MARIE STUART ET LE COMTE DE BOTHWELL

 

I. — COMMENCEMENTS DE BOTHWELL ET RETOUR DE MARIE STUART EN ÉCOSSE.

 

 

James Hepburn, quatrième comte de Bothwell, représentait une des familles les plus considérables de l'Écosse méridionale au seizième siècle. Dans cette région tumultueuse du Border, sur la frontière anglaise, les seigneurs se targuaient d'une demi-indépendance séculaire. Écossais au fond, mais mobiles comme les populations barbares, ennemis tantôt du roi qui trônait à Londres, tantôt du roi qui siégeait à Édimbourg, leur histoire est un tissu serré de brigandage et d'héroïsme, de patriotisme et de trahison. Le trop fameux Bothwell trouva toutes ces traditions pêle-mêle dans son héritage.

Son aïeul Adam donna sa vie pour son pays à côté de Jacques IV, dans la cruelle défaite de Flodden-Field en 1513. Patrick, son père, banni deux fois d'Écosse sous Jacques V (1535 et 1539), en punition de quelque délit, eut plus tard une noble inspiration de loyauté. La mort de Jacques avait fait passer prématurément la couronne sur la tête de Marie, la fille qui venait de naître (12 décembre 1542), pour épuiser en sa vie toutes les infortunes. Le comte d'Arran, gouverneur du royaume et chef des Hamiltons, la première maison après les Stuarts, entreprit, à l'instigation de Henri VIII, d'enlever l'orpheline que le roi anglais voulait avoir à sa discrétion, et, en tout cas, de la séparer de sa mère ; Marie de Lorraine, de l'illustre sang des Guises. Bothwell et le comte de Lennox rassemblèrent les clans fidèles, et gagnant de vitesse le traître, dérobèrent la proie aux serres du vautour. Ils transportèrent l'enfant, du palais de Linlithgow, derrière les murailles de la forteresse de Stirling qui, sur sa roche escarpée, défiait l'attaque et la surprise (21-22 juillet 1543). Par malheur, les deux libérateurs s'étaient pris de passion pour Marie de Lorraine[1]. Éconduits tous deux, ils se tournèrent vers l'Angleterre, suivant l'usage des nobles écossais lorsqu'ils étaient mécontents. Pendant que Lennox se rendait ouvertement près de Henri VIII, qui le récompensa par la main de sa nièce Marguerite Douglas (1544), Patrick Bothwell, resté dans sa patrie et traité moins généreusement par le roi anglais, dut se contenter d'une pension pour prix des avis qu'il faisait passer au sud de la Tweed. Cette correspondance fut découverte. Le coupable vit ses biens confisqués et imita la fuite de Lennox. Cependant la reine douairière, Marie de Lorraine, aspirait à déposséder le comte d'Arran de la régence. En quête d'amis, elle rouvrit le royaume au banni repentant et toujours amoureux, avec pleine rémission pour ses trahisons (mars 1554). Un mois après, il payait sa dette en contribuant à lui déférer le pouvoir suprême. Ses espérances s'étaient rallumées ; il se hâta de se rendre libre par un divorce avec sa femme, Agnès Sinclair (mars 1554). Toutefois, il s'abusait. La mort l'enleva jeune encore (septembre 1556), sans qu'il eût rien obtenu de la régente que la lieutenance des frontières. James, son fils unique, né probablement vers l'an 1536 (la date flotte entre 1536 et 1531), recueillit dans la succession paternelle, outre des domaines étendus, la charge héréditaire de grand amiral que Jacques IV avait conférée au comte Adam en 1511, et celle de haut shériff des comtés d'Édimbourg, d'Hadington et de Berwick, de bailli de Lauderdale avec les châteaux forts de Hales et de Chrichton, que le comte Patrick tenait de Jacques V. Un tel établissement lui assignait le premier rang parmi les seigneurs du sud après les Hamiltons. En religion, il suivit le courant général et se rangea parmi les adeptes fervents de John Knox, l'apôtre de la Réforme ; mais, circonstance honorable qui vaut la peine d'être relevée, il ne crut pas que à 'appartenir à l'Église nouvelle fût un motif pour trahir sa patrie et sa souveraine. Au lieu d'imiter les ministres et les chefs politiques de son parti ou lords de la Congrégation, comme le lord James, frère bâtard de la reine, Maitland de Lethington, Morton, etc. dans leurs intelligences avec l'Angleterre et leurs complots d'insurrection, il resta franchement Écossais, loyal défenseur de la régente Marie de Lorraine. N'exagérons pas sa vertu ; accordons que le tempérament avait une grande part à sa haine contre les Anglais ; que le sang lui muait, comme Froissart dit de Philippe de Valois, à l'aspect du voisin malfaisant, le vieil ennemi, auteur de tant de désastres nationaux. Toujours est-il que son instinct était le bon, et qu'il avait la fibre patriotique. En 1558, il fut nommé lieutenant de la reine dans le Border, et gardien du château de l'Ermitage, arsenal de l'État dans le Liddisdale. Les Marches étaient divisées en trois sections, de- l'est, du centre et de l'ouest ; elles continuaient d'avoir chacune leur gardien particulier, sous l'autorité supérieure du lieutenant. Bothwell conduisit avec vigueur les hostilités contre l'Angleterre pendant la guerre entre Henri II et Marie Tudor, guerre à. laquelle l'alliance française avait associé l'Écosse, ainsi qu'elle avait fait tant de fois auparavant. Après la paix de Cateau-Cambrésis (mars-avril 1559), on le voit s'aboucher à diverses reprises avec les gardiens anglais des frontières, pour régler les conflits inextinguibles entre les pillards des deux nations. Mais Élisabeth qui en succédant à sa sœur, Marie Tudor (novembre 1558), avait cru devoir à l'affermissement de son règne le sacrifice de Calais et la paix avec la France, suivit par le même motif une politique tout autre envers l'Écosse. De ce côté, elle redoutait une rivale et un péril. Tandis qu'à son avènement, elle s'était intitulée reine de France, et qu'elle y avait persisté par ce motif qu'elle ne voulait pas abandonner un titre que douze rois d'Angleterre avaient porté avant elle, elle avait trouvé mauvais qu'Henri II, pendant la guerre, fit prendre à son fils et à sa belle-fille, le dauphin François et Marie Stuart, les armoiries, et à Marie le titre de reine d'Angleterre. Il est vrai que la revendication anglaise, quoique offensante, n'était qu'une puérile satisfaction d'orgueil. Au contraire, la démonstration opposée parut prendre le caractère d'une compétition sérieuse, après que la mort inopinée de Henri II (10 juillet 1559) eut placé sur le trône moins encore François II et Marie Stuart, que les oncles de la jeune reine, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine, l'homme d'épée et l'homme d'intrigue. Tout-puissants près des deux époux par leurs services, leurs talents et leur parenté, ils rejetaient avec les catholiques, la légitimité de la naissance d'Élisabeth, et mettaient au — dessus des droits qu'ils lui déniaient, les droits réels de Marie Stuart, arrière-petite-fille d'Henri VII. Ils comptaient sur l'appui du Saint-Siège, de Philippe II, qu'ils se flattaient d'armer contre la reine hérétique d'Angleterre. Déjà l'Écosse leur était ouverte, puisque leur sœur, Marie de Lorraine, y exerçait la régence. Ils pouvaient faire passer dans ce royaume les vétérans des guerres d'Italie, qui eussent assuré le triomphe des catholiques ; de là, relevé en Angleterre le parti catholique, encore, très-nombreux, renversé la fille usurpatrice d'Henri VIII, et intronisé les Stuarts orthodoxes. Telles étaient les éventualités qu'Élisabeth envisageait avec effroi et ressentiment. Il faut dire que le danger n'était pas sérieux, et que d'ailleurs il n'eut pas de durée ; car, d'une part, l'Espagne ne voulait pas livrer l'Angleterre aux descendants de François Ier, et de l'autre, la prompte explosion des troubles de France paralysa l'ambition de la maison de Lorraine hors du continent. Si par la suite, il se forma autour de la prison de Marie Stuart un foyer de complots contre Élisabeth, c'est que la reine d'Angleterre les provoqua en retenant captive la reine d'Écosse coutre toute justice.

Quoi qu'il en soit, en 1559, le ministre anglais secrétaire d'État, sir William Cecil, détermina aisément la marche à suivre. Il partit de l'idée juste en soi que l'union de l'Écosse et de l'Angleterre serait de toutes les solutions la plus convenable à l'intérêt des deux pays. Indifférent sur la moralité des moyens, il comptait soutenir la réforme à Édimbourg, lui donner assez de puissance non pas seulement pour enchaîner le mauvais vouloir présumé du gouvernement de Marie Stuart, mais pour priver cette princesse de sa couronne, que l'on transporterait à une branche protestante de sa famille ; ensuite il marierait le nouveau roi avec la reine d'Angleterre. Sans découvrir toute sa pensée à Élisabeth dans un mémoire qu'il lui présenta sur les moyens de rétablir le royaume d'Écosse dans son ancienne splendeur[2], il fit prévaloir la politique d'intervention, ouverte ou dissimulée, selon les circonstances. Ce système, continuation astucieuse per fas et nefas des vues d'absorption brutale tentée par Henri VIII, nous donne le secret de la triste destinée de Marie Stuart. Ce qui perdra, ce qui tuera la fille de Jacques V, ce sera sa qualité d'héritière de la reine vierge.

Mais avant d'aller plus loin, il est nécessaire de rappeler l'état politique et religieux de l'Écosse à cette époque tragique, pour avoir la clef des révolutions dont nous nous proposons de rétablir le véritable caractère.

Qui ne sait que ce pays n'était monarchique que de nom ? Une aristocratie sans frein avait perpétué les coutumes et les vices des âges barbares jusqu'au seizième siècle[3]. Souverains sur leurs fiefs au milieu de leurs clans du Border ou des Highlands, toujours en querelle, les seigneurs ne s'accordaient que pour repousser avec fureur la royauté dès qu'elle essayait d'étendre son autorité chez eux et de les plier à l'empire de la loi. Alors ils se formaient en confédération (bond) et tiraient l'épée. Terrassée parfois, mais retrempée en quelque sorte dans son opiniâtre anarchie, cette aristocratie se relevait bientôt ; et le roi, semblable au damné de la fable, reprenait son labeur toujours recommencé et toujours déjoué.

Ce n'était pas tout. De l'autre côté du Border, veillait l'implacable ennemi, l'Anglais, qui au nom d'un prétendu droit de suzeraineté, jetait de temps à autre sur l'Écosse ses forces supérieures par le nombre et la discipline, et tirait de cruelles vengeances de l'alliance fidèle de ce royaume avec la France. Aussi, depuis un siècle et demi, pas un Stuart qui n'eût fini de mort violente : Jacques Ier et Jacques III, sous le poignard des grands ; Jacques H et Jacques IV, à la guerre contre leurs voisins du sud ; Jacques V, le père de Marie Stuart, de douleur, parce que ses nobles s'étaient laissé battre sans résistance par les Anglais, pour ne pas fournir à leur prince la satisfaction même d'un combat. A chacune de ces cinq vacances du trône, la royauté semblait s'éteindre. Un règne plus ou moins vigoureux était suivi d'une longue minorité, pendant laquelle la noblesse prenait sa revanche.

Entre ces deux forces ennemies, l'Église d'Écosse, avec ses dignités, ses richesses et ses lumières, avait opposé jusque-là une sorte de contrepoids aux chefs de clans. Les villes des basses terres — Lowlands —, au centre du pays, rares et faibles, ne comptaient pas comme ressort politique quoique susceptibles de vive émotion à une heure donnée. Leur pauvreté était un des grands obstacles des Stuarts. Ceux-ci sans finances, et par conséquent sans troupes soldées, ne pouvaient pas tenter l'impôt sans soulever le mécontentement populaire.

La réforme religieuse vint encore affaiblir une royauté déjà trop faible, non-seulement en détruisant la puissance ecclésiastique, mais encore en faisant prévaloir des principes contraires aux maximes d'autorité. Le génie enflammé de John Knox jeta dans sa patrie, avec les doctrines calvinistes, leurs tendances républicaines, si conformes à l'esprit de cette aristocratie. Tandis qu'en Angleterre et en Allemagne, la réforme faite ou favorisée par le prince, avait pris un caractère monarchique, en Écosse, où Jacques V et Marie de Lorraine, lui furent contraires, elle se fit contre le prince au moins autant que contre l'épiscopat ; et par là, elle offrit à la noblesse une autre machine de guerre pour battre en brèche le pouvoir royal. Prompts à reconstituer au nom de la religion la coutume des ligues insurrectionnelles, le frère de Marie Stuart, lord James, prieur de Saint-André, les comtes de. Morton et de Glencairn, Lorn, plus tard comte d'Argyle, John Erskine, plus tard comte de Mar, dressèrent à Édimbourg le plan d'une ligue qu'ils appelèrent la Congrégation du Seigneur, avec serment de la défendre de toutes leurs forces contre la congrégation de Satan et de l'idolâtrie (3 décembre 1557). Ils se modérèrent cependant, parce qu'ils manquaient d'appui, l'Angleterre étant au pouvoir de Marie Tudor et de la réaction catholique. Mais la mort de Marie, en 1558, l'avènement d'Élisabeth, sa sœur, la rapide révolution par laquelle cette princesse ramena définitivement l'Angleterre à la cause de la réforme, renversèrent la situation et déplacèrent entièrement les passions et les intérêts. Les protestants d'Écosse et d'Angleterre tirent cause commune contre Marie Stuart et sa mère, contre les Guises et Henri II. Élisabeth saisit avec joie ce puissant levier, sa sûreté et sa vengeance. Puisque la politique française lui contestait sa couronne, elle se mit en état d'ébranler la couronne d'Écosse sur la tête de la rivale qu'on lui suscitait. L'aristocratie écossaise était prête à toutes les extrémités pour soutenir la reine d'Angleterre ; et, ajoutons-le, pour à la fois gagner l'argent qu'elle en espérait, et finir avantageusement sa lutte traditionnelle contre la royauté. On se tromperait, en effet, si l'on regardait l'appel des lords de la Congrégation au gouvernement anglais, comme le coup de désespoir d'un parti religieux qui, menacé d'extermination par ses adversaires, invoquerait ses coreligionnaires du dehors au nom de l'humanité et de la foi. Sans contester la part de l'entraînement religieux, il est certain que les opposants d'Écosse suivirent une habitude invétérée de trahison. Dès l'année 1544, Morton avait trahi le berceau de Marie Stuart et s'était vendu à Henri VIII[4]. Dès 1552, à vingt et un ans, le lord James, prieur de Saint-André, tendait la main au gouvernement d'Édouard VI, le fils d'Henri VIII[5]. Le même, étant déjà chef du parti réformé dans son pays, obtenait, en 1555, de la France et du pape Paul IV, des bénéfices catholiques[6]. L'argent, instrument de l'ambition, était son dieu préféré. Quant au patriotisme, il l'avait dès son jeune âge brisé au fond de son cœur, comme une vaine idole.

Le 11 mai 1559, John Knox donna le signal de la guerre civile. Il tonnait dans la chaire de Perth contre les images ; le peuple, transporté tout à coup, saccagea les églises de la ville. En peu de jours, la dévastation déchaînée courut le royaume comme l'ouragan, et le joncha de ruines catholiques. Cependant, si l'on prit les armes de part et d'autre, on ne s'en servit pas encore, et ce fut sans effusion de sang que les lords de la Congrégation pénétrèrent à Édimbourg le 30 juin, pendant que la régente se retirait à Dunbar avec quelques auxiliaires français. Les lords et Knox demandèrent le secours des Anglais[7]. Mais si le secrétaire Cecil était dans les dispositions les plus favorables, il n'en était pas de même d'Élisabeth. L'année précédente, l'apôtre écossais avait lancé un pamphlet intitulé : Le premier coup de trompette contre le monstrueux gouvernement des Aimes. Il n'avait pas prévu que ses injures, à l'adresse de deux reines catholiques, Marie Tudor et Marie de Lorraine, iraient tomber d'emblée sur une reine protestante. Élisabeth, irritée, défendait que l'on prononçât devant elle le nom de l'insolent. En vain Knox s'excusait humblement et faisant amende honorable, ouvrait une exception en faveur de celle dont, il avait besoin, jamais il ne fléchit l'orgueilleuse rancune qu'il avait provoquée si imprudemment[8]. Son principe de la souveraineté populaire ne révoltait pas moins la despotique fille de Henri VIII. Enfin, elle croyait contraire à son métier de reine de soutenir quelque part les sujets contre la royauté, et il lui répugnait d'enfreindre la paix de Cateau-Cambrésis à peine signée. Elle éprouva donc des hésitations prolongées, des retours fréquents : mais au fond, il lui était si doux d'abaisser la belle reine d'Écosse, de soustraire ce royaume à l'influence française, qu'elle finit par en passer par où voulut son ministre, et n'étendit pas aux réformés le ressentiment qu'elle avait voué au réformateur.

Sans insister trop au long sur les efforts de Cecil et des Écossais pour la décider, citons cependant quelques-unes de leurs lettres ; d'abord, dans une dépêche de Cecil au gouverneur anglais de Berwick, un extrait bien propre à faire apprécier la moralité de ces négociations : Faites vos efforts pour allumer le feu ; car s'il venait à s'éteindre, jamais de notre vie occasion pareille ne se retrouverait. Ce que les protestants comptent faire, il faut que cela se fasse en toute hâte ; il ne serait plus temps, une fois les forces françaises arrivées. Avec un homme sage, c'est assez de peu de mots[9]. Soufflant aussi le feu directement, il excita les lords à mettre la main sur les richesses du clergé papiste : Je n'ai pas de goût au pillage, leur écrivait-il ; mais j'aime que les bonnes choses soient employées à de bons usages[10].

Tel était sans doute aussi l'avis des lords ; ils se hâtèrent de le mettre en pratique. Mais cela ne les empêchait pas de solliciter de plus, par l'intermédiaire de Knox, l'argent et les pensions de l'Angleterre[11]. Ils n'en obtenaient point, parce que Élisabeth aurait préféré les pousser à la révolte contre la régente, sans dépense et sans risque. En envoyant sir Ralph Sadler en Écosse (18 août), elle lui donna pour instructions d'entretenir la discorde entre les Français et les Écossais, de manière que les Français eussent plus à faire avec l'Écosse et d'autant moins avec l'Angleterre. En même temps, elle aiguillonnait ces tièdes insurgés par le reproche de lenteur, de négligence, de froideur. Vous n'ignorez pas, répondaient ceux-ci à sir Crofts, combien il est difficile de décider la multitude à la révolte contre l'autorité établie[12].

Ces tiraillements avaient arrêté leurs progrès. La régente, à son tour, était rentrée à Édimbourg le 25 juillet, en promettant de n'y point mettre de garnison, et de laisser aux bourgeois le libre exercice de leur religion. On fit une trêve jusqu'au 10 janvier suivant. Marie de Lorraine espérait de France une coopération désormais plus active, depuis la mort d'Henri II. François II et Marie Stuart lui envoyèrent un millier de vieux soldats qu'elle établit à Leith sur le Perth, poste bien choisi pour surveiller Édimbourg et maintenir les communications avec la France, per la mer du Nord. Les deux jeunes souverains avaient pris aussi, avec les titres qui leur appartenaient de plein droit, le titre royal d'Angleterre et d'Irlande. Alors Élisabeth, quoiqu'elle ne se fit aucun scrupule de revendiquer, à l'exemple de ses prédécesseurs, son royaume de France, se crut plus libre d'agir : elle envoya secrètement deux mille livres sterling aux lords de la Congrégation (septembre I559). Un complot contre la régente s'organisa. Les protestants y entraînèrent plusieurs lords catholiques, par le motif que l'intervention française était une atteinte à l'indépendance nationale : Ils disaient que l'on les voulait commander par force et asservir leur liberté au Français[13]. Le principal de leurs nouveaux adhérents fut James Hamilton, duc de Châtelleraut. Ce seigneur, dont nous avons déjà parlé sous son nom de comte d'Arran, avait reçu le duché de Châtelleraut en France et des pensions, lorsque cinq ans auparavant, il avait abdiqué la régence au profit de Marie de Lorraine. Il était par le sang, comme aux termes d'une loi votée au parlement, l'héritier présomptif de la couronne, en cas d'extinction de la branche régnante. Aussi l'appelait-on le second personnage du royaume, le duc. Il était resté catholique, et jusque-là fidèle à Marie, quoiqu'on eût fait pour lui persuader que la reine avait juré de le ruiner lui et tous les siens[14]. Son fils acné, le comte d'Arran, commandait la garde écossaise à la cour de France ; mais comme il adopta les doctrines nouvelles, il perdit ce commandement et revint furtivement dans sa patrie. Suivi de près par l'envoyé anglais, sir Thomas Randolph, qui cacha soigneusement sa présence à la petite cour d'Hamilton (fin de septembre), il surmonta et entraîna la timidité de son père. Les lords gagnèrent aussi William Maitland de Lethington. La régente avait nommé ce personnage secrétaire d'État l'année précédente ; à ce titre, toutes les affaires passaient entre ses mains. Le don de la persuasion qui découlait de ses lèvres, une dextérité sans 'égale dans les négociations, une flexibilité d'esprit qui le mettait au niveau de chacun sur quelque terrain que ce fût[15], le plaçaient, de l'aveu des Anglais, au premier rang des hommes d'État. Mais, ainsi que la plupart de ses contemporains, et tout converti qu'il était, il n'avait ni foi, ni loi. Le besoin de l'intrigue, plus peut-être encore que la méchanceté, le poussa dans les rangs de l'aristocratie. Une fois là, il devint l'un des ennemis les plus funestes de Marie Stuart, qu'il mena au précipice avec un art diabolique. Son adhésion aux trames de 1559 resta secrète d'abord ; il demeura dans les conseils de la régente pour la trahir plus utilement[16]. Le complot avait trois objets : achever la destruction de l'Église catholique ; renverser la régente et chasser les Français de l'Écosse. Il éclata le 15 octobre. Mais quand la Congrégation eut, avec les douze mille hommes qu'elle avait réunis, occupé Édimbourg, constitué deux conseils pour les affaires de politique et de religion, déclaré Marie de Lorraine suspendue de la régence (21 octobre) et qu'elle en vint à l'attaque des retranchements de Leith, elle trouva l'entreprise au-dessus de ses forces. L'argent manqua de nouveau.

Élisabeth, malgré les instances et les représentations de Cecil, qu'il valait mieux soudoyer la guerre en Écosse que de s'exposer à l'avoir chez soi, ne se décidait pas à fouiller dans ses coffres. Cependant elle y puisa enfin mille livres sterling. Déjà John Cockburn d'Ormiston, porteur du précieux subside, avait gagné Hadington sans encombre, sur le chemin d'Édimbourg, lorsqu'il tomba entre les mains de Bothwell, qui intercepta la somme tant désirée (commencement de novembre 1559) : amer désappointement que ne pardonnèrent jamais ni l'avare Élisabeth, ni les avides rebelles. Honni dès lors dans les correspondances anglaises, Bothwell n'y figura plus que sous les traits du réprouvé.

Après cette mésaventure, les membres de la Congrégation, battus dans deux sorties de la garnison de Leith, se prirent d'une telle frayeur qu'ils s'enfuirent d'une traite jusqu'à Stirling. Ils dépêchèrent près d'Élisabeth, Maitland de Lethington, passé ouvertement de leur côté depuis peu. L'adroit négociateur vainquit les incertitudes de la reine d'Angleterre (novembre-décembre 1559) ; on posa les bases d'une alliance d'où fut exclu soigneusement le mot même de religion. Il ne fut parlé que de la tyrannie de la France et de son intention évidente de conquérir l'Écosse et de détrôner finalement Élisabeth. Tytler ne peut pas s'empêcher ici de remarquer que le parti religieux d'Écosse acceptait de l'orgueilleuse reine un rôle bien modeste[17]. Ces préliminaires aboutirent au traité de Berwick (27 février 1560), alliance offensive et défensive entre Élisabeth et les lords, pour l'expulsion des Français. La reine d'Angleterre, afin de ne pas paraître patronner des rebelles, fit insérer que les lords agissaient pour leur souveraine, et qu'ils continueraient à lui obéir en tout ce qui ne serait pas incompatible avec les antiques droits et libertés du royaume : phrase élastique, propre à recéler sous un voile de légalité tous les prétextes de refus d'obéissance.

Toutefois malgré la coopération d'une flotte et d'une armée anglaises, la garnison de Leith maintint sa gloire ; deux fois elle bouleversa les travaux ou repoussa les assauts des assiégeants. Alors Élisabeth dégoûtée, Marie de Lorraine qui se mourait de consomption, Marie Stuart et François II ou pour mieux dire les Guises, contre qui la conjuration d'Amboise venait d'éclater en France (mars 1560), souhaitèrent la paix en Écosse. Elle fut signée par Jean de Montluc, évêque de Valence, et la Rochefoucauld, seigneur de Randan, au nom de la cour de France, par Wotton et Cecil, au nom d'Élisabeth. Ce dernier prit sur le terrain des affaires, où il était maitre pissé, la supériorité que les armes de sa nation n'avaient pas su conquérir vous les retranchements de Leith. Une première convention, signée le 5 juillet à Édimbourg, porta démolition de Leith et retraite immédiate des troupes françaises et anglaises[18]. Le lendemain, une seconde pièce, appelée paix d'Édimbourg, stipula le rétablissement des bons rapports entre la reine d'Angleterre et les souverains de France et d'Écosse. François II et Marie Stuart renonçaient dorénavant — pour tous les temps à venir — à porter le titre et les armes des royaumes d'Angleterre et d'Irlande. Un autre point encore plus grave, malgré cet inconvénient d'une renonciation perpétuelle, c'est que Cecil exigeait la mention et la confirmation du traité de Berwick, tandis que les commissaires français déclaraient que leurs instructions leur interdisaient d'y faire allusion. Le ministre anglais prit un détour, et l'on mit que Dieu ayant incliné le cœur du roi très-chrétien et de la reine Marie à manifester leur clémence et leur bénignité envers leur peuple et noblesse d'Écosse, ils avaient, par leurs commissaires, donné leur assentiment à certaines suppliques et pétitions présentées par lesdits peuple et noblesse, tendant à l'honneur de la couronne, au bien public du royaume et à la continuation de leur obéissance. On ajouta que le roi et la reine, désirant que leur bénignité fût attribuée aux bons offices de la reine Élisabeth, leur très-chère sœur et alliée, dont l'intercession et la requête les avaient fait pencher de ce côté, il était convenu qu'ils exécuteraient toutes les choses que leurs commissaires avaient accordées en leur nom à la noblesse et au peuple d'Écosse à Édimbourg, le 6 juillet de la présente année 1560. Ainsi, quoique le traité de Berwick ne fût pas nommé, il n'en était pas moins sanctionné dans son esprit et son objet essentiel, puisque l'on maintenait ouverte la porte par laquelle Élisabeth était intervenue déjà dans les affaires intérieures d'Écosse. C'est ce que Cecil appela manger l'amande et laisser la coque aux Français[19]. Les concessions aux nobles, indiquées à la fin de cet article, furent consignées dans un acte à part, sous la même date : Plus de soldats français ni étrangers en Écosse, sauf deux garnisons de soixante hommes chacune, à Dunbar et à Inch-Keith ; convocation d'un parlement pour le 1er août, dont on avertira le roi et la reine, avec prière d'y consentir ; et cette assemblée sera aussi valable que si elle avait été convoquée de leur exprès commandement. Le souverain ne pourra pas faire la guerre ni la paix, sans le consentement des trois états du royaume, selon les lois et coutumes du pays ; il sera formé un conseil de gouvernement de douze membres, dont sept à la nomination de la reine, cinq à la nomination des états, sur une liste de vingt-cinq candidats dressée par les trois états ; point d'étrangers dans les fonctions publiques ; exclusion donnée au clergé pour les offices de trésorier et de contrôleur ; amnistie générale ; plus de réunions des nobles en armes, excepté dans les cas approuvés par les lois et coutumes du pays — exception qui détruisait la règle — ; réintégration du duc de Châtelleraut, du comte d'Arran, et en général de tous les Écossais dans les terres et avantages dont ils jouissaient en France. Quant aux affaires de religion, les commissaires n'ayant pas voulu en traiter, plusieurs personnes de qualité devaient être chargées d'aller exposer au roi et à la reine la situation des choses[20].

Élisabeth n'avait pas permis qu'il fût question des affaires religieuses dans ce traité, pas plus que dans celui de Berwick. Elle s'en tenait au rôle de protectrice des libertés politiques de l'Écosse et n'ignorait pas que ses protégés feraient le reste. En effet, le parlement s'assembla de lui-même, le 1er août, sans convocation royale. Le 17, il déclara le catholicisme supprimé sous peine de confiscation, de bannissement ou de mort pour les contrevenants, selon les récidives ; et il constitua l'Église presbytérienne sur la base de l'élection populaire[21].

C'est ainsi que l'Écosse se transforma en une véritable république, aristocratique politiquement, démocratique en religion ; la vieille alliance avec la France fut rompue, et remplacée par l'alliance et la tutelle de l'Angleterre. Désormais, Élisabeth sera plus reine en Écosse que Marie Stuart. Cecil eut raison de féliciter sa souveraine en ces termes : Ce traité n'ajoutera pas un faible accroissement à l'honneur des premiers temps de votre règne ; car, il vous procurera enfin cette conquête de l'Écosse qu'aucun de vos ancêtres, avec toutes les batailles gagnées, n'a jamais pu obtenir, c'est-à-dire les cœurs et la bonne volonté de la noblesse et du peuple, bien préférable pour l'Angleterre aux revenus mêmes de la couronne'[22]. Effectivement, les lords écossais remercièrent Élisabeth de ce qu'elle avait pourvu à la liberté et à la sûreté de leur pays ; le royaume, dirent-ils, lui était plus redevable qu'à sa propre souveraine[23]. Ils auraient voulu lui devoir davantage encore, c'est-à-dire la couronne royale pour le propre frère de Marie, le lord James, qui la convoitait ardemment. Nicolas Throckmorton, ambassadeur d'Angleterre en France, avait écrit dès le 26 juillet 1559 à Cecil, qu'on l'avait instruit secrètement qu'il y avait un parti en Écosse pour placer le Prieur de Saint-André sur le trône d'Écosse  in the state of Scotland — ; et que le Prieur lui-même y aspirait par tous les moyens en son pouvoir[24]. Faut-il un témoignage plus élevé encore ? Voici Élisabeth en personne :

Il est bien connu, disait-elle plus tard dans ses instructions au comte de Shrewsbury, qu'avant la conclusion du traité d'Édimbourg, un plan nous fut communiqué par Lethington lui-même, lui qu'elle (Marie) a tenu ensuite dans une faveur spéciale, pour la priver de sa couronne : proposition que nous rejetâmes absolument '[25]. Qu'on nous parle, après cela, du zèle de la religion chez ces traîtres.

Marie Stuart et François II désavouèrent leurs négociateurs et refusèrent de ratifier le double traité qui livrait la royauté d'Écosse à la discrétion de l'Angleterre et de l'aristocratie ; à plus forte raison, les actes du parlement d'août qui s'était réuni, avait délibéré, résolu, exécuté sans eux. La Congrégation continuant d'agir comme un pouvoir indépendant, dépêcha une brillante ambassade à Élisabeth. Morton, Glencairn, Lethington, allèrent la remercier, et la prièrent, pour établir une perpétuelle amitié entre les deux royaumes, d'épouser le comte d'Arran. La reine déclina l'offre. Qu'avait-elle besoin en effet de subir ce mariage ? N'avait-elle pas mis une chaîne à l'Écosse ? On se contenta d'expédier à Marie Stuart un simple gentilhomme, sir James Sandilands, à la vérité grand-prieur de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, mais prieur sécularisé et marié. Parmi les débats qui s'élevèrent alors en France au sujet de cette ratification, nous rapporterons les paroles du cardinal de Lorraine à Throckmorton, parce qu'elles peignent au naturel l'anarchie de l'Écosse : Je vous dirai franchement que les Écossais, sujets du roi, ne remplissent nullement leur devoir ; le roi et la reine sont de nom leurs souverains, et votre maîtresse possède leur obéissance effective. Ils voudraient changer le royaume en république, et ce n'est qu'en paroles qu'ils se disent les sujets du roi. Vous rapporter leurs désordres en détail serait trop long ; chacun d'eux agit à sa fantaisie. Tout cela est par trop contraire au bon ordre ; quand on les prend en faute, ils menacent le roi de recourir à la reine, votre maîtresse. Que votre maîtresse, ou bien en fasse des sujets obéissants, ou bien qu'elle se retire tout à fait ; car, plutôt que de laisser venir les choses à ce point, le roi sacrifiera tout. Ils ont fait sans nous une ligue avec votre maîtresse : quelle conduite est-ce là pour des sujets ? Voilà ce qui les rend si insolents[26].

Pendant les négociations, Marie de Lorraine avait expiré le 10 juin, au château d'Édimbourg ; pendant les débats qui suivirent le traité, un attire deuil plus funeste encore frappa Marie Stuart François II mourut à Orléans, le 5 décembre 1560.

L'écrasant fardeau des affaires d'Écosse retomba donc tout entier sur elle, une veuve de dix-huit ans. Les Guises, alors qu'ils étaient maîtres du pouvoir, n'avaient pu lui apporter qu'une aide insuffisante, malgré leur bonne volonté et celle de François II ; repoussés des marches du trône sous le nouveau roi Charles IX par Catherine de Médicis qui s'empara de la régence, ils furent tout à fait impuissants.

Les lords de la Congrégation suivant leur pointe, envoyèrent à Marie une liste de vingt-quatre personnages désignés au parlement d'août, et parmi lesquels elle devait choisir le conseil de gouvernement. C'est une sorte de dénombrement des chefs de ce parti : le duc de Châtelleraut, le comte d'Arran, les comtes d'Huntly, Argyle, Glencairn, Morton, Athol, Menteith, Marshal et Rothes ; les lords James, Erskine, Ruthven, Lindsay, Boyd, Ogilvy, Saint-John et le maître (héritier) de Maxwell ; les lairds de Lundy, Pitarrow, Dun, Cunninghamhead, Drumlanrig et Maitland de Lethington[27]. On pense bien que Marie Stuart n'était pas disposée à se laisser enfermer dans un tel cercle d'ennemis. Elle voulut y introduire au moins quelques amis ; parmi eux, le comte de Bothwell. La régente, avant de mourir, avait chargé celui-ci d'aller solliciter un appui énergique à la cour de France (mai 1560). Il y avait été le bienvenu. Outre une gratification, il avait reçu, en récompense de ses services, le titre et les appointements de gentilhomme de la chambre du roi. Throckmorton ne perdit pas une seule de ses démarches, et lorsqu'il repartit de France, en novembre, l'ambassadeur l'accompagna de ses recommandations à Élisabeth : Le comte est parti subitement de ce royaume pour retourner en Écosse par la Flandre ; il s'est vanté qu'il fera de grandes choses et qu'il demeurera en Écosse en dépit de tout le monde. ll est glorieux, vantard, prompt et hasardeux ; ses adversaires feront bien d'avoir l'œil sur lui et de le tenir de court[28]. Randolph, l'émissaire anglais près le duc de Châtelleraut, répond comme un écho : Le comte de Bothwell est arrivé de Paris, pour faire tout le mal qu'il pourra. Lisons, pour servir Marie Stuart, et contrecarrer les menées de la Congrégation et de l'Angleterre : Je ne sais, dit-il encore, de quelle façon le comte d'Arran et lui régleront leurs comptes ; allusion à l'accident de Cockburn d'Ormiston. Ce retour de Bothwell avait pour objet de seconder l'exécution des mesures par lesquelles Marie se flattait de régulariser le gouvernement de son royaume. Elle envoya, en effet, quatre commissaires, porteurs de deux commissions. La principale autorisait un conseil de sept membres, le duc de Châtelleraut, les comtes d'Argyle, d'Huntly, de Bothwell et d'Athol, le lord James — frère de la reine — et John Hamilton, archevêque de Saint-André, tous ensemble, ou bien trois d'entre eux seulement, convoquer les états et à tenir un parlement. Mais les meneurs ne voulurent à aucun prix partager le pouvoir avec les amis de la reine (février 1561). Le secrétaire d'État, Maitland de Lethington, s'insinua dans la confiance des commissaires, en tira le secret et même la copie de leurs instructions, et fit passer le tout à lord Cecil. Il ne perdait pas une occasion de trahir Marie Stuart.

Bientôt la question prit une autre face. Marie Stuart, descendue par son veuvage du rang si brillant, et qu'elle avait rendu si populaire, de reine de France, à la condition effacée de reine douairière, songeait à rentrer dans ses États, ou plutôt, on y songeait pour elle. Catherine de Médicis, sa belle-mère, soit grief d'amour-propre, soit surtout désir d'éloigner celle qui, sous François II, avait annulé son influence politique au profit des Guises, trouva, dit Castelnau, fort bon et expédient de s'en défaire. Marie d'abord quitta la cour et passa le printemps de 1561 chez se parents de la maison de Guise. Déjà une petite cour écossaise se groupait autour d'elle. Leslie, évêque de Ross, et le lord James, vinrent au nom, l'un des catholiques, l'autre des protestants, lui apporter leur dévouement et leurs conseils, beaucoup plus sincères chez les premiers que chez les seconds[29]. Bothwell y parut aussi. Malgré les déclarations présomptueuses que rapporte Throckmorton, il avait reconnu l'inutilité et le péril d'un séjour prolongé en Écosse. La reine l'accueillit à Joinville avec la distinction qu'il méritait (avril 1561), toutefois avec une grande différence entre lui et le lord James. Quoiqu'elle eût beaucoup à se plaindre de celui-ci, l'auteur principal du renversement du catholicisme en Écosse et de l'intervention anglaise, elle l'aimait d'enfance. Il garda toujours sur sa sœur l'empire des premières impressions, et ne s'en servit que pour tramer contre elle sans relâche les trahisons les plus criminelles, jusqu'à ce qu'il la précipitât du trône. Tout d'abord, en retournant en Écosse, il prit par l'Angleterre, malgré les recommandations de Marie, et il ourdit avec Élisabeth et Cecil le projet de l'intercepter sur la mer du Nord à son passage, et de la détenir dans une prison anglaise[30]. Marie Stuart ne fut pas sans avoir connaissance des plans non pas de son frère, mais de sa cousine, surtout lorsque celle-ci lui eut refusé sur le ton d'une haine acrimonieuse le sauf-conduit qu'elle demandait pour naviguer le long du littoral d'Angleterre. L'infortunée reine d'Écosse eut alors l'intuition de l'avenir ; elle y lut la page funeste qui lui était réservée. Si, dit-elle à l'ambassadeur Throckmorton qui prenait congé d'elle à Paris le 21 juillet, si mes préparatifs étaient moins avancés, peut-être le mauvais vouloir de votre maîtresse m'aurait-il fait retarder mon voyage ; mais à présent je suis déterminée à risquer l'entreprise, quoi qu'il arrive. J'espère que le vent sera assez favorable pour ne pas m'obliger à toucher les côtes d'Angleterre. Si j'y aborde, monsieur l'ambassadeur, la reine votre maîtresse me tiendra entre ses mains et fera de moi ce qu'elle voudra. Si elle a le cœur si dur que de désirer ma fin, elle pourra faire à son plaisir et me sacrifier. Peut-être un tel sort vaut-il mieux pour moi que la vie. La volonté de Dieu s'accomplisse !'[31] Un brouillard tutélaire enveloppa sa faible escadre jusqu'à Leith, à l'embouchure du Forth. Elle débarqua saine et sauve dans son royaume, où une bonne partie de sa noblesse ne l'attendait, ni ne la souhaitait (10 août 1581).

Le premier accueil qu'elle reçut du peuple fut chaleureux et trompa les espérances de ses ennemis. Son seul aspect désarma les préventions des masses. Disons ce qu'était Marie Stuart, au moment où son mauvais destin la ramenait dans son pays natal.

Elle était née, elle vécut au milieu des tempêtes, sauf les jours de son enfance et de sa première jeunesse, qui s'écoulèrent calmes et heureux à la cour d'Henri II. Transportée en France à l'âge de six ans, on vit les dons les plus riches et les plus rares fleurir et s'achever en elle avec une remarquable précocité. Sur les quinze ans, dit un contemporain, sa beauté commença à paraître comme la lumière en beau plein midi'[32]. La personne de Marie Stuart émerveillait, comme le vivant idéal du beau. Elle était grande et bien faite. Ses yeux bruns, des cheveux châtain foncé, un teint clair et brillant alliaient le charme du Midi à celui du Nord. Le correct contour de l'ovale, l'irréprochable régularité des traits n'ôtaient rien à l'heureuse expression de bonté et d'intelligence méditative qui d'emblée lui attirait les cœurs. Si pure et si touchante était sa beauté, et irrésistible sa grâce, qu'un jour qu'elle suivait la procession de la Chandeleur, un cierge à la main, une femme du peuple, tombée à genoux devant elle, s'écria : En vérité, n'êtes-vous point un ange ?[33]

Bien digne aussi d'appartenir à l'époque de la Renaissance, tant elle avait l'amour et la facile compréhension des lettres et des arts, elle parlait le latin et plusieurs langues vivantes[34].

Ronsard fut son maître de poésie. Elle était bonne musicienne et chantait en s'accompagnant sur le luth.

Avec les qualités charmantes, elle possédait les qualités sérieuses. Elle avait le sens et le goût des affaires de politique et d'administration. Sir Thomas Craig, éminent jurisconsulte contemporain, en a rendu témoignage : J'ai, entendu souvent la sérénissime princesse Marie, reine d'Écosse, parler avec tant d'à-propos et de raison dans toutes les affaires portées devant le conseil privé, que chacun l'admirait. Quand la plupart des conseillers gardaient un silence embarrassé, ou se hâtaient de se ranger à son avis, elle les réprimandait vivement et les exhortait à parler librement contre sa propre opinion, comme il convenait à des conseillers impartiaux, afin que les raisons les meilleures déterminassent leurs décisions. Et véritablement ses raisonnements étaient si forts et si clairs, qu'elle pouvait tourner leurs cœurs du côté qu'il lui plaisait. Quoiqu'elle n'eût pas étudié les lois, la lumière naturelle de son jugement, quand elle raisonnait sur des questions d'équité et de justice, lui donnait fréquemment l'avantage sur les légistes les plus habiles. Ses autres discours et ses actions n'étaient pas moins conformes à son grand jugement. Jamais parole ne tomba de sa bouche sans être mesurée et pesée. Quant à sa libéralité et ses autres vertus, on les connaissait bien[35]. Si l'on soupçonnait l'exagération, que l'on compare les paroles de Thomas Craig aux récits que Throckmorton envoyait à Élisabeth sur les entretiens dans lesquels le madré diplomate discutait avec une jeune femme de dix-huit ans les relations épineuses de l'Écosse et de l'Angleterre. On sera frappé de l'intelligence et de la noblesse de Marie, de sa prudence et de sa modération[36]. François II vient de mourir : Pendant la vie de son mari, dit l'ambassadeur, on ne faisait pas grand compte de la reine. Car étant dans les liens du mariage et sous l'autorité de son époux, qui était chargé du fardeau et du soin de ses affaires, on avait peu d'occasion de savoir ce qu'il y avait en elle. Mais depuis la mort de sort mari elle a montré, et elle montre tous les jours par sa sage manière de conduire elle et ses affaires, qu'elle est pleine de sagesse pour son âge, de modestie et de grand jugement. Ces qualités, croissant avec les années, ne pourront que tourner à son éloge, à sa réputation et à son honneur, ainsi qu'à son grand avantage et à celui de son pays. On le voit déjà, tels auparavant ne la comptaient guère, qui aujourd'hui, témoins de sa sagesse, l'honorent et sont émus de pitié pour elle[37].

La dignité et l'affabilité de ses manières était célèbre. Ses ennemis rendent hommage à sa courtoisie qui ne se démentait jamais, fût-ce dans les discussions les plus animées. Elle donnait libéralement et avec grâce. Le cœur, sous ces aimables dehors, était foncièrement bon. Dans les années qu'elle passa. en France, tous les«yeux ouverts sur elle, on cite beaucoup de traits de générosité, de dévouement à ses devoirs et à ses affections, pas un de méchanceté. Il en sera ainsi en Écosse, malgré tout ce qu'amasseront de calomnies sur elle, pour se justifier, les traîtres qui l'auront renversée du trône. Les mêmes oseront bien dire que dès son premier mariage l'enivrement des hommages et des passions précoces la poussèrent à des intrigues honteuses en France, prélude des égarements et des crimes qu'ils lui imputeront plus tard avec aussi peu de fondement. Throckmorton, le représentant, l'espion d'Élisabeth auprès de François II, centre de relations avec l'opposition protestante, ne parle de la jeune reine que sur le ton d'un profond respect. Nous venons d'en donner un exemple ; et l'on voit bien que ce n'est pas du respect de convention[38]. Elle quitta la France pure et sans tache. Si elle y avait respiré l'atmosphère empoisonnée de la cour, elle n'avait pas pris le germe de la contagion. Que Knox dise qu'on la vendit à la France afin qu'elle bût de cette liqueur qu'elle devait garder le reste de sa vie, pour le malheur de son royaume et sa propre perte, c'est la calomnie aveugle du fanatique. Il n'est pas plus digne d'estime qu'au moment où il triomphe de la mort de François II, en l'appelant le mari de notre Jézabel, et lorsqu'il remarque avec une joie sauvage que le roi mourut d'un abcès dans cette oreille sourde qui ne voulut pas entendre à la vérité de Dieu. M. Mignet, à propos de l'école d'élégance et de dépravation que tinrent les rois François Ier et Henri II, et où vécut Marie Stuart, ajoute : Dans son enfance, elle n'en prit que le bien, sans qu'elle pût toutefois s'empêcher d'en apercevoir le mal et plus tard de l'imiter, car ce qu'on voit influe à la longue sur ce qu'on fait'[39]. Protestons contre cet axiome ; s'il est vulgaire que le mauvais exemple est dangereux, il est incontestablement vrai qu'on n'y succombe pas nécessairement ; et s'il est des natures sur lesquelles il influe à la longue, il en est aussi, pour l'honneur de la conscience humaine, qui le rejettent comme un venin qui n'a pas de prise sur elles. Combien n'en voit-on pas que l'ignominie des autres fortifie dans la vertu ? Nous prouverons, à mesure que nous avancerons dans ce récit, que Marie Stuart ne doit pas être rangée parmi les princesses aimables et désordonnées avec lesquelles N. Mignet la confond[40]. Dans sa dix-neuvième année alors, il est certain qu'elle était exempte de reproche. Concevra-t-on qu'une femme, placée dans un milieu corrupteur, à la fois se conserve parfaitement vertueuse, et fasse provision de mauvaises leçons pour l'avenir ; qu'ici par exemple, cinq ou six ans après que Marie serait sortie intacte de ce lieu de pestilence — car la passion supposée pour Bothwell est de 1566 -, les scandales qui n'auraient pas influé sur elle quand elle les voyait de près, dussent prendre, lorsqu'elle aurait cessé de les voir, et juste au rebours de la maxime, un empire irrésistible sur ses sens ? Il faudrait quelque chose de plus sérieux pour flétrir si tôt Marie Stuart.

Mais alors, si elle possédait le rare assemblage de la beauté du visage et des dons du cœur et de l'esprit, d'où vinrent les malheurs qui déchirèrent la vie d'une reine si accomplie ? C'est qu'elle n'avait pas été créée pour maîtriser la tempête. Elle avait le courage fier et spontané qui se redresse devant l'offense ou le danger du moment. Dans ses veines courait l'ardeur militaire des Guises et des Stuarts, ces Valois de l'Écosse ; mais cette ardeur n'avait pas pour aliment l'énergie soutenue du caractère. Marie était une femme d'élan, qui n'allait pas au delà d'une première explosion de mécontentement ou d'une première menace de résolution. Que ne reçut-elle en partage la fermeté invincible d'une Isabelle la Catholique ou d'Élisabeth ? Un autre défaut encore plus funeste, c'est l'imperturbable bonne opinion qu'elle avait des autres. Avec son intelligence brillante et ouverte, elle manquait de la sagacité particulière qui distingue le visage à travers le masque et va saisir la réalité sous l'apparence. L'avait-on offensée ou trahie, c'était assez, pour regagner ses bonnes grâces et sa confiance, de simuler le repentir. Des promesses de fidélité la désarmaient. Au reste rappelons-nous sa grande jeunesse. Elle avait les illusions de son âge et de ses vertus. En voici bien la preuve : vers la fin de 1560, l'erreur étourdie ou calculée d'un messager lui avait remis un paquet de lettres, écrites par ses ennemis d'Écosse à ceux de leurs compatriotes qui la trahissaient en France au profit de l'Angleterre[41]. N'importe : elle ne sait pas croire au mal. Elle se figure naïvement que sa droiture et sa bonne volonté guériront les haines et les ambitions. Telle nous la représente Throckmorton dans sa dépêche du 31 décembre 1560, annonçant à son gouvernement qu'elle a le projet de retourner en Écosse et qu'elle prépare les voies et moyens. Elle compte, dit-il en premier lieu, sur ses amis de la faction française. Outre ceux-là, elle ne doute pas de ramener un grand nombre de ceux qui ont été dernièrement contre elle. Entre autres, elle se croit sure de l'entier dévouement de lord James et de tous les Stuarts. Elle n'a de défiance qu'à l'égard du duc de Châtelleraut et de son parti. Passé cela elle ne met pas en doute de se rattacher aisément par la persuasion la totalité ou la plupart de ceux qui sont restés neutres dans ces derniers temps, et dont on dit que le nombre est grand. Enfin, elle croit que la masse du peuple, pour ravoir sa reine, penchera et se portera de son côté[42]. L'Anglais n'en doute pas non plus : Elle ralliera tout le monde autour d'elle[43]. De son côté, Marie Stuart, en faisant part aux Écossais de ses projets de retour, leur disait qu'elle était dans l'assurance que le temps et les choses passées n'avalent altéré en rien la loyauté et l'affection qu'eux et leurs pères avaient toujours portées à elle-même et à ses ancêtres ; et si depuis il était survenu quelques troubles par oubliance du devoir de sujet, la mémoire des bienfaits passés — le concours qu'ils avaient apporté au mariage de Marie avec le Dauphin — et l'espérance de leur bonne et entière obéissance à l'avenir lui feraient mettre le tout en oubli. Elle leur offrait comme garantie toutes les lettres qu'ils voudraient[44] d'elle-même ; elle écrivit individuellement aux principaux, promettant d'oublier toutes les offenses qu'on avait pu lui faire, et de continuer dans leurs offices de confiance ceux qui voudraient seulement la servir avec fidélité[45]. Et comme elle le promettait, elle le fit. Mais eux acceptèrent ses bienfaits et lui en témoignèrent Peur ingratitude par les actions les plus atroces. Elle ne se lassa pas d'être leur dupe, dès qu'ils firent semblant de revenir à résipiscence : tant l'hypocrisie était éloignée de son cœur.

Castelnau a dit qu'elle avait un esprit grand et inquiété, comme celui du feu cardinal de Lorraine son oncle, auxquels ont succédé la plupart des choses contraires à leurs délibérations[46]. Enfant des Guises, de cette famille toujours en travail d'ambition, imbue par eux dès l'enfance de leurs aspirations et de leurs principes, et par eux destinée à un rôle principal dans le vaste échiquier de leur politique, son imagination de jeune fille put s'enflammer. Mais c'est ici que se montre le jugement que Throckmorton vante chez elle : lorsqu'elle fut en Écosse, elle sut reconnaître que ces rêves étaient chimériques ; et quoique très-fidèle au catholicisme, elle ne voulut ni entreprendre contre la religion de ses sujets, ni entrer dans les ligues du 'continent contre les princes et les peuples protestants. Ambitieuse sur un seul point, elle insista trop comme reine et comme mère auprès d'Élisabeth, pour obtenir de celle-ci la sanction de son droit éventuel de succession au trône d'Angleterre. Elle ne sentit pas assez tôt qu'elle blessait mortellement une femme ombrageuse ; et quand elle cessa d'insister, le mal était fait.

Il y avait donc chez Marie Stuart, à côté des qualités les plus nobles, certains défauts d'esprit et de caractère, mais pas un vice. Pour nous résumer, aveuglée sur la méchanceté humaine par excès de droiture, elle ne fut pas plus apte à la réprimer qu'à la pressentir. Dans un royaume paisible, chez des sujets policés, elle eût été l'ornement du trône, et son nom brillerait à travers l'histoire comme l'enchantement de la grâce et de la sagesse féminines, au lieu d'être un souvenir d'épouvante sous un jour douteux, entre la pitié et la réprobation des siècles.

Tout d'ailleurs fut contre elle : le fanatisme et la barbarie de son peuple ; l'ambition d'une aristocratie capable de tous les crimes ; la trahison permanente de pervers conseillers ; la jalousie et la haine d'Élisabeth ; la malveillance de Catherine de Médicis ; la jeunesse de Charles IX, qui ne put pas réagir contre les premiers malheurs d'une belle-sœur qu'il aimait tendrement ; les Guises eux-mêmes qui, dans leurs froids calculs, opposant leur parente comme un épouvantail aux puissants d'Angleterre et d'Écosse, sans être en état de la protéger, la condamnaient à devenir la victime des fureurs qu'ils appelaient sur eux et sur elle.

Voilà la vérité quant au caractère et à la situation de Marie Stuart, lors de son retour en Écosse. Maintenant, nous allons revenir à l'homme qui sera la cause immédiate et le prétexte des malheurs de sa souveraine.

Quand elle gagna par une brume épaisse le golfe du Forth, les courtisans français qui l'accompagnaient augurèrent en riant qu'on allait prendre terre dans un pays brouillé, brouillon et malfaisant[47]. Les presbytériens d'Écosse tirèrent le même présage : la face du ciel et la corruption de l'air montraient assez, dit Knox, quel genre de bien elle apportait dans ce pays ; savoir : affliction, douleur, ténèbres et toute impiété. Marie- elle-même fut affectée péniblement de l'apparence sauvage de la nature et des habitants. Elle accepta néanmoins avec courage les soins du gouvernement. D'abord elle réorganisa le conseil privé (6 septembre), et y réintégra Bothwell, quoique absent, dans la place que son père, le comte Patrick, avait occupée[48].

Bothwell reprit le chemin de sa patrie peu après la reine. Mais en véritable Écossais du Border, et trop fidèle au portrait que Throckmorton avait tracé de lui l'année précédente, il n'eut pas plus tôt remis le pied à Édimbourg que son caractère turbulent et inconsidéré le jeta dans des différends et des intrigues fâcheuses. Avouons cependant que la cour d'Holyrood était pleine de ses ennemis, que leur inimitié provenait surtout de ce qu'il n'avait pas voulu pactiser comme eux avec l'Angleterre, et qu'il ne se montra pas le plus récalcitrant aux instances conciliatrices de Marie. Dans cette arène de rivalités implacables, il n'y eut qu'un jour, en 1582, où tous se trouvèrent d'accord : ce fut pour déchirer le cœur de leur souveraine. Au second anniversaire de la mort de François II, qu'elle regrettait fidèlement, Marie les pressa de revêtir des habits de deuil pendant quelques heures : elle ne put pas l'obtenir même d'un seul d'entre eux[49]. La pauvre reine, obligée de vivre avec ces furieux, s'épuisait à les pacifier ; et ce qui nous donne la mesure de l'autorité royale, elle dut se borner la plupart du temps à exiger, non pas le respect absolu de la loi et de la paix, mais de simples trêves, la promesse réciproque de ne pas s'attaquer pendant un ou plusieurs mois. Bothwell prit des engagements de cette nature avec lord Seton (11 novembre 1561), avec lord James[50] et avec Cockburn d'Ormiston. Des efforts semblables de Marie échouèrent longtemps auprès du comte d'Arran. Celui-ci, dont la tête n'était pas saine, avait caressé le rêve d'être porté par Cecil au trône d'Écosse et d'obtenir ensuite la main d'Élisabeth. Le refus de la reine d'Angleterre avait donné un autre cours à son ambition ; et tout en boudant Marie Stuart, fi projetait de l'épouser et faisait profession de l'aimer. Immobile avec son père, le duc de Châtelleraut, dans leur petite cour de Kinneil, près Linlithgow, ils affectaient tous deux une attitude de mécontents. Le duc avait résolu de ne pas se présenter devant Marie Stuart, à moins d'être mandé. Le comte d'Aman était encore plus absolu. Il est décidé, dit Randolph devenu ambassadeur d'Angleterre près la reine d'Écosse, il est décidé[51] à ne pas paraître à la cour aussi longtemps que la messe y sera conservée.... Je vois trois causes à son absence : d'abord la messe, ensuite la présence de son ennemi (Bothwell), en troisième lieu le manque de ressources pour soutenir sa maison. Par la première, il maintient son crédit chez les protestants rigoureux ; la seconde accuse de sa part beaucoup moins de courage qu'on ne croyait, alors que son ennemi est tout feu pour avoir la place dont il est indigne ; la troisième manifeste à tout le monde la stupidité de son père, qui ne cannait rien au-dessus de l'argent et n'a ni foi ni loi. Le comte d'Arran ne s'était pas consolé des mille livres sterling que Bothwell avait saisies deux ans auparavant. Cependant sur les représentations de ses amis, le duc se rendit près de la reine. Bien reçu de celle qu'il avait offensée, il ne put s'empêcher d'avouer qu'elle le traita de manière à ne lui donner aucun sujet de déplaisir[52]. Son fils, qui ne sait où il en est, dit Randolph, au lieu de l'accompagner, était allé vers le nord à Saint-André. Tout à coup, le 16 novembre 1561, à neuf heures du soir, le bruit se répand à Édimbourg qu'il arrive d'au delà du Forth pour enlever la reine avec l'aide des amis et des serviteurs qu'il a cachés dans la ville. Un tumulte inexprimable bouleverse la cour et la cité. Dans un pays où les hommes sont si braves, où l'on compte de vieux et vaillants soldats, dit en ricanant Randolph le narrateur[53], je vous laisse à penser combien de pauvres damoiselles furent laissées seules, pendant que tels autres cherchaient des recoins pour abriter leur tête. On passa la nuit sous les armes, et cette alerte bizarre, qui n'avait aucun fondement et n'a pas eu d'explication, ne prit fin qu'au retour du jour. Knox et d'autres ont avancé que c'était une ruse de Marie afin d'avoir un prétexte de se donner des gardes-du-corps ; mais ils ont tort assurément, puisqu'elle n'en fit rien et qu'elle n'adopta jamais de mesures préventives de défense, au cas où un danger réel viendrait à surgir.

Le duc de Châtelleraut et le comte d'Arran firent entendre des plaintes bruyantes. Le duc n'en fut que plus hautain à rejeter une offre de paix que Bothwell lui faisait par ordre de la reine ; il n'appartenait pas, dit-il, à celui-ci «envoyer un écrit de cette sorte à plus grand seigneur que lui. L'autre en tira une vengeance qui peint cette noblesse désordonnée. Le comte d'Arran, tout sévère qu'il fût en religion, jusqu'à dire qu'il voudrait voir pendre tous les papistes d'Écosse[54], et malgré les censures qu'il fulminait contre la perversité de la cour, avait noué une intrigue avec la fille d'un bourgeois d'Édimbourg, et l'on disait que de temps en temps il se glissait seul dans la ville. Là-dessus, Bothwell, le duc d'Elbœuf, oncle de Marie Stuart, et lord John de Coldingham, un des frères naturels de la reine, pénétrèrent masqués dans la maison de cette femme. Bien reçus le premier jour, exclus le jour suivant, ils enfoncèrent les portes et commirent beaucoup de désordre. Le blâme de la reine sembla les aiguillonner à faire pis. Bothwell et lord John jurèrent, dans les termes les plus insultants, qu'ils recommenceraient le lendemain, quelque ami de telle maison qui voulût s'y opposer. Ainsi défiés, les gens du duc s'assemblèrent le soir sur la place du marché, revêtus de la cotte de mailles, la lance au poing. Bothwell, s'attendant à une attaque, réunit ses amis chez lui, pendant que les volées du beffroi convoquaient les citoyens sous les armes. Heureusement personne n'avait envie de se battre, et sur la proclamation royale aux perturbateurs d'avoir à se disperser sous peine de mort, en une demi-heure il n'y eut plus une âme dans les rues ; si bien, ajoute Randolph, l'ironique témoin du peuple tumultueux que sa cour exploitait avec tant de fruit, que jamais, d'une apparence plus prochaine du mal, je ne vis sortir moins de dommage[55]. Mandés devant la reine, ils s'y rendirent, le duc escorté des protestants, le comte de ce qu'il y avait de catholiques qui se groupaient autour de lui, quoique réformé, par opposition aux Hamiltons. Bothwell reçut l'ordre de vider la ville jusqu'au 8 janvier. Malgré cette satisfaction donnée au parti évangélique, Marie n'eut pas peu de peine à se défaire des exigences des ministres, qui voulaient absolument qu'elle livrât son oncle, le duc d'Elbœuf, aux tribunaux pour en faire un exemple. Enfin, le 20 février 1562, elle obligea les comtes d'Arran et de Bothwell à promettre de garder la paix, non sans avoir rencontré chez le premier la résistance la plus opiniâtre, qu'elle surmonta à force de persévérance et de douceur. Elle ne pouvait en effet se défendre de quelque indulgence pour un homme qui l'aimait passionnément sans être payé de retour, et dont les transports furieux et la déraison fréquente semblaient être les ferments d'un amour aigri par la froideur de celle qui en était l'objet. Mais le calme ne dura guère.

Ces scènes singulières furent suivies d'autres scènes plus singulières encore, lorsqu'à l'hostilité de Bothwell et des Hamiltons succéda une réconciliation subite. Ici l'autorité principale est John Knox, ardent réformateur de l'Écosse, mais guide peu sûr en histoire, trop zélé pour s'embarrasser beaucoup de vérité et de justice. Il voit et raconte comme il convient aux besoins de sa cause. Keith, l'historien consciencieux par excellence, remarque qu'il adoucit évidemment les querelles de Bothwell avec le duc de Châtelleraut et le comte d'Arran, afin de rendre plus croyable le complot qui leur sera bientôt imputé en commun contre le lord James, ce frère trop fameux de Marie Stuart.

On dit donc que Bothwell, humilié de son expulsion temporaire d'Édimbourg, placé entre la haine de lord James et celle des Hamiltons, et mal vu de la reine, essaya de sortir de cette fausse position en faisant amende honorable au giron de l'Église réformée. Knox rapporte que, pendant une absence de la reine au château de Falkland, dans le Fife, il reçut de Bothwell la demande d'une entrevue nocturne. Là, le comte déplora ses péchés antérieurs et l'enlèvement de l'argent que portait Cockburn d'Ormiston, et la brouille malheureuse qui s'en était suivie avec le comte d'Arran ; il conclut en priant l'apôtre de le remettre en bon accord avec ce seigneur : Car, disait-il, si je recouvrais la faveur de milord Arran, je pourrais me rendre à la cour avec un page et quelques serviteurs seulement, et diminuer d'autant mes dépenses ; tandis qu'à présent je suis obligé d'entretenir, pour ma sûreté, beaucoup d'hommes pervers et inutiles, à la ruine entière de ce qui me reste de biens. Le désir de la concorde dans son Église et la force du lien de vassalité qui rattachait la famille de Knox à celle des comtes de Bothwell, plus sans doute que les motifs assez mondains du noble patron devenu humble client, touchèrent le réformateur. Une nouvelle incartade de son étrange brebis ne le découragea même pas. Bothwell, au moment où il se frappait la poitrine en souvenir de Cockburn d'Ormiston, rencontra celui-ci, sa femme et son fils à la chasse, les assaillit et enleva le jeune homme (mars 1582). Cet acte sauvage ralluma la colère de la reine et de son conseil, quoique, circonstance atténuante, le comte eût pour lui, sinon les lois, du moins les mœurs particulières du pays, puisque le délai pendant lequel il avait promis d'observer la paix envers Ormiston était expiré. On lui reprit son prisonnier, ou bien il le restitua sur la prière de Knox, et ce dernier lui procura la réconciliation avec Arran. Ils la scellèrent le 25 mars dans la maison des Hamilton, à Kirk-of-Field, en face du lieu où, cinq ans plus tard, Bothwell devait assassiner Darnley. Knox prononça une exhortation religieuse et bénit les nouveaux amis, qui assistèrent ensemble au prêche du lendemain, à l'édification des fidèles stupéfaits. Le jour suivant, accompagnés de Gawin Hamilton, abbé sécularisé de Kilwinning, ils allèrent visiter le duc de Châtelleraut à Kinneil. Tout à coup au bout à e deux jours, la scène change : le comte d'Arran prend avec lui deux gentilshommes et se rend précipitamment chez John Knox : Je suis accusé de haute trahison, lui dit-il. — Par qui, milord ?Par un Judas, réplique le jeune homme, et il raconte que Bothwell lui a conseillé d'enlever la reine, de la conduire à Dumbarton, de tuer le lord James Lethington et les autres ministres qui la dirigent mal, et de s'emparer à eux deux du gouvernement. Je sais, ajoute-t-il, qu'il médite de m'accuser ; je sais qu'il veut informer la reine ; mais je vous prends à témoin que je vous déclare tout et que je vais l'écrire à Sa Majesté. On devait se saisir de la reine, tandis qu'elle se livrerait sans défiance au plaisir de la chasse dans les environs de Falkland.

Knox démêla sans peine l'exaltation fiévreuse de son interlocuteur, et s'efforça inutilement de le rassurer. Revenu à Kinneil, le comte écrivit le détail du complot à la reine, qui lui fit une réponse consolante. Alors, d'après ce qu'il raconta ensuite, il entreprit de détourner son père de la route où Bothwell le poussait ; le trouvant inflexible, il annonça que, résolu d'empêcher l'exécution, il avait mis la reine au courant de leurs trames : par quoi le duc fut rendu si furieux, que le fils aurait couru risque de la vie s'il ne s'était réfugié dans sa chambre. De cet asile, il écrivit une lettre chiffrée à lord James, qui la reçut à la chasse, près Falkland, et qui, après en avoir délibéré avec Randolph, la remit à Marie Stuart. Au même instant, la reine vit accourir coup sur coup l'abbé de Kilwinning et Bothwell, disant qu'étant accusés près de Sa Majesté par le comte, ils venaient soutenir leur innocence. Vu la gravité des charges, on s'assura de leur personne (31 mars 1562). Cependant leur accusateur, de plus en plus troublé, s'évadait de Kinneil par la fenêtre de sa chambre, en faisant une corde de ses draps de lit ; il fuyait sous un déguisement de l'autre côté du Forth, vers le nord, et, après avoir marché toute la nuit, se présentait de grand matin au manoir du laird de Grange, proférant toujours les mêmes paroles de terreur sur la conspiration dont il voulait instruire la reine. Le lord James, dépêché par sa sœur, le trouva en plein accès de folie. Le comte, dès qu'il le vit, se mit à parler des machinations des diables et des sorcières, et qu'il était ensorcelé. Par qui ? demande James. — Par la mère de lord James, réplique le malheureux. Puis il dit qu'il était le mari de la reine, que c'était le moment de la rejoindre dans leur chambre, mais qu'il avait peur qu'on ne vint l'y tuer. Ramené le même soir à Falkland, il tint encore toutes sortes de propos incohérents, indices manifestes d'un dérangement d'esprit.

Le lendemain, Marie se transporta de Falkland à Saint-André, où Bothwell l'avait précédée sous bonne garde. Le comte d'Arran, interrogé par la reine, ne s'expliqua pas. A Randolph, il dit que ce qu'il y avait dans sa lettre chiffrée n'était que des imaginations, et qu'il ne comprenait pas que Dieu eût permis qu'il fût ainsi le jouet des diables et des sorcières. Quelles sorcières ?La mère de lord James. Devant le conseil, il déclara son père innocent ; tout ce qu'il avait écrit à la reine contre le duc, pure folie, une offense à Dieu et à sa souveraine, une honte pour lui-même. Confronté avec Bothwell, il continua de décharger son père, et chargea obstinément le vieil ennemi de sa famille. Celui-ci niait de toutes ses forces, réclamant le combat avec le dénonciateur ou un jugement légal. Il n'eut ni l'un ni l'autre. Le comte d'Arran logeait à Saint-André, chez le lord James. L'ambitieux abbé de Saint-André, dont les visées n'allaient pas à moins que le trône, eût bien voulu perdre les Hamilton et les jeter ainsi hors du chemin que leurs droits reconnus et sanctionnés lui barraient. Mais quoi qu'il fit pour persuader au comte d'Arran d'accuser de nouveau son père, il épuisa en vain l'art subtil de sa diplomatie. Il se dédommagea sur Bothwell.

Le vieux duc de Châtelleraut, cloué longtemps à Kinneil par la frayeur, parut enfin le 19 avril à Saint-André. H se jeta aux pieds de la reine, les yeux baignés de larmes et la supplia de ne pas permettre qu'il fût condamné sur l'accusation d'un fils en délire. Si Marie avait aimé la vengeance, l'occasion était belle : elle avait à lui reprocher bien des menées factieuses et beaucoup de mauvais desseins contre elle. Cependant, loin de le frapper, elle accepta ses dénégations, les preuves certaines d'ailleurs qu'il lui donna de la démence du comte d'Arran ; elle se contenta de lui demander la remise de la forteresse de Dumbarton, comme garantie de sa loyauté et de ses bonnes intentions pour l'avenir. Il s'exécuta non sans avoir hésité ; mais l'ambassadeur anglais lui-même lui conseilla d'obéir ; car la régente, Marie de Lorraine, en lui confiant la garde de cette place, avait stipulé que ce serait pour le temps qu'il plairait à la couronne. C'est donc sans aucun fondement que Knox taxe Marie Stuart de dureté et d'iniquité en cette circonstance. Randolph, au contraire, ne peut s'empêcher de rendre justice à cette généreuse princesse : Ce que j'ai toujours vu depuis le retour de Sa Grâce en Écosse, c'est qu'elle a été bien plus soigneuse de rechercher la bonne volonté du duc de Châtelleraut et du comte d'Arran, qu'ils n'ont jamais fait à remplir leurs devoirs de sujets envers leur souveraine..... Plus loin, il ajoute que récemment elle avait tenté de se concilier le comte d'Arran en lui offrant de lui assigner un revenu sur la couronne pendant la vie de son père, dont l'avarice envers lui était proverbiale ; quant au due, elle lui avait pardonné bien des choses par lesquelles, devant la loi et la conscience, il avait mis et sa vie et ses biens en péril[56]. On nous apprend aussi qu'elle donna son propre coche, le seul qu'il y eût dans le royaume, pour ramener le pauvre insensé de Saint-André au château d'Édimbourg.

Voilà la véritable Marie Stuart, bonne et pitoyable. Dès 1562, elle a autour d'elle les ennemis qui la ruineront ; mais ils ne sont encore que malveillants. Ils n'ont pas dressé le plan de sa ruine ; et à l'occasion ils lui rendent témoignage sincèrement. Plus tard, une fois leurs combinaisons arrêtées et surtout après l'exécution, ils envenimeront rétrospectivement dans leurs écrits publics la moindre de ses actions et de ses paroles, et dénatureront tout son règne. Knox nous en fournira tout à l'heure un exemple.

Si dans ces événements Marie se montra sévère pour quelqu'un, ce fut pour Bothwell. Celui-ci est accusé d'un double crime : 1° il aurait conseillé au duc de Châtelleraut d'enlever la reine et de la contraindre à épouser le comte d'Arran dans le château fort de Dumberton, où on l'aurait conduite ; 2° tout en faisant commettre le rapt par les Ramifions, il aurait eu le projet de les supplanter et de célébrer les noces royales pour son propre compte.

Le premier de ces deux points ne repose que sur les affirmations du comte d'Arran, dont la raison, déjà sujette à plus d'un trouble, s'éclipsa tout à fait. La scène de Kinneil semble n'être pas autre chose que l'explosion définitive de la maladie. Ne serait-il pas d'ailleurs bien difficile de comprendre que Bothwell, qui haïssait depuis des années ces deux hommes, lesquels le lui rendaient à usure, eût commis l'imprudence extrême de se découvrir à eux sur un tel complot, dès le lendemain de leur réconciliation ? Il se peut que, pour mieux capter ceux dont il recherchait l'amitié, il ait flatté l'espoir invétéré du comte d'épouser Marie ; le reste fut très-vraisemblablement l'effet d'une hallucination. Le second point est encore moins croyable. Bothwell était seul chez les Hamiltons ; la forteresse de Dumbarton, où il aurait proposé de conduire la captive, était au duc de Châtelleraut, située au nord de l'estuaire de la Clyde, entre cette rivière et le loch Lomond ; elle était séparée des domaines de Bothwell par toute l'épaisseur des domaines des Hamiltons. Alors quel moyen d'enlever la reine aux ravisseurs ? On juge ici le Bothwell de 1562 sur le Bothwell de 1567, sans penser qu'il ne risqua l'enlèvement de 1567 qu'à la tête d'une troupe nombreuse et après s'être assuré — il le crut du moins — l'appui moral et matériel de l'aristocratie[57].

Concluons avec Randolph qu'il y avait peu d'apparence d'un tel attentat, pas de preuve suffisante pour incriminer Bothwell ; que le comte d'Arran ne persista pas dans son accusation, qu'il nia plutôt le tout, au grand mécontentement des témoins de sa manière d'agir[58].

Ces dernières paroles nous donnent probablement le mot des dispositions rigoureuses de Marie Stuart contre Bothwell. Tel à sa cour avait intérêt à grossir l'affaire, et abusait de la facilité avec laquelle la reine se laissait conduire par ceux qui une fois possédaient sa confiance. Son frère, qu'elle venait de créer comte de Mat', poursuivait une politique personnelle dont l'objet actuel était l'abaissement des personnages principaux du royaume. Il avait cru un moment ruiner les Hamiltons, sans la folie du comte d'Aman. Du moins étaient-ils déchus de leur importance politique. Il couvait déjà la destruction des Gordons dans le nord de l'Écosse ; et, en attendant, il saisissait l'occasion contre Bothwell dans le sud. En conséquence, pendant que Marie ramenait Arran avec tant d'égards, Bothwell était transféré sans cérémonie de Saint-André au château d'Édimbourg, 4 mai 1562. On ne lui fit pas son procès. Mais, au commencement de juin, le comte de Mar, qui était lieutenant de la reine sur le Border, s'y rendit pour faire justice des brigands, et ne s'y épargna point. Randolph nous l'explique : Ce sont les gens sur lesquels le comte de Bothwell compte le plus si jamais il recouvre sa liberté ; c'est pourquoi on en laissera le moins possible en vie, au cas qu'il soit élargi[59].

Ensuite, Ensuite, le comte de Mar entreprit son expédition contre les Gordons. Bothwell, surveillé de moins près, s'échappa du château d'Édimbourg le 28 août, et se cacha dans le Liddisdale à l'Ermitage. Knox lui fit écrire par un ami de se comporter en fidèle sujet et de se tenir bien tranquille, pour se faire pardonner plus aisément le crime d'avoir rompu sa prison : néanmoins le même Knox insinue dans son histoire écrite ultérieurement que la connivence de la reine avait préparé l'évasion[60]. Si cela est vrai, que signifie la recommandation précédente ? Nous prenons sur le fait la diversité de langage chez les ennemis de Marie, selon la diversité des époques.

Le comte d'Huntly, chef des Gordons, et les siens, étant vaincus, tués ou exécutés par le frère de la reine qui s'adjugea dans leurs dépouilles le comté de Murray, Bothwell jugea prudent de ne pas rester en Écosse. Mais le navire sur lequel il partit de Nord-Berwick, fut poussé par le vent à Holy-Island, île anglaise entre Berwick et Bamborough. Les officiers d'Élisabeth mirent la main sur le fugitif. Randolph s'empressa de confirmer cette arrestation, d'après les sollicitations des comtes de Murray, d'Argyle, de Maitland, de Lethington et autres qui, dit-il, intriguaient près de lui, pour que Bothwell fût détenu par l'Angleterre, dont il était l'ennemi déclaré[61]. Le comte fut en effet mené à Londres, où il garda prison pendant un an. A la fin Marie Stuart, ne résistant plus aux instances de la mère et des autres parents de Bothwell, pria Élisabeth de lui permettre d'aller à l'étranger : il se retira en France (janvier 1564). Dès qu'il avait quitté l'Ermitage, un héraut avait eu commission de sommer la forteresse au nom du service de la reine. Elle fut remise à Robert Elliot, sous-gardien du Liddisdale. Nous retrouverons plus tard les Elliot.

Les ennemis de Bothwell prolongèrent sa disgrâce aussi longtemps qu'ils furent au pouvoir. Lorsque, à l'automne de 1564, il vit les portes de l'Écosse se rouvrir au comte de Lennox, coupable de longues trahisons, mais père de Henri Darnley que Marie songeait à épouser, il sollicita aussi la permission de rentrer, ou du moins une assignation sur les revenus de ses domaines pour vivre à l'étranger. Le ressentiment de la reine était alors apaisé ; mais le comte de Murray avait ses raisons d'être inflexible[62]. Bothwell, réduit à une extrême pauvreté, prit le parti de rentrer sans autorisation (mars 1565), et de se cantonner chez ses hommes du Liddisdale. Bientôt il reçut sommation de se soumettre aux lois, s'il ne voulait être déclaré rebelle. Murray l'accusait aussi d'avoir proféré en France des propos insultants pour la reine et des menaces de mort contre Lethington et lui. De son côté, le comte de Bedford, gardien des marches anglaises du nord-est, prit ses mesures pour le saisir, s'il le trouvait à sa portée : Je vous assure, écrivait-il à Cecil (6 avril 1565), Bothwell est aussi mauvais qu'homme qui vive, et adonné aux vices les plus détestables[63]. Bothwell se défendit en accusant Lethington et ses amis d'avoir suborné quelques-uns de ses domestiques pour l'assassiner, et il envoya leurs dépositions à la cour[64]. Mais on n'y prit pas garde. Il lui fut signifié d'avoir à comparaître devant la cour de justice à Édimbourg le 4 mai suivant, pour répondre sur son projet d'enlèvement de la reine et sur son évasion du château d'Édimbourg. Le 1er mai, les comtes d'Argyle et de Murray entrèrent dans la ville à la tête de cinq mille hommes[65]. Bothwell n'eut garde d'affronter de tels juges. Il s'embarqua encore une fois pour l'étranger. La confiscation fut prononcée contre lui, mais pas aussi entière que l'avaient comploté les deux comtes, parce que la reine s'interposa[66].

Jusque-là le comte de Murray avait gouverné l'Écosse en maître absolu, sous le nom et par la confiance de sa sœur, depuis trois ans qu'elle était revenue de France. Mais son pouvoir approchait de son terme. On désirait en Écosse que la reine prît un époux ; Murray, au contraire, redoutait un tel événement comme la déchéance de son propre règne. Des prétendants nombreux aspiraient à la main de la belle veuve de François II, et leur diplomatie remuait l'Europe d'un bout à l'autre. Parmi les étrangers, Marie Stuart aurait incliné en faveur de don Carlos, fils du roi d'Espagne Philippe II. Mais la lenteur de ce dernier prince, à qui rien ne contait plus que de passer de la délibération à l'action, laissa échapper le moment favorable ; et d'autre part, cette alliance qui aurait pu réunir en un faisceau la monarchie espagnole, l'Écosse, peut-être même l'Angleterre dont Marie était héritière éventuellement, épouvanta tant de monde sur le continent comme dans les îl1es Britanniques, que la reine d'Écosse y renonça. Elle ramena ses vues vers l'aristocratie écossaise ou anglaise. On vit alors avec un extrême étonnement Élisabeth lui proposer Robert Dudley, qu'elle créa bientôt comte de Leicester et de Denbigh pour le rendre plus digne d'une reine (1564). Ce seigneur était son favori ; et la rumeur publique incriminait vivement, sans fondement peut-être, les familiarités déplacées dont elle le comblait. Murray, Maitland de Lethington appuyèrent ce candidat, parce qu'il était l'homme du gouvernement anglais. Marie Stuart, plus fière, repoussa des suggestions qu'elle regardait comme indignes d'elle et offensantes. Elle préféra un jeune seigneur, chez qui se mêlait le sang des Tudors à celui des Stuarts, lord Henri Darnley.

Il était né le 7 décembre 1545 ou 1546. Son père, Mathieu comte de Lennox, était petit-fils de Marie, fille du roi Jacques II. Sa mère, Marguerite Douglas, était fille de Marguerite, sœur aînée d'Henri VIII. Cette sœur d'Henri VIII, mariée en premières noces avec Jacques IV, en avait eu Jacques V, le père de Marie Stuart ; de son second mariage avec Archibald, comte d'Angus, était issue Marguerite Douglas, dont, comme nous l'avons vu, Henri VIII donna la main au comte de Lennox, réfugié en Angleterre. Lady Lennox, nièce de ce monarque et sœur utérine de Jacques V, était donc à la fois cousine germaine d'Élisabeth et tante de Marie Stuart ; Henri Darnley, son fils, cousin des deux reines. Cette famille semi-royale, oh venaient se confondre deux branches des maisons d'Angleterre et d'Écosse, pouvait quelque jour prétendre à l'une et à l'autre couronne. Une telle ambition, née de la situation même, lui était venue de bonne heure. Marguerite Douglas avait pensé à Marie Stuart pour son fils, dès avant qu'elle épousât le dauphin. Elle avait fixé ses projets aussitôt après la mort de François II ; et en 1561, à la nouvelle que Marié Stuart avait échappé à la croisière anglaise qui l'épiait dans la mer du Nord, elle remercia Dieu à haute voix. Elle félicita même sa nièce : joie indiscrète et dangereuse qu'Élisabeth punit de la prison. En 1564, lady Lennox proposa secrètement Henri à la reine d'Écosse, et ne négligea pas de répandre les présents autour de cette dernière[67]. Nous n'avons pas à raconter les variations étonnantes d'Élisabeth, qui recommanda tour à tour Leicester et Darnley. Marie, justement blessée d'être traitée par sa cousine comme un jouet, brava ses menaces artificieuses et choisit les Lennox.

Ils étaient catholiques. Leur alliance lui rattachait tout ce qui en Angleterre tenait à l'ancienne religion. Ce mariage était donc en soi raisonnable et politique, puisqu'il éteignait des compétitions dans l'avenir, et que de plus il ralliait autour d'une jeune reine catholique les appuis naturels de son trône en Écosse et de ses prétentions légitimes en Angleterre.

Malheureusement, il péchait par un point essentiel, c'est que le mari n'était ni raisonnable, ni politique. Dans la situation tendue de l'Écosse, lorsque Marie avait à craindre le parti réformé et le gouvernement anglais, deux espèces d'ennemis redoutables par la puissance, le conseil et surtout par un mépris déterminé de toute justice, il aurait fallu chez le roi les qualités viriles du chef d'État. Elles se seraient associées sur le trône aux mérites charmants de l'épouse. Mais Darnley ne possédait pas d'autre avantage que la beauté du corps, une taille élancée, une figure presque féminine à force d'élégance. Sa mère lui avait donné les talents brillants et tout extérieurs du gentilhomme de cour, et comme dit Castelnau, elle l'avait fait nourrir fort curieusement, lui ayant fait apprendre dès sa jeunesse à jouer du luth, à danser et autres honnestes exercices[68]. Elle n'avait pas négligé non plus les études classiques ; il connaissait l'antiquité ; il savait aussi tourner un sonnet agréable en l'honneur d'une mat-tresse. Seulement il ne connaissait ni lui, ni les autres. Enfant trop adoré au foyer domestique, et par conséquent égoïste, ingrat et présomptueux, il se persuada que toute grandeur et suprématie lui appartenait de plein droit. Cette ivresse d'orgueil puisa un stimulant funeste dans la devise de sa maison : Avant Darnlé ! Derrière jamais. Double cri de guerre de deux anciennes races martiales, les Lennox et les Douglas, ces mots s'étaient imprimés dans son esprit dès l'âge le plus tendre. Ils le flattaient comme une sorte d'oracle, de l'idée que sa volonté, s'il s'y attachait opiniâtrement, devait briser tous les obstacles. Il regarda bientôt comme un affront intolérable que son titre de mari ne lui donnât pas la première place au palais et dans le gouvernement. En même temps ses exigences impérieuses offensèrent l'orgueil farouche des nobles d'Écosse. Sans raison et sans âme, il ne sut ni se faire aimer, ni se faire craindre ; et ainsi jouet d'un amour-propre insensé, non-seulement il se perdit lui-même, il perdit encore celle contre laquelle il eut tous les torts, et qui n'en eut pas un seul de quelque gravité envers lui. Mais quel devin aurait présagé les orages et la foudre sur les traits délicats et réguliers du gracieux adolescent ?

Marie Stuart espérait en lui l'homme qui la délivrerait de l'ambition menaçante du comte de Murray[69] ; car elle commençait à se défier de ce traître, non sans motif. Son premier pas fut de rouvrir l'Écosse au comte de Lennox (septembre 1564) et d'annuler légalement l'arrêt de confiscation rendu contre lui vingt ans auparavant. Élisabeth avait provoqué ce voyage ; même lorsque Henri Darnley suivit son père en février 1565, il emporta des lettres de recommandation de la main de la reine d'Angleterre, et, parait-il aussi, de Leicester, qui, tout bouffi alors de la présomption d'épouser sa souveraine, dédaignait un trône moins éclatant. Néanmoins Élisabeth, par un changement aussi brusque qu'inexpliqué, se déclara contre les Lennox, et soutint plus vivement que jamais la candidature de Leicester. Marie continua de la repousser et accueillit gracieusement Darnley. Cependant, bien loin de se jeter eu étourdie à la tête de son joli parent, elle en réprima d'abord l'empressement un peu fat, et le tint à distance. Mais elle ne put, ni d'ailleurs ne voulut se défendre de l'aimer. Une indiscrétion domestique avertit de cet amour naissant le cardinal de Lorraine. L'avisé prélat se hâta d'écrire à sa nièce que si elle tenait à être heureuse, elle abandonnât ce projet d'alliance. C'était, lui fit-il dire : un gentil hutaudeau, qui ne méritait pas d'être son mari[70]. Mais Darnley était si beau et si séduisant ! que pouvait contre lui un conseil donné de loin ?

L'imprudent toutefois n'était pas à la cour depuis un mois, qu'il avait provoqué l'inimitié mortelle du comte de Murray. Un jour qu'il considérait une carte d'Écosse, il se fit montrer les domaines du comte et se récria que c'était trop. Peu après, une maladie qu'il fit au commencement d'avril 1565, à Stirling, dévoila par la sollicitude dont il fut l'objet, les sentiments que la reine lui portait ; car telle avait été la réserve observée par elle jusque-là, que Randolph lui-même n'en avait pas pénétré le mystère. Dès que Darnley fut rétabli, un mariage secret l'unit à la belle souveraine[71]. La cérémonie eut lieu au château de Stirling, par les soins du secrétaire David Riccio, qui avait favorisé de tout son crédit cette union, et disposé un autel catholique dans son propre appartement.

On n'attendit pas l'arrivée des dispenses demandées à Rome, pour cause de parenté entre les futurs époux, ni le retour de Castelnau et de Lethington que la reine avait chargés de solliciter l'agrément, l'un de Catherine de Médicis, l'autre d'Élisabeth.

Cet événement si peu connu doit se placer entre le 7 avril, date de la convalescence de Darnley, et le 18 avril, jour où Castelnau rapporta de France le consentement de la reine-mère[72]. Du reste, il ne demeura pas longtemps ignoré. Paul de Foix, ambassadeur de France en Angleterre, écrivait dès le 26 avril à Catherine de Médicis : Madame, le 15 apvril estant arrivé monsieur de Lethington, pareillement arrivèrent lettres à la royne d'Angleterre, par lesquelles Randel (Randolph), son agent en Escosse, luy manda que la Royne d'Escosse s'est mariée avec milord Darnley, fils du comte de Lennos, ne restant pour la consommation que les cérémonies de l'église. Dont ladicte royne d'Angleterre réceut un très-grand mescontentement pour luy sembler estrange que une royne eut épousé son vassal, comme encore pour avoir octroyé à la royne d'Escosse le père et le fils en intention de les remettre en leurs biens seulement.... Et se résolut à l'empescher (le mariage), envoyant Throckmorton en Escosse pour là persuader à la royne qu'elle n'est obligée à ce mariage, et qu'il ne luy tournera ni à honneur ni prouffit[73].

Élisabeth manifesta en effet une grande colère. Elle parla d'envoyer la comtesse de Lennox à la Tour, et s'efforça de démontrer à sa cousine qu'elle pouvait et qu'elle devait se dégager des liens qu'elle venait de contracter. Cependant, quelle que fût la vivacité de ses instances apparentes, les contemporains bien instruits sont d'accord qu'au fond du cœur elle était bien aise d'un dénouement qui la délivrait du fantôme d'un prince étranger, joignant à la royauté en Écosse des alliances sur le continent.

Vers la fin d'avril, Darnley fit une rechute. Marie Stuart soigna son mari avec la tendresse la plus dévouée. Elle passa toute une nuit à son chevet ; elle le servait et lui donnait à manger de ses propres mains. Paul de Foix en parle dans une autre lettre (2 mai 1565) à Catherine de Médicis : J'ay entendu que par des lettres que la comtesse de Lenos receut vendredi dernier, l'on luy escript de rechef que ledict mariaige est faict et que ladicte royne use des mesmes offices envers ledict fils du comte de Lenos que s'il estoit son mary, aïant, durant sa malladye, veillé en sa chambre une nuict toute entière et se monstrant très-soigneuse et ennuyée de sa malladye, parce qu'il a eu quelques jours fiebvre assez fascheuse, de laquelle il est maintenant délivré[74]. Nous prions qu'on remarque les mots qu'on a écrit derechef à la comtesse de Lennox que le mariage est fait. La préférence de Marie Stuart pour Darnley a inspiré à M. Mignet[75] une page brillante, mais bien peu équitable et trop peu conforme, nous osons le dire, à l'exactitude historique. Il raconte qu'Élisabeth, ayant refusé de garantir immédiatement son héritage à Marie Stuart dans le cas où la reine d'Ecosse condescendrait à épouser le comte de Leicester, celle-ci porta soudainement sur Darnley son choix, auquel le goût eut autant de part que la nécessité. Darnley lui plut extrêmement et ne tarda point à s'emparer de ce cœur aussi facile à émouvoir qu'à dégoûter. Marie Stuart ne fut bientôt plus maîtresse de la passion qu'il lui inspira et qu'elle laissa éclater à tous les yeux. Darnley étant tombé malade, elle ne le quitta ni le jour ni la nuit, et le veilla dans sa chambre comme s'il était déjà son mari. Les entraînements de l'amour s'unissaient donc aux convenances de la parenté et aux exigences de la position pour rendre ce mariage inévitable. Nous n'insistons pas sur la soudaineté de ce choix, qui, comme nous l'avons montré plus haut, n'avait rien que d'attendu ; ni sur la nécessité que rien ne démontre, puisque les prétendants ne manquaient pas ; ni sur cette flétrissure gratuite de cœur aussi facile à émouvoir qu'à dégoûter[76] : nous nous attacherons seulement à cette phrase, qu'elle le veilla dans sa chambre comme s'il était déjà son mari. L'illustre historien cite en note à l'appui une lettre de Paul de Foix à Catherine de Médicis, du 31 mars 1565 : Elle use de mêmes offices envers le fils du comte de Lenos que s'il estoit son mary, ayant, durant sa malladye, veillé en sa chambre une nuict tout entière, et se montrant soigneusé et ennuyée de sa malladye, parce qu'il a eu quelques jours fiebvre assez fascheuse de laquelle il est maintenant délivré. Mais quoi ! c'est là le texte de la lettre que nous avons citée aussi, lettre du 2 mai et non du 31 mars. Pourquoi M. Mignet a-t-il commencé son extrait seulement à ces mots, elle use de mêmes offices ?... Pourquoi décapiter ce texte et reléguer dans l'ombre ce fait si important, que la comtesse de Lennox a reçu confirmation que le mariage est fait entre son fils et la reine ? N'est-ce pas jeter un jour, un doute fâcheux sur Marie Stuart, que de lui ôter sans bon motif devant le lecteur le bénéfice d'une position légitime ; quoique secrète encore ? Est-ce la justice de l'histoire ? Nous demanderons aussi par quel motif M. Mignet a observé un silence absolu sur ce mariage secret. Est-ce un événement sans intérêt dans un récit de la vie et du règne de Marie Stuart, ou bien une supposition téméraire dénuée de fondement ? Ni l'un ni l'autre. Alors a-t-on le droit de trancher souverainement dans les faits, sans avertir au moins qu'il y a une question sur tel point, même quand on serait disposé à la négliger ? De bonne foi, est-il indifférent pour l'honneur de la reine qu'on sache ou non qu'elle était dès ce moment la femme de Darnley ?

Ce n'est pas pourtant que nous voulions tout défendre quand même. Si la situation de Marie Stuart était régulière devant la morale et l'Église, et si elle l'est devant l'histoire impartiale, nous avouons que cette union romanesque était une imprudence, parce que précisé ment celle qui la contractait s'exposait à être méconnue et calomniée. Des contemporains la crurent ensorcelée, ceci serait le moindre inconvénient. Sans doute, on doit rapporter à cette époque le passage, où Castelnau renonce à s'expliquer sa passion autrement que par des enchantements artificiels ou naturels[77], explication qui elle-même en aurait demandé une autre.

Cependant le comte de Murray, qui maintenant haïssait Darnley et voyait de plus baisser son crédit, avait quitté brusquement sa sœur à Stirling sur la fin de mars, ne pouvant pas, disait-il, endurer davantage les pratiques superstitieuses de la chapelle royale[78]. Inutile d'informer le lecteur que ce beau zèle n'était qu'un prétexte. Un pacte mystérieux venait d'être signé entre Murray ; Argyle et le duc de Châtelleraut, envers et contre tous, Dieu et la reine exceptés (15 mars 1565). Le duc de Châtelleraut et les Hamiltons, rangés parmi les héritiers de la couronne d'après les lois, ne pouvaient pas souffrir l'élévation des Lennox, qui tenaient comme eux au sang des Stuarts et allaient les devancer sur les degrés du trône. A leur instigation et sur l'exhortation écrite d'Élisabeth qu'ils eussent tous à veiller au maintien de la religion et de l'amitié des deux royaumes, l'Église presbytérienne, assemblée alors à Édimbourg, somma la reine d'abolir entièrement l'idolâtrie de la messe, même dans son palais, et appela les bourgeois aux armes. Mais ceux-ci, pleins d'attachement pour leur jeune reine, furent sourds aux semonces de Knox ; et la noblesse assemblée par Marie à Stirling (15 mai) approuva unanimement le mariage qu'on ne présentait encore que comme un projet. Immédiatement après, Marie arma son fiancé chevalier de l'ordre national du Chardon ; elle le créa baron et pair du parlement, lord d'Ardmanach, comte de Ross[79]. Dès ce moment, Darnley, à peine remis de sa maladie, montra son caractère orgueilleux et ingrat, violent et insensé. Toute contrariété le mettait hors de lui, à ce point que le clerc de justice, un des principaux dignitaires du royaume, étant venu lui annoncer que son élévation au titre de duc d'Albany était retardée de quelque temps, il tira son poignard contre lui[80]. Trop tôt et trop bien il justifiait l'augure du cardinal de Lorraine.

On se tromperait néanmoins si l'on faisait dater de ce moment-là seulement la haine d'une grande partie de la noblesse contre lui. Lorsque, dès le 15 mars, Murray, Argyle e t le duc de Châtelleraut n'exceptaient de leurs machinations que Dieu et la reine, il est évident que Darnley était déjà la victime désignée ; il l'était par cela seul qu'il traversait l'ambition de Murray. Les hypocrites qui alléguèrent dans la suite pour renverser Marie Stuart le soin de son honneur, se couvrirent ici du ciel et de ses intérêts pour prescrire des bornes étroites à la vie de Darnley. Quand ils ont tout dit, écrivait Randolph leur ami, mais plus encore le serviteur de son gouvernement et à ce titre n'ayant d'indulgence pour personne en Écosse, quand ils ont tout dit et qu'ils ont épuisé les imaginations, ils ne trouvent plus rien, si ce n'est que Dieu lui enverra en bref sa fina short end -, ou qu'eux-mêmes seront réduits à une misérable vie dans la situation et sous le gouvernement auquel on doit s'attendre. Randolph demande à Cecil sur quelle aide on peut compter de la part d'Élisabeth, si l'on en vient à entreprendre quelque chose ; car la plupart sont persuadés que c'est à cette finfor this endque Darnley a été envoyé en Écosse. Je me dispense de répéter ici tout ce que j'ai entendu ; ignorant tout à fait les intentions de la reine, je ne sais quoi leur conseiller. Plus loin : C'est grand pitié que tant d'hommes se voient en hasard de la vie et des biens. Il n'y a qu'un remède à ce malheur, c'est de l'ôter (Darnley) de là, à moins que ceux qui sont les objets de sa haine ne trouvent assez d'appui pour que les plans qu'il méditera contre les autres retombent sur sa tête. Une faible dépense au commencement des choses rapporte double fruit. Que serait-ce pour Sa Majesté la reine (Élisabeth), en supposant qu'elle ne compte pas en venir à la force, que la dépense de trois ou quatre mille livres avec lesquelles elle ferait de ce pays tout ce qu'elle voudrait'[81]. Il serait difficile, ce semble, de constater d'une façon plus positive les premières trames d'un complot contre le jeune prince. Les assassins manqueront leur coup la première fois ; ils seront plus adroits deux ans après. En même temps, ils auront l'art de l'imputer à la femme de leur victime, et de prendre en main contre elle la mission du châtiment.

Les effets ne se firent pas attendre. D'abord Murray refusa d'assister à une convention de nobles que la reine avait convoquée à Perth pour le 22 juin. Il prétexta que Lennox et son fils avaient comploté de l'assassiner dans le logement de la reine. Sommé par sa sœur de s'expliquer et de soutenir son accusation, il n'en fit rien, malgré toutes les sûretés qui lui furent offertes ; et il se retira dans le pays d'Argyle, chez le comte son beau-frère, qui répétait le même dire sans administrer aucune preuve. On les a toujours regardés en ceci comme des calomniateurs. Probablement le bruit qu'ils faisaient contre Lennox avait pour but de couvrir leurs propres desseins, et de leur préparer, après l'exécution, l'excuse de la légitime : défense. Bientôt Élisabeth leur fit savoir, à deux reprises (8, 13 juin), qu'elle les soutiendrait dans leur opposition contre Darnley[82]. Son prétexte était le refus du père et du fils de déférer à la sommation qu'elle leur avait envoyée de rentrer en Angleterre. Dans les derniers jours de juin, les conspirateurs vinrent trouver Randolph, l'ambassadeur anglais, et lui demandèrent si dans le cas où ils voudraient remettre Lennox et Darnley aux autorités anglaises de Berwick, celles-ci les recevraient. Nous ne pourrions ni ne voudrions refuser notre bien, répondit Randolph, de quelque façon qu'il nous arrivât[83]. D'après cette assurance, Murray, Argyle, Rothes et le duc de Châtelleraut, sans plus tarder, dressèrent leur embuscade à Kirk of Beith, sur la route que la cour devait suivre, en quittant le séjour de Perth pour se rendre à Callander, endroit où Marie avait promis de tenir sur les fonts de baptême le fils de lord Livingston. Leur plan était de tuer Darnley et d'enfermer la reine le reste de sa vie au château de Lochleven, que Murray avait fourni récemment d'artillerie et de munitions. Marie Stuart, avertie du complot le soir du 30juin, le déjoua par son courage et sa prompte décision. Elle partit de Perth le In juillet, à cinq heures du matin, et franchit les endroits dangereux avant que ses ennemis fussent à leur poste[84].

Ce mauvais succès n'empêcha pas Randolph de persister dans son horoscope sur Darnley. Se plaignant derechef à Cecil des défauts de ce jeune homme, il ajouta : s Qu'arrivera-t-il de lui ? Je ne sais ; mais il y a grandement à craindre qu'il ne fasse pas longue vie chez un tel peuple[85].

Ainsi les faits se posent d'eux-mêmes clairement et simplement. Les chefs de l'aristocratie protestante en Écosse et le gouvernement anglais s'irritent du mariage imminent de Marie Stuart et du naturel superbe du futur époux. Ils ne trouvent pas d'autre remède que d'assassiner celui-ci. Dès le 15 mars 1565 leur résolution est arrêtée ; bientôt leurs vues s'agrandissent ; et le nouveau complot se doublant d'un complot ancien déjà, embrasse à la fois celle qui occupe le trône et celui qu'elle va y élever : la mort à l'un, la captivité perpétuelle à l'autre. Qu'est-ce autre chose que la conspiration qui s'exécutera deux ans après ?

Sauvée si heureusement de ses ennemis, la reine n'attendit plus que l'arrivée des dispenses du pape pour célébrer solennellement son mariage. Le 20 juillet, elle créa Darnley duc d'Albany ; le 28, elle lui donna par proclamation le titre et le rang de roi[86]. Le lendemain, elle l'épousait en public dans la chapelle d'Holyrood, à six heures du matin. Alors seulement elle déposa les habits de veuve, qu'elle portait depuis la mort de François II. Certes elle se félicita de cette union, et l'on s'en réjouit autour d'elle, comme d'un bienfait signalé de la Providence ; chacun put se flatter de reconnaître le doigt de Dieu dans l'événement qui confondait les desseins des ennemis de la reine. Malheureux succès ! Heure fatale ! Marie Stuart se perdait. L'anneau nuptial qui joignit leurs destinées, l'enchaîna aux passions d'un insensé, qui devait lui être également funeste et par sa vie et par sa mort.

Cependant les conspirateurs, après leur déconvenue du 1er juillet, s'étaient réunis à Lochleven et avaient tendu leurs mains suppliantes vers Élisabeth, au nom de la religion, qui en réalité ne courait aucun risque. Ensuite ils se mirent en campagne ; mais à l'appel de Marie une foule bien plus considérable de barons et de gentilshommes rallièrent le drapeau royal.

Puisqu'elle était obligée de se défendre, elle rechercha naturellement ceux que Murray avait chassés ou ruinés. Elle réintégra lord Gordon dans ses honneurs et dans les domaines de son père[87] ; et le 5 août, elle expédia sur le continent un message de rappel aux comtes de Bothwell et de Sutherland. Un plein pardon fut octroyé au premier pour s'être échappé de sa prison, trois ans auparavant. Le proscrit, relevé de ses longues souffrances, débarqua en Écosse le 17 septembre 1565, et fut le bienvenu à Holyrood[88]. Murray s'étant jeté des machinations ténébreuses dans la révolte ouverte, Bothwell prit part à la courte et vive campagne qui força le rebelle à chercher un refuge en Angleterre, dès le 8 octobre. Les agents anglais furent donc dans la fâcheuse nécessité de constater la défaite des traîtres, leurs amis ; du moins, par compensation, ils virent poindre les premiers dissentiments entre Marie et Darnley. Bothwell en fut l'occasion[89]. Comme il fallait dans le Border un homme sûr et puissant, la reine voulait y replacer le comte, avec le titre de lieutenant-général qu'il avait porté sous Marie de Lorraine. Darnley, prétendant tenir avec son père les rênes du gouvernement, exigeait la lieutenance des frontières pour le comte de Lennox, déjà lieutenant de l'ouest. Marie ne céda point. Elle jugeait sainement qu'il convenait d'employer Bothwell sur le terrain où il pouvait le mieux servir. Elle avait de plus de bonnes raisons de ne pas accumuler l'autorité entre les mains de Lennox, personnage ingrat et capable de tout par ambition. En effet, peu touché de l'heureuse fortune de son fils, et habitué de vieille date aux complots, il ne fut pas longtemps sans rouler dans son esprit la déchéance de sa belle fille, et un crime plus odieux encore. Randolph joignit ses objections à celles de Darnley, sans persuader davantage la reine[90].

Combien de dangers menaçaient dès ce temps la situation de Marie Stuart ! A ses côtés rien que des ennemis : un mari sot et orgueilleux jusqu'à la démence, capable de se porter aux dernières extrémités pour se rendre le maitre ; un beau-père qui égarait son fils par les plus mauvais conseils ; des ministres, le chancelier Morton et le secrétaire d'État Maitland de Lethington, qui, demeurés près d'elle sous le masque de la fidélité, se concertaient secrètement avec Murray. Ils avaient, pendant cette guerre civile, conduit l'armée royale au nord, lorsque leur complice tenait la campagne au midi[91] ; et les correspondances anglaises nous les montrent épiant l'heure de trahir fructueusement celle dont ils captaient la crédule confiance. Randolph, qui faisait de son titre d'ambassadeur l'abus le plus indigne, était le centre et le moteur de toutes ces menées. Enfin les émissaires de l'insidieux Cecil venaient offrir à Marie comme d'eux-mêmes leur zèle simulé, et envoyaient au ministre d'Élisabeth le compte précis de chaque mouvement de la reine d'Écosse, de chacune des larmes tombées de ses yeux[92]. Sans doute elle eût succombé dès lors, si sa jeunesse, sa beauté, sa douceur et sa tolérance en religion, ne l'eussent rendue chère aux masses.

Pendant l'hiver de 1565-1566, le comte.de Bothwell s'occupa de ramener l'ordre dans les marches, surtout d'intercepter les communications des fugitifs avec leurs amis de la cour et du royaume. Sa vigueur déplut fort aux Anglais. Randolph s'en plaint à Cecil (29 janv. 1566) : la reine d'Écosse ayant désigné le comte de Bothwell et le laird de Cesford — gardien des marches du milieu — pour s'aboucher avec le comte de Bedford et sir John Forster — gardiens des marches anglaises — et régler les affaires débattues entre les deux frontières, l'ambassadeur anglais déclara à la reine pie sa souveraine haïssait personnellement Bothwell, qu'il était connu pour ne pas désirer la paix, de sorte que s'il s'en suivait des conséquences fâcheuses, elle ne devrait s'en prendre qu'à elle-même. Elle répondit qu'elle pourrait en dire autant de Bedford, et qu'elle ne nommerait personne autre que Bothwell. C'est pourquoi Bedford déclara de son côté à Cecil qu'il désespérait de la justice sur le Border tant que Bothwell en serait gardien, cet homme étranger à la crainte de Dieu et à l'amour de la justice[93].

Peu de jours après, Bothwell épousait une catholique, Jane Gordon, sœur du comte d'Huntly (2 février 1566). Avec une opiniâtreté puritaine qui aurait dû lui mériter l'indulgence de Bedford, protestant très-zélé, il refusa de conduire lady Gordon devant l'autel catholique et s'en tint au rite protestant, quoi que pût dire Marie Stuart pour fléchir sa résolution. Toutefois, en récompense de ses derniers services, la, reine et Darnley présidèrent le banquet nuptial à Holyrood. La fête se continua encore cinq jours, mêlée de joutes et de tournois. Marie fit présent à l'épousée de sa robe de noce[94].

A peine les fêtes se terminaient-elles, que la cour d'Holyrood était bouleversée par la première des grandes catastrophes, auxquelles avaient préludé les trames et les séditions des cinq années précédentes, je veux dire l'assassinat de David Riccio. C'est là que va s'ouvrir le drame.

Nous avons montré jusqu'ici par les commencements de Bothwell et par l'état du royaume comment s'étaient noués les intérêts et les passions chez les individus et chez les partis, sur quelles bases s'étaient formés les complots que nous verrons renaître d'eux-mêmes sans discontinuer, et comment les malheurs que nous avons à raconter sortiront, non pas des torts d'une reine, mais d'une situation toute faite en dehors d'elle. Marie ne s'était pas trompée lorsque, dès les premiers moments de son retour en Écosse, elle avait comparé sa royauté à un supplice. En présence d'une noblesse effrénée qui fait penser aux Francs des temps mérovingiens, d'une secte frénétique à force de fanatisme, délaissée de la France, exposée aux intrigues puissantes et perfidement calculées d'Élisabeth, la jeune princesse, si belle et si confiante, ressemble à la victime parée pour le sacrifice.

 

 

 



[1] Signalons en passant une fausseté de Buchanan, qui attribue au fils de Patrick Bothwell, c'est-à-dire à notre James Bothwell, cette rivalité avec Lennox ; nous en verrons bien d'autres.

[2] Robertson, Histoire d'Écosse, pièces histor., n° 1. — Keith, The history of the affaire of church and state in Scotland, Edimb., 1734. Appendix, p. 23-28, mémoire et discussion par Cecil.

[3] Voyez sur ce sujet l'excellent chap. I de l'Histoire de Marie Stuart par M. Mignet. Nous nous proposons de combattre les conclusions du livre, mais nous saisissons tout de suite cette occasion de rendre un juste hommage au talent supérieur du maitre.

[4] Chalmers, The life of Mary, queen of Scots, t. III, p. 407, note I, d'après les lettres de l'agent anglais Sadler, et une lettre du comte d'Hertford à Henri VIII, 8 avril 1544.

[5] Chalmers, t. III, p. 128, note q, d'après les registres du conseil privé d'Angleterre.

[6] Chalmers, t. III, p. 134 et note c. Goodall, Inquiry into the murder of king Henry Darnley, Edimb. 1754, t. I, p. 153. — Miss Strickland, Lives of the queens of Scotland, Edimb. et Londr., t. II, p. 141.

[7] Tytler, Histoire d'Écosse, t. V, p. 70, édit. 1845.

[8] Lingard, t. II, note r, traduction du baron de Roujoux. — Tytler, t. V, p. 80-88, édit. 1845.

[9] Sir William Cecil à sir James Crofts, 8 juillet 1559. — Tytler, t. V, p. 76, note 2, édit. 1845.

[10] Cecil aux comtes d'Argyle, de Glencairn, aux lords James, Boyd et Ochiltree, 28 juillet 1559. — Tytler, t. V, p. 81, édit. 1845.

[11] Tytler, t. V, p. 85, 86, édit. 1845.

[12] Lettre du 6 août, Stirling. — Tytler, t. V, p. 87, édit. 1845.

[13] Michel de Castelnau, Mémoires, chap. IV.

[14] Tytler, t. V, p. 82, 91, édit. 1846.

[15] Il avait embrassé le calvinisme en 1555, et disputé sur la foi en si bon théologien, que Knox se félicita d'avoir converti plus habile que lui. (Chalmers, t. III, p. 530.)

[16] Tytler, t. V. p. 101, édit. 1845.

[17] Tytler, t. V, p. 112, édit. 1845.

[18] La paix d'Édimbourg permit aux Français de laisser une garnison à Dunbar et à Inch-Keith, petite lie de l'embouchure du Forth. On en fixa le nombre à cent vingt hommes.

[19] Lettre de Cecil et Wotton à Elisabeth, 8 juillet 1560. — Tytler, t. V, p. 128, édit. 1845.

[20] Voyez ces traités dans Keith, p. 132-143.

[21] Les Ecossais étaient sous la direction de l'Angleterre à un tel point que non-seulement ils ne faisaient rien sans la consulter, mais qu'ils reçurent de Cecil le modèle tout fait de l'acte qui fut voté à ce parlement. Tytler, t. V, p. 150, édit. 1845.

[22] Lettre de Cecil et de Wotton à Élisabeth, 8 juillet 1560. — Tytler, t. V, p. 128, édit. 1845 ; Mignet, t. I, p. 82.

[23] Tytler, t. V, p. 131, édit. 1845 ; Mignet, t. I, p. 88.

[24] Goodall, t. I, p. 169.

[25] Instruction du 6 avril 1583, dans Goodall, t. I, p. 170. Goodall fait observer qu'il n'affirmerait pas qu'il s'agit dans ce moment-là du lord James ; que c'est peut-être du comte d'Arran qu'Elisabeth veut parler. Peu importe, nous ne nous attachons qu'au projet de détrôner Marie Stuart.

[26] Throckmorton à Élisabeth, 17 novembre 1560, dans Tytler, t. V, p. 150, 151, édit. 1845.

[27] Keith, p. 152. — ; Tytler, t. V, p. 148, édit 1846. — Le duc de Châtelleraut et le comte d'Huntly étaient catholiques, mais dans la faction aristocratique.

[28] Throckmorton à Élisabeth, Orléans 28 novembre 1560. — Miss Strickland, Vies des reines d'Écosse, t. III, p. 115. — George Chalmers, Vie de Marie Stuart, t. III, p. 12-14, 142.

[29] Citons l'instructive correspondance de Throckmorton avec Élisabeth. Dans sa lettre datée de Paris, 29 avril 1561, il conseille à Elisabeth de s'assurer de l'Ecosse, et d'acquérir à sa dévotion les plus puissants, les plus sages et les plus honnêtes de ce royaume. Vingt mille livres par an pour cet objet, c'est cher sans doute, mais il vaut mieux ne pas les épargner. Il faut gratifier le comte d'Arran, le lord James qui n'a personne au-dessus de lui en Écosse polir le crédit, le dévouement et l'honnêteté ; le laird de Pitarrow, John Wood, secrétaire de lord James, Alexandre Clark, Robert Melvil, tous gens dont on doit avoir grand soin. (Tytler, t. V, p. 179-181, éd. 1845.)

[30] Nous nous bornons ici à cette simple mention du complot, dont le développement trouvera sa place dans un autre travail, sur le comte de Murray. Les preuves irréfragables existent dans Camden, Keith, George Chalmers (t. III, app. III, p. 356 et suiv.), Goodall (t. I, p. 172-6), Tytler (t. V, p. 181-193, édit. 1845), qui les ont tirées des archives. A ce sujet, qu'il nous soit permis de nous étonner de ne pas trouver dans la brillante narration de M. Mignet (t. I, p. 99-105) l'allusion même la plus légère au complot de air James. C'est tout au plus si la tentative d'Élisabeth est indiquée du bout de.la plume : Bien qu'elle (Marie) craignit d'être surprise par les croisières qu'Élisabeth avait mises en mer, elle parvint sans accident.... Cependant où des faits de cette nature devront-ils trouver place, si ce n'est dans une histoire de Marie Stuart ?

[31] Throckmorton au conseil d'Angleterre, Paris, 19 août 1561. Tytler, t. V, p. 192, édit. 1845.

[32] Brantôme, Marie Stuart.

[33] Miss Strickland, t. III, p. 52. Mise Strickland a décrit plusieurs portraits authentiques de Marie Stuart, conservés en Écosse et en Angleterre : t. III, p. 64, Marie à quatorze ans ; p. 96, à seize ans ; p. 120, à dix-huit ans ; p. 161, au même âge ; t. IV, p. 21, à vingt-et-un ans environ. — Voyez aussi Brantôme, Marie Stuart. — Miss Strickland remarque que la couleur des yeux et des cheveux de Marie Stuart avait été controversée jusqu'ici presque autant que sa culpabilité ou son innocence.

[34] Le Warton-Club a publié à Londres en 1855, par les soins de M. Anatole de Montaiglon, les thèmes latins de Marie Stuart à douze ans. Ils ont en générai la forme de lettres adressées à ses parents et à ses amis. On y reconnaît un bon élève. Le Warton-Club a publié à Londres en 1855, par les soins de M. Anatole de Montaiglon, les thèmes latins de Marie Stuart à douze ans. Ils ont en générai la forme de lettres adressées à ses parents et à ses amis. On y reconnaît un bon élève.

[35] Miss Strickland, t. V, p. 180-181, d'après Freebairn, Réponse de Craig à Doleman, ch. X, p. 84. Anticipons un moment sur l'avenir : Malcolm Laing, continuateur de l'Histoire d'Écosse de Robertson (1800-2) et adversaire déterminé de Marie Stuart, insiste, avec l'intention de l'englober dans l'accusation, sur ce que Thomas Craig, savant légiste et juge incorruptible, fit partie du tribunal qui jugea et condamna à mort les domestiques et les vassaux de Bothwell, pour avoir trempé dans l'assassinat de Darnley. Lors de ce procès, la reine était déjà déchue et prisonnière à Lochleven. Le langage de Craig sur Marie, langage tenu après la chute de cette princesse, ne prouve-t-il pas évidemment que les dépositions des accusés n'avaient pas même effleuré Marie Stuart dans l'esprit de œ juge révéré ?

[36] Voir Tytler, t. V, ch. III, passim, édit. 1845.

[37] A cause de la douleur qu'elle ressentait de la mort de François II.

[38] Dans une lettre du 31 décembre 1580 au conseil d'Angleterre, il loue encore la manière d'être, la sagesse, la modestie royale de Marie, qui n'a pas la prétention d'être sage toute seule ; elle recherche les bons conseils... (Miss Strickland, t. III, p. 143-4.) Et encore : La reine d'Écosse se comporta si honorablement, avec tant de prudence et de jugement, que je ne puis m'empêcher de craindre qu'elle ne s'élève trop haut. Il me semble que les gens sages et les bons sujets de Sa Majesté (Élisabeth) devraient souhaiter qu'une des deux reines des îles Britanniques fût chargée en homme, pour faire l'heureux mariage qui établirait l'unité dans l'île et ses dépendances. Lettre à Cecil, 31 décembre 1560 (Miss Strickland, t. III, p. 148.)

[39] T. I, p. 41.

[40] D'ailleurs Marie Stuart fut élevée avec deux des filles d'Henri : Élisabeth, née en 1545, plus tard femme de Philippe II, roi d'Espagne ; Claude, née en 1547, qui épousa Charles II, duc de Lorraine, l'une et l'autre aimables, mais nullement désordonnées. Il n'y eut de désordonnée que Marguerite, autre tille d'Henri II et femme d'Henri IV. Mais comme elle naquit en 1552, on ne peut pas dire qu'elle exerça une influente quelconque sur la reine d'Ecosse.

[41] Throckmorton à Cecil, Orléans, 31 décembre 1560. Miss Strickland t. III, p. 145-6.

[42] Throckmorton au conseil d'Angleterre, 31 décembre, 1560. Miss. Strickland, t. III, p. 144-6.

[43] Someze à Cecil, Orléans, 23 janvier 1561. Miss Strickland donne cette parole comme de Throckmorton, t. III, p. 158.

[44] Lettres patentes aux états d'Écosse, instructions données par la reine à ses commissaires, Orléans, 12 janvier 1561. Labanoff, t. I, p. 80-88.

[45] Tytler, t. V, p. 166, édit. 1845.

[46] Mémoires, l. V, ch. XIII.

[47] Brantôme, Marie Stuart.

[48] Marie se composa un ministère tout protestant : lord James, son frère, premier ministre ; William Maitland de Lethington, secrétaire d'état ; James Makgill, clerc du registre ; Wishart de Pitarrow, gardien du sceau privé. Kirkaldy de Grange et Henri Balnaves eurent des offices de confiance dans sa maison. Seul, le comte d'Huntly, chancelier, était catholique. Dans le conseil privé, il y avait sept protestants et cinq catholiques. Miss Strickland, t. III, p. 256.

[49] Miss Strickland, t. III, p. 277, d'après une lettre de Randolph.

[50] Le lord James, frère naturel de Marie, fut désigné sous les titres de prieur de Saint-André ou de commendataire de Saint-André et Pittenween, de comte de Mar, de comte de Murray.

[51] Lettre à Cecil, 24 octobre 1561, dans Keith, p. 194-197.

[52] Randolph à Cecil, Edimb., 11 novembre 1561. Keith, p. 201.

[53] Lettre à Cecil, Edimb., 7 décembre 1561. Keith, 203 et suivantes.

[54] Keith, p. 204.

[55] Randolph à Cecil, 27 décembre 1561. Keith, p. 210.

[56] Randolph à Cecil, 25 avril 1562, cité par miss Strickland, t. III, p. 302-3. — Sur toute cette affaire, Knox, Histoire de la réformation de la religion dans le royaume d'Écosse ; miss Strickland, t. III, p. 291-303.

[57] Malgré la confiance que nous inspirent ordinairement les jugements de miss Strickland, nous ne pouvons la suivre lorsqu'elle adopte ces deux points (III, p. 294).

[58] Chalmers, t. III, p. 11, note a. — Lettre de Randolph à Cecil, 9 et 25 avril 1562.

[59] Chalmers, t. III, p. 360. — Randolph à Cecil, Stirling, 7 juin 1562.

[60] Miss Strickland, III, p. 304.

[61] Randolph à Cecil, Edimb. 22 janvier 1563, dans Chalmers, III, p. 18, note x.

[62] Keith, p. 269-270. — Lettre de Randolph à Cecil, 4 mars 1565. Miss Strickland, t. V, p. 88. — Chalmers, t. III, p. 20 et note.

[63] Chalmers, t. III, p. 25-26, note j.

[64] Miss Strickland, t. IV, p. 89-90, d'après une lettre de sir John Forster.

[65] M. Mignet se trompe en cette occasion en disant (t. I, p. 163) : Il (Murray) parut dans Edimbourg à la tête de cinq à six mille personnes pour y faire condamner le comte de Bothwell, qu'il accusait d'avoir comploté plusieurs fois contre sa vie et que sa sœur rappelait de l'exil.

[66] Chalmers, t. III, p. 21-22 et notes, d'après la correspondance de Randolph, et p. 197, note k. — Miss Strickland, t. IV, p. 119.

[67] Miss Strickland, t. II, 361, 374, 378. — Chalmers, t. I, p. 64 ; t. II, p. 465, note x ; t. III, p. 469, note b. — Un fragment autographe de Marie Stuart, Labanoff, t. I, p. 297.

[68] Liv. V, ch. XII, p. 506, dans les Mémoires relatifs à l'histoire de France, coll. Michaud. — Voyez aussi miss Strickland, Vies des reines d'Écosse, t. V, p. 198-9 ; t. II, p. 327.

[69] Miss Strickland, t. IV, p. 92 et suivantes.

[70] Miss Strickland, t. IV, p. 108, Lettre de Paul de Foix à Catherine de Médicis, Londres, 23 mai 1565 ; dans Teulet, Relations politiques de la France et de l'Espagne avec l'Écosse au seizième siècle, t. I, p. 199.

[71] Miss Strickland, t. IV, p. 113. Voyez dans le recueil du prince Labanoff, un mémoire italien adressé au grand-duc de Toscane, Côme Ier, sur les événements d'Écosse depuis l'entrée de David Riccio au service de Marie Stuart jusqu'au 8 octobre 1566. Marie étant allée à Stirling accompagnée de Darnley, fece allogiare il Re suo consorte in castello, ove il detto signore divenne ammalato et ordine la Reina che si servisse benissimo et fosse provisto d'ogni cosa che bisognasse. Et in quel mentre conoscendo David di far piacere, all' una et all' altra parte, traito che insieme consumassero il matrimonio ; il che tutto fu fatto, et fossero da un capellano catolicamente sposati in camera di esso David, senza aspettare il ritorno dei due che furon mandati in Inghilterra et Francia. Del che sendo la reins d'Inghilterra avvisate, si dolse assai con quel ser Ledinton....

[72] Lingard l'a placé le 9 juillet à Holyrood (ch. XV) d'après une lettre de Randolph à Elisabeth du 16 juillet 1565 (Keith, App. p. 161). Nous allons voir pourtant que Randolph en avait instruit sa maîtresse plusieurs mois auparavant.

[73] Teulet, Relations politiques de la France et de l'Espagne avec l'Écosse au seizième siècle, t. I, p. 193.

[74] Teulet, Relations politiques, t. I, p. 195.

[75] T. I, p. 160.

[76] Du reste, pour se convaincre que ce mariage fut préparé de loin et accepté en principe par Marie Stuart avant le voyage de Darnley en écosse, il suffit de lire dans la collection du prince Labanoff, t. I, p. 296-299, le fragment d'un mémoire autographe de Marie elle-même sur cette question. On y trouve les motifs de convenance politique qui la décidèrent bien avant l'amour. Ce document concorde avec ce qu'on sait d'autre part.

[77] Mémoires, t. V, ch. XII. Randolph en écrit autant à Cecil, le 3 juin. La sorcière était, disait-on, la comtesse de Lennox ; son compère, Patrick Lindsay, ami des Lennox, et le pouvoir magique résidait dans un bracelet que la comtesse avait envoyé par son fils à Marie. — Miss Strickland, t. IV, p. 134.

[78] Miss Strickland, t. IV, p. 112.

[79] Miss Strickland, t. IV, p. 128-130.

[80] Keith, Append., p. 160. — Chalmers, t. II, p. 482. — Miss Strickland, t. IV, p. 131. — Lettre de Randolph à Cecil, 21 mai 1565.

[81] Randolph à Cecil, 3 juin 1565 ; miss Strickland, t. IV, p. 132-3 ; Tytler, t. V, p. 302, édit. 1845.

[82] Chalmers, t. I, p. 216, d'après les correspondances authentiques.

[83] Lettre de Randolph à Cecil, Édimbourg, 2 juillet 1565 ; Keith. p. 290.

[84] Nous n'avons pas à donner ici des détails qui trouveront leur place dans une étude spéciale sur le comte de Murray. D'ailleurs ce complot n'est contesté par personne. Voyez Keith, Lettres de Randolph à Cecil, 1 et 4 juillet 1565 ; Chalmers, t. I, p. 216 et suivantes. — Miss Strickland, t. IV, p. 146 et suivantes. — Tytler, t. V, p. 307-8, édit. 1845. — Mignet, t. I, p. 167.

[85] Randolph à Cecil, Édimbourg, 2 juillet 1585, dans Keith, p. 287.

[86] Elle eût préféré attendre quelques mois, jusqu'à ce que le parlement lui-même conférât ces prérogatives à son mari, mais Lennox et Darnley lui forcèrent la main. Miss Strickland, t. IV, p. 166-7 et 172.

[87] Miss Strickland, t. IV, p. 175, d'après le Diurnal of occurrents, Chronique du temps.

[88] Sutherland fut arrêté par les Anglais à Berwick, et ne recouvra sa liberté qu'en février 1566, sur les instances de Marie Stuart. Keith, Append., p. 170.

[89] Miss Strickland, t. IV, p. 202 et suivantes.

[90] Lettre de Randolph à Cecil, 13 octobre 1565 ; miss Strickland, t. IV, p. 215-6.

[91] Chalmers, t. III, p. 206, 420-1, 552-3, d'après les correspondances anglaises.

[92] Miss Strickland, t. IV, p. 203-5.

[93] Keith, Append. p. 166-7. — Lettres de Randolph, 24 janvier 1566 ; de Bedford, 8 février 1566.

[94] Miss Strickland, t. V, p. 252, note 1 ; p. 258-9.