LE ROI DE ROME (1811-1832)

 

CHAPITRE X. — NAPOLÉON ET LA DUCHESSE DE PARME.

 

 

Louis XVIII était rentré à Paris le 8 juillet, après avoir reçu au château d'Arnouville, près Saint-Denis, les serments de Fouché, serments de fidélité et de dévouement à la monarchie légitime et à sa personne royale. Il avait confié la présidence du nouveau ministère au prince de Talleyrand, qu'il n'aimait pas plus que Fouché. Il acceptait provisoirement le concours de ces deux hommes, parce qu'il ne pouvait faire autrement ; mais il était décidé à la première occasion à s'en débarrasser avec empressement. Cette occasion devait bientôt s'offrir. Le ministère, qui comptait orienter la monarchie avec une politique nouvelle et gouverner la France en maitre après avoir réduit à néant les prétentions bonapartistes, allait disparaitre dès la reprise des négociations diplomatiques, car il n'avait aucune autorité à l'intérieur et aucune influence à l'étranger. Les mêmes qui avaient contribué à le faire arriver étaient les mêmes qui réclamaient déjà son départ. Il s'agissait, en attendant, de faire sortir Napoléon du territoire français. L'empereur d'Autriche, qui aurait pu dire un mot en sa faveur, se garda bien d'intercéder. Il ne pensait guère davantage au roi de Rome et se souciait peu de soutenir le moindre de ses droits. Gentz s'en étonnait lui-même : Quand on pense, écrivait-il alors, à quelle hauteur l'Autriche pourrait s'élever en embrassant fortement les intérêts du fils de Napoléon, on est sans doute étonné (la postérité le sera bien plus encore) qu'une résolution pareille ne se trouve même pas comptée aujourd'hui parmi les chances probables, à peine parmi les chances possibles ! Gentz constatait que l'Autriche sacrifiait son intérêt particulier à celui de ses alliés et même à l'opinion publique. François II n'avait pas en effet compris le profit qu'il eût pu tirer de la situation. Les considérations personnelles ont peu de pouvoir sur lui, disait Gentz, et l'idée de séparer sa politique de celle des autres Cours lui répugnerait absolument[1]. L'empereur d'Autriche avait fini par accepter le retour des Bourbons, quoique son allié Alexandre les aimât si peu que si l'on pouvait lui proposer un moyen terme entre Louis XVIII et Napoléon II, je ne doute pas, affirmait encore Gentz, qu'il ne le saisisse avec empressement. Voilà ce qu'écrivait l'intime conseiller de Metternich au moment de la seconde Restauration, ce qui démontre nettement que l'adhésion de l'Europe au retour de la monarchie légitime était loin d'être unanime, sans doute parce que l'Europe redoutait que Louis XVIII fit trop d'opposition à ses secrets desseins contre la France.

On sait comment Napoléon, s'étant rendu compte qu'il lui était désormais impossible de s'échapper, décida de se rendre à un peuple qu'il appelait le plus constant et le plus généreux de ses ennemis[2], et comment à Plymouth il apprit qu'on le considérait comme prisonnier de guerre. Par le protocole du 28 juillet 1815, les alliés déclaraient que ce que la Grande-Bretagne se chargerait de faire à l'égard de Napoléon lui donnerait de nouveaux titres à la reconnaissance de l'Europe[3]... Cinq jours après, les représentants des quatre grandes puissances laissaient la garde de l'Empereur, le choix de sa détention et les mesures à prendre au gouvernement britannique, puis Hardenberg, Nesselrode, Castlereagh et Metternich informaient le prince de Talleyrand que ce gouvernement invitait les grandes puissances à envoyer un commissaire à Sainte-Hélène, lieu définitivement adopté pour y garder Napoléon[4]. Les alliés avaient cru le dérober à la vue du monde en l'exilant à deux mille lieues de sa patrie, sur un îlot perdu au sein de l'Océan. C'était le mettre, au contraire, sur un sommet qui allait attirer tous les regards. Aigle, s'est écrié Chateaubriand, on lui donna un rocher d'où il était vu de toute la terre. Et cette fois Lamartine a pu dire avec raison : La Providence lui avait accordé la dernière faveur qu'elle puisse faire à un grand homme : celle d'avoir un intervalle de paix entre sa vie et sa mort, de se recueillir dans la satisfaction et le repentir de ses actes, et de jouir, dans ce lointain qui donne leur vraie perspective aux choses humaines, du regard, de l'admiration et de la pitié de la postérité. Ni Alexandre ni César n'obtinrent de leur fortune ce don suprême des dieux. Que les insensés plaignent un pareil sort ! Les hommes religieux de tous les cultes et les hommes qui auront dans l'âme l'instinct de la vraie gloire dans tous les siècles, y reconnaîtront une faveur du Ciel.

Marie-Louise apprend cet exil meurtrier, et elle ne proteste pas. On est en droit de se demander si elle ne fut pas satisfaite en secret d'un éloignement qui la laissait libre de vivre ouvertement avec l'homme qu'elle avait choisi et auquel elle devait s'unir six ans après. Le prince de Metternich s'était contenté de l'aviser ainsi le 13 août : Napoléon est à bord du Northunzberland et en route pour Sainte-Hélène... Quant à l'Empereur, qui ne veut pas douter de la fidélité et de l'attachement de Marie-Louise, il dira dans son testament qu'il a toujours eu à se louer de sa, très chère épouse, qu'il lui conserve jusqu'au dernier moment les plus tendres sentiments et la prie de veiller pour garantir son fils des embûches qui environnent encore son enfance[5]. Or, depuis le premier jour de l'an 1815, Marie-Louise n'avait point écrit à Napoléon, et cependant elle lui avait promis de lui donner souvent des nouvelles d'elle-même et de son enfant. Mais elle ne se rappelait plus les adieux de l'Empereur et ses derniers conseils. Elle avait intérêt à tout oublier.

La haine de Fouché poursuivait aussi bien la famille de Napoléon que Napoléon lui-même. Dans son rapport au Roi sur la situation de la France, il écrivait qu'il fallait éloigner les frères de Napoléon. u Sans être d'aucun danger personnel, de fausses espérances pourraient survenir et les engager à servir d'instruments aux autres. Le chef de cette famille, disait-il, survivra peut-être à son abdication. Il a d'ailleurs un fils, et s'il a manqué quelque développement aux déclarations des puissances, il pourrait paraître nécessaire de les rendre maintenant explicites. Que voulait-il encore ? On va le savoir. Dans une séance tenue le 27 août par les ministres des Cours alliées, il fut convenu qu'on exigerait des personnes auxquelles il serait accordé asile dans les États alliés, une soumission conforme au formulaire ci-après : Le soussigné... déclare que son désir est de rentrer en... et que désirant obtenir à cet effet l'agrément de Sa Majesté, il s'engage à s'établir dans la partie des domaines de Sa Majesté qui lui sera assignée et de se conformer en tous points aux lois et règlements en vigueur pour les étrangers dans les États... et en particulier à ceux que Sa Majesté pourrait ordonner d'appliquer plus particulièrement aux individus compris dans la liste susdite qui réclament l'hospitalité dans l'Empire[6]. Quels étaient ces individus ? Une liste annexée au procès-verbal des conférences des ministres réunis nous les nomme. Ce sont : Mme Lætitia Bonaparte, Marie-Louise et son fils, Joseph, Lucien, Louis et Jérôme Bonaparte, leurs femmes et leurs enfants, Élise et Pauline Bonaparte avec leurs maris et leurs enfants, le cardinal Fesch, le prince Eugène, sa femme et ses enfants, Hortense et ses enfants[7]. Ainsi, au premier rang de ces individus qui doivent se conformer aux lois et règlements de police en vigueur pour les étrangers, Hardenberg, Castlereagh, Nesselrode et Metternich ont placé l'impératrice Marie-Louise et le roi de Rome !... Nous sommes loin du traité de Fontainebleau et des engagements solennels pris par les alliés. Comment le prince de Metternich n'a-t-il pas eu honte d'adhérer à un tel protocole et de traiter ainsi la fille et le petit-fils de son maitre ?... Qu'on ne s'étonne donc pas si le prince de Talleyrand, président du conseil, remercie deux jours après, le 29 août, les ministres des quatre Cours alliées des mesures prises par eux à l'égard de la famille Bonaparte, aussi bien qu'à l'égard des Français proscrits par l'ordonnance du 24 juillet. Il applaudissait a à la sagesse de ces mesures Il ne soulevait qu'une objection. La destination affectée à Lucien Bonaparte — c'était la ville de Rome — lui semblait le laisser trop en dehors de la surveillance nécessitée par le rôle qu'il était venu jouer récemment en France[8]. Le 1er septembre, les ministres alliés se hâtèrent de répondre que le gouvernement romain se chargeait de surveiller attentivement Lucien et sa famille.

On n'osa pas cependant demander à Marie-Louise de signer le formulaire de résidence pour elle et pour son fils. Il est, probable que l'empereur d'Autriche, ayant eu connaissance des résolutions prises le 27 août, se porta garant pour sa fille et son petit-fils auprès d'un ministre trop zélé. Seulement on exigea autre chose. Si le Moniteur du 28 septembre est exactement renseigné, Marie-Louise aurait signé à Schœnbrunn un acte formel par lequel elle renonçait, pour sa personne et pour celle de son fils, au titre de Majesté et à toute prétention sur la couronne de France. Il ne lui était plus permis de prendre désormais que les titres d'archiduchesse d'Autriche et de duchesse de Parme. Il est vrai que M. de Bausset conteste ce fait[9]. Mais sa relation est d'une telle partialité en faveur de Marie-Louise qu'elle laisse subsister quelques doutes. L'ex-Impératrice a bien pu, avec sa faiblesse native, céder aux exigences nouvelles qu'on lui imposait, puisqu'elle avait couru, pour ainsi dire, au-devant des premières[10]. Quant au prince de Metternich, il témoignait une sorte d'indifférence pour Marie-Louise et son fils. Quelquefois seulement, et par occasion, il affectait un peu de bienveillance. Le prince, écrivait Pozzo di Borgo à Nesselrode, le 5 octobre, varie ses discours selon le désir de ceux qui l'écoutent. Il fréquente et ne décourage nullement ceux qui lui parlent des intérêts du roi de Rome... Or, Metternich considérait cet enfant comme un otage mis entre les mains de l'Autriche par les alliés. Il avait déjà la ferme volonté de se servir du jeune prince comme d'un épouvantail et de l'opposer, suivant les circonstances, au gouvernement actuel de la France et à celui qui lui succéderait.

Le petit roi de Rome, qui avait perdu son cher Méneval et sa bonne maman Quiou, n'avait plus autour de lui d'autres visages amis que ceux de Mine Soufflot, la sous-gouvernante, Fanny sa fille, et Mme Marchand, la mère du premier valet de chambre de l'Empereur. Celle-ci veillait sur sa nuit et sur son réveil. Elle avait pour le jeune enfant des soins maternels et lui faisait réciter assidûment ses prières. Les dames Soufflot cultivaient avec soin l'esprit du roi de Home, lui faisant la lecture, l'intéressant par d'aimables récits, répondant avec patience à ses questions multipliées. Ces personnes si bienveillantes et si délicates, si aimées par l'enfant impérial, devaient le quitter sous peu, car l'Autriche soupçonneuse ne voulait plus de Français autour du prince[11].

Le 30 juin de cette même année, l'empereur d'Autriche avait confié l'éducation supérieure de son petit-fils au comte Maurice de Dietrichstein, d'une famille illustre qui comptait parmi ses aïeux un prince de l'Empire. Le comte Maurice, qui s'était fait remarquer par sa bravoure dans les campagnes de la Révolution, avait depuis cultivé avec talent les lettres et les arts. Il était d'un caractère affable et bon, un peu timide, mais ayant plus de moyens que ne lui en prête Gentz, dont la plume méchante n'épargne habituellement personne. Il n'avait nullement l'intention de faire languir son élève dans la médiocrité ; il sut, au contraire, gagner son affection par sa bonté et son zèle. Il eut pour adjoint le capitaine Foresti, originaire du Tyrol, qui était un officier de mérite, instruit surtout dans les sciences mathématiques, parlant très couramment le français et l'italien. Il n'est pas vrai, comme l'a voulu établir une légende accréditée par le poète Barthélemy, qu'on ait cherché à oblitérer l'intelligence du jeune prince, car les résultats de cette éducation ont prouvé tout le contraire. On avait même commencé ses études un peu plus tôt que celle des archiducs, qui ne se faisaient qu'à partir de la cinquième année[12]. Toutefois, il est certain que le roi de Rome ne fut pas élevé à la française et qu'on chercha même à diminuer chez lui les instincts de naissance et de race pour lui inculquer autant que possible des manières et des goûts allemands. Mais la nature fut plus forte que les éducateurs. On n'y parvint pas, et, comme la suite des événements le prouvera, le fils de Napoléon est resté, ainsi que le voulait son père, un prince français[13].

Le capitaine Foresti atteste que son élève était d'une grâce et d'une gentillesse parfaites. Il parlait déjà facilement, dit-il, et avec cet accent particulier aux habitants de Paris. Nous prenions plaisir à l'entendre exprimer, dans le langage naïf de son âge, des pensées, des observations d'une extrême justesse. Quand on voulut lui apprendre la langue allemande, il opposa aux leçons une résistance qui dura longtemps, comme s'il eût eu l'instinct qu'on voulût lui faire perdre ainsi sa qualité de Français. A force de patience, on arriva à vaincre cette résistance. Il dédommagea ses précepteurs dans ses autres études par sa facilité, son intelligence et son esprit ingénieux. Il y avait dans cette jeune tête, rapporte Foresti, une faculté logique très intéressante à observer. Sa nature, si expansive et si joyeuse au début, était devenue presque mélancolique, mais son caractère était resté résolu. S'il obéissait par conviction, il commençait d'abord par résister. Il n'était point démonstratif et semblait, au contraire, très réservé, ce qui pour les malveillants faisait croire à une sorte de dissimulation. Foresti remarque qu'il pensait beaucoup plus qu'il ne voulait dire. Comment en eût-il été autrement ? Le malheur avait aiguisé, affiné ses facultés. Le roi de Rome avait vu écarter de lui, et sans motifs sérieux, tous ceux qu'il aimait. Il se défiait des nouveaux maitres qu'on lui imposait. Ce ne fut qu'après avoir étudié attentivement son entourage que cet enfant si précoce lui manifesta quelque confiance. La bonté et la franchise étaient, d'ailleurs, spontanées chez lui. S'il avait reçu un blâme de ses maitres, s'il avait témoigné quelque colère, il était le premier à leur tendre la main et à les prier d'oublier ses torts. Un caractère aussi aimable eût mérité les attentions vigilantes de Marie-Louise. On comprend quelle joie eût éprouvée un tel enfant à vivre intimement avec sa mère, à recevoir d'elle ces premières leçons, si douces et si charmantes, qui laissent sur la vie tout entière une impression ineffaçable. Pendant quelque temps, Marie-Louise vint s'informer des dispositions de son fils, lui donner quelques éloges et parfois quelques petites réprimandes, puis, lasse de tant d'efforts, elle cessa bientôt de s'occuper de ses études. Cependant, chaque fois qu'il pouvait voir sa mère, l'enfant lui prodiguait ses caresses. Elle les lui rendait bien, mais on la voyait absorbée par une pensée plus instante : le retour du comte de Neipperg. Enfin, lorsque celui-ci revint d'Italie à la date du 12 décembre, elle manifesta une joie surprenante. Elle avait retrouvé un de ses bons amis, écrivait-elle à la comtesse de Crenneville ; et elle ajoutait : Ils sont bien rares dans ce monde pour moi ! La question du duché de Parme était aussi l'une de ses plus vives préoccupations. Elle comptait se rendre bientôt dans ses possessions. Il est vrai qu'elle déguisait son ambition sous le prétexte de rendre service à son enfant. Je serai obligée, disait-elle, de laisser ici ce que j'ai de plus cher au monde, mais je m'armerai de courage, et l'idée que ce voyage sera nécessaire à ses intérêts m'en donnera. Or, les intérêts du roi de Rome étaient si peu en cause, que l'enfant devait rester jusqu'en 1818 sans avoir de situation définitive. On l'appelait officiellement le prince de Parme, sans être assuré que ce nom lui resterait. Sa malheureuse destinée était livrée au caprice des hommes et des événements.

 

Pendant ce temps, où en était la France ? Quelle était la conduite des alliés qui avaient solennellement juré que leurs hostilités étaient dirigées contré le seul Napoléon ?... Les alliés traitaient la France et la royauté en ennemies, comme si l'Empereur eût été encore là. Ils avaient exigé le licenciement de l'armée et le châtiment de ceux qu'ils appelaient les complices du 20 mars, alors que les Cent-jours avaient été la conséquence inévitable des fautes de la première Restauration.. Ils intervenaient à tout moment dans les affairés intérieures de la France, manifestaient des exigences incroyables, commettaient toute sorte de vexations. Ils osaient demander la cession de l'Alsace, de la Lorraine, de la Flandre, de l'Artois, de la Savoie et des places frontières avec une écrasante indemnité de guerre. Il fallut que le prince de Talleyrand, qui avait brouillé Louis XVIII et Alexandre, cédât la place au duc de Richelieu pour que la Russie consentit à s'interposer et obtint des conditions moins cruelles, quoique très rigoureuses encore[14]. Quelques jours auparavant, le duc d'Otrante, qui n'avait plus la moindre autorité dans le conseil et que l'on avait cessé de craindre, avait dû se retirer avec l'apparence d'une mission diplomatique qui se convertira bientôt en exil. Voilà à quoi devaient aboutir tant de machinations et tant d'intrigues !... Les deux complices, arrivés en même temps, s'en allaient congédiés presque à la même heure. Le duc de Richelieu acceptait la lourde responsabilité du traité de Paris, mais aucun diplomate n'eût obtenu des conditions meilleures. Le patriotisme et le dévouement du ministre et du Roi triomphèrent d'une situation effroyable, compliquée par l'attitude inouïe des puissances qui, oubliant volontairement la parole donnée les 13 et 25 mars 1815, traitaient la France et la monarchie légitime en vaincues et se moquaient de la prétendue inviolabilité du territoire français. Ainsi, lorsque l'objet de la haine des souverains, l'empereur Napoléon, était exilé à deux mille lieues de son pays et gardé à vue par des soldats vigilants et un gouverneur impitoyable, lorsque le prince impérial était à la merci de l'Autriche qui comptait, grâce à la faiblesse et à l'abandon de sa mère, en faire un prince étranger et lui enlever tout espoir de monter sur un trône, lorsque les Français étaient dans l'impuissance absolue de reprendre leurs guerres et leurs conquêtes, les alliés n'en dévoilaient pas moins leurs anciens et véritables desseins : enlever à la France ses dernières ressources et l'annihiler pour jamais. Mais une sorte de terreur ou de remords viendra troubler les appétits de l'Europe. Tant que le fils de Napoléon vivra, elle ressentira une inquiétude indicible. Elle craindra qu'arrivé à l'âge viril, le jeune prince ne comprenne la force et la puissance de son nom. Elle craindra qu'il n'obtienne tout à coup l'appui d'audacieux partisans et qu'il ne profite du premier mouvement en France pour saisir le pouvoir et déchirer les odieux traités de 1814 et de 1815. Aussi ne faut-il pas s'étonner que l'Europe se soit préoccupée autant de Schœnbrunn que de Sainte-Hélène.

Parmi les précepteurs du roi de Rome figurait Mathieu Collin, le frère du poète autrichien Henri Collin. C'était un écrivain de valeur qui s'était adonné à la littérature et à la composition dramatique. Son esprit et sa moralité l'avaient fait appeler auprès des archiduchesses Clémentine, Léopoldine et Caroline pour leur donner quelques leçons littéraires. Il voulut bien s'occuper de l'éducation du petit prince et s'y adonna avec zèle. D'un caractère affectueux et complaisant, il parvint à gagner eu peu de temps la confiance du roi de Rome. Entre les leçons, il s'amusait avec lui dans un bosquet voisin de la Gloriette, ce portique laid et prétentieux qui domine le parc de Schœnbrunn. Ils jouaient tous deux à Robinson Crusoë, creusaient une caverne et fabriquaient de petits ustensiles ingénieux. C'était avec ce mélange de gravité et de gaieté qu'on pouvait plaire à cet enfant. Près d'accomplir sa cinquième année, écrit Gentz le 26 février 1816[15], il est rempli de charmes et de grâce, mais rien moins que facile à traiter, puisqu'à beaucoup d'esprit naturel il réunit une aversion pour tout ce qui est contrainte et assujettissement. Cet enfant qui, avec une éducation d'un genre élevé, deviendrait peut-être un homme remarquable, est naturellement condamné à languir dans la médiocrité. Gentz n'était pas juste. L'éducation qu'on donnait au roi de Rome était la même que celle des archiducs. Quant à la destinée que Gentz lui prédisait, ce ne devait pas être la faute de ses maîtres Si elle a été obscure, c'est parce que Metternich l'a voulu ainsi, en interdisant au fils de Napoléon toute ambition royale ou impériale. Gentz est plus exact lorsqu'il fait de cet enfant un objet d'alarmes et de terreurs pour la plupart des cabinets européens. Il faut avoir assisté, dit-il, aux discussions politiques de l'été dernier pour savoir à quel point le nom de ce pauvre enfant agite et effraye les ministres les plus éclairés et tout ce qu'ils voudraient inventer ou proposer pour faire oublier jusqu'à son existence !...[16] François II croyait devoir employer tous les moyens pour mettre fin à tant d'alarmes. Ainsi, il exigeait que le roi de Rome ne vit plus les personnes qui avaient pris part à sa première éducation. Gentz va jusqu'à dire qu'on aurait voulu faire oublier à l'enfant la langue française et ne lui laisser d'autre idiome que l'allemand. Gentz exagérait, mais c'était de bonne foi. Il s'étonnait d'un tel régime, et il formulait à cet égard des critiques fort sévères. Si la maison d'Autriche avait pris l'engagement sacré, non pas seulement de combattre la dynastie de Napoléon, mais encore de calmer quiconque en Europe pourrait s'inquiéter de son nom ou de son ombre, on n'aurait pas pu adopter un système plus conséquent. Il trouvait que le gouvernement autrichien n'était pas juste. Il serait sans doute déloyal d'offrir cet enfant aux yeux des contemporains comme un épouvantail, ou comme point d'appui dans quelque grand revirement de l'avenir ; une pareille conduite ne serait pas digne d'une grande puissance. Mais il y a une mesure en tout. Gentz s'étonnait de la simplicité du cabinet autrichien et de son manque d'habileté. Lorsqu'on entend encore parler bien souvent de la politique machiavélique de la cour de Vienne et de son égoïsme profondément calculé, de ses arrière-pensées, etc., on n'a qu'à s'arrêter sur ce seul objet pour juger ses accusateurs. Si l'empereur de Russie, ajoutait-il, avait pu marier une de ses sœurs à Napoléon, j'aurais été curieux de voir s'il eût sacrifié les intérêts de sa famille avec la même facilité, la même candeur que François II ; et cependant pour toute récompense on nous a fait entendre plus d'une fois, l'été pissé, combien l'Autriche était intéressée à détruire les soupçons que l'opinion publique ne cessait de nourrir sur notre compte. En résumé, le confident de Metternich critiquait l'incapacité du ministère autrichien et le peu de profondeur de sa politique. Il affirmait que des bruits, sortis d'une source supérieure, couraient sur une prétendue renonciation du titre d'Impératrice, faite solennellement à Schœnbrunn par Marie-Louise. Par un autre trait de condescendance pour les prétentions peu généreuses de nos amis, disait-il encore, on va sacrifier le titre d'Impératrice que l'archiduchesse ne pouvait perdre d'après aucun principe du droit public et qui lui avait été confirmé par la convention de Fontainebleau. On lui laissera toutefois par courtoisie le titre de Majesté. Cependant, comme ce serait encore trop aux yeux des autres cours qui ont très souvent critiqué ce dernier reste de splendeur, on a déclaré qu'elle quitterait même la Majesté, si la reine d'Estrurie veut y renoncer à son tour[17]...

Le chevalier de Los Rios, chargé d'affaires de France à Vienne, informait le 28 février, le duc de Richelieu que François II avait prescrit à sa fille de se rendre à Vérone le 18 mars. Il l'avait invitée en outre à ne garder à son service que les Français qui lui seraient absolument indispensables. Elle en a renvoyé, dit Los Rios, une trentaine sur cinquante, y compris le marquis de Bausset, qu'elle a nommé grand maitre honoraire de sa maison. Or, peu de temps auparavant, le marquis de Bausset avait informé le chevalier de Los Rios qu'il tenait à sa qualité de Français et qu'il ambitionnait d'être compté au nombre des plus fidèles sujets de Louis XVIII. Si mon séjour hors de France, avait-il dit, et les fonctions que je remplis ici n'avaient pas l'extrême approbation du Roi, je puis vous assurer qu'aucune considération ne saurait me retenir. Il lui avait été répondu par l'ambassade française que le Roi ne voyait aucun inconvénient à ce qu'il demeurât auprès de l'archiduchesse, et que même il lui en octroyait la permission[18]. Et tout à coup, c'était l'empereur d'Autriche qui exigeait le départ de l'inoffensif Bausset, tant ce monarque avait peur de la moindre influence française[19]. Il est vrai qu'il nommait presque en même temps le comte de Neipperg chevalier d'honneur de sa fille en lui donnant la mission de l'accompagner à Parme. Quant au roi de Rome, on avait décidé qu'il ne quitterait pas Vienne ou Schœnbrunn. Sa berceuse, Mme Marchand, venait de recevoir l'ordre de se retirer. Ainsi cette femme dévouée, qui avait veillé le prince depuis sa naissance, qui passait toutes les nuits dans sa chambre et recevait le matin ses premières caresses, qui était chargée du soin de le vêtir et qui lui faisait répéter ses prières en y mêlant, elle aussi, le nom de son père, — cette personne si modeste et si simple était devenue suspecte à son tour[20] ! Dès son départ, le capitaine Foresti vint coucher dans la chambre de l'enfant impérial. La première fois, je craignis qu'à son réveil, rapporte Foresti, il ne se livrât au vif chagrin de l'enfance en ne retrouvant plus près de lui celle qu'il était accoutumé de revoir chaque matin. En s'éveillant, il s'adressa à moi sans hésiter et me dit, avec un calme étonnant pour son âge : Monsieur de Foresti, je voudrais me lever.

Déjà cette jeune nature se formait aux épreuves et prenait de l'empire sur elle-même. Ce n'est pas que le roi de Rome fût indifférent au départ de Mme Marchand ; mais après l'avoir pleurée, il se rappela les conseils qu'elle lui avait donnés de se montrer courageux, et il tint à y être fidèle. Voici quelques mots de lui qui prouveront combien il pensait à sa situation et combien il était instruit du passé. La première fois qu'il vit le prince de Ligne, il demanda le rang de ce seigneur. C'est un maréchal, lui répondit-on. — Est-il un de ceux, dit-il aussitôt, qui ont abandonné mon père ?... Une autre fois, jouant avec un jeune archiduc, il dit tout à coup : Quand je serai grand, je prendrai mon sabre et j'irai délivrer mon père qu'ils retiennent en prison !... Et en parlant ainsi, il agitait avec force un petit sabre que lui avait donné son grand-père. Le 7 mars, l'archiduchesse Marie-Louise partit pour Parme avec le comte de Neipperg et une suite nombreuse d'Autrichiens et d'Italiens. Elle passa par Vérone, où l'attendait une réception assez surprenante. Ayant l'intention d'assister à une représentation au théâtre de cette ville, elle fit retenir une loge sous un nom supposé et crut qu'elle pourrait garder ainsi un strict incognito. Malgré ces précautions, écrit le consul de Livourne, elle fut reconnue et l'on commença à crier : Vive l'Impératrice Marie-Louise ! Vive Napoléon II ! Ces cris devinrent unanimes et se prolongèrent avec un enthousiasme qui tenait de la fureur. L'archiduchesse en fut effrayée. Elle s'empressa de quitter le théâtre en toute hâte. Les spectateurs sortirent aussitôt et l'accompagnèrent jusque chez elle, avec les mêmes ovations. Les troupes autrichiennes prirent les armes, et diverses arrestations eurent lieu. Ces incidents devaient, quelques mois après, se reproduire à Bologne.

Le 15 mars, le baron de Vincent informait le duc de Richelieu que S. M. l'empereur d'Autriche, voulant donner une nouvelle preuve de l'intérêt qu'il portait au maintien de l'ordre de choses si heureusement établi en France, en prévenant les conjectures que pourrait rencontrer la malveillance, avait cru devoir, au moment où S. M. l'impératrice Marie-Louise se disposait à se rendre à Parme, lui proposer de quitter le titre impérial[21]. Marie-Louise consentit en effet à prendre le titre suivant : S. M. la princesse impériale, archiduchesse d'Autriche, Marie-Louise, duchesse de Parme, Plaisance et Guastalla[22]. Le titre de Majesté effarouchait encore plus d'un esprit en France. Aussi la dépêche de Vincent ajoute-t-elle : L'archiduchesse se serait même prêtée à renoncer pour elle au titre de Majesté, s'il n'avait été conservé à l'infante Marie-Louise (la reine d'Étrurie), qui se trouve dans une situation absolument semblable... Le baron de Vincent faisait valoir la concession de François Il comme une nouvelle preuve de sa sollicitude à s'occuper d'assurer la paix en Europe. Louis XVIII se déclara vivement touché des motifs qui avaient porté l'empereur d'Autriche à provoquer lui-même cette détermination... Le petit roi de Rome allait provisoirement garder le nom de prince de Parme avec le titre d'Altesse Sérénissime. Quelques jours après, le 24 mars, le prince de Metternich écrivait au comte de Neipperg qu'il avait remis à l'empereur d'Autriche une lettre où Neipperg mentionnait les difficultés qui s'élevaient au sujet du cérémonial à observer pour l'entrée solennelle de la duchesse de Parme dans sa capitale. Metternich faisait observer que si la princesse, par des considérations particulières, avait renoncé au port du titre impérial, elle avait conservé toutefois celui de Majesté, ce qui lui en donnait les prérogatives et lui assurait la préséance sur le cardinal Gazelli.

Au mois d'avril, Marie-Louise, entourée du comte Magawli, de la comtesse de Scarampi et du général comte de Neipperg, entre dans la capitale de son nouveau duché. Elle va entendre aussitôt le Te Deum à la cathédrale, puis prend possession du palais ducal. La petite cour de Parme était composée de dames du palais et de chambellans. Il y avait cercle tous les soirs. On y donnait quelques divertissements. Parfois la duchesse faisait apporter le portrait de son fils, l'admirait et laissait croire que le petit prince viendrait à Parme avant six mois. Les amis de l'ordre, dit la dépêche qui relate ce fait, se persuadent volontiers que cette promesse ne se réalisera pas. Ce serait une démarche impolitique et dangereuse, vu la mauvaise disposition des esprits en Italie. On faisait ainsi allusion à l'incident du théâtre de Vérone. Mais on ajoutait : On a cru s'apercevoir que le général comte de Neipperg et la comtesse de Scarampi, grande maîtresse, sont placés auprès de la princesse pour l'aider de leurs conseils et empêcher qu'on ne puisse lui en donner de contraires à ses intérêts ou à leurs instructions. C'étaient comme deux geôliers qu'on lui avait imposés, car la dépêche dit encore : Ces deux surveillants ne la quittent pas et ne permettent que qui que ce soit puisse l'entretenir en particulier[23]. Un autre détail prouvera à quel point la duchesse était surveillée. Son appartement (celui de M. de Neipperg) n'est séparé de celui de la princesse que par la chambre d'une demoiselle de compagnie qui est arrivée avec elle... Le soir, lorsque tout le monde est retiré, le général de Neipperg ferme les portes de cet appartement et en retire les clefs. Telle était la mission d'un général autrichien. Neipperg l'avait prise au sérieux. Il ne permettait pas qu'aucun mémoire fût remis à sa souveraine ou que personne lui parlât, même lors des présentations, sans qu'il fût à ses côtés. Ce que l'Autriche redoutait par-dessus tout, c'était le réveil des espérances impériales. Des poèmes en l'honneur de Napoléon ayant paru à Parme, Metternich s'inquiéta. Il écrivit à Neipperg, le 25 juin, de prendre garde à certains passages dont la tendance ne pouvait être que nuisible à l'opinion, parce qu'ils contribuaient à nourrir des espérances sur un ordre de choses devenu incompatible avec celui qui existe actuellement en Europe[24]. Il lui faisait remarquer que la cour de Parme pourrait, en tolérant de pareils écrits, s'exposer à des complications pénibles avec les gouvernements intéressés à effacer jusqu'au souvenir de cette époque trop mémorable. On ne pouvait être plus dévoué à la monarchie légitime. Metternich avait d'ailleurs une crainte affreuse de tout ce qui était bonapartiste. Ainsi, ayant appris que la princesse Borghèse allait séjourner quelques semaines aux bains de Lucques, il informait Neipperg de cette nouvelle et l'invitait à faire en sorte que Marie-Louise évitât de voir cette personne, même insignifiante, et se refusât au désir d'une audience de sa part.

Mais la duchesse de Parme n'était pas plus empressée de voir la princesse Borghèse que tout autre membre de la famille impériale. Elle avait su, le 7 juillet, que le prince Louis Bonaparte allait habiter Livourne. Elle s'empressa de prier son oncle, le grand-duc de Toscane, de le faire renoncer à cette intention, car, suivant elle, un séjour prolongé en cette ville ferait crier toute l'Europe. On lui attribuait des projets politiques, et, dans sa position, elle était obligée de prendre des précautions particulières, surtout à cause de l'avenir de son fils, l'être auquel elle était le plus attachée en ce monde. Elle croyait peut-être avoir ces tendres sentiments, mais son départ de Schœnbrunn et ses lettres intimes n'en fournissaient guère la preuve. Marie-Louise ayant appris aussi que Lucien Bonaparte était arrivé à Gênes, avait eu recours également au grand-duc de Toscane pour éloigner ce prince. Mon père, disait-elle, m'a bien recommandé d'éviter tout point de contact avec la famille, et je me suis trop bien trouvée de ce bon accueil pour ne pas désirer de m'y conformer... Toutes ces excursions sur les côtes de la Méditerranée suffiraient pour donner de l'ombrage aux Bourbons et troubler cette douce tranquillité dont je jouis dans ce petit État que le sort m'a dévolu et où je suis parfaitement heureuse.... Elle variait ses appréciations, suivant les personnes auxquelles elle écrivait. Ainsi, à la comtesse de Crenneville, elle disait que la vie ne lui était pas fort agréable à Parme. Il n'y a que l'idée que je fais mon devoir, en sacrifiant tout à mon fils, qui me soutienne[25]. Qu'avait-elle donc sacrifié à ce fils ? Bien. Tous ses efforts avaient tendu à aller à Parme avec le comte de Neipperg, le seul être vraiment auquel elle était le plus attachée... Mais pour éviter de justes reproches d'égoïsme, elle disait qu'elle ne pensait qu'à soulager la misère de ses peuples et à ménager un heureux avenir à son fils. Sans cela, quoique bien jeune encore, j'ai un dégoût horrible du monde, et je vous assure qu'en entrant dans un couvent, il me prend toujours l'idée d'envier ceux qui y ont cherché le repos, car plus je pénètre dans les replis de ce monde et plus j'acquiers la triste certitude de sa perversité[26]. Or, sans entrer dans un couvent, elle eût pu choisir une retraite moins mondaine et se montrer plus fidèle et plus réservée. Tandis que l'Empereur était à jamais séparé de sa femme et de son fils, Marie-Louise eût dû, au moins pour le souci de sa dignité, partager les angoisses de l'exilé. Elle n'évitait que ce qui était de nature à donner à sa propre personne quelque peine ou quelque inquiétude. Elle ne songeait alors qu'à fortifier sa précieuse santé. J'ai pris le courage, écrivait-elle à son amie, de me plonger dans les ondes, et je crains que je ne revienne avec une figure semblable à celle de la pleine lune, ce qui me fâcherait beaucoup. Du reste, je suis heureuse et tranquille, et je me félicite chaque jour de ma nouvelle situation. Nous allons tous les soirs au théâtre. Telle était la créature frivole que l'Empereur avait eu la faiblesse de préférer à Joséphine.

Metternich recherchait tous les moyens de plaire à Louis XVIII, mais en échange il demandait quelques concessions. Ainsi, conversant un jour avec le marquis de Caraman, notre ambassadeur à Vienne, il lui avait parlé des titres honorifiques que Napoléon avait donnés à ses généraux et à ses courtisans, titres empruntés à des lieux étrangers. Suivant lui, l'empereur d'Autriche avait exprimé le désir de les voir abolis. Je l'ai assuré, écrivait Caraman à Richelieu, le 17 juillet, que les intentions du Roi étaient absolument conformes à celles de son souverain, mais que ces titres tenant à des souvenirs qu'il fallait encore ménager, la prudence exigeait que l'on prît des mesures largement combinées pour y parvenir[27]. Metternich, qui avait recueilli des informations à Paris, voulut bien, après enquête, paraître moins exigeant. François II ne soulevait aucune opposition contre les titres obtenus par des faits militaires remarquables, tels que ceux de Rivoli, d'Essling, de Wagram, etc. Mais il demandait le changement de ceux qui n'étaient fondés que sur des souvenirs d'usurpation. Pour contrebalancer l'effet produit par cette exigence nouvelle, — car parmi les survivants de la noblesse impériale, bon nombre s'étaient ralliés à la monarchie légitime, — Metternich rappela à Caraman, le 7 août, que l'Empereur avait de son propre mouvement réformé le titre de Majesté Impériale qu'on avait laissé à l'archiduchesse, quoique l'Acte du Congrès de Vienne eût reconnu officiellement ce titre. Le prince ajouta que l'année suivante, dans l'Almanach impérial de la cour d'Autriche, la qualification impériale ne figurerait plus parmi les titres de Marie-Louise. Metternich pria même l'ambassadeur de faire mettre dans l'Almanach royal de France, à l'article Maison impériale d'Autriche, cette mention abrégée : Marie-Louise, archiduchesse d'Autriche, duchesse de Parme[28].

Une certaine effervescence bonapartiste se faisait alors remarquer en Italie. Des partisans de Napoléon et du roi de Rome s'étaient rendus à Florence, où Marie-Louise devait séjourner incognito. Mais des mesures sévères avaient été prises pour réprimer tout mouvement. Aussi se bornait-on à saluer l'ex-Impératrice quand elle visitait les musées de la ville. Ses promenades, ses distractions étaient nombreuses. Pour laisser croire qu'elle s'intéressait toujours à son fils, elle en parlait souvent et se plaignait d'en être séparée, comme si elle n'eût pas cherché elle-même cette séparation. Ses yeux se remplissaient de larmes quand elle prononçait le nom de son petit François, et ce chagrin maternel, plutôt nerveux que sincère, attendrissait naturellement le cœur des dames qui lui faisaient la cour. Cependant elle ne quittait jamais le comte de Neipperg, qui brûlait pour elle d'un sentiment chevaleresque. C'est notre chargé d'affaires de France à Florence, M. de Fontenay, qui fait cette constatation. D'après le même diplomate, Neipperg aurait dit devant plusieurs personnes, à propos du roi de Rome : J'espère bien que l'éducation qu'on donne à cet enfant sera toujours telle qu'il fera le bonheur de sa mère et que, sachant bientôt tout ce qu'exigent sa position et le repos de Marie-Louise, il évitera tout ce qu'une fausse et vaine politique pourrait jamais lui conseiller[29]. Si Neipperg, en parlant de sa souveraine, a dit Marie-Louise, sans lui donner les titres auxquels elle avait droit, il a fait publiquement montre d'une familiarité qui donnait droit à plus d'une réflexion désagréable pour lui comme pour la duchesse de Parme. C'est ce qui permettait à M. de Fontenay d'ajouter : Marie-Louise trouve, dit-on, le général Neipperg très aimable, et Neipperg a une opinion très prononcée contre Bonaparte. Marie-Louise aime les arts, s'occupe beaucoup de musique et de dessin, fait des projets pour remplir agréablement et utilement le temps qu'elle compte passer à Parme. On voit une fois de plus que cette mère désolée se consolait rapidement.

La police se préoccupait toujours des manifestations napoléoniennes. Le 2 septembre, un rapport de police informait le ministre qu'il se vendait à Vienne des schalls parsemés d'étoiles et d'abeilles. Au milieu de ces schalls se trouvait le temple de l'Hymen avec le portrait de la duchesse de Parme. Aux quatre coins on remarquait l'effigie du prince son fils. De plus, les élégants portaient des cravates dont les bouts représentaient l'image du roi de Rome. Ces objets avaient, parait-il, une grande vogue à Vienne dans la bonne société. La police s'étonnait qu'on tolérât la vente d'objets aussi séditieux et demandait qu'on fit au marchand de sages observations. Quelques jours après, une manifestation eut lieu à Bologne, pendant que la duchesse visitait l'Institut. Le général de Neipperg s'en plaignit à M. de Metternich. C'est dans cette occasion, disait-il, que les habitants de Bologne ont manifesté de la manière la plus indécente leur mauvais esprit. Plus de cinq cents personnes se sont assemblées autour de la voiture de madame l'archiduchesse en criant : Viva Napoleone il grande e la sua infelice sposa, l'Imperatrice, nostra Sovrana ! L'ingrate épouse de l'Empereur se trouva malheureuse ce jour-là surtout. Elle dut s'échapper par une porte secrète de l'Institut et regagner en secret son auberge. Elle s'en plaignit amèrement. Elle maudit cette vilaine populace de Bologne, ses vivats et ses acclamations, qui avaient tout à coup, par le rappel du nom de Napoléon, réveillé ses remords. Neipperg chercha à les dissiper en faisant lire à Marie-Louise les pamphlets qui circulaient en Europe contre l'Empereur prisonnier. Il accomplissait cette lâche besogne avec l'autorisation de Metternich, qui lui avait permis d'utiliser ingénieusement tous les moyens propres à amoindrir chez Marie-Louise le souvenir de Napoléon.

Et cependant l'Empereur n'oubliait pas celle qu'il avait tenu à épouser, croyant que sa destinée l'exigeait et que la tranquillité de la France voulait une dynastie. Mais tout en regrettant Marie-Louise, il reconnaissait enfin la faute de ce second mariage, et il s'écriait : Je n'hésite pas à prononcer que mon assassinat à Schœnbrunn eût été moins funeste à la France que ne l'a été mon union avec l'Autriche[30]. Un autre jour, il disait à M. de Montholon : J'ai aimé Marie-Louise de bonne amitié ; elle ne se mêlait pas d'intrigues. Mon mariage avec elle m'a perdu, parce qu'il n'est pas dans ma nature de pouvoir croire à la trahison des miens, et que du jour du mariage avec Marie-Louise, son père est devenu, pour mes habitudes bourgeoises, membre de ma famille. Il m'a fallu plus que de l'évidence pour croire que l'empereur d'Autriche tournerait ses armes contre moi et détrônerait, dans l'intérêt des Bourbons, sa fille et son petit-fils. Sans cette confiance, je n'aurais pas été à Moscou ; j'aurais signé la paix de Châtillon. Il déplorait la stérilité de son union avec Joséphine : Un fils de Joséphine, avouait-il, m'eût rendu heureux et eût assuré le règne de ma dynastie. Les Français l'auraient aimé bien autrement que le roi de Rome, et je n'aurais pas mis le pied sur l'abîme couvert de fleurs qui m'a perdu... Il reprochait à François II sa duplicité, et il se blâmait de n'avoir pas, en 1809, usé de tous les droits du vainqueur. Je croyais l'empereur d'Autriche un bon homme ; je nie suis trompé. Ce n'est qu'un imbécile. Il s'est fait sans aucun doute l'instrument de Metternich pour me perdre. J'aurais mieux fait, après Wagram, d'écouter les vœux ambitieux de ses frères et de diviser sa couronne entre l'archiduc Charles et le grand-duc de Wurtzbourg[31].

Parfois le chagrin le prenait et, parfois aussi, le désespoir. Le 15 août de cette première année d'exil, le général Gourgaud vint lui apporter un bouquet de violettes, en lui disant gracieusement : C'est de la part du roi de Rome !Bah ! fit l'Empereur avec brusquerie, le roi de Rome ne pense pas plus à moi qu'à vous !... Il se trompait, ou plutôt il faisait semblant de se tromper. Il ne pouvait douter en effet que cet enfant, si sensible et si précoce, n'eût gardé de lui un inaltérable souvenir, et que les derniers serviteurs restés auprès de lui ne lui eussent, en répétant son nom, appris à prier matin et soir pour lui, pour la fin de son exil. On ne savait qu'imaginer pour accroitre les douleurs de Napoléon. N'ayant pas osé le tuer, on lui faisait subir un supplice de chaque jour, en saisissant tous les prétextes pour l'exaspérer et lui rendre la vie insupportable[32]. Ainsi le baron Stürmer, commissaire autrichien en résidence à Sainte-Hélène, apprit, peu de jours après son arrivée, qu'un grave incident s'était produit. On avait osé apporter au prisonnier des cheveux de son fils. On soupçonnait de ce crime le sieur Welle, jardinier de la cour d'Autriche, venu récemment dans l'île. Stürmer le fit appeler. Welle avoua qu'il avait été chargé d'un paquet pour Marchand, le valet de chambre de l'Empereur, et qu'il le lui avait remis le lendemain de son arrivée. Welle assura que ce paquet, confié par M. Boos, directeur des jardins de Schœnbrunn, ne contenait aucune lettre, mais simplement quelques cheveux du petit prince pour son père. Je blâmai fort M. Welle, écrit Stürmer à Metternich, de m'en avoir fait un secret. Il s'excusa en m'assurant que ce paquet lui avait paru de trop peu de conséquence pour qu'il valût la peine d'en parler[33]. Ce pauvre homme, au cœur simple et bon, ne pouvait comprendre, en effet, comment on arriverait à faire de la remise d'une boucle de cheveux une véritable affaire d'État. Mais Hudson Lowe ne pardonna point à Stürmer d'avoir procuré à l'Empereur un peu de joie par un tel souvenir et le traita avec tant de rudesse que Metternich, informé de ce fait, fut obligé de s'en plaindre à l'ambassadeur d'Autriche à Londres, le prince Esterhazy. Votre Altesse, lui écrivit-il, s'entretiendra à ce sujet, confidentiellement et très amicalement, avec lord Castlereagh, qui est trop perspicace pour ne pas comprendre que toute nuance dans la façon dont est traité le commissaire autrichien ne servirait qu'à encourager les espérances, soit affectées, soit véritables, dont se berce le parti bonapartiste, qui devrait pourtant depuis longtemps avoir renoncé à tout espoir de voir une puissance quelconque s'intéresser au sort d'un homme qui est l'objet de la malédiction universelle. Il ajoutait, après cette réflexion un peu violente de la part de celui qui avait tant adulé Napoléon : Rien n'est plus correct que la conduite de madame l'archiduchesse Marie-Louise, et elle pousse la réserve jusqu'au scrupule. Madame l'archiduchesse a non seulement rompu toutes relations avec la famille Bonaparte, mais elle ne permet le séjour à aucun Français dans son pays. Si elle a des difficultés à vaincre, ce n'est plus avec les individus de cette nation, mais bien plutôt avec la foule d'Anglais voyageurs qui parcourent l'Europe et l'Italie et qui prêchent les doctrines les plus révolutionnaires et les plus antisociales.

Ainsi, pendant que Napoléon s'attendrissait en baisant une boucle des cheveux de son fils, sans espoir de revoir jamais cette tête si chère, la mère bannissait impitoyablement de sa présence tous les individus qui lui rappelaient la France, son mariage et les splendeurs impériales. Elle servait sans honte les rancunes autrichiennes ; elle ne se rappelait plus que, pendant quatre ans, elle avait été honorée par toute une nation à l'égal d'une Française. Elle livrait son fils à des étrangers dont la plupart cherchaient à lui faire oublier son origine. Elle obéissait à M. de Metternich qui le voulait ainsi. En effet, le chancelier avait dit au marquis de Caraman, qui exprimait quelque crainte au sujet de l'avenir du roi de Rome, qu'il ne fallait pas s'inquiéter,          que si on avait voulu faire quelque chose de lui, on s'en serait occupé dans des occasions qui présentaient à la fois facilité et sûreté d'exécution, mais qu'actuellement toute idée de ce genre ne serait qu'une absurdité. Il m'a dit, ajoute l'ambassadeur de Louis XVIII, que, toutes les fois que ceux qui avaient rêvé de reproduire cet enfant étaient venus en conséquence frapper à sa porte, ils avaient été si bien reçus qu'ils ne devaient plus penser à y revenir !... Qui l'aurait cru ? Le portrait d'un enfant, une boucle de ses cheveux, tout cela troublait l'Autriche et l'Europe ! Aussi fallait-il redoubler de surveillance. On verra que le prince de Metternich ne cessera, à Schœnbrunn et à Vienne, d'entourer le roi de Rome de ses créatures, d'éloigner tout Français et toute personne qui pourrait lui parler de la France... Vaine politique, précautions inutiles ! Qu'on lui retire toute relation avec son père et avec son pays natal, qu'on change son nom, qu'on cherche à lui imposer une éducation allemande, quoi qu'on fasse, le roi de nome, par un instinct irrésistible, persistera à chérir la France et les Français. Quel cœur avaient donc ces hommes pour traiter aussi impitoyablement le père et l'enfant[34] ? L'un n'était-il pas vaincu et captif ? L'autre n'était-il pas séparé de ses parents et de ses amis ? Que leur fallait-il de plus ? Et comment ne pas s'émouvoir lorsqu'on entend Napoléon dire au comte de Las Cases, à la fin de l'année 1816 : Si vous voyez un jour ma femme et mon fils, embrassez-les. Depuis deux ans, je n'en ai aucune nouvelle ni directe ni indirecte. Il y a dans ce pays depuis six mois un botaniste allemand qui les a vus dans le jardin de Schœnbrunn, quelques mois avant ce départ. Les barbares ont empêché qu'il ne vint me donner de leurs nouvelles...

Dans leur haine contre Napoléon, Metternich et Hudson Lowe s'étaient compris.

 

Marie-Louise, très tranquille et très heureuse en son duché de Parme, ne songeait point à retourner ; même pour quelques jours, dans sa chère Autriche. On lui rendait les honneurs d'une souveraine, et son petit orgueil s'en trouvait satisfait. Occupée de réceptions et de fêtes, donnant des dîners et des bals, elle n'avait pour le captif de Sainte-Hélène aucun souvenir ému. Quant à l'abandonné de Schœnbrunn, elle le laissait aux mains de Dietrichstein, de Collin et de Foresti, sans trop s'en préoccuper. L'enfant finissait par s'habituer à son silence. Privé de son père, privé de sa mère, il réfléchissait longuement ; parfois quelques paroles graves montraient combien il avait connaissance de sa situation. Un jour qu'un petit archiduc lui montrait une médaille d'or frappée à l'occasion de sa naissance et lui demandait de qui était l'effigie : C'est la mienne, dit-il aussitôt ; c'est la mienne, quand j'étais roi de Rome. En général, il était silencieux, mais il écoutait avec une profonde attention. Un officier supérieur autrichien, dans une conversation avec ses gouverneurs, oubliant qu'il était là et ne se doutant pas, d'ailleurs, qu'il ferait la moindre observation, nomma trois grands capitaines étrangers et dit qu'il n'en connaissait pas de plus illustres. J'en connais un quatrième que vous n'avez pas nommé, interrompit brusquement l'enfant. — Lequel, monseigneur ? fit l'officier étonné. — Mon père ! dit en rougissant le jeune prince, et il s'enfuit. Le capitaine Foresti, qui rapporte cette anecdote, ajoute que l'officier avait ramené le roi de Rome en lui déclarant qu'il avait eu raison de citer son père, mais qu'il avait eu tort de s'enfuir.

Il parait que l'enfant questionnait à tout moment Foresti, Collin et Obenaus sur son père, sur son gouvernement, sur sa chute, sur l'existence qu'il menait actuellement à Sainte-Hélène. Il exigeait des réponses très précises, ce qui gênait parfois les -précepteurs. Ils durent en référer à l'empereur d'Autriche, qui -leur permit de répondre nettement. Foresti constate que, dans les premiers jours, le roi de Rome l'interrogeait avec avidité et avec une affluence d'idées surprenante. Quelque temps après, il parut satisfait et devint, à ce sujet, plus calme, plus réservé.

ne parla plus de sa situation d'autrefois. Le précepteur croit qu'il gardait pour lui certaines pensées ; cela était vrai. Le jeune prince portait, en effet, des secrets que son âme seule pouvait méditer. L'isolement où on le laissait avait déterminé en lui une tristesse dont il n'aimait point à révéler la cause. Marie-Louise avait beau écrire à Mme de Crenneville[35], à propos du fils de Mme de Scarampi : Le cœur me saigne, lorsque je pense qu'il y a plus d'un an que je n'ai vu le mien, et Dieu sait combien de mois encore s'écouleront avant que j'aie ce bonheur... et une autre fois : Vous qui savez comme j'aime mon fils, vous jugerez facilement de la peine que j'éprouve de retarder le moment de l'embrasser[36] ; sa tendresse vraie se partageait uniquement entre Neipperg et une perruche nommée Margharitina[37].

Elle ne savait pas que Napoléon appelait souvent la mort pour mettre fin au supplice de sa détention lointaine. Cependant, l'Empereur avait encore quelques illusions. Un jour où il était. moins triste, il disait : Si j'étais libre, je trouverais un grand bonheur à parcourir incognito l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre, à méditer sur tout ce que je verrais... Me voyez-vous à Vienne ou à Parme, surprenant l'impératrice à la messe ou dans une promenade ? Puis, apprenant le départ du jardinier Welle qui lui avait fait remettre la boucle de cheveux du roi de Rome, il s'écriait : Il faut être bien barbare pour refuser à un époux, à un père la consolation d'entretenir une personne qui a vu sa femme depuis peu et touché son enfant !... Une autre fois, il faillit verser des larmes en constatant que, par la sauvage politique de quelques individus, il était pour toujours privé de leurs embrassements. Il avait raison de dire : Les cannibales désapprouveraient les cruautés que l'on commet ici. En effet, on ne peut comprendre que le gouverneur de Sainte-Hélène et que le baron Stürmer aient empêché un jardinier inoffensif de donner à leur prisonnier quelques nouvelles des deux êtres qu'il aimait. C'était une méchanceté vraiment inexplicable. Au mois de juin, un sieur Radovitsch, employé de la maison de commerce Biagini, qui s'était fait matelot à bord d'un bâtiment anglais chargé d'approvisionner l'île de Sainte-Hélène, fit remettre secrètement à l'Empereur un buste du roi de Rome, exécuté par un habile sculpteur de Livourne. Cette œuvre d'art échappa, non sans peine, à la vigilance cruelle d'Hudson Lowe, qui l'aurait mise en pièces, si elle fût tombée en sa possession. L'homme qui voudrait briser une telle image, s'écriait Napoléon devant O’Meara, ne serait-il pas un barbare, un monstre ? Pour moi, je le regarderais comme plus méchant que celui qui donne du poison à un autre, car il est probable que celui-ci est toujours excité par l'appât de quelque gain, tandis que le premier ne serait poussé que par la plus noire atrocité et qu'il serait capable de commettre tous les crimes... Ce buste vaut pour moi un million, quoique ce gouverneur ait dit avec mépris que ce serait beaucoup de donner cent louis de cela !... Comme O’Meara s'étonnait un jour de ce que l'Impératrice n'eût rien fait pour obtenir la délivrance de l'Empereur : J'ai, répliqua vivement Napoléon, toujours eu lieu de me louer de la conduite de ma bonne Louise, et je pense qu'il est entièrement hors de sa volonté de rien faire pour me secourir. Ainsi, éclairé ou non sur la conduite de Marie-Louise, il ne se permettait aucun reproche contre elle et la défendait généreusement en toute occasion.

Le gouvernement de la Restauration redoutait encore l'ex-Empereur, même à Sainte-Hélène. Il parait qu'en mars 1817, les journaux des Pays-Bas insérèrent une lettre apocryphe de Napoléon à la maréchale Ney. Le prince de Metternich, écrivait le marquis de Caraman au duc de Richelieu, en m'en parlant avec toute l'humeur qu'une pareille effronterie peut donner, m'a reproché encore que nous ne nous mettions pas assez en avant pour obtenir justice d'un gouvernement assez faible ou assez fort pour se permettre chez lui de pareilles attaques. M. de Caraman avait répondu que la présence des armées d'occupation était un obstacle pour une telle démonstration. Il était vraiment impossible de montrer trop de mécontentement, quand on se trouvait hors d'état de faire respecter son autorité. Cependant, le prince de Metternich blâma la modération du cabinet français. Il soutint qu'il fallait forcer les puissances à adopter des mesures violentes et efficaces, en les mettant au pied du mur ; que la seule manière était de déclarer que le Roi ne pouvait supporter plus longtemps des insultes outrageantes pour sa dignité. Il conseillait donc la rupture de toutes relations avec les Pays-Bas et un appel aux grandes puissances pour obtenir l'éloignement des sujets français proscrits. Il affirmait que l'Autriche et la Prusse soutiendraient ces revendications. Malgré ces audacieux conseils, le gouvernement de Louis XVIII n'osa point protester.

Un journal des États-Unis, l'Abeille américaine, contenait une lettre d'un sieur de Méraudet ; datée de Hambourg, le 17 avril 1817, où cet individu affirmait que l'Empereur allait être transféré à Malte. Suivant lui, Bonaparte continuait à occuper l'attention publique. Un parti perfide faisait de grands efforts en Angleterre pour exciter l'intérêt en sa faveur. On le nommait sans cesse. On le mêlait à tout. On le faisait écrire. Ses courtisans s'occupaient aussi de son fils et en voulaient à la monarchie légitime[38]. Cet article avait causé une certaine inquiétude au gouvernement, ainsi qu'une lettre du général de Montholon qui circulait secrètement et que la police recherchait avec soin. Le 11 juin, le chevalier Artaud crut devoir écrire au ministre des affaires étrangères de France qu'il était étonné de voir, dans l'Almanach militaire de la monarchie autrichienne, le nom de François-Joseph-Charles, prince de Parme. Il en avait parlé au duc de San-Carlos, qui lui avait répondu : Il ne faut pas s'étonner que l'on ait donné encore au fils de Marie-Louise le titre de prince de Parme. Il est convenu qu'il aura ce titre, parce qu'on évite de lui donner celui de Napoléon ou celui de Buonaparte. Sans cela, le prince de Metternich dit qu'il ne sait comment le nommer, et le prince ajoute que ce titre de prince de Parme ne doit laisser rien préjuger sur la question de réversibilité du duché de Parme à la branche de Bourbon qui régnera sur cet État, question qui pourra s'élever à la mort de Marie-Louise... Le chevalier Artaud ajoute : Samedi dernier, pendant que je me promenais à Schœnbrunn avec M. de Schrœbel, un garde nous prévint que l'archiduc se promenait. Nous rencontrâmes, en effet, le fils de Marie-Louise avec un sous-gouverneur et un domestique[39]. Ainsi, le roi de Rome n'était plus qu'un archiduc !... Mais officiellement on l'appelait prince de Parme. On ne pouvait tolérer cela. Aussi, le 22 juin, Artaud apprit-il avec joie que, dans l'Almanach impérial et royal de l'État, à l'article intitulé : Direction officielle du fils de Marie-Louise, on avait supprimé ce titre qui l'offensait. J'ai fait part, dit-il, de cette circonstance à M. le duc de San-Carlos, qui s'en est montré étonné et charmé[40].

Un bruit singulier courait depuis quelque temps, et le chevalier Artaud n'avait pas hésité à s'en faire le propagateur. Des rumeurs sourdes, écrivait-il à Paris, portent à croire que le prince de Metternich dira à Rome quelques mots sur la possibilité d'une déclaration de divorce entre Marie-Louise et Napoléon. On pense, ajoutait-il, que la France appuyerait de tout son pouvoir cette négociation, qui serait complétée par un mariage entre Marie-Louise et l'archiduc Reinier[41]. Cela n'était qu'une fausse nouvelle. La vérité est que si Marie-Louise avait pu divorcer, c'eût été pour former des liens légaux avec le comte de Neipperg, qui lui était devenu aussi cher qu'indispensable. En attendant, l'Autriche continuait à poursuivre Napoléon de sa haine, jusque dans sa famille qu'on redoutait surtout à cause de certaines menées en Italie. Certains disaient que le roi de Rome allait, un jour ou l'autre, être mis à la tête de ce royaume. Aussi le prince de Metternich était-il d'avis[42] que Lucien fût obligé de se rendre en surveillance, jusqu'à nouvel ordre, dans une ville du nord de l'Italie. Quelque temps après, il exprimait au baron de Vincent le regret que les puissances n'eussent pas encore adopté, envers les partisans de la Révolution française, une conduite uniforme[43]. Metternich invitait donc le gouvernement français à prendre des mesures de circonstance. Le seul remède, disait-il, est dans un accord parfait avec toutes les puissances pour étouffer partout cet esprit révolutionnaire que les derniers trois mois de règne de Napoléon en France ont développé avec plus de force et de danger qu'il n'en avait dans les premières années de la Révolution française... En conséquence, les ministres des quatre Cours alliées décrétaient l'obligation, pour les individus compris dans les diverses listes de proscription du 24 juillet 1815, de se rendre en Autriche, en Prusse ou en Russie. On exceptait de cette mesure Mme Joseph Bonaparte, aussi longtemps que sa conduite continuerait à être irréprochable. Il est vrai que, d'autre part, on n'était point rigoureux pour les régicides, vu l'âge avancé, les infirmités et le peu de fortune de la plupart d'entre eux[44].

Le 10 juin 1817, les alliés statuaient enfin sur la succession des duchés. L'infant don Charles-Louis, fils de la duchesse de Lucques, ancienne reine d'Étrurie, devait être l'héritier de Parme, Plaisance et Guastalla, à la mort de Marie-Louise[45]. Cette fois, on violait ouvertement le traité de Fontainebleau et, plus particulièrement, l'article 5, qui avait stipulé la réversibilité des duchés sur le roi de Rome. On se bornait à promettre à l'enfant une dotation pécuniaire. Cela parut suffisant à Marie-Louise, car nous trouvons plus tard cet aveu dans une lettre intime : Le sort et l'avenir de mon fils ont été fixés... Vous savez que ce n'était jamais ni des trônes, ni des États que j'ambitionnais pour mon enfant, mais je lui souhaitais d'être le plus riche et aimable particulier de l'Autriche. Mon premier souhait a été rempli par le traité du 10 juin, et je jouis d'une douce consolation, en pensant que je pourrai à présent fermer les yeux tranquillement, dans la persuasion qu'après moi mon fils ne sera ni abandonné, ni par le manque de fortune sous la dépendance de qui que ce soit[46]... Son fils n'était même plus le prince de Parme, mais un riche particulier, et cela lui semblait bien. Le conseiller de Metternich, Gentz, ne pensait pas de même. Dans une dépêche aux hospodars de Valachie, il s'occupait longuement de la question, et il révélait des faits curieux qui donnaient entre autres un démenti à l'assertion de Metternich relevée plus haut. Il rappelait que l'affaire des duchés avait été l'une des plus contestées pendant le congrès de Vienne[47]. La clause spéciale du traité de Fontainebleau aurait été annulée, si l'empereur Alexandre n'avait défendu les droits de Marie-Louise et de son fils avec une chaleur tout à fait chevaleresque. Son intervention puissante avait amené la cession temporaire de Parme pour l'ex-Impératrice. La reine d'Étrurie avait eu Lucques à titre de compensation. Mais l'Espagne, comme on l'a déjà vu, avait protesté et refusé son adhésion à la résolution du Congrès et au traité de Paris. L'été dernier, continue Gentz, le gouvernement anglais, gêné dans toutes ses relations avec l'Espagne, par la position isolée de cette puissance, et très désireux, en même temps, de fixer le sort futur de Parme et de Plaisance et l'existence problématique du petit Napoléon, sollicita vainement le cabinet de Vienne de mettre en train la négociation prévue et stipulée par l'article du Congrès. Cet article avait remis à une négociation ultérieure le règlement de la succession de Parme et de Plaisance. L'affaire était délicate et pénible pour François II. En effet, l'intérêt politique de l'Autriche était lésé par la succession d'une branche des Bourbons à Parme et Plaisance. De plus, il paraissait un peu déloyal de dépouiller de tous les droits éventuels, créés par le traité de Fontainebleau, un enfant qui, bien que fils de Napoléon, ne cessait pas d'être le petit-fils de l'empereur François. Mais la France et l'Angleterre considéraient toujours comme un sujet d'alarmes la succession de cet enfant, même dans un État de peu d'importance[48]. Le cabinet de Vienne, plus intéressé que tout autre à la tranquillité de l'Italie et à la stabilité du système que l'on venait d'y fixer, n'était pas lui-même sans inquiétude sur l'effet que la succession éventuelle du jeune Napoléon pourrait produire sur l'esprit des Italiens. L'empereur d'Autriche s'était enfin décidé à déclarer qu'il abandonnait l'héritage des duchés à la branche des Bourbons de Parme et qu'il ferait un autre sort au jeune Napoléon. Le cabinet anglais avait pu croire la question tranchée, mais une nouvelle difficulté allait bientôt surgir Ici Gentz nous apporte des renseignements inédits.

Pendant les dernières semaines de son séjour à Vienne, l'empereur Alexandre, ayant plusieurs fois conféré avec Marie-Louise, s'était réellement passionné pour ses intérêts. Il avait chargé une personne de confiance de dire à Metternich qu'il avait promis à l'ex-Impératrice de défendre non seulement sa cause, mais encore celle de son fils, et qu'il fallait assurer au roi de Rome la succession de Parme et Plaisance. Metternich fit les objections que l'on devine : résistance de la France et de l'Angleterre, etc. Alexandre insista. Metternich montra encore quelque opposition. Alors Alexandre fit rédiger une convention secrétissime par laquelle la Russie, l'Autriche et la Prusse s'engageaient à unir leurs efforts pour faire décider la question de Parme et Plaisance en faveur du jeune Napoléon. L'Autriche finit par accéder à cette convention, qui fut signée entre les trois puissances, peu de jours avant le départ d'Alexandre. Le secret fut bien gardé. Mais lorsque l'Angleterre pressa les négociations relatives à Parme, Metternich ne put dissimuler un certain embarras. Il accepta toutefois d'examiner la question. Au mois de janvier 1816, lord Cathcart ayant proposé au cabinet de Saint-Pétersbourg de s'occuper de cette affaire, l'empereur de Russie dit à ce diplomate qu'il ne pouvait entrer dans cette question, avant de s'être concerté avec la cour de Vienne, avec laquelle il avait des engagements particuliers. Cette réponse produisit une certaine sensation à Londres. Elle éveilla des soupçons. Lord Stewart voulut avoir des éclaircissements précis et questionna le cabinet de Vienne. Metternich se décida à lui confier la convention secrétissime et le mit au courant des circonstances qui l'avaient provoquée. Il ajouta cependant qu'il regardait cette pièce comme non avenue ; que les dispositions de l'Empereur son maître et les siennes étaient les mêmes qu'en octobre 1815 et qu'il était prêt à charger le général Vincent de négocier sans retard. La franchise de Metternich couvrit ce que la convention secrète de 1815 aurait pu avoir d'offensant pour l'Angleterre. La cour de Londres se contenta de cette déclaration. Afin de rétablir de meilleures relations avec l'Espagne, le Tsar céda à son tour et la succession de Parme et Plaisance revint à l'héritier de la reine d'Étrurie. Telle fut la volte-face de l'Autriche qui amena nécessairement la Russie à modifier ses premiers desseins. Gents, en exposant l'affaire, se défend de critiquer son gouvernement. Il reconnaît que son maitre et son ministre ont eu des motifs impérieux pour ce changement d'attitude. Mais il ajoute, avec une ironie évidente, que si le dénouement de l'affaire de Parme lui inspire des regrets, il s'en console par le désintéressement et par la générosité de l'Autriche, si rares dans les transactions politiques. Le jeune Napoléon, dit-il, n'est même pas nommé dans le traité sur la succession de Parme. Il est exclu tacitement de par le fait. L'Empereur, sans rien stipuler à son égard envers personne, se charge du sort de ce malheureux enfant. Il paraissait lui promettre des terres en Bohême et un apanage décent. Gents ajoute : La mère en sera inconsolable. Après les promesses magnifiques de l'empereur Alexandre, elle ne pouvait guère entrevoir une issue pareille. Les grands intérêts du monde en ont autrement ordonné[49]. Or, Marie-Louise exprimait ainsi son sentiment au sujet de cette solution : J'avoue que cette dernière m'a fait bien du plaisir[50]...

La Russie paraissait s'être rapprochée de la France, comme le montre la dépêche du chevalier Artaud au ministre des affaires étrangères, et dans laquelle ce diplomate racontait ainsi son entrevue avec le comte de Stackelberg, le 18 août 1817. Pour nous, disait Stackelberg, la France ne saurait être trop grande, trop puissante ; nous le disons, nous le prêchons, on ne nous écoute pas... Vous êtes heureux encore d'avoir à Paris M. Pozzo di Borgo ; il vous est bien dévoué... Puis, faisant allusion au congrès d'Aix-la-Chapelle : Alors l'Empereur parlera à M. de Richelieu devant tous les princes. Il lui montrera son âme. Il a une âme, l'Empereur ; qu'on le laisse faire ! Ici, que vous promet-on ?On est très convenablement avec nous. La Russie nous aime, elle doit nous aimer. Elle veut nous faire du bien, elle veut nous en faire la première, et je dirai presque, la seule. Elle est jalouse. Dans toutes les concessions, elle désire qu'on sache qu'elle a parlé d'abord, mais il ne faut pas paraître compter après elle sur l'Angleterre, ni sur l'Autriche. Une conversation avec un ministre russe est d'un grand danger. Il accable de compliments, mais il faut qu'on épouse tous ses dépits[51]. Voilà pour la Russie ; voyons maintenant pour l'Autriche. Amené à parler de Gentz, Artaud disait à Richelieu, le 19 octobre : M. de Gentz est un personnage très remarquable, dans lequel il se trouve deux individus, deux caractères et deux points de départ bien distincts. Il a d'abord été homme de lettres, et ensuite il a dirigé ses méditations vers les études diplomatiques. Il a servi de sa plume la Prusse et l'Autriche, mais le politique n'a pas cessé d'être homme de lettres. On voit bien que son premier état est d'avoir de l'esprit[52], de plaire, de chercher à persuader, de bien parler, de dire tout ce qui est susceptible d'être exprimé avec vivacité, ce qui a du piquant, du naïf, du charme ; il est aisé de s'apercevoir que quelquefois il est tout à fait à sec dans la connaissance des affaires, et qu'alors il n'a plus d'autre secours qu'une sagacité très exercée, à l'aide de laquelle il surprend ce qu'on ne lui a pas confié dans le cabinet de Vienne. Enfin Artaud informait M. de Richelieu, le 14 novembre 1817, que Gentz lui avait fait cette confidence : Vous comptez sur la Russie, mais n'y comptez pas. Elle vous poussera et ne fera que de faibles efforts pour vous. Savez-vous qui décidera tout ?car voilà la question. — La Prusse ! Puis il disait, quelques jours après, qu'il avait vu le secrétaire particulier de Metternich. Celui-ci avait voulu faire insérer dans le Beobachter un article de l'Allgemeine Zeitung, n° 137. Dans cet article, qui est très bien fait et dans un sens favorable à votre ministère, on parle des différents partis de la France, entre autres des bonapartistes, et l'on dit que ceux-ci n'ont plus de crédit et sont peu à redouter. J'ai donc voulu faire insérer cet article, et la censure de la chancellerie s'y est opposée, mais l'article paraîtra deux jours plus tard[53]. Les diplomates se dénonçaient entre eux. Caraman mandait à Richelieu, le 5 décembre 1817, que le comte de Stackelberg avait de vraies inquiétudes sur la sincérité de Metternich[54].

La France avait donc à se défier aussi bien de l'Autriche que de la Russie et des autres puissances, car leur sympathie n'était qu'apparente. Pendant qu'elle cherchait par son gouvernement quelque appui en Europe contre les menées bonapartistes qu'elle redoutait plus que jamais, pendant que Louis XVIII et ses ministres ne trouvaient pas Napoléon assez éloigné et assez surveillé, un seul monarque, négligeant les offenses reçues, — et Dieu sait si elles avaient été longues et douloureuses ! — un seul, le pape Pie VII, intercédait en faveur du captif de Sainte-Hélène. Il mandait de Castel-Gandolfo, le 6 octobre 1817, à Consalvi, que la famille de Napoléon lui avait fait connaître les souffrances de l'Empereur à Sainte-Hélène. Il l'invitait à écrire en son nom aux souverains alliés, et notamment au prince régent, pour les prier d'adoucir les rigueurs de son exil. Il se souvenait qu'après Dieu c'était à Napoléon qu'on devait le rétablissement de la religion en France. Savone et Fontainebleau, ajoutait-il, ne sont que des erreurs de l'esprit et des égarements de l'ambition humaine[55]. Cette noble et touchante intervention d'un pontife qui avait été l'objet des plus indignes traitements de la part de l'Empereur, suffit pour montrer ce que peut une religion où le pardon est considéré comme une vertu. Pie VII avait demandé aux ennemis de Napoléon une grâce qu'ils refusèrent. Ils eurent tort. Ces souverains, qui se disaient les représentants de Dieu sur la terre, qui parlaient en toute occasion des principes sacrés et du droit éternel, oubliaient que leur premier devoir était la clémence et que manquer à ce devoir, c'était exposer leurs propres dynasties aux périls d'un avenir plus ou moins éloigné. Mais leurs passions parlaient plus haut que leurs consciences[56]. Après avoir éloigné pour jamais Napoléon de la France, ils allaient entourer le roi de Rome d'une surveillance inquiète et jalouse. L'Angleterre s'était constituée le geôlier du père ; l'Autriche se constituait le geôlier de l'enfant.

 

 

 



[1] François II connaissait les desseins dei autres puissances à l'égard de l'Empereur. Wellington était si pressé de s'en emparer qu'il aurait voulu que le Gouvernement provisoire livrât de ses propres mains Napoléon aux alliés.

[2] Il ignorait que Castlereagh, lors du traité de Fontainebleau, s'était opposé à ce qu'on lui maintint le titre d'Empereur et avait préconisé une autre position que celle de l'ile d'Elbe pour lui servir de retraite.

[3] Archives des Affaires étrangères, Vienne, 1803.

[4] Le premier lieu de détention choisi était plus humain, puisque Metternich avait écrit le 18 juillet à Marie-Louise en l'informant de l'arrivée de Napoléon sur le Bellérophon : D'après un arrangement fait entre les puissances, il sera constitué prisonnier au fort Saint-Georges dans le nord de l'Écosse et placé sous la surveillance de commissaires autrichiens, russes, français et prussiens. Il y jouira d'un très bon traitement et de toute liberté, compatible avec la plus entière, sûreté qu'il ne puisse échapper. (Mémoires, t. II, p. 526.)

[5] Ne faut-il pas voir dans ces dernières lignes une précaution de Napoléon ? S'il s'était laissé aller à un juste ressentiment, c'est son fils qui en eût probablement supporté la peine. D'autre part, il lui eût répugné de faire rougir le fils devant sa mère.

[6] Archives des Affaires étrangères, France, vol. 1803.

[7] Affaires étrangères, France, vol. 1803.

[8] Affaires étrangères, France, vol. 1803.

[9] Mémoires, t. IV.

[10] On verra plus loin que l'empereur d'Autriche a devancé lui-même les désirs de Louis XVIII à ce sujet.

[11] Voici la lettre que Marie-Louise écrivit à Mme Soufflot le 19 octobre 1815 : Les circonstances m'obligeant de mettre mon fils dans les mains des hommes, je ne veux pas vous laisser partir, Madame, sans vous assurer de toute la reconnaissance que je vous ai vouée pour toutes les peines que vous vous êtes données pour la première éducation de mon fils qui a si complètement réussi au gré de mes désirs. Je désirerais pouvoir vous prouver, de loin comme de près, toute ms satisfaction, et je vous prie de croire que je serais heureuse de trouver une occasion pour vous le prouver.

L'enfant impérial n'oublia pas sa sous-gouvernante, qui de retour à Paris lui avait adressé quelques jouets. Il lui écrivait le 17 janvier 1816 : Ma chère Toto, je vous aime toujours beaucoup ; nous parlons souvent de vous et je vous embrasse, ainsi que Fanny, de tout mon cœur.

Marie-Louise, en envoyant ce mot, ajoutait : Mon fils, qui me charge de cette lettre, vous remercie bien de tous les jolis souvenirs que vous lui avez envoyés. Nous parlons souvent de vous et je lui montre toute la reconnaissance que nous vous devons tous deux pour les soins que vous avez bien voulu lui rendre, ainsi que Fanny. J'ai vu avec plaisir, par votre lettre, que vous aviez retrouvé votre famille bien portante. Elle aura été heureuse de vous revoir après une si longue sortie. Mon fils et moi nous jouissons de la meilleure santé et je suis fort contente de ses progrès et du développement de son intelligence. Je vous prie de croire que je pense souvent à vous et que je fais des vœux bien sincères afin que dans le courant de cette année voua n'éprouviez que du bonheur.

Votre très affectueuse,

MARIE-LOUISE.

(Collection Antonin Lefèvre-Pontalis.)

[12] Voir les intéressants détails donnés par le capitaine Foresti à M. de Montbel. (Le duc de Reichstadt.)

[13] J'ai retrouvé dans un opuscule absolument oublié, Du système de l'éducation du roi de Rome et des princes français, publié à Londres en 1820 en un texte moitié anglais, moitié français, un travail daté de Saint-Cloud, le 27 juillet 1812. C'est dans l'empire de Dieu sur les rois, dit cet opuscule, que doivent se puiser les principes de l'éducation des princes du sang de Napoléon faits pour obéir et pour commander... L'auteur, qui doit être un impérialiste passionné, dit à propos des sujets qu'il faudra soumettre au jeune prince : Dieu et l'Empereur seront l'inépuisable sujet de ses compositions.

[14] Voir sur ce sujet une Lettre de Roi, publiée par moi dans la Revue des Études historiques, en mai 1893.

[15] Dépêches inédites aux hospodars de Valachie.

[16] Ces craintes ne rappellent-elles pas les vers d'Oreste dans la première scène d'Andromaque :

Je viens voir si l'on peut arracher de ses bras

Cet enfant dont la vie alarme tant d'États.

[17] Il va sans dire que la reine d'Étrurie refusa d'obéir à cette proposition. Une dépêche de Vienne attestait qu'on avait informé Marie-Louise qu'elle ne devait plus user dorénavant du titre d'Impératrice, ce qui, ajoutait la dépêche, lui a été extrêmement sensible. (Affaires étrangères, Vienne, année 1816.)

[18] Archives des Affaires étrangères, Vienne.

[19] J'ai reçu avec sensibilité, écrivait alors Marie-Louise au marquis de Bausset, la démission de votre charge de grand-maître de ma maison que vous avez remplie avec autant de zèle que de fidélité. Les circonstances seules dans lesquelles je me trouve me font une loi de l'accepter. (Affaires étrangères, Vienne.)

[20] La sous-gouvernante de l'enfant, Mme Soufflot, qui était partie avec sa fille Fanny, au mois d'octobre précédent, avait été comblée de prévenances par Marie-Louise, par les princes et tout leur entourage. Chacun avait rendu hommage à sa conduite et à son zèle. Le gouverneur, comte de Dietrichstein, lui avait adressé, le 20 octobre 1815, les vers suivants :

Les mêmes soins nous occupaient tous deux

Et j'attachais au prix à ce partage ;

De sincère amitié nous avons plus d'un gage,

Même intérêt, même espoir, mêmes vœux.

(Collection Amédée Lefèvre-Pontalis.)

[21] Archives des Affaires étrangères, Vienne.

[22] Archives des Affaires étrangères, Parme, vol. 5.

[23] Archives des Affaires étrangères, Parme. — Cité par M. I. de Saint-Amand.

[24] Archives des Affaires étrangères, Parme.

[25] Correspondance de Marie-Louise (1799-1847), Vienne, 1887, Gérold.

[26] Correspondance de Marie-Louise (1799-1847), Vienne, 1887, Gérold.

[27] Archives des Affaires étrangères, Vienne. — L'Autriche voulut revenir là-dessus en 1830. Elle fut si mal accueillie qu'elle cessa désormais toute réclamation à cet égard.

[28] La Russie ne témoignait pas autant de déférence envers le gouvernement français. Gents rappelait dans son Journal, à la date du 13 septembre 1816, qu'Alexandre se plaisait souvent à relever les fautes énormes des Bourbons depuis leur retour. Il verse le sarcasme à pleines mains, disait-il, sur leur conduite faible et vacillante, sur leur attachement superstitieux aux anciens usages et à l'ancienne étiquette, sur l'ignorance et le fanatisme des émigrés sur la folie des ultra-royalistes. (Journal de Fr. de Gentz.)

[29] Archives des Affaires étrangères, Florence, cité par M. I. de Saint-Amand.

[30] Mémorial de Sainte-Hélène.

[31] MONTHOLON, t. I.

[32] Il ne faut pas oublier cette dépêche de lord Liverpool à lord Castlereagh, datée de Fivehouse le 29 juillet 1815 : Si le roi de France voulait pendre ou fusiller Bonaparte, ce serait à mes yeux la meilleure solution pour cette affaire.

[33] Rapports du baron Stürmer, 13 décembre 1816. — Voyez le même incident dans la Captivité de Sainte-Hélène, d'après les rapports du marquis de Montchenu, par M. Georges Firmin-Didot, p. 96 et suivantes. — Il paraîtrait que c'est la fille de Mme Soufflot qui eut, la première, l'idée d'envoyer cette boucle de cheveux à Napoléon.

[34] Mon calme imperturbable, mon immuable sérénité m'ont valu la confiance de tout le monde ! disait un jour Metternich à Varnhagen. (Salons de Vienne.)

[35] 30 mars 1817.

[36] 11 avril.

[37] Correspondance de Marie-Louise, p. 198.

[38] Archives nationales, F7 6068.

[39] Archives des Affaires étrangères, Vienne, 1817.

[40] Archives des Affaires étrangères, Vienne, 1817.

[41] Archives des Affaires étrangères, Vienne, 1817.

[42] 2 juin 1817. Affaires étrangères, vol. 1803.

[43] 22 juin 1817. Affaires étrangères, vol. 1803.

[44] 10 juillet 1817. Affaires étrangères, vol. 1803.

[45] Ce petit prince avait écrit, sous la dictée de sa mère, à Napoléon, le 24 juillet 1807 : Sire, maman me parle toujours de vous. Je vous aime et je veux vous connaître. En attendant, envoyez-moi votre portrait, qu'il y a longtemps que maman souhaite et que vous lui avez promis. (Le royaume d'Étrurie, par P. MARMOTTAN.)

[46] Correspondance de Marie-Louise, 13 octobre 1817.

[47] Voir ANGEBERG, le Congrès de Vienne, t. I et II.

[48] Lorsque le traité du 17 juin fut connu en France, le Protocole proposa, puisque la succession de Parme était assurée à la reine d'Étrurie et à son fils, de rétablir l'article PARME dans l'Almanach de 1818. On placerait d'abord, disait une note officielle, l'archiduchesse Marie-Louise comme duchesse de Parme, puis la reine d'Etrurie et son fils comme héritiers présomptifs et éventuels. Le ministre y consentit. (Affaires étrangères, Parme, vol. 5.) — On poussa la condescendance plus loin, car, en 1819, on mit après le nom de Marie-Louise celui du lieutenant général comte de Neipperg, chevalier d'honneur de Sa Majesté.

[49] Dépêches inédites aux hospodars de Valachie.

[50] Correspondance intime, p. 199, 200.

[51] Archives des Affaires étrangères, Vienne, vol. 398.

[52] Ce n'était pas seulement de l'esprit que recherchait Gentz, c'était encore de l'argent. Il a été un des écrivains les plus pensionnés de l'Europe, et il a reçu de toutes mains, sans vergogne. Voici ce que contenait son Journal (t. II), à la fin de 1816 : Finita la commedia pour 1816. Année brillante dans l'histoire de ma vie. Rétablissement de ma santé, affaires importantes, perspectives riches. Je suis content de moi-même, jouissant de beaucoup de choses et me moquant du reste. Ailleurs, il fait complaisamment le compte de ses gains et il s'en vante. Ainsi, en 1814, il a récolté en bénéfices extraordinaires 48.000 florins, dont 24.000 du roi de France remis par Talleyrand. Il fait un jour savoir à notre ambassadeur à Vienne qu'une augmentation pécuniaire de 250 ducats sera reçue avec une très vive reconnaissance et qu'on y attachera au moins autant de prix qu'on pourrait le faire à une décoration dont on n'a déjà que trop. (Affaires étrangères, Vienne, vol. 404.)

[53] Il y était question d'une fausse protestation de Marie-Louise. Voir plus haut, ch. VII.

[54] Gentz ajoutait dans un autre accès de franchise : Faites des vœux pour que la France et l'Autriche ne s'entendent jamais ! (Affaires étrangères, Vienne, vol. 398.)

[55] Voyez L'Église romaine et le premier Empire, par le comte D'HAUSSONVILLE, t. V, p. 347. — Le Journal de Luisbourg et l'Abeille américaine ont publié, en novembre 1817, une autre lettre attribuée à Pie VII et adressée par lui à Alexandre. Après examen de cette lettre et après de minutieuses recherches faites à Rome par l'entremise très obligeante de Mgr Cali, je me suis convaincu que cette pièce était apocryphe. (Archives nationales, F7 6668.)

[56] Le bruit courut plus tard qu'Alexandre aurait reproché à Napoléon de ne pas s'être adressé à la générosité de la Russie : Il le pouvait, aurait-il dit, et s'il l'avait fait, il serait peut-être encore Empereur des Français. (Mémoires d'un homme d'État, t. XII.)