de la permission du roi. Le roi exerçait dans les duchés certains actes d'autorité, et se chargeait de la défense du royaume contre les agressions du dehors. Il représentait l'Etat vis-à-vis des puissances étrangères. L'Etat conservait donc une certaine unité, bien que l'action du pouvoir suprême ne s'exerçât point partout également sans restriction. Henri l'Oiseleur., en admettant cet ordre de choses, avait mieux saisi que Conrad l'esprit germanique. Aux yeux du Germain, les droits des individus et des communautés n'étaient pas des concessions du pouvoir suprême, de l'Etat. C'est là un concept du despotisme romain, dont ne pouvait s'accommoder la mâle fierté du caractère teutonique. La constitution germanique laissait aux individus et aux communautés toute l'indépendance possible. Le chef de famille était roi dans sa maison. La centaine, le comté, le duché administraient eux-mêmes leurs affaires, et ne se dessaisissaient de leur autonomie, qu'autant qu'il en était besoin en vue de l'intérêt général. C'est ce que comprit, c'est ce que respecta Henri l'Oiseleur. Aussi put-il régner avec force. Attaqué par les sauvages Hongrois, il les avait battus -et refoulés vers la Theiss. Les Slaves furent également vaincus. La Lotharingie fut réunie à l'Allemagne. Henri sut se faire respecter à l'intérieur, aussi bien que des ennemis du dehors. Il assura la couronne à son fils Otton, en le faisant reconnaître de son vivant.

 

Politique d'Otton le Grand (936-973). Otton suivit la même politique que son père ; il fit valoir, avec plus d'énergie encore, les droits de la couronne. Il s'attacha constamment à tenir les ducs dans une étroite dépendance. Toute insubordination de leur part fut sévèrement réprimée. Le duc de Bavière étant mort, le duché fut enlevé à sa famille, parce que ses fils avaient refusé de paraître à la cour. La plupart des duchés devinrent vacants sous le règne d'Otton, qui y nomma des membres de sa famille, sur le dévouement et la soumission desquels il croyait pouvoir compter davantage. Le duché de Franconie cessa d'exister et fut soumis au pouvoir direct du roi. Otton institua aussi les comtes palatins, chargés d'exercer les droits royaux et de représenter les intérêts de la couronne dans les duchés. Comme son père, il exerça, dans la nomination des évêques, toute l'action compatible avec les lois canoniques, choisit d'ordinaire les prélats dans sa famille ou dans les maisons princières qui. lui étaient dévouées, et augmenta la puissance du clergé, dans lequel il trouva toujours un appui solide. Il ne se contenta pas de reconnaître aux évêques l'immunité. Quelques-uns d'entre eux commencèrent à exercer la dignité comtale dans leur ville épiscopale et dans le pays environnant. Après de pénibles combats contre les grands et contre les membres mêmes de sa famille, il parvint à donner au royaume germanique une unité, une consistance, un éclat extraordinaires.

En France, il semble s'être attaché à perpétuer, autant que possible, la lutte entre les ducs de France et les Carolingiens. A l'égard des Slaves et des Danois, il imita la politique dont Charlemagne avait donné l'exemple en Saxe, tâchant de les soumettre en même temps au joug de l'Evangile et à son propre pouvoir. Il mit un terme aux invasions des Hongrois en Allemagne. Enfin, pour le malheur de l'Italie et de l'Allemagne, il réunit ces deux pays sous un même sceptre.

 

Etat de l'Italie au Xe siècle. L'Italie, depuis la fin du IXe siècle, était tombée dans la plus inextricable confusion. Elle était divisée en factions qui se modifiaient sans cesse et dont il est bien difficile de suivre les évolutions. C'étaient tantôt deux rivaux qui se disputaient la couronne ; tantôt un parti allemand et un parti français ; tantôt le peuple armé contre la noblesse, ou les Italiens contre l'étranger. Le midi était au pouvoir des Sarrasins et des Grecs. Du nord au sud, la Péninsule s'était fractionnée en un e foule de petites souverainetés laïques et ecclésiastiques. La dissolution de l'empire carolingien et les invasions y avaient produit les mêmes résultats que dans les autres provinces : la féodalité s'établissait.

 

Conquête de l'Italie par Otton le Grand. Vers le milieu du Xe siècle, l'Italie reconnaissait comme roi Lothaire, dernier survivant d'une branche féminine de la dynastie Carolingienne. En 950, Bérenger II, petit-fils d'un autre prince du même nom qui avait régné en Italie après Charles le Gros, empoisonna, dit-on, Lothaire, prit la couronne et, pour la fixer dans sa maison, voulut, ajoute la tradition, faire épouser à son fils Adalbert, Adelaïde, veuve du malheureux prince. Celle-ci résista aux prières, aux menaces, aux mauvais traitements. Enfermée dans une étroite prison, elle parvint à s'échapper, et se réfugia dans une place forte. Otton était déjà en marche pour lui porter secours et s'emparer du royaume d'Italie. Il ne rencontra pas de résistance, épousa Adelaïde, succédant ainsi à tous ses droits, et laissa la couronne à Bérenger, qui lui fit hommage de vassal. Mais Bérenger oublia bientôt ses serments, et se mit à sévir contre ceux de ses sujets qui avaient pris le parti d'Otton. Les plaintes des Italiens engagèrent le roi de Germanie à entreprendre une seconde expédition dans la Péninsule.

 

Rétablissement de l'Empire. Après avoir fait reconnaître comme roi d'Allemagne son fils Otton II, il passa les Alpes, se fit proclamer roi d'Italie à Milan, et reçut la couronne impériale, des mains du pape, à Rome — 962 —. La réunion de l'Italie à l'Allemagne dura trois siècles. C'est là le résultat le plus important du règne d'Otton le' Grand.

 

Grande puissance d'Otton. Jamais, depuis Charlemagne, on n'avait vu pareille puissance. L'Empire comprenait toute l'Europe centrale, des Alpes à l'Oder, de la Baltique à Bénévent. Mais l'influence du grand prince embrassait un bien plus vaste cercle : Les deux rois de France Louis d'Outre-Mer et Lothaire lui durent leur trône. Le roi de Bourgogne était encore dans une dépendance bien plus étroite vis-à-vis de l'Allemagne. Le pape, en couronnant Otton, ne fit, pour ainsi dire, que consacrer un ordre de choses existant. Après Otton, le diadème impérial ne fut donné qu'à des rois de Germanie. Otton le Grand eut soin de l'assurer à son fils de son vivant même. Cependant le pape conserva le droit exclusif de conférer la dignité impériale, et les rois de Germanie ne prirent jamais le titre d'empereur, avant leur couronnement par le souverain pontife. Jusque-là ils n'étaient que rois des Romains.

 

Décadence du pouvoir royal en Allemagne. Du reste, si Otton le Grand exerça une immense influence sur toute l'Europe occidentale, il la dut à ses talents personnels et aux circonstances, non à son titre, d'empereur ; aussi ne passa-t-elle pas avec la couronne à ses successeurs. Son petit fils Otton III songea à rétablir l'empire romain, adopta le cérémonial de la cour d'Orient, ressuscita une foule de souvenirs de l'ancienne Rome. Mais en courant après ces ombres, il perdit beaucoup de son pouvoir réel, s'aliéna les Germains, sur lesquels reposait sa puissance, et n'aboutit qu'à augmenter l'indépendance des vassaux. D'ailleurs, la jeunesse des rois Otton II et Otton III, et leurs longues expéditions en Italie contribuèrent au même résultat. L'Italie devait toujours être, pour le pouvoir impérial, la pierre d'achoppement. Sous ces deux princes, le domaine royal fut en grande partie aliéné ; leurs officiers s'approprièrent les droits qu'ils tenaient.de la couronne ou les exploitèrent à leur profit. Les comtes furent alors de véritables princes dont l'influence sur la marche du gouvernement ne fit que croître sans cesse, dont l'indépendance, sans être complète, fut cependant considérable. Lorsque la dynastie saxonne s'éteignit avec Henri II, la féodalité était complètement établie en Allemagne. Conrad II (1024-1039), eut assez de force pour la faire reculer. Il sut faire exécuter ses ordres et réprimer l'insubordination. Il s'attacha les petits vassaux par des faveurs. Ce qu'il y a de blâmable dans sa conduite, c'est qu'il sacrifia aux intérêts du pouvoir le bien de la religion. Il donna les évêchés et les abbayes, non aux plus méritants, mais à ses parents et ses amis, parfois contre une somme d'argent. Il força la Pologne à se reconnaître vassale, et réunit à l'Empire le royaume de Bourgogne. Henri III (1039-1056), régna avec non moins de force que son père, et se montra plus juste que lui à l'égard de l'Eglise. La querelle des investitures, dont nous parlerons plus loin, porta un coup funeste au pouvoir impérial, et assura le triomphe définitif de la féodalité.

 

La féodalité importée en Angleterre par Guillaume le Conquérant. Sous les Anglo-Saxons et les Danois, le système féodal tendait à se former en Angleterre, comme dans les royaumes sortis du démembrement de l'Empire. La Grande-Bretagne se trouvant à peu près dans les mêmes circonstances que le continent, les institutions germaniques devaient, dans leur développement, y aboutir au même résultat. Mais ce n'est pas de ce développement naturel que sortit la féodalité anglaise. Elle y fut importée de toutes pièces par Guillaume de Normandie.

Les conquérants danois de l'Angleterre avaient été expulsés, après trente ans environ de domination ; saint Edouard, fils d'Ethelred, avait recouvré la couronne de ses pères (1042). Il mourut sans laisser d'enfants. Le duc Guillaume de Normandie prétendit que ce prince l'avait institué son héritier, débarqua sur la côte méridionale d'Angleterre, à la tête d'une armée de 60.000 hommes, dont un grand nombre étaient des aventuriers normands ou flamands, et remporta près d'Hastings (1066) une grande victoire sur Harold, son compétiteur, qui périt dans la bataille. Après bien des combats encore et du sang versé, les Normands restèrent maîtres de la Grande-Bretagne. Le roi d'Ecosse reconnut le conquérant pour son suzerain, et une partie du pays gallois, habité par les Bretons, fut réunie au royaume anglo-normand. Guillaume établit complètement, dans ses nouveaux états, le système féodal, niais en le modifiant à son profit. Lorsqu'il fut affermi sur le trône, avec l'appui des légistes, il se fit reconnaître pour le seul propriétaire du sol, dont une bonne partie avait été distribuée en fiefs-héréditaires aux guerriers normands.

Les Anglo-Saxons qui s'étaient soumis, conservèrent leurs biens, mais aux mêmes conditions d'hommage et de service militaire. Ainsi le roi, en cédant à ses sujets le domaine utile du sol, en retint le domaine direct. Les vassaux immédiats du prince agirent dans leurs terres de la même manière que le roi ; ils eurent aussi leurs vassaux. Toutefois, ce qui est un changement fondamental, les arrière-vassaux se lièrent par l'hommage et le serment de fidélité, non pas uniquement à leur seigneur immédiat, comme cela se pratiquait sur le continent, mais avant tout au roi lui-même. De là une grande force pour le pouvoir royal. De plus, les baronnies anglaises étaient bien moins considérables que les duchés et les comtés français ou allemands. Aussi les grands vassaux de la couronne d'Angleterre ne jouirent-ils jamais de l'indépendance qu'affectaient les feudataires des royaumes continentaux. D'ailleurs, ce qui était encore une différence, on était baron d'Angleterre par la grâce de Guillaume ; Hughes Capet, au contraire, fut roi par la grâce des grands feudataires. Le pouvoir royal, presque absolu, à l'origine, dans la monarchie anglo-normande, alla toujours en décroissant ; tandis qu'en France, extrêmement faible sous les premiers Capétiens, il s'étendit, se fortifia et monta jusqu'à l'absolutisme.

 

Le Domesday-Book. Afin de connaître parfaitement les propriétés de la couronne, les concessions faites à chacun de ses tenanciers, et la quotité d'impôt que chaque sujet devait payer, le roi fit dresser avec le plus grand soin et jusque dans les plus minimes détails, non seulement le cadastre du royaume entier, mais un état complet des revenus et des biens des villes et des particuliers. Ce travail dura cinq ans. Le résultat en fut consigné dans un livre que les conquérants appelèrent le Livre Royal, et que les Saxons baptisèrent du nom de Domesday Book ou livre du jour du jugement dernier, parce qu'il contenait la sentence irrévocable de leur condamnation. C'est le nom qui lui est resté.

 

Administration de Guillaume le Conquérant. Les commencements de l'administration de Guillaume furent assez équitables. Malgré les confiscations faites au profit de l'armée normande, la plus grande partie du territoire était restée aux mains des anciens propriétaires ; le conquérant avait confié des charges considérables à des Anglo-Saxons. Mais bientôt il sentit qu'il était usurpateur et se mit à opprimer les vaincus. Toutefois, la spoliation des propriétaires saxons, dit Guizot, ne fut point, comme on l'a prétendu, systématique ni universelle ; elle s'opéra progressivement, inégalement, à mesure que les révoltes servaient de cause ou de prétexte aux confiscations. L'exaspération poussa souvent le vaincu à se venger par l'assassinat. Les choses allèrent si loin, que toute centaine sur le territoire de laquelle le meurtre d'un Normand avait été commis, fut tenue ou de livrer le coupable dans les huit jours, ou de payer une amende ; et toute victime fut réputée normande, à moins qu'on n'en prouvât l'Anglaiserie.

Les évêques saxons furent généralement déposés, et toutes les charges civiles ou ecclésiastiques données aux seuls Normands pendant un siècle. Le nom d'Anglais était devenu un opprobre. La langue anglaise elle-même fut rejetée comme barbare ; le français, enseigné aux enfants dans les écoles, fut, jusqu'à Edouard III, l'unique idiome admis-dans les débats judiciaires et l'administration.

 

Conséquences de la conquête. La conquête de l'Angleterre par les Normands eut deux conséquences principales : de hâter les progrès de la civilisation dans les Iles Britanniques, et de créer entre l'Angleterre et la France une rivalité qui persista plusieurs siècles. La civilisation normande était, à cette époque, plus avancée que celle des Anglo-Saxons. La conquête introduisit donc dans la Grade- Bretagne un élément qui ne pouvait que la faire prospérer. De plus, à partir de cette époque, les relations devinrent beaucoup plus fréquentes entre les Iles Britanniques et le continent ; nouvelle cause de progrès. Voilà pour l'Angleterre. Les conséquences, pour la France, ne furent pas moins importantes. Le puissant vassal des Capétiens, en devenant lui-même roi, se mettait, vis-à-vis de la couronne de France, dans une situation de laquelle devaient nécessairement sortir des conflits. Le duc de Normandie était devenu trop fort pour ne pas s'affranchir de ses devoirs ou ne pas exciter la jalousie de son suzerain. Là est l'origine de la lutte entre la France et l'Angleterre qui se termina par la guerre de cent ans.

 

Les Normands en Italie. Dans les premières années du XIe siècle, des pèlerins normands, revenant de Palestine, s'étaient établis dans le midi de l'Italie, s'étaient accrus peu à peu en nombre par l'arrivée de nouveaux compatriotes, y avaient combattu avec les Lombards contre les Grecs et avaient enfin reçu des terres de l'empereur Conrad II. De simples auxiliaires, ils se firent bientôt conquérants. Les attaques dirigées par eux contre la ville de Bénévent, qui appartenait au souverain pontife, décidèrent le pape Léon IX à rassembler des troupes et à marcher contre eux. Vaincu et fait prisonnier, le saint père fut obligé d'accepter un traité en vertu duquel Robert Guiscard, chef des Normands, était autorisé à garder ses conquêtes, mais comme fiefs du Saint-Siège. Roger, frère de Guiscard, soumit peu après la Sicile et en expulsa les Sarrasins. Toutes ces provinces furent réunies, moins d'un siècle plus tard, en un seul royaume.

 

§ II. — LES INSTITUTIONS FÉODALES.

 

La terre féodale. A l'époque où la féodalité était pleinement constituée, toute propriété foncière d'une certaine étendue se composait ordinairement, dit Guérard, de deux parties bien distinctes : l'une occupée par le maître, constituait proprement le domaine ; l'autre, distribuée entre des personnes plus ou moins dépendantes, formait ce qu'on appelle des tenures. Dans le domaine, on trouvait le château du seigneur ou propriétaire, le plus souvent sûr des hauteurs, dans les endroits les mieux fortifiés par la nature. Les tenures étaient de deux sortes, suivant qu'elles imposaient aux occupants ou tenanciers des obligations honorables ou serviles. Si la tenure n'imposait à son possesseur que des obligations honorables, comme le service militaire, par exemple, elle prenait le nom de fief. Le tenancier n'était pas propriétaire de son fief ; il n'en avait que l'usufruit, à perpétuité cependant, pour lui et sa postérité. Le seigneur ne pouvait le reprendre que si le possesseur manquait gravement à ses obligations ou ne laissait pas d'héritiers. Le possesseur — l'un fief était dans la dépendance personnelle du propriétaire, auquel il prêtait serment de fidélité et dont il devenait l'homme ou le vassal.

Le fief était donc une tenure qui n'imposait que des obligations honorables. Lorsqu'une tenure imposait des obligations considérées comme peu honorables, elle se nommait censive. La censive était, par conséquent, une tenure d'un ordre inférieur possédée par des personnes plus ou moins engagées dans la servitude et soumises à certaines redevances et à des corvées. Les censives étaient héréditaires aussi bien que les fiefs.

Le seigneur était, jusqu'à un certain point, souverain dans toute l'étendue de sa propriété ; il était comme un petit roi. Ses vassaux formaient la petite armée avec laquelle il guerroyait contre les seigneurs voisins. Il jugeait, et exécutait ses sentences ; il faisait des règlements ; parfois il battait monnaie. Les seigneurs n'avaient pas tous des prérogatives égales. Leur droit souverain, par le fait même qu'il était le prix de leur lutte contre la couronne, était plus ou moins étendu, suivant que leur victoire avait été plus ou moins complète. Cette confusion de la propriété et de la souveraineté est un des traits caractéristiques du système féodal.

Si le seigneur, dont nous venons de parler, n'était pas dans la dépendance, ne relevait pas, comme on disait, d'un seigneur plus élevé, sa propriété se nommait alleu, et il était seigneur allodial. L'alleu était donc une terre possédée en pleine propriété ; une terre qui, selon l'expression du temps, ne relevait que de Dieu et du soleil. L'Alleu était noble ou roturier, suivant que des droits souverains y étaient ou n'y étaient pas attachés.

 

Hiérarchie féodale. Les alleux étaient l'exception. Presque partout, la propriété s'était transformée en fiefs. Le petit seigneur relevait d'un seigneur de rang plus élevé, celui-ci d'un autre plus haut placé encore dans la hiérarchie féodale, et ainsi jusqu'au roi ou jusqu'à l'empereur, qui ne relevaient de personne. On nommait grands vassaux de la couronne les seigneurs qui relevaient directement du roi en tant que roi. Ainsi le comte de Flandre, le duc de Normandie, le duc de Bourgogne étaient des grands vassaux de la couronne de France. Nous disons : qui relevaient du roi en tant que roi, car les Capétiens, en montant sur le trône, avaient conservé les vassaux qu'ils avaient déjà comme ducs de France, et ceux-là n'étaient pas comptés au rang des grands vassaux. Tout seigneur ayant sous lui des vassaux était leur suzerain. Le roi de France était suzerain du comte de Flandre ; celui-ci, suzerain de ses barons ; le baron, suzerain des seigneurs inférieurs qui relevaient de lui.

 

Hommage, foi, investiture. Les relations du suzerain et du vassal reposaient sur un véritable contrat obligatoire également pour tous deux. Ce contrat ne se faisait jamais sans une triple cérémonie : l'hommage, la foi, l'investiture.

L'hommage était un acte par lequel le vassal reconnaissait sa dépendance et ses obligations.

La foi était un serment par lequel il s'engageait à observer ses devoirs envers son suzerain.

A ce double acte du vassal répondait, delà part du suzerain, un autre acte, revêtu de certaines formalités symboliques et appelé investiture, par lequel le seigneur mettait son nouveau vassal en possession de son fief. Il lui donnait une motte de terre, une branche d'arbre, un étendard ou quelque autre objet, suivant le cas.

Cette triple cérémonie se répétait à chaque changement de vassal ou de suzerain.

Un même homme pouvait être à la fois vassal et suzerain. Ainsi le comte de Flandre, vassal de l'empereur et du roi de France, était suzerain de ses barons. Pendant un certain temps, le roi de France fut vassal de l'abbé de Saint Denys pour une terre qu'il tenait en fief de l'abbaye. Le vasselage n'était pas considéré comme humiliant, et l'on vit une foule de rois et d'empereurs entrer dans de telles relations vis-à-vis de princes beaucoup moins puissants qu'eux.

 

Obligations réciproques du vassal et du suzerain. Le vassal avait à l'égard de son suzerain des devoirs moraux ; il était tenu aussi à des services matériels. Les devoirs moraux, par leur nature même, étaient abandonnés, jusqu'à certain point, à l'interprétation arbitraire de la conscience.

Ces devoirs étaient, par exemple, de défendre la vie et l'honneur du seigneur, de sa femme et de sa fille ; de lui donner bon conseil à l'occasion ; de prendre sa place en captivité, lorsqu'on en était requis. Quant aux services, ils variaient beaucoup d'un fief à l'autre, mais ils étaient parfaitement déterminés pour chaque fief. Chaque seigneur avait le cadastre de ses domaines et la liste des obligations attachées à chaque tenure. Toutes les terres étaient classées irrévocablement. Les devoirs, les droits, la condition de l'homme dépendaient de la terre qu'il occupait. La plus importante et la plus générale des obligations matérielles du vassal, était le service militaire, appelé host ou chevauchée. Le service militaire féodal, était là de soixante jours, ici de quarante, ailleurs de vingt ; le vassal avait à suivre son seigneur à la guerre, tantôt seul, tantôt avec un nombre déterminé d'hommes ; tantôt dans les limites du territoire féodal, tantôt partout ; ici en toute occasion, là seulement dans la guerre défensive. Cette obligation ne liait le vassal qu'à son suzerain immédiat, à tel point qu'il devait le suivre même contre le roi. C'est ce que reconnut expressément saint Louis, quand on l'engageait à mettre à mort les fils et les vassaux du comte de la Marche, qui avaient pris le parti de leur seigneur dans sa révolte. Non, répondit le saint roi ; l'un n'a pu se rendre coupable en obéissant à son père, ni les autres en servant leur seigneur. C'était du moins le droit reçu en France. En Angleterre, il en était tout autrement.

Venait ensuite la fiancefiducia —, qui était, dit Guizot, l'obligation de servir le suzerain dans sa cour, dans ses plaids, toutes les fois qu'il convoquait ses vassaux, soit pour leur demander des conseils, soit pour qu'ils prissent part au jugement des contestations portées devant lui.

Le vassal était encore obligé aux aides, qui étaient dues dans quatre cas : 1° quand le seigneur captif avait à payer une rançon ; 2° quand il armait chevalier son fils aîné ; 3° quand il mariait sa fille aînée ; 4° quand il faisait la croisade outre mer. C'est ce qu'on appelait la taille aux quatre cas ou aides légales.

A la mort du vassal, son héritier, en recevant l'investiture, payait au suzerain un droit de mutation nommé relief. C'était une somme d'argent, ou plus souvent, à l'origine, un cheval, des armes, une selle ou une paire d'éperons. En vertu du droit de tutelle ou garde-noble, le suzerain prenait sous sa garde le vassal mineur et percevait les revenus du fief. Les filles du vassal ne pouvaient se choisir un époux sans l'agrément du suzerain. Ce droit de mariage s'explique par l'intérêt qu'avait le suzerain à ne pas laisser tomber les fiefs entre les mains du premier venu.

Le vassal avait aussi ses droits. Il pouvait, dans certaines limites, disposer de son fief, le faire fructifier, en confier l'exploitation à un tiers, en donner une partie en arrière-fief ou en usufruit. Il ne pouvait le perdre que par forfaiture, c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà remarqué, quand il manquait gravement aux devoirs féodaux. Si lé suzerain ne remplissait pas ses devoirs à l'égard de son vassal, celui-ci pouvait l'abandonner, mais seulement après lui en avoir fait la déclaration. C'est ainsi que le comte de Flandre, Gui de Dampierre, signifia par ambassade à Philippe le Bel, roi de France, qu'il se regardait comme délié envers lui de son serment et cessait de le regarder comme son suzerain. Malheureusement le comte de Flandre ne fut pas assez fort pour soutenir son droit.

Quand une fois il s'était acquitté envers son seigneur de ses diverses obligations, dit Guizot, le vassal ne lui devait plus rien et jouissait, dans son fief, d'une extrême indépendance... Il avait des droits sur son suzerain, et la réciprocité entre eux était réelle. Le seigneur était tenu de ne faire aucun tort à son vassal, mais de le protéger, de le maintenir, envers et contre tous, en possession de son fief et de tous ses droits.

Outre leurs relations obligées, le suzerain et les vassaux en contractaient encore d'autres par intérêt personnel. Les vassaux faisaient souvent élever leurs fils au château du suzerain, afin de gagner sa bienveillance. Le suzerain, de son côté, cherchait à attirer ces jeunes gens, afin de s'assurer de la fidélité de leurs parents et de rehausser l'éclat de sa grandeur. De là une cour dans chaque petite souveraineté.

Le besoin d'augmenter le nombre de leurs vassaux porta les rois et les seigneurs à convertir tout en fiefs. Ce ne fut plus seulement la terre qui fut propriété féodale ; on inféodait généralement tout ce qui est productif ; par exemple, la chasse d'une propriété, la pêche d'un étang, le péage d'une rivière, une somme d'argent, un emploi, avec les mêmes obligations et les mêmes cérémonies qu'un fief foncier. Les fiefs fonciers eux-mêmes ne durent pas tous leur origine à l'usurpation. Les souverains les multipliaient à l'envi pour accroître le nombre de leurs vassaux. Les vassaux dont le fief était un emploi, peuvent se ranger dans la catégorie des ministériels, qui comprenait aussi des hommes non libres possédant, comme une sorte de fief héréditaire, des fonctions inférieures, telles que celle de cuisinier. Avec le temps, des bénéfices héréditaires furent attachés à ces emplois.

 

Féodalité ecclésiastique. Le clergé était aussi entré dans le système féodal. Bien des évêques furent élevés à la dignité de comte ou de duc, bien des abbés devinrent barons ou seigneurs, et réunirent ainsi dans leurs mains l'autorité spirituelle et l'autorité temporelle. Comme la loi canonique leur défendait de porter les armes, il fallut des avoués ou vidâmes laïques chargés de défendre les domaines ecclésiastiques. Ces avoués rendirent leurs fonctions héréditaires. De plus, les églises accordèrent souvent des terres en fiefs ; et ainsi les évêques et les abbés se trouvèrent suzerains d'un grand nombre de vassaux, et furent eux-mêmes, comme seigneurs temporels, vassaux des rois ou d'autres princes. Primitivement, en France du moins, ils n'entraient pas dans les relations de vasselage. Mais les avoués, de protecteurs qu'ils étaient, s'étant faits d'ordinaire oppresseurs, les évêques et les abbés se virent contraints de se mettre sous la protection du roi et de .prendre place ainsi dans la hiérarchie féodale. Ils devaient donc recevoir du roi l'investiture de leurs fiefs. De là découlèrent des abus sur lesquels nous aurons à revenir dans la suite.

 

La chevalerie. Nous ne pouvons abandonner les hautes classes féodales sans parler de la chevalerie. Dans le IXe et le Xe siècle, le chevalier — en latin miles — n'était pas autre chose qu'un tenancier, libre ou non, astreint à faire le service militaire à cheval. Quoique fort considérée, la chevalerie ne constituait pas une noblesse. On voit des serfs combattre à cheval, posséder des tenures et porter le titre de chevaliers. La richesse foncière seule donnait une sorte de noblesse. Les propriétaires fonciers étaient, pour la plupart, astreints au service militaire à cheval, et ils formaient la grande majorité de la chevalerie, de sorte qu'en fait, propriété et chevalerie marchaient généralement de pair. Mais, dans ces siècles de guerres incessantes, le métier des armes prenant une importance toujours croissante, finit par primer la propriété. La qualité seule de chevalier suffit pour conférer la noblesse, et cette noblesse devint héréditaire. On exclut de la chevalerie celui qui n'était pas de naissance noble, et bientôt, pour devenir chevalier, ce fut assez d'unir la fortune à la naissance. Sans ces conditions, vous pouviez servir dans la cavalerie, comme écuyer, valet ou damoiseau, mais vous n'étiez pas chevalier. Avec la fortune et la naissance, sans avoir jamais donné un coup d'épée, vous receviez, à l'âge de vingt et un ans, la qualité de chevalier et, avec elle, la noblesse, par l'investiture.

L'origine de l'investiture chevaleresque peut être cherchée dans une ancienne coutume germanique dont Tacite nous a conservé le souvenir. Lorsqu'un jeune homme était en état de porter les armes, il en était solennellement revêtu dans l'assemblée du peuple, soit par le chef de -la tribu, soit par son père, soit par quelqu'autre guerrier. L'histoire nous montre cette coutume se perpétuant sous Charlemagne et ses successeurs. Pendant la féodalité, ce fut le seigneur qui initia à la vie guerrière et ses enfants et les fils de ses vassaux. Au XIIe siècle, l'Église, tout occupée à prêcher la Trêve de Dieu, s'empara de la chevalerie, et mêla la religion à cette institution purement guerrière, pour la pénétrer de son esprit de mansuétude. Lors de sa réception dans l'ordre de la chevalerie, le jeune écuyer, après s'être préparé à cette pieuse cérémonie par le jeûne et la prière ; prêtait un serment destiné à lui rappeler ses principaux devoirs ; il jurait de craindre et de servir Dieu religieusement, de combattre pour la foi, de mourir plutôt que de renoncer jamais au Christianisme, de servir fidèlement son seigneur, de soutenir le bon droit des plus faibles, des veuves et des orphelins, de garder envers tout le monde la foi donnée. Mais ce caractère religieux de la chevalerie fut de courte durée. Il en resta cependant quelques traces. Les chevaliers professèrent toujours des sentiments généreux, la courtoisie, l'honneur, quoique leurs actions fussent souvent en désaccord avec leurs paroles. Après les croisades, la chevalerie tomba dans une profonde décadence. Grave à sa naissance, dit Boutaric[2], elle finit par devenir, une sorte de folie ; les romans qui, autrefois comme de nos jours, ne peignaient pas l'état réel des mœurs, mais transportaient le lecteur dans un monde de conventions, répandirent, dès le XIIIe siècle, l'idéal d'une chevalerie qui ne ressemblait en rien il la véritable ; ils exagéraient les sentiments d'honneur et de respect pour les femmes qui distinguaient l'ancienne chevalerie... Les fictions des romanciers furent prises comme les saines traditions de l'histoire, et on y chercha des leçons de conduite. Les nobles du XIVe et du XVe siècles prirent pour modèles les héros de roman, et nous eûmes une chevalerie frivole qui donna dans tous les travers et accumula toutes les erreurs, jusqu'à ce que l'immortel pamphlet de Cervantès lui portât le dernier coup et couvrît son nom de ridicule.

 

Classes inférieures. Au-dessous des seigneurs et des vassaux de tout degré dont nous avons parlé jusqu'à présent, se trouvait le peuple ; car, outre ses vassaux, un seigneur avait et des censitaires et d'autres sujets résidant dans son domaine. Quant au clergé inférieur, séculier et régulier, il formait un ordre complètement distinct. On trouvait encore probablement quelques simples hommes libres dans les villes, mais dans les villes seulement.

A part ces rares débris de l'antique liberté, tout le peuple était réduit au servage, bien différent, comme nous l'avons vu, de l'esclavage ancien. Cette classe infime, désignée presque indifféremment sous les noms de serfs, de gens de pôté — potestatis —, de mainmortables, de taillables ou de vilains, jouissait, en droit, d'une large part de liberté personnelle, mais elle était tenue à des redevances et à des corvées. De plus, n'ayant pas d'autre juge que leur seigneur, si celui-ci se faisait tyran, les serfs étaient sans recours contre lui. Le seigneur n'était responsable que devant Dieu et devant sa conscience de son injustice et de sa cruauté. Les redevances n'étaient cependant pas les mêmes pour tous, et c'est ce qui permet d'établir entre eux certaines catégories. Les mainmortables payaient une capitation annuelle appelée taille, et quelques autres droits, parmi lesquels nous avons à citer celui de mainmorte. Il ne faut pas confondre la mainmorte avec le droit de meilleur catel. Le premier terme est plus général que le second et le renferme. La mainmorte était le droit qu'avait le seigneur de succéder en certains cas au mainmortable. Parfois, au moins dans les plus anciens temps, il en était héritier universel ; parfois la moitié du mobilier seulement lui revenait ; plus souvent il ne prélevait sur la succession que la meilleure pièce — vêtement, animal ou meuble —. La mainmorte prenait dans ce cas le nom de meilleur catel, en latin du moyen âge, melius catallum. Si le défunt ne laissait rien, dit un vieil auteur, on lui coupait la main droite pour l'offrir à son seigneur. De là serait venu le nom de mainmorte. Cette origine est rejetée aujourd'hui par les historiens.

 

Redevances des sujets. Les obligations des vilains étaient de deux sortes. Il y avait d'abord des redevances en nature provisions de toute sorte, blé, volaille, jambon, beurre, œufs, cire, miel, légumes, fruits, gâteaux, bouquets de fleurs. Il y avait ensuite les corvées. Les cordonniers et les savetiers devaient, par exemple, travailler une semaine par an pour le seigneur, les tailleurs avaient à raccommoder les habits de ses domestiques. Tel ouvrier devait entretenir en bon état la porte du château, tel autre, y faire le guet.

 

Affranchissement des serfs. La condition des serfs s'améliora, de siècle en siècle, grâce surtout à l'influence chrétienne. Bientôt, dit Guérard, les rois et les seigneurs affranchirent non seulement des serfs isolés, mais encore des serfs en masse ; non seulement des familles, mais encore des villages, des bourgs, des villes et des pays tout entiers. En France, c'est à partir des règnes de Louis VI et de Louis VII que le mouvement s'accentue, et que les chartes royales et seigneuriales d'affranchissement deviennent très fréquentes. La Belgique ne resta pas en arrière. En 1248, le -duc Henri II de Brabant abolit la mainmorte dans ses terres. Marguerite de Constantinople, comtesse de Flandre, accorda, en 1250, la liberté à tous les serfs de ses domaines, et réduisit le droit de mainmorte a celui de meilleur catel. Au XIVe siècle, la liberté fut déclarée de droit naturel pour tous les Français par Louis le Hutin ; c'est-à-dire qu'on leur reconnaissait le droit de se racheter. C'était une mesure fiscale autant qu'humanitaire. Les rois cherchaient par là à remplir leurs coffres non moins qu'à soulager leurs peuples. On peut dire avec Guérard, que le servage cessa généralement en France avant la fin du XVe siècle. Toutefois il se maintint encore après cette époque, en certains pays, surtout dans quelques terres d'églises ou de monastères. Cette dernière circonstance n'a pas lieu de nous surprendre, si nous nous rappelons que les serfs ecclésiastiques étaient les mieux traités, et que les paysans ne regardaient pas toujours comme un bienfait leur complète émancipation. Le servage ne fut entièrement aboli en France que dans la fameuse nuit du 4 au 5 août 1789.

 

Justice. Nous avons distingué à l'époque féodale trois classes de personnes : premièrement, les seigneurs et les vassaux formant la hiérarchie féodale ; secondement, les hommes libres, dont le nombre, d'abord bien peu considérable, alla toujours croissant ; troisièmement, la classe infime, composée de ce qu'on peut appeler les vilains. A ces trois catégories correspondait une triple organisation judiciaire.

C'était un principe reçu au moyen âge, que personne ne peut être jugé que par ses égaux, ses pairspares —, comme on disait alors ; ou plutôt, pour parler plus exactement, le vassal traduit devant la cour de son suzerain avait droit d'exiger qu'on y appelât, s'il ne les y trouvait pas, un certain nombre de vassaux du même rang que le sien... Mais les autres membres de la cour qui n'étaient pas de ce rang, ne cessaient pas d'en faire partie[3]. Si même aucun des pairs convoqués ne répondait à l'appel, la cour restait encore compétente[4].

Ce tribunal prononçait sur la question, et le suzerain proclamait sa sentence. Le droit reconnu et proclamé, on recourait, pour l'exécution du jugement, à la force des armes. Si le juge n'était pas assez puissant pour imposer sa sentence par la force, elle restait sans effet. Aussi, en fait, le tribunal du suzerain ne rendait-il le plus souvent que des décisions arbitrales, que les parties acceptaient ou rejetaient à leur gré. Dans certains pays, dans la principauté de Liège, par exemple, les nobles jouissaient du droit incontesté de se faire justice à eux-mêmes par la voie des armes, sans que le prince pût intervenir. Un gentilhomme était-il gravement offensé dans sa personne, dans son, honneur ou dans ses biens, il courait aux armes. Ses parents et alliés prenaient parti pour lui. Il avait le droit de guerre privée[5]. Aussi la guerre fut-elle l'état habituel de cette société. De là des maux intolérables pour le peuple des campagnes.

 

Paix et Trêve de Dieu. Dès le règne de Hughes Capet, des assemblées de seigneurs ecclésiastiques et de laïques cherchèrent le moyen de mettre un terme à ces calamités. C'est de l'Aquitaine que partit le mouvement[6]. L'on interdit les guerres privées, les incendies et les brigandages qui les accompagnaient. Au moins ne pouvait-on recourir à ce moyen, qu'après avoir épuisé les voies de la justice réglée ; et les membres de ces assemblées s'engageaient à réduire par la force les contrevenants et les réfractaires. Sous Henri I, le mouvement pacificateur redoubla. Plusieurs conciles s'assemblèrent en 1034, dans le but de rétablir la paix. Leur entreprise échoua, comme les efforts de leurs devanciers. Le mal était trop profondément enraciné et trop universellement répandu, pour pouvoir être guéri radicalement. Il fallut, comme dans un violent et vaste incendie, faire la part du feu, se contenter de circonscrire le mal. En 1041, les évêques de France, d'accord avec la puissance séculière, établirent la Trêve de Dieu, qui de là passa en Espagne, et fut introduite en Angleterre par Guillaume le Conquérant.

La paix de Dieu, différente de la Trêve, ne fut pas pour cela abandonnée. On la restreignit seulement à certaines choses et à des catégories déterminées de personnes. Pour les autres, il n'y avait pas de paix perpétuelle, mais seulement une trêve.

En vertu de la Paix de Dieu les clercs non armés, les religieux, les femmes, les cultivateurs, les voyageurs sans armes ou accompagnés de femmes, devaient en tout temps être considérés comme neutres. Défense était faite aux belligérants de les toucher. On devait aussi respecter les églises non fortifiées, les biens monastiques, les fermes, les granges, les troupeaux, les instruments aratoires et d'autres objets encore.

La Trêve ne comprenait qu'un certain nombre de jours, qui n'étaient pas les mêmes dans tous les pays. En France, elle commençait chaque semaine le mercredi au coucher du soleil, et expirait le lundi au point du jour. Il y avait en outre de longues trêves ; l'une qui allait depuis le premier dimanche de l'Avent jusqu'à l'octave de l'Epiphanie ; une autre, depuis le Lundi gras jusqu'à l'octave de la Pentecôte ; sans compter certains jours et certaines veilles de fêtes.

La Trêve-Dieu fut introduite en Belgique, l'an 1082, par les soins d'Henri de Verdun, évêque de Liège, et ce fut à cette occasion que les princes lotharingiens constituèrent le célèbre Tribunal de la Paix. Des conciles généraux étendirent la Trêve à toute la chrétienté.

 

Justice échevinale et seigneuriale. Nous venons de voir comment la justice s'administrait aux nobles. Quant aux simples hommes libres qui n'étaient pas entrés dans la hiérarchie féodale, ils continuèrent, comme sous les Carolingiens, à être jugés par le Tribunal échevinal. Dans les premiers temps, ce tribunal était encore présidé par le comte ; mais bientôt, les occupations de la souveraineté obligèrent celui-ci de déléguer ses attributions judiciaires. De là l'institution des baillis, des ammans, des écoutètes, lieutenants du comte dans l'exercice de sa juridiction.

Enfin, il y avait des juges pour les vilains. Primitivement, ils jugeaient seuls ; dans la suite, on leur adjoignit parfois des assesseurs pris parmi les vilains et constituant un tribunal domanial analogue à l'échevinage.

 

Haute et basse justice. Droit pénal. Tous les seigneurs et, par conséquent, tous les tribunaux dont nous venons de parler, ne jouissaient pas d'une juridiction également étendue. Les uns étaient hauts-justiciers, d'autres n'exerçaient que la basse-justice. La haute-justice ou pleine juridiction comprenait les cas et appliquait les peines les plus graves ; la basse-justice en général ne connaissait que des affaires de peu de conséquence. Le seigneur haut-justicier, disent de vieilles chartes, peut faire emprisonner, piloriser — attacher au pilori — échafauder, faire exécution par pendre, décapiter, mettre sur roue, bouillir, ardoir — brûler vif —, enfouir — enterrer vif —, flastrir — flétrir de la marque au fer rouge —, exoriller — couper l'oreille —, couper poing, bannir, fustiger, torturer. Quand le comte de Flandre, Baudouin à la Hache, punissait des malfaiteurs en les précipitant, par exemple, dans la chaudière bouillante d'un teinturier, il faisait de la haute-justice. La pénalité, vraiment atroce, montre jusqu'à quel point les mœurs, en dépit du Christianisme, étaient encore barbares.

Les prisons seigneuriales étaient creusées en forme de puits infects où la lumière ne pouvait pénétrer. Du pain et de l'eau étaient la seule nourriture du captif ; une botte de paille formait sa couche. On ne pouvait entrer dans ces souterrains qu'en s'y faisant descendre au moyen d'une corde passée sous les aisselles.

 

Duel judiciaire. Lorsque, dans le débat, les parties ne parvenaient pas à s'entendre, ou que les dépositions des témoins laissaient la question indécise, on recourait au duel judiciaire ou combat en champ clos. Les ecclésiastiques, les femmes et les enfants se faisaient remplacer par un champion. Le résultat de la bataille était considéré comme l'arrêt de Dieu même. On descendait en lice pour la moindre chose. Il fallut que Louis VII, par une ordonnance de 1168, défendît le duel, quand l'objet de la contestation ne s'élevait pas à cinq sous. Les vilains ne pouvaient, dans ces combats, se servir d'armes nobles, telles que l'épée et la lance ; ils n'avaient que des bâtons. Dans les affaires capitales, le champion vaincu était traîné hors des lices et pendu.

 

Résultats de la féodalité. Une indépendance effrénée, pour les grands, bien entendu ; des batailles sans cesse, renaissantes, voilà ce qui distingue les siècles féodaux..De là, dans les hautes classes, un caractère de bizarre et sauvage énergie ; de là aussi, un sérieux obstacle à la civilisation. Les communications manquant de sûreté, chacun vécut dans l'isolement, par conséquent, dans l'ignorance. Cependant, l'isolement de la vie du seigneur dans son château a produit aussi quelques heureux résultats. L'esprit de famille s'y est développé et la femme y a été beaucoup relevée. C'était elle, en effet, qui, lorsque le seigneur guerroyait, gouvernait le petit royaume, la seigneurie féodale. Le seigneur lui-même sentait le besoin de distraction ; aussi saisissait-il avidement toutes les occasions de prendre les armes, et ces dispositions ont facilité les croisades. Le droit, de personnel qu'il était, est devenu territorial. Enfin, la féodalité a donné naissance à la querelle des investitures[7].

 

 

 



[1] Guérard, Polyptyque d'Irminon, t. I, p. 205.

[2] Institutions militaires de la France, p. 182.

[3] Pardessus, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 2e série, t. 4, p. 293 suiv.

[4] Bernardi, Mémoire sur l'origine de la pairie, Mém. de l'Acad. des Inscrit., nouv. sér., t. 10, p. 648.

[5] En Angleterre, Guillaume le Conquérant avait sévèrement interdit toute guerre privée.

[6] Dernièrement, un savant italien, Bollati, a réclamé pour sa patrie l'honneur d'avoir donné naissance à la Trêve.

[7] Nous parlons en d'autres endroits des causes qui ont amené la décadence de la féodalité. Il sera utile de les indiquer toutes ici : 1° raffermissement et l'extension du pouvoir royal ; 2° les croisades ; 3° les communes ; 4° la renaissance du droit romain, dont les -principes étaient tout différents de ceux du droit féodal.