LA DUCHESSE DE CHEVREUSE

 

CHAPITRE III. — BUCKINGHAM.

 

 

DES divers ambassadeurs anglais auxquels le duc et la duchesse de Chevreuse avaient eu affaire au cours des négociations engagées pour le mariage d'Henriette-Marie, celui avec lequel les relations avaient été les plus étroites s'était trouvé être le comte de Holland. Henri Rich, d'abord lord Kensington, puis comte de Holland, appartenait à l'illustre famille des Warwick. Il jouera un rôle dans la révolution d'Angleterre et mourra sur l'échafaud. Envoyé en France dès le printemps de 1624 par le roi Jacques Ier afin de presser les pourparlers, il s'était fait adjoindre, comme second ambassadeur extraordinaire, le comte de Carlisle.

Jeune encore, bien fait, fort élégant, Holland avait ce qu'il fallait pour plaire. Tallemant des Réaux trouve à sa beauté je ne sais quoi de fade, dit-il, et la Porte estimera dans ses Mémoires que quoique un des plus beaux hommes du monde, Holland était efféminé. Holland fut très bien accueilli à l'hôtel de Chevreuse.

Cet hôtel, dont il sera souvent question dans la suite, était celui qu'avait acheté le duc de Luynes à sa jeune femme rue Saint-Thomas du Louvre, et qui, laissé par le connétable à sa veuve, avait été vendu au duc de Chevreuse en mars 1622. Sur la rue Saint-Thomas, entre la rue du Doyenné et la rue Saint-Honoré, une grande porte monumentale, ornée de pilastres, de statues, de trophées, décorée de vantaux en bois sculpté garnis de médaillons à personnages, s'ouvrait sur une cour intérieure carrée de ce joli style français de la première moitié du XVIIe siècle, héritier des meilleures œuvres de la Renaissance. L'architecte Métezeau s'était inspiré du Louvre de Lescot : entre les fenêtres, des pilastres encadraient des niches ornées de statues surmontées de bandeaux plats et d'entablements ; plus haut, des fenêtres à frontons de pierre sculptée coupaient les combles. L'ensemble était riant. Un grand jardin s'étendait du côté du couchant, jusqu'à la rue Saint-Nicaise, où il était terminé par une grille. De ce côté, la façade, composée d'un corps central flanqué de deux pavillons élevés, avait belle apparence. Entre le Louvre et les Tuileries, dans un quartier tranquille, au milieu du réseau de petites rues qui couvraient la place actuelle du Carrousel, l'hôtel passait pour une des habitations les plus agréables et les plus luxueuses de la ville.

D'abord amené par la question du mariage qu'il avait à traiter, le comte de Holland n'avait pas tardé à se rendre de plus en plus fréquemment chez le duc de Chevreuse pour un autre motif. L'éclat de la jeune femme qui remplissait la maison de sa gaieté ne l'avait pas laissé indifférent. Son cœur se prit. Mme de Chevreuse ne sut pas résister. Holland a été, plus que M. de Chevreuse, son premier et véritable amour. M. de Châteauneuf avouait quelques années plus tard que le jeune Anglais avait été l'homme que Mme de Chevreuse avoit le plus aimé et qu'elle aimoit toujours. On invita Holland. Ce fut à l'hôtel de Chevreuse une suite ininterrompue de fêtes, de parties, de rendez-vous. Le mari ne voyait rien. Anne d'Autriche, constamment avec Mme de Chevreuse, fut vite au courant. Elle s'amusa de l'aventure : on la prit pour confidente. Holland, admis au Louvre, eut de longues conversations avec la reine et Mme de Chevreuse. C'est au cours de ces conversations qu'il fut question de Buckingham.

Holland était l'ami de Buckingham. Il ne tarissait pas d'éloges sur le compte du favori du roi d'Angleterre : l'homme, disait-il, le plus séduisant du royaume, jeune, libéral, audacieux, ne comptant pas ses succès et qui ayant su captiver et le roi de la Grande-Bretagne, Jacques Ier, et son fils, Charles Ier, jouissait d'un pouvoir étrange. Cet empire venait de ses qualités : brillant, souple, possédant un regard fascinateur, des lèvres souriantes et sensuelles, doux, enveloppant et à la fois hautain, passionné, violent, Buckingham était propre à troubler les imaginations les moins sensibles. Anne d'Autriche, intéressée, écoutait avec attention ; elle questionnait. C'est alors que vint à l'esprit de Mme de Chevreuse et de Holland l'idée aventureuse de ménager une intrigue entre la reine de France et le duc anglais : tous deux, princesse et favori, étaient jeunes, agréables et propres à se plaire ; on amènerait leurs esprits au degré d'émotion voulu ; Buckingham viendrait ensuite, pour une cause quelconque, à Paris, et la nature ferait le reste. Le projet à peine conçu parut plaisant à exécuter ; Holland et Mme de Chevreuse s'y donnèrent à cœur joie. Afin d'honorer leur passion, écrivait La Rochefoucauld, ils firent dessein de former une liaison d'intérêt et de galanterie entre la reine et le duc de Buckingham, bien que ceux-ci ne se fussent jamais vus.

Mme de Chevreuse s'y prit adroitement. Mme de Chevreuse m'a dit, écrivait Mme de Motteville, me contant les égarements de sa jeunesse, qu'elle forçoit la reine à penser à Buckingham, lui parlant toujours de lui et lui ôtant les scrupules qu'elle en avoit. Des portraits furent montrés. Le travail fut difficile. J'ai encore ouï dire à Mme de Chevreuse, ajoutait Mme de Motteville, et avec exclamations sur ce sujet, qu'il étoit vrai que la reine avoit l'âme belle et le cœur bien pur et que malgré le climat où elle avoit pris naissance, où, comme je l'ai dit, le nom de galant est à la mode, elle avoit eu toutes les peines du monde à lui faire prendre quelque goût à la gloire d'être aimée.

De leur côté, Holland et Carlisle faisaient agir en Angleterre. On parlait à Buckingham. Assez satisfait de lui-même pour croire qu'aucune créature ne pût lui résister, Buckingham était flatté à l'idée d'émouvoir la reine de France. Il avait déjà vu Anne d'Autriche, quoi qu'en dise La Rochefoucaud. Se rendant incognito en Espagne au cours de l'année 1623 pour accompagner le prince de Galles — on agitait la question à ce moment d'un mariage entre celui-ci et une infante — il était passé par Paris : sans se faire connaître, il avait pu assister à un ballet donné au Louvre, où un sous-gouverneur du roi, M. de Préaux, qui ignorait sa qualité, l'avait assez bien placé pour qu'il pût à loisir contempler Anne d'Autriche laquelle paraissait avec tant d'éclat dans ces fêtes de cour brillantes. Le souvenir de la fraîche beauté de la princesse lui était demeuré présent à l'esprit.

D'ailleurs, depuis longtemps déjà, comme par un vague pressentiment, il cherchait, au moyen d'attentions, à attirer la sympathie de la souveraine, J'ose vous supplier, écrivait-il au duc de Chevreuse le 26 avril 1620, de prendre la peine de vouloir jeter les yeux sur huit chevaux de carrosse que j'envoie à la reine et commander qu'on les présente à quelque heure où vous vous y rencontrerez, afin que sous les ailes de votre autorité, le blâme que mérite cette hardiesse puisse être caché : c'est une protection que j'attends de votre faveur. Sachant qu'on lui préparait maintenant les voies, il entra vivement dans le dessein proposé. Sincèrement ou non, il s'éprit. Anne d'Autriche fut mise au courant : elle parut touchée. L'aventure la divertissait. Elle ne voyait encore ni la portée, ni les conséquences que pourrait avoir cette intrigue. Par les conseils de Mme de Chevreuse, dit Mme de Motteville, la reine n'avoit pu éviter, malgré la pureté de son âme, de se plaire aux agréments de cette passion [de Buckingham], dont elle recevoit en elle-même quelque légère complaisance qui flattoit plus sa gloire qu'elle ne choquoit sa vertu. Ainsi se préparait de part et d'autre un sentiment que l'absence, sous l'effet de l'imagination adroitement séduite, entretenait et dont une rencontre devait précipiter l'éclosion. Restait à amener cette rencontre.

Le mariage d'Henriette-Marie décidé, Holland et Carlisle proposèrent de faire venir Buckingham en France afin de régler les derniers détails du contrat. L'ambassadeur de Louis XIII en Angleterre, M. Leveneur de Tillières, écrivait : Les ambassadeurs d'Angleterre en France demandent que Buckingham vienne à Paris afin qu'il paraisse avoir terminé ce mariage et que l'honneur lui en demeure. Le roi d'Angleterre acceptait gaiement.

Le cardinal de Richelieu était alors ministre. Contrairement à l'opinion courante qui veut que, dès la première heure, le cardinal ait été le maître du gouvernement, Richelieu, à cette date, n'était qu'un conseiller, donnant des avis, fort écoutés d'ailleurs, mais ne disposant pas des affaires de l'État. La question du voyage de Buckingham à Paris fut agitée au Conseil. Elle laissait chacun assez perplexe. On demanda à l'ambassadeur de France à Londres son sentiment. Ce sentiment était défavorable. M. Leveneur de Tillières mettait en avant que Buckingham avait un caractère chaud et altier, qu'il y avait des articles du mariage sur lesquels il se cabreroit. M. de Tillières était au courant de l'intrigue qui se préparait entre le favori du roi d'Angleterre et Anne d'Autriche : il n'en parlait pas ; il supposait, comme il l'expliquera plus tard dans ses Mémoires, que cette intelligence qui se formoit entre la reine et le duc était connue et que, le sachant, on en devoit bien prévoir les inconvénients ! En réalité le conseil du roi, semble-t-il, ignorait. De son château de Limours, où il résidait à ce moment, assez souffrant, Richelieu écrivait que le voyage de Buckingham n'était certainement pas souhaitable, mais qu'il fallait le subir de crainte d'indisposer le ministre du roi d'Angleterre et par là de gâter la situation. Marie de Médicis tenait beaucoup au mariage anglais pour sa fille ; elle insistait afin qu'on ne fit rien de nature à le retarder. Louis XIII résistait, comme par obscure prescience. Les tergiversations permirent de gagner du temps ; le mariage fut conclu sans Buckingham. Mais alors Holland et Carlisle demandèrent que le duc vînt en France chercher la nouvelle reine d'Angleterre ; il profiterait du voyage pour traiter diverses questions politiques. Il était impossible d'éluder. A Paris, on accepta. Quelques jours donc après la cérémonie de Notre-Dame, le gentilhomme anglais, redouté des uns, impatiemment attendu des autres, arrivait.

 

Georges Villiers, duc de Buckingham, avait alors trente-trois ans. D'origine modeste, issu d'une famille normande, élevé dans sa jeunesse en France où il avait appris la langue, il était venu de bonne heure à la cour du roi d'Angleterre où Jacques Ier l'avait distingué l'avait aimé et, en peu de temps, avait assuré sa fortune. Grand, de bonne mine, d'esprit agréable, magnifique, libéral, aimant les honnêtes gens, il semblait, écrit Fontenay-Mareuil, fort bon pour la cour. On vantait surtout sa prestance ; il était bien découplé, svelte, vigoureux. C'était l'homme du monde, écrira la Porte, le mieux fait et de la meilleure mine ; il parut à la cour avec tant d'agrément et de magnificence qu'il donna de l'admiration au peuple, de la joie et quelque chose de plus aux dames, de la jalousie aux galants et encore plus aux maris.

De graves défauts le déparaient : fier de ses succès, il était très fat. On le trouvait vaniteux à l'excès. Fontenay-Mareuil le jugeait si léger et si vain qu'il n'estoit nullement propre pour les grandes affaires et moins encore pour la guerre. Il s'est montré politique fantasque, violent, absolu, apportant dans toutes les négociations un esprit brouillon et inconsidéré. Richelieu qui, dans ses Mémoires, expose les difficultés inextricables que lui causa la conduite du ministre anglais, le traite de fou. Ses entreprises sans raison, dit-il, furent exécutées avec malheur, mais elles ne laissoient pas de nous mettre en grand péril et de nous faire beaucoup de mal, la folie enragée d'un ennemi étant plus à craindre que sa sagesse, d'autant que le fou n'agit pas d'un principe commun avec les autres hommes. La faveur de Charles Ier pour Buckingham ne s'explique que par un jugement insuffisant du souverain et une légèreté d'esprit chez le prince analogue à celle de son favori.

Le 24 mai 1625, au soir, Buckingham arrivé en poste, faisait son entrée à Paris, accompagné du comte de Montgommery et d'une suite peu nombreuse de seigneurs anglais. En même temps qu'il venait, comme le disait le Mercure, pour requérir Sa Majesté très chrétienne de l'acheminement de l'épouse de son roi et de se fier en la personne de ce duc pour sa conduite, il se proposait de préciser le sens de certains articles du contrat de mariage, puis de discuter deux questions de politique générale : celle d'empêcher la France de faire la paix avec l'Espagne et celle de préparer une alliance entre la France et l'Angleterre au sujet des affaires d'Allemagne.

Comme il était convenable, étant donné les relations amicales des Chevreuse avec la cour anglaise et particulièrement avec Buckingham, le ministre descendit à l'hôtel de la rue Saint-Thomas du Louvre. Ainsi l'avait décidé Louis XIIL Le roi ignorait-il encore ce qui se tramait entre Mme de Chevreuse et Buckingham ? On peut le croire.

Le gouvernement, décidé à ne pas brusquer le duc afin d'obtenir de lui différentes concessions auxquelles il tenait, avait résolu de se montrer aimable. Buckingham fut reçu courtoisement : Louis XIII, la reine mère, Richelieu, lui donnèrent audience. L'instant attendu des initiés était la rencontre entre le duc et Anne d'Autriche.

Elle eut lieu dans les appartements de la reine, au Louvre. Buckingham savait d'avance qu'il trouverait la princesse à son gré. Anne d'Autriche, émue de ce qu'on lui avait dit du séduisant gentilhomme et informée des sentiments qu'il éprouvait pour elle, se sentait attirée vers Buckingham par une vive et inexplicable sympathie. Mis en présence l'un de l'autre, il se produisit ce qu'on pouvait prévoir. La reine, écrit La Rochefoucauld, parut à Buckingham encore plus aimable que son imagination ne le lui avoit représentée, et lui parut à la reine l'homme du monde le plus digne de l'aimer. Par un phénomène spontané, il y eut entre eux comme une reconnaissance de deux êtres qui se découvraient l'un pour l'autre une tendresse infinie. Buckingham, dit Leveneur de Tillières, fut vu de la reine régnante avec une grande joie qui n'était pas sur le visage seulement, mais qui pénétroit jusqu'au cœur. Tout de suite s'établit entre eux une sorte d'intimité, comme s'ils se connaissaient depuis longtemps. L'assurance de Buckingham et l'inexpérience de la reine aidant, cette intimité se transforma en familiarité. Dès le premier jour, écrit Leveneur de Tillières, la liberté entre eux fut aussi grande que s'ils se fussent connus depuis longtemps. L'humeur audacieuse de la part du duc de Buckingham en fut cause et de celle de la reine régnante. L'entourage d'Anne d'Autriche était surpris. La duchesse de Chevreuse tranquillisait la reine, l'assurant que de simples propos, avec des intentions droites et un fond irréprochable, ne pouvaient prêter matière à des scrupules de conscience injustifiés. Certainement, remarquait M. de Tillières, dans les effets de cette passion tout étoit honnête, mais les apparences n'en valoient rien et ladite dame reine se conduisoit en cette rencontre comme font beaucoup d'autres femmes sur la croyance qu'elles ont et qu'elle croyoit avoir elle-même, ou qu'elle prenoit par le conseil d'autrui qu'il importoit peu de donner de mauvaises apparences, pourvu que le fond en fut bon et innocent et que, les conservant, elle satisferoit à Dieu et au monde, ce que je ne crois pas. D'après Mme de Chevreuse et M. de Tillières, il n'y avait donc que des apparences. D'une autre manière et plus lestement, la princesse de Conti confirmait cette impression en déclarant que de la ceinture aux pieds, elle répondoit au roi de la vertu de la reine.

La vie d'ailleurs d'Anne d'Autriche, au Louvre, était tellement remplie, de la première heure du jour à la dernière, sa personne si entourée par de nombreux domestiques ou son service d'honneur, elle était si en vue dans son grand appartement, au premier, attenant au cabinet et à la chambre du roi, qu'il lui eût été bien malaisé de tromper les regards attentifs de tant de curieux aux aguets. Le cardinal de Retz raconte dans ses Mémoires une histoire étrange, agrémentée par lui de détails scabreux, qu'il prétend tenir de Mme de Chevreuse et qui se serait passée entre Buckingham et Anne d'Autriche, prétend-il, dans le jardin du Louvre dit aujourd'hui de l'Infante. La reine, d'après lui, aurait donné rendez-vous à Buckingham dans ce jardin, la nuit. Mme de Chevreuse aurait accompagné la princesse, puis se serait éloignée laissant les deux amoureux ensemble : au bout de quelque temps, elle aurait entendu un bruit insolite et bizarre comme d'une lutte ; elle serait accourue et elle aurait trouvé la reine fort troublée, Buckingham à genoux devant elle : Anne d'Autriche aurait repris fébrilement le chemin de sa chambre, répétant avec colère que tous les hommes étoient brutaux et insolents. Le lendemain, elle aurait fait demander au duc anglais par Mme de Chevreuse s'il était sûr qu'elle ne courût pas risque de donner un faux Dauphin à la France.

Cette histoire n'est pas vraisemblable. De tous les endroits du Louvre qu'auraient pu choisir Buckingham et Anne d'Autriche pour éviter d'être vus, celui-là eut été certainement le dernier qui, placé sous plus de soixante fenêtres du palais — celles de l'appartement du roi, de la reine, de Marie de Médicis, des grands seigneurs, des pièces servant au personnel d'Anne d'Autriche, celles enfin de la salle des Pas-perdus ou passage fréquenté qu'était la galerie d'Apollon d'aujourd'hui — eut permis à la cour entière de surprendre l'inconduite de la souveraine. Nul autre que Retz, d'ailleurs, ne fait allusion à cette scène. Les critiques s'accordent pour penser que le cardinal confond avec un incident qu'on a raconté comme étant analogue, qui se serait passé peu après à Amiens : il le transforme seulement en l'aggravant.

Durant le temps très court — une semaine, — que Buckingham resta à Paris, la suite ininterrompue de fêtes, de réceptions, de soupers dont on accabla le ministre anglais, absorbèrent, en réalité tout son temps. Richelieu donna un grand dîner qui fit du bruit par sa splendeur. On n'entendoit la nuit, dit le Mercure, que des canonnades des coups de boîte, et le matin que le récit des festins. Un grand concert fut organisé à l'hôtel de Rambouillet, rue Saint-Thomas du Louvre, tout contre l'hôtel de Chevreuse, dans lequel on fit entendre à Buckingham la célèbre chanteuse du temps, Mlle Paulet. Ce n'était guère qu'au cours de ces réceptions que le duc pouvait rencontrer Anne d'Autriche et s'approcher d'elle. Il lui parla ; nous savons qu'il lui déclara sa passion. De son côté, agitée, la jeune reine ne savait que répondre ; Buckingham insistait. La reine finit par laisser entendre qu'elle n'était pas indifférente : elle confiait plus tard à Mme de Motteville avoir avoué à Buckingham que si une honnête femme avoit pu aimer un autre homme que son mari, il auroit été le seul qui lui auroit pu plaire. Elle croyait avoir un penchant pour lui. Le duc, ajoutait Mme de Motteville, a été la personne du monde dont j'ai ouï dire à la reine le plus de bien. Ses vœux avoient été reçus avec quelque sentiment de complaisance ; la reine n'en faisait point un secret.

Mais au milieu d'une cour désœuvrée qui avait bientôt deviné ce qui se passait, — les gestes, les regards, les apartés trop confiants, les conversations tendres avaient éclairé beaucoup de gens, — il était difficile que Louis XIII, la reine mère, les ministres ne fussent pas informés de ce qui était le sujet des conversations de toute la cour. Le roi éprouva un chagrin profond. Il était froid, réservé il se contint. Seulement, d'un commun accord avec les ministres, il décida de hâter le départ de Paris de Buckingham. La mesure fut unanimement approuvée. On ne pouvoit dissimuler, écrit Brienne, la joie que l'on avoit de se défaire de cet étranger présomptueux et de le renvoyer dans son pays. Sur les deux points essentiels objets de la visite du ministre, le gouvernement éluda rapidement : le débat concernant les articles du mariage avait donné lieu à des discussions vives : mais, quelque désir qu'on eût à Paris de ménager l'Angleterre, la nécessité s'imposait de ne pas prolonger davantage une situation pénible pour le roi : on écourta. Les continuelles familiarités et entrevues entre le duc et la reine régnante devenaient excessives. Chacun voyait bien, dit Tillières, que l'affection de la reine alloit tous les jours croissant et les apparences empirant, ce qui faisoit enrager le roi son mari et la reine, sa belle-mère. Le départ d'Henriette-Marie fut fixé au 2 juin avec l'espoir que le duc de Buckingham s'éloignant, toutes ces affections cesseroient. En somme, s'il avait pu s'assurer des sentiments bienveillants de la reine à son égard, Buckingham n'était pas parvenu au succès qu'il avait espéré : trop d'obstacles, dans une cour trop nombreuse, avaient empêché le tête-à-tête souhaité. Peut-être que durant le voyage qu'on allait entreprendre pour conduire la nouvelle reine d'Angleterre à Boulogne, les circonstances, au milieu des hasards de gîtes de fortune, seraient plus favorables.

Conformément en effet aux usages de la cour, la famille royale devait accompagner la jeune reine d'Angleterre pendant son voyage en France. Louis XIII la conduirait jusqu'à Compiègne, les reines — Marie de Médicis et Anne d'Autriche — Monsieur, frère du roi, jusqu'à Boulogne, une suite de gentilshommes français jusqu'à Londres. Les précautions furent immédiatement prises pour qu'Anne d'Autriche se trouvât le moins possible avec Buckingham et, en tous cas, fut toujours très entourée. Le 2 juin, après avoir fait ses adieux à ceux qu'elle laissait, Henriette-Marie quittait le Louvre à cinq heures du soir, montée dans une litière de velours rouge brodée d'or, portée par deux mulets couverts de housses de velours rouge, escortée des compagnies d'archers de Paris à cheval, de 500 bourgeois, également à cheval, de tous les officiers de la ville : prévôt des marchands, échevins, quarteniers ; c'était le privilège des gens de Paris d'escorter une fille de France mariée à l'étranger et quittant le royaume. Buckingham l'accompagnait. Les reines n'étaient pas là ; elles étaient parties par une autre route suivies d'un grand nombre de princesses, de dames, de seigneurs en voiture ou à cheval. Les deux cortèges ne se retrouveraient qu'à Montdidier. A moitié chemin de Saint-Denis, les Parisiens laissèrent la reine d'Angleterre ; celle-ci, le soir, couchait à Stains ; le lendemain à Compiègne, puis à Montdidier, où, le 6 juin, Marie de Médicis et Anne d'Autriche la rencontraient ; la plus grande partie de la cour était présente : deux compagnies de gardes du corps faisaient escorte, augmentées de détachements du régiment des Suisses de la garde du roi. Louis XIII avait gagné Fontainebleau.

L'entrée solennelle à Amiens eut lieu le 7. Le roi avait recommandé qu'on rendît à sa sœur les mêmes honneurs qu'à lui-même. Le duc de Chaulnes, gouverneur de la province, accueillit la princesse, entouré de la noblesse du pays, 300 cavaliers ; cinq mille bourgeois d'Amiens armés et groupés en compagnies faisaient la haie. Le premier échevin, en robe violette, fit une harangue dans le style officiel du temps : Madame, quand le soleil se lève, nous voyons toutes choses nous rire ; le ciel se pare de mille vives couleurs, les oiseaux dégoisent leur petit ramage pour saluer son beau jour et la terre émaille son sein verdoyant de mille fleurs emperlées. Ainsi quand vous nous faites l'honneur d'entrer en cette ville, nous vous en ouvrons les portes et celles de nos yeux et de nos cœurs. Au bruit des trompettes, des tambours, des coups de canons et des arquebusades, le cortège pénétra dans la ville, alla à la cathédrale célébrer un Te Deum, puis on installa la reine d'Angleterre au palais épiscopal. Des fêtes suivirent : bals, repas magnifiques. Marie de Médicis s'étant trouvée indisposée — un rhume, disait-on — le séjour se prolongea. Ce retard comblait les vœux de Buckingham.

Il était plus brillant que jamais. Bois d'Annemets, qui le vit à ce moment raconte dans ses Mémoires combien le duc cherchait à éblouir : Il faut avouer, dit-il, qu'il portoit le plus bel habillement et mieux assorti qui se verra jamais. Le ministre anglais ne paraissait que couvert de perles et de diamants. Dans les réceptions, collations, grands dîners, il étonnait par sa magnificence. Mais quelques mots à peine échangés çà et là avec la reine, des regards : c'était tout ce qu'il avait obtenu. Partirait-il ainsi de France ? Des instructions sévères semblaient avoir été données à l'entourage : l'écuyer Putange ne quittait pas Anne d'Autriche, le porte manteau la Porte veillait, d'autres dames, des serviteurs gardaient. Mme de Chevreuse et Holland allaient fournir l'occasion cherchée.

Anne d'Autriche n'était pas descendue dans le palais épiscopal avec sa belle-sœur. On lui avait donné une demeure spacieuse dont le jardin, assez grand, s'étendait le long de la Somme. Ce jardin était très agréable : toutes les personnes de la cour présentes à Amiens le connaissaient et venaient s'y promener. Un soir, Mme de Chevreuse vint voir la reine, accompagnée de Buckingham et du comte de Holland. Le ciel était clair et le temps très doux. On proposa d'aller faire une promenade dans le jardin. Anne d'Autriche accepta. Buckingham conduisait la reine ; Mme de Chevreuse avait pris le bras de Holland. A quelques pas derrière suivaient Putange, la Porte, quelques dames. Comme par mégarde, Holland et Mme de Chevreuse s'arrangèrent pour laisser la reine et Buckingham les distancer. Ils contenaient la suite. L'endroit était solitaire. Buckingham parla. Il fut tendre et pressant. Anne d'Autriche inquiète s'arrêta et s'assit : les dames la rejoignirent. Au bout de quelques instants la reine reprit la promenade. Holland et Mme de Chevreuse l'isolèrent encore. Le moment était propice : grâce à cette demi-solitude, dans l'obscurité croissante, l'émotion que causait à la jeune femme ce tête-à-tête où Buckingham reprenait ses déclarations de plus en plus ardentes, achevait de troubler à mesure la princesse. Buckingham crut, audacieux comme il l'était, que l'heure était venue de brusquer. Il se trouvait, à cet instant, au détour d'une allée, derrière des massifs qui l'enveloppaient : personne ne pouvait les voir. Il se décida. Que se passa-t-il ?

Ici il y a deux versions. Pour Tallemant des Réaux et Retz — lequel seulement place le fait à Paris — il se serait produit une scène violente et complète : ce récit, écho de conversations complaisantes des courtisans qui brodèrent à plaisir, ne tient pas devant la discussion. La reine, en effet, a poussé un cri : à ce cri tout le monde est accouru. Si la reine n'avait pas crié, la suite, qui était à trop peu de distance l'aurait rejointe avant que Buckingham eut eu le temps de réaliser ses desseins. Si elle a crié, c'est qu'elle ne cédait pas. En réalité, la Porte qui était présent, La Rochefoucauld qui a été informé par les témoins oculaires, Mme de Motteville à qui la reine a tout conté, nous donnent une explication concordante qui nous éclaire suffisamment.

A la faveur de l'obscurité, écrit la Porte, le duc de Buckingham s'émancipa fort insolemment jusqu'à vouloir caresser la reine qui en même temps fit un cri auquel tout le monde accourut. Un soir, dit la Rochefoucauld, que la reine se promenait dans son jardin, ils se trouvèrent seuls ; le duc de Buckingham était hardi et entreprenant, l'occasion était favorable et il essaya d'en profiter avec si peu de respect que la reine fut contrainte d'appeler ses femmes. Mme de Motteville atténue encore davantage : On en a fort parlé, dit-elle [de cette scène], mais ce fut fort injustement car je sais d'elle-même [de la reine] qui m'a fait l'honneur de me le confier sans nulle façon que, dans un détour d'allée où une palissade les pouvait cacher au public, la reine, dans cet instant, surprise de se voir seule et apparemment importunée par quelque sentiment trop passionné du duc de Buckingham s'écria et appelant son écuyer le blâma de l'avoir quittée. Ainsi la scène se devine : elle fut rapide, osée, banale : le commentaire en serait dans le mot de la princesse de Conti ajoutant à son affirmation qu'elle répondrait de la vertu de la reine de la ceinture aux pieds, le correctif qu'elle n'en dirait pas autant de la ceinture en haut !

C'était de la part de Buckingham bien peu connaître Anne d'Autriche. Par curiosité de jeunesse, étourderie d'enfant, caprice ou vanité de jolie femme, la petite reine pouvait se laisser aller à un sentiment nouveau pour elle, peu gâtée jusque-là, et vouloir s'approcher d'un plaisir défendu qu'elle ne connaissait pas : mais ce sentiment n'était pas assez fort, elle était trop froide de tempérament, elle avait trop le souci de sa dignité pour que la réalité brutale d'un geste extérieur, trop brusque, maladroit, ne vînt pas la rappeler à ce qu'elle se devait et donner corps aux scrupules latents de sa conscience. Buckingham avait commis une sottise !

Lorsque tout le monde, attiré par le cri, arriva près de la reine, on trouva le duc anglais décontenancé : il n'avait rien de mieux à faire qu'à disparaître : il recula et s'effaça dans la nuit. Les personnes présentes questionnèrent. Anne d'Autriche, embarrassée, balbutiait. Après quelques mots, d'un commun accord, on convint de ne rien ébruiter. Il fallait que le roi ignorât tout.

Marie de Médicis toutefois fut mise au courant. Le premier résultat de l'aventure fut que prétextant son indisposition qui ne cessait pas, et dont on ne pouvait prévoir la fin, la reine mère décida le départ immédiat d'Henriette-Marie pour Boulogne accompagnée seulement de Monsieur. Le 16 juin, la reine d'Angleterre quittait Amiens. Anne d'Autriche, en carrosse, était tenue d'aller avec elle jusqu'à deux lieues en dehors de la ville. Elle accompagna sa belle-sœur, puis arrivée au point qu'elle ne devait pas dépasser, lui fit ses adieux. A ce moment, Buckingham s'approcha de son carrosse afin de prendre congé d'elle. Anne d'Autriche, qui ne l'avait pas revu depuis la scène du jardin, fut très froide. Le duc, troublé, se pencha sur les rideaux de la voiture comme pour prononcer quelques mots : il pleurait et cherchait à dissimuler ses larmes. La reine demeura impassible. La princesse de Conti, qui était près d'elle, lui reprochera ce qu'elle appellera sa cruauté. Buckingham s'inclina et partit : il était plus amoureux que jamais, désolé de son échec, humilié de sa folie et désespéré de l'antipathie qu'il croyait constater maintenant à son égard chez la reine.

Le cortège d'Henriette-Marie gagna Abbeville, Montreuil, parvint à Boulogne où la reine devait s'embarquer. Une tempête sévissait : il fallait attendre ; les navires que le roi d'Angleterre envoyait afin de prendre sa femme n'étaient pas encore arrivés. Une chaloupe atterrit apportant un courrier pour la cour. Mme de Chevreuse et le comte de Holland suggérèrent à Buckingham, sous prétexte d'affaire politique à traiter avec la reine mère, d'aller porter lui-même les dépêches à Amiens. Il reverrait Anne d'Autriche : peut-être son éloignement avait-il modifié les impressions de la princesse. Le duc partit en poste à cheval ; d'un trait il parvenait à Amiens.

Il alla voir Marie de Médicis : la reine mère, toujours souffrante, était au lit. Elle accueillit le ministre anglais avec un peu de surprise. Buckingham expliqua sa venue, puis exprima le désir de se présenter à Anne d'Autriche. Celle-ci, qui avait été saignée le matin et s'était alitée, manifesta un vif étonnement : Encore revenu ! dit-elle ; je pensais que nous en étions délivrés ! Elle fit répondre qu'elle ne recevait pas. Buckingham insista : la reine mère, disait-il, lui avait bien donné audience étant au lit. La dame d'honneur, Mme de Lannoy, vint expliquer elle-même à Buckingham qu'il ne plairoit pas au roi que la reine permît l'entrée de sa chambre à des hommes dans le temps que Sa Majesté était encore au lit. Buckingham en référa à Marie de Médicis : celle-ci lassée de ses instances finit par répondre aux objections de Mme de Lannoy : Pourquoi donc ? Je le fais bien moi-même ! Il n'y avait plus qu'à céder. Mme de Lannoy s'arrangea pour que la chambre d'Anne d'Autriche fût pleine de monde au moment où le ministre anglais viendrait : les princesses de Gondé et de Conti étaient dans la ruelle. Buckingham ayant pénétré, s'avança vers le lit, se mit à genoux, prit la main d'Anne d'Autriche, puis éclata en sanglots : la scène était pénible. Mme de Lannoy fît remarquer au duc qu'il n'était pas d'usage à la cour de France qu'on parlât ainsi à la reine, à genoux : elle offrait un siège. Buckingham répondit qu'il n'était pas français, qu'il n'avait pas à observer les lois du royaume. Anne d'Autriche demeurait glaciale. Tout le monde était gêné. L'entrevue ne pouvait pas durer. Buckingham se retira. Il reprit la route de Boulogne, froissé, meurtri : il était résolu à trouver une raison quelconque de revenir le plus tôt possible en France, quitte à y engager et compromettre la politique de son roi.

De proche en proche, cependant, le récit de l'affaire d'Amiens, que, malgré les résolutions prises de garder le silence, tous les courtisans se racontaient à l'envi, était parvenu jusqu'aux oreilles du roi à Fontainebleau. Par dignité, Louis XIII se tut. Avertie que son fils savait tout, Marie de Médicis crut devoir prendre la défense de sa belle-fille : il ne s'était rien passé de grave, affirmait-elle, le roi n'avait pas le droit de suspecter la conduite de sa femme : La reine mère ne pouvoit s'empêcher de rendre témoignage de la vérité et d'assurer que tout cela n'étoit rien et que quand la reine auroit voulu mal faire, il lui auroit été impossible, y ayant tant de gens autour d'elle qui l'observoient et qu'elle n'avoit pu empêcher que le duc de Buckingham n'eût de l'estime et même de l'amour pour elle. Elle rapportoit, de plus, quantité de choses de cette nature qui lui étoient arrivées dans sa jeunesse. Ces raisons, quoique incontestables, n'éteignoient pas la jalousie du roi.

Mais tout au moins, si Louis XIII ne voulait rien dire à Anne d'Autriche ou à Buckingham, il ne laisserait pas impunis ceux qui auraient dû veiller sur la reine et dont la négligence avait causé l'incident qui s'était produit. Il s'en prit aux hommes. Dans le jardin d'Amiens se trouvaient avec la reine : l'écuyer Putange, le porte manteau la Porte, le premier médecin Ripert, un gentilhomme, M. de Jars, un domestique nommé Datel. Le 20 juillet au matin, — les reines étaient venues rejoindre le roi à Fontainebleau — le confesseur de Louis XIII, le P. Séguiran, se rendait chez Anne d'Autriche et lui annonçait de la part du prince que toutes ces personnes étaient chassées de la cour. La reine fut très affectée. Elle ne protesta pas : elle se borna à faire répondre au roi qu'elle le supplioit de nommer tous ceux qu'il vouloit ôter d'auprès d'elle afin que ce ne fût plus à recommencer. Elle donna de l'argent aux disgraciés : elle devait bientôt les reprendre à son service.

En ce qui concernait Buckingham, le parti de Louis XIII était pris : jamais le ministre anglais ne reparaîtrait en France ! Toutes les tentatives que fera le duc à cet effet dans l'avenir demeureront vaines. Buckingham tâchera de se concilier Richelieu qui continuait à le ménager : Richelieu refusera de faire fléchir sur ce point la volonté du roi : Ni l'éloignement de Buckingham, écrit Leveneur de Tillières, ne diminuoit les affections qu'il avoit pour la reine régnante, ni ses extravagances ne l'empêchoient de croire qu'il pouvoit revenir en France et contenter sa passion. Comme il savoit que le seul moyen de l'obtenir étoit l'appui du cardinal de Richelieu, il lui fai-soit souvent des compliments par lettres, et le cardinal qui vouloit venir à bout des desseins qu'il avoit de ruiner les huguenots, les recevoit quelquefois avec grandes civilités, mais d'autres fois avec mépris. En novembre 1625, sur une nouvelle tentative que fit Buckingham, le secrétaire d'État de La Ville aux Clercs écrivait à Richelieu de la part de Louis XIII : Le roi continue dans les mêmes pensées et ne peut consentir que le duc de Buckingham vienne. Dans les premiers temps du jeune ménage royal anglais, lorsqu'une mésentente cruelle brouillera entre eux Charles Ier et Henriette-Marie, celle-ci, très malheureuse, voudra venir en France chercher quelque consolation auprès de la reine sa mère. Buckingham proposera de la laisser aller à Paris à condition de l'accompagner. Louis XIII aimera mieux refuser à sa sœur l'autorisation qu'elle demande plutôt que de revoir le gentilhomme abhorré. Mme de Chevreuse combinera avec Buckingham mille détours : M. de Lamothe-Houdancourt, évêque de Mende, grand aumônier à Londres d'Henriette-Marie, écrira à Richelieu le 2 août 1626 : Pembrock m'a dit qu'on était convenu avec Mme de Chevreuse, les dames [la princesse de Conti et autres] et les galants [Buckingham et le comte de Holland] que deux fois l'année on passeroit la mer sous prétexte de raccommoder le roi et la reine d'Angleterre et que la reine mère, dans la crainte que sa fille [Henriette-Marie] ne fût maltraitée, leur donneroit cette liberté. Comme ils jugent qu'ils pourront être traversés par le cardinal, ils songent à le perdre. Louis XIII tiendra bon. Mme de Chevreuse continuera à parler à Anne d'Autriche de Buckingham et Holland à entretenir Buckingham d'Anne d'Autriche ; les deux amoureux ne se reverront plus ! Pour beaucoup, l'attitude hostile à l'égard de la France de Buckingham en 1627, son alliance avec les huguenots révoltés et sa descente à l'île de Ré seront les effets de son dépit : Mme de Motteville insinue qu'il ne brouilla les deux couronnes que pour revenir en France par la nécessité d'un traité de paix.

 

En attendant, le dimanche 22 juin 1625, à midi, la reine Henriette-Marie, que Buckingham de retour d'Amiens était venu rejoindre à Boulogne, s'embarquait à bord du grand vaisseau anglais le Prince qui, au milieu d'une magnifique escadre de 200 navires, allait la conduire en Grande-Bretagne. D'après son contrat de mariage, le chiffre, la qualité et le rang des Français qui devaient l'accompagner avaient été fixés. Sous les ordres d'un grand aumônier, M. de Lamothe-Houdancourt, évêque de Mende, cousin de Richelieu, personnage jeune encore, ardent, qui dans une correspondance fort suivie avec le cardinal, tiendra très exactement la cour de France au courant de ce qui se passera à la cour d'Angleterre, quarante ecclésiastiques, gentilshommes, secrétaires, écuyers, valets de chambre, musiciens, médecins et une dizaine de femmes, dames et femmes de chambre français, devaient se rendre à Londres avec la jeune souveraine ; ils suivaient. A ce personnel s'ajoutaient trois ou quatre ambassadeurs ordinaires et extraordinaires : le comte Leveneur de Tillières, le comte d'Effiat, père de Cinq-Mars, le duc de Chevreuse, plus tard Brienne. On avait donné à M. de Chevreuse des instructions. Sa mission consistait à la satisfaction du contrat et à la cérémonie du mariage lequel ne devait avoir rien de religieux, c'est-à-dire de protestant. Quelques dames venaient avec les ambassadeurs ; la comtesse de Tillières, la comtesse de Sipierre, jeune femme aimable, qui mourra bientôt, très regrettée, enfin la duchesse de Chevreuse. Tout d'abord le duc n'avait pas voulu emmener sa femme ; il prétextait que la duchesse étant dans un état intéressant, devait éviter de voyager. Mme de Chevreuse avait tant prié et pleuré qu'il avait fallu lui céder. Holland ne la quittait plus.

Le vaisseau sur lequel était Henriette-Marie, un des plus grands qui se voient sur l'océan — trois étages — avait été aménagé avec tout le luxe du temps : il offrait trois salles de plain-pied ornées de tapisseries de haute lice, recouvertes d'or. Henriette-Marie craignant le mal de mer, un orchestre de luths, de violes et autres instruments délicats qu'accompagnait un chœur de belles voix, avait été embarqué pour la distraire et empêcher les incommodités du voyage. La traversée dura vingt-quatre heures. Le navire arrivé en vue de la côte anglaise, en face de Douvres, fut salué de salves de coups de canon ; les acclamations de la foule amassée sur le rivage, mêlées au bruit des trompettes et des clairons, accueillirent la nouvelle reine. Henriette descendit à terre. Elle fut reçue dans un pavillon de charpente où les parfums, les cassolettes et toutes les senteurs les plus agréables lui firent changer l'air de la mer trop grossier en une agréable douceur.

Le lendemain, à dix heures, Charles Ier arrivait : la fleur de la noblesse de son royaume l'escortoit. Le jour suivant, le nouveau ménage partait pour Cantorbéry, et de là gagnait Londres. Une épidémie décimait la ville : six cents personnes, disait-on, mouraient tous les jours. L'entrée solennelle de la nouvelle reine dans sa capitale fut brève et sans éclat. Un parlement ayant été convoqué afin de confirmer les conditions du mariage, le roi d'Angleterre donna à cette occasion un grand dîner suivi d'un bal où figurèrent M. et Mme de Chevreuse. Puis, à cause de l'épidémie, Charles Ier alla habiter son château de Hampton-Court, hors de Londres ; il avait fixé pour résidence à M. et Mme de Chevreuse le château de Richmond, à trois milles de là.

Les débuts du ménage royal anglais étaient pénibles. La première entrevue de Charles Ier avec sa femme, qui était si maigre, si chétive d'apparence, peu jolie, avait été médiocre. La jeune reine n'avait éprouvé de sa rencontre avec son mari qu'une impression attristante. Elle s'était acheminée vers Londres chagrinée, mélancolique. Charles Ier s'était irrité. Il y avait eu entre les deux époux des mots aigres. Buckingham avait envenimé les rapports en exigeant que la reine prît auprès d'elle sa femme, sa sœur, sa nièce, à la place de Françaises : les ambassadeurs de Louis XIII étaient intervenus. Parlant de son mari à M. de Tillières, la reine avouait qu'elle avoit été trompée sur lui quant à l'esprit. Elle pleurait. Buckingham lui reprochait alors son humeur, répétant qu'elle devait être gaie avec le roi, sinon qu'elle serait malheureuse. Tout s'en ressentit. Le roi d'Angleterre se mit à persécuter les catholiques comme pour se faire pardonner par son peuple d'avoir épousé une princesse de la religion romaine et d'avoir accepté près d'elle un évêque et nombre de prêtres catholiques. Cette persécution était contraire aux engagements pris avec la cour de France. La cour de France protesta. Louis XIII envoya M. de Blainville exprimer son mécontentement. Blainville fut mal reçu. Buckingham offrit de se rendre à Paris afin de régler les difficultés. Louis XIII refusa de le voir. Les violences à l'égard d'Henriette-Marie et des catholiques redoublèrent. L'évêque de Mende écrivait à Richelieu en août 1625 : On n'a pas de plus grand ennemi que Buckingham ; il tâche de mettre mal la reine dans l'esprit du roi ; la reine, d'un autre côté, ne fait pas ce qu'elle peut pour gagner le roi ; elle ne le voit point ou ne le voit que malgré elle. Buckingham est un esprit dangereux. On s'en prit aux Français qui entouraient la jeune reine : les Anglais dressèrent des réquisitoires contre eux, surtout contre les ecclésiastiques. La situation était difficile. Le gouvernement de Louis XIII, embarrassé, tergiversait, faute de pouvoir trouver un moyen efficace d'obtenir satisfaction. Richelieu mandait à l'évêque de Mende : qu'il pleuroit avec des larmes de sang l'état malheureux de la reine d'Angleterre.

Or tandis que Louis XIII ne savait que résoudre, et que ses ambassadeurs à Londres, notamment M. de Chevreuse, s'ingéniaient à trouver des accommodements, Mme de Chevreuse fournissait au roi de France, déjà importuné, bien d'autres sujets d'irritation et de colère.

Les Chevreuse avaient été bien accueillis à Londres. En même temps qu'on les installait à Richmond, on leur avait donné une demeure en ville, l'hôtel de Danemarck. M. de Chevreuse faisait l'admiration des Anglais par sa magnificence : on le voyait toujours brillant de diamants et de pierreries, ne sortant qu'avec des mulets couverts des plus belles housses qui se pussent voir. Mme de Chevreuse était très fêtée. Sa joie et son entrain plaisaient infiniment dans un milieu où les autres Français ne réussissaient guère. Le comte de Holland était toujours avec elle. Grâce aux modes de toilettes du temps, amples, étoffées, enveloppantes, la jeune duchesse dissimulait sa situation intéressante qui d'ailleurs lui seyait en donnant à sa beauté une fraîcheur et un éclat incomparable. Buckingham la fréquentait beaucoup ; à eux trois, avec Holland, ils formaient une société des plus agréable dont l'intimité s'accrut de jour en jour. On finit par jaser.

L'évêque de Mende, dans sa correspondance, accuse nettement Holland d'avoir donné part à Buckingham de ses faveurs auprès de Mme de Chevreuse : Mme de Chevreuse, écrit-il, demeure tous les jours cinq ou six heures, enfermée avec Buckingham : Holland lui a lâché sa prise. De fait, Mme de Chevreuse avouera plus tard avoir beaucoup aimé Buckingham. Sa correspondance avec Anne d'Autriche était-elle cause des assiduités du ministre anglais près d'elle, ou sa grâce, sa facilité, avaient-elles suggéré à Buckingham la fantaisie de la compter au nombre de ses passades ? Ce fut un spectacle étrange ! Holland offrait à Mme de Chevreuse de venir faire ses couches chez lui ; il ne garderait, disait-il, qu'un petit appartement pour son usage personnel dans sa maison. Mme de Chevreuse allait passer des semaines entières chez Buckingham, seule, dans sa résidence. M. de Chevreuse semblait toujours ne rien voir ni ne rien comprendre. En raison des rapports hostiles de Buckingham avec Henriette-Marie, Mme de Chevreuse n'allait presque plus chez la reine d'Angleterre ; elle vivait à l'écart des Français. Écrivant à Marie de Médicis en France, elle ne lui donnait que de bonnes nouvelles du jeune ménage royal.

Alors l'évêque de Mende, outré, dénonçait à Richelieu le scandale que causaient Mme de Chevreuse par sa conduite, et son mari par sa faiblesse : Je suis honteux, écrivait-il, des impudences de Mme de Chevreuse et de la simplicité du mari ! Il avait cherché à empêcher Mme de Chevreuse d'aller faire ses couches chez le comte de Holland : Honteux, disait-il, de ce que M. de Chevreuse ne l'étoit point [honteux], je lui ai donné à entendre qu'on se piqueroit [à Paris] si elle ne logeoit dans sa maison. C'est une farce publique et qui ne sert qu'à déshonorer l'État. Quand on eut voulu tout perdre, on n'en pouvoit choisir de pire. Le gouvernement français s'était flatté par le mariage anglais et les conditions imposées en faveur des catholiques, entre autres l'envoi d'un personnel d'ecclésiastiques à Londres, de procurer quelque avantage à la religion romaine en Angleterre : vraiment, on aboutissait à un résultat bien contraire ! Il semble, disait crûment l'évêque de Mende, que ces femmes soient venues ici pour établir des b..... plutôt que la religion ! Quant au mari, il était ridicule ! M. de Chevreuse joue ici un mauvais personnage ; mon déplaisir est qu'il sert de fable aux étrangers aussi bien qu'aux Français !

Ces rapports produisirent sur Louis XIII et Richelieu une détestable impression. Le cardinal fut d'avis de faire revenir immédiatement d'Angleterre Mme de Chevreuse. Charles Ier s'y opposa, prétextant l'état trop avancé de la jeune femme qui ne pouvait pas entreprendre un long voyage. L'évêque de Mende signalait à ce moment que la duchesse était logée chez Holland : La faiblesse du mari est si grande, disait-il, qu'on en a honte ! Il ajoutait que Mme de Chevreuse voyait beaucoup Mme de Thémines, que les deux dames avaient de longues conférences avec le ministre protestant Dumoulins, qu'elles faisaient gras publiquement les jours maigres. Voulaient-elles se faire huguenotes ? Quel exemple ! C'était intolérable ! De Paris, Richelieu, irrité, ne ménageait plus Mme de Chevreuse ; il parlait d'elle en termes méprisants : Quand elle sera de retour, écrivait-il à l'évêque de Mende, on n'aura plus besoin d'envoyer chercher des guilledines d'Angleterre, allusion aux femmes spéciales que recherchaient ceux qui couraient le guilledou. A Schomberg, il parlait d'elle en termes encore plus durs : Les Anglais qu'on appelle bouquins, déclarait-il, (on prononçait en France le nom de Buckingham : Bouquinquant) disent qu'on les peut appeler tels parce que quelques-uns ont bouquiné une de nos chèvres ! Ce billet ne sera vu, s'il vous plaît, que de vous. Mme de Chevreuse saura la façon dont Richelieu la traitait : elle ne le lui pardonnera jamais ! Dès ce moment allait s'établir entre elle et le cardinal des sentiments d'antipathie profonde dont les effets se feront sentir jusqu'à la mort du puissant ministre.

La duchesse accoucha à Hampton-Court, le château du roi d'Angleterre, d'une fille, qu'on appela Anne-Marie et qui sera plus tard religieuse, abbesse de Pont-aux-Dames. De M. de Chevreuse, Marie de Rohan n'aura que des filles : cette Anne-Marie, née en 1625 ; une Henriette, née en 1631, qui sera aussi religieuse, abbesse de Jouarre ; puis Charlotte, née en 1627, connue sous le nom de Mlle de Chevreuse et dont il sera beaucoup question plus tard. Si elle a eu d'autres enfants, ceux-là inavouables, c'est clandestinement : l'histoire n'en a pas conservé la trace !

Les relevailles faites, Mme de Chevreuse n'avait plus de raison de demeurer en Angleterre : on lui fit savoir de Paris, à elle et à son mari, qu'ils n'avaient qu'à rentrer. La mission du duc était terminée. M. de Chevreuse assurait avoir reçu la promesse formelle du gouvernement anglais que les articles du contrat de mariage seraient exactement observés. D'autre part, l'épidémie qui ravageait Londres, ne cessait pas : il était temps de regagner la France.

La cour anglaise vit avec un vif regret partir Mme de Chevreuse. Nous ne savons par où commencer, écrivait Charles Ier au duc de Chevreuse, ou par remerciement pour votre compagnie et celle de ma chère cousine votre épouse, ou par plainte de notre fortune laquelle nous ayant entretenu longtemps en espérance de jouir plus longtemps de vous et d'avoir le contentement de votre bonne compagnie en nos récréations champêtres, nous a privé de ce bien-là par l'occasion et nécessité des affaires et l'accident de la contagion. Notre chère cousine s'en retournant remporte le contentement que nous perdons par son retour, avec l'honneur, le respect, prières et toutes sortes de bons souhaits non seulement de toute notre cour, mais aussi de tous autres qui ont eu l'honneur de la voir ou qui ont ouï parler d'elle.

A Louis XIII, Charles Ier écrivait pour le remercier de lui avoir envoyé Mme de Chevreuse et faire l'éloge de la duchesse : Je souhaiterois pouvoir aussi heureusement tirer avantage du retour de notre cousine la duchesse de Chevreuse comme vous avez fait par sa venue ici, dont les grâces et perfections ont donné tant d'accroissement et de lustre à l'honneur et faveur qu'il vous a plu nous faire à moi et à ma très chère épouse, que nous nous sentons obligés d'en faire toutes les reconnaissances possibles pour une si singulière affection et faveur et ensuite du jugement dont vous avez fait choix d'une personne en laquelle nous avons trouvé tant de sujets de contentement et satisfaction : c'est ce qui me fait vous prier de me vouloir seconder à lui rendre l'honneur et les remerciements que je lui dois pour le grand honneur et félicité que nous avons reçus par elle, laquelle s'en retourne devers vous capable d'être l'ornement en tous lieux et d'estre un très digne gage de nos mutuelles affections.

Comme témoignage de sa sympathie, Charles Ier voulut nommer M. de Chevreuse chevalier de la Jarretière. Par précaution, le duc demanda à Louis XIII l'autorisation. Vous avez bien fait de ne pas accepter la Jarretière sans ma permission, lui répondait Louis XIII, le 9 juillet 1625 ; j'ai mis cette affaire en délibération avec les anciens chevaliers de l'ordre [du Saint-Esprit] : j'accorde la permission à condition que vous recevrez la Jarretière sans cérémonie de religion et hors des temples. Il n'y eut ni serment prêté ni service promis contraire à ceux du Saint-Esprit. La Jarretière fut donnée avec un beau présent de diamants.

Le 15 juillet 1625, M. et Mme de Chevreuse quittaient Londres : deux autres ambassadeurs français, d'Effiat et Brienne, revenaient en même temps qu'eux. La dernière entrevue de ceux-ci avec Buckingham eut lieu au château de Richmond. Milord, dit Brienne, je ne suis point surpris que les premières de nos dames aient conçu de l'amour pour vous. Il faisait allusion à la reine et à Mme de Chevreuse : Il m'eût été difficile d'y réussir, répondit Buckingham, car je n'étais qu'un pauvre étranger !Milord, riposta Brienne, les dames françaises font gloire de donner de l'amour sans en prendre et si quelques-unes ne peuvent pas se défendre d'en prendre, elles ne cherchent pourtant, en accordant leurs bonnes grâces, qu'à être courtisées par un cavalier qui réside à la cour et non par un étranger qui n'est regardé chez nous que comme un passe-volant. C'était une leçon ; Buckingham ne la releva pas.

M. et Mme de Chevreuse furent correctement accueillis en France : on avait besoin d'eux. Quelques bonnes raisons qu'eût Richelieu d'être irrité contre la duchesse, elle était l'amie d'Anne d'Autriche, de Charles Ier, de Buckingham : il fallait la ménager. Il se montra aimable. A Sa Majesté et à la reine [le roi et la reine d'Angleterre], écrivait Holland de Londres à Richelieu, ont été agréables les nouvelles de votre générosité envers leur cousine Mme de Chevreuse : c'est une action si noble qu'elle ajoute à votre gloire et sert à vos serviteurs ; car toute cette cour qui a été honorée de la présence et connaissance de cette dame la juge aussi bonne que belle, allant en perfection et égalité ensemble.

D'ailleurs les discussions avec l'Angleterre continuaient. Les promesses solennelles faites au duc de Chevreuse à propos de l'observation des articles du contrat de mariage anglais n'avaient pas été tenues. Les nouvelles de Londres étaient de plus en plus défavorables. Il était question maintenant de bannir de la Grande-Bretagne les Français de l'entourage d'Henriette-Marie, et Charles Ier avait signé une proclamation cruelle contre les catholiques. Pour beaucoup de raisons, le gouvernement français ne voulait pas rompre et faire la guerre ; il ne pouvait qu'essayer de négociations et, dans ce cas, le meilleur moyen afin de réparer, étoit d'y employer le crédit particulier de M. et Mme de Chevreuse. Le cardinal de Richelieu tenait au courant le duc de Chevreuse du mécontentement du roi au sujet de l'inobservation des promesses faites d'après lui par l'Angleterre ; dans un moment de colère, Louis XIII avait même reproché au duc les intelligences que lui et sa femme entretenaient en Angleterre, comme étant préjudiciables à son service et au bien de la religion : Ayant fait le mal, ajoutait-il, il vouloit qu'ils y apportassent le remède. Richelieu avait ajouté à M. de Chevreuse que comme son ami, il l'avertissoit d'y donner ordre ou qu'autrement cela lui feroit du tort. Décontenancé, M. de Chevreuse avait offert d'envoyer un de ses amis, M. de Bautru, à Londres, afin de rappeler au gouvernement anglais ses engagements. Bautru était parti : il avait expliqué à Charles Ier qu'on imputait à M. et Mme de Chevreuse ce qui se passait en Angleterre et que, si les choses ne s'arrangeaient pas, la duchesse pourrait être obligée de quitter la cour : de la part de Mme de Chevreuse il engageait Buckingham à venir en France afin d'arranger lui-même les difficultés. L'effet de la démarche fut l'envoi de Holland et de Carlton à Paris afin de discuter : c'était au moins un résultat.

Or pendant qu'il utilisait ainsi M. de Chevreuse en Angleterre, Richelieu cherchait à se servir de la duchesse auprès de la reine Anne d'Autriche et de Gaston, frère du roi. Parlant de ces tentatives, La Rochefoucauld avouait que le cardinal, averti des sentiments antipathiques que Mme de Chevreuse avait rapportés de Londres contre lui, ne se fiait guère à elle ; Richelieu avait raison : la suite allait cruellement le lui démontrer !