HISTOIRE DE L'INQUISITION AU MOYEN-ÂGE

TOME TROISIÈME — DOMAINES PARTICULIERS DE L'ACTIVITÉ INQUISITORIALE

 

CHAPITRE III. — LES FRATICELLI.

 

 

Nous avons vu comment Jean XXII créa et extermina l'hérésie des Franciscains Spirituels, et comment Michele da Cesena imposa, au sein de l'Ordre, le respect des décisions touchant la possession de greniers et de caves, ainsi que le port des robes courtes et étroites. Toutefois, il était impossible de résoudre définitivement ces questions par un compromis aussi arbitraire, vu surtout l'impatient dogmatisme du pape, qui avait résolu de frapper impitoyablement toute dissidence d'opinion. Quand il eut entrepris de faire cesser les discussions qui s'étaient élevées au sujet de la règle de pauvreté et qui avaient causé tant de désordres pendant près d'un siècle, Jean se crut logiquement forcé de pousser jusqu'à leurs conclusions nécessaires les principes exprimés dans ses bulles Quorundam, Sancta Romana et Gloriosam Ecclesiam. D'autre part, il était trop absorbé par ses intérêts temporels pour prévoir l'orage qu'il allait ainsi déchaîner sur l'Église. Un caractère tel que le sien ne pouvait comprendre l'inconséquence honnête d'hommes comme Michele et Bonagrazia, prêts à briller ceux de leurs frètes qui refusaient greniers et caves, et tout disposés, en même temps, à affronter le bûcher pour défendre l'absolue pauvreté du Christ et des Apôtres, doctrine si longtemps tenue comme un principe fondamental de l'Ordre et proclamée comme une vérité irréfragable dans la bulle Exiit qui seminat.

En fait, sous un pape tel que Jean, les Franciscains orthodoxes devaient suivre une voie étroite et périlleuse. Les Spirituels étaient brillés comme hérétiques parce qu'ils prétendaient appliquer leur conception personnelle de la Règle de François ; entre cette doctrine réprouvée et l'obligation de la pauvreté officiellement reconnue, la distinction était d'une subtilité presque insaisissable. Les Dominicains reconnurent promptement la position critique de leurs rivaux et se disposèrent à en tirer parti, S'ils pouvaient assimiler les théories reçues de l'Ordre Franciscain à l'hérésie nouvellement définie, ils remporteraient peut-être une victoire décisive. La situation était si fausse et si difficile qu'une catastrophe était inévitable et qu'une bagatelle pouvait en hâter la venue.

En 1321, alors que la persécution faisait rage contre les Spirituels, l'inquisiteur dominicain Jean de Beaune — que nous avons vu collègue de Bernard Gui et geôlier de Bernard Délicieux — était occupé à juger, à Narbonne, un membre de la secte proscrite. Pour la sentence finale, il convoqua une assemblée d'experts, où figurait le Franciscain Bérenger Talon, docteur au couvent de Narbonne. Une des erreurs que l'inquisiteur imputait à l'accusé consistait à croire que le Christ et les Apôtres, suivant la voie de la perfection, ne possédaient aucun bien individuel ou collectif. Comme c'était la doctrine commune des Franciscains, on ne peut voir qu'un défi dans l'invitation qui fut faite à Bérenger de donner son opinion sur ce point. Bérenger répondit que cette croyance n'était nullement hérétique, attendu que la bulle Exiit l'avait déclarée orthodoxe. L'inquisiteur s'emporta et demanda au Franciscain une rétractation immédiate. La position était critique ; Bérenger, pour échapper à des poursuites, interjeta appel devant le pape. Il se rendit en hâte à Avignon, où il trouva Jean de Beaune qui l'avait devancé. Il fut arrêté. Partout les Dominicains soulevèrent la question et le pape laissa clairement entendre que ses sympathies leur étaient acquises. Pourtant, ce sujet était périlleux pour les controversistes, car la bulle Exiit avait frappé d'anathème quiconque tenterait de commenter ou de discuter ses prescriptions. Pour permettre de rouvrir la question, Jean dut, au préalable, lancer, le 26 mars 1322, une bulle spéciale, Quia nonnunquam, suspendant, suivant le bon plaisir du pape, les censures prononcées par la bulle Exiit qui seminat. Ayant ainsi notifié au monde que l'Église s'était trompée dans sa première définition de la Règle, il se mit en mesure de soumettre à ses prélats et docteurs l'importante question que voici : Y a-t-il hérésie à soutenir que le Christ et les Apôtres ne possédaient rien, soit personnellement, soit en commun ?

Les extravagances des Spirituels avaient porté leurs fruits. Une réaction se produisait contre l'absurde exaltation de la pauvreté, qui avait fini par tourner au fétichisme. Rude 13i épreuve pour ceux qui s'étaient consciencieusement habitués à croire que le renoncement à tout bien était la plus sûre voie du salut ! Mais les folies des ascètes étaient devenues gênantes, sinon dangereuses ; il fallait que l'Église reculât au-delà de saint Antoine, de saint Hilarion, de saint Siméon Stylite, pour revenir au sens commun de l'Évangile et reconnaître que, comme il a été dit du Sabbat, la religion est faite pour l'homme, et non l'homme pour la religion. Dans un ouvrage composé quelque dix ans plus tard, Alvar Pelayo, pénitencier pontifical et franciscain lui-même, traite la question avec détail et représente, selon toute apparence, l'opinion - qui trouva créance auprès de Jean. L'anachorète devrait être entièrement mort 'au monde et ne jamais quitter son ermitage ; tel l'abbé qui refusa d'ouvrir sa porte à sa mère, de crainte que son œil ne tombât sur une femme ; tel le moine auquel son frère demandait de sortir pour l'aider à dégager un bœuf et qui répondit : « Pourquoi ne t'adresses-tu pas à ton frère qui vit encore dans le siècle ? » — « Mais repartit l'autre, voici quinze ans qu'il est mort ! » — « Et moi, reprit le moine, voici vingt ans que je suis mort au monde ! » En dehors de ce renoncement absolu, tous les hommes doivent gagner leur vie par un travail honnête. Malgré l'illustre précédent des moines de Dios qui se privaient de sommeil, le commandement apostolique « Priez sans cesse » (Thessal., V, 47), ne doit Pas être pris à la lettre. Les Apôtres avaient de l'argent et achetaient des aliments (Jean, iv, 8) et Judas portait la bourse du Maitre (Jean, XII, 6). Mieux que par une vie de mendicité, l'homme se sanctifie par un labeur honnête, qu'il soit porcher, berger, vacher, maçon, forgeron ou charbonnier, car il accomplit ainsi la tâche pour laquelle il a été créé. C'est un péché pour l'homme valide de vivre de la charité publique et d'accaparer les aumônes dues aux malades, aux infirmes et aux vieillards. — Tout cela était comme une échappée de sens commun dans la nuit théologique du moyen âge ; mais qu'en auraient dit Thomas d'Aquin ou Bonaventure ? N'était-ce pas comme un écho des assertions de leur grand adversaire, Guillaume de Saint-Amour[1] ?

Les réponses à la question posée par Jean ne pouvaient qu'être hostiles à la doctrine de la pauvreté du Christ et des Apôtres. Les évêques étaient universellement considérés comme les représentants de ces derniers ; il ne fallait pas attendre d'eux qu'ils admissent que leurs prédécesseurs eussent reçu du Christ l'ordre de ne posséder aucun bien. Les Spirituels l'avaient affirmé ; Olivi avait prouvé, non seulement que les Franciscains promus à l'épiscopat étaient, plus encore que leurs frères, tenus d'observer toute la rigueur de la Règle, mais que les évêques en général devaient vivre en l'état de pauvreté plus encore que les membres de l'Ordre le plus parfait. Alors que s'offrait aux prélats l'occasion de justifier leur mondanité et leur luxe, il n'était pas vraisemblable qu'ils laissassent échapper cette occasion. Pourtant, Jean lui-même réserva pendant quelque temps son opinion. Dans un débat qui s'engagea 'devant le consistoire, Ubertino da Casale, l'ancien chef des Spirituels orthodoxes, fut invité à présenter la thèse franciscaine de la pauvreté évangélique, en réponse aux Dominicains. On dit que son argumentation plut beaucoup à Jean. Malheureusement, au Chapitre général tenu à Pérouse le 30 mai 1322, les Franciscains firent appel à la Chrétienté entière par un mandement adressé à tous les fidèles, établissant que l'absolue pauvreté du Christ était la doctrine reçue de l'Église, telle que l'exposaient les bulles Exiit et Exivi de Paradiso ; ils ajoutaient que Jean XXII lui-même avait approuvé cette doctrine dans sa bulle Quorumdam. Une autre proclamation plus générale fut rédigée dans le même sens et reçut les signatures de tous les Franciscains maîtres et bacheliers en théologie de France et d'Angleterre. Dans une discussion avec un homme tel que Jean, cet acte dénotait plus de zèle que de discernement. La colère du pape se déchaina aussitôt : il commença à traiter les Franciscains en ennemis.

En décembre de la même année il leur porta un coup terrible par la bulle Ad conditorem. C'était en vain que son prédécesseur Innocent IV avait éludé les prescriptions de la Règle en attribuant la propriété des biens au Saint-Siège et l'usufruit aux moines. Ce subterfuge n'avait pas diminué la cupidité des Frères, tout en leur faisant concevoir un absurde orgueil de leur prétendue pauvreté évangélique. Avec une implacable logique, Jean prouvait que l'usage et le droit de consommer qui leur étaient accordés équivalaient à la possession et qu'une propriété sujette à un tel usufruit était bel et bien une propriété ; c'était sottise de dire que Rome était propriétaire d'un œuf ou d'un morceau de fromage donné à un moine pour sa consommation immédiate. De plus, c'était imposer à l'Église romaine une attitude humiliante que de la faire intervenir comme plaignante ou défenderesse dans les innombrables litiges où l'Ordre était impliqué ; les procureurs qui se présentaient ainsi au nom de l'Église passaient pour abuser de leur situation et pour faire tort à beaucoup de gens frustrés de leurs droits. En conséquence, Jean annulait les mesures édictées par Nicolas Ili ; il déclarait qu'a l'avenir nul droit de propriété sur les biens de l'Ordre ne serait revendiqué par l'Église romaine et qu'aucun procureur ne devait agir en son nom[2].

Le coup était adroitement porté, car, sans faire allusion à la question de la pauvreté du Christ, le pape obligeait l'Ordre à renoncer à tout subterfuge et à admettre, dans la pratique, que la propriété des biens était une condition nécessaire de son existence. Cependant les Franciscains avaient trop longtemps entretenu leur illusion pour accepter de rompre avec elle ; en janvier 1323, Bonagrazia, en qualité de procureur muni, à cet effet, d'un mandat spécial, présenta au pape, en plein consistoire, une protestation écrite contre cette mesure. Si Bonagrazia n'avait pas d'arguments à faire valoir, il put du moins citer de nombreux précédents admis par une longue série de papes, depuis Grégoire IX jusqu'à Jean lui-même. Il conclut par un audacieux appel au Saint-Père, à la Sainte-Mère l'Église et aux Apôtres, et bien qu'il protestât ensuite de sa soumission aux décrets de l'Église, il ne put échapper à la colère qu'il avait ainsi provoquée. Peu d'années s'étaient écoulées depuis le jour où il avait été emprisonné par Clément V pour avoir trop violemment combattu les extravagances des Spirituels. Il n'avait pas modiflé.sa manière de voir : mais cette fois, sur l'ordre de Jean, il fut jeté dans un donjon infect et malsain, pour n'avoir pas su évoluer avec les idées du monde. La seule réponse qu'on fit à sa protestation fut de détacher la bulle Ad conditorern, affichée aux portes des églises, pour la remplacer par une édition revue, plus affirmative et plus impérative que la première.

Ainsi, Jean avait nettement pris parti contre les Franciscains ; leurs ennemis ne perdirent aucune occasion d'entretenir et d'exciter sa colère. Il refusa de prêter l'oreille à aucun plaidoyer en faveur de la décision prise par le chapitre de Pérouse. En consistoire, un cardinal franciscain et quelques évêques firent timidement observer que peut-être y avait-il quelque vérité dans cette décision ; mais Jean leur imposa violemment silence : u Vous proférez des assertions hérétiques ! », leur cria-t-il, et il exigea une rétractation immédiate. Apprenant que le plus grand scolastique franciscain de l'époque, Guillaume d'Ockham, avait, dans un sermon, déclaré hérétique l'opinion qui attribuait quelques biens terrestres au Christ et aux Apôtres, Jean écrivit aussitôt aux évêques de Bologne et de Ferrare de vérifier l'authenticité de la nouvelle, et, si le propos avait été tenu en effet, de citer Ockham comparaître devant lui à Avignon avant un mois. Ockham obéit à la citation ; nous verrons plus loin qu’elles furent les suites de cette affaire.

La décision pontificale sur cette importante question parut enfin le 12 novembre 1323, dans la bulle Cum inter nonnullos. Elle ne comportait ni équivoque ni hésitation. Elle déclarait nettement qu'on faussait le sens de l'Écriture en prétendant que le Christ et les Apôtres ne possédaient aucun bien ; cette proposition était dénoncée comme erronée et hérétique ; l'audacieuse assertion du chapitre franciscain était formellement condamnée. Ceux qui croyaient à la sainteté suprême de la pauvreté furent stupéfaits de se voir proscrits comme hérétiques pour avoir admis une doctrine reçue depuis plusieurs générations comme vérité immuable et sanctionnée par le Saint-Siège de la façon la plus solennelle. La seule ressource qui leur restait était de changer d'opinion comme avait fait le pape ; sinon, ils devaient s'attendre à se voir livrer, ici-bas, à l'Inquisition, et, dans l'autre monde, à Satan[3].

Tout à coup entra en ligne un facteur nouveau, qui bientôt transforma la querelle en une question politique de la plus haute importance. Le perpétuel antagonisme entre la papauté et l'empire avait pris depuis peu un caractère plus violent, par suite des procédés impérieux de Jean XXII. Henri VII était mort en 1313 ; en octobre 1314 avait eu lieu une élection contestée. Louis de Bavière et Frédéric d'Autriche réclamaient tous deux l'empire. Depuis que Léon III, en couronnant Charlemagne en l'an 800, avait rouvert la série des empereurs romains, on considérait comme essentielle la participation du pape au couronnement impérial ; aussi le Saint-Siège avait-il peu à peu réussi à revendiquer le droit mal défini de confirmer le choix des électeurs germaniques. Une élection contestée offrait fort à propos l'occasion d'affirmer ces revendications. D'autres complications s'ajoutaient aux difficultés du moment. Le roi angevin de Naples, le papiste Robert le Bon, rêvait de fonder 'en Italie une grande monarchie guelfe ; Jean XXII ne voyait pas d'un mauvais œil ces espérances, d'autant que sa querelle avec les Visconti gibelins de Lombardie paraissait devoir s'éterniser. De plus, l'inimitié traditionnelle entre l'Allemagne et la France rendait celle-ci favorable à tout ce qui pouvait gêner l'empire, et l'influence française était naturellement dominante en Avignon. Ce serait sortir de notre sujet que d'entrer dans le dédale des intrigues diplomatiques qui se nouèrent bientôt à l'occasion de ces graves questions. Une alliance conclue, avec l'assentiment du pape, entre Robert et Frédéric, allait, semble-t-il, assurer la couronne à ce dernier, lorsque, le 28 septembre 1322, la bataille de Möhldorf trancha le différend. Frédéric tomba prisonnier aux mains de son rival. Ainsi, le sort des armes avait désigné l'empereur légitime. Mais il ne s'ensuivait pas encore que Jean dût consentir à poser la couronne sur la tête de Louis.

Loin de là, le pape prétendit s'instituer juge entre les deux compétiteurs. Louis ne daigna même pas lui répondre et s'employa à régler lui-même l'affaire en traitant avec son prisonnier qu'il mit ensuite en liberté. De plus, il intervint énergiquement en Lombardie, secourut les Visconti que la ligue guelfe était sur le point d'écraser et ruina les projets du cardinal-légat Bertrand de Poyet, neveu ou fils de Jean, qui cherchait à se constituer une principauté. Il n'en fallait pas tant pour éveiller une haine implacable chez ce pape, dont la politique italienne n'avait quelque chance de succès que si Louis était détrôné et remplacé par le roi de France Charles le Bel. Jean se jeta précipitamment dans la mêlée, déclarant qu'il irait jusqu'au bout. Le 8 octobre 1323, en présence d'une foule immense, on lut et on afficha au portail de la cathédrale d'Avignon une bulle pontificale : non content de proclamer que nul ne pouvait agir comme Roi des Romains s'il n'avait reçu la confirmation du pape, Jean reprenait une thèse déjà mise en avant en 1317, suivant laquelle, tant que la confirmation se faisait -attendre, le trône impérial était vacant et le gouvernement de l'Empire appartenait au Saint-Siège. Tous les actes de Louis étaient donc considérés comme nuls et non avenus ; lui-même était sommé de se démettre avant trois mois et de solliciter la confirmation pontificale ; tout serment d'allégeance prêté à Louis était annulé ; la suspension menaçait les prélats, l'excommunication et l'interdit frapperaient les cités et les États qui persisteraient à lui obéir.

Louis accueillit tout d'abord ce terrible message avec une singulière humilité. Le 12 novembre, il envoya à Avignon des députés — qui arrivèrent seulement le 2 janvier 1324 — avec mission de vérifier l'authenticité des nouvelles qui lui étaient parvenues. Si elles étaient vraies, les délégués devaient demander un délai de six mois pour permettre à Louis de se justifier. A cette requête Jean répondit, le 7 janvier, en accordant seulement un délai de deux mois à dater de ce jour. Dans l'intervalle, Louis avait repris courage. Peut-être avait-il été réconforté par le conflit entre Jean et les Franciscains, car les lettres accréditant les délégués avaient été précisément émises le jour ou paraissait la bulle Cum inter nonnullos (12 novembre). Le 18 décembre Louis lança la Protestation de Nuremberg, audacieuse revendication des droits de la nation allemande et de l'empire contre les nouvelles prétentions de la papauté. Dans cette protestation, il réclamait la convocation d'un concile général devant lequel il pût faire valoir ses droits ; comme chef de l'empire, il avait le devoir de maintenir la pureté de la foi contre un pape qui se faisait fauteur d'hérétiques. D'ailleurs, il comprenait si mal les questions en litige que, pour appuyer ce dernier grief, il accusait Jean de protéger à outrance les Franciscains, auxquels on reprochait de violer le secret des confessions. Telle était apparemment l'interprétation suggérée à Louis de la condamnation prononcée par le pape contre la thèse de Jean de Poilly, qui jugeait insuffisante la confession faite à un moine mendiant.

Si Louis crut tout d'abord pouvoir tirer parti de l'hostilité du clergé séculier contre les Mendiants, il comprit bientôt qu'il lui serait plus avantageux d'épouser la cause des Franciscains contre Jean XXII. Le délai de deux mois accordé par le pape expira le 7 mars, sans que Louis se présentât devant le pontife. Le 25 mars, Jean publia contre le contumax une sentence d'excommunication, en menaçant de le destituer de tous droits s'il ne faisait sa soumission avant trois mois. Louis répondit par la Protestation de Sachsenhausen. Ce document atteste que, depuis le mois de décembre 1323, l'empereur était entré en relations avec les Franciscains hostiles au Saint-Siège, qu'il avait conclu avec eux une alliance et qu'il avait reconnu combien il y aurait profit pour lui à se poser en champion de la foi et à accuser le pape d'hérésie. Après avoir constaté les empiètements de Jean sur les droits de l'empire, la Protestation soulève la question des récentes bulles relatives à la pauvreté et entre, à ce sujet, dans une minutieuse controverse. Jean avait déclaré, devant des Franciscains de haut grade, que depuis quarante ans il tenait la Règle de François pour une inapplicable folie. Comme la Règle était une révélation émanant du Christ, cette seule assertion prouvait que le pape était hérétique. De plus, comme l'Église est infaillible dans les articles de foi qu'elle décrète, et comme elle s'était, à plusieurs reprises, prononcée en faveur de la pauvreté du Christ, par la bouche d'Honorius III, d'Innocent IV, d'Alexandre IV, d'Innocent V, de Nicolas Ill et de Nicolas IV, Jean, en condamnant cette doctrine, fournissait lui-même la preuve de son hérésie. En conséquence, par ses deux statuts Ad conditorem et Cum inter nonnullos, il s'était retranché de l'Église, comme hérétique manifeste, professant une erreur condamnée, et il s'était rendu indigne d'occuper le siège pontifical. Louis s'engageait par serment à prouver ses allégations devant un concile général convoqué en quelque lieu sûr[4].

Jean continua ses poursuites contre lui en lançant, le 11 juillet, une nouvelle déclaration, dans laquelle, sans daigner tenir compte de la Protestation de Sachsenhausen, il annonçait que Louis, par sa contumace, avait forfait tout droit à l'empire ; si le rebelle persistait plus longtemps dans son insoumission, il perdrait son duché héréditaire de Bavière et ses autres domaines, Louis était sommé de comparaître le fer octobre pour entendre du pape la sentence finale. Pourtant Jean ne pouvait laisser sans réplique l'injure faite à son orthodoxie ; le 10 novembre, il lança la bulle Quia quorum-dam, dans laquelle il affirmait n'avoir nullement abusé de son pouvoir en rapportant les décisions de ses prédécesseurs ; il stigmatisait, comme une hérésie condamnée, la doctrine que le Christ et les Apôtres avaient simplement l'usufruit, non la propriété légale, des objets dont l'Écriture leur attribue formellement la possession ; car si cette doctrine était vraie, il s'ensuivrait que le Christ détenait des biens injustement, ce qui constituerait un blasphème. Quiconque profère, écrit ou professe de telles doctrines se rend coupable d'hérésie et doit être écarté comme hérétique[5].

Ainsi la question de la pauvreté devenait un problème européen. Il est intéressant, pour juger l'état intellectuel du XIVe siècle, de constater qu'au cours de la querelle entre la papauté et l'empire, alors que les plus graves principes du droit publie étaient en jeu, ces principes mêmes n'occupèrent qu'une place secondaire dans les manifestes lancés de part et d'autre. Évidemment, les hommes rusés et adroits qui menaient la controverse comprenaient que, même sur un sujet aussi vulgaire et aussi mesquin, l'opinion publique était plus sensible à des accusations d'hérésie qu'à des raisonnements juridiques sur les droits de l'Église et de l'État[6]. Pourtant, lorsque la querelle s'élargit et s'aggrava, des hommes intelligents et hostiles aux prétentions de la papauté se groupèrent autour de Louis et discutèrent les théories du gouvernement et les droits du Saint-Siège avec une liberté de pensée et de parole inconnue jusqu'alors. Leur appui fut évidemment très utile à l'empereur, mais ils avaient contre eux l'esprit de l'époque. L'autorité spirituelle était encore trop imposante pour que la résistance pût l'emporter et quand Louis eut disparu, il ne resta guère qu'un souvenir des hommes courageux qui avaient tenté de le défendre.

De ces champions, le plus audacieux fut Marsiglio de Padoue. Profondément imbu des principes de la jurisprudence impériale, qui comportait la suprématie de l'État et la subordination de l'Église, Marsiglio avait constaté en France combien l'influence du Droit romain contribuait à affranchir le pouvoir civil ; peut-être avait-il entendu, à l'Université de Paris, les échos des théories professées par Henry de Gand, le célèbre Doctor Solemnis, qui affirmait la souveraineté des peuples sur les princes. Marsiglio conçut l'idée d'une organisation politique qui reproduirait celle de Rome sous les empereurs chrétiens, le peuple y étant reconnu comme source première de toute autorité civile. Aidé de Jean de Jandun, il développa cette conception avec hardiesse et habileté dans son Defensor Pacis ; puis, en 1326, alors que la lutte entre Jean et Louis avait atteint son apogée, les deux auteurs quittèrent Paris pour aller soumettre à l'empereur le résultat de leurs travaux. De plus, dans un court traité, De translatione imperii, Marsiglio esquissa l'histoire des origines du Saint-Empire Romain, montrant l'antique sujétion du Saint-Siège au pouvoir impérial et l'inconsistance des prétentions qu'élevait le pape à la confirmation des empereurs. Jean XXII n'hésita pas à condamner comme hérétiques les audacieux écrivains ; la protection que leur accordait Louis ajouta un chef de plus à l'accusation d'hérésie lancée contre l'empereur. Incapable d'assouvir sur eux sa vengeance, le pape frappa sévèrement quiconque put être soupçonné de complicité. Un certain Francesco de Venise, ancien condisciple de Marsiglio à Paris, fut arrêté et traîné à Avignon : on l'accusait d'avoir aidé à l'élaboration du mauvais livre et d'avoir fourni de l'argent à l'hérésiarque. Devant la Chambre apostolique, l'accusé affirma énergiquement qu'il ignorait le contenu du Defensor Pacis, qu'il avait prêté de l’argent à Marsiglio, chose habituelle entre étudiants, et que Marsiglio avait quitté Paris en lui devant treize sols parisis. Jean de Jandun mourut en 4328 et Marsiglio, au plus tard, en 1343 ; leur bonne étoile leur épargna la douleur d'assister à la ruine de leurs projets. Dans la mesure où des conceptions intellectuelles pouvaient peser dans le conflit, ces deux écrivains furent de puissants alliés pour Louis. Le Defensor Pacis conteste et réfute le « pouvoir des clefs » avec une dialectique aussi claire que convaincante. Dieu seul a le pouvoir de juger, d'absoudre, de condamner. Le pape n'est rien qu'un simple prêtre et la sentence rendue par un prêtre risque d'être dictée par la haine, la faveur ou l'injustice, ce qui lui ôte toute valeur aux yeux de Dieu. Pour que l'excommunication soit valable, il faut que la sentence émane, non du jugement d'un seul prêtre, mais de la communauté entière, délibérant en pleine connaissance de cause. On ne saurait s'étonner qu'une traduction française de cette œuvre, publiée à Paris en 1376, ait provoqué une vive émotion. On entama une longue enquête, qui dura de septembre à décembre et au cours de laquelle tous les savants de la ville durent affirmer sous serment, devant un notaire, qu'ils ignoraient l'auteur de la traduction[7].

Le scolastique Guillaume d'Ockham fut un controversiste plus véhément et plus abondant encore. Lors de la rupture définitive entre la papauté et les Franciscains rigoristes, Ockham était déjà sous le coup d'un procès inquisitorial. Il s'enfuit d'Avignon avec son général, Michele, et trouva, comme les autres, un refuge auprès de Louis. Il rendit à la cause de l'empereur un service immense en liant adroitement la question de la pauvreté du Christ à celle de l'indépendance germanique. Ceux qui refusaient d'accepter la décision pontificale sur quelque point de foi ne pouvaient justifier ce refus qu'en prouvant que les papes étaient faillibles et ne possédaient pas une autorité sans limites. Aussi la querelle qui s'était engagée sur une simple difficulté du dogme franciscain s'élargit-elle jusqu'à embrasser les graves problèmes qui troublaient la paix de l'Europe depuis le temps d'Hildebrand, c'est-à-dire depuis prés de trois siècles. En 1324. Ockham se vanta de tenir tête inébranlablement aux erreurs du « pseudo-pape », affirmant que, tant qu'il aurait une main, du papier, des plumes et de l'encre, nulle injure, nulle calomnie, nulle persécution, nulle exhortation ne l'amènerait à abandonner la lutte. ll tint sa promesse à la lettre ; pendant vingt ans, il produisit une série d'ouvrages de controverse pour la défense de la cause à laquelle il avait voué sa vie. Sans adopter les doctrines radicales de Marsiglio sur l'origine populaire du pouvoir politique, il arriva, dans la pratique, aux mêmes conclusions. Tout en admettant la suprématie du pape, il soutenait qu'un pape peut verser dans l'hérésie, aussi bien qu'un concile général et que la chrétienté entière. L'influence du Saint-Esprit ne prive pas l'homme de son libre-arbitre et ne l'empêche pas de succomber à l'erreur, quelque situation qu'il occupe. Rien n'est certain, hormis l'Écriture ; le plus pauvre et le plus humble des paysans peut adhérer à une vérité catholique qui lui aura été révélée par Dieu, tandis que papes et conciles peuvent rester dans l'erreur. Au-dessus du pape, le concile général représente l'Église entière. Un pape qui refuse d'accueillir un appel adressé à un concile général, ou qui refuse d'assembler ce concile, ou qui s'arroge l'autorité du concile, est hérétique manifeste ; il est du devoir des évêques de le déposer ; si les évêques ne veulent pas accomplir ce devoir, la tâche incombe à l'empereur, qui est tout puissant sur la terre. Mais Ockham ne se borna pas à énoncer des principes généraux : il attaqua impitoyablement les erreurs et les inconséquences de Jean XXIL et prouva que le pape était coupable de soixante-dix hérésies qualifiées. Jusqu'à l'issue malheureuse de la querelle, il soutint la lutte avec la même ardeur. Un à un, ses collègues moururent, le laissant seul ; mais il continua à déverser le ridicule sur la Curie et sur ses créatures dans d'admirables ouvrages de dialectique. La mort même de Louis et la défaite irréparable de sa cause n'arrêtèrent pas sa plume intrépide. Les historiens ecclésiastiques prétendent qu'il finit par faire sa paix et sa soumission en 1349 ; mais c'est là une assertion plus que contestable, attendu que Giacomo della Marcs le cite, avec Michele et Bonagrazia, comme un des trois hérétiques impénitents qui moururent excommuniés.

Il est difficile de déterminer avec exactitude quelle influence exercèrent les puissants génies que l'Angleterre, la France et l'Italie mirent ainsi au service de l'Allemagne revendiquant son indépendance. Peut-être encouragèrent-ils Wickliff à révoquer en doute IA fondements du pouvoir pontifical et la suprématie de l'Église sur l'État, et à tracer ainsi la voie que devaient suivre les Hussites révoltés. Il est possible aussi qu'ils aient contribué à faire naitre le mouvement d'opinion qui donna aux conciles de Constance et de Bâle l'audace de revendiquer leur suprématie sur le Saint-Siège, poussa l'Église gallicane à affirmer ses libertés et l'Angleterre à élaborer la législation hostile des Statuts des Proviseurs et de Prœmunire. Si les complications incurables de la politique allemande ne leur permirent pas de l'emporter sur le champ de bataille choisi par eux, leurs doctrines devaient du moins porter des fruits dans des pays plus éloignés du théâtre de la lutte.

 

Après avoir jeté ce rapide coup d'œil sur les lignes générales de la querelle, il nous est possible désormais de comprendre les vicissitudes du débat engagé au sujet de la pauvreté du Christ, débat qui occupa, dans la lutte, une place hors de toute proportion avec son importance doctrinale. Après la publication des bulles Cum inter nonnullos et Quia quorumdam, il y eut comme une trêve entre Jean et les chefs de l'Ordre franciscain. Chacun des partis semblait craindre de hâter, par quelque maladresse, l'explosion du conflit que tous sentaient pourtant inévitable. Entre temps, on prenait position et on engageait de petites escarmouches. En 1325, Michele avait convoqué le chapitre général, qui devait se tenir â Paris. Mais il eut peur que le chapitre ne tentât d'annuler les déclarations faites â Pérouse et que Jean n'exerçât une pression par l'entre - mise du roi Charles le Bel, dont l'influence était considérable grâce aux nombreux bénéfices dont il disposait. Aussi transféra-t-il soudain le lieu de réunion â Lyon, où l'on eut à souffrir des intrigues d'une créature du pape, Gérard Odo, plus tard successeur de Michele. Ce personnage s'efforça d'obtenir un adoucissement, de la Règle en ce qui concernait la pauvreté. Mais les Frères tinrent bon, et les tentatives de Gérard Odo échouèrent ; d'autre part, on vota un statut menaçant d'emprisonnement quiconque parlerait légèrement ou irrévérencieusement de Jean XXII et de ses décrétales. Cette décision montre quelles violentes passions couvaient sous le calme apparent. Peu après cet événement, on voit soudain entamer des poursuites contre notre vieille connaissance Ubertino da Casale, que ne défendit ni son habit bénédictin, ni la vie paisible et obscure qu'il menait en Italie. On le soupçonnait sans doute d'avoir fourni des arguments à la Protestation de Sachsenhausen, au sujet de la pauvreté du Christ. Le 46 septembre 1325 arriva l'ordre de l'arrêter ; mais il eut vent de l'affaire et s'enfuit en Allemagne. Ubertino fut le premier des illustres bannis qui s'assemblèrent autour de Louis de Bavière. Il fit cependant sa paix avec l'Église en 1330. Jean finit par se lasser de l'insubordination tacite de ces Franciscains qui sans doute ne contestaient pas ouvertement les décisions prises par lui au sujet de la pauvreté du Christ, mais qu'il savait secrètement attachés à la doctrine condamnée. En 1326, Michele lança un décret soumettant à une rigoureuse censure tous les écrits des Frères et imposant le respect de la Règle qui interdisait la discussion des opinions douteuses. Il imposait ainsi silence à l'Ordre, espérant par là empêcher les dissensions. Mais Jean n'était pas homme à se contenter d'un silence qui dissimulait une opposition. En août nr, il entama les hostilités. Par la bulle Quia nonnunquam, adressée aux archevêques et aux inquisiteurs, il avait déclaré que nombre de gens croyaient encore à la pauvreté du Christ, bien qu'il eût réprouvé cette croyance comme hérétique. Cette fois, il enjoignait aux prélats inquisiteurs de poursuivre vigoureusement les coupables ; sans nommer spécialement les Franciscains, il insérait dans son décret une clause privant les accusés de tout privilège pontifical et les soumettant aux juridictions ordinaires, clause qui montre clairement que cet assaut était dirigé contre les moines. Il est fort possible que cette mesure ait été provoquée par quelque agitation au sein des Spirituels modérés d'Italie. Ces hommes, que l'on commençait à appeler Fraticelli, ne s'étaient jamais laissé aller au dangereux enthousiasme des Olivistes, mais ils étaient prêts à subir le martyre pour la défense des principes sacro-saints de la pauvreté. Le pape, en niant la pauvreté du Christ, avait dû causer chez ces hommes une vive émotion, en même temps qu'un encouragement leur était offert par le spectacle de l'Ordre tout entier, devenu de plus en plus hostile au Saint-Siège.

La Sicile avait longtemps été le refuge des plus ardents Spirituels, chassés d'Italie par la persécution. On les voit à ce moment revenir en Calabre et Jean envoie au ministre de Calabre, Niccolo da Reggio, des instructions féroces pour l'extermination des sectaires. Il faut dresser et transmettre au pape la liste de ceux qui favorisent les Spirituels ; le roi Robert est invité à s'associer à l'œuvre sainte. Robert, bien qu'il fût l'allié du pape et que la faveur de Jean lui fût nécessaire pour la réussite de ses projets ambitieux, était partisan sincère des Franciscains. Il n'oublia jamais, semble-t-il, les enseignements d'Arnaud de Villeneuve. Suivant l'exemple de son père. Charles le Boiteux, qui était intervenu pour protéger les Spirituels de Provence, Robert et la reine s'employèrent de tout leur pouvoir à modérer l'emportement du pape. En même temps, Robert encourageait l'Ordre à tenir bon dans la défense de la Règle. Sa bienveillante protection ne faisait pas de distinction entre la résistance organisée de l'Ordre et la mutinerie irrégulière des Fraticelli. A ces derniers, ses domaines offraient un refuge aussi sûr que la Sicile. Le trouble causé par les décisions de Jean provoqua naturellement un nouvel afflux de ces réfugiés. Naturellement aussi, des hommes ardents, mécontents de voir Michele acquiescer en apparence à la nouvelle hérésie de Jean, vinrent grossir les rangs des Fraticelli. Ils prirent pour chef Henry da Ceva, qui s'était enfui en Sicile lors de la persécution engagée sous Boniface VIII ; ils l'élurent ministre-général et constituèrent une organisation indépendante. Plus tard, quand Jean triompha de l'Ordre, ce parti groupa tout ce qui restait de récalcitrants et forma une secte dont nous verrons se prolonger, pendant un siècle et demi, l'étrange résistance à la plus cruelle persécution.

Michele da Cesena ne désapprouvait pas cette persécution frappant des Frères insubordonnés ; il n'hésitait pas à croire qu'ils étaient visés par la bulle d'août 1327. Il persista donc dans son attitude soumise. En juin, le pape l'avait mandé de Rome à Avignon, mais Michele s'était dérobé en alléguant son état de santé. Les messagers porteurs de ses excuses furent reçus avec affabilité. Michele lui-même ne se présenta devant Jean que le 2 décembre. Le pape déclara plus tard avoir mandé le général franciscain pour qu'il se lavât de l'accusation d'avoir secrètement encouragé des rebelles et des hérétiques ; en réalité, l'objet de la convocation était de s'assurer de- la personne de Michele. Cependant Jean lui fit un accueil fort bienveillant et prétendit qu'il l'avait appelé pour parer à des désordres qui s'étaient produits dans les provinces d'Assise et d'Aragon. Michele, toujours obéissant, déplaça les ministres de ces provinces. Jusqu'en avril 1328, il resta à la cour pontificale, entretenant, en apparence, les meilleurs rapports avec Jean.

Cependant la querelle entre la papauté et l'empire s'était lentement envenimée. Au printemps de 1326, Louis entreprit soudain, sans préparatifs sérieux, une expédition en Italie, pour aller, sur l'invitation des Gibelins, se faire couronner empereur. Quand il arriva à Milan, en avril, pour y recevoir la couronne de fer, Jean lui interdit formellement d'aller plus loin ; l'empereur ayant passé outre, le pape se disposa à l'excommunier de nouveau. Alors commença une nouvelle série de citations et de condamnations pour hérésie. Jean fit prêcher contre le pécheur impénitent une croisade payée des indulgences de Terre-Sainte. Sans se laisser émouvoir, Louis avança lentement jusqu'à Rome, où il entra le 7 janvier 1327 et où, au mépris des prérogatives pontificales, il se fit couronner le 17 par quatre syndics élus par le peuple ; après quoi, selon l'usage, il changea son titre de Roi des Romains en celui d'Empereur. Comme défenseur de la foi, il entreprit de juger le pape, coupable d'une hérésie consistant à nier la pauvreté du Christ. Le 14 avril, il promulgua une loi permettant de poursuivre et de condamner in absentia les gens notoirement réputés traîtres ou hérétiques ; en cela, il imitait l'injustice du pape dont il se plaignait lui-même d'être la victime. Le 17, la sentence de déposition fut solennellement proclamée au peuple assemblé devant la basilique de Saint-Pierre. La sentence était rendue à la requête du clergé et du peuple de Rome ; elle récapitulait les crimes du pape et le stigmatisait comme Antéchrist ; elle déclarait Jean hérétique, comme coupable de nier la pauvreté du Christ, et déchu du trône pontifical ; elle menaçait de confiscation quiconque prêterait aide ou appui au condamné.

Comme l'Église avait absolument besoin d'un pape et que les cardinaux du Collège étaient excommuniés en tant que fauteurs d'hérésie, on eut recours à la méthode primitive d'élection. Le 42 mai, le peuple et le clergé de Rome furent appelés à voter, et on présenta au monde chrétien un nouvel Évêque de Rome en la personne de Pier di Corbario, vénérable Franciscain renommé pour son austérité et son éloquence. Il était ministre de la province des Abruzzes et pénitencier pontifical. Il avait été marié et sa femme vivait encore ; on disait qu'il était entré dans l'Ordre sans le consentement de celle-ci et qu'il était, par suite, « irrégulier ». Cette affaire eut des suites scandaleuses : la femme, qui, ju3qu'à ce moment, ne s'était jamais plainte d'avoir été abandonnée, vint réclamer une indemnité. Le nouveau pape prit le nom de Nicolas V ; un collège de cardinaux fut bientôt créé à son intention ; il nomma des nonces et des légats et dégrada les évêques guelfes pour les remplacer par des Gibelins. On pense bien que la confusion créée par ces mesures révolutionnaires permit aux Fraticelli de sortir de leurs cachettes et de croire à la prochaine réalisation de leurs beaux rêves.

Bien qu'un chapitre convoqué à Anagni par le préfet franciscain de la province romaine se fût prononcé contre Pier di Corbario et eût ordonné à l'usurpateur de renoncer à sa dignité illégitime, il était impossible que l'Ordre échappât à la responsabilité de la rébellion, et il est vraisemblable que Michele da Cesena ne demeura pas étranger à toute l'affaire. Il était resté tranquillement à Avignon et Jean n'avait pas cessé de le traiter avec cordialité ; soudain, le 9 avril, le pape le manda à une audience et lui adressa de vifs reproches au sujet de la décision prise six ans auparavant par le chapitre de Pérouse, affirmant la pauvreté du Christ. Michele défendit énergiquement la décision du chapitre, déclarant que, si cette opinion était entachée d'hérésie, Nicolas IV et les autres papes qui avaient soutenu la même doctrine devaient être considérés comme hérétiques. La rage du pape se déchaina aussitôt. Michele devint « un fou opiniâtre, un fauteur d'hérétiques, un serpent que l'Église avait réchauffé dans son sein ». Quand ce torrent d'invectives fut passé, Michele fut considéré comme prisonnier sur parole ; il reçut défense de quitter Avignon sous peine d'excommunication, de perte de sa chargé et d'incapacité future. Quelques jours plus tard, le 14 avril, dans le mystère du couvent franciscain, Michele jeta le masque en faisant dresser par un notaire une protestation solennelle. En présence de Guillaume d'Ockham, de Bonagrazia et d'autres fidèles amis, il soutint que le pape était hérétique ou n'était pas pape ; car, ou bien les opinions actuelles de Jean étaient erronées, ou bien Nicolas 1V avait été hérétique ; en ce dernier cas, Boniface VIII et Clément V, qui avaient approuvé la bulle Exiit qui seminat, étaient également hérétiques, les nominations de cardinaux effectuées par eux étaient nulles et le conclave qui avait élu Jean n'avait aucune autorité légale. Michele protestait contre tout ce qu'on pourrait faire en dérogation aux droits de l'Ordre, déclarait que lui-même était opprimé et justement inquiet, et que les actes auxquels il pourrait être contraint devaient être tenus pour nuls et non avenus. Ce document, dans son ensemble, est une triste constatation des subterfuges que rendaient nécessaires les mœurs violentes de l'époque.

Michele fut retenu à Avignon, tandis que se réunissait à Bologne le chapitre général de l'Ordre. Jean envoya Bertrand, évêque d'Ostie, avec mission, de provoquer l'élection d'un nouveau général. Mais l'Ordre s'entêta. Le chapitre adressa au pape un message quelque peu provocateur et réélut Michele, en lui demandant de plus de désigner Paris comme lieu de réunion pour le prochain chapitre, qui devait, d'après la Règle, avoir lieu dans trois ans. Michèle consentit. En présence du drame qui se jouait à Rome, il avait le droit de craindre pour sa vie ou pour sa liberté. On entama des préparatifs de fuite. Une galère fournie, d'après Jean, par l'empereur Louis, mais que des autorités plus dignes de foi affirment avoir été frétée par des réfugiés génois, fut envoyée à Aigues-Mortes. Michele s'enfuit dans ce port le 26 mai en compagnie d'Ockham et de Bonagrazia. L'évêque de Porto, envoyé en hâte à la poursuite du fugitif, eut une entrevue avec Michele sur le pont de la galère, mais ne réussit pas à lui persuader de revenir. Michele arriva â Pise le 9 juin. Dès lors s'engagea une interminable guerre de manifestes : Michele, excommunié et déposé, établit de son côté que Jean était hérétique et avait justement forfait la dignité pontificale. Mais le Franciscain n'avait pour arme que son éloquence, tandis que Jean pouvait agir autrement. Bertrand de la Tour, cardinal de San Vitale, fut nommé vicaire-général de l'Ordre ; un autre chapitre général fut convoqué à Paris pour le mois de juin 1329 ; on fit, â cet effet, des préparatifs consistant à révoquer tous les provinciaux favorables à Michele en les remplaçant par des hommes sûrs. Sur les trente-quatre membres du chapitre de Bologne, quatorze seulement se retrouvèrent à Paris. Michele fut déposé et Gérard Odo élu général ; mais la pression officielle ne fut pas assez forte pour obtenir du chapitre une déclaration condamnant la doctrine de la pauvreté du Christ. La masse de l'Ordre, réduite au silence, demeura fidèle aux principes représentés par le général déposé, jusqu'au jour où les mesures arbitraires du pape et la leçon terrifiante donnée par le châtiment des rebelles contraignirent les moines à l'obéissance. Cependant Jean ne se montra pas disposé à adoucir la discipline franciscaine et, en 4382, quand Gérard Odo, espérant gagner le chapeau de cardinal, persuada à quatorze provinciaux de se joindre à lui pour soumettre au pape une glose entrainant l'annulation absolue de l'obligation de pauvreté, il ne recueillit que les moqueries du pape et du Sacré Collège[8].

La solution de la question dépendait moins de considérations religieuses que des circonstances politiques. Louis avait quitté Rome et s'était établi à Pise, avec son pape, ses cardinaux et ses Franciscains. Mais les Italiens se lassaient peu à peu de leur empereur allemand. Ce fut bien inutilement qu'en janvier 1329 il s'offrit l'enfantine satisfaction de brûler solennellement Jean XXII en effigie ; il dut peu après quitter la ville, et, vers la fin de l'année, repartit pour l'Allemagne, emmenant les hommes qui allaient mettre au service de sa cause tout le savoir des écoles et abandonnant à leur destinée ceux de ses partisans qui ne purent le suivre.

La procédure qui fut alors entamée à Todi montre avec quelle rapidité l'Inquisition se mit à la poursuite de l'ennemi en retraite, et quel précieux auxiliaire politique était le Saint-Office pour réduire des rebelles à l'obéissance.

Les gens de Todi étaient gibelins. En 4317, comme Jean XXII avait ordonné à Francisco Damiani, inquisiteur de Spolète, de poursuivre énergiquement Mucio Canistrario de Todi pour rébellion contre l'Église, et que Mucio avait été emprisonné en conséquence, le peuple s'était insurgé, avait délivré le captif et contraint l'inquisiteur à chercher le salut dans la fuite. En août 1328, Todi avait salué Louis empereur et Pier di Corbario pape et avait enjoint aux notaires de dater tous les actes des années de règne du nouvel empereur. De plus, les citoyens avaient attaqué et pris la ville guelfe d'Orvieto, et, comme toutes les municipalités qui adhéraient à la cause de Louis, Todi avait expulsé les Dominicains. En août 1329, quand Louis abandonna ses alliés, une procédure fut entamée contre la cité par les soins de l'inquisiteur franciscain, Fra Bartolino de Pérouse. Celui-ci annonça qu'il allait entreprendre, par tout. le district d'Assise, une enquête rigoureuse contre tous les Patarins et hérétiques, contre ceux qui ne tiennent pas pour péchés les erreurs que l'Église flétrit comme telles, ou qui con- sidèrent ces péchés comme peu importants, contre ceux qui donnent des Écritures une interprétation autre que celle de l'Église, contre ceux qui attaquent l'organisation, les observances et les doctrines de l'Église romaine, enfin contre ceux qui ont dénigré la dignité, la personne et les décrets du pape. Il procéda donc à une recherche attentive des actes commis par les citoyens au cours de la visite de Louis. La moindre marque de déférence à l'égard de celui-ci était considérée comme un crime. Puis, deux séries de poursuites furent entamées, l'une contre les Gibelins de la cité, l'autre contre les Franciscains « rebelles ». Ces derniers furent sommés de répondre à cinq questions. « Était-il vrai qu'ils eussent accordé crédit, faveur et adhésion au Bavarois et à l'antipape usurpateur ; qu'ils eussent marché processionnellement, en portant une croix, au-devant de ces hérétiques à leur entrée à Todi ; qu'ils eussent obéi et rendu hommage au Bavarois comme empereur et à P. di Corbario comme pape ; qu'ils eussent professé ou prêché que les constitutions de Jean étaient hérétiques ainsi que le pape lui-même ; qu'après la condamnation et la déposition de Made da Cesena pour crime d'hérésie, ils fussent restés fidèles à l'homme ou à ses erreurs ? » Cet interrogatoire atteste avec quelle habileté on avait mêlé la religion et la politique, et à quelles enquêtes généralisées se prêtait le mécanisme inquisitorial. La procédure fut longue. Le 1er juillet 1330, Jean condamna les citoyens en masse, comme hérétiques et fauteurs d'hérésie. Le 7 juillet, il transmit la sentence au légat, le cardinal Orsini, en lui enjoignant de citer formellement les citoyens et de les juger, d'après la formule inquisitoriale, summarie et de plano et sine strepitu et figura. Ces mesures contraignirent finalement les gens de Todi à la soumission. Le cardinal leur envoya Fra Bartolino et son collègue et la ville fut admise à la réconciliation, sous réserve de l'approbation papale. Les habitants, qui avaient dei jadis faire un don de dix mille florins à Louis, eurent à payer maintenant une amende fixée à la même somme, plus une imposition de cent livres par tête frappant cent trente-quatre citoyens. Apparemment, ces conditions ne satisfirent pas Jean, car un bref du 20 juillet 1331 déclarait que la soumission des citoyens avait été une dérision et lançait à nouveau l'interdit sur la cité. Le dernier document que l'on possède sur cette affaire est une liste envoyée, le ter juin 1332, par le légat à l'évêque de Todi, liste ou figurent cent quatre-vingt-dix-sept personnes, parmi lesquelles des Franciscains, des prêtres paroissiaux, des chefs de maisons religieuses, des nobles et des citoyens. Tous ces inculpés sont sommés de comparaître devant le légat à Orvieto, le 15 juin, pour être jugés en vertu de l'inquisition instituée contre eux. Le procès dut être conduit activement, car, la même année, comme le général Gérard Odo se proposait de révoquer le mandat de Fra. Bartolino, Jean inter : vint et prorogea les pouvoirs de l'inquisiteur afin de lui permettre de continuer les poursuites jusqu'à la sentence finale. On peut voir dans cette affaire un exemple de la rigoureuse persécution qui se déchaînait partout où les Gibelins n'étaient pas assez puissants pour se défendre par la force des armes.

Quant au malheureux antipape, il eut un sort plus déplorable encore. Louis l'avait placé, à Pise, sous la protection du comte Fazio da Doneratico, le plus puissant seigneur de la ville. Celui-ci le cacha quelque temps dans un château à Maremnia. Le 18 juin 1329, les Pisans se soulevèrent et chassèrent la garnison impériale. Au mois de janvier suivant, ils furent admis à la réconciliation. Une des conditions du marché fut que les citoyens livreraient Pier di Corbario, envers lequel Jean promit de se conduire en bon père et en ami bienveillant. De plus. Fazio fut récompensé de sa trahison. Pier abjura publiquement ses hérésies à Pise, puis fut envoyé, sous la garde de deux galères de l'État, à Nice, où il fut remis aux représentants du pape. Dans chaque ville située sur la route d'Avignon, il dut répéter publiquement son abjuration et sa protestation d'humilité. Le 25 août 1330, il comparut, la corde au cou, devant le pape, en consistoire public. Épuisé, brisé par la honte et la souffrance, il tomba aux pieds de son rival et demanda grâce, abjurant et anathématisant ses hérésies, en particulier l'erreur relative à la pauvreté du Christ. Puis on l'obligea, en consistoire privé, à confesser à nouveau une longue liste de crimes et à accepter telle pénitence qu'on lui infligerait. On ne lui épargna nulle humiliation, on ne négligea rien pour rendre complète son abjecte rétractation. Ayant ainsi fait du malheureux l'objet du mépris public, lui ayant ôté tout moyen de nuire. Jean lui épargna charitablement la torture physique. Pier fut confiné dans un appartement du palais pontifical, nourri des mets préparés pour la table du pape et autorisé à faire usage de livres ; mais nul n'était admis à lui rendre visite sans un ordre spécial du Pape. Cette misérable existence s'acheva bientôt. Quand Pier mourut, en 1333, on l'ensevelit sous l'habit franciscain. A considérer la férocité habituelle de l'époque, on peut estimer que le traitement infligé à l'antipape est un des actes les moins odieux de la vie de Jean XXII. On ne pouvait guère s'attendre à tant de mansuétude après le déchainement de sauvages ressentiments qui avait inspiré la malédiction ernulphienne lancée par Jean, le 20 avril 1329, contre son rival déjà abattu : « Puisse-t-il ici-bas éprouver la colère de Pierre et de Paul, dont il a cherché à ruiner l'Église ! Que sa demeure soit déserte et que nul ne consente à vivre sous son toit ! Que ses enfants soient orphelins, que sa femme soit veuve ! Qu'ils soient chassés de leur foyer et réduits à mendier ! Que les usuriers dévorent leur bien et que les étrangers volent le travail de leurs mains ! Que la terre entière lutte contre cet homme, que les éléments soient ses ennemis, que les mérites de tous les saints habitant le séjour de la béatitude le confondent et tirent vengeance de lui tant qu'il vivra ! »

Au cours de ce débat, l'opinion publique ne se montra nullement unanime en faveur de Jean ; niais l'Inquisition servit efficacement à réprimer toutes les manifestations hostiles. En 1328, à Carcassonne, un certain Germain Frevier fut jugé par Je Saint-Office. On l'accusait d'avoir tenu des propos blasphématoires contre Jean et d'avoir stigmatisé, comme entachée de simonie, l'élection de ce pontife, qui avait promis de ne mettre le pied à l'étrier que pour se rendre à Home. De plus, Germain avait déclaré que le pape franciscain était le vrai pape et que, pour lui, s'il avait de l'argent, il irait rejoindre Pier et le Bavarois. Germain n'avait pas de goût pour le martyre ; il commença par nier, puis, quand on l'eut laissé méditer en prison pendant cinq mois, il allégua qu'il avait commis le délit en état d'ivresse et ne sachant pas ce qu'il disait. Un nouveau délai lui fit comprendre l'inutilité de la résistance ; il confessa ses fautes et implora son pardon.

Une autre affaire, qui se présenta en 1329, dévoile les sentiments secrets d'un grand nombre de Franciscains et les moyens qu'on dut employer pour leur imposer l'obéissance. Devant l'Inquisition de Carcassonne, Frère Barthélemi Bruguière confessa qu'en disant la messe, quand il était arrivé à la prière pour le pape, il s'était demandé en faveur de quel pape il devait implorer Dieu ; finalement, il avait exprimé le désir que sa prière allât à celui des deux qui était légalement le chef de l'Église. Beaucoup de ses frères, disait-il, avaient coutume de souhaiter que Dieu donnât à Jean XXII tant d'occupations qu'il en oubliât les Franciscains, car il leur semblait que le pape ne s'attachait qu'à les affliger. Ils estimaient généralement que leur général Michele avait été injustement déposé et excommunié. Dans une grande assemblée de moines, Frère Barthélemi avait dit : « Je souhaiterais que cet antipape fût un Dominicain ou appartint à quelque autre Ordre. » Un des assistants avait répondu : « Je me réjouis, tout au contraire, qu'il soit Franciscain, car s'il appartenait à un autre Ordre, nous n'aurions pas un seul ami. Aujourd'hui du moins nous possédons un ami dans cet Italien. » Ces paroles avaient été couvertes d'applaudissements. Frère Barthélemi tint ferme pendant quelque temps ; puis la prison, la menace des chaînes et du jeûne forcé brisèrent son courage ; il s'abandonna à la merci de l'inquisiteur Henri de Chamay. La clémence du magistrat inquisitorial se traduisit par une condamnation à l'emprisonnement perpétuel, avec fers aux mains et aux pieds et, pour toute nourriture, le pain et l'eau. Il est probable que le Dominicain se réjouit de publier son triomphe sur un Franciscain, car il permit à Barthélemi de conserver l'habit religieux. Mais Jean voulait que ses vengeances fussent complètes : un an plus tard, il écrivit à Henri de Chamay que, le délinquant ayant été chassé de l'Ordre, il fallait le dépouiller de son habit et remettre la robe aux autorités franciscaines.

En Allemagne, la plupart des Franciscains restèrent fidèles à Michele et à Louis et furent, pour ce dernier, de précieux auxiliaires dans la lutte. Cette fidélité était mise à l'épreuve par l'observance de l'interdit qui ; pendant tant d'années, suspendit le service divin d'un bout à l'autre de l'empire, et fut une si douloureuse humiliation pour les croyants. Les Franciscains méprisèrent généralement l'interdit. Ce fut sans grand profit que Jean lança, en janvier 1331, une bulle spécialement dirigée contre eux, dépouillant de tous privilèges et immunités quiconque reconnaissait Louis comme empereur et célébrait des offices en des localités frappées d'interdit, et ordonnant aux prélats et aux inquisiteurs de poursuivre les rebelles. Louis, de son côté, ne manquait pas d'imposer l'obéissance par la persécution, partout où il exerçait quelque pouvoir. Un rescrit impérial de juin 1330, adressé aux magistrats d'Aix, leur enjoint d'aider et de protéger les Franciscains Siegelbert de Landsberg et Jean de Royda, et d'emprisonner tous les Frères que ces deux « maîtres de vérité désigneraient comme rebelles à l'Empire ou à l'Ordre, en attendant que le général Michel° décidât du sort des prisonniers. On voit par-là que, même en Allemagne, l'Ordre n'était pas unanime dans ses opinions ; cependant il est certain que l'excellent Franciscain Jean de Winterthur traduit les sentiments de la majorité lorsqu'il déclare que le lecteur sera frappé d'horreur et de stupéfaction en apprenant les actes par lesquels le pape a bouleversé l'Église. Pris d'une sorte de rage folle, Jean niait la pauvreté du Christ et, comme les Franciscains lui résistaient, il les persécutait sans mesure. Les Dominicains l'encourageaient et il payait généreusement leur appui. L'inimitié traditionnelle entre les deux Ordres trouvait, en cette affaire, ample satisfaction. Les Dominicains, pour exciter contre les Franciscains le mépris public, exhibaient des tableaux où le Christ était représenté tenant une bourse et y plongeant la main pour en tirer de l'argent. Bien plus, à la grande horreur des fidèles, ils affichaient aux murs de leurs monastères, dans les endroits les plus fréquentés, des tableaux où l'on voyait le Christ suspendu sur la croix, une main clouée sur le bois, l'autre mettant de l'argent dans un sac attaché à sa ceinture. Pourtant, l'animosité et le zèle religieux n'éteignaient pas tout patriotisme dans l'âme des Dominicains. Irrités, d'autre part, d'avoir vu condamner Maitre Eckart pour hérésie, ils fournirent quelques alliés à la cause impériale. C'est peut-être pour cette raison que Louis trouva un appui en Tauler et aussi en Marguerite Ebner, membre de la secte des Amis de Dieu, la plus éminente Dominicaine de l'époque. Il est vrai que nombre de couvents dominicains furent fermés pendant des années, et que les moines furent dispersés et exilés pour avoir opiniâtrement refusé de célébrer l'office divin ; mais d'autres ne se plièrent qu'à contre-cœur aux ordres pontificaux. A Landshut, ils avaient interrompu le service public ; mais quand ils apprirent la venue de l'empereur, ils s'entendirent 'secrètement avec le duc de Teck, afin que celui-ci attaquât leur maison, la torche à la main, en menaçant d'y mettre le feu, ce qui leur fournirait, pour reprendre le culte public, le prétexte d'une contrainte violente. La comédie fut jouée avec succès. D'ailleurs, le chapitre général de 1328 se plaignit qu'en beaucoup de communautés allemandes les moines montrassent une grande négligence à publier les bulles papales concernant Louis.

Ce n'était là, cependant, qu'un épisode de la lutte politique : l'issue devait dépendre des rivalités entre les maisons de Wittelsbach, de Habsbourg et de Luxembourg, ainsi que des intrigues de la France. Louis arriva peu à peu à éveiller et à concentrer sur sa personne l'esprit national, tâche dans laquelle il fut secondé par l'arrogant dédain qu'opposèrent Jean XXII et ses successeurs à ses offres réitérées de transaction. En 1330, Louis s'était momentanément assuré l'appui du roi de Bohème, Jean de Luxembourg, et du duc d'Autriche ; ceux-ci s'étaient offerts comme garants de sa bonne foi, affirmant qu'il était prêt â faire tout ce qu'on exigerait de lui, pourvu qu'on reconnût l'indépendance de l'Empire ; °mais Jean avait répondu que Louis était hérétique et, par conséquent, frappé d'incapacité ; c'était un brigand, un voleur, un homme pervers, qui s'était associé à Michele, à Ockham, à Bonagrazia, à Marsiglio ; non seulement ce personnage n'avait aucun titre à occuper le trône impérial, mais, s'il était reconnu, la Chrétienté se trouverait dans une situation telle qu'on n'en saurait imaginer de plus déplorable. Une seconde tentative fut faite après la mort de Jean, en décembre 1334 ; mais l'intérêt politique de la France et de la Bohème exigeait la prolongation de la lutte, et Benoit XII se montra aussi intraitable que son prédécesseur.

Louis était toujours disposé à sacrifier ses alliés les Franciscains ; mais la papauté réclamait le droit de décider en fait à qui devait appartenir l'Empire, si bien que Louis, en faisant habilement appel à l'orgueil national, acquit peu à peu l'appui d'États et de villes chaque jour plus nombreux. En 1338, la Convention de Rhense et le Reichstag de Francfort proclamèrent que le caractère définitif du choix fait par les électeurs était partie intégrante de la loi de l'Empire, et que la papauté n'avait aucun pouvoir de confirmation. On ordonnait, en même temps, de ne pas observer l'interdit dans tous les États adhérant à la cause de Louis ; les ecclésiastiques étaient invités à reprendre le culte public avant dix-huit jours, sous peine de subir dix années d'exil. Le clergé pouvait sans trop de difficultés accepter ce dilemme, car, en pareil cas, la Curie romaine vendait pour un florin les absolutions.

Dans la querelle entre Louis et la papauté, la petite colonie des Franciscains réfugiés à Munich rendit d'immenses services à la cause impériale ; mais elle dura peu. Michele da Cesena mourut le 29 novembre 1342. Son dernier acte avait été un long manifeste prouvant que Jean était mort hérétique impénitent et que les successeurs du défunt, en défendant les mêmes erreurs, étaient également hérétiques ; s'il existe dans toute la Chrétienté un homme, qui possède la vraie foi, cet homme constitue à lui seul l'Église. La palinodie dithyrambique, qui passe pour être la rétractation qu'il prononça à son lit de mort, est sûrement un faux. Jusqu'au dernier moment Michele resta fidèle à ses principes. En mourant, il remit le sceau de l'Ordre à Guillaume d'Ockham, comme Vicaire-général ; déjà, en avril 1342, Michele avait nommé deux citoyens de Munich, Jean Schito et Grimold Treslo, syndics et procureurs de l'Ordre ; Treslo devint par la suite général. Bonagrazia mourut en juin 1347 ; jusqu'au dernier souffle, cet homme indomptable affirma que la cause de Louis était juste. La date de la mort de Guillaume d'Ockham est douteuse ; elle doit se placer entre 1347 et 1350.

Ainsi disparurent, un à un, les hommes qui avaient si vaillamment défendu la doctrine de la pauvreté du Christ. Quant aux idées politiques conçues par Marsiglio et par Ockham, elles avaient fait leur œuvre et ne pouvaient plus influer sur la marche des événements. A la mort de Benoit XII, en 1342, Louis fit de nouveaux efforts en vue de rétablir la paix. Mais Jean de Bohème intriguait pour assurer à sa liaison la succession du trône impérial. Le seul résultat de cette tentative fut de fortifier la position de Louis, en montrant l'impossibilité d'obtenir des conditions acceptables pour l'empire. Cependant les intrigues du Bohémien se poursuivirent : en juillet 1346, les trois électeurs ecclésiastiques de Mayence, Trèves et Cologne s'assemblèrent à Rhense, avec Rodolphe de Saxe et Jean .de Bohème, à l'instigation de Clément VI, et élurent Roi des Romains le fils de Jean, Charles, margrave de Moravie. Mais ce mouvement n'avait pas l'appui du peuple et quand Louis accourut dans les provinces rhénanes, toutes les cités et presque tous les princes et nobles lui apportèrent leur adhésion. Si l'élection avait été ajournée de quelques semaines, elle aurait été impossible, car le mois suivant, à la bataille de Crécy, le vaillant Jean de Bohême périt d'une mort chevaleresque, tandis que le roi nouvellement élu, Charles, cherchait le salut dans la fuite. L'influence française fut momentanément éclipsée. Inauguré sous de si fâcheux auspices, le règne de Charles IV paraissait devoir être de courte durée, lorsqu'en octobre 1347 Louis, en se livrant à la chasse, son passe-temps favori, fut frappé d'une attaque d'apoplexie et tomba mort du haut de son cheval. On crut voir la main de Dieu dans la disparition de tous les ennemis du Saint-Siège : Charles n'avait plus à redouter aucune opposition.

Clément VI s'empressa de tirer le plus grand parti possible de cette bonne fortune inattendue. Il chargea l'archevêque de Prague et l'évêque de Bamberg de « réconcilier » toutes les communes et toutes les personnes qui avaient encouru l'excommunication en prêtant assistance au Bavarois. La formule d'absolution imposait aux pénitents de jurer qu'ils tenaient pour hérésie la déposition d'un pape par un empereur, et de promettre qu'ils n'obéiraient jamais à un empereur avant que celui-ci eût été reconnu par le pape. Cette formule de serment excita un vif déplaisir ; en beaucoup d'endroits, on ne réussit pas à l'appliquer. Les doctrines de Marsiglio et d'Ockham avaient eu tout au moins pour effet de provoquer le dédaigneux rejet des prétentions élevées par le Saint-Siège au contrôle souverain de l'Empire. Le mouvement d'opinion qui se produisit alors en Allemagne apparaît clairement dans les événements dont Bâle fut le théâtre. Cette ville avait respecté l'interdit et en réclamait instamment la levée. Quand Charles et l'évêque de Bamberg se présentèrent aux portes de Bâle, ils furent reçus par les magistrats municipaux et par une grande foule de citoyens. Le bourgmestre Conrad de Barenfels harangua l'évêque. « Monseigneur de Bamberg, lui dit-il, il faut que vous sachiez que nous ne croyons pas et que nous ne confesserons pas que notre défunt maitre, l'empereur Louis, ait jamais été un hérétique. Quel que soit celui que les électeurs ou la majorité d'entre eux choisiront comme Roi des Romains, nous le tiendrons pour tel, qu'il demande ou ne demande pas la confirmation pontificale ; en un mot, nous ne ferons rien qui soit contraire aux droits de l'Empire. Mais si vous venez, au nom du pape, avec le dessein de remettre nos péchés, qu'il en soit ainsi. » Puis, se tournant vers le peuple, il s'écria : « Donnez-vous à votre bourgmestre et à Conrad Münch qualité pour demander la rémission de vos péchés ? » La foule approuva à grands cris ; les deux Conrad prêtèrent serment en conséquence, le service divin fut rétabli et le roi et l'évêque entrèrent dans la ville.

Cependant cette question de la pauvreté du. Christ, dont Jean et Louis avaient prétendu faire l'objet de leur querelle et à laquelle s'étaient si vivement intéressés certains Franciscains allemands, disparut complètement au nord des Alpes lorsque Louis fut mort et que s'éteignit la colonie des réfugiés de Munich. L'Allemagne possédait elle-même des troupes de mendiants réguliers et irréguliers, ces Béguins et Béghards qui paraissaient se soucier médiocrement de difficultés purement spéculatives. Sans doute on entend parler à l'occasion de Fraticelli habitant dans ces régions ; mais l'appellation de Fraticelli est plutôt un nom employé par les chroniqueurs pour la commodité du récit que la désignation exacte d'une secte distincte.

Il n'en allait pas de même dans le Midi et particulièrement en Italie. L'Italie était le pays natal du franciscanisme, le centre de ces tendances spéciales qui déterminèrent le développement remarquable de l'ascétisme au sein de l'Ordre. Là persistaient, toujours aussi actives, les convictions qui avaient poussé les premiers Spirituels à supporter jusqu'au bout la plus terrible persécution pour affirmer la sainteté de la pauvreté absolue. Sous Boniface, sous Clément et au début du règne de Jean, ceux qui professaient la doctrine réprouvée s'étaient tenus cachés ou avaient cherché un refuge en Sicile. A la faveur de la confusion créée par le schisme franciscain, ils avaient reparu soudain et s'étaient multipliés. La chute de l'antipape et le triomphe de Jean entrainèrent pour eux une nouvelle proscription. Dans la querelle qui s'était élevée au sujet de la pauvreté du Christ, cette doctrine était naturellement devenue le signe distinctif des sectaires ; quand Jean la condamna, les partisans de la pauvreté furent fatalement amenés à nier l'autorité papale et à accuser d'hérésie le Saint-Siège. Pourtant, on ne saurait douter que, même au sein de la fraction orthodoxe de l'Ordre, il se trouvât des moines austères qui, tout en acceptant les définitions de la papauté, éprouvaient une vive sympathie pour les rebelles dissidents. Quant eut échoué la tentative de résistance à l'impérieuse volonté de Jean XXII, il courut, de couvent en couvent, nombre d'histoires de visions et de miracles, attestant que la colère de Dieu et de saint François s'était déchaînée contre les moines, infidèles au saint vœu de pauvreté. Le Liber Conformitatum traduit manifestement les aspirations de ceux qui souhaitaient d'appliquer la Règle dans toute sa rigueur, comme une révélation directe du Saint-Esprit. Ces hommes sentaient que l'attitude de leurs frères proscrits était logique et correcte, et ils étaient incapables de concilier les décrets de Nicolas Ill avec ceux de Jean XXII. Un d'entre eux, dont on dit qu'il fut un homme très aimé de Dieu, demanda à sainte Brigitte de lever ses doutes. A cette occasion, la sainte eut deux visions. La Vierge lui transmit l'ordre de flétrir tous ceux qui croyaient que le pape n'était pas véritablement pape et que les prêtres ne consacraient pas réellement l'hostie dans la célébration de la messe, et de dire à ces gens qu'ils étaient des hérétiques pleins d'une diabolique iniquité. Tout cela dénote, à l'égard des Fraticelli, une secrète et forte sympathie, qui se répandait, non seulement parmi le peuple, mais parmi les moines et, parfois même, dans les rangs des prélats, expliquant comment les sectaires purent survivre, de génération en génération, à la persécution presque incessante du Saint Office.

En 1335, un des premiers soins de Benoit XII, au lendemain de son avènement, fut de combattre ces Fratres de paupere Vita, suivant le nom qu'ils se donnaient eux-mêmes. En beaucoup d'endroits, ces sectaires continuaient à étaler leur rébellion au grand jour en portant les robes courtes et étroites des Spirituels. Ils tenaient toujours Michele pour leur général, outrageaient la mémoire de Jean XXII et s'employaient avec zèle et succès au prosélytisme. De plus, ils étaient ouvertement protégés par des hommes haut placés et puissants. Tous les inquisiteurs, de Trévise et de Lombardie jusqu'en Sicile, reçurent l'ordre d'entamer une vigoureuse action pour purger l'Église de ces hypocrites impies, et les prélats furent invités à leur prêter un concours effectif. Parmi ceux-ci, quelques-uns tout au moins n'obéirent pas, car, en 4336, Francesco, évêque de Camerino, et Giacopo, évêque de Firmo, furent accusés d'avoir favorisé les sectaires et de les avoir laissé séjourner dans leurs diocèses. D'ailleurs, l'Ordre entier était infecté de ces dangereuses doctrines et l'on ne pouvait l'amener à entretenir, à l'égard des dissidents, l'horreur qu'ils méritaient. Benoit se plaignit que, dans le royaume de Naples, nombre de couvents franciscains offrissent un abri aux Frères pervers ; la même année, dans une bulle réglant l'organisation de l'Ordre, il faisait allusion à ceux des moines qui portaient des vêtements particuliers et qui, sous les dehors de la sainteté, entretenaient des hérésies condamnées par l'Église ; il fallait emprisonner jusqu'à résipiscence ces coupables et leurs protecteurs. Ces ordres n'étaient pas toujours d'une application aisée. L'évêque de Camerino était tenace et l'année suivante, en 1337, l'inquisiteur de la Marche d'Ancône, Fra Giovanni di Borgo, reçut mandat d'entamer une procédure sévère contre le prélat et contre les autres fauteurs d'hérétiques. Par son activité remuante, Fra Giovanni s'attira le mauvais vouloir des nobles du district, qui eurent assez d'influence sur le général Gérard Odo pour obtenir le remplacement de l'inquisiteur par son collègue Giacomo, puis par Simone da Ancona. Mais le cardinal-légat Bertrand intervint ; Benoit rétablit Giovanni dans ses fonctions, et loua hautement les mérites de l'inquisiteur. Malgré l'énergie de la persécution, il est probable que peu de sectaires eurent le goût du martyre et qu'ils se laissèrent contraindre à la rétractation ; mais on n'hésita pas à appliquer les pénalités de l'hérésie à tous ceux qui persistèrent dans l'endurcissement. Le 3 juin 1337, Fra Francesco da Pistoia fut brûlé à Venise, pour avoir obstinément affirmé la pauvreté du Christ au mépris des instructions données par Jean XXII. Ce ne fut pas la seule victime.

Nous avons dit que la pierre de touche de l'hérésie était l'affirmation que le Christ et les Apôtres.ne possédaient aucun bien. Ce fait appert de l'abjuration prononcée, en 1344, par Fra Francesco d'Ascoli, lequel rétracte cette croyance et déclare la tenir pour hérétique, conformément aux bulles de Jean XXII. Cette formule demeura habituelle, comme le montre Eymerich, qui invite les inquisiteurs à exiger du pénitent le serment suivant : « Je jure que je crois, en mon âme et conscience, et que je professe que Notre-Seigneur Jésus-°lest et, ses Apôtres possédaient en commun, durant leur existence ici-bas, les biens que l'Écriture leur attribue, et qu'ils avaient le droit de donner, de vendre ou d'aliéner ces biens bien. En 1346, Clément dut infliger un blâme sévère à ces trop tièdes persécuteurs. Dans les districts ainsi épargnés, les Fraticelli se cachaient peu. En 1348, quand Cola di Rienzo s'enfuit de Rome après son premier tribunat, il se réfugia auprès des Fraticelli du Mont Majella, fut séduit par leur sainteté et leur pauvreté, entra comme Tertiaire dans l'Ordre et déplora que des hommes d'une vertu exemplaire fussent persécutés par le pape et par l'Inquisition. La Toscane était pleine de Fraticelli. Ce fut en vain que, vers cette époque, Florence adopta contre eux de sévères lois, les mettant au ban de la cité, donnant à tout citoyen le droit de les arrêter et de les livrer au Saint-Office, et imposant une amende de cinq cents livres à tout fonctionnaire qui, malgré l'ordre des inquisiteurs, refuserait d'aider à l'arrestation des sectaires. Le seul fait qu'il fût nécessaire de promulguer de telles lois montre combien il était difficile 'd'exciter la population à seconder les persécuteurs. Mais ces mesures mêmes furent inefficaces. On possède une lettre de Giovanni delle Celle de Vallombrosa à Tommaso de Neri, Fraticello de Florence, dans laquelle Giovanni blâme la vanité qui a poussé le Fraticello à se faire de la pauvreté une idole. Cette lettre provoqua une réponse et amena une controverse qui fut, semble-t-il, soutenue ouvertement.

Pourtant, si trivial que fût, en apparence, l'origine du litige, il était impossible que des hommes acceptassent d'être mis au ban de l'Église sans épouser des principes hostiles à toute l'organisation ecclésiastique. Ils ne pouvaient justifier leur attitude qu'en soutenant qu'eux seuls constituaient la véritable Église, que la papauté était hérétique, qu'elle avait perdu tout droit à l'obéissance des fidèles et qu'elle ne pouvait plus désormais guider la Chrétienté dans la voie du salut. L'état de l'opinion publique en Italie apparaît de façon intéressante dans le fait que, malgré la perfection du mécanisme de persécution, les partisans de semblables doctrines purent propager leurs idées presque publiquement et faire de nombreux prosélytes. Vers le milieu du siècle, ils répandirent par toute l'Italie un document écrit en langue vulgaire, « afin que chacun le pût comprendre », dans lequel ils donnaient les raisons de leur rupture avec le pape et les prélats. Ce document se distingue par la modération des termes et la logique de la composition. L'argumentation s'inspire rigoureusement de l'Écriture et des prescriptions de l'Église elle-même ; on n'y trouve ni délire apocalyptique, ni attente de l'Antéchrist ou des ères nouvelles du monde, ni aucune forme de mysticisme. Il n'y est même pas fait allusion à saint François, non plus qu'au caractère révélé et inviolable attribué par certains à sa Règle. Néanmoins, toute la hiérarchie de Rome est stigmatisée comme hérétique et les fidèles sont invités à se détacher d'elle entièrement.

Les raisons qui rendent cette rupture nécessaire sont au nombre de trois : l'hérésie, la simonie, la fornication. En ce qui concerne la première, Jean XXII s'est montré lui-même hérétique lorsqu'il a publié les bulles déclarant hérétique la doctrine d'après laquelle le Christ et les apôtres ne possédaient aucun bien. La preuve de cette hérésie est facile à donner, à l'aide des définitions promulguées par les papes précédents et confirmées par le concile de Vienne. Le corollaire inévitable de cette proposition' est l'hérésie de tous les successeurs de Jean et de leurs cardinaux. Quant à la simonie, elle appert des canons du Decretum et des affirmations des docteurs qui l'assimilent à l'hérésie. Quant à la fornication, il était facile de citer les canons établissant, conformément à la doctrine d'Hildebrand, que les sacrements ne doivent pas être acceptés de prêtres fornicateurs. Sans doute, nombre de prêtres ne sont pas fornicateurs, mais il n'en est pas un qui ne soit simoniaque, c'est-à-dire qui n'ait donné ou reçu de l'argent en échange des sacrements. A supposer même qu'il s'en trouvât un qui fût innocent de tous ces crimes, encore faudrait-il qu'il se séparât des autres prêtres ; car, ainsi que les déclare Raymond de Pennaforte dans la Summa, quiconque accepte les sacrements administrés par des hérétiques, est coupable de péché mortel et d'idolâtrie. Les Fraticelli ont donc été contraints de se séparer d'une église hérétique ; ils publient le présent manifeste pour justifier leur attitude. Si leurs principes sont erronés sur quelques points, les dissidents demandent qu'on leur montre l'erreur commise ; mais si leur, doctrine est correcte, il faut que tous les fidèles y adhérent ; car, une fois les faits connus de tous, tous ceux qui s'associeraient à des prélats et à un clergé ainsi hérétiques et excommuniés, seraient impliqués dans l'hérésie.

463 Cependant les Fraticelli n'étaient pas unanimement d'accord sur tous les points. Dans le document analysé ci-dessus figure un argument important, tiré de la prétendue viciation des sacrements entre des mains impures, doctrine dangereuse qui sans cesse venait troubler les successeurs d'Hildebrand. Cet argument ne se retrouve pas dans certaines autres déclarations publiées par les sectaires. D'ailleurs, en 1362, on constate que la secte s'est divisée en deux fractions. L'une reconnaissait pour chef Tommaso, ex-évêque d'Aquin ; elle affirmait que Jean XXII et ses successeurs étaient hérétiques et que l'ordination émanant d'eux était nulle, et elle exigeait la réordination de tous les ecclésiastiques admis dans la secte. L'autre, qui tirait son nom de Philippe de Majorque, était organisée irrégulièrement sous la direction d'un ministre-général, et, tout en tenant de même les papes pour hérétiques, admettait l'ordination de l'Église établie. Mais les deux branches de la secte trouvaient une ample justification dans la vénalité et la corruption de l'Église, ce qui était assurément, auprès du peuple, l'argument le plus convaincant. On possède une lettre écrite en langue vulgaire par un Fraticello à deux femmes affiliées, pour leur démontrer qu'elles étaient tenues d'abandonner toute communion avec une Église hérétique. Cette Église est la Bête, dont les sept cornes sont l'orgueil suprême, la suprême cruauté, la suprême folie ou rage, la tromperie suprême et la fausseté inimitable, la bestialité ou concupiscence suprême, la cupidité ou avarice suprême, la haine suprême de la vérité ou perversité. Les ministres de cette Église hérétique n'ont pas honte d'entretenir publiquement des concubines et de vendre le Christ pour de l'argent dans les sacrements. De plus, cette lettre• déclare que les Fraticelli sont les descendants légitimes des Spirituels, à l'aide d'une citation tirée de Joachim, prouvant que saint François est Noé et que parmi ses enfants, les rares fidèles sont ceux qui, avec lui, furent sauvés du Déluge dans l'Arche.

On trouve la constatation d'une parenté plus étroite encore entre les Joachites et les Fraticelli dans les termes d'une bulle lancée, vers 1365, par Urbain V. Le pape invite les inquisiteurs à exterminer activement les hérétiques et leur fournit la description des diverses hérésies. Il représente les Fraticelli comme adonnés à la gourmandise et, à la luxure sous les dehors de la plus stricte sainteté, prétendant être Tertiaires franciscains et mendiant publiquement ou vivant dans des maisons particulières. Cependant il est probable que la description des assemblées dans lesquelles ils lisent le Commentaire sur l'Apocalypse et les autres œuvres d'Olivi, est un emprunt à la relation de Bernard Gui sur les Spirituels de Languedoc, plutôt qu'un tableau exact des coutumes adoptées à cette époque par les Fraticelli.

L'Inquisiteur Giacomo della Marca, qui fut l'impitoyable exterminateur de l'hérésie, nous fournit des renseignements dignes de foi sur la forme définitive qu'assuma la doctrine des Fraticelli. Dans son Dialogue avec un Fraticello, composé vers 1450, il ne dit pas un mot des extravagances familières aux Spirituels et ne fait allusion à aucun dogme étranger. Toute la question roule sur la pauvreté du Christ et sur le caractère hérétique des définitions de Jean. Les Fraticelli stigmatisent les orthodoxes du nom de Joannistes, et eux-mêmes sont flétris du nom de Michaelistes, ce qui montre qu'a ce moment on avait oublié les aberrations des Spirituels et que les hérétiques passaient pour les descendants des Franciscains schismatiques groupés jadis autour de Michele de Cesena. Les désordres et l'immoralité du clergé leur fournissaient toujours les arguments les plus puissants, dans leur œuvre active de prosélytisme. Giacomo se plaint qu'ils trompent les esprits de la foule ignorante en représentant les prêtres comme simoniaques et concubinaires ; les gens du peuple, pénétrés de ce poison, perdent toute confiance dans le clergé, refusent de se confesser aux ecclésiastiques, d'assister à leurs messes, de recevoir les sacrements administrés par eux et de payer les dilues ; ils deviennent ainsi des hérétiques, des païens, des enfants du démon, alors qu'ils s'imaginent être les enfants de Dieu.

Les Fraticelli formaient donc plusieurs sectes distinctes, dont chacune prétendait constituer la seule véritable Église. Les documents insuffisants dont dispose l'histoire ne permettent pas de suivre en détail les vicissitudes de ces diverses fractions ; on peut seulement affirmer d'une manière générale que la secte ne se composait pas seulement d'anachorètes et de moines, mais qu'elle avait son clergé régulier et ses fidèles laïques, ses évêques et, à la tête de ceux-ci, un chef suprême ou pape, désigné sous le nom d'évêque de Philadelphie — Philadelphie étant le nom mystique de la communauté —. En 1357, ce poste était occupé par Tommaso, ex-évêque d'Aquin ; on découvrit par hasard la présence d'un autre pape à Pérouse, en 1374 ; en 1429, on sait qu'un certain Rainaldo fut investi de cette dignité, qui passa, peu de temps après, à un Frère nommé 465 Gabriel. Il est même question d'un chef des laïques qui s'intitulait Empereur des Chrétiens ![9]

MICKELE BERTI DE CLLCI 497

Ce fut en vain que divers papes ordonnèrent à l'Inquisition de prendre les plus actives mesures en vue d'exterminer la secte. Pourtant, à l'occasion, satisfaction leur fut donnée. Sous Urbain V, par exemple, neuf victimes furent brûlées à Viterbe, et en 1389, Fra Michele Berti de Calci subit le même sort à Florence. Cette dernière affaire révèle, dans toute sa chaleur, la sympathie populaire qui favorisait les efforts des Fraticelli. Fra Michele avait été envoyé en mission à Florence, par un groupe de sectaires qui tenait ses assemblées dans une caverne de la Marche d'Ancône. Il prêcha à Florence et récolta de nombreuses conversions ; le 19 avril, comme il se préparait à quitter la ville, il fut trahi par cinq femmes qui, sous couleur de se convertir, le mandèrent auprès d'elles. Son procès fut rapidement mené. Un de ses collègues échappa au bûcher par la rétractation, mais Michele demeura ferme. Quand il comparut en jugement et qu'on voulut le dégrader de la prêtrise, il refusa dé s'agenouiller devant l'évêque et déclara que nul ne devait plier le genou devant un hérétique. Tandis qu'il se rendait au lieu du supplice, beaucoup de gens du peuple le félicitèrent, ce qui provoqua un grand désordre. Lorsqu'on l'eût attaché sur le bûcher dans une sorte de baraque à laquelle on devait ensuite mettre le feu, plusieurs hommes vinrent passer leur tête dans la lucarne pour le supplier d'abjurer. A plusieurs reprises, pour l'effrayer, on remplit de fumée la baraque, mais Michela ne céda pas. Quand il eut été brillé, bien des gens. dit-on, virent en lui un saint.

De telles exécutions ne pouvaient diminuer la faveur dont les Fraticelli jouissaient auprès, du peuple. Les Deux-Siciles continuèrent à être profondément infectées d'hérésie. En 4362, quand Luigi di Durazzo risqua son infructueuse tentative de rébellion, la popularité des Fraticelli lui parut un appoint si précieux qu'il afficha publiquement ses sympathies pour eux, les réunit autour de lui et demanda à Tommaso d'Aquino de célébrer une messe pour lui. Ce fut probablement à cette occasion que le cardinal Albornoz vint à Naples, pour restaurer le pouvoir chancelant de la reine Jeanne : il arrêta, dit-on, les Fraticelli, qui étaient nombreux dans cette ville, et les brûla en masse sur un immense bûcher. Francesco Marchisio, archidiacre de Salerne, était un Fraticello ; il fut néanmoins promu au siège de Trivento en 1362, et occupa cette dignité jusqu'à sa mort, quelque vingt ans plus tard. En 1372, Grégoire XI apprit avec horreur qu'en Sicile les ossements des Fraticelli étaient vénérés comme des reliques, que l'on élevait en leur honneur des chapelles et des églises et qu'aux jours de leurs anniversaires la populace accourait en foule avec des cierges. Le pape ordonna aux inquisiteurs de mettre un terme à ces inconvenantes manifestations. Mais il est vraisemblable que les ordres pontificaux restèrent sans effet. A Pérouse, en 1368, on persuada aux magistrats de jeter les Fraticelli en prison. Cette mesure de rigueur fut inutile ; le peuple persista à considérer les Fraticelli comme les vrais enfants de saint François et à leur donner asile, tandis qu'il méprisait les Franciscains, à cause du relâchement de leur observance, du luxe de leurs demeures, de la richesse de leurs vêtements et de la somptuosité de leur table. On bafouait les moines et on les insultait dans les rues au point qu'ils finirent par oser à peine se montrer en public. Si l'un d'entre eux laissait par hasard le col de sa chemise apparaître hors de sa robe, quelque mauvais plaisant venait tirer le linge et demandait à la foule moqueuse si c'était là l'austérité prescrite par François. A bout de ressources, les Franciscains appelèrent, en 1374, Paoluccio de Foligno et entamèrent avec les Fraticelli une discussion publique. Paoluccio détourna le courant de la faveur populaire en prouvant que l'obéissance au pape était plus importante que l'obéissance à la Règle : les Fraticelli furent chassés de la ville. Cependant, après cette victoire, l'Inquisition n'osa pas les poursuivre[10].

Les Fraticelli ne se bornaient pas à déployer leur zèle de prosélytes en Italie. Croyant personnifier la véritable Église, ils considéraient comme leur devoir d'apporter le salut au monde entier. Il se trouvait parmi eux des hommes ardents, 167 prêts à rivaliser avec les orthodoxes dans l'évangélisation des infidèles et des barbares. Dès 1344, Clément VI avait dû engager les archevêques, les évêques et tous les fidèles d'Arménie, de Perse et d'Orient, à se tenir en garde contre ces émissaires de Satan, qui cherchaient à répandre parmi les bons chrétiens les germes de l'erreur et du schisme. N'ayant pas en ces régions d'inquisiteurs auxquels il pût faire appel, il enjoignait aux prélats de rechercher et de punir ces hérétiques et, avec un singulier manque de perspicacité, il les autorisait à réclamer, en cas de besoin, le concours du bras séculier. Les Fraticelli firent au moins un prosélyte d'importance, car, en 1346. Clément dut citer à comparaître avant quatre mois l'archevêque même de Séleucie. Ce prélat, infecté des erreurs des pseudo-minorites, avait rédigé en langue arménienne, et répandait par toute l'Asie, un commentaire sur saint Jean, dans lequel il soutenait la doctrine prohibée de la pauvreté du Christ. En 1354, Innocent VI fut informé que des Fraticelli menaient une mission active chez les Chazars de Crimée ; aussitôt il ordonna à l'évêque de Cafre de les combattre à l'aide des méthodes inquisitoriales. En 1375, Grégoire XI, à son tour, apprit que les Fraticelli faisaient de la propagande en Égypte, en Syrie et en Asie ; il se hâta d'enjoindre au provincial franciscain de ces pays d'appliquer aux hérétiques toute la rigueur des lois. Un nommé Lorenzo Carbonello s'était aventuré à Tunis et infectait de son hérésie les chrétiens du royaume ; Grégoire commanda à Giacomo Patani et à Guillen de Ripoll, capitaines des troupes chrétiennes au service du bey de Tunis, d'arrêter le Fraticello, de le charger de chaînes et de l'envoyer à l'archevêque de Naples ou à celui de Pise. Assurément, si l'ordre fut exécuté, les Musulmans durent remercier Allah d'avoir permis qu'ils ne fussent pas chrétiens.

En Languedoc et en Provence, la rigueur apportée à l'extermination des Spirituels favorisa, semble-t-il, la répression des Fraticelli. Néanmoins l'existence de la secte est attestée par quelques affaires dont on a conservé le souvenir. En 1336, on voit emprisonner dans les donjons pontificaux d'Avignon un certain nombre d'hérétiques, parmi lesquels figure un chapelain du pape. Guillaume Lombard, magistrat chargé de juger les causes ecclésiastiques, reçut l'ordre de traiter les inculpés avec toute la rigueur des lois. En 1354, deux Fraticelli toscans, Giovanni da Castiglione et Francesco d'Arquata, furent arrêtés à Montpellier pour avoir prétendu que Jean XXII avait forfait son autorité en altérant les définitions de la bulle Exiit, et que les successeurs de ce pontife ne représentaient pas la véritable Église. Innocent VI se fit amener les accusés, mais on ne réussit pas à leur arracher une rétractation ; ils marchèrent tranquillement au bûcher en chantant le Gloria in excelsis, et furent vénérés comme des martyrs par un grand nombre de leurs frères. Deux autres, Jean de Narbonne et Maurice, avaient eu, peu auparavant, le même sort à Avignon.

Dans la France septentrionale, on n'entend guère parler de cette hérésie. La seule affaire mentionnée est celle d'un professeur de l'Université de Paris, Denis Soulechat, qui, en 4363, professait que la loi de l'amour divin est ruinée par la possession des biens terrestres et que le Christ et les apôtres n'en possédaient aucun. Cité par l'inquisiteur Guillaume Rochin, il abjura devant la Faculté et adressa ensuite un appel au pape. A Avignon, où il s'efforça de se justifier devant une assemblée de théologiens, il ne fit qu'ajouter de nouvelles erreurs à son hérésie ; on le renvoya au cardinal de Beauvais et à la Sorbonne, qui eurent l'ordre de lui arracher une rétractation et de le punir selon ses mérites en prenant l'avis de l'inquisiteur. En 1368, il dut prononcer une abjuration publique.

Quelques affaires qui se présentèrent alors en Espagne attestent que l'hérésie avait débordé au-delà des Pyrénées. A Valence, Fray Jayme Justi et les Tertiaires Guillermo Gelabert et Marti Petri, arrêtés par R. de Masqueta, délégué de l'inquisiteur Leonardo de Puycerda, firent appel à Clément VI qui ordonna à l'évêque de Valence de les remettre en liberté sous caution, avec défense de quitter la ville avant que leur affaire eût été jugée à Avignon. Ils avaient apparemment de riches disciples, car ils purent fournir comme caution la somme énorme de trente mille sols. On leur ouvrit ensuite les portes de la prison. Le tribunal apostolique ne hâta pesta solution de l'affaire. La chose était probablement oubliée lorsqu'en 1353 Clément apprit que les deux Tertiaires étaient morts et que Justi avait coutume de sortir de la ville et de disséminer les doctrines parmi le peuple. Il ordonna donc à Hugo, évêque de Valence, et à l'inquisiteur Nicolas Roselli de reprendre immédiatement les poursuites. Justi se rétracta sans doute, car il fut seulement emprisonné à vie, tandis qu'on exhuma, pour les brûler, les ossements des deux Tertiaires. Un Fraticello plus endurci encore fut Fray Arnaldo Mutaner, qui, pendant dix-neuf ans, infecta de la même hérésie Puycerda et Urgel. Il se rendit coupable de contumace en refusant de comparaitre pour abjurer. Après avoir consulté Grégoire XI, l'évêque d'Urgel, Bérenger Darili, condamna le rebelle ; Eymerich s'associa à cette mesure. La poursuite devint sans doute violente, car le Fraticello s'enfuit en Orient. C'est en 1373 qu'on entend pour la dernière fois parler de lui : à ce moment Grégoire ordonna à son vicaire, le Franciscain Arnaud, d'arrêter l'hérétique, de le charger de chaines et de l'envoyer au tribunal pontifical : mais on ne sait si la tentative aboutit. Une bulle lancée par Martin V, en 1426, atteste que les Fraticelli subsistaient encore à cette époque en Aragon et en Catalogne, et qu'il fallait user des mesures les plus actives pour extirper la secte.

Ce fut probablement une hérésie de même nature que l'on découvrit, en 1442, à Durango en Biscaye. L'hérésiarque était un Franciscain, Alonso de Mella, frère de Juan, cardinal-évêque de Zamora ; les sectaires étaient connus sous le nom de Cerce-ras. On rapportait qu'Alonso enseignait, à ses disciples toutes sortes d'abominations sexuelles ; mais il ne faut voir là qu'une des exagérations habituelles aux orthodoxes. Le roi Jean II, en l'absence de l'Inquisition, envoya le Franciscain Francisco de Soria et Juan Alonso Cherino, abbé d'Alcala la Real, procéder à une enquête, avec deux alguazils et une troupe assez forte d'hommes armés. Les hérétiques furent appréhendés ; quelques-uns furent menés à Valladolid, d'antres à Santo Domingo de la Calçada, où la torture arracha des confessions à nombre d'entre eux ; beaucoup de rebelles impénitents furent brûlés. Cependant Fray Alonso de Mella réussit à s'évader et s'enfuit à Grenade, dit-on, avec plusieurs de ses disciples femmes ; mais il n'échappa pas à sa destinée, car il fut acañavereado par les Maures, c'est-à-dire lentement mis A mort à coups de bâton. Cette affaire dut produire une impression profonde sur l'esprit populaire ; jusqu'aux temps modernes, les gens du voisinage reprochèrent aux habitants de Durango les autos de Fray Alonso. En 48e8, un alcade trop zélé, voulant effacer tout souvenir de cet événement, brûla les documents originaux du procès, qui avaient jusqu'alors dormi paisiblement dans les archives de l'église paroissiale.

L'activité violente de Jean XXII, imitée par les successeurs de ce pape, réussit un moment à réprimer l'ascétisme spirituel des Franciscains. Pourtant, cette tendance particulière de l'époque était trop vive pour qu'elle pût s'effacer entièrement dans un Ordre où elle était devenue traditionnelle. La survivance de l'ascétisme apparaît dans la bienveillance témoignée par les Franciscains aux Fraticelli, chaque fois que cela se pouvait faire sans trop de péril. Sans doute, nombre de Religieux aspiraient à imiter le fondateur, sans oser pourtant s'affranchir des lois de l'obéissance. Ces hommes ne pouvaient envisager sans alarme et sans douleur le développement croissant de la « mondanité » au sein de l'Ordre, sous l'effet des règles nouvelles imposées par Jean. Assurément, quand le provincial de Toscane eut réussi à amasser cinq cents florins prélevés sur les aumônes recueillies par les Frères, et qu'il eut ensuite prêté cette somme à l'Hôpital de Santa Maria de Sienne au taux de dix pour cent l'an, cette violation des vœux et des canons condamnant l'usure entraîna pour lui la peine de la dégradation ; mais il fallut une intervention divine pour faire comprendre à ses collègues toute l'horreur de son péché. Il mourut en 4373 après une pénible agonie et sans les sacrements. D'autres manifestations se produisirent à la même époque et montrèrent à la fois l'étendue du mal et l'impossibilité de le détruire par des moyens humains. Sous Boniface LX, les Franciscains avaient, dit-on, coutume de demander des dispenses pour détenir des bénéfices et même des pluralités ; le pape décréta que tout Mendiant désirant passer dans un ordre non mendiant devait, au préalable, payer cent florins d'or à la chambre apostolique. Dans un tel état de choses, on ne pouvait guère prétendre conserver la sainte pauvreté qui avait été l'idéal de François et de ses disciples.

Pourtant, la soif ardente de pauvreté et la croyance que la seule voie sûre du salut était le renoncement à tout bien, étaient trop largement répandues pour qu'on pût les étouffer en les réprimant. Un riche et ambitieux citoyen de Sienne, Giovanni Colombini, se sentit soudain attiré vers le ciel. La carrière de cet enthousiaste ressemble d'une façon frappante à celle de Pierre Waldo. La seule différence est que l'Église, devenue plus raisonnable, mit à profit le zèle de l'illuminé au lieu de le combattre. L'Ordre des Jésuates, fondé par Colombini, fut approuvé par Urbain V en 1367. C'était un Ordre de frères lais gouvernés par la Règle augustinienne ; analogues aux Cellites et aux Alexiens des Provinces rhénanes, les Jésuates faisaient vœu de pauvreté et se consacraient au soin des malades.

Il était inévitable que le mécontentement gagnât les Franciscains les plus épris d'ascétisme, et que les plus zélés d'entre eux cherchassent quelque remède pur de toute hérésie. En 1350, Gentile de Spolète obtint de Clément VI la reconnaissance de quelques couvents de plus stricte observance. Aussitôt on vit se renouveler les querellés qu'avaient soulevées jadis les tentatives d'Angelo et de Liberato. La colère des Conventuels s'enflamma. On accusa les novateurs d'avoir adopté les robes courtes et étroites qui avaient été le signe distinctif des redoutables Olivistes. Au chapitre général de 1353, le général Farignano fut sommé d'exterminer ces rebelles en usant des moyens qui avaient si bien réussi dans le Languedoc. Il se refusa à employer la violence ; mais il mit des espions en campagne, afin d'obtenir des témoignages contre les disciples de Gentile, et bientôt il put les accuser de donner asile à des Fraticelli. Ils reconnurent le fait, mais alléguèrent qu'ils espéraient ainsi convertir leurs hôtes hérétiques et qu'ils chassaient ceux qui persistaient dans l'endurcissement : toutefois, ils ne les dénonçaient pas à l'Inquisition, comme l'eût exigé le devoir. Muni de ces armes offensives, Farignano montra à Innocent VI les graves dangers que présentait cette innovation et obtint le retrait de l'autorisation pontificale. Les Frères furent dispersés ; Gentile et deux de ses compagnons furent jetés en prison à Orvieto ; son coadjuteur, Fra Martino, homme d'une vertu exemplaire, qui devait après sa mort opérer de nombreux miracles, mourut l'année suivante. Les autres Frères furent réduits à l'obéissance. Après une longue captivité, Gentile fut remis en liberté .et mourut en 1362, épuisé par ses infructueux efforts pour rétablir la discipline dans l'Ordre.

Un sort plus heureux échut à son disciple, Paoluccio da Trinci, de Foligno. Moine simple et peu lettré, Paoluccio avait obtenu de son parent Ugolino, seigneur de Foligno, un donjon où il pouvait satisfaire à son goût pour l'ascétisme. Bien qu'il eût reçu de ses supérieurs l'autorisation de se livrer à ces pratiques, il souffrit beaucoup de l'hostilité de ses compagnons moins austères ; mais il s'acquit, en revanche, la vénération populaire et fit de nombreux prosélytes. En 1368, le général Farignano se trouva assister â un chapitre provincial tenu à Foligno ; on lui persuada de demander à Ugolino une localité nommée Brulliano, située dans les montagnes qui séparent Foligno de Camerino, pour servir d'ermitage à Paoluccio et à ses partisans. Quand Ugolino eut accédé à la requête, le général redouta qu'un schisme ne se produisit dans l'Ordre et voulut revenir sur sa décision ; mais Ugolino l'obligea à exécuter le projet arrêté. Brulliano était un lieu sauvage, rocheux, marécageux, insalubre, infesté de serpents et à peu près inhabitable. C'est là que Paoluccio emmena ses frères ; ils durent adopter les sabots de bois qui devinrent la chaussure distinctive de leur Ordre. Leur renommée gagna peu à peu du terrain ; les néophytes affluèrent ; il fallut agrandir les demeures ; des succursales se fondèrent en beaucoup d'endroits. Ainsi naquirent les Observantins 'ou Franciscains de stricte observance. Ce fut, dans l'histoire de l'Église, un événement qui ne le cède en importance qu'à la fondation première des Ordres Mendiants.

Quand Paoluccio mourut, en 4390, il était considéré comme provincial par les membres de son Ordre. Après une courte vacance, il eut pour successeur son coadjuteur, Giovanni Stronconi. En 1405 commença la merveilleuse carrière de saint Bernardin de Sienne, véritable fondateur des Observantins. Ceux-ci portaient simplement le nom de Frères des Ermitages ; ce fut le concile de Constance qui les institua en congrégation virtuellement indépendante des Conventuels. Dès lors, ils prirent le nom sous lequel ils furent connus dans la suite. Leur institution se répandit partout. De nouvelles maisons surgirent ; parfois des monastères de Conventuels leur étaient cédés. C'est ainsi qu'en 1425 ils pénétrèrent dans la province de Strasbourg, grâce â l'intervention de Mathilde de Savoie, femme du comte palatin Louis le Barbu. Connaissant, dès sa jeunesse, les mérites des Observantins, cette princesse, étant à Heidelberg, fit un jour remarquer è son mari les Franciscains qui, dans le jardin de leur couvent, sous les fenêtres mêmes du palais, s'amusaient è des jeux violents. Ce petit fait eut pour conséquence la réforme de tous les couvents situés sur les domaines de Louis et l'introduction de la discipline observantine, transformation qui ne s'opéra pas sans troubles sérieux. En 1453, Nicolas de Cusa, en qualité de légat, contraignit tous les couvents du diocèse de Bamberg é adopter la discipline observantine, sous peine de forfaire leurs privilèges. En 1431, la sainte maison du Mont-Alverno, la Mecque des Franciscains, fut donnée aux Observantins ; en 1434, ils reçurent la custodie des Saints Lieux, à Jérusalem. En 1460, on les voit s'introduire jusqu'en Irlande. Il ne faut pas croire que les Conventuels se soumirent paisiblement aux empiètements des ascètes qu'ils avaient victorieusement persécutés pendant un siècle et demi. Il se produisait sans cesse des querelles plus âpres et plus violentes encore que la lutte contre les Dominicains ; le pouvoir des papes eux-m hiles ne réussissait pas à calmer les colères. Une tentative de conciliation, entamée avec quelque espoir de succès par Capistrano en 1430, sous les auspices de Martin V, fut ruinée par l'incurable relâchement des Conventuels, et la guerre reprit entre les deux partis. En 1435 la lutte devint si aiguë en France que Charles VII fut obligé de faire appel au concile de Bâle, lequel répondit par un décret en faveur des Observantins. La résistance des Conventuels était sans espoir. Leur corruption était si universellement reconnue que Pie Il lui-même n'hésite pas à dire que, s'ils sont d'excellents théologiens, la vertu est le moindre souci de la plupart d'entre eux. Au contraire, l'Ordre nouveau, par sa piété, s'attirait la vénération publique et, par son zèle enflammé au service du Saint-Siège, se conciliait la faveur des papes comme les Ordres Mendiants du xiii• siècle. D'abord simple branche des Franciscains, les Observantins furent ensuite placés sous la direction d'un vicaire-général indépendant des Conventuels ; finalement Léon X, après avoir vainement tenté de rétablir l'accord, donna aux Observantins un ministre général et réduisit les Conventuels à une situation subalterne, sous le gouvernement d'un ministre général[11].

Cette renaissance religieuse fit surgir, dans les rangs de l'Inquisition, des hommes à la hauteur des Pierre Martyr et des Guillem Arnaud. Vu l'impitoyable énergie de ces persécuteurs, les Fraticelli étaient condamnés à mort. A la faveur du Grand Schisme, ils avaient pu prospérer à l'abri des regards et sans être molestés ; mais quand l'Église eut pansé ses blessures à Constance et repris une vie nouvelle, on se mit ardemment à l'œuvre pour déraciner l'erreur. Martin V, à peine revenu de' Constance, lança de Mantoue, le 14 novembre 1418, une bulle dans laquelle il déplorait la croissance de cette abominable secte, infectant mille régions et, en particulier, la province romaine. Forts de la protection des seigneurs temporels, ces rebelles insultent et menacent les évêques et inquisiteurs qui tentent de les mettre à la raison. Aussi le pape invite-t-il les évêques et les inquisiteurs à les poursuivre énergiquement, sans égards pour les limites de leur juridiction, et à attaquer les fauteurs de ces hérétiques, quand même ils seraient investis de dignités épiscopales ou princières — ce qui laisse à penser que les Fraticelli avaient trouvé un accueil favorable auprès des sommités de l'Église et de l'État. Cette intervention du pape eut un effet médiocre, car en1421, dans une autre bulle, Martin fait allusion aux progrès continuels de l'hérésie et se résout à tenter tin nouvel effort en conférant aux cardinaux d'Albano et de Porto des mandats spéciaux. Les cardinaux ne réussirent pas mieux que leurs prédécesseurs. En 1423, le concile général de Sienne constata avec horreur qu'il y avait à Peniscola un pape hérétique, entouré d'un collège de cardinaux, qui songeaient peu à se cacher. Les délégués gallicans firent inutilement des tentatives pour amener le concile à prendre des mesures sévères contre les autorités séculières qui, par leur complaisance, encourageaient ces scandaleux abus. Le cas des trois Fraticelli, Bartolommeo di Matteo, Giovanni di Marino de Lucques et Bartolommeo di Pietro de Pise, découverts à cette époque à Florence, montre à quel point était désorganisé le mécanisme de persécution. Martin V, se méfiant sans doute de l'Inquisition franciscaine de Florence, confia spécialement l'affaire à ses légats qui présidaient alors le concile de Sienne. Lors de la dissolution soudaine du concile, les légats revinrent à Rome. Le général dominicain, Leonardo de Florence, se rendit seul à Florence. Ce fut donc à ce religieux que Martin envoya, le 24 avril 1424, l'ordre de terminer l'affaire, en interdisant expressément à l'inquisiteur de Florence d'intervenir. En septembre de la même année, Martin chargea Piero, abbé de Rosacio, recteur apostolique de la Marche d'Ancône, d'extirper les Fraticelli de cette région ; il reconnaissait lui-même les difficultés de l'entreprise en autorisant Piero, avec une mansuétude inaccoutumée, à « réconcilier » jusqu'aux hérétiques coupables de rechute réitérée.

Il fallait évidemment trouver autre chose. On possédait de nombreuses lois pour l'extermination de l'hérésie et une organisation parfaite pour l'application de ces lois ; mais il semblait que tout le système fût frappé de paralysie et le Saint-Siège s'épuisait en vains efforts pour le mettre en mouvement. Martin résolut le problème, en 1426, lorsque, négligeant audacieusement l'Inquisition, il nomma deux Observantins inquisiteurs sans limitation territoriale et avec le pouvoir de choisir des délégués, ce qui était leur donner une autorité suprême par toute l'Italie. Il avait confié ce mandat à des hommes que nous avons déjà rencontrés souvent dans des lieux où il fallait terrasser l'hérésie : c'étaient saint Jean de Capistrano et le bienheureux Giacomo da Monteprandone, généralement appelé della Marta. Pleins de zèle et d'énergie, ils méritèrent l'un la canonisation et l'autre la béatification. Il est vrai que Giacomo reçut simplement le mandat de missionnaire, avec ordre de prêcher la bonne parole aux hérétiques et de les réconcilier ; mais, dans la pratique, cette restriction n'était pas sensible et quand, un quart de siècle plus tard. Giacomo jeta un regard attendri sur les exploits de sa jeunesse, il raconta avec orgueil comment les hérétiques craignaient de l'affronter, abandonnaient leurs places fortes et laissaient leurs ouailles à sa merci. Le quartier-général de la secte parait avoir été la Marche d'Ancône, particulièrement les diocèses de Fabriano et de Jesi. C'est là que les nouveaux inquisiteurs les attaquèrent audacieusement. Ils ne rencontrèrent aucune résistance. Les sectaires cherchèrent le salut dans la fuite ; quant à ceux qui furent pris, on devine quel fut leur sort d'après les instructions données par Martin, en 4428, à Astorgio, évêque d'Ancône, lieutenant du pape dans la Marche. Il s'agissait du village de Magnalata. Cet ancien réceptacle d'hérétiques doit être rasé et démoli à jamais ; les hérétiques endurcis seront traités conformément à la loi, c'est-à-dire brûlés (ce qui, au dire de Giacomo della Marcs, fut le cas pour nombre d'entre eux). On peut réconcilier les pénitents ; quant aux chefs, il faut les emprisonner à vie et les torturer, au besoin, pour leur arracher les noms de leurs complices. Les simples gens qui ont été égarés par ces sectaires seront dispersés dans le voisinage, où il leur sera permis de cultiver leurs terres ; comme compensation, on répartira entre eux les biens confisqués aux autres. Les enfants des hérétiques seront enlevés à leurs parents et envoyés au loin pour être élevés dans la vraie foi. Les écrits hérétiques seront soigneusement recherchés par toute la province. Enfin, les magistrats et les communes sont avertis que toute faveur ou protection témoignée à des hérétiques entraînera la perte de leurs droits municipaux.

De semblables mesures auraient dû être efficaces, de même que les travaux de Capistrano, lequel, après avoir chassé les Fraticelli de Masaccio et de Palestrina, fonda en ces villes des convents observantins, sortes de citadelles de la foi. Mais les hérétiques avaient une ténacité et une endurance à toute épreuve. Quand Eugène IV reçut la pourpre, il renouvela, en 1432, le mandat de Capistrano, inquisiteur général contre les Fraticelli. On ne possède aucun détail sur l'activité du persécuteur durant cette période ; mais il fut assurément très occupé, bien qu'il eût perdu le concours de Giacomo, absorbé, comme nous le savons, jusqu'en 1410, par ses travaux contre les Cathares de Bosnie et les Hussites hongrois. Les Fraticelli d'Ancône restèrent dangereux, car en 1141, Giacomo, à son retour d'Asie, fut envoyé dans la Marche, en qualité d'inquisiteur spécialement chargé de les exterminer. En 1447, quand Nicolas V monta sur le trône pontifical, il s'empressa de renouveler le mandat de Capistrano, et, en 1449, une attaque combinée fut dirigée contre les hérétiques de la Marche. Cette expédition avait peut-être été provoquée par l'arrestation, en pleine cour papale, d'un évêque fraticello nommé Matteo, déguisé sous l'habit franciscain. Nicolas se rendit en personne à Fabriano, tandis que Capistrano et Giacomo battaient le pays. Magnalata s'était relevée de ses ruines en dépit de la prohibition pontificale ; cette localité, ainsi que Migliorotta, Poggio et Merulo, fut reconquise à la foi par des moyens qu'on imagine sans peine. Giacomo prétend que les hérétiques donnèrent cinq cents ducats à un spadassin pour tuer Capistrano ; il ajoute que deux cents et, en une autre occasion, cent cinquante ducats furent le prix offert de sa propre tête ; mais, chaque fois, les assassins furent pénétrés de remords et vinrent confesser leurs desseins. Ainsi les inquisiteurs jouissaient de la protection spéciale du ciel. La légende de Capistrano rapporte qu'un jour les hérétiques le guettèrent en embuscade. Ses compagnons passèrent en sûreté ; quand il parut à son tour, seul, absorbé dans la méditation et la prière, un ouragan soudain, mêlé d'une pluie torrentielle, retint les assaillants dans leur cachette et sauva l'inquisiteur. Giacomo fut divinement sauvegardé de façon analogue. A Matelica, un hérétique se cacha dans une chapelle de la Vierge pour le frapper au passage ; mais la Vierge apparut au sicaire et lui adressa des menaces si terribles que l'homme tomba à terre et demeura inanimé jusqu'au moment où ses voisins arrivèrent et l'emportèrent à l'hôpital. Trois mois s'écoulèrent avant qu'il fût en état de se rendre auprès de Giacomo, à Fermo, où il abjura.

Les malheureux prisonniers, amenés devant Nicolas à Fabriano, furent brûlés. Giacomo déclare que l'affreuse odeur de leur chair persista pendant trois jours et qu'on la sentit jusque dans le couvent où il logeait. Il s'efforça de sauver les âmes des relaps dont les corps étaient condamnés à périr et il réussit toujours, sauf dallé un cas. L'hérétique endurci qui lui résista était le trésorier de la secte, un nommé Chiuso. Il refusa de rétracter son erreur, ne voulut appeler à son aide ni Dieu, ni la Vierge, ni les saints et se contenta de dire : « Le feu ne me brûlera pas. » On mit cruellement son endurance à l'épreuve. Pendant trois jours, on le brûla en détail, morceau par morceau ; mais sa résolution ne faiblit pas. Il mourut impénitent en dépit des bienveillants efforts tentés pour lui faire gagner le ciel.

Cette énergique procédure n'anéantit pas la foi tenace des Fraticelli. On retrouve des traces d'hérésie dans la Marche en 1466. Paul II y envoya comme inquisiteur Bertoldo di Callepio. Celui-ci revint à Rome avec un grand nombre de prisonniers, qui furent jugés par une commission composée de l'archevêque de Milan, de Rodrigo, évêque de Zamora, de Nicolas, évêque de Faro et de Jacopo Egidio, maitre du Sacré Palais, ce qui montre à quel point l'Inquisition régulière avait été supplantée dans ses fonctions. De la confession arrachée à un des prisonniers il appert que, quelque quarante ans auparavant, une scission s'était produite parmi les Fraticelli, leur ministre général ayant refusé de se démettre de sa charge à l'expiration de ses trois années de généralat. Depuis lors, il y avait eu deux sections, d'organisation distincte, mais de foi commune. Le pénitent ajouta que lui-même avait été admis dans la secte en Grèce ou, depuis le temps de Jean XXII, il y avait une église complète avec un pape, des cardinaux et une florissante communauté monastique. A son retour en Italie, il avait été ministre à Poli, où la moitié des habitants appartenaient à la secte, et parmi eux, le seigneur de la ville, Stefano de' Conti. Un seul de ces hérétiques s'obstina ; encore l'application répétée de la torture finit-elle par le convertir. La torture fut d'ailleurs libéralement employée au cours de ces procès et, après quelque difficulté, on obtint des témoignages unanimes affirmant l'existence d'assemblées nocturnes dans lesquelles, les chandelles une fois éteintes, on se livrait à d'intailles débauches, coutume décorée du nom de Barilotto ; on raconta également que les hérétiques composaient une poudre sacramentelle avec les cendres d'enfants que l'on tuait en se les jetant de mains en mains. La réconciliation des sectaires fut l'occasion d'une grande cérémonie publique. huit hommes et six femmes, coiffés de mitres en papier, furent offerts aux insultes de la populace sur un échafaud dressé à l'Aracœli, tandis que le vicaire apostolique et. cinq évêques prêchaient pour leur conversion. Leur pénitence consista à être emprisonnés dans le Campidoglio et à porter une longue robe marquée d'une croix blanche sur la poitrine et sur le dos. Les os de leurs frères morts furent exhumés et brûlés ; une maison de Poli, qui avait abrité un conventicule, fut rasée. Ce ne fut probablement pas la fin de la persécution ; on retrouve, en effet, à la date du 6 juillet 1467, le compte des dépenses afférentes à l'achat d'habits, de bois, etc., pour douze hérétiques, ce qui laisse à penser qu'il y eut à ce moment un autre autodafé où flambèrent de nombreux bûchers. Peut-être fut-ce à cette occasion que l'évêque Rodrigo écrivit un traité sur la pauvreté du Christ, pour prouver que les ecclésiastiques menaient, au milieu de leur prospérité matérielle, une vie évangélique. En 1471, Fra Tommaso di Scarlino fut envoyé à Piombino et sur le littoral de Toscane, pour chasser des Fraticelli qu'on avait découverts dans ces régions. C'est la dernière fois, à notre connaissance, qu'il est fait mention des Fraticelli. En 1487, quand l'Inquisition espagnole persécuta divers Observantins, Innocent VIII lança un ordre général prescrivant que les Franciscains emprisonnés par des inquisiteurs dominicains fussent livrés à leurs propres Supérieurs chargés de les juger, et qu'on n'engageât plus désormais de semblables poursuites. C'est donc qu'il n'existait plus de Fraticelli et qu'on les avait déjà presque oubliés[12].

L'honneur d'avoir exterminé les Fraticelli doit être attribué au mouvement observantin, non pas tant parce qu'il fournit les hommes et le zèle nécessaires à cette œuvre, que parce que son organisation donna satisfaction aux tendances ascétiques et parce qu'il absorba la vénération populaire qui avait été si longtemps la sauvegarde des hérétiques. Qu'on songe à la réputation dont jouissait Capistrano parmi ses compatriotes ! On dit qu'en 1451, à Vicence, les autorités durent fermer les portes de la ville pour arrêter le flot sans cesse grossissant de la foule, et que, dans les rues, Capistrano était escorté d'une garde de Frères chargés d'éloigner la populace désireuse de le toucher avec des bâtons ou de voler, comme une relique, un morceau de sa robe. A Florence, en 1456, il fallut une garde armée pour empêcher qu'il ne fût étouffé. Cela fait concevoir l'influence énorme dont disposaient ces hommes pour détourner le courant de l'opinion publique et ramener la faveur populaire à l'Église qu'ils représentaient. Comme les Mendiants du XIIIe siècle, ils rendirent à l'Église une grande partie du respect qu'elle s'était aliéné, bien que, si l'on en croit le Pogge, nombre d'entre eux tombassent promptement dans le relâchement et la mollesse.

Les Observantins offrirent également un sûr refuge aux hommes que des aspirations maladives poussaient vers un ascétisme surhumain. L'Église avait enfin reconnu la nécessité de trouver une issue à ces aspirations, et quand les vieux Fraticelli moururent ou furent brûlés, il ne se rencontra personne pour prendre leur place ; la secte disparut sans laisser de trace. fi fallait que le goût de l'ascétisme fût singulièrement intense pour ne pouvoir se contenter d'une existence comme telle de Lorenzo da Fermo, qui mourut, en 1481, à l'âge de cent dix ans, après avoir vécu pendant quatre-vingt-dix années chez les Observantins. Sur ces quatre-vingt-dix années, quarante se passèrent pour lui sur le Mont Alverno, où, ne portant ni capuchon ni sandales, il subit les temps les plus rigoureux, tête-nue et nu-pieds, vêtu d'une robe extrêmement légère. S'il se trouvait des âmes qui réclamassent une austérité plus grande encore, l'Église avait appris à les employer à son service ou à les mai-Iriser. Ainsi fut organisé l'Ordre de la Stricte Observance, plus connu sous le nom d'Ordre des Récollets. Le comte de Sotomayor, du plus noble sang espagnol, était entré dans l'Ordre franciscain, et, mécontent du relâchement de la discipline, obtint d'Innocent VIII, en 1487, l'autorisation de fonder une congrégation réformée, qu'il établit dans les solitudes de la Sierra Morena. Malgré l'opposition furieuse des Conventuels et des Observantins à la fois, la tentative réussit et l'Ordre se propagea par toute la France et en Italie. Un effort malheureux fut tenté, peu après, dans le même sens, par Matteo da Tivoli, Franciscain que la soif de l'ascétisme avait poussé à mener l'existence d'un ermite, en compagnie de quatre-vingts disciples environ, groupés dans la province romaine. Ils rejetaient toute obéissance à l'Ordre, séduits par Satan qui apparut à Matteo sous le déguisement du Christ. Matteo fut arrêté et emprisonné ; il commençait à douter de la réalité de son apostolat, lorsqu'une nouvelle vision le confirma dans sa foi. Il réussit à s'évader avec un compagnon et vécut dans des souterrains au milieu des montagnes, entouré de nombreux disciples, illuminé par Dieu et doué d'un pouvoir de thaumaturge. Il organisa ses disciples en Ordre indépendant, avec un général des provinciaux et des gardiens ; mais l'Église réussit à dissoudre cette congrégation en 1495. Matteo finit par retourner auprès des Conventuels ; la plupart de ses disciples entrèrent dans l'ordre des Observantins.

 

En étudiant l'histoire de ces aberrations maladives auxquelles aboutirent des aspirations si élevées, il est impossible de ne pas reconnaître tout ce que l'Église perdit de sa vitalité par l'arrogance doctrinale et la perversité endurcie de Jean XXII, et de déplorer les souffrances inutiles dont la mémoire de ce mauvais pape est responsable. Avec un peu de tact et de savoir-faire, on aurait pu utiliser le zèle des Fraticelli, comme on mit à profit plus tard celui des Observantins. Les incessantes querelles qui surgirent entre ceux-ci et les Conventuels expliquent les persécutions subies par les Spirituels elles Fraticelli. Paoluccio eut le bonheur de rencontrer sur sa route des personnages de haut rang assez sensés pour protéger son organisation naissante jusqu'au jour où il en eut démontré l'utilité et fut capable de la défendre lui-même ; cependant, même à l'heure où cette organisation fut devenue l'arme la plus précieuse entre les mains du Saint-Siège, les Conventuels restèrent tout disposés à traiter les Observantins avec autant de cruauté et d'acharnement que les sectateurs d'Angelo, et de Michele da Cesena.

 

 

 



[1] Les avocats de la pauvreté ne manquèrent pas de saisir l'occasion de stigmatiser leurs contradicteurs comme disciples de Guillaume de Saint-Amour. Voir Tocco, Un Codice della Marciana, Venezia, 1887, p. 12, 39 (Ateneo Veneto, 1886-1887). — Le manuscrit dont le professeur Tocco a publié les passages les plus importants, accompagnés de notes explicatives, est une collection des réponses faites à la question mise en discussion par Jean XXII, au sujet de la pauvreté du Christ et des Apôtres. Ces réponses portent la marque de la réaction générale contre le dogme qui prévalait auparavant et de l'empressement que mirent les prélats, dès qu’on leur permit d'exprimer librement leur opinion, à répudier toute doctrine condamnant les biens temporels si habilement accumulés par toutes les catégories d'ecclésiastiques. Huit réponses seulement affirmaient la pauvreté du Christ ; elles émanaient do huit Franciscains ; les cardinaux d'Albano et de San Vitale, l'arche-digue de Salerne, les évêques de Calfat Lisbonne, Riga et Badajoz et un docteur inconnu de l'Ordre. Parmi les adversaires on comptait quatorze cardinaux, dont Napoleone Orsini lui-même le protecteur des Spirituels, un grand nombre d'archevêques, d'évêques, d'abbés et de docteurs en théologie. Sans doute la crainte d’offenser le pape contribua fortement à produire cette unanimité d'opinion crainte fondée, comme le montra la disgrâce de ceux qui affirmèrent la pauvreté du Christ. — (Tocco, ubi sup. p. 35).

[2] Chose curieuse. Jean fit précisément, dans cette circonstance, ce que ses adversaires, les Spirituels, avaient tant souhaité. Longtemps auparavant, Olivi avait fait ressortir tout ce qu'avait de scandaleux le spectacle d'un Ordre voué à la pauvreté et plaidant avec acharnement pour des droits de propriété, sous le couvert transparent de procureurs pontificaux. (Hist. Tribulat. ap. Archiv für Lit.-u. K. 1886, p. 298).

[3] La bulle Cum inter nonnullos fut insérée dans le Corpus juris (Extrav. Johann. XIII. Tit. XIV. cap. 4). Dans la glose qui l'accompagne, on parle du pape comme de Dieu même. Cette témérité fut vivement relevée par les premiers Réformateurs, au grand déplaisir des orthodoxes. — Voir Polacchi, Comment. in Bull. Sancti Anni Jubilæi, p. 264-5 (Venet. 1625).

[4] La date de la Protestation de Sachsenhausen n'est pas rigoureusement établie ; elle dut être publiée en avril ou mai 1314 (Müller, op. cit. I. 357-8). La patouillé de ce document est attribuée par Preger à Franz von Lautern, et Ehrle a montré que l'argumentation est en grande partie copiée littéralement dans les écrits d'Olivi (Archiv. für Lit.-u. Kirchengeschichte. 1887, 540). Lors des négociations engagées, en 1336, en vue d'un arrangement, Louis signa une déclaration préparée par Benoit XII, dans laquelle on lui faisait dire que le passage relatif à la pauvreté du Christ avait été inséré à son insu, et pour lui faire tort, par son notaire Ulric der Wilde (Raynald. ann. 1336, n° 31-5) ; mais il fit suivre cette déclaration si humble d'instructions secrètes d'un caractère tout différent (Preger, Kirchenpolitischer Kampf, p. 12).

[5] La bulle du 11 juillet, qui dépouillait Louis de l'empire, fut lue jusqu'en Irlande, dans toutes les églises, en anglais et en irlandais. — Theiner, Monument. Bibern. et Scoter. N° 456, p. 230.

[6] Dans les actes de la seconde procédure de Jean contre Louis, les accusations coutre l'empereur débutent constamment par le rappel de l'hérésie opiniâtre consistant à soutenir la doctrine td+ la pauvreté du Christ. — Martène, Thesaur. II. 682 sq. Cf. Guill. Nangiac. Contin. ann. 1328.

[7] La façon dont un contemporain, Fritsche Closener, prêtre à Strasbourg, parle du Defeneor Pacis, montre quelle impression fit ce livre et atteste qu'une partie du clergé n'était pas éloignée d'en adopter les conclusions. — Closeners Chronik (Chroniken der deutshen Städte, VIII. 70. — Cf. Chron. de Jacob von Königshofen, ibid. p. 473).

[8] La carrière du cardinal Bertrand de la Tour montre quelle souplesse de conscience était nécessaire aux serviteurs de Jean XXII. Bertrand de la Tour était un Franciscain de haut grade. Comme provincial d'Aquitaine, il avait persécuté les Spirituels. Promu an cardinalat, il répondit à la consultation de Jean XXII en affirmant la pauvreté du Christ. De concert avec Vitale du Four, cardinal d'Albano, il avait secrètement élaboré la déclaration du chapitre de Pérouse qui irrita si fort le pape. Mais quand Jean décida que le Christ avait possédé des biens, le cardinal changea promptement d'opinion et se mit à persécuter les partisans d'une doctrine dont lui-même avait été un des promoteurs. — Tocco, Un Codice della Maracas, p. 40, 43,45

[9] Les infaillibilistes modernes seront surpris d'apprendre qu'un inquisiteur aussi parfaitement orthodoxe et aussi savant que le bienheureux Giacomo della Marca admit l'existence de papes hérétiques, de papes qui persistèrent et moururent dans l'hérésie. D'ailleurs, Giacomo se console en remarquant que ces papes hérétiques ont toujours eu pour successeurs dès pontifes catholiques (l. c., p. 599).

[10] Pérouse était alors an centre d'agitation religieuse. Un certain Piero Garigh, qui semble avoir entretenu quelques relations avec les Fraticelli, se donna pour le Pis de Dieu et décora ses disciples du nom d'Apôtres. Dans le bref aperçu que nous possédons de sa carrière, il est dit qu'il a trouvé dix Apôtres et qu'il est en guète d'un onzième. On ne sait quel fut son sort. — Processus contra Valdenses (Archivio Storica !taliano, 1865, n° 39, p. 50).

[11] L'âpreté de la lutte entre les deux branches de l'Ordre apparait dans ce fait que l'église franciscaine" de Palma, dans Ille de Majorque, frappée de la foudre et partiellement ruinée en 1480, demeura dans cet état pendant près d'un siècle, et se fut réparée que le jour où les Observantins victorieux en prirent possession. — Dameto, Pro y Baver, Hist. de Mallorca, II. 1064-5 (Palma, 1841). On rapporte que, quand Sixte IV, ancien Conventuel, voulut, en 1477, soumettre les Observantins à leurs rivaux, le bienheureux Giacomo della Marca menaça le pape de male mort et que Sixte IV renonça à son projet. (Chron. Glassberger, ann. 1477). — Le relâchement excessif des Conventuels est attesté par des lettres que le général franciscain, Antoine de Perreto, accorda, en 1421, à Frère Liebbardt Forschammer pour l’autoriser à déposer chez un ami sûr toutes les aumônes recueillies par lui et à dépenser ces sommes pour ses propres besoins ou pour le bien de l'Ordre, à sa discrétion ; de plus, le moine n'était tenu de se confesser que quatre fois par an. (Chron. Glassberger, ann. 1416). Le chapitre général tenu à Forli, en 1421, dut interdire aux Frères le commerce et l’usure, sous peine d'emprisonnement et de confiscation. (Ibid. ann. 1421). Par les décisions du chapitre d'Ueberlingen, en 1426, on voit que les couvents franciscains avaient pris l'habitude de payer des appointements fixes à certains moines, contre versement d'une certaine somme d’argent. (Ibid. ann. 1426). D'ailleurs, les efforts de réforme tentés à cette époque et stimulés par la rivalité des Observantins révèlent à quel point l'Ordre avait oublié toutes les prescriptions de la Règle.

[12] Une centaine d'années plus tard, le savant Juan Cinés Sepulveda (Rer. Gest. Ægid Albornot. lib. III) reproduit, avec quelques broderies, l'histoire du Barilotto.