RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

TOME QUATRIÈME. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE (SUITE).

LIVRE V. — ADMINISTRATION COMMUNALE.

CHAPITRE V. — ÉDILITÉ, POLICE LOCALE ET HYGIÈNE.

 

 

I

Ordre matériel : Les rues, alignements, travaux publics, constructions urbaines privées en province et à Paris. — Le gouvernement les interdit ; ses vains efforts contre l'extension des villes. — Agrandissements de la capitale sous Louis XIII. — Promenades publiques. — Soins de propreté ; balayage et nettoyage ; égouts défectueux, causes d'insalubrité. — Pavage et éclairage. — Eau et incendies.

La ville, sous son aspect moderne, est, on le sait, de création toute récente ; née informe, sale et nue, et pauvre naturellement, dans le plein du moyen âge, elle a depuis lors changé de peau quatre ou cinq fois. La ville primitive n'était pas faite pour plaire, mais pour protéger, c'était une armure, non un vêtement de luxé ; le château fort des gens qui n'avaient pas de châteaux forts. Issue d'un besoin, elle dut répondre à ce besoin : on y institua la garde nationale avant d'y creuser des égouts, on y fit des murailles plutôt que des trottoirs. Sûreté primait commodité. La ville gothique, celle de la Renaissance, n'étaient pas inorganisées, seulement elles avaient d'autres organes que la ville de Louis XV ou la ville contemporaine. Ces organes, ces services publics de jadis, ayant pour objet des nécessités matérielles ou morales, ont cessé de fonctionner quand ils ont cessé d'être utiles. La municipalité urbaine de Henri IV réglementait beaucoup de choses qui aujourd'hui demeurent libres pour les habitants ; d'autres choses au contraire sont aujourd'hui réglementées, qui autrefois ne l'étaient pas. Outre l'influence des besoins, il y a l'influence des mœurs qui a grand rôle dans la disposition de ces suites de maisons qu'on appelle des rues, aussi bien que dans la structure isolée de chaque demeure. Le luxe public revêt les mêmes formes que le luxe privé. Aux temps féodaux, le luxe privé ce sont quelques beaux meubles, quelques riches pièces d'orfèvrerie, épars en des salles vides, sombres et mal aérées ; le luxe public c'est une église magnifique, aux vitraux irradiés, un hôtel de ville au beffroi audacieux, au milieu d'un tas de ruelles sans nom, puantes, boueuses, lugubres. Quand chacun se mit à changer l'aménagement et l'ornementation intérieure de son domicile, la cité, ce domicile commun, dut prendre une autre tournure : on la purgea de sa crasse, on obligea les rues à se tenir droites, on leur rendit l'air et le soleil, — ces biens que le citadin, depuis plusieurs siècles, avait perdus.

Tout cela fut l'œuvre du dix-huitième siècle, de la seconde moitié du dix-huitième siècle surtout, époque d'un progrès matériel plus général et plus vif qu'on n'en avait jamais vu. C'est alors seulement que l'on s'avisa, dans tel chef-lieu de province, de supprimer, par extinction, ces gargouilles antiques qui tout à coup jettent un grand volume d'eau sur les passants, que l'on enjoignit à tel particulier de démolir, pour le reconstruire à neuf, le pignon de sa maison, coupable de n'être point dans un juste alignement, et de déroger à la décoration qui doit se trouver en ville. De semblables ordonnances eussent paru simplement inouïes sous Louis XIII, où le Roi prenait la peine de rendre une déclaration (1630) pour défendre aux bouchers de la cour d'établir leurs échoppes dans la rue de l'Arbre-Sec, mû, dit-il, par la considération que cet embarras, outre qu'il ôte l'embellissement d'une des plus grandes rues de notre ville, nous incommode encore en notre particulier, tous les princes, seigneurs, ambassadeurs, devant passer par ladite rue pour nous venir trouver dans le Louvre, dont elle est la principale avenue. Cette même année, le marquis de La Force écrivait de Hollande à sa femme : A Harlem il y a plusieurs rues avec un canal au milieu, trois fois aussi larges que la rue Saint-Antoine. Le canal fait la moitié de la largeur ; de disque côté est une rangée d'arbres comme des allées ; presque toutes les maisons sont pavées de marbre[1]. Quel contraste entre ces Pays-Bas, riches, confortables et bien tenus, et la mesquine France d'alors, et combien nos pères devaient les envier ! Ici, le gouverneur de Paris, en sa qualité de bailli du palais, et les trésoriers de France ou commissaires à la voirie, chargés de a donner les alignements n que personne ne veut prendre, ont fort à faire pour obliger les marchands à ne pas mettre des comptoirs, établis, coffres ou tiroirs sur le pavé, devant leur maison en guise de montres, pour les empêcher d'intercepter complètement la circulation, de cacher malicieusement leurs voisins, ou de pendre des toiles et serpillières plus bas que deux mètres au-dessus du sol. Tout riverain déborde et tend à s'approprier la rue, il y laisse sa charrette, son bois, ses détritus quelconques ; le passant, au contraire, s'y aventure timide, il y est traité en intrus.

C'est la lutte sourde de l'intérêt privé contre l'intérêt public, l'effort perpétuel de chacun pour s'agrandir aux dépens du commun, le mur qui fait indûment saillie... ; il faut ordonner sans cesse que la place... ou la cour... reprendra sa largeur, qu'on abattra telles et telles constructions subrepticement élevées, vraies verrues de pierre ou de bois poussées sans que l'on s'en aperçoive. A Lyon, dit un voyageur, la plupart des fenêtres ne sont que des châssis de papier, qui se haussent et se baissent comme des auvents, par dehors, avec des ficelles. La pente des toits va se joindre avec celle de la maison voisine, puis l'eau est portée par de grandes gouttières de bois qui s'avancent jusques au milieu de la rue, ce qui est fort incommode aux épaules de ceux qui cheminent lorsqu'il pleut, et très laid à voir. L'autorité municipale ne peut avoir égard à semblables délicatesses ; elle a bien assez à faire, à Toulon, de défendre d'écorcher les pourceaux dans les rues ; à Issoudun, d'interdire l'entretien, aux fenêtres des chambres hautes, d'aucuns jardinets, pots d'œillets ou marjolaines, de peur que, par la chute d'iceux, il n'en advienne inconvénient ; à Amiens, d'obliger à faire en briques ou en pierres les façades des maisons et les murs mitoyens, que l'on construisait jusqu'alors en bois, latte et boue, système éminemment favorable à la propagation de ces incendies immenses qui détruisaient les trois quarts d'une ville, comme on le vit à Briançon en 1624[2]. Elle intervient pourtant, cette autorité municipale, en des matières où l'initiative individuelle, est souveraine aujourd'hui : les enseignes par exemple, si importantes, puisque c'est par elles que l'on désigne les maisons — où l'idée n'est pas venue encore de mettre un numéro — doivent être approuvées par les consuls. Ceux de Nîmes en font arracher une, parce que le commerçant n'avait pas demandé l'autorisation de la placer. Les échevins se montrent d'ailleurs assez bons princes, si l'on en juge par la joyeuse liberté dont témoignent ces appellations ou ces peintures — armoiries et cris de guerre du tiers état marchand — que n'arrête pas un pieux calembour : Le cygne de la Croix, ou A Singe en batiste, celle-ci représentant un gorille, habillé à l'espagnole, avec une large fraise empesée[3].

L'avènement d'un pouvoir absolu, dans le domaine de la politique, et les modifications qui en furent la conséquence dans les assemblées communales, a-t-il contribué à l'amélioration matérielle des villes ? Nous ne le pensons pas. Non que ce pouvoir, qui s'était chargé de tout, n'ait fait bien certaines choses, ni qu'il ne fût, par nature, ami de la règle et du bel ordre extérieur — Louis XIV ne cessa d'en donner la preuve dans les moindres terrassements et remuages de pierres où il mit la main, il fit de Versailles une cité modèle ; — mais le mouvement de rénovation urbaine fut éminemment spontané, comme tous les faits économiques. Sous Richelieu, le gouvernement n'en soupçonnait pas l'étendue future ; il s'en fût effrayé ; déjà il s'y montrait hostile. Le cardinal, dans un discours aux Parisiens, déclarait que la capitale (qui avait à peine le neuvième de sa superficie actuelle) demeurait digne de l'admiration d'un chacun comme la huitième merveille du monde. Et il pensait à coup sûr qu'elle avait atteint son apogée : Les rois nos prédécesseurs, dit Louis XIII en 1627, reconnaissant que l'augmentation de notre bonne ville de Paris était grandement préjudiciable, ont souvent fait défense de bâtir dans les faubourgs, et nous avons depuis quelques années continué les mêmes défenses, au mépris desquelles un grand nombre de personnes ne laissent d'y entreprendre plusieurs bâtiments, ce qui nous a fait résoudre d'y pourvoir par nouvelles défenses, et sur de plus grandes peines, afin de retenir chacun dans l'obéissance. En conséquence on interdisait, non-seulement de construire hors des portes, mais même dans l'intérieur de la ville en aucune place nouvelle, si ce n'est pour refaire les maisons qui s'y trouvent faites de vieille date, sans s'étendre. Ordre aux trésoriers de France d'y tenir la main, aux échevins d'y avoir l'œil et sous peine pour les ouvriers de quinze cents livres d'amende à ceux qui les pourront payer, et du fouet aux autres.

Dix ans après, on renouvelle les mêmes prohibitions à l'instigation du prévôt des marchands et de ses échevins : a Plusieurs personnes, gémit un arrêt de conseil d'État, par un désordre extraordinaire, se sont jetées dans la dépense des bâtiments aux faubourgs et environs de Paris, et ont fait construire des maisons jusque dans la campagne, ce qui a rendu la ville plus susceptible de mauvais air et l'accroît insensiblement, de telle sorte qu'il sera dorénavant difficile d'en pouvoir vider les immondices, outre que la quantité des logements qui se continuent aux faubourgs attire une infinité de personnes de la campagne, qui font enchérir les vivres, donnent lieu au dérèglement de la police, aux meurtres et larcins qui se font impunément de jour et de nuit... attendu que l'intention de Sa Majesté a été que sa ville de Paris fût d'une étendue certaine et limitée dans laquelle les bourgeois eussent à se contenir... ; le Roi en son conseil voulant réprimer la malice que les habitants de Paris et autres prennent de construire des maisons, tant à l'intérieur de l'enceinte que dans les faubourgs, aux lieux où jusqu'à présent il n'a été fait aucun édifice, sur les terres qui servaient précédemment à l'agriculture, pour les légumes, herbages et menus fruits nécessaires à la nourriture de la ville, ce qui rendrait à la longue les bourgades désertes, au grand préjudice des affaires de Sa Majesté et du public, s'il n'y était donné ordre... ; — un autre arrêt insistait, six mois après, sur ce qu'une plus grande tolérance à laisser ainsi bâtir causerait la ruine des meilleures villes de ce royaume ; — par ces motifs, il était de nouveau défendu de bâtir, même dans Paris, et cette fois sous la menace de trois mille livres d'amende, avec injonction à qui de droit de faire démolir les nouvelles constructions[4].

Mais personne, il faut l'avouer ; ne parait prendre garde à ces ordonnances réitérées, pas même le prévôt des marchands qui les avait sollicitées, puisque nous le voyons, assisté de M. du Cambout, propriétaire de vastes terrains sur la rive gauche, traiter avec un entrepreneur pour un prolongement important de la rue Dauphine ; pas même le Roi qui les avait rendues, puisqu'il autorise la vente de l'hôtel de Nevers — dit anciennement hôtel de Nesle — lequel ne produit aucun revenu et est un très grand fonds d'héritage, afin d'élever sur l'emplacement de ses cours et de son parc diverses constructions publiques et privées. Après avoir énuméré, en 1638, les maux incalculables qu'occasionnaient les nouvelles bâtisses, l'État crut cependant devoir, en 1639, pourvoir à la construction d'un nouveau faubourg du côté de la porte Saint-Honoré, nécessaire comme étant l'abord de la province de Normandie. La paroisse de la Ville-l'Évêque, qui n'était séparée de la nouvelle clôture que par le fossé (la rue Royale d'aujourd'hui), fut élevée au rang d'annexe officielle de la capitale, et on engagea les habitants à bâtir a le long du grand chemin qui traversait cette paroisse (faubourg Saint-Honoré actuel), et qui allait au village du Roule, jusqu'à l'égout qui fait la décharge des eaux de Paris[5].

Déjà la ville venait de voir reculer ses limites jusqu'à une enceinte nouvellement décrétée, qui, partant de la porte Montmartre, allait rejoindre la porte Saint-Honoré, et suivait la ligne de nos grands boulevards contemporains. Deux importantes artères de la banlieue de 1630, les rues Saint-Honoré et Montmartre, furent ainsi enclavées dans l'intérieur, mais le quartier qui s'étendait de l'une à l'autre ne se peupla que sous Louis XIV. Nul ne se doutait que la ville était destinée à se doubler du côté de l'ouest, en ce temps où Marillac écrivait à Richelieu : M. le marquis d'Effiat est allé se baigner à Chaillot, d'où j'espère qu'il reviendra demain.

S'il était impossible au pouvoir public d'empêcher de bâtir, où il leur plaisait, ceux qui en avaient la volonté, il ne lui était pas facile de forcer à bâtir ceux qui ne paraissent pas s'en soucier. Quand Richelieu quitta son logement de la rue des Mauvaises-Paroles pour s'installer au Palais-Cardinal, il se trouvait au milieu d'un désert. Les particuliers qui avaient acheté les terrains autour de son parc, en bordure de la rue nouvelle, dite de Richelieu — d'assez minces personnages en général : un juré-maçon, un maître charpentier, un orfèvre — étaient tenus, par leur contrat d'acquisition, à construire ou du moins à élever des murs pour soutenir les terres, afin de mettre ladite rue à hauteur compétente. En effet, elle était beaucoup plus haute du côté du rempart (le boulevard Montmartre d'à présent) que du côté de Paris. La différence de niveau était telle que cette rue, non pavée encore en 1640, était impraticable et les rares maisons, bâties du côté de la porte Richelieu, inaccessibles. Et l'on ne parvenait pas, malgré des injonctions répétées, à faire utiliser les terrains par leurs propriétaires[6].

Pour les travaux d'édilité à effectuer dans la capitale, le gouvernement n'était pas moins embarrassé : la construction d'un pont exige des négociations infinies. En 1621, un incendie détruisit le Pont-aux-Changeurs et le pont Marchand, tous deux en bois, qui allaient de l'église Saint-Leufroy aux rues qui aboutissaient à l'horloge du Palais de justice ; on passa dix-huit ans en pourparlers avant de prendre un parti. En 1639, le Roi concéda aux propriétaires des Cent-une forges, autrefois établis sur le Pont-aux-Changeurs, la permission d'en faire un autre avec piles de pierre et plancher de bois, aucun ouvrage ne devant être si bien reçu, ni plus utile au public ; mais les orfèvres du quai et les possesseurs de l'ancien pont Marchand, qui ne voulaient pas en voir reconstruire d'autre que le leur, s'empressèrent de faire opposition à cette concession, et offrirent d'en édifier un tout en pierre, moyennant la propriété incommutable de leurs arches et le droit d'y élever des maisons. Presque tous les ponts de Paris étaient en effet des biens particuliers : tel, le pont Rouge, construit en 1632 et emporté plus tard par les glaces, après avoir craqué trente ans, qui allait de la galerie du Louvre à la rue de Beaune ; le financier qui en avait fait les frais s'indemnisait par un péage qu'il percevait à son profit. Même situation au Pont-au-Double, que les administrateurs de l'Hôtel-Dieu avaient jeté, à leurs risques et périls, sur le petit bras de la Seine. L'État veut-il construire un quai en face de Notre-Dame, il fait cadeau du terrain au marquis de Gesvres, à la condition de bâtir en ménageant des rues transversales, dont la largeur moyenne sera de quatre mètres[7] ! S'agit-il de rendre habitables les fies Saint-Louis et Louviers qui appartiennent au chapitre de la cathédrale, le Roi doit commencer par les payer aux chanoines 50.000 livres, tout en leur laissant le droit de justice et de seigneurie, puis il traite avec un entrepreneur qui s'engage à faire des maisons de rapport toutes de la même symétrie, et à verser au Trésor une somme de 30.000 livres ; il jouira en retour : de la perception d'un droit de barrage sous les ponts et d'un droit de péage dessus, du privilège de maîtrise pour tous les artisans qui s'établiront dans l'île, du bénéfice d'un jeu de paume, d'un établissement de bains, de douze étaux de bouchers, de boutiques de rôtisseurs et de bateaux de lessive sur la Seine[8].

La confection du moindre ouvrage d'intérêt général, le percement ou la suppression d'une ruelle, donne ainsi au gouvernement plus de tracas que la construction du Luxembourg ne cause de soucis à la Reine mère, ou celle de la Sorbonne au cardinal. Ces derniers monuments que le peuple de Paris vient considérer avec grande affluence, non moins que les hôtels élevés par les gens d'affaires ou les grands seigneurs, dans les divers quartiers de la capitale, depuis celui de Zamet sur l'emplacement de l'hôtel Saint-Paul, au Marais, jusqu'à celui du maréchal de l'Hôpital, à l'angle du rempart et de la rue du Temple, depuis la maison de Le Bret, le conseiller d'État, au faubourg Saint-Victor, jusqu'à celle de mademoiselle de Neuville, au coin des rues du Bac et de Grenelle, tous ces bâtiments, dont la plupart sont en belle pierre de taille blanche, donnent au Paris de Louis XIII un aspect qui ne manquerait pas d'attrait si, dit un étranger, beaucoup de ses rues n'étaient les plus sales, et par suite les plus puantes que j'aie vues de ma vie dans aucun pays[9].

Le citadin actuel qui voit, en toute saison, son trottoir, sa chaussée soigneusement balayés, qui crie à la moindre odeur échappée d'une bouche d'égout et proteste contre un rationnement provisoire de l'eau d'arrosage, ignore au prix de quels efforts la société qui l'a précédé a transformé ces villes cloaques d'il y a deux cents ans, remplies d'ordures et d'immondices dont procèdent les maladies contagieuses, en une maison bien ordonnée où le ménage se fait chaque jour sans que le maître puisse à peine s'en apercevoir. Voies fangeuses, eaux croupissantes, viviers stagnants, sales tueries, nuées de pauvres déguenillés, malsains, se démenant aux porches des églises, tel est Rouen. Toulouse, au contraire, qui dépense 3.600 livres pour l'enlèvement des boues, a huit tombereaux destinés à cet usage et défend à ses habitants de jeter autre chose dans les rues que les balayures. Ce n'était pas une défense injustifiée. En Provence, on est plus tolérant : permis à chacun de vider les vases de nuit par la fenêtre, mais seulement après dix heures du soir ; à Avallon, il n'est imposé aucune limite d'heure pour cette opération, on est seulement tenu, avant d'y procéder, de faire entendre cet avertissement préalable : Gare l'eau ! sous peine de contravention, usage encore en vigueur au dix-huitième siècle. A Dijon, dit une Gazette satirique de 1632, les règlements publics sont si bien observés qu'on n'y voit point de boue, si ce n'est pendant dix mois de l'année et quelques jours ; le conseil communal d'Autun a décidé qu'une demi-heure avant le jour on mettrait les pourceaux hors des étables, afin d'enlever les saletés qui se font par les rues faute de latrines ; ceux de la ville et les étrangers devant en recevoir un double profit. Mais la plaisanterie ne dépasse pas la réalité : à Bourg, à Issoudun, on ordonne aux bourgeois de nettoyer les ruettes, devant leurs maisons, pour le dimanche. Ici, on défend de mettre de la paille dans les rues pour la convertir en fumier ; ailleurs on menace de la confiscation de ce fumier ceux qui en feront des tas susceptibles d'obstruer le passage[10].

Prière également aux habitants de faire leurs aisances de nature ailleurs que sur les voies publiques, et à tous propriétaires d'avoir des privés et chambres aisées dans leur maison, afin que, à défaut de ce, les rues ne soient empuanties !... Menace aux récalcitrants de la saisie de leur immeuble. Une pareille rigueur pourrait mener loin si on l'appliquait dans le Midi : Aix, conte un voyageur, a seulement ce défaut-ci : que l'usage des fosses de privés n'y étant point reçu, il faut aller faire ses affaires sur les toits des maisons, ce qui empeste fort les logis et même toute la ville, principalement lorsqu'il pleut, l'eau entraînant dans les rues toute cette ordure, de sorte qu'il fait fort mauvais cheminer en ces temps-là ; aussi dit-on qu'à Aix, il pleut m..., comme aussi à Marseille et à Arles. Le public parait prendre assez gaiement sou parti de ces petits inconvénients ; de leur côté, les administrations communales se montrent fort chiches dans l'ouverture de crédits pour le nettoyage, c'est là une dépense si peu intéressante. On proclame à son de trompe : Qui voudra prendre la purgation et nettoiement de la cité ? mais le prix offert est trop bas, il ne se présente personne. C'est le cas, même à Paris, pour le faubourg Saint-Germain où l'on proposait 7.000 livres. Il est vrai qu'au besoin on use du droit de réquisition : quand les rues sont encombrées de glace et de neige, il est loisible aux bourgeois de la faire charger sur les charrettes qui passeront à vide pour sortir de Paris, avec ordre aux charretiers de la porter à la campagne. La taxe du balayage, dans la capitale, était exigible des propriétaires, d'avance et par trimestre, mais la recouvrer n'était pas facile. C'était à qui se déchargerait des emplois de commissaires des boues ou des lanternes, et quant à l'arrêt du parlement qui permettait de contraindre les non payants par la vente de leurs meubles, qui se ferait sur-le-champ et sans délai, au bout de la rue, personne ne le prenait au sérieux[11].

Même difficulté pour le pavage, pour l'éclairage, pour les eaux, pour chaque dépense commune à laquelle tout le monde cherche à se soustraire. En province, les habitants devaient faire paver la chaussée devant leur maison ; tels riverains font remarquer, à Nevers, qu'il est inutile de paver leur rue, attendu que ce n'est à proprement parler qu'un égout, et le plus considérable de la ville, recevant les immondices de plusieurs quartiers. Le prix du pavage ayant augmenté des deux tiers à Paris, depuis l'établissement de la taxe — il coûtait, en 1640, 37 sous le mètre carré, il coûte six fois plus aujourd'hui —, la plupart des voies de communication étaient dans un fort piteux état. L'étroite bande de pavé qui garnissait le milieu des routes de banlieue possédait de si belles fondrières, que le carrosse de Richelieu versa un jour à l'entrée du faubourg Saint-Antoine. A la suite de cet accident, le cardinal demanda à un intendant des finances d'avancer 10.000 écus pour faire paver le faubourg ; celui-ci, ayant prétexté n'avoir point de fonds, fut exilé à Bourges et dut, pour obtenir son rappel, implorer, si l'on en croit Tallemant, son pardon à genoux, avouant qu'il avait perdu le sens, que ç'avait été un aveuglement. A la fin, les propriétaires des terrains en bordure se chargèrent de cette dépense, à la condition qu'on leur permit de bâtir comme au faubourg Saint-Honoré, et la chute de la voiture ministérielle peupla ainsi le faubourg Saint-Antoine[12]. A l'intérieur de la capitale, il était pourvu, jusqu'en 1637, à l'entretien du pavé au moyen d'un prélèvement de 120.000 livres sur l'octroi — dépense prévue pour 20 millions environ au budget parisien de 1889. — A partir de cette date, les frais de cette nature furent payés par un impôt levé sur les bourgeois, e comme étant chose qui tourne à leur particulière commodité a ; chaque quartier centralisa ses ressources et les employa à sa guise, sans qu'il pût y avoir jamais un entrepreneur général pour toute la ville. L'État et l'administration municipale continuèrent à pourvoir, chacun de son côté, au pavage de certaines places et rues expressément déterminées[13].

Pour l'éclairage, c'est une idée qui ne vint pendant longtemps à personne que de faire brûler, aux frais de la communauté, des lanternes dans les voies urbaines, pas plus que nous n'imaginerions aujourd'hui de placer des becs de gaz le long des grandes routes, dans la campagne. On se borne, aussi bien à Paris qu'en province, à interdire de sortir sans chandelle après huit ou neuf heures du soir ; et si l'on oblige le citadin à ne pas parcourir les rues sans avoir lumière en main, c'est uniquement pour obvier à une infinité de larcins commis par ceux qui se promènent pendant la nuit. En cas d'alarme, on recommandait aux bourgeois d'allumer du feu à leurs fenêtres. Quand on inaugura, vers la fin du règne de Louis XIV, ces réverbères garnis de grosses chandelles de quatre à la livre, — éclairage modeste qui revenait annuellement à cinquante mille livres, tandis que celui d'aujourd'hui dépasse huit millions de francs — il fallut, pour protéger ces bienfaisants ustensiles contre la malice populaire, édicter la peine des galères contre ceux qui les briseraient[14].

La canalisation des eaux, bien qu'embryonnaire, était néanmoins plus avancée ; cependant le titre d'intendant des fontaines publiques de Paris, conféré à un sieur Francini, en 1623, eût fort ressemblé à une sinécure s'il n'y avait joint la surveillance des grottes, aqueducs et artifices d'eau des résidences royales. L'eau de la Seine et celle des puits publics ou privés défrayaient une notable partie de la population ; la seule concurrence qui lui fût faite encore venait des sources de Belleville, des Prés-Saint-Gervais et de Rungis (près Berny), cette dernière récemment captée par une conduite de cinq pieds de diamètre. On l'emmagasina dans un réservoir, au coin de la rue Saint-Honoré et de la rue actuelle du Pont-Neuf, mais le long de son parcours, la conduite avait perdu, au profit de divers privilégiés, plus des quatre cinquièmes de son débit ; elle ne mesurait plus que onze pouces[15]. L'État avait de plus vastes projets : il fut sérieusement question (1631) de creuser un grand canal, branché sur la Seine au bastion de l'Arsenal, qui aurait enveloppé Paris en suivant le tracé de nos boulevards actuels, et eût rejoint le fleuve à peu près vers la place de la Concorde. Richelieu demanda au prévôt des marchands si le canal était possible, si on pourrait lui donner assez de pente. Nous ne savons ce qu'on lui répondit, mais l'affaire n'alla pas plus loin que la signature d'un traité très-compliqué, par lequel l'entrepreneur s'engageait à construire, outre le canal destiné à porter bateaux chargés de marchandises, un égout de quatre mètres de large, voûté à la hauteur compétente, avec un trottoir pour le nettoyer plus facilement, et des regards de distance en distance afin de donner de l'air et remédier aux engorgements[16].

Les petites cités et même les grandes, quand elles ne disposaient pas d'une source susceptible d'être aisément distribuée dans leurs fontaines, se bornaient à veiller au curage des rivières, mares et puits de leur juridiction. Des commissaires sont préposés à l'entretien de ces puits communs, souvent dotés du maximum d'élégance auquel il soit donné à un puits d'atteindre : Nevers dépense dix-huit livres pour dorer le fer d'un des siens. Si le feu prend, le mieux pour les propriétaires est de se soumettre aux décrets de la Providence. Ordonner à chacun de tenir auprès de sa porte pendant l'été au moins un seau d'eau, ou répartir, entre divers habitants qui devront les représenter en cas d'incendie, une trentaine de seaux de cuir bouilli, sont de louables mais inefficaces mesures contre le fléau. Non que la bonne volonté manque, au contraire : les flammes apparaissent-elles en quelque coin de la ville, aussitôt les cloches de toutes les églises de sonner à qui mieux mieux, si bien qu'on ne sait de quel côté diriger les secours. Pour obtenir que le tocsin ne soit mis en branle que dans le quartier où l'incendie s'est déclaré, les marguilliers sont rendus responsables, sous peine d'amende, des excès de zèle qui seraient commis dans leurs paroisses respectives[17].

Dans ces villes aux malpropres impasses, aux étroits carrefours, sans air ni soleil, d'immenses parcs privés, dont le prix infime du sol urbain autant que leur condition d'immeubles inaliénables maintiennent l'existence, formaient des oasis de verdure, remplacées aujourd'hui par nos squares et les arbres de nos avenues. Après le Luxembourg et les Tuileries, au bout desquels la Reine allait chaque jour faire collation au jardin de Renard, après les prairies et les quinconces du Palais-Cardinal, contigus à ceux de l'hôtel La Vrillière, plus modestes que ces rendez-vous aristocratiques, accompagnement indispensable d'une riche demeure, étaient les parcs des couvents : Chartreux, Célestins, Saint-Victor, Sainte-Geneviève, pour ne citer que les plus spacieux et les mieux entretenus. Les honnêtes gens ont un libre accès sur leurs terrasses plantées, incomparables de longueur et de largeur, qui tiennent lieu de promenades publiques[18].

 

II

Ordre moral : Police municipale, sur quoi elle porte. — Son caractère socialiste. — Prescriptions anciennes qui ont disparu ; obligations nouvelles, inconnues jadis. — Vagabondage. — Diverses autorités chargées du maintien de l'ordre ; parlements, lieutenants généraux. — Police parisienne.

Si les phalanstères municipaux ne s'occupent pas de procurer à leurs membres la satisfaction collective de besoins ou de fantaisies qui paraissent, à nos yeux modernes, partie intégrante de l'existence urbaine : eau et nettoyage, pavé et clarté nocturne, jardins communs, etc., ce n'est pas qu'ils soient arrêtés par le caractère socialiste de jouissances obligatoires, procurées aux citoyens avec leur propre argent, au moyen de l'impôt. Le socialisme n'avait rien qui effrayât nos pères, tant qu'il ne dépassait pas les limites de la cité. Pour eux, l'intérêt général ce n'est que l'intérêt communal ; seulement ils n'hésitent pas à préférer, en toutes choses, cet intérêt à la liberté individuelle. La communauté, c'était la famille agrandie ; mais dans la famille la fusion des intérêts accompagne l'union des individus. Où le socialisme commence, c'est lorsqu'on fait fusionner de force des personnes dont les intérêts sont différents ou hostiles, tels que les citoyens d'une grande ville ou d'un État. Dans chacun de ces groupements d'individus, isolés géographiquement, politiquement et même socialement, que représente l'Europe des temps féodaux, le socialisme local était né tout seul, non par la pratique d'une doctrine, mais par la naturelle juxtaposition des intérêts identiques, en chaque morceau de territoire.

C'est ce qui a permis à l'ancienne police urbaine de se montrer si absolue, si empiétante, si vexatoire même, semble-t-il, sans choquer, mieux encore, à la grande satisfaction de ceux auxquels s'adressaient ses arrêtés. L'immixtion du pouvoir public local dans la vie privée avait été plus grande, les mailles de ce communisme avaient été plus serrées, au moyen âge, qu'elles ne l'étaient au dix-septième siècle. En 1253, par exemple, une ordonnance du maire de Limoges interdit toute visite chez les accouchées avant leur rétablissement ; elle défend d'envoyer, à l'occasion des naissances, des gâteaux, oublies ou autres friandises. On ne trouverait pas la pareille sous Louis XIII. L'autorité municipale tranchait encore, en des pays voisins, des matières qu'elle n'eût osé aborder en France ; on n'apprend pas sans rire, de notre ministre en Danemark, qu'à la porte de l'hôtel de ville de Copenhague sont pendues deux mesures types : l'une est l'aune du pays, l'autre la mesure que doit avoir un homme pour ne pouvoir être convaincu d'impuissance[19]. Parmi les ingérences dans le domaine des affaires particulières que se permettent, chez nous, les conseils de ville, on peut citer les maxima sur la vente de certaines marchandises : ils fixent le profit que doivent faire les cabaretiers sur le vin et les brasseurs sur la bière ; ils imposent au bourgeois l'illumination de sa maison, les jours de réjouissance publique, le choix du médecin qui le soignera, ainsi que le prix de ses visites, l'emploi de tel barbier qui le rasera, de tel maréchal qui ferrera ses chevaux et d'autres artisans nécessaires. Ces obligations s'expliquent, elles ont leur contrepartie ; sans cette clientèle garantie, le médecin, le barbier ou le maréchal ne seraient pas venus s'établir dans la commune, ou y exercer leurs talents à jour fixe ; ils ne raseraient pas ou ne médicamenteraient pas les pauvres gratis, comme ils s'engagent souvent par contrat à le faire, ce qui indirectement soulage la communauté ; ils seraient en droit d'élever leurs prétentions d'une façon fâcheuse, s'il survenait une épidémie. Tout cela a été considéré, et si les habitants perdent sur quelques points leur liberté, ils y trouvent des avantages. La preuve, c'est que de pareils traités n'existent que dans les localités minimes, et qu'ils disparaissent presque partout au dix-huitième siècle, quand, la concurrence devenant possible, le monopole devint onéreux[20].

Mêmes procédés, mêmes souples combinaisons, inspirés par les forces de chacun et les circonstances, dans les mesures de police prises à l'égard de tout voyageur inconnu, qui naturellement est suspect. Le capitaine de Saint-Malo, tenant le livre des étrangers qui passent en cette ville, est invité à veiller exactement à ce que leur nombre n'excède pas l'ordonnance. Le nouveau venu à Poitiers, à la Rochelle, est obligé de dire d'où il vient, le motif de son séjour, de subir toute une inquisition de vie et mœurs, et de partir dès que ses affaires sont faites. On se méfie des puissants : Plusieurs seigneurs, dit un arrêt du parlement de Toulouse, se rendent dans les villes pour y contrecarrer l'autorité des consuls ; ordre à eux de rentrer incontinent dans leurs châteaux, sous peine de voir leurs demeures rasées et leurs bois dévastés. On se méfie plus encore des vagabonds, caïmans et va-nu-pieds qui vivent concurremment de la charité et du vol ; contre eux les villes ont leurs chasse-coquins, le carcan et la fustigation en cas de récidive ; contre les femmes de mauvaise vie, elles décrètent des bannissements en masse : Paris embarque pour le Canada les filles publiques et les sujets vivant de la prostitution, saisis dans de vastes rafles — relégation sommaire, mais suivie de peu d'effet. La cité riche, dont les abords sont infestés de brigandage, s'impose la dépense d'une compagnie de cavalerie qu'elle lève et solde à ses frais pour favoriser le passage des marchands, voituriers et autres le long du grand chemin ; la commune faible et pauvre coule doux, il ne se passe presque pas une année où elle ne donne quelque argent à des troupes de bohémiens pour leur passade, ou pour éviter de les loger. Le capitaine de ces Egysiens délivre fort régulièrement quittance de cette gratification obligée[21].

Accueilli, le voyageur doit se soumettre aux règlements que la prudence a suggérés aux administrations locales. Ordre de remettre en arrivant vos armes à votre hôte qui ne peut vous les rendre qu'au moment du départ. Défense à quiconque de sortir la nuit après l'heure frappée, et aux aubergistes de recevoir personne après ladite heure. Pour être sûr que l'hôtelier saura empêcher son client de courir le pavé hors du logis, on le rend responsable des méfaits que ce client pourra commettre. D'ailleurs, si nous ne sommes pas aussi féroces qu'en Italie où, d'après un de nos compatriotes, on épie fort les étrangers, et où les Juifs et les Turcs sont enfermés chaque soir à la clef dans leurs maisons, nous avons des chaînes à l'entrée de presque toutes les rues et sur les rivières ; la population s'endort plus tranquille quand elle les sait tendues[22].

La police communale qui, dans l'ordre matériel, est assez rudimentaire, puisqu'elle interdit faiblement de laisser vaguer des pourceaux par la ville, ou d'en nourrir depuis le mois d'avril jusqu'au mois de septembre, qu'elle proteste sans succès contre l'élevage des moutons à domicile et contre l'envahissement des rues par les ouvriers de tous états qui installent, pendant l'été, leurs établis devant leur boutique, se montre au contraire fort rigoureuse dans l'ordre moral. Ce ne sont pas seulement les bateleurs qui ont besoin pour jouer des farces et faire tirer des blanques[23], de la permission du maire — permission que les comédiens doivent généralement acheter par une aumône à l'hôpital de l'endroit —, ce sont aussi les divertissements privés sur lesquels s'exerce la surveillance paternelle du magistrat. Nevers ferme d'autorité la maison d'un joueur de banque où plusieurs habitants vont hasarder leur argent, ce qui est contraire au bien public ; Nîmes, où l'on a récemment importé certains jeux appelés à billard, proscrit ces instruments scandaleux et défend d'en construire de nouveaux. Par ordre des consuls ces billards sont brisés et les morceaux portés à l'hôtel de ville ; Paris pourchasse les jeux de boules et n'en tolère qu'un par maison pour la récréation du propriétaire et de sa famille. Il va de soi que l'heure de fermeture des débits de boissons était prescrite par un arrêté ; mais tel prévôt, en Bourgogne, prétend défendre aux habitants d'aller boire et manger aux cabarets de leur propre ville, et un parlement, à Toulouse, interdit aux particuliers de donner des bals, la nuit, hors le cas de fiançailles et de noces, et aux ménétriers de s'y rendre pour faire danser, sous peine de quatre mille livres d'amende[24].

Cette descente des cours souveraines dans les détails du bon ordre urbain ou rural n'a pas de quoi nous surprendre. A Paris, comme en province, la police était le terrain de combat des officiers municipaux et des officiers royaux. Ils parvenaient rarement à s'entendre, et s'ils transigeaient, l'acte même de la transaction offrait de telles subtilités qu'il fournissait matière à de nouveaux différends. A Metz, par exemple, les difficultés se prolongèrent durant tout le dix-septième siècle. En 1702 seulement intervint un règlement qui donnait aux magistrats de l'État la police de la banlieue ; la police champêtre restait aux magistrats de l'hôtel de ville. Le lieutenant général donnait aux marchands étrangers la permission de vendre des faïences, mais la municipalité pouvait seule leur donner le droit de les étaler sur les places ; les bouchers devaient s'adresser au lieutenant général pour leurs étaux, les cabaretiers devaient s'adresser au maire pour leurs comptoirs ; lui seul donnait pouvoir de vendre à manger, de mettre la nappe. C'est le lieutenant général qui autorise les comédiens à se faire voir et entendre, mais si leur représentation a lieu en plein air, c'est à la mairie qu'ils doivent demander le placet.

Tous les parlements s'insinuent ainsi par des ordonnances de police dans le ménage de la cité : celui de Paris règle la visite des denrées aux Halles, afin de s'assurer qu'elles sont salubres pour les corps humains ; il prescrit de garantir les marchandises aussi bonnes dessous que dessus, et de préférer les bourgeois aux revendeurs. A son exemple, tel autre règle les allées et venues des bohémiens et s femmes mal vivantes qu'ils mènent avec eux ; tel encore enjoint à la maréchaussée de s'emparer des gens qu'elle trouvera vaguant par les rues après neuf heures du soir. Gardienne de la morale privée, la cour de Rennes décrète contre un gentilhomme qui a gratifié son bouffon d'une veste de velours couverte de priapes et autres figures sales et deshonnétes. Chaque seigneur, ecclésiastique ou laïque, jouit des attributions de police dans l'intérieur de sa seigneurie : l'évêque de Mende défend de se masquer ni déguiser en habits scandaleux ; l'abbé de Vauluisant, en Bourgogne, fixe l'heure de la fermeture des cabarets dans les paroisses dont il est suzerain. Dans les maisons royales, c'est le grand prévôt de l'hôtel, sur les rivières, c'est le sénéchal du district, qui doivent avoir l’œil pour faire observer les règlements. En ce qui touche aux impôts indirects, la Cour des aides s'en charge ; c'est ainsi que les cartes à jouer sont exclusivement de son ressort[25]. La ville et la campagne avaient chacune leurs policiers d'État, titulaires de leur office, en droit de l'affermer à qui bon leur semble : ceux-là, aux champs, prévôts, exempts et lieutenants criminels, ceux-ci, archers et chevaliers du guet, intra muros. On en créa un millier en 1633 ; les villes protestaient, on empiétait ainsi sur leur juridiction, car tous ces agents étaient aussi des magistrats. Or leur justice bourgeoise était chose dont les communautés étaient fort jalouses : la compétence de ces justices était assez élevée, plus élevée que celle de nos juges de paix. Dans le Midi, les sentences des consuls, des officiers de cour, sont exécutoires nonobstant appel jusqu'à 50 livres, qui valent 300 francs d'aujourd'hui. Leur procédure simple et presque gratuite est goûtée des populations, en ce temps où les arrêts coûtent si cher ; à Brives, c'est sous un ormeau planté en face de l'église qu'ont lieu les audiences ; à Dijon, l'auditoire est construit dans les Halles. Là se distribuent les amendes à ceux qui ont exposé de la mauvaise viande sur le marché, qui ont crié au feu ou au voleur sans nécessité, qui sont allés dans les vignes avec des chiens, contre les apprentis qui, sous prétexte de concours — de défis — sur un ouvrage de leur métier, font des attroupements tumultueux[26].

Grosses peines d'ailleurs, à côté de répressions vénielles : le chef d'un groupe de turbulents de Nevers, qui s'assemblaient illicitement sous le nom de bande grise et joyeuse, est condamné par les échevins à demeurer attaché au pilori, pendant le marché, avec un écriteau portant ces mots : C'est le chef, auteur et instituteur de la bande grise et joyeuse, et à être ensuite banni du ressort. Le bannissement est la punition suprême ; chaque cité a sa pierre bannissoire, le délinquant y est conduit pour entendre le verdict qui lui défend de la franchir, à jamais, ou pendant un laps de temps déterminé.

Là où les autorités royales et communales s'accordent, Messieurs de la maison de ville délèguent chaque année trois ou quatre d'entre eux pour être de la police avec le procureur du Roi. C'est le cas à Saintes et ailleurs[27]. Paris agit d'une façon toute démocratique : quand les vols et les meurtres y devenaient trop fréquents, que les mauvais plaisants insinuaient qu'il était tombé une bouteille d'encre sur les ordonnances de police, ce pour quoi les commissaires ne les peuvent plus lire, le parlement prescrivait des assemblées, où les magistrats, les agents, les commissaires, les colonels de quartier et autres notables bourgeois étaient invités à venir délibérer ensemble. Les uns et les autres devaient donner avis par écrit de ce qu'ils jugeaient être nécessaire. La cour décidait d'après ces réunions consultatives ; chacun était interpellé à son tour, les voix recueillies, et le vote de la majorité faisait loi. Le procédé était, comme nous l'avons dit précédemment, des plus défectueux ; un avocat général, M. Bignon, remarquait assez sagement qu'il n'y avait que trop d'ordonnances, que tout était dans la difficulté de l'exécution. L'exécution incombait aux commissaires de quartier — ancêtres de nos commissaires de police — et à leurs exempts. Mais le bâton de ces derniers était loin d'être aussi respecté, en France, que la baguette des policemen d'Angleterre, ou les varas (badines blanches) des alguazils d'Espagne. Les sergents à cheval se plaignaient d'emprisonner quinze ou vingt personnes chaque jour qu'ils trouvaient dans les lieux infâmes, et qui, le même soir, sortaient de prison et venaient les menacer à leurs portes. Le parlement avait beau fulminer contre les vagabonds, les mendiants valides et ceux qui n'ont d'autre profession que de ne rien faire, il parait que les conseillers au Châtelet se montraient à leur égard fort cléments, ayant pris pour maxime que, dans une grande ville comme Paris, la seule fainéantise n'était pas un crime.

Sauf leur participation à la confection des règlements, le maire de Paris (prévôt des marchands) et ses échevins n'avaient donc pas sur la police de la capitale la même autorité que les chefs des municipalités de province. Paris était déjà à cet égard dans la même situation qu'aujourd'hui, avec cette différence qu'en ce temps-là le lieutenant civil n'était pas un fonctionnaire, comme le lieutenant de police du dix-huitième siècle, ou comme notre préfet de police actuel, mais un magistrat analogue au président du tribunal de première instance de la Seine[28]. Comme juge, il rendait des sentences, comme chef de police il prenait des arrêtés : la presse le regarde, c'est lui qui pourchasse et saisit les libelles, dessins ou images dans lesquels le Roi les princes et les ministres étaient représentés en divers costumes et postures scandaleuses et tendantes à mépris[29].

 

III

Hygiène : Fréquence des épidémies, ravages qu'elles causent. — Peste de 1628. — Rôle et devoirs des administrations locales vis-à-vis du fléau. — Soins médicaux. — Modes de préservation employés. — Billets de santé, quarantaine, dureté extrême du traitement. — Indépendance des communes à cet égard.

Un autre domaine où l'État s'est fait et devait se faire sa part — part qu'il tend d'ailleurs à exagérer de nos jours — mais où, au commencement du dix-septième siècle, les communes régnaient en absolues maîtresses, c'est l'hygiène. La terrible peste qui désola l'Europe, en 1628, marque tristement le règne de Louis XIII, et les annales de chaque région nous révèlent sans cesse, en ces temps-là, des épidémies qui, pour être localisées, n'en sévissent pas moins avec rigueur. La Saintonge en 1603, le Limousin en 1606, la Bourgogne et l'Anjou en 1633, la Bretagne en 1639, tantôt au nord, tantôt au midi, des provinces entières sont successivement ravagées par ces fléaux mystérieux, ces contagions, selon le mot de l'époque, dont la nature précise nous est inconnue, mais dont les effets sont terribles. Avallon perdit neuf cents personnes en 1633, Rouen eut onze mille morts en dix mois de l'année 1637. Quant à la peste qui, de 1626 à 1629, visita tout le royaume, chacun a lu le dramatique tableau que Manzoni, dans ses Fiancés, en a tracé pour l'Italie du Nord. La France lui paya un égal tribut. On parle de huit mille personnes atteintes à Angers, et de cent mille à Lyon ; à Castres, il n'y eut, dit-on, que huit habitants qui ne furent pas malades[30].

La contagion est-elle déclarée, la cité aussitôt s'organise pour lui tenir tête. Et d'abord que personne ne sorte, de ceux qui peuvent être utiles ; défense aux riches de quitter la place. Les chefs de maison de Narbonne, décrète le parlement de Toulouse, rentreront en ville malgré la peste dans un délai de trois jours, sous peine d'être privés du droit de bourgeoisie. Pour empêcher l'émigration des premières familles, La Rochelle décide que les échevins et pairs qui coucheraient aux champs plus de deux nuits perdraient leurs états par ce seul fait. Un procureur de Bourg en Bresse, qui s'est sauvé, en semblable circonstance, est condamné à l'amende et solennellement flétri, car il a entraîné de nombreux bourgeois à fuir comme lui le danger, quand il y avait à donner le bon exemple. Ces chefs du tiers-état local ont ainsi le devoir de risquer leur vie ; l'honneur de leur place sociale est à ce prix. Ils doivent réconforter le moral de leurs concitoyens, pour eux le moral est obligatoire ; il leur faut payer, par ce sacrifice de leur indépendance individuelle, l'éminence de leur dignité. Et ils payent largement, en général, ces aristocrates roturiers : ils s'enrégimentent volontairement, ils montent la garde, comme membres du conseil ou capitaines pour le fait de la santé. Dangereuses fonctions et coûteuses : ils fournissent à leurs frais remèdes et médecins. Deux conseillers du parlement d'Aix se tiennent chaque jour à l'une des portes de la ville, pour assurer les mesures d'hygiène ; le premier président et le doyen ont les premiers occupé ce poste. Dans les bourgs, c'est souvent le curé qui, sur la demande des habitants, garde l'entrée et, soit pour quelques écus par mois, soit gratis, écrit les laissez-passer[31].

Les médecins et chirurgiens coûtent plus cher ; les tribunaux essayent bien de leur défendre, sous peine de la vie, d'abandonner leur résidence, mais les moyens coercitifs ne réussissent guère auprès de praticiens que la force même du fléau rend maîtres de la situation. On traitera donc avec eux : cent à cent cinquante livres par mois sont généralement les gages des médecins nommés au fait de la peste, c'est un tarif à peu près uniforme ; de plus ils sont logés. Cependant, si les concurrents sont peu nombreux, les exigences augmentent : Pour ne pas se priver des secours du seul homme de l'art qu'il y ait à Nîmes, en 1640, le conseil décide qu'il lui sera donné mensuellement trois cents livres[32]. Il faut payer en outre les sergents de la santé qui portent les pestiférés aux hôpitaux ; les pauvres filles qui essayent les maisons — triste profession ! — et sont nourries par la communauté, la désinfection des immeubles contaminés que l'on parfume avec force benjoin, storax, encens, soufre et bois de genévrier. On y dépense quatre et cinq mille livres ; les villes, en pareille occurrence, se montrent prodigues, elles s'inondent de senteurs, quitte à donner ensuite à l'entrepreneur qu'elles ont appelé dans ce but, une indemnité pour le faire déloger, ses parfums devenant nuisibles aux habitants[33].

Les frais de toute nature s'élèvent ainsi à des sommes considérables ; en six mois, ils dépassent à Angers cent mille livres. Il faut pourvoir à l'entretien des personnes séquestrées, de leurs familles et de leurs domestiques, et l'on imagine si les quarantaines sont impitoyables. On expulse sans pitié les pauvres étrangers et les suspects qui sont petites gens, on ouvre les prisons pour dettes et l'on en disperse les détenus ; puis il est ordonné à quiconque sera attaqué de la peste d'en faire aussitôt déclaration au prévôt de la santé, et de se rendre au lieu destiné pour traiter cette maladie, à moins qu'il n'aime mieux voir sa maison marquée d'une croix ou d'une étoile blanche, ses portes cadenassées, scellées ou condamnées avec une barre de fer, pour empêcher de sortir aucun de ceux qui communiquent avec lui. Défense de se faire administrer les secours spirituels par d'autres que les religieux à ce destinés. Un curé, déclaré infect pour avoir visité des malades, est confiné dans une hutte en planches ; on l'autorise ensuite, à grand'peine, à se réfugier dans une église écartée, où il fera sa quarantaine. Tout individu ayant fréquenté un local douteux est banni, et ne peut s'approcher d'aucun habitant de plus de dix pas, sous peine d'être éloigné à coups d'armes à feu ou autres[34]. Le sieur Robineau, dit un arrêt, se tient caché et, bien qu'atteint de la peste, maintient ses relations comme s'il était en parfaite santé. Ordre à Robineau de se présenter devant les chirurgiens des épidémies ; s'il résiste, ses biens seront saisis. La peste, dit le parlement de Provence, entre par Digne et Castellane ; prière aux habitants de ces villes de n'en pas sortir, et pour rendre la prière efficace, un conseiller est député qui établit aux alentours un blocus armé. Le fermier de l'hôpital de Condom se désiste judiciairement de son bail, emprisonné qu'il est dans sa maison par ordre des consuls, qui le supposent infecté du mal contagieux. Un boulanger que l'on expulse de Bourg, pour avoir fait des affaires avec des gens soupçonnés de maladie, demande un abri et jure qu'il n'est pas malade ; mêmes suppliques d'un huissier séquestré pour les mêmes motifs, d'un apothicaire convaincu d'avoir donné un clystère à un homme mort de la peste. Des peines identiques attendent celui ou celle qui recevrait des parents venant d'une localité suspecte ; les grands seigneurs ne sont pas plus épargnés que le commun du peuple. Et malheur à qui rompra son ban : deux individus atteints du terrible mal et internés dans une métairie s'étant évadés, y seront réintégrés par la force, et s'ils recommencent ils seront brûlés avec la maison.

Les morts ne peuvent espérer un meilleur traitement que les vivants ; les corbeaux — croque-morts ordinaires — ont beau doubler les journées, multiplier les chariots et accélérer la tâche, c'est en vain que l'on voit passer et repasser dans les rues leurs lugubres uniformes — habits bleus chamarrés de blanc ou casaques à grandes croix noires — en vain qu'on leur adjoint des suppléants, des magogets, pour faire disparaître les cadavres. Les cimetières regorgent, et l'on doit les enclore pour les défendre des loups. Souvent les paroissiens ne veulent pas de ces corps dans le bourg, il y en a trop ! Nous trouvons sur des actes de décès collectifs N... N..., son fils, ses deux filles, sa servante... ; on va au plus près, on creuse une fosse dans un jardin, dans une pièce de terre ; ailleurs on met le feu à une maison de campagne où se trouvent deux cadavres de pestiférés que personne n'a osé ensevelir[35].

Les malheureux que la mort a épargnés inspirent grande défiance : les pestiférés guéris ne doivent sortir qu'avec une baguette blanche en main, sinon ils risquent d'être chassés à coups de pierres. Qu'il prenne garde celui qui, en temps d'épidémie, se met au lit pour une indisposition passagère, celui surtout qui a sur son corps trace de bouton, du furoncle le plus inoffensif ! C'est un ennemi ; si l'on s'en aperçoit, il lui sera fait un mauvais parti. Quant aux voyageurs bien portants, ils ont à se munir d'un billet de santé en chaque ville où ils couchent, où ils passent, ne fût-ce que quelques heures. Ils conserveront avec soin tous ces billets s'ils ne veulent être arquebusés ou, du moins, faire quarantaine. C'est la patente de santé actuelle des navires, appliquée aux petits déplacements intérieurs. Un grand chemin réputation d'être contagionné, ce n'est pas, malgré les ordonnances les plus formelles, un passeport royal qui donnera la libre pratique à ceux qui en viennent. Les municipalités n'ont de confiance que dans les certificats délivrés par elles-mêmes ou par leurs voisines. Elles s'encouragent à être fort regardantes sur ce chapitre : Une complaisance peut causer des maux incalculables, disent les échevins de Lyon. Ces billettes, sans lesquelles aucune circulation n'est possible, sont si précieuses, qu'elles deviennent l'objet d'un trafic ; on les falsifie, on les prête, on les échange, mais le tout à grand risque ; on encourt, en ce faisant, les peines les plus sévères. Une commune n'hésite pas à emprisonner un magistrat qui s'opposerait à l'exécution de ses règlements hygiéniques, et des patrouilles vont, la nuit, dans les hôtelleries, faire exhiber à chacun son permis.

Les préjugés du temps s'ajoutaient alors à l'éternelle crédulité des foules, pour surexciter l'opinion publique. Les citadins du dix-septième siècle, qui ne doutaient pas des multiples propriétés du son des cloches, et les campagnards qui faisaient exorciser les chenilles de leurs vignes, étaient relativement excusables quand ils vouaient au supplice : à Lyon, les soi-disant engraisseurs qui propageaient le venin ; à Rouen, les éventeurs qui en conservaient ce qu'il fallait pour maintenir l'épidémie dans la ville ; plus d'un malheureux fut, pour de semblables motifs, condamné à mort par des tribunaux qui le jugèrent du haut de leurs fenêtres, sous lesquelles on l'avait amené[36]. Près de cent ans plus tard, lors de la peste de Marseille, la défense sanitaire était encore aussi barbare, aussi féconde en épisodes tragiques. Deux hommes venant du comtat Venaissin, où régnait l'épidémie, avaient réussi à forcer la ligne établie sur la frontière du Dauphiné. Des grenadiers se mirent à leur poursuite ; l'un des voyageurs, déjà malade, est blessé à l'épaule d'un coup de feu, puis poignardé, et achevé à coups de baïonnette. L'autre, plus hardi, se jette dans une rivière ; mais, s'étant dressé au milieu de l'eau, il reçoit plusieurs balles de mousquet. Il essaye d'approcher de la rive, en criant : Miséricorde ! Les soldats l'en empêchent et l'assomment à coups de pierres. Les cadavres ne purent être brûlés, conclut le procès-verbal, à cause de la pluie, et leurs vêtements seuls furent réduits en cendres[37].

On se figure l'impression de joie intense que des hommes, qui avaient assisté à des scènes analogues, qui sortaient jusqu'à un certain point du tombeau, éprouvaient lors de cette publication de la santé terminant officiellement la période de peste, et rendant chacun à la vie normale. Pourtant le soin minutieux avec lequel on combattait l'épidémie déclarée, n'avait d'égal que l'insouciante négligence avec laquelle la population défiait les fléaux à venir. On remarque, à la Rochelle, que la contagion avait pris chez ceux qui se tenaient salement en leurs maisons, qui se nourrissaient de mauvaises viandes.... ; mais on ne fait rien, ou à peu près rien, pour éviter le retour de maux, engendrés par l'absence d'une hygiène qui nous semble aujourd'hui élémentaire.

La découverte de la vaccine mit seule fin à nombre de ces fièvres pourprées, auxquelles tant de personnages illustres succombaient à cette époque ; mais la création des égouts, l'appropriation des halles, la construction des abattoirs, l'interdiction faite, au dix-huitième siècle, par les évêques, à la demande du pouvoir civil, d'inhumer dans les églises — interdiction qui révolta longtemps la piété du peuple des campagnes, lequel se refusait à considérer le cimetière comme terre sainte — ces mesures, entre bien d'autres, contribuèrent à diminuer la mortalité[38]. Sous Louis XIII, une municipalité éclairée croit faire beaucoup en empêchant d'exposer dans les rues aucun animal mort de maladie, et en ajoutant : Il vaut mieux les jeter à la rivière. Or cette rivière abreuvait les habitants....

 

 

 



[1] Déclaration d'avril 1630. — LA FORCE, Mémoires, III, 308. — Arch. com. de Boulogne-sur-Mer, 1286 ; Sens, DD. 10.

[2] Règlement du 29 mars 1631. — Arrêt des commissaires généraux de la voirie, 3 septembre 1640. — Arch. Guerre, LXVII, 322. — Voyage de J. BOUCHARD, en 1630, p. 98. — Arch. com. de Toulon, FF. 702. — Arch. dép. Somme, B. 17, 21 ; Isère, B. 2921. — Ordon. munic. d'Issoudun (Société des Antiq. du Berry, 1882, p. 228). — A Beauvais, Abbeville et autres villes de la même contrée, dit l'auteur du Voyage à Paris en 1657 (Faugère, p. 25), les maisons sont presque toutes à l'antique, bâties de plâtre et de bois.

[3] GUI PATIN, Lettres, I, 31. — Arch. com. de Nîmes, FF. 17. — Arch. dép. Somme, B. 188. Parmi les enseignes d'Amiens à cette époque, on voyait : Musse (cache) ton pot, Les corps nus sans tête, La sotte couvée, Le cœur de la ville, etc.

[4] Déclaration du 29 juillet 1627. — Arrêts du conseil d'État du 15 janvier et du 4 août 1638. — Lettres et papiers d'État, III, 162.

[5] On édicta que la paroisse de la Ville-l'Évêque prendrait le nom de faubourg l'Archevêque — l'évêché de Paris venant, en 1622, d'être érigé en archevêché, — mais l'usage ne confirma pas cette décision. —Articles conclus le 29 juillet 1639 ; Édit de mai 1639 (Coll. Rondonneau, Arch. nat.). — Arch. Guerre, LXVII, 322. — L'enceinte de Paris, sur la rive gauche, suivait l'emplacement actuel de la rue du Bac jusqu'à la rue de la Bourde (au delà de la rue de Vaugirard et parallèle à cette dernière), puis les faubourgs Saint-Jacques, Saint-Marcel (jusqu'au bout de la rue de Lourcine), la rivière des Gobelins, et aboutissait au jardin du Roi pour les plantes médicinales (notre jardin des Plantes). Sur la rive droite, elle commençait à l'Arsenal, joignait la Bastille, et formait, jusqu'à la Madeleine, le tracé de nos boulevards. Elle se terminait à la Porte-Neuve, vis-à-vis le Cours-la-Reine. Dans certaines de ses portions, derrière la place Royale, par exemple, le rempart était très élevé. On ne commença à le convertir en boulevard qu'en 1668, et les plantations ne furent conduites jusqu'à la porte Saint-Honoré qu'en 1705.

[6] Arrêt des commissaires généraux du 3 septembre 1640. — Aff. Étrang., t. 778, f. 141 ; t. 790, f. 29.

[7] Le pont Rouge fut construit par Barbier, l'un des adjudicataires du domaine de la Reine-Marguerite. Le péage était d'un double. TALLEMANT conte que, pour s'en exempter, un certain Viole, d'Athis, tua l'un des portiers du pont. (Historiettes, V, 147.) — Lettres patentes de mai 1639.

[8] Arrêt du Conseil d'État, 25 avril 1634 ; lettres patentes de février 1642.

[9] Voyage de CORYATE à Paris, p. 10. — Aff. Étrang., 790, f. 215. —Arrêt du conseil, 4 août 1638..— Les questions de voirie offrent de singulières anomalies : Angers doit présenter requête au Roi pour être autorisée à achever l'ouverture d'une rue neuve (Arch. com. 1113. 58) ; et le duc d'Orléans accorde à l'évêque de cette ville la concession d'une rue existante pour étendre l'enclos de son évêché. (Aff. Étrang.)

[10] Arch. com. de Bourg, FF. 43 ; Avallon, FF. 36. — Arch. dép. Vaucluse, B. 1621, 1882 ; Haute-Garonne, B. 448. — Société des Ant. de Berry, 1882, p. 224. — Courrier véritable arrivé en poste, parodie de la Gazette (Bibl. nat.). — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 459.

[11] Arrêt du prévôt de Paris, 30 septembre 1634. — Sentence du lieutenant civil du 5 janvier 1638. — Arrêt du Parlement du 4 mars 1638. — Arrêts du conseil d'État, 22 septembre 1638 et 15 mai 1641. — Voyage de J. BOUCHARD, en 1630, p. 119.

[12] Arrêt du Conseil d'État, 15 mai 1641. — Édit de février 1638. — TALLEMANT, Historiettes. — Arch. com. de Bourg, BB. 98 ; de Nevers, DD. 15. — Arch. dép. Lot-et-Garonne (Duras, BB. 1).

[13] Déclaration du 9 juillet 1637. — Arrêt du Parlement du 23 décembre 1637. Le pavage était à la charge du Roi sur le pont Neuf, autour du Louvre, le long du quai des Tuileries sur la place des Halles, la place Maubert, la cour du Palais, le pourtour du Grand-Châtelet, et la Vallée de Misère etc. Les prévôts des marchands et échevins entretenaient deux espèces de voirie : dans l'une ils fournissaient et posaient le pavé, dans l'autre ils se contentaient de le fournir, les bourgeois étant tenus de le faire poser. Dans le premier cas était le pont Notre-Dame, la place de Grève, etc. ; dans le second, les rues de la Tissanderie, de la Verrerie, Saint-Jacques, Saint-Honoré, etc.

[14] TALON, Mémoires, 32. — Ordonnance du lieutenant général de Boum), 1er janvier 1640. — Aff. Étrang., t. 806, f. 128. — Arch. com. d'Avallon, FF. 16 ; de Bourg, BB. 75. — Voyage de Martin Lister à Paris, en 1698, p. 37.

[15] Lettres patentes du 24 février 1623. — Plumitif de la chambre des comptes, P. 2762, f. 246. — Sur 60 Douces qu'elle avait au point de départ, cette conduite en laissait 20 au Luxembourg chez la Reine mère, 8 au Louvre et aux Tuileries, 1 à l'hôtel de Soissons, 1 chez le chancelier de Sillery, ½ pouce à l'hôtel de Longueville, ¼ chez le président de Maisons, autant chez le Sr de La Vrillière, chez les Capucins du faubourg Saint-Jacques, chez les Carmélites, etc. (Aff. Étrang., t. 811, f. 171.)

[16] Traité du 9 octobre 1631. — Lettres et papiers d'Etat, VI, 48. — Le concessionnaire (un Sr Pidou, secrétaire de la chambre du Roi) devait construire en outre des quais et des murailles. On lui donnait en payement : 1° une somme de 600.000 livres ; 2° les terrains vagues situés auprès des remparts ; 3° les matériaux de ces remparts anciens ; 4° un prélèvement sur les droits d'entrée de Paris ; 5° le droit de lever un impôt sur les maisons à construire dans un certain périmètre.

[17] Aff. Étrang., t. 806, f. 128. — Arch. com. de Nevers, BB. 24 ; CC. 173 ; Nîmes, II, 7 ; Avallon, BB. 3. — Arch. dép. Eure-et-Loir, B. 1669, 1700 ; Lozère, G. 301.

[18] Lettres et papiers d'État, VIII, 144. — MONTPENSIER, Mémoires, 22. — M. LISTER, Voyage à Paris, 25 et 169.

[19] DESHAYES DE COURMENIN, Voyage en Danemark, 235. — Bul. Soc. Archéol. Corrèze, VII, 173.

[20] Arch. dép. Lot-et-Garonne, BB. 3 et (Gontaud, BR. 3) ; Drôme, E. 5597, 5680, 5726, 5737. — En 1660, les visites du médecin de Castillonnès, qui reçoit 120 livres de gages fixes, lui seront payées 10 sous par la ville et 20 sous par la banlieue. Le barbier de Colonzelle est tenu de venir raser toutes les semaines pour cinq cosses de blé par homme. La forge, en Dauphiné, est généralement propriété communale, le premier étage sert de salle d'école et de mairie.

[21] FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, 213. — Ordon. munic. de Poitiers, 1634.— E. FOURNIER, Var. historiques, III, 83.— Arch. com. de Saint-Malo, VI ; Nîmes, FF. 17 ; Bourg, FF. 43. — Arch. dép. Drôme, E. 4995 et passim ; Haute-Garonne, B. 469, C. 709.

[22] Arch. dép. Vaucluse, B. 1547 ; Aube, G. 1297, 2384. — QUICLET, Voyage à Constantinople en 1657, p. 47. — PONTIS, Mémoires, 627. — Aff. Étrang., t. 785, f. 11. — Il semble qu'en beaucoup de villes les sergents de police ne reçoivent que des appointements fixes insignifiants, mais on leur donne des pourboires occasionnels pour avoir maintenu le peuple, ou rétabli le bon ordre. Arch. com. de Nevers, CC. 284.

[23] Sortes de loteries analogues aux tourniquets de nos foires.

[24] Arrêt du Parlement de Paris, 7 septembre 1629. — Arch. com. de Nevers, BB. 24, 25 ; Nîmes, FF. 15, 17 ; d'Avallon, CC. 43 ; Bourg, BB. 99. — Arch. dép. Haute-Garonne, B. 370. — Aff. Étrang., t. 806, f. 128. — Ordon. munic. Poitiers, 1634.

[25] Arrêt de la Cour des aides, 26 juin 1625. — Sentence du lieutenant général d'Anjou, 6 septembre 1624. — Arrêts du Parlement des 30 décembre 1621, 31 mars et 7 septembre 1622. — Transaction du 27 février 1702 (Metz). — Aff. Étrang., t. 779, f. 81. — Arch. dép. Yonne, H, 684 ; Lozère, G. 301 ; Haute-Garonne, B. 496, 506.

[26] Arch. dép. Eure-et-Loir, B. 303, 1694, 1700 ; Côte-d'Or, C. 2096. Haute-Garonne, B, 381, 493 ; Lot-et-Garonne, B. 13. — Arch. com. d'Angers, BB. 73. — Arrêts du Conseil d'État des 13 août 1620 et 18 septembre 1638. Édit de mai 1631. — Bul. Soc. Archéol. Corrèze, VII, 157.

[27] Arch. Saintonge et Aunis, XI, 353. — Soc. académ. de Laon (1859), p. 50. — Arch. com. Nevers, FF. 9. — Le tiers état, en 1614, insistait pour le maintien de la justice policière des villes où toutes causes sont jugées sommairement, sans ministère d'avocat ni de procureur. (PICOT, États généraux, IV, 96.)

[28] Arrêts du Parlement, 15 mars 1633, 27 mars 1634, 13 mars 1640. — TALON, Mémoires, 31 et suiv. — BASSOMPIERRE, Mémoires, 152. — On ne doit pas confondre les commissaires de quartiers avec les sept commissaires dits de l'hôtel de ville, préposés aux quais, ports, places et rivières. (Voy. Arrêt du Parlement, 8 août 1629.)

[29] Ordon. du 19 décembre 1639. — Le faubourg Saint-Germain, qui constituait une ville dans Paris, échappait à peu près complètement à la surveillance du lieutenant civil. Le bailli de Saint-Germain des Prés y exerçait seul la police et forçait les gens qui lui déplaisaient à vider le faubourg et à émigrer dans un autre quartier. (Arrêt du conseil privé, 19 novembre 1641.)

[30] RICHELIEU, Mémoires, II, 30. Aff. Étrang., t. 809, f. 156. — Voyage de J. BOUCHARD en 1630, p. 97. — Arch. hist. Saintonge, V, 114. — Arch. com. d'Angers, GG. 138 ; Avallon, GG. 246. — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 465.

[31] Arch. dép. Drôme, E. 5686 ; Haute-Garonne, B. 487, 522. — Arch. com. de Nîmes, LL. 49 ; Bourg, BB. 89 : GG. 247. — Arch. hist. Saintonge, V, 118. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 44.

[32] D'autres sont plus modestes : Nevers accepte l'offre d'un chirurgien de visiter les malades sans se mettre en péril de sa personne (?), à la condition d'être exempt de toutes sortes d'impôts. — Arch. com. de Nevers, BB. 19 ; CC. 163 ; Nîmes, LL, 21 ; Avallon, BB, 3. — Arch. dép. Lot-et-Garonne (Francescas, BB. 5), Haute-Garonne, B. 490. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 64.

[33] Arch. corn. de Nîmes, LL. 20, Mg. 2 ; Angers, BB. 69 ; Rodez, CC. 163 ; Avallon, CC. 244, Bourg, GG. 253. — La dépense est ensuite répartie, sous forme de taxe, sur les contribuables. Un gantier de Nîmes doit, pour ce chapitre, une cotisation de 30 livres. (Mém. Académ. Nîmes, 1884, p. 447.)

[34] Arch. dép. Lot-et-Garonne (Aiguillon, BB. 1 ; Sainte-Colombe, BB. 1 ; Francescas, BB. 15) ; Haute-Garonne, D, 4.87. — Arch. com. de Nevers, GG. 179 ; CC. 93 ; Avallon, BB. 3 ; Bourg, GG. 253.

[35] Arch. dép. Morbihan, E. pref. 60 ; Lot-et-Garonne (Grayssas, GG. 3 ; Mézin, BB. 7 ; Aiguillon, BB. 3) ; Haute-Garonne, B. 478. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 44. — Arch. hosp. Condom, B.134. — Arch. com. d'Avallon, GG. 246 ; Angers, BB. 38, 69 ; Bourg, GG. 247.

[36] Arrêt du Parlement, 7 août 1623. — RICHELIEU, Mémoires, I, 593. — Voyage de J. BOUCHARD, en 1630, p. 99, 195. — Arch. hist. Saintonge, V, 113. — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 460, 465. — Arch. com. d'Angers, BB. 69 ; Bourg, CC. 86 ; GG. 249, 251 ; Nîmes, LL. 49 ; Avallon, FF. 13 ; GG. 72.

[37] Arch. dép. Drôme, B. 5221.

[38] Arch. dép. Morbihan, E. pref. 58 ; Côte-d'Or, C. 2104 ; Haute-Garonne, C. 322. — Arch. com. de Bourg, GG. 251 ; Nîmes, LL. 21. — Arch. hist. Saintonge, V, 113.