LA DUCHESSE DE CHEVREUSE

 

CHAPITRE IV. — L'AFFAIRE DE CHALAIS.

 

 

LE cardinal de Richelieu a eu cette singulière fortune que s'il a provoqué dans sa vie des dévouements sans bornes et d'ardentes affections, il a suscité aussi des inimitiés implacables. Le mérite ou la faute en est à son caractère. D'une intelligence hors de pair, d'une sensibilité très vive, il a su inspirer à ceux qui l'approchaient une admiration extrême, puis les captiver par des manières prévenantes, une politesse empressée et le grand souci de plaire. Seulement quand il agissait, homme positif et résolu, il froissait, sans le vouloir ou en le voulant, par la sécheresse et la rigueur de ses volontés. On le sentait absolu. La tension de son esprit effrayait. Pour réussir rien ne lui eût coûté, et cela impressionnait. Toujours préoccupé de donner aux affaires une direction continue et rationnelle, il décontenançait par cette ferme logique les pauvres êtres de passions futiles et changeantes qu'étaient les gens de cour. Il y avait entre lui et Mme de Chevreuse une opposition d'humeur complète. N'eût-elle pas été blessée par les propos du cardinal que la duchesse serait devenue rapidement l'ennemie du redoutable ministre. Elle trouva au Louvre le terrain préparé. A mesure que Louis XIII, dont le jugement était droit, avait mieux apprécié les talents de Richelieu, il s'était de plus en plus attaché à l'homme d'exceptionnelle valeur que la Providence, disait-il, lui avait envoyé. Mais à mesure, aussi, qu'on avait senti le crédit de Richelieu s'affermir, par une conséquence inévitable, une opposition s'était formée et avait grandi contre lui. On savait Louis XIII volontaire et dur ; on n'ignorait pas que les décisions rigoureuses de son gouvernement étaient le plus souvent son fait ; ne pouvant pas s'en prendre à la Majesté royale, on affecta de croire et de faire croire que Richelieu était seul responsable : il fut l'objet de l'animosité générale.

Nulle part cette animosité ne pouvait être mieux ressentie que dans l'entourage d'Anne d'Autriche. Léger et superficiel, le groupe de jeunes femmes et de jeunes seigneurs qui ne quittaient pas la petite reine s'accommodait moins que personne de l'intelligence inflexible et rigoureuse de Richelieu. Lorsqu'elle revint de Londres, Mme de Chevreuse constata que le ton adopté chez Anne d'Autriche, quand on parlait du cardinal, était la moquerie. Il y avait plus. De l'épisode de Buckingham il était resté dans l'âme d'Anne d'Autriche, avec lé froissement causé par le geste imprudent du duc et le sentiment subsistant de cette émotion de cœur qui lui avait, au fond, beaucoup plu, une rancune secrète contre le roi qui avait su ce qui s'était passé et, ne pouvant l'atteindre elle-même, avait sévi contre les siens ; surtout, contre Richelieu qui, ayant connu l'incident, avait sans doute conseillé les mesures prises. L'entourage avait deviné les préoccupations de la souveraine. Tout en raillant Richelieu, les amies de la reine tentaient des allusions discrètes au roi. Mme de Chevreuse arrivait à point nommé pour donner corps à ces velléités.

Chalais écrivait d'elle à Richelieu : Elle a une enragée animosité contre votre particulier. Mme de Chevreuse excita Anne d'Autriche contre le cardinal. Elle ne cessa, dit Mme de Motteville, d'en parler à la reine. La maîtresse et la favorite haïssant le cardinal de Richelieu, ne trouvoient rien de plus agréable que de lui faire dépit, d'autant plus que la reine étoit persuadée qu'il lui rendoit de mauvais offices auprès du roi. Écoutée, Mme de Chevreuse alla plus loin : elle osa s'en prendre à la personne même du roi : dans ses conversations, elle envisagea l'hypothèse où Louis XIII, de santé délicate et incertaine, viendrait à disparaître : ce serait Gaston, son frère, dans ce cas, qui monterait sur le trône. Afin de demeurer reine de France, pourquoi Anne d'Autriche n'épouserait-elle pas alors Gaston ? La reine prêta l'oreille à ces propos. Pareilles imaginations seraient demeurées dans l'intimité de confidences secrètes si une suite imprévue de circonstances favorables n'étaient pas venues donner lieu à l'audacieuse duchesse de tenter de les réaliser : elle aida la fortune : son esprit d'intrigue et sa fougue l'amenèrent à un extravagant complot !

 

Gaston, alors duc d'Anjou, plus tard duc d'Orléans, avait à ce moment dix-sept ans. C'était un médiocre personnage. De grands yeux étonnés, la lèvre inférieure tombante, la bouche ouverte, donnaient à sa physionomie une expression peu intelligente. On le trouvait de caractère rien moins que sympathique : il était timide, paresseux, agité, nerveux ; il ne tenait jamais en place, grimaçait perpétuellement. Familier, mal élevé, avec cela, vaniteux, attentif à imposer aux autres les moindres nuances d'égards qui lui étaient dus, ne faisant jamais asseoir les femmes devant lui et ne permettant pas aux hommes qui lui parlaient de se couvrir, il se montrait, pour achever, au dire de son confesseur, le Père de Condren, emporté et débauchée. Chalais déclarera dans sa prison : Monseigneur est de tous les hommes le plus léger ; il est de petit esprit et de point de résolution ; il a déjà perdu si peu qu'il a de serviteurs par sa faiblesse. Plus tard, Anne d'Autriche, désabusée, dans une explication avec Louis XIII qui lui reprochait d'avoir souhaité sa mort pour épouser son beau-frère, répondra dédaigneusement qu'elle n'eût guère gagné au change ! A ce moment, Gaston était encore jeune ; il pouvait se corriger : en tous cas il était l'héritier du trône. La petite reine entra dans les idées que lui suggéra Mme de Chevreuse. D'aveux faits par Gaston au roi le 2 août 1626, il résulte que dès avant 1624 Mme de Chevreuse avait déjà parlé à la reine de ces projets. Là-dessus, en 1625, on annonça que Gaston allait se marier et épouser Mlle de Montpensier : ce mariage faisait évanouir tous les rêves caressés !

C'était la reine mère Marie de Médicis qui désirait ce mariage. Elle l'avait préparé depuis fort longtemps. Fille unique d'un Bourbon de la branche de Montpensier, en qui s'éteignait la lignée, Mlle de Montpensier était une des plus riches héritières de France. Marie de Médicis avait choyé la mère de bonne heure, une Joyeuse : elle avait prodigué à la fille, dès la plus tendre enfance de celle-ci, une affection touchante, l'appelant ma fille. Après l'avoir destinée à un autre enfant qu'elle avait eu avant Gaston et qui était mort jeune, après avoir même fait signer le contrat en 1608, contrat mirifique qui énumérait les vastes domaines de l'ancienne famille de Bourbon, — duchés de Montpensier, d'Auvergne, de Saint-Fargeau, Combraille, Dombes, Beaujolais, — elle s'était empressée de convenir, après la disparition de ce fils, la même union pour le suivant, Gaston. Celui-ci avait trois ans, la fiancée, six. On avait, depuis, attendu avec patience. Marie de Médicis estimait maintenant — le jeune homme ayant dix-sept ans et la jeune fille vingt — le moment venu de conclure. Après avoir hésité, Louis XIII avait consenti. La nouvelle était rendue publique.

Ce fut une surprise. Sans doute on n'ignorait pas l'existence de ce projet, mais on le croyait abandonné. Les Condé et les Soissons avaient conçu l'espoir, devant l'absence d'héritier du trône, de porter quelque jour la couronne ; ils étaient dépités. Le comte de Soissons, par surcroît, avait l'intention d'épouser Mlle de Montpensier. De tous ceux que cette nouvelle toucha, nul ne fut plus atteint qu'Anne d'Autriche.

Si Gaston, marié, avait des enfants, lorsque elle-même n'en aurait pas, quelle situation humiliante serait la sienne et combien se trouverait-elle diminuée ! Si le roi venait à disparaître que deviendrait-elle ? Ah ! pauvre prince, disait Marsillac à Villelongue, que le roi est mal conseillé ! Qu'un roi de vingt-cinq ans qui n'a point d'enfants marie un frère de dix-huit ou vingt ans qui, au bout d'un an pourra avoir des enfants, combien de maux cela peut-il faire ! Et cette pauvre princesse [parlant de la reine], que deviendra-t-elle ?

Mme de Chevreuse releva Anne d'Autriche. Rien n'était encore fait, lui dit-elle ; il n'y avait qu'un parti à prendre, s'opposer à ce mariage et l'empêcher à n'importe quel prix. Le mieux était de décider Gaston à refuser son union avec Mlle de Montpensier. C'est Mme de Chevreuse, écrivait Chalais à Richelieu, qui est seule cause que toute la terre s'oppose au consentement [de Monsieur au mariage] et qui incita tout le monde à nuire à Mlle de Montpensier. Restait à trouver le personnage qui aurait assez d'influence sur Gaston pour l'entraîner : Mme de Chevreuse s'adressa au gouverneur du prince, le colonel d'Ornano.

Corse d'origine, Jean-Baptiste d'Ornano était le petit-fils d'un Sampietro Bastelica qui avait soulevé ses compatriotes contre les Génois, et fils d'un Alphonse Corse, dit d'Ornano, lequel, venu en France au XVIe siècle, s'était distingué, avait été fait colonel des bandes corses, maréchal de France en 1596 et était mort en 1610. Jean-Baptiste, né en 1581 avait succédé à son père comme colonel des Corses ; avançant rapidement, en raison de ses qualités d'intelligence, d'énergie, d'autorité, il avait été nommé conseiller d'État en 1610, maréchal de camp en 1614, lieutenant de Normandie en 1618, et l'année suivante, 1619, gouverneur de Gaston. Grâce à son prestige et à sa fermeté, il était parvenu à acquérir sur Gaston une autorité très grande : seul il était en état de conduire le prince et de lui faire faire ce qu'il voudrait.

A dire vrai, le mariage Montpensier était indifférent à d'Ornano. Ce à quoi songeait plutôt le colonel était que, confident écouté et favori de Gaston, si celui-ci venait à monter sur le trône, il serait l'homme le plus puissant du royaume. En attendant, l'absence d'héritier direct affaiblissait singulièrement Louis XIII, fortifiait d'autant Gaston qu'on était obligé de ménager. Peut-être à la suite de complications intérieures répétées, Louis XIII serait-il contraint de quitter la couronne ! Il fallait donc favoriser les complications. En tous cas, Ornano pourrait se rendre redoutable à la faveur des difficultés et faire payer au roi provisoirement sa fidélité, ou sa soumission, de dignités et d'honneurs.

Mme de Chevreuse lui offrit l'alliance de la reine régnante. Elle proposait de fomenter une cabale entre Anne d'Autriche et l'héritier du trône en vue d'empêcher le mariage Montpensier. Le souverain chercherait la paix en rétribuant les complices : il y avait peu de risques à courir et des bénéfices à attendre — l'exemple des troubles passés en témoignait. — L'offre était tentante ; Ornano accepta.

Les dames de l'entourage de la reine, Mme de Chevreuse, la princesse de Conti, Mme de la Valette (l'ancienne Mlle de Verneuil) eurent de longues conférences avec lui. Il était malade : on venait le voir dans son lit, ce qui n'avoit aucune conséquence, dit Fontenay-Mareuil, parce qu'il étoit laid. Richelieu s'inquiéta. Ses espions l'avertissaient. Il était impossible de toucher au colonel trop puissant auprès de l'héritier du trône, lequel se cabrerait. Richelieu proposa au roi d'attirer et de lier Ornano par des grâces. On nomma le Corse maréchal de France. Ornano parut reconnaissant. Il prêta serment de sa charge au début de l'année 1626. Richelieu le questionna au sujet du mariage de Gaston : donnait-il quelque conseil au prince à cet égard et quels étaient ces conseils ? Le nouveau maréchal répondit qu'il ne se mêlait pas de cette affaire et laissait Monsieur libre de décider ce qu'il voudrait. A quelque temps de là, Gaston demanda à être admis aux délibérations du Conseil du roi. Louis XIII crut voir dans cette demande une suggestion d'Ornano destinée à ménager ensuite à celui-ci le même accès au Conseil où le confident de l'héritier du trône tâcherait d'exercer une action prépondérante de nature à causer des difficultés. Il refusa. Gaston et le maréchal furent piqués. Mme de Chevreuse en profita pour exposer à d'Ornano le plan de toute une campagne qu'il s'agissait de mener à propos du mariage de Montpensier et dont il résulterait de grands changements dans l'État susceptibles d'avancer la fortune du maréchal. Ornano entra délibérément dans l'aventure.

Sur ses conseils, Gaston fit d'abord connaître qu'il refusait le mariage proposé : il donnait comme raison non qu'il eût de l'aversion pour la personne de Mlle de Montpensier, mais qu'il appréhendoit de se lier. Puis, effet de l'inconsistance du prince, Richelieu étant venu le voir, Gaston avoua qu'il se marierait si on voulait lui donner un bel apanage. Ornano veillait. Mme de Chevreuse ne le quittait pas : derrière elle, Anne d'Autriche suivait. Plus tard Anne d'Autriche essaiera de nier toute participation active à l'affaire. Au moment où Louis XIII sera sur le point de mourir, elle lui enverra M. de Chavigny pour le supplier de ne pas croire qu'elle fût entrée dans l'affaire d'Ornano ni qu'elle eût jamais trempé dans le dessein d'épouser Monsieur, et Louis XIII se contentera de répondre mélancoliquement : En l'état où je suis, je dois lui pardonner, mais je ne suis pas obligé de la croire. On eut peu de peine à décider une fois de plus Gaston à changer d'avis.

Après quoi les conjurés préparèrent une entente avec les grands du royaume. Monsieur, questionné, l'avouait ensuite. Monsieur, dit un procès verbal, avoua à sa mère, le cardinal de Richelieu présent, qu'il étoit vrai que le colonel l'avoit porté à prendre habitude avec le plus de grands qu'il pourroit dans le royaume. Mme de Chevreuse agissait de son côté : elle se mettait en rapports avec le prince de Condé, le comte de Soissons, les ducs de Montmorency et de Nevers, Mme de Rohan même, afin d'atteindre par elle les huguenots. On l'écoutait. Grande dame, favorite de la reine, parlant d'une affaire dans laquelle il était question de Monsieur, d'Anne d'Autriche, et où on proposait d'entrer en lutte contre un ministre trop puissant, Mme de Chevreuse était sûre de rencontrer un accueil favorable. Comme d'Ornano, les grands seigneurs savaient trop, par l'expérience des quinze dernières années passées, et le peu de danger et le profit de ces sortes de soulèvements. Ils répondirent. M. de Nevers dit qu'en cas de guerre civile il lèverait des troupes en Champagne ; le comte de Soissons promit 400.000 écus à condition que Gaston lui abandonnât Mlle de Montpensier ; Longueville se faisait fort d'amener 800 cavaliers de Normandie et des comparses, La Meilleraye, Mauny, Guitry, Bertechères ; de recruter une troupe de 5 à 600 soldats dans la même province. Que Monsieur donnât le signal en quittant brusquement la cour, ainsi qu'avait fait Marie de Médicis dans les dernières révoltes. De tous les complices, les plus ardents furent les Vendôme.

César, duc de Vendôme, et Alexandre de Vendôme, grand prieur de France, fils naturels d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, n'avaient jamais aimé Louis XIII. D'humeur désagréable, antipathique, ils avaient été, enfants, l'objet de l'animadversion du jeune roi : cette animadversion s'était continuée et aggravée avec l'âge. Au cours de l'enquête qui suivra l'affaire d'Ornano, on trouvera une lettre du duc de Vendôme au maréchal, expliquant les raisons pour lesquelles il était entré dans le complot : il se plaignait que le roi et Marie de Médicis lui fissent toutes sortes d'injustices depuis la mort d'Henri IV, qu'on voulût le dépouiller, le réduire à rien ; il se défendrait ; il ajoutait, flattant les secrets désirs d'Ornano que la couronne sieroit bien sur la tête de Monsieur. Contre le grand prieur, les juges relèveront quatre chefs d'accusation : qu'il s'était opposé au mariage de Gaston ; qu'il avait professé une haine non dissimulée contre le roi ; poussé Monsieur à sortir du royaume ; proposé de faire un mauvais parti aux ministres. Par l'intermédiaire de son secrétaire Dunault, le duc de Vendôme promit son concours : il demandait que Gaston quittât la cour, se rendît à Metz, à Sedan ou au Havre ; au besoin qu'il usât de menaces et violences envers Richelieu ; surtout qu'il prît les armes.

On ne se contenta pas des grands : on fit appel à l'étranger. La mode n'en était pas nouvelle. Depuis près de trois quarts de siècle qu'il y avait des guerres civiles en France, l'usage s'était introduit de demander du secours au dehors. Le sentiment national réprouvait cette pratique. Je trouve honteux pour moi, écrira Alexandre de Campion, plus tard ami fidèle de Mme de Chevreuse, de servir le roi d'Espagne contre ma patrie !Je ne peux avec honneur servir l'Espagne contre mon pays. Gaston interrogé par Richelieu le 23 juillet 1626 avouera lui-même la gravité de la démarche : Monsieur dit que la plus grande faute qu'il eût commise étoit de traiter avec les étrangers. Sur cela le cardinal lui disant que cette faute du colonel étoit capitale, il témoigna ingénument le savoir bien. Mais du dehors on répondait ; l'aide était efficace ; Ornano et Mme de Chevreuse n'hésitèrent pas.

Ils négocièrent avec l'Angleterre. Grâce à Mme de Chevreuse, le comte de Carlisle fut mis en rapport avec Gaston. La thèse que soutenait Monsieur était que le roi son frère l'humiliait, ne lui donnait pas ce qui lui était dû, entendait le contraindre à un mariage dont il ne voulait pas. Sur les indications de Buckingham qui cherchait à susciter toutes les difficultés possibles à la France, Carlisle répondit à Gaston qu'il lui exprimait le déplaisir qu'on avait de le voir maltraité et l'assurait que pourvu qu'on sût ses sentiments, il serait servi du côté de l'Angleterre comme il pourrait le désirer. De Londres, l'ambassadeur français Blainville prévenant le secrétaire d'État des affaires étrangères de Louis XIII, le 4 juillet 1626, lui disait : Le comte de Carlisle, a conté les discours que Monsieur lui a faits, si pleins de haine et de mépris pour le roi que, par respect, on n'ose les écrire. De son côté, l'évêque de Mende écrivait : Le roi d'Angleterre attend de grands effets de l'intelligence qui est entre Monsieur et la reine et que presque toute la cour conspire à ce dessein. Le gouvernement anglais, il est vrai, était à ce moment embarrassé dans des difficultés intérieures qui rendait de sa part assez difficile toute aide réellement efficace. Il donna de belles espérances et des promesses.

Gaston écrivit en Savoie. Interrogé, le prince avouera qu'il étoit vrai qu'il avoit écrit en Piémont plusieurs lettres. Le duc de Savoie, attentif aux complications survenant en France pour s'emparer de quelque territoire, répondit qu'il enverrait dix mille hommes.

On négocia avec l'ambassadeur des Provinces-Unies, Aarsens ; mais celui-ci se déroba : il n'avait pas confiance. On parla au nonce qu'on tâcha de gagner ; à l'ambassadeur d'Espagne. Gaston disait avoir tâché généralement de s'acquérir le plus d'amis de tous côtés qu'il pourroit.

Ainsi l'affaire s'organisait. Alors les conjurés discutèrent les détails de l'exécution. D'après les aveux que Gaston fera à Louis XIII le 12 juillet 1626, il fut convenu que, profitant de l'absence du roi, au loin, en province, on soulèverait le peuple de Paris et on s'emparerait des forts de Vincennes et de la Bastille. Si, ce qui était probable, le roi accourait avec des forces. Monsieur s'enfuirait à Dieppe ou au Havre. Les protestants de la Rochelle avaient offert leur ville. Gaston avait refusé sur les conseils de deux de ses confidents. Bois d'Annemets et Puylaurens. Le duc de Longueville, gouverneur de Normandie, étant à lui, Dieppe ou le Havre seraient sûrs. En cas d'échec ici encore, Gaston écrivit — ou on lui fit écrire — au duc d'Épernon, gouverneur de Metz et lui envoya l'abbé d'Obazine pour lui demander de lui ouvrir les portes de son gouvernement. Tout se préparait.

De leur côté, les Vendôme songeaient à tirer parti de l'aventure. Gouverneur de Bretagne, le duc, depuis longtemps, rêvait de se rendre indépendant dans sa province. Il se ménageait les voies en gagnant la noblesse, lui donnant de l'argent et des pensions, recherchant la faveur du peuple par tous les moyens qu'il jugeoit être propres à se rendre populaire. L'acte d'accusation dressé contre lui dira plus tard : Le dessein de M. de Vendôme de se rendre souverain de la Bretagne paraît par diverses conjectures et par diverses actions pour lesquelles il mérite d'être qualifié fol. Il envisagea lui aussi l'hypothèse où Louis XIII viendrait à disparaître. Autour de lui, les siens, son frère, ne se gênaient pas : tous parlaient de l'éventualité d'une déposition de Louis XIII. Pourquoi un Vendôme, fils de Henri IV, ne monterait-il pas sur le trône ? Et si la résistance du roi se prolongeait, qui empêcherait d'y mettre un terme en faisant disparaître le prince ? Toute la famille, achevait l'acte d'accusation, a été fort libre à parler criminellement contre la personne du roi, l'un disoit qu'on avoit autrefois déposé un Louis, l'autre que les bâtards avoient régné aussi heureusement que les légitimes, un autre qu'il aimeroit mieux pendre le roi que le roi ne le fît pendre.

Ici nous arrivons au point le plus grave du complot. A-t-il été vraiment question de déposer ou de faire périr Louis XIII ? Le roi et Richelieu l'ont cru. L'exécrable attentat contre la personne du roi, écrira Richelieu, a été confirmé premièrement par Chalais qui avoua formellement que Mme de Chevreuse avait une haine particulière contre Sa Majesté. Dunault, secrétaire du grand prieur (de Vendôme) dit au sieur du Fossé, en présence de Mme d'Elbeuf, que son maître demandoit grâce, reconnaissant avoir entrepris contre la personne du roi et de l'État séparément. Bullion rapporta au roi le 17 octobre qu'on n'attendoit en Savoie autre chose, sinon un changement absolu de l'État au préjudice de la personne du roi qu'on parloit de reclure. Ailleurs le cardinal répète : Deux personnes de qualité découvrirent au roi qu'on vouloit l'abaisser pour élever Monsieur. Des confesseurs du jubilé dirent des personnes s'être adressées à eux et s'être accusées d'un grand dessein et parti qu'il y avait pour élever Monsieur au préjudice du roi. Louis XIII enfin affirmera dans la déclaration publique du 5 août 1626, par laquelle il instituait une chambre de justice criminelle chargée de juger les conjurés : avoir reçu avis de plusieurs conspirations faites contre notre personne et notre autorité. Richelieu achevait : Voilà la plus effroyable conspiration dont jamais les histoires aient fait mention ; que si elle l'étoit en la multitude des conjurés, elle l'étoit encore davantage en l'horreur de son dessein, car leur dessein alloit non simplement à élever leur maître (Gaston) au-dessus de sa condition, mais à abaisser et perdre la personne sacrée du roi !

En réalité, l'examen des témoignages ne permet pas d'aboutir à une conclusion aussi décisive. Du Fossé et Dunault mis en présence des Vendôme et priés de répéter leurs affirmations, le grand prieur ne voudra pas reconnaître ce que Dunault avoit dit d'un dessein contre la personne du roi. — Mon ami, fera-t-il à Dunault, vous avez dit une chose qui vous donnera de la peine et à moi ! Les juges suivront la filière de certains propos compromettants tenus afin d'en retrouver l'origine, et parviendront à des résultats bien incertains ! Chalais interrogé, menacé même de la question, niera avoir jamais entendu parler ni su qu'il y eût aucun dessein contre la personne du roi ni qu'on ait tenu aucun mauvais propos de la dite Majesté. Il répétera n'avoir jamais rien ouï dire de la personne du roi. Et à son tour Bois d'Annemets, favori de Gaston, protestera avec indignation dans ses Mémoires : C'est une si grande méchanceté, dira-t-il, que j'ai horreur de le dire, qu'on accusât Monsieur de vouloir faire tuer le roi. La Rochefoucauld concluera que le crime ne fut pas entièrement prouvé. Il a raison. Mme de Chevreuse, Ornano et les autres conjurés ne paraissent pas s'être nettement proposé d'attenter à la vie de Louis XIII. Dans leurs conversations particulières, sans doute, l'éventualité de la disparition du roi par déposition ou autrement a été envisagée ; mais l'idée n'a pas pris corps et sa réalisation n'en a pas été préparée. Les Vendôme se seront laissé aller devant des tiers à des imprudences de langage qui ont été rapportées au roi et ont provoqué ses alarmes : il ne paraît pas y avoir eu rien de plus.

C'est vers le début de l'année 1626 que Louis XIII et Richelieu furent entièrement informés de ce qui se tramait. Louis XIII négligea d'abord ces avis. Puis les indications devenant menaçantes, les ministres s'inquiétèrent. On ne pouvait prendre de mesure brusque contre Ornano : il était si maître de Gaston, si entouré d'ailleurs qu'il était difficile de rien décider à son égard sans s'exposer à des complications. On le fit prévenir sous main qu'il eût à se surveiller, que le roi avait des soupçons, qu'il ferait mieux de s'en éclaircir avec Sa Majesté. Ornano répondit avec assurance qu'il verrait dans un mois. Puis, insouciant du danger, ou pour aggraver la situation de manière à aboutir à l'éclat cherché, il renouvela la demande d'entrée au Conseil de la part de Monsieur : il ajouta que Gaston désirait en outre 500.000 livres de rentes en apanage. De son côté, Mme de Chevreuse annonçait chez la reine qu'on allait réclamer l'admission du maréchal lui-même au Conseil : par là, disait-elle, on connaîtrait les décisions du gouvernement. L'action des conjurés se dessinait.

Louis XIII manda Richelieu et Schomberg à Fontainebleau. Ensemble tous trois délibérèrent. Les preuves d'une conspiration, disaient les deux ministres, étaient péremptoires. C'était au roi de son propre mouvement à voir ce qu'il lui plairoit de faire et à ses serviteurs de l'y servir. Deux partis étaient à prendre, expliquait Richelieu : ou être prudent, gagner les conjurés par des dignités et des faveurs, ce qui, il est vrai, n'avait guère réussi jusque-là ; ou écarter de Monsieur les coupables : ceci demandait de la circonspection ; il fallait éviter que Monsieur ne s'enfuît de la cour. Louis XIII dit qu'il réfléchirait.

Là-dessus, vrai ou faux, le bruit courut que les Vendôme, profitant de ce que Richelieu, — qui habitait le château de Fleury, — venait au Conseil à Fontainebleau, à travers la forêt, peu accompagné, avaient l'intention d'enlever le cardinal dans un de ses voyages, et de le tuer. Louis XIII chargea une troupe de cavalerie d'escorter le carrosse du ministre. Puis il prit son parti.

Sous prétexte de manœuvres à exécuter, il manda à Fontainebleau le régiment des gardes françaises. Le soir de l'arrivée des troupes, 4 mai 1626, celles-ci occupant le château, le roi fit prier le gouverneur de son frère de venir le voir après souper. Sur les dix heures, Ornano se présentait à l'entrée du cabinet du prince : il était arrêté par le capitaine des gardes du Hallier. Aucune résistance n'était possible. Le maréchal fut conduit au château de Vincennes et écroué.

L'émotion fut extrême. Gaston accourut : il voulait voir le roi, la reine mère : on ne le reçut pas. Au matin il rencontra le chancelier d'Aligre et lui demanda avec vivacité des explications : d'Aligre répondit qu'il n'était pas au courant. Monsieur erra, ne sachant que faire. Sur l'injonction de Louis XIII il devra signer un peu plus tard une déclaration par laquelle il abandonnait ses complices et promettait fidélité au roi.

Dans l'appartement de la reine Anne d'Autriche on fut consterné. Un témoin, qui vit Mme de Chevreuse à ce moment, disait d'elle, faisant allusion à sa vertu peu sévère : Je croyois qu'il n'y avoit plus d'homme dans le royaume tant elle portoit le deuil au visage et à la contenance ! Six jours elle demeura enfermée dans son appartement, redoutant à toute heure qu'on vînt l'arrêter, éperdue. Les jours se passant et le danger paraissant se dissiper, elle reprit courage. Louis XIII ne pouvait pas la faire emprisonner ; il n'avait pas de preuve contre elle ; la mesure eût provoqué de grandes et puissantes familles qu'il était inutile d'indisposer à ce moment. Dès qu'elle se crut à l'abri Mme de Chevreuse retrouva son activité. A tout prix il fallait sauver Ornano et continuer l'œuvre engagée. Pour agir dorénavant sur Gaston, le gouverneur du prince étant emprisonné, Mme de Chevreuse s'adressa à M. de Chalais.

 

Henri de Talleyrand, marquis de Chalais, troisième fils de Daniel de Talleyrand et de Jeanne de Monluc, était un jeune homme de dix-huit ans, bien fait, agréable, adroit à toutes sortes d'exercices, dit Fontenay-Mareuil, et dont les manières gracieuses avaient assuré le succès auprès des dames de la cour. Il était partout bien accueilli. Placé jadis près de Louis XIII comme enfant d'honneur, il avait grandi dans l'intimité du roi et de Gaston. Sa mère avait tout fait pour qu'il arrivât. Dès qu'il était parvenu à l'âge d'homme, elle lui avait acheté la charge de maître de la garde-robe du roi : Elle y avoit engagé la meilleure partie de son bien et il ne lui en restoit quasi pas pour vivre ! Afin de faire avancer ce fils qui lui était si cher que n'eût-elle tenté ? Par les bons offices du duc de Bellegarde, grand écuyer, elle lui avait fait faire un riche mariage ; Chalais avait épousé la veuve du comte de Charny, Charlotte de Castille, sœur du trésorier de l'Épargne, Jeannin de Castille, financier opulent. Ainsi dignités et fortune, il avait tout. Sa charge de maître de la garde-robe lui donnait accès auprès du roi ; il était des domestiques de Sa Majesté, écouté du prince, fréquentant Monsieur, fort en vue.

Malheureusement, d'intelligence et de caractère, c'était un personnage insuffisant. Il se montrait vain, superficiel, sans énergie, sans conscience. Nous avons les lettres qu'il a écrites de sa prison : tour à tour il s'humilie sans dignité, plaisante sans goût, supplie, offre de trahir qui on voudra pourvu qu'on le délivre, dénonce les uns, se rétracte, pleure. Sa jeunesse, son défaut d'expérience, et sans doute la situation troublante dans laquelle il se trouvait, pourraient seuls l'excuser.

Si Mme de Chevreuse songea à lui, c'est qu'il s'était épris d'elle. Le mariage d'argent qu'il avait fait naguère n'avait pas longtemps retenu son cœur. Il se livra avec fougue à la passion que lui inspira la duchesse. Il étoit passionnément amoureux, dit Bois d'Annemets : Son attachement pour Mme de Chevreuse étoit extraordinaire, déclarait la Rochefoucauld, On le voyait suivre partout la jeune femme, aux églises, aux promenoirs et le plus souvent à la chapelle du Louvre. Il se vantait de sa passion. Un témoin déposera à son procès avoir ouï dire cent fois au dit Chalais qu'il étoit amoureux de Mme de Chevreuse et qu'il avoit la plus belle maîtresse du royaume. Chalais répétera à Richelieu, qu'il en était amoureux ; il dira de Mme de Chevreuse : Cette personne qu'on savoit que j'avais aimée.

Quoi qu'en dise Mme de Motteville, il paraît certain que Mme de Chevreuse ne répondit pas à cet amour ; elle n'a pas aimé Chalais : elle ne lui a pas cédé : les lettres écrites de sa prison par le malheureux en font foi. Mais d'Ornano arrêté, Mme de Chevreuse vit le parti qu'elle pouvait tirer de cette passion. Chalais, par sa charge, était en mesure de connaître les intentions du gouvernement ; lié d'amitié avec Gaston, il pouvait, au moment où Monsieur désemparé ne savait à qui se fier, prendre de l'ascendant sur lui et le conduire comme le conduisait le maréchal : elle se décida.

Elle fit mine d'accueillir les adorations du jeune homme ; elle lui donna des espérances et se mit en frais de coquetterie. Plus tard, Chalais écrivait à Richelieu : J'étois amoureux ; elle faisoit tout ce qu'elle pouvoit pour me faire croire qu'elle le trouvoit bon. Il fut dupé ; il se laissa faire : on obtint de lui tout ce qu'on voulut. Une convention fut conclue : la duchesse accepterait les hommages du jeune homme ; en retour, Chalais tâcherait de mener Monsieur conformêment aux indications qui lui seraient données. Ce petit contrat, écrivait ensuite Chalais à Richelieu, ressembloit fort à ceux qu'on fait avec le diable. Elle me dit que si je me donnois du tout à elle, elle mépriseroit toute la terre. Je lui répondis que cette bonne volonté coûteroitbien cher ! J'ai bien manqué de jugement ! Mais bien juré-je devant Dieu avoir été très intelligent de la faction, mais non pas conseiller. Il est très malaisé de ne se laisser pas surprendre des artifices endiablés car qui pourroit éviter une princesse très bien en vue dans la cour des deux plus grandes reines du monde, qui est très facile, et dont le fard est très bien appliqué ! Chalais plaide les circonstances atténuantes. De fait, il s'abandonna assez allègrement. Mme de Chevreuse fit jouer tous les ressorts ; elle alla, pour l'exciter contre Richelieu, jusqu'à lui dire que le cardinal était amoureux d'elle et par suite son rival. Lorsque cette Lucrèce dame me parla de l'affaire, écrivait encore le jeune homme au cardinal, jamais je n'avais manqué à vous servir et voyant que je tenois sa proposition dangereuse, elle me voulut engager par un autre biais à savoir que vous étiez amoureux d'elle et par conséquent me toucher de jalousie. Ce que Chalais ne dit pas c'est qu'il se laissa d'autant plus aisément persuader qu'il avait des raisons de mécontentement contre les ministres. Il trouvait qu'on ne l'avait pas assez récompensé de deux ou trois services qu'il avait rendus. Des astrologues et devins tirant son horoscope lui avaient prédit qu'il serait heureux, puissant, ou, il est vrai, très malheureux : confiant dans la première partie du présage, il croyait trouver l'occasion de tenter la fortune ; il se hasarda.

S'il était trop confiant, Mme de Chevreuse ne l'était guère moins. Il y avait bien de l'imprudence de sa part à s'adresser ainsi à un jeune homme qu'elle connaissait à peine, inconsistant, sans fermeté. Chalais lui avait donné la mesure de son caractère lorsqu'il était venu, au dire de Bassompierre, lui avouer que c'était lui qui avait révélé au gouvernement le projet d'attentat des Vendôme contre Richelieu à Fleury : il expliquait à la reine et à Mme de Chevreuse que s'étant ouvert de ce secret à Achille d'Étampes, commandeur de Valençay, celui-ci l'avait menacé de le dénoncer s'il n'allait pas lui-même tout rapporter aux ministres : mais qu'on se rassurât, cet aveu était chez lui un témoignage de sa franchise. Et alors, toute l'après-dînée, déposait Chalais à son procès ces dames n'avoient fait que rire sur le récit de cette affaire.

Chalais entra en campagne. Il parla à Monsieur ; il s'ouvrit à ceux qui entouraient immédiatement le prince. Bois d'Annemets, qui était de cet entourage, nous dit que ces ouvertures furent d'abord assez froidement accueillies. Mais Chalais était maître de la garde-robe du roi, en mesure d'avoir l'oreille du souverain : il fallait le ménager : la recrue, du reste, était de valeur : on l'écouta. A Monsieur, Chalais fit les plus vives protestations de dévouement. Gaston dira à Louis XIII que le jeune homme lui offrit même de vendre sa charge de maître de la garde-robe afin de se donner plus entièrement à lui. La conspiration, un instant paralysée grâce à l'arrestation d'Ornano, reprenait. Le gouvernement fut prévenu.

Comme pour le maréchal, Richelieu exprima d'abord l'avis qu'il fallait essayer de gagner Chalais. On l'utiliserait à trahir ses complices. Des avances furent faites au jeune homme. Très flatté et espérant par là réussir plus rapidement du côté du roi, Chalais n'hésita pas : il accepta. Le commandeur de Valençay servit d'intermédiaire. Suivant Fontenay-Mareuil, Chalais fit dire que si on vouloit lui donner quelque chose de considérable, il feroit faire le mariage (de Montpensier) et toutes les autres choses qu'on voudroit. Il était déjà retourné. Richelieu lui offrit la charge de maître de camp de la cavalerie légère à laquelle on l'appellerait dès que Monsieur serait marié. Chalais répondit en concluant le marché.

Entre temps et comme suite à l'emprisonnement du maréchal d'Ornano, Louis XIII décidait de faire arrêter les Vendôme. Le duc de Vendôme se fortifiait en Bretagne : des précautions étaient à prendre. Il avait déclaré qu'il ne voulait plus revoir Louis XIII qu'en peinture. Sans révéler ses intentions, Louis XIII, de Paris, s'était mis en route vers la Basse-Bretagne et avait gagné Blois. Le grand prieur, inquiet, s'interposait, tâchant de décider son frère le duc à venir trouver le prince, suppliant le roi de le recevoir. Louis XIII avait refusé. Le gouvernement rassemblait des troupes : la situation devenait inquiétante pour les Vendôme : les deux princes, alarmés, se décidèrent à se rendre à Blois : ils y arrivaient le 11 juin ; le 12, ils étaient arrêtés.

Cette arrestation produisit l'effet qu'avait produit celle d'Ornano ; elle était moins inattendue. Mme de Chevreuse, avertie, avait envoyé un laquais au grand prieur pour l'engager à ne pas venir en cour. Dès que les Vendôme étaient arrivés à Blois, Gaston leur avait fait dire qu'ils avoient eu grand tort d'être venus trouver le roi. Mais l'événement était de nature à inquiéter au plus haut point Mme de Chevreuse. Que faisait donc Chalais ? Où en était-il de son action sur Monsieur ? On annonçait que Gaston était décidé à accepter son mariage ! Le roi avait résolu, paraît-il, de faire venir tout de suite Mlle de Montpensier à Blois afin de procéder immédiatement aux fiançailles : le marquis de Fontenay était parti, disait-on, pour Paris avec mission d'amener la princesse entourée d'une escorte de cinquante cavaliers ! Et comme prologue du mariage, on incarcérait les Vendôme ! Chalais trahissait donc, ou était impuissant ?

La duchesse questionna le jeune homme : il n'y avait plus de doute, il était acquis à Richelieu ! Elle ne se troubla pas ; elle le reprendrait. Assurée, écrit Fontenay-Mareuil, depuis la prise de messieurs de Vendôme, de l'intelligence de M. de Chalais avec le cardinal de Richelieu, elle lui en fit tant de reproches et le pressa si fort qu'il n'y put résister et il aima mieux manquer au cardinal de Richelieu et à lui-même qu'à elle, de sorte qu'ayant aussitôt fait changer Monsieur, il le rendit plus révolté que jamais contre le mariage. Une fois de plus Chalais était retourné. Louis XIII et Richelieu informés en conçurent contre le jeune homme une animosité extrême. Le cardinal interrogea Chalais ; celui-ci, embarrassé, répondit des phrases vagues, assurant de sa fidélité. Le cardinal le somma de tenir ses promesses : l'autre éludait pour pouvoir ensuite protester de son dévouement à Gaston. Le pauvre homme, écrivait Bois d'Annemets, vouloit trouver son compte de tous les côtés : il promettoit merveille au cardinal, puis nous venoit dire le contraire !

Pendant ce temps Mme de Chevreuse décidait de faire fuir immédiatement Gaston. Il fut question de diriger le prince vers La Rochelle ; à la réflexion, on jugea préférable de le conduire vers l'Est, près de la terre lorraine qui offrirait un asile au fugitif. Chalais agit sur les indications de la duchesse : il envoya un gentilhomme qui lui servait d'écuyer, Gaston de la Louvière, à Sedan, chez le comte de Soissons, avec une lettre. La Louvière revint sans réponse : on l'avait éconduit. Chalais expédia alors le même écuyer à Metz avec une autre lettre adressée à M. de la Valette, fils du duc d'Épernon, gouverneur de la ville : Si vous voulez recevoir des propositions de la part de Monsieur, disait cette lettre, je me fais fort de vous en faire faire. M. de la Valette répondit à M. de la Louvière qu'il trouvait étrange que Chalais, qui appartenait au roi, s'occupât de pareilles affaires. Il n'avait pas de pouvoir à Metz où son père seul commandait : qu'on s'adressât au duc d'Épernon ! Les deux démarches avaient échoué.

Le gouvernement épiait. On remarquait à Blois que Chalais, logé tout près de l'appartement de Gaston, au château, allait chaque soir chez le prince et y passait des heures entières. Louis XIII décida de quitter Blois. Le 27 juin il était à Tours : de là il gagna Nantes. On attendait Mlle de Montpensier. Richelieu répétait à Chalais que le roi comptait sur lui afin de décider Monsieur à accepter les fiançailles. Chalais tergiversait. Il finit par avouer qu'il n'était plus en état de tenir ses promesses : il reprenait sa parole. Mais en même temps, sentant le terrain se dérober ainsi sous lui, il jugeait ne pouvoir plus se tirer de ce mauvais pas qu'en fuyant et faisant fuir séance tenante Gaston : il se prépara.

Il songea d'abord à partir brusquement avec le prince et cinq ou six gentilshommes sur des coureurs ; malheureusement la troupe serait fatalement rattrapée. Il jugea préférable de sortir paisiblement de Nantes sous prétexte d'une excursion, par exemple à Ingrandes : arrivé là, on ferait savoir au roi que Monsieur, ne se sentant pas en sûreté à Nantes, se rendait à Blois ; puis, on prendrait le galop à franc étrier et on courrait à Chartres, de là à Paris. Le jour du départ avait été fixé. Tout échoua, parce que les maîtres d'hôtel n'avoient pas dîné, avoua Gaston dans un interrogatoire : en réalité parce que le gouvernement prévenu à temps avait envoyé des compagnies de chevau-légers sur les routes afin d'arrêter les fugitifs. Chalais chercha d'autres moyens : de toutes façons la fuite était imminente.

Alors Louis XIII déclara à ses ministres qu'excédé des agissements de son maître de la garde-robe, il allait le faire arrêter. C'était le 8 juillet. Le 9 au lever du jour, le capitaine des gardes de Tresme se rendait à la chambre de Chalais dans le château de Nantes, et procédait à son arrestation. Il n'y eut aucune résistance. Mis entre les mains d'un exempt des gardes du corps, Chalais fut enfermé dans une des prisons du château. Une commission judiciaire fut nommée. Elle était chargée, disait la déclaration royale qui la créait, datée du 8, de faire une enquête sur les actes de Chalais, accusé de crime de lèse-majesté. Le procès ne se confondrait pas avec celui de d'Ornano qui attendait toujours à Vincennes et dont diverses considérations politiques retardaient le jugement. Les magistrats devraient procéder diligemment.

Les commissaires, d'Effiat, Valençay, se rendirent le jour même dans la prison de Chalais. Celui-ci, abattu, se borna à répondre qu'il n'avait jamais manqué au service du roi et que si on voulait se servir de lui auprès de Gaston il était prêt à révéler tout ce qu'on voudrait. L'audition des témoins commença : des confrontations suivirent : Richelieu intervint dans les interrogatoires.

L'attitude de l'accusé fut pitoyable. Il écrivait à tout le monde : il se montrait dans ses lettres léger, désespéré, futile : il suppliait le cardinal de lui faire avoir sa grâce, vantant les qualités du roi en termes excessifs, multipliant à Richelieu les éloges pompeux et les lourdes flatteries : il dénigrait ses amis de l'entourage de Gaston, les représentant comme de grands remueurs de ciel et de terre qui ne savaient que danser, baller et coucher ensemble ; il dénonçait leurs projets d'assassiner Richelieu, parlant au cardinal de tous les grands coups de poignard qui vous étoient destinés ; il renouvelait son offre de servir le roi auprès de Monsieur en donnant à celui-ci de bons conseils et en le trahissant : J'ose affirmer, disait-il à Richelieu, que vous aurez un très grand besoin d'un homme très zélé, affectionné et un peu éveillé, comme l'est, Monseigneur, votre créature : Je remédierai à tout. Ses lettres demeurèrent sans réponse.

En ce qui concernait Mme de Chevreuse, le premier mouvement de Chalais arrêté avait été d'écrire à la duchesse afin de lui renouveler la protestation de son amour et de lui demander son appui. Ce n'est pas à cette heure, lui disait-il, que j'ai reconnu de la divinité en vos beautés mais bien commençai-je à apprendre qu'il faut vous servir comme déesse, puisqu'il ne m'est pas permis de vous faire savoir mon amour sans courre fortune de la vie. Prenez-en donc soin, puisqu'elle vous est en tout dédiée et si vous la jugez digne d'être conservée, dites à ce compagnon de mes malheurs qu'il vous souviendra quelquefois que je suis le plus amoureux des hommes. Déjà suspecte et fort tourmentée sur son propre sort, Mme de Chevreuse ne pouvait rien faire : elle ne répondit pas. Chalais fut piqué de ce silence : ainsi la duchesse l'abandonnait après l'avoir compromis ! Dans ses interrogatoires il fit alors allusion au rôle qu'avait joué Mme de Chevreuse près de lui, puis s'excitant, la dénonça, parla d'elle en termes méprisants, découvrit ses sentiments, ses projets, ses intrigues. Mme de Chevreuse, sur ces entrefaites, se décidait, d'après les conseils de Bautru, à aller voir Richelieu au château de Beauregard pour intercéder en faveur de l'accusé. Ironiquement, le cardinal lui révéla ce que disait d'elle son protégé. Mme de Chevreuse fut outrée : elle ne put se contenir : elle exhala sa colère ; à son tour elle chargea son complice. Richelieu ne manqua pas de rapporter ces propos au prisonnier qui renchérit sur ses premières déclarations. Chalais écrivit même à Mme de Chevreuse des lettres véhémentes qu'on intercepta. Plus tard il regrettera ses intempérances de langage : il protestera n'avoir rien dit dans toutes ses réponses qui ne fut véritable excepté pour le regard de Mme de Chevreuse : il était trop tard !

Alors Chalais s'abandonna au plus sombre désespoir. Il laissa pousser sa barbe, une barbe sauvage ; les gardes chargés de le surveiller dans sa prison racontèrent qu'il se promenait dans sa cellule écumant, criant qu'il voudrait être en enfer, qu'il était pis que damné, disait-il ; et ses gardiens lui rappelant qu'au nom de Dieu il se souvint qu'il étoit dans la communion des chrétiens, il s'exclamait : F..... du christianisme ! je suis bien en état d'être remontré ! On chercha à le calmer : il s'exaltait : Il se sentoit propre à faire comme les Romains, disait-il, tout disposé à s'empoisonner : il se casseroit la tête contre la paroi. Scandalisés, les gardes lui observaient qu'il n'y avoit point de paradis pour ceux qui se tuoient eux-mêmes ! Il répondait qu'il étoit trop malheureux et que mort ! teste ! il se casseroit la tête en quatre belles pièces ! On rapporta aux juges ces propos : l'accusé ne faisait que dire des impiétés, ne priait pas Dieu, passait son temps à proférer des blasphèmes. L'opinion du roi était faite.

Le 5 août, Louis XIII signait des lettres patentes instituant une chambre de justice criminelle chargée de juger définitivement Chalais. La chambre prit séance le ii dans une des salles du couvent des cordeliers de Nantes. Après les premières formalités d'usage, lecture fut donnée des pièces de la procédure : le lendemain 12, le procureur général requéroit ajournement contre diverses personnes pour les impliquer dans les poursuites, notamment Mme de Chevreuse, MM. de La Louvière, Bois d'Annemets, Puylaurens et quatre autres. La chambre, conformément à ces conclusions, rendait un décret de prise de corps contre ces inculpés, en réservant toutefois que le décret ne serait exécutoire qu'après avoir été contresigné par le roi. Louis XIII ne signa pas. Mme de Chevreuse fut questionnée en particulier et libre. Le 18, les interrogatoires de l'accusé et dépositions de témoins étant achevés, la chambre rendit son arrêt : Chalais était condamné à mort !

Lorsqu'on lui eut notifié sa peine, le condamné éprouva une amère douleur d'avoir dénoncé et compromis Mme de Chevreuse. Il déclara à ses gardiens que ses dépositions concernant cette dame étaient fausses : un de ces gardiens, l'exempt Lamont, lui faisant observer qu'elles étaient cependant conformes à ce qu'il leur avait avoué, à eux-mêmes, dans ses conversations, et qu'elles étaient confirmées par les lettres qu'il avait écrites et qu'on avait interceptées, Chalais protesta que ce qu'il avoit écrit c'étoit par une extrême rage qu'il avoit contre elle par une fausse opinion qu'il avoit eu qu'elle l'avoit trompé. Ramené devant ses juges, il renouvela ses rétractations.

L'arrêt qui invoquait seulement le crime de lèse-majesté, portait que Chalais serait décapité à Nantes sur une place de la ville, que sa tête serait exposée au bout d'une pique à une porte des remparts et que son corps, coupé en quatre, serait attaché à quatre potences dressées aux principales avenues de la ville. La mère écrivit au roi une lettre suppliante : Sire, je vous demande, les genoux en terre, la vie de mon fils. Que cet enfant que j'ai élevé si chèrement ne soit pas la désolation de ce peu de jours qui me restent. Je vous l'ai donné à huit ans : il est petit-fils du maréchal de Monluc et du président Jeannin... Louis XIII consentit à supprimer les aggravations infamantes du supplice. Le mercredi 19 août avait lieu l'exécution. Les détails furent horribles. A défaut du bourreau ordinaire, absent, on avait eu recours à un misérable condamné au gibet qui n'avait jamais exercé le métier. Il lui fallut trente six coups d'une doloire de tonnelier pour séparer la tête du tronc et fut contraint de retourner la tête de l'autre côté pour l'achever de couper. Le patient gémit jusqu'au vingtième coup, disant Jésus Maria !

Chalais avait écrit au roi le 2 août : Qu'il vous plaise vous souvenir que je n'ai été de la faction que treize jours. Permettez-moi, Sire, d'avoir recours à Votre Majesté les larmes aux yeux et le plus repentant des hommes pour obtenir de son extrême bonté ma grâce ! Si Louis XIII s'était montré impitoyable, c'est que, se sentant humilié de ce qu'on eût songé à troubler sa famille, l'État, qu'on eût envisagé l'éventualité de sa mort, ou de sa déposition, et que ce fût un gentilhomme occupant dans sa maison un poste de confiance qui eût osé tremper dans pareille conspiration, il s'était laissé aller à l'instinct de dureté inflexible qu'il a eu toute sa vie.

Mais alors qu'allait-il réserver aux auteurs premiers de ce criminel complot, et surtout au maréchal d'Ornano ou à Mme de Chevreuse ?

D'Ornano était toujours à Vincennes. Il attendait. Son procès présentait de grandes difficultés : il fallait mettre en cause Monsieur, l'interroger, le confronter. Il serait question devant les juges de la reine, des grands du royaume, des États étrangers. D'autre part, Gaston avait déclaré que si l'on commençait le procès de son gouverneur, il quitterait la cour. Les ministres de Louis XIII, embarrassés, gagnaient du temps. Les circonstances allaient les tirer d'embarras.

Le 2 septembre, en effet, après quelques jours à peine de maladie, Ornano mourait. Cette disparition venait trop à point pour ne pas provoquer des soupçons. Le public prétendit que le maréchal avait été empoisonné. En vain les ministres démentirent-ils : la plus grande publicité fut donnée au récit de la maladie de d'Ornano : les médecins ayant pratiqué l'autopsie et constaté l'absence de tout poison, on imprima leur rapport : Louis XIII prit la peine d'envoyer une lettre à tous les officiers du royaume dans laquelle il expliquait que le prisonnier avoit été saisi d'une maladie de dysenterie et rétention d'urine avec la fièvre continue qui au bout de quinze jours ou trois semaines l'avoit ôté de ce monde ; que celui qui en avoit la garde l'avoit fait assister de tout ce que l'on pouvoit désirer de remèdes et de conseils par les meilleurs et plus expérimentés médecins de Paris. Le doute subsista. Il est d'ailleurs injustifié. Des textes confrontés il résulte que le maréchal est mort naturellement. En tous cas, cette disparition simplifiait l'affaire.

Louis XIII l'avait au préalable résolue en exigeant de Gaston qu'il épousât sans désemparer Mlle de Montpensier. La jeune fille était arrivée le 2 août : le roi avait mandé son frère au Conseil et là, devant tout le monde, lui avait notifié la résolution qu'il avoit prise de lui donner un bel apanage et d'approuver son mariage : C'était un ordre. Gaston, intimidé, s'était soumis : Parlez-vous sans les équivoques dont vous avez plusieurs fois usé, lui avait dit Louis XIII. Monsieur avait juré qu'il donnait sa parole loyalement. Le soir il y avait eu une scène chez Anne d'Autriche. Mme de Chevreuse avait fait un cas de conscience à Gaston de céder ainsi en acceptant ce mariage. La reine avait joint ses instances à celles de son amie : toutes deux avaient pressé, supplié le prince, au point, avouait ensuite Gaston, qu'elles s'étoient mises à genoux devant moi pour me prier de n'épouser point Mlle de Montpensier : il ajoutait que la reine régnante l'avait prié par diverses fois en trois jours de ne pas achever le mariage. Il n'était plus possible de reculer.

Le 5 août, au château de Nantes, dans le cabinet du roi, devant le curé de la paroisse, le cardinal de Richelieu procédait lui-même à la cérémonie des fiançailles et le 6 août avait lieu le mariage, très simple, dans l'intimité. Bois d'Annemets écrivait que la scène avait été triste, sans musique, sans apparat, les époux étant habillés de costumes usagers. Par le Dieu qui m'a fait ! s'était écrié Chalais dans sa prison en apprenant la nouvelle, voilà une action de haut biseau ! Ils ont pris Monseigneur entre bond et volée ! Je me donne au diable si jamais il y a eu dans l'administration des affaires d'État un courage pareil à celui de Monseigneur le cardinal !

Maintenant qu'allait-on faire de Mme de Chevreuse ? Un conseil fut tenu. Richelieu, avec sa précision et sa lucidité ordinaire, énuméra tous les griefs qu'on avait contre elle. Elle avoit fait, disait-il, plus de mal qu'aucun autre : elle lui avait avoué à lui-même, au château de Beauregard, l'union établie entre les grands pour empêcher le mariage de Monsieur ; Chalais l'avait dénoncée comme étant l'auteur de la cabale ; par le moyen de Mme de Rohan, elle avait mis en communication les grands avec les huguenots révoltés : c'était elle qui avait poussé, assurait-on, à l'entreprise criminelle qu'on devait tenter contre le cardinal à Fleury ; elle qui avait constamment excité Gaston à sortir de la cour ; elle qui avait entraîné Chalais, comme elle avait entraîné les Vendôme ; et, accumulant les preuves, le cardinal rappelait les supplications faites à genoux par Mme de Chevreuse à Gaston de ne pas accepter son mariage à quelque prix que ce fût. Elle était la plus coupable de tous. Mais que résoudre ? Il n'était pas possible d'arrêter Mme de Chevreuse et de lui faire son procès : les difficultés qu'on avait rencontrées dans le cas du maréchal d'Ornano se retrouveraient et singulièrement aggravées. Il n'était pas d'usage, en outre, d'incarcérer une femme appartenant à une grande famille et de la traduire devant le Parlement ou une commission judiciaire pour lui faire son procès criminel : la mesure provoquerait l'irritation de plusieurs grandes maisons redoutables. Les ministres discutèrent. Louis XIII trancha le débat en décidant que Mme de Chevreuse serait d'abord exilée.

Ce fut Bautru qui vint apporter à la duchesse la nouvelle de la mesure prise contre elle. Mme de Chevreuse fut suffoquée : elle ne put se contenir : elle éclata. On ne la connaissoit pas, s'écria-t-elle ; on pensoit qu'elle n'avoit l'esprit qu'à des coquetteries ; elle feroit bien voir avec le temps qu'elle était bonne à autre chose ! Ce fut une suite d'imprécations. Elle se répandit en menaces : elle jura qu'elle ferait traiter tous les Français en Angleterre comme on la traitait en France. Elle prit à partie Louis XIII et Richelieu qu'elle accabla d'injures : Le roi était un idiot et un incapable, s'exclamait-elle : c'était une honte que ce faquin de cardinal gouvernât ! et d'autres paroles outrageuses tant contre le roi que contre le dit cardinal.

De son côté, Anne d'Autriche mise au courant par M. de Nogent éprouvait une émotion analogue : elle aussi eut une colère violente : Elle jeta feu et flammes. Elle tint force mauvais discours par lesquels elle témoignoit aimer mieux n'avoir jamais d'enfant que d'être séparée de cette créature (Mme de Chevreuse) et menaçoit le cardinal de s'en venger à quelque prix que ce fût.

Le duc de Chevreuse fut très affecté : il lui échappa quelques mots vifs contre le cardinal : il dit qu'il le haïssoit à mort. Mais, sur ces entrefaites, le roi lui ayant écrit pour lui commander d'assurer le départ de sa femme, Chevreuse s'empressait de répondre : Sire, ce porteur m'ayant trouvé à quatre lieues de Dampierre, je n'ai pas pu plus tôt satisfaire à la volonté de Votre Majesté. Je serai à Dampierre demain au matin pour en même temps donner ordre à l'éloignement de ma femme avec l'obéissance que je dois à ses commandements.

Il fallait se soumettre. Louis XIII avait décidé, écrit le duc de Rohan, que Mme de Chevreuse se rendrait au château du Verger, en Poitou, chez son frère le prince de Guéméné, où elle resterait, sans sortir, jusqu'à nouvel ordre. Mme de Chevreuse résolut de se dérober par la fuite è l'exécution de la décision du roi. Secrètement elle gagna Paris, de là se dirigea vers l'Est, passa la frontière et se réfugia en Lorraine : elle s'imposait son premier exil à l'étranger !