LE ROI DE ROME (1811-1832)

 

CHAPITRE VII. — LA COUR DE VIENNE ET LE RETOUR DE L'ÎLE D'ELBE.

 

 

L'influence du comte de Neipperg sur Marie-Louise se faisait sentir de plus en plus. C'est ainsi qu'il avait amené l'Impératrice à céder au désir, hautement exprimé par le prince de Metternich, de ne plus communiquer avec l'île d'Elbe et de remettre au premier ministre et à l'empereur François II les lettres qu'elle recevrait de Napoléon. Elle osa avouer ce fait à Méneval. Et, grâce à cette lâche soumission, l'empereur d'Autriche, voulant prouver jusqu'où allait son énergie personnelle, avait pu montrer aux alliés réunis à Vienne une lettre où Napoléon se plaignait, à la date du 20 novembre, du silence obstiné de Marie-Louise. Le captif de l'île d'Elbe avait dit, à ce propos, au commissaire anglais, le colonel Campbell : Ma femme ne m'écrit plus. Mon fils m'est enlevé, comme jadis les enfants des vaincus, pour orner le triomphe des vainqueurs. On ne peut citer dans les temps modernes l'exemple d'une pareille barbarie ! Hélas ! on pouvait citer l'arrachement du petit Louis XVII à sa mère et son enfance livrée à la férocité et à la perversité du savetier Simon, actes abominables qui resteront parmi les plus grandes monstruosités que l'histoire ait jamais relevées et flétries.... On pouvait citer encore l'enlèvement et le meurtre du duc d'Enghien ; attentat inique dont l'auteur, à son insu peut-être, subissait en ce moment même le châtiment... Mais si tout à coup la pensée de Napoléon le ramenait à la fatale matinée du 21 mars, il devait se dire avec effroi qu'il' avait méconnu, onze ans auparavant, le désespoir d'un père, et qu'il n'avait pas reculé devant l'assassinat d'un jeune prince innocent, croyant en être absous par l'approbation de lâches courtisans et par la trop facile raison d'État.

Méneval, qui, en ces tristes circonstances comme partout ailleurs, se montra homme de cœur et de courage, faisait parvenir de temps à autre à Pile d'Elbe des nouvelles de Marie-Louise et du roi de Rome. La plus grande distraction de Méneval était, — il l'avoue dans ses intéressants Souvenirs, — de passer chaque jour quelques heures dans l'appartement du petit prince. Il loue sans restriction sa gentillesse et sa douceur, son intelligence précoce, ses vives reparties. Il en fait alors ce gracieux portrait qui répond fidèlement à celui d'Isabey placé en tète de cet ouvrage : une chevelure blonde et bouclée, de beaux yeux bleus, un teint frais et animé, des traits réguliers. La santé de l'enfant était excellente et permettait de lui donner une instruction au-dessus de son âge. Sa dévouée gouvernante avait pour lui une tendresse et des soins exceptionnels. Elle le levait habituellement à sept heures du matin. Après une prière où le roi de Rome n'oubliait jamais son père, commençaient les leçons. Déjà l'enfant, qui allait avoir quatre ans, lisait couramment. C'était avec l'aimable fille de Mme Soufflot qu'il avait appris ses premières lettres. Il possédait quelques petites notions d'histoire et de géographie. L'aumônier de la Légation française, l'abbé Lanti, lui parlait italien ; un valet de chambre lui parlait allemand ; cette dernière langue ne plaisait guère au roi de Rome ; il en trouvait la prononciation rude et pénible[1]. Après ses leçons, l'enfant courait à ses promenades et à ses jeux dans le parc de Schœnbrunn. Le jour des Rois, Marie-Louise donna un goûter à ses frères et à ses sœurs. Elle y fit venir son fils, et le hasard voulut qu'il trouvât la fève dans sa part de gâteau. On but à la santé du petit roi, et le jeune prince se réjouit des acclamations qui saluaient sa royauté fortuite, aussi éphémère cependant que la royauté dont son père avait cru lui assurer le pompeux héritage.

Marie-Louise ne cessait de penser aux duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla, que lui avait concédés le traité de Fontainebleau, sous la garantie des alliés et du gouvernement français. Mais, comme je l'ai dit plus haut, tout était remis en question par l'opposition subite.de la France et de l'Espagne. Le prince de Talleyrand, qui venait de signer, avec l'Autriche et l'Angleterre, un traité secret d'alliance défensive contre la Russie et la Prusse, espérait toujours que l'Autriche abandonnerait Parme à la reine d'Étrurie ou au jeune roi, son fils. L'adroit négociateur aurait voulu également que Metternich lui sacrifiât les intérêts du roi Murat, mais il redoutait d'être moins exaucé sur ce point que sur l'autre, car il savait que le ministre de François II était passionnément épris de la reine de Naples. Ce détail faisait sourire Louis XVIII et lui inspirait ce souvenir classique : Si Antoine abandonna lâchement sa flotte et son armée, du moins c'était lui-même et non pas son ministre que Cléopâtre avait subjugué[2]... Dans sa lettre du 19 janvier 1815 au Roi, Talleyrand laissait entendre qu'il avait quelque motif d'espérer que l'archiduchesse Marie-Louise serait réduite à une pension considérable : Je dois dire à Votre Majesté, ajoutait-il, que je mets à cela un grand intérêt, parce que décidément le nom de Buonaparte serait par ce moyen, et pour le présent et l'avenir, rayé de la liste des souverains, l'île d'Elbe n'étant à celui qui la possède que pour sa vie, et le fils de l'archiduchesse ne devant pas posséder d'État indépendant[3]. Le 15 février, il donnait au roi de France des détails minutieux sur l'affaire des duchés qui le préoccupait toujours. La commission, chargée des arrangements territoriaux, avait proposé de rendre à la reine d'Étrurie Parme, Plaisance et Guastalla ; les Légations an Saint-Siège ; Lucques, les Présides, Piombino et la réversion de l'île d'Elbe au grand-duc de Toscane. Quant à Marie-Louise, avec la pension payée par la Toscane, elle aurait eu quelques fiefs situés en Bohême. Talleyrand ajoutait que ce plan, inspiré par lui, permettrait de diminuer en Italie les petites souverainetés et d'enlever au fils de l'archiduchesse tout espoir de gouverner le moindre État. Après bien des atermoiements, François II paraissait consentir à rendre les duchés à la reine d'Étrurie et à attribuer Lucques à Marie-Louise, avec deux pensions sur l'Autriche et sur la France, à la condition que Lucques reviendrait à l'Autriche après la mort de l'archiduchesse. Talleyrand laissait entendre qu'il y aurait discussion sur ce dernier point, comme sur la pension française. Il en avait parlé à Metternich et ne semblait pas satisfait de, son entretien. Sa grande présomption et sa grande légèreté, disait-il, l'avaient empêché de prévoir qu'il pourrait ne pas avoir un succès complet. Mais, au premier mot, l'archiduchesse Marie-Louise a paru ne pas vouloir se contenter de Lucques, ni même se souvenir de cette principauté, où il ne lui serait pas agréable d'aller, disait-elle, tant que Napoléon sera à l'île d'Elbe. S'appuyant sur le traité du Il avril, elle voulait au moins quelque chose d'équivalent au duché de Parme. Elle aurait bien accepté les Légations, mais on craignait que la cour de Rome ne jetât les hauts cris... Metternich avait, en dernier lieu, demandé trois jours de délai pour arriver à une détermination ferme.

Le 13 février, Talleyrand eut un entretien désagréable avec l'empereur Alexandre. Celui-ci lui demanda brusquement pourquoi la France n'exécutait pas le traité de Fontainebleau. C'était une affaire d'honneur, et lui et l'empereur d'Autriche étaient blessés qu'on ne s'y conformât point. Quand on pense que, dans ce moment même, le cabinet de Vienne se disait prêt à abandonner Parme à la reine d'Étrurie, contrairement aux engagements pris le Il avril, on se demande lequel était le plus fourbe de Talleyrand ou de Metternich. Pressé ensuite sur la question de savoir pourquoi le gouvernement français ne faisait pas remettre à Napoléon les sommes fixées par le même traité, Talleyrand essayait de se tirer d'affaire en faisant remarquer qu'il y aurait du danger à fournir des moyens d'intrigue aux personnes que l'on pouvait croire disposées à en former[4]. L'empereur de Russie prit cette réponse pour ce qu'elle valait. Devant son attitude, Talleyrand ne craignit pas de dire au Roi que l'affaire du traité du 11 avril était à l'ordre du jour ; que tout le monde en parlait ; qu'elle reparaissait souvent et d'une manière déplaisante. Louis XVIII pouvait, selon lui, se débarrasser de certains points pénibles au moyen d'un arrangement avec l'Angleterre, laquelle prendrait peut-être à sa charge les pensions stipulées. Le 26 février, Talleyrand fit encore remarquer que l'empereur de Russie était fort actif dans les affaires de l'archiduchesse, et qu'il avait dressé un plan dans lequel les Légations seraient presque en entier enlevées au Pape, ce qui mettrait Alexandre en opposition avec les principes convenus entre les plénipotentiaires des grandes puissances. Une lettre, venue de Vienne à cette date, apprenait au ministre des affaires étrangères à Paris que le projet, soutenu par la France, de restituer Parme et Plaisance à la reine d'Étrurie et d'apanager Marie-Louise, venait d'être rejeté, quoique l'Autriche y eût d'abord consenti. L'opinion publique attribuait ce changement à l'empereur de Russie, qui s'intéressait vivement au sort de la malheureuse princesse. On dit, ajoutait la lettre, que le prince de Talleyrand s'était adressé à un diplomate russe pour gagner son influence en faveur de la reine d'Étrurie, et que celui-ci lui avait répondu qu'il était impossible de donner à une autre les pays qui avaient été assignés à l'impératrice des Français par le traité de Fontainebleau. — Ce traité, a dit Talleyrand, a été signé le pistolet sur la gorge. — N'oubliez pas, répliqua gravement le ministre, que c'est le même pistolet qui a remis Louis XVIII sur le trône de France ![5]

Le Roi répondit à son ambassadeur, le 3 mars, que lord Castlereagh avait également insisté auprès de lui pour l'exécution de la convention du Il avril. Le diplomate anglais, se disant d'accord avec le ministre autrichien qui consentait à coopérer à l'expulsion de Murat, lui avait demandé de reconnaître que les duchés fussent donnés à Marie-Louise. Il était, d'ailleurs, entendu que les trois branches de la maison de Bourbon se chargeraient d'indemniser la reine d'Étrurie. Le Roi avait répondu que si l'Autriche tenait à ce que la convention du Il avril fût exécutée à l'égard de l'archiduchesse Marie-Louise, il exigeait que la reine d'Étrurie, ou son fils, reçût en indemnité Lucques et l'État des Présides. En outre, il posait la condition que la souveraineté de Parme serait reconnue comme appartenant à la Reine ou à son fils et devrait leur revenir à la mort de Marie-Louise, époque à laquelle Lucques et les Présides seraient réunis à la Toscane. A la même date, Talleyrand, assuré de plaire au Roi qui ne pouvait supporter les airs protecteurs de l'empereur de Russie, se raillait de ce souverain en ces termes : L'Empereur, disait-il[6], a promis d'être chez lui pour la Pâque russe, et je crois que de tant de promesses qu'il a faites, c'est la seule qu'il tiendra, parce qu'il verrait pour lui de l'inconvénient à ne pas la tenir... Ce besoin, ou ce désir que tout le monde a de s'en aller, hâtera la conclusion des affaires. Ces affaires allaient devenir bientôt plus graves qu'on n'aurait pu le supposer, et les railleries devaient faire place à des préoccupations extrêmement importantes.

On a dit que Marie-Louise, préoccupée de l'avenir de son fils et renonçant tout à coup à sa froide indifférence, aurait, à la date du 19 février 1815, fait valoir auprès du Congrès les droits de ce fils à la couronne de France, et que cette protestation aurait été insérée au protocole du 24 février dudit Congrès, malgré le refus de signer fait par les ministres français. J'ai compulsé les protocoles aux Affaires étrangères et n'y ai rien trouvé[7]. J'ai seulement, dans un des volumes originaux du congrès de Vienne qui contient diverses pièces, découvert une copie de cette protestation à la date indiquée, copie faite d'après le Vrai Libéral du 10 août 1817, qui l'avait empruntée à des journaux anglais[8]. Metternich et Talleyrand n'en disent rien. Je veux bien faire une courte analyse de cette pièce dont on n'a pas encore parlé, mais je me hâte de dire qu'elle me parait apocryphe. Marie-Louise y prenait une allure fière qu'on ne lui connaissait pas. Elle citait l'exemple de Marie-Thérèse ; elle revendiquait les droits de. son fils au trône de France donné par le peuple et consacré par Dieu, trône national et de droit divin. Elle présentait un long exposé historique des événements qui avaient amené Napoléon à prendre le pouvoir suprême et à en faire reconnaître la légitimité par toutes les nations. Elle composait un tel éloge de l'Empire et attaquait avec tant de violence la monarchie légitime que je ne doute pas que cette protestation ne vienne de Sainte-Hélène ou n'ait été fabriquée dans quelque officine bonapartiste. On peut donc affirmer, sans crainte de se tromper, que jamais Marie-Louise n'a été capable d'écrire ni de signer une pièce pareille. Ce qui était plus vrai, c'est que Marie-Louise, qui voulait à tout prix conserver les duchés de Parme, Plaisance et Guastalla, avait confié au comte de Neipperg tous ses intérêts. Celui-ci, qui s'était préalablement assuré de l'adhésion et de l'appui secrets d'Alexandre, avait promis de les défendre énergiquement, mais à la condition que l'Impératrice ne songerait pas à demander la réversion des duchés pour son fils, ni à vouloir l'emmener avec elle. Cette dernière proposition eût dû paraître inadmissible à une mère ; cependant elle fut acceptée par Marie-Louise. Méneval, qui était au courant de tous ces conciliabules, ne put s'empêcher de dire combien il était affecté de voir l'Impératrice prendre si facilement son parti[9]. Elle n'écoutait plus que Neipperg. Elle avait fini par s'attacher à lui, au point que, le général ayant reçu l'ordre de se rendre provisoirement à Turin, elle alla demander à Metternich la permission de le garder auprès d'elle jusqu'au règlement définitif de ses affaires. Le ministre céda. Cette demande ne dérangeait point ses plans, au contraire.

 

L'événement qui allait subitement arrêter à Vienne les bals, les concerts, les tableaux vivants, les jeux, les loteries et les redoutes était, comme on le sait, le retour de l'île d'Elbe.

J'ai été personnellement frappé, et depuis longtemps, de voir que beaucoup d'historiens[10] ont attribué si peu d'importance aux raisons intimes qui agirent si fortement sur l'esprit de Napoléon et le décidèrent à sortir de l'île d'Elbe. Il est cependant de la dernière évidence que la non-exécution du traité du Il avril 1814 a dû particulièrement impressionner et irriter l'Empereur. Ainsi on ne lui avait pas encore remis la rente des deux millions promis ; on laissait dire partout 'que les duchés de Parme, Plaisance et Guastalla allaient revenir à la reine d'Étrurie, et qu'une pension serait seulement allouée à Marie-Louise. On ne donnait plus à l'impératrice les titres que l'article 2 du traité lui avait cependant maintenus comme à l'Empereur. La famille impériale, qui eût dû être traitée avec égards, était l'objet de menaces non déguisées Enfin on n'avait pas encore attribué aux officiers et aux serviteurs de l'Empereur, sur les fonds placés par Napoléon sur le Grand-Livre, la Banque et les actions des forêts, les gratifications promises par l'article 4. Un tel oubli des actes approuvés officiellement par l'Europe et le gouvernement français était fait pour l'exaspérer. Mais il y avait autre chose. Napoléon savait qu'à Vienne on avait parlé, entre diplomates[11], de la nécessité de l'enlever de File d'Elbe et de le mener soit aux Açores, soit à Sainte-Lucie. Un nommé Mariotti, consul de France à Livourne, avait écrit à Talleyrand, le 28 septembre 1814, qu'il serait facile de l'enlever et de le conduire à l'île Sainte-Marguerite[12]. On a contesté ce fait. Or, une nouvelle lettre de Mariotti, découverte récemment par M. Wertheimer et datée du 5 octobre 1814, a été, celle-là, vraiment envoyée à Talleyrand. Elle est ainsi conçue : J'ai adressé le 28 (septembre) à Paris et le 30 à Vienne le projet d'une entreprise destinée à enlever le voisin. Ce projet est, à mon avis, le seul qui puisse réussir en ce moment. Pour peu que le capitaine (Taillade) du brick (l'Inconstant) entre dans nos intérêts, le succès est certain. J'ai exposé dans mes rapports les moyens à employer pour le sonder et pour le séduire J'envoie maintenant de Genève un marchand de légumes, et de Florence par Piombino (à l'île d'Elbe) une marchande de modes, car tout ce qui vient d'ici est tellement suspect qu'un séjour de plus de trois jours est impossible. Je fais tout pour arriver à bonne fin, mais je plie sous le poids des dépenses, car jusqu'ici je n'ai pas reçu un rouge liard[13]. Le fait est donc certain aujourd'hui. Outre l'enlèvement, il avait été question de l'assassinat. Des bruits sérieux étaient venus jusqu'à l'Empereur, qui avait cru devoir prendre les précautions les plus minutieuses dans l'île d'Elbe et autour de l'île. Enfin, on s'était appliqué à écarter de Parme sa femme et son fils, pour les empêcher de le venir voir et de demeurer avec lui. On avait arrêté toute correspondance entre eux, comme si les liens du sang étaient à jamais rompus

En conséquence, il est permis de dire : Si Napoléon n'a pas tenu ses engagements, qu'est-ce que l'Europe a fait des siens ? Pourquoi lui a-t-elle fourni des motifs plausibles pour s'échapper de sa retraite ?... On voit que la politique autrichienne, mesquine et méchante, portait ses fruits. Elle jetait l'Europe dans de nouveaux périls ; elle l'exposait à de nouvelles angoisses ; elle allait affaiblir la monarchie des Bourbons, faire verser inutilement des flots de sang, bouleverser et ruiner la France déjà si éprouvée, amener sur son sol attristé les confiscations, les proscriptions, la terreur et la guerre civile... Encore une fois, si l'Empereur eût trouvé devant lui des souverains et des ministres faisant honneur à leurs serments et à leurs signatures, s'il avait eu la situation solennellement promise par le traité du Il avril 1814, si on lui avait épargné la douleur de le séparer brutalement de sa femme et de son fils, si des projets sinistres n'avaient pas menacé sa liberté et sa vie, il eût été impardonnable de quitter sa retraite et de rejeter sa patrie dans des maux incommensurables. Sans doute, les débuts de la Restauration n'avaient pas été heureux. Sans doute, de nombreux mécontentements s'étaient élevés, et leurs rumeurs étaient arrivées jusqu'à l'ile d'Elbe. Mais quelle que fût l'ambition de Napoléon, quel que fût son désir de reprendre le pouvoir, de châtier ses ennemis, de punir les traîtres.et de dominer encore une fois l'Europe, s'il s'était trouvé en face des alliés respectueux de son infortune et de ses droits suprêmes, il n'eût pu invoquer des raisons sérieuses pour justifier sa réapparition parmi les Français. Il faut bien admettre encore que la façon insolente dont le congrès de Vienne osait traiter la France, et que les mesures impolitiques des Bourbons contre les institutions nouvelles et contre les soldats de la vieille armée, avaient fait bouillonner son sang et lui avaient inspiré Fardent désir de défendre les unes et de venger les autres. Toutefois, ce qu'on a appelé les causes secondaires, c'est-à-dire la violation des articles du traité et les menaces dirigées contre lui et les siens, a dû figurer, suivant moi, parmi les causes primordiales de son départ. Une politique plus habile, sinon plus généreuse, eût évité de les lui fournir.

 

En remettant le pied sur le sol français, l'Empereur disait au peuple : J'arrive parmi vous reprendre mes droits. Tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Il affirmait à ses soldats qu'ils n'avaient pas été vaincus, et il les invitait à reprendre le drapeau tricolore, le drapeau de la nation et de la victoire. Nous devons oublier, ajoutait-il cependant, que nous avons été les maitres des nations, mais nous ne devons pas souffrir qu'aucune se mêle de nos affaires. Ces paroles allaient droit au cœur des Français. Mais l'étranger ne croyait pas à la modération de Napoléon et au changement de sa politique. Ce fut dans la soirée du 6 mars qu'on apprit à Vienne la nouvelle de son retour. On donnait à ce moment à la Burg devant les membres du Congrès une belle représentation de tableaux vivants[14], lorsqu'une agitation subite se manifesta parmi les spectateurs. Comme cela se voit au troisième acte d'un grand opéra, la fête fut brusquement interrompue. Les empereurs et les rois se réunirent aussitôt pour se concerter sur les mesures à prendre. Le 7 mars, Talleyrand, qui avait eu connaissance de la terrible nouvelle par un agent des Rothschild de Vienne, et par M. de Metternich, en informa Louis XVIII à tout hasard. Il croyait que Bonaparte se porterait de côté de Gênes ou vers le midi de la France. Il conseillait aussitôt de le traiter comme un bandit[15]. Je ferai, disait-il, tout ce qui sera en moi pour qu'ici l'on ne s'endorme pas et pour faire prendre par le Congrès une résolution qui fasse tout à fait descendre Bonaparte du rang que, par une inconcevable faiblesse, on lui avait conservé, et le mette enfin hors d'état de préparer de nouveaux désastres à l'Europe. Le 12 mars, il informait le Roi que le projet de déclaration contre Bonaparte avait été rédigé par la légation française et communiqué à Wellington et à Metternich. Il lui importait plus qu'à personne de montrer contre Napoléon un acharnement impitoyable, parce que la haute société de Vienne et la plupart des diplomates le soupçonnaient de connivence avec l'Empereur. Aussi, lui d'ordinaire si réservé, se répandait-il en paroles menaçantes. Il disait à tout propos que l'on devait a lui courir sus comme à un chien enragé s. Il pariait, en proposant une forte somme, que dans trois mois l'usurpateur serait anéanti[16].

Talleyrand avait chargé son secrétaire, le premier commis La Besnardière, de rédiger un mémoire où se trouveraient exposés tous les motifs qui devaient porter les alliés à réunir leurs forces et à marcher sans retard contre Napoléon. Voici comment débute ce mémoire que l'on croyait perdu[17] : Les puissances de la chrétienté, réunies en congrès général à Vienne pour compléter lés dispositions du traité du 30 mai 1814, ayant appris de quelle manière et avec quelle suite Napoléon Bonaparte avait quitté l'asile dont il était redevable à la clémence de l'Europe, n'ont pu douter qu'il ne méditât quelque nouvel attentat contre les droits et le repos des nations, et l'événement vient de prouver qu'il aspire à faire encore de la France son instrument et sa première victime. Les entreprises, qu'un seul individu ose ainsi, sans droit, sans titre, sans prétexte quelconque, former contre un grand royaume par l'unique motif d'une ambition furieuse et sans autre moyen que ceux qu'il espère tirer de l'égarement des peuples et des doctrines révolutionnaires, n'appartiennent point à l'état de guerre, tel que la loi des nations le reconnaît et l'admet, et constituent un acte de brigandage, dans le sens propre et précis du mot. Cet individu s'est donc placé lui-même hors de la protection de toute loi divine et humaine ; c'est justement qu'il tombera sous les coups du premier qui l'aura frappé, et il est, d'ailleurs, passible de toutes les peines que les codes des peuples civilisés décernent contre les brigands et les malfaiteurs. Comment, après de pareilles provocations à l'assassinat, douter de la mission confiée à M. de Maubreuil ?... Mais ce n'est pas fini. Tout persuade, ajoutait le mémoire, aux puissances de la chrétienté qu'au lieu de fauteurs et de complices, les tentatives de Napoléon Bonaparte ne rencontreront en France que l'horreur qu'elles méritent et le châtiment qui leur est dû. Mais, comme en rétablissant, par le traité du 30 mai 1814, la paix générale de la chrétienté, les puissances, et particulièrement celles qui ont signé ce traité, se sont, par cela même, engagées et ont, d'ailleurs, un intérêt évident et commun à concourir de tout leur pouvoir au maintien de cette paix par la base immuable des négociations qui l'ont formée, elles regardent comme un devoir, dans les circonstances présentes, de déclarer, ainsi qu'elles le font, que, sur la première demande de Sa Majesté Très Chrétienne, elles seront prêtes à se porter, et si besoin était, avec toutes leurs forces, au secours du roi et du royaume de France contre tout perturbateur de cette paix, spécialement contre Napoléon Bonaparte, et qu'il ne sera jamais accordé ni paix, ni trêve, ni asile à cet ennemi de tous les hommes. Donné à Vienne, etc.[18] Le 13 mars, la fameuse déclaration était, signée par les représentants des huit puissances et envoyée immédiatement aux préfets des départements frontières. Talleyrand en informait ainsi M. de Jaucourt, le 14 mars : Jamais il n'y a eu une pièce de cette force et de cette importance signée par tous les souverains de l'Europe... Je ne crois pas qu'ici nous ayons pu faire mieux[19]. On en connait la teneur, mais il est bon d'en rappeler ces quelques lignes : En rompant ainsi la convention qui l'avait établi à l'île d'Elbe, Buonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée... Les puissances déclarent en conséquence que Napoléon Buonaparte s'est placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s'est livré à la vindicte publique. Il est facile de remarquer la corrélation qu'il y a entre cette pièce et le mémoire publié plus haut.

C'était, en réalité, une provocation officielle à un attentat direct contre la vie de l'Empereur[20]. Les alliés avaient pris, toujours à l'instigation de Talleyrand, comme le prouvent les documents officiels, des mesures contre Pauline Borghèse, Jérôme et Joseph Bonaparte. Les Polonais au service de Napoléon étaient rappelés par le gouvernement russe. Napoléon était déclaré par Louis XVIII traître et rebelle ; chacun devait lui courir sus. Les adresses en faveur de la monarchie légitime se multipliaient chaque jour. Les grands Corps et les conseils municipaux, les maréchaux, les généraux, les magistrats, les fonctionnaires, tous juraient fidélité au Roi. Une semaine après, les mêmes, avec un non moindre enthousiasme, prêtaient serment à l'Empereur.

C'est le 7 mars seulement qu'on avait appris à Schœnbrunn le départ de l'île d'Elbe. Marie-Louise en fut informée au retour d'une promenade à cheval avec le comte de Neipperg[21]. L'archiduc Jean souhaita franchement devant elle que Napoléon se cassât le cou dans une telle aventure. Marie-Louise parut très affligée, mais ceux qui la connaissaient intimement ne doutaient pas que son émotion ne fût excitée que par l'égoïsme et par la crainte. Ces duchés de Parme, Plaisance et Guastalla qu'elle croyait avoir reconquis, elle allait donc les perdre par la faute de son impatient époux. Il faudrait, à la suite de ce terrible coureur d'aventures, reprendre une vie d'angoisses et de périls !... Non, car cette fois elle était bien résolue à ne pas revoir l'homme dont le génie tumultueux l'épouvantait. Méneval affirme que François Il avait dit à sa fille que si Napoléon pouvait réussir, il ne la laisserait aller en France que lorsque l'expérience aurait fait voir qu'on pouvait se fier à ses dispositions pacifiques. Quelles que soient la précision et la valeur habituelles des affirmations de Méneval, je crois qu'il a dû se tromper ici, ou reproduire une parole sans conséquence. Des entretiens de Marie-Louise et de son père à cette époque, il est sorti autre chose qu'une promesse de laisser Marie-Louise revenir tôt ou tard en France. D'abord toute communication fut interdite avec cette terre dangereuse. Lettres et journaux furent interceptés. Puis Metternich eut avec l'archiduchesse un mystérieux entretien. Le 12 mars, Marie-Louise écrivit à ce ministre une lettre préparée par M. de Neipperg et dans laquelle, se disant étrangère aux projets de Napoléon, elle se mettait sous la protection des puissances. Le 13, les alliés lançaient leur déclaration menaçante. En échange de sa soumission, Marie-Louise recevait l'assurance que les duchés lui resteraient ; de plus, Neipperg, pour tous ses services, obtenait la dignité de maréchal de la cour, ce qui lui permettait de monter désormais dans le carrosse de l'archiduchesse... Voilà ce que l'empereur d'Autriche et sa diplomatie avaient su trouver pour se venger de l'empereur des Français ! Non seulement François II s'associait aux puissances qui le livraient à la vindicte publique, mais encore il essayait de le déshonorer, car il connaissait bien le genre d'intimité qui régnait ouvertement entre le comte de Neipperg et sa fille[22]. En tolérant une pareille intrigue, il faisait tomber sur la maison d'Autriche une honte que ne voulut pas admettre Napoléon, car celui-ci persistait à croire sa femme fidèle et n'osait pas soupçonner de telles infamies[23]. Il paraîtrait que l'empereur Alexandre était venu secrètement à Schœnbrunn pour conférer avec Marie-Louise et savoir ses intentions définitives. Elle avait répondu que son père était seul maître de ses destinées, et elle avait refusé de se prononcer sur la possibilité de reprendre la régence[24]. Elle était décidée depuis longtemps à ne plus retourner en France. Elle ne souhaitait qu'un petit pays paisible où elle occuperait ses loisirs auprès de l'homme qui avait remplacé pour elle le héros dont la réapparition subite faisait trembler l'Europe.

La surveillance sur les quelques Français encore en résidence à Vienne était devenue très rigoureuse. M. de Bausset s'était arrangé pour recevoir en cachette. des journaux de Paris, par l'entremise d'un joaillier de Vienne. On le sut et on menaça si sérieusement le joaillier que celui-ci dut renoncer à servir d'intermédiaire pour ces périlleuses communications. Bientôt François Il fit entendre à Marie-Louise que les événements étaient devenus trop graves pour laisser l'enfant impérial à Schœnbrunn[25]. On avait répandu depuis quelque temps des bruits fâcheux sur la gouvernante du prince, la vertueuse et fidèle Mme de Montesquiou. On l'accusait de parler au prince de ce qui se passait et de lui faire entendre qu'il pourrait retourner à Paris auprès de son père. Cela était faux. Mme de Montesquiou ménageait, au contraire, l'esprit d'un enfant aussi jeune ; elle se contentait seulement de le faire prier matin et soir pour son père. Mais c'était là encore un grief impardonnable... Marie-Louise informa tristement la gouvernante qu'elle allait conduire son fils au château impérial à Vienne. Le 20 mars, en effet, le roi de Rome y arriva avec sa mère. En ce même jour qui était. l'anniversaire de sa naissance, et comme par un redoublement de méchanceté inexplicable, le comte Wrbna reçut l'ordre de signifier à Mme de Montesquiou qu'elle n'était plus chargée de l'éducation du prince, et qu'elle eût à quitter Vienne au plus tôt. Malgré ses prières, ses instances, ses protestations, écrit Méneval, elle fut forcée d'obtempérer à un ordre aussi cruel. Il lui fallut abandonner à des subalternes un enfant qu'elle avait reçu dans ses bras, qu'elle n'avait pas quitté un instant depuis sa naissance, et qui avait été l'objet de sa constante sollicitude[26]. Le motif de cette séparation si brusque était, si l'on en croit Mme de Colloredo, que l'on soupçonnait le comte Anatole de Montesquiou, son fils, présent alors à Vienne, d'avoir voulu enlever l'enfant. Or, le 20 mars, le comte devait partir pour Paris. Il avait quitté Schœnbrunn en même temps que Marie-Louise et le roi de Rome, pour aller voir à Vienne son ami M. de Bresson de Valensole. Les ordres qu'il avait donnés à son cocher n'avaient sans doute pas été compris, car sa voiture se rendit au Prater. La police viennoise, retrouvant cette voiture dans le parc, supposa que tout était arrangé pour un enlèvement. Comme M. de Montesquiou était revenu à pied à Schœnbrunn et un peu tard, les soupçons s'accentuèrent, d'autant plus que, depuis le mois de janvier, on avait su que Fouché avait eu l'intention de faire enlever le prince, afin d'établir une régence dont il aurait été le premier ministre[27]. Je ne dis pas, en ce qui concerne M. de Montesquiou, que celui-ci n'ait pas eu un moment l'intention de soustraire le roi de Rome aux Autrichiens, mais de là à une action définitive il y a loin, et rien ne prouve que M. de Montesquiou ait alors voulu ou pu agir[28].

Mme de Montesquiou, qui avait obtenu la permission de voir encore une fois le roi de Rome, était revenue à Schœnbrunn, après lui avoir prodigué ses caresses. Le lendemain, elle songeait à partir, lorsque le comte Wrbna revint auprès d'elle et lui dit que l'Empereur, ayant décidé d'ajourner son départ, la priait de rester à Schœnbrunn. Elle refusa, préférant se rendre au couvent de la Visitation à Vienne. Mais, avant d'abandonner pour toujours l'enfant qu'elle adorait, elle exigea un ordre écrit de l'Empereur et un certificat médical attestant qu'elle laissait le roi de Rome dans un parfait état de santé. François II lui écrivit une lettre affectueuse, motiva son désir sur la rigueur des circonstances et lui fit offrir une parure de saphirs. Marie-Louise y ajouta une boucle des cheveux de son fils. On se figure aisément le chagrin du roi de Rome, quand il ne retrouva plus auprès de lui celle qu'il appelait dans son langage tendre et naïf maman Quiou... D'après Méneval, cette séparation douloureuse fut vivement ressentie par l'enfant, qui s'était fait une douce habitude des soins empressés et maternels de sa gouvernante. Il la redemandait sans cesse, et les regrets qu'il témoignait de sa perte étaient la seule consolation qu'elle pût recevoir dans cette triste circonstance[29]. Ainsi, une femme dévouée était l'objet de la défiance et de la crainte de tout un gouvernement. On persistait à croire que son fils était le chef d'un complot, et on le lui fit bien voir. Le comte Anatole avait été autorisé à retourner en France ; mais, arrivé à Lembach, il fut brutalement arrêté et ramené à Vienne, où on le tint plusieurs jours au secret. Il n'obtint son élargissement que grâce aux instances du prince de Talleyrand[30] ; mais il dut donner sa parole d'honneur de ne point quitter Vienne, sans avoir demandé et obtenu un passeport en règle. La comtesse de Montesquiou s'indigna des soupçons de la police, et, comme la Gazette de Vienne s'était faite spécialement l'écho de ces bruita, elle lui adressa un démenti formel, que le journal, avec une discourtoisie peu habituelle cependant en Autriche, ne publia pas[31].

La veuve du général de Mitrowsky remplaça provisoirement Mme de Montesquiou ; mais, si distinguée que fût cette dame, ce n'étaient plus les mêmes soins maternels ni la même sollicitude[32]. On allait bientôt remettre l'enfant aux mains de gouverneurs qui devaient lui faire regretter encore plus celle qu'il avait considérée comme une seconde mère, car Marie-Louise ne lui témoignait un peu d'affection que par intervalles et se reposait sur lei autres de la tâche, pourtant si douce, d'instruire et d'élever son fils. Elle paraissait alors très occupée à des exercices de piété. Une foi plus sincère et plus intelligente lui eût fait comprendre ses devoirs d'épouse et de mère. Mais elle manquait avec insouciance aux uns comme aux autres. De nombreux émissaires étaient partis de Paris pour Vienne. Un seul, qui avait, parait-il, l'appui secret de Fouché, parvint en cette ville. On suppose que Fouché voulait connaître définitivement l'opinion secrète de Talleyrand sur la régence de Marie-Louise, et demandait s'il pouvait compter sur lui. Cet émissaire était M. de Montrond, l'âme damnée de Talleyrand. J'ai fait ailleurs le portrait de cet intrigant ; je n'y reviendrai pas[33]. M. de Montrond, qui s'était servi du passeport d'un Italien, l'abbé Altieri, remit à Méneval une lettre de Napoléon pour Marie-Louise, et des lettres de Caulaincourt pour lui et pour Mme de Montesquiou. Il avait confié à Méneval, mais sur un ton plaisant qui inspirait la défiance, qu'il avait carte blanche pour enlever Marie-Louise en la faisant déguiser sous des habits d'homme. Je pensai, dit Méneval, qu'il venait plutôt pour faire les affaires de Talleyrand que celles de Napoléon. Il est bien permis de croire à cette observation, car Montrond s'étonnait lui-même de la confiance subite que lui avait témoignée le gouvernement impérial. Ayant à s'expliquer un peu plus tard sur les émissaires envoyés par Napoléon à Vienne, Talleyrand parlait ainsi de Montrond : Il n'avait ni dépêche, ni mission ostensible... Talleyrand savait le contraire. Ou plutôt, ajoute-t-il, a-t-il été envoyé par le parti qui sert ostensiblement Bonaparte, que par Bonaparte lui-même. Ceci semble plus vrai. Il était chargé de paroles pour M. de Metternich, M. de Nesselrode et moi. Or, il leur remit des lettres de Caulaincourt. Ce qu'il était chargé de me demander, dit encore Talleyrand, était si je pouvais bien me résoudre à exciter une guerre contre la France. — Lisez la déclaration, lui ai-je répondu. Elle ne contient pas un mot qui ne soit dans mon opinion. Ce n'est pas d'ailleurs d'une guerre contre la France qu'il s'agit ; elle est contre l'homme de l'île d'Elbe[34]. Ceci était un sophisme, car la France, qui avait acclamé le retour de Napoléon, marchait avec lui. Montrond ayant ensuite demandé à M. de Metternich si le gouvernement autrichien avait totalement perdu de vue ses idées du mois de mars 1814 : La régence ? nous n'en voulons point, répondit M. de Metternich[35]. Enfin, Montrond chercha à connaître les dispositions de l'empereur Alexandre. La destruction de Bonaparte et des siens, répondit Nesselrode, et les choses en restèrent là. On s'est borné, ajoute Talleyrand[36], à faire connaître à M. de Montrond l'état des forces qui vont être immédiatement employées, ainsi que le traité du 25 mars dernier. Il est reparti pour Paris, avec ces renseignements et ces réponses qui pourront donner beaucoup à penser à ceux qui, aujourd'hui, se sont attachés à la fortune de Bonaparte. La mauvaise humeur de Talleyrand s'explique par la connaissance qu'il eut du décret de confiscation pris par Napoléon contre lui et les membres du gouvernement provisoire, ce qui fut une faute de la part de l'Empereur. Cette faute, le courageux Caulaincourt aurait voulu la lui éviter, comme en témoigne la lettre du 4 avril 1815, où il ose une fois de plus lui dire la vérité, blâmant une mesure impolitique, contraire aux promesses de tolérance et d'oubli faites par Napoléon. Le gouvernement provisoire avait été créé à l'instigation formelle d'Alexandre. Les alliés avaient négocié et conclu avec lui un armistice qui avait servi de base au -traité de Paris. Mettre en jugement les hommes de ce gouvernement, c'était offenser, sans utilité les principales puissances[37].

En attendant qu'il se prononçât définitivement pour la cause de l'Empereur ou pour celle du Roi, Talleyrand mandait à Louis XVIII que le voyage du comte de Montesquiou avait été l'objet de réels soupçons. Il avait invité le comte à retourner immédiatement en France, affirmant que son voyage avait eu pour objet l'enlèvement du roi de Rome. Le langage de madame sa mère, recueilli par la surveillance autrichienne établie auprès d'elle, permettrait, disait-il, de le croire[38]. Or, jamais Mme de Montesquiou n'avait parlé de l'enlèvement possible du prince confié à ses soins. Mais ce n'était pas encore assez. Talleyrand, informant le Roi de la remise du roi de Rome à l'empereur d'Autriche par la gouvernante, osait ajouter : Son langage a été si opposé aux résolutions prises par l'Autriche et par les autres puissances, que l'Empereur n'a pas voulu permettre qu'elle restât plus longtemps auprès de son petit-fils. Ceci était une fausseté de plus. Il est probable que la déclaration du 13 mars, où l'on traitait Napoléon de brigand, avait blessé Mme de Montesquiou ; mais il est impossible de prouver qu'elle ait tenu ouvertement le moindre propos contre l'Autriche et contre sou Empereur.

Le jour où l'on signifiait à la gouvernante l'ordre d'avoir à se séparer du roi de Rome, le jour où l'on enfermait le pauvre enfant au château impérial sous les yeux de son grand-père, Napoléon rentrait aux Tuileries. C'était le 20 mars. Il avait combiné son retour avec cette date qui lui rappelait la naissance du fils tant désiré. Contrairement à ses espérances, il rentrait seul dans ce palais. Aussi, quelques jours après, confiait-il à un chambellan autrichien, M. de Stassart, de passage à Paris, une lettre touchante pour l'empereur François. Il disait à.son beau-père que le plus vif de ses vœux était de revoir bientôt les objets de ses plus douces affections. Il désirait que l'Impératrice et le roi de Rome vinssent par Strasbourg, les ordres étant donnés sur cette ligne pour leur réception dans l'intérieur de ses États. Il ne doutait pas que l'Empereur ne se hâtât de presser l'instant de la réunion d'une femme avec son mari, d'un fils avec son père. Il n'avait d'ailleurs qu'un but : consolider le trône que l'amour de ses peuples lui avait conservé et rendue pour le léguer un jour, affermi sur d'inébranlables fondements, à l'enfant que François II avait entouré de ses bontés paternelles[39]. Cette lettre fut interceptée à Linz. Les souverains alliés en sourirent devant le beau-père de Napoléon, et le beau-père la laissa sans réponse.

Caulaincourt essayait, en sa qualité de ministre des affaires étrangères, de faire connaître partout la valeur réelle des événements qui avaient ramené Napoléon en France. II écrivait à Méneval, le 26 mars, que le Moniteur contenait l'exacte vérité, et que, pour le surplus, il s'en rapportait à ceux qui avaient vu les choses. Ramenez-nous l'Impératrice, disait-il. Nous ne pouvons pas mettre son retour en doute... Tant de vœux et de si bons sentiments l'appellent ici qu'elle ne saurait trop se hâter. En même temps, il mandait à Mme de Montesquiou : Isabey vient de rendre l'Empereur bien heureux en lui remettant le joli portrait du prince impérial qu'il vient de finir[40]. Revenez vite, ramenez-nous, avec l'Impératrice, ce cher enfant que nous aimons à devoir à ses soins et aux vôtres. L'Empereur ne s'est jamais mieux porté. il parle avec attendrissement de tout ce qu'il aime et nous ne pouvons pas mettre en doute que son auguste beau-père ne rende tout de suite une femme à son mari et un fils à son père... Le duc de Vicence écrivait dans le même sens au prince Eugène. Puis s'adressant à M. de la Besnardière, le factotum de M. de Talleyrand : Je ne vous parle pas des événements, Monsieur ; les résultats vous disent ce qui est. Ceux qui en ont été spectateurs peuvent vous attester qu'il n'y a plus que des vœux pour l'Empereur dans le Midi, dans la Bretagne, comme à Paris et dans le Nord. Tous les princes sont partis en licenciant leurs maisons, et vos courriers de Vienne et de Madrid m'arrivent comme si on me les expédiait. Votre retour est exigé... L'Empereur aime à penser que, depuis le chef jusqu'aux derniers employés, tout le monde est avant tout Français, dans cette affaire toute nationale. Le passé n'est rien. La patrie est tout. Nos premiers vœux et tous nos vœux sont pour le maintien de la paix...

Le 27 mars, Caulaincourt avait adressé à M. de Metternich une lettre importante où il montrait comment la nation française, trompée dans ses vœux et lasse d'obéir à un gouvernement dont les mesures irréfléchies et les principes mal déguisés tendaient à faire rétrograder la raison humaine, avait rappelé l'Empereur. Il affirmait que la première pensée de Napoléon avait été le maintien de la paix. Il tenait à en donner l'assurance formelle à l'Autriche. Il attendait des principes et des sentiments de son beau-père le retour de l'Impératrice et du roi de Rome. Une circulaire, empreinte des mêmes déclarations pacifiques, était adressée en même temps à tous les agents diplomatiques de la France[41]. Mais le général allemand commandant à Kehl faisait savoir au général commandant à Strasbourg qu'il ne pouvait laisser passer de courriers allant à Vienne. Le duc de Vicence protesta vainement contre ce procédé contraire aux droits et aux usages, d'autant plus irrégulier que la France était en paix avec l'Europe entière. Sa lettre au ministre des affaires étrangères du grand-duc de Bade n'obtint pas plus de réponse que les autres. Les souverains firent aussi semblant de n'avoir pas reçu la lettre de Napoléon, en date du 4 avril, où celui-ci disait que son retour était l'ouvrage d'une irrésistible puissance, la volonté unanime d'une grande nation qui connaissait ses devoirs et ses droits, et où il réitérait ses vœux pour le maintien d'une honorable tranquillité. Napoléon écrivait encore à Marie-Louise : ... Ma bonne Louise, je t'ai écrit bien des fois... Je t'envoie un homme pour te dire que tout va très bien. Je suis très adoré et maitre de tout. Il ne me manque que toi, ma bonne Louise, et mon fils. — Napoléon[42]. Marie-Louise, qui reçut ce mot, ne répondit pas. Un autre billet, daté de Lyon, Il mars, et tout entier de la main de Napoléon, avait été apporté à Schœnbrunn par un cavalier qui l'avait caché dans une de ses bottes. Il contenait à la fin cette pressante invitation : Viens me rejoindre avec mon fils. J'espère t'embrasser avant la fin de mars[43]. Marie-Louise parut n'avoir reçu aucun de ces billets et, oubliant délibérément qu'elle était la femme de Napoléon, garda le même et odieux silence.

De son côté, et sans se lasser, Caulaincourt continuait ses communications. Le 8 avril, il informait le cardinal Fesch que l'Empereur le nommait ambassadeur près le Saint-Siège. Il lui résumait ainsi la nouvelle politique de son maitre : Assagi par les événements, mais se croyant toutefois encore en mesure de parler haut à l'Église, l'Empereur n'a plus aucune vue sur le temporel de Rome. Dès lors, il n'y a plus aucun sujet de discussion entre Sa Majesté et cette cour. Quant ail spirituel, Sa Majesté s'en tient à la bulle de Savone... Pour le moment, l'Empereur veut s'abstenir de s'occuper d'affaires ecclésiastiques. Il a cependant à cœur que le Saint-Père donne l'institution canonique aux évêques qu'Elle avait nommés avant son départ. Votre Éminence doit en avoir la liste... Sa Majesté a vu avec plaisir, par les correspondances qu'a laissées le comte de Lille et par celles qui ont été interceptées, que le Saint-Père n'a point cédé sur les principes du Concordat, et qu'il s'est refusé à reconnaitre les évêques émigrés. Cette conduite n'a pu que lui être très agréable. Cependant, d'un autre côté, on a trouvé dans les mêmes pièces la preuve que la cour de Rome avait mis en usage contre le roi de France les pratiques obscures et illégales dont l'Empereur avait eu aussi précédemment à se plaindre. Il ne peut convenir à Sa Majesté d'admettre en France ni des Jésuites, ni des Pères de la Foi. Lors de la vacance des sièges, Sa Majesté ne peut reconnaître que des vicaires capitulaires[44]. La lettre se terminait par ce curieux détail : Sa Majesté a vraiment à cœur que Votre Éminence puisse s'arranger pour être à Paris le 30 mai, afin d'officier au couronnement du prince impérial. Donc, d'après cette lettre, Napoléon n'avait pas perdu l'espoir de voir revenir son fils auprès de lui ; il parlait même de le faire couronner, ainsi que le stipulait un des articles du sénatus-consulte du 5 février 1813, comme s'il était absolument maitre de sa destinée et de celle du roi de Rome.

Le 8 mars, M. de Méneval avait fait parvenir secrètement au duc de Vicence une lettre détaillée sur la situation à Vienne. Les journaux français étaient soigneusement interdits par le ministère autrichien ; les négociations du Congrès suspendues, les troupes en mouvement sur tous les points. L'empereur Alexandre avait une haine d'enfant contre Napoléon. Tout gouvernement monarchique, aristocratique ou démocratique, lui paraissait bon en France, sauf le gouvernement impérial. Cependant, la seule personne qui pût encore obtenir quelque chose de lui, c'était Caulaincourt. On n'était pas rassuré pour l'avenir, car les fonds avaient baissé à Vienne dès l'arrivée de Napoléon à Paris. M. de Talleyrand, ajoutait Méneval, est en défiance aujourd'hui près des alliés et de tout le monde. Il était évident que ni ses démonstrations actives ni la déclaration du 13 mars, dont il était l'auteur, n'avaient rassuré les alliés contre sa versatilité si connue.

On supposait en effet à toutes ses actions des motifs doublet et contradictoires. Quant au retour de l'Impératrice en France, le cabinet de Vienne ne paraissait pas disposé à l'admettre. L'esprit de l'Impératrice, disait encore Méneval, est tellement travaillé à cet égard, qu'elle n'envisage son retour en France qu'avec terreur. Tous les moyens possibles ont été employés depuis huit mois, — dois-je dire depuis trois ans ? pour l'éloigner de l'Empereur... On ne m'a pas permis depuis six mois de lui parler sans témoin.... On lui a fait faire, à l'insu de tout le monde, plusieurs démarches pour se déclarer étrangère aux projets de l'Empereur, pour se mettre sous la sauvegarde de son père et des alliés, pour demander la couronne de Parme... Sa santé n'en avait pas souffert. L'Impératrice a beaucoup engraissé. Le prince impérial est un ange de beauté, de force et de douceur. Mme de Montesquiou le pleure tous les jours. Cette pauvre dame est traitée avec bien de la rigueur. Elle est reléguée dans un petit appartement de deux pièces dans une maison particulière à Vienne... A cette lettre Méneval ajoutait un petit post-scriptum afin d'excuser un peu Marie-Louise, ce qui prouvait sa générosité naturelle. Elle est vraiment bonne au fond, disait-il. mais bien faible et ennemie de la réflexion. Il est bien fâcheux qu'elle n'ait pas eu un meilleur entourage[45].

Vers cette même époque, Marie-Louise, causant avec Méneval, lui avait confié que si elle consentait à laisser son fils à Vienne et à se rendre sans lui à Parme, c'était dans son intérêt. Elle pensait bien, dans ses duchés, faire une économie annuelle de cinq cent mille francs et lui assurer ainsi en quelques années une existence indépendante. A quoi Méneval s'était permis de répondre que le nom de Napoléon lui paraissait une fortune suffisante pour l'enfant impérial. Peu de temps après, il voulut savoir si Marie-Louise consentirait à rejoindre l'Empereur, un jour ou l'autre. Elle commença par déclarer qu'elle n'était plus maîtresse de ses actions, qu'elle était née sous une étoile funeste, et qu'elle était condamnée à n'être jamais heureuse[46]. Elle ajouta enfin que son oncle l'archiduc Charles et un jurisconsulte avaient dissipé ses incertitudes au sujet de son rapprochement avec l'Empereur, et qu'elle traiterait avec Napoléon de séparation à l'amiable, quand elle pourrait lui écrire[47]. Elle n'en  avait pas encore l'autorisation, mais, en revanche, on lui laissait adresser des lettres aussi nombreuses que passionnées au général de Neipperg, qui était parti le 18 avril, à la tête d'une division, pour combattre Murat. Le séjour de Vienne et de Schœnbrunn étant devenu intolérable pour les Français, Méneval demanda la permission de retourner en France. Le pauvre petit roi de Rome allait rester presque seul au milieu des Autrichiens, qui espéraient en faire ce qu'avait tant redouté Napoléon : un prince étranger.

 

 

 



[1] Voir MÉNEVAL, t. III.

[2] Mémoires de Talleyrand, t. II.

[3] Mémoires de Talleyrand, t. III.

[4] Mémoires, t. III.

[5] Archives des Affaires étrangères, vol. 688.

[6] Mémoires, t. III.

[7] On n'en a d'ailleurs pas tenu à la date du 24 février.

[8] Archives des affaires étrangères, vol. 688, p. 164 à 167.

[9] Souvenirs de Méneval, t. III.

[10] Il faut en excepter particulièrement M. Henri Houssaye. Voir son 1815, p. 158 à 165.

[11] Voir Mémoires de Talleyrand, t. II.

[12] Voir Henri Houssaye, 1815, p. 170.

[13] Éduard WERTHEIMER, Talleyrand in Wien zur Congresszeit, Art. de la Neue Freie Presse du 11 avril 1896. — Cette lettre porte l'adresse du prince de Talleyrand à Vienne.

[14] Voyez Fêtes et souvenirs du congrès de Vienne, par le comte DE LA GARDE, 1843, et Mémoires de M. de Bausset, t. III.

[15] Mémoires, t. III. — Il s'est ouvert, au mois de mars 1898, dans la capitale de l'Autriche, sous la protection de l'Empereur et sous la présidence du comte d'Abensperg-Traun, une exposition rétrospective du congrès de Vienne dont j'ai fait l'étude dans le Monde du 23 mars. J'en détache quelques lignes qui se rattachent plus directement à cet ouvrage : ... La rentrée de l'Empereur aux Tuileries a bouleversé l'œuvre si habile de Louis XVIII et de Talleyrand. Le Congrès effrayé se lève contre Napoléon. Il l'appelle un bandit ; il le jette au ban des nations, il met sa tète à prix. Il ne retrouve son calme qu'après le désastre de Waterloo et la seconde abdication. Et le 9 juin, par un Acte final qui laisse de côté toutes les considérations morales et se borne à invoquer pour la ratification des dispositions votées : l'intérêt majeur et permanent, il complète les dispositions du traité du 30 mai 1814 avec une foule de dispositions contenues dans cent vingt et un articles. Quant à la France, elle payera bientôt, même sous son Roi légitime et par un autre traité draconien, la terreur nouvelle qu'elle a fait en quelques mois ressentir aux nations. La faute en est, suivant Metternich et les autres diplomates. à l'usurpateur qui a tout remis en question et dont le souvenir doit être abhorré... Mais lorsqu'on visite l'Exposition du congrès de Vienne, ce n'est pas le brigand qu'on revoit, ce n'est pas le Buonaparte qu'il fallait anéantir et contre lequel étaient dirigées les déclarations furibondes des 13 mars et Il avril, c'est l'empereur Napoléon, c'est le gendre de l'empereur François II. On le trouve, on le rencontre partout, seul ou entre Marie-Louise et le roi de Rome. Les vitrines sont pleines de présents faits par lui à sa femme ou à la famille impériale.

Ici c'est le trône qu'il a occupé à Venise ; là c'est son bureau de la Malmaison, là c'est celui du palais de Saint-Cloud. Son buste en marbre, sa table de travail, sa miniature entourée de brillants, la reproduction du tableau de David, Bonaparte passant les Alpes, une autre miniature d'Isabey, son nécessaire de voyage, son épée offerte à Alexandre, son carrosse nuptial, les Adieux de Fontainebleau, la Sortie de l'île d'Elbe, son portrait par Gérard, son portrait en camée, on ne voit que lui, et partout on le voit dans l'appareil de la grandeur et de la puissance.

[16] Talleyrand in Wien zur Congresszeit, von Eduard WERTHEIMER. — Pozzo di Borgo et Nesselrode étaient particulièrement sévères pour Talleyrand.

[17] M. Dumont, archiviste des Affaires étrangères, qui avait eu connaissance de ce fait par le général anglais Alova, aide de camp de Wellington, avait, dans un mémorandum du 20 juin 1838 (Affaires étrangères, vol. 680, Vienne), attesté que M. de Talleyrand s'était bien gardé de joindre ce Mémoire à sa correspondance pendant le congrès de Vienne. Je l'ai retrouvé aux Archives des Affaires étrangères, dans le vol. 681. Il porte le n° 139.

[18] Affaires étrangères, Vienne, vol. 681. — Dans son Journal, Gentz affirme, et cela n'est pas exact, qu'il est l'auteur de la déclaration du 13 mars, préparée avec Metternich chez Talleyrand. — Il nous apprend encore que Metternich n'avait pas alors perdu toute gaieté, car le 1er avril il écrit ceci : Metternich m'avait préparé un poisson d'avril en faisant fabriquer une lettre de Bonaparte contre la déclaration des puissances. J'y étais préparé. Aussi cela n'a pas pris !

[19] Archives des Affaires étrangères, vol. 630. Vienne. — Il faut parfois en politique frapper trop fort pour frapper juste, disait un jour Talleyrand, afin de se justifier de la violence de cette déclaration. Ne voyez-vous pas que, pour empêcher l'Autriche de se souvenir jamais qu'elle avait un gendre, il fallait lui faire mettre sa signature au bas d'une sentence de mort civile et non d'une déclaration de guerre ? On peut toujours traiter avec un ennemi. On ne se remarie pas avec un condamné. (VILLEMAIN, Souvenirs contemporains, t. II.)

[20] Il y a à cette mesure un précédent historique. La cour de Dresde, lorsque Frédéric II eut envahi la Saxe sans déclaration de guerre, l'avait déclare perturbateur de la paix publique, et la Diète l'avait mis au ban de l'Empire. — Napoléon crut habile d'opposer Fouché à Talleyrand et chargea le duc d'Otrante de la réponse. Le 29 mai, dans le conseil des ministres, celui-ci, faisant allusion à la déclaration du 13 mars, la qualifia de libelle, de pièce apocryphe fabriquée par l'esprit de parti, contraire à tout principe de morale et de religion, attentatoire au caractère de loyauté des souverains dont les auteurs de cet écrit avaient compromis tous les mandataires. Elle ne méritait qu'un profond mépris. Elle n'avait fixé l'attention du ministère que lorsque des courriers du prince de Bénévent l'avaient apportée en France. Elle émanait visiblement de la légation du comte de Lille à Vienne, qui au crime de provocation à l'assassinat avait ajouté celui de falsification de la signature des ambassadeurs... Si l'on admet ce genre de réponse, il faut convenir qu'il était difficile de trouver mieux. Le conseil d'Etat, à qui l'on avait déféré cette déclaration, se Servit des mêmes motifs pour la repousser.

[21] MÉNEVAL, t. III.

[22] Lord Holland dit de François II : C'était un homme de quelque intelligence, de peu de cœur et sans aucune justice. Il conteste absolument qu'il fût, comme on l'a affirmé, doux et bienveillant. Dans toutes les circonstances, il avait agi comme un homme d'un caractère bien opposé. Quant au mariage de sa fille, ajoute lord Holland, il faut admettre cette alternative, ou qu'il ait consenti à sacrifier son enfant à une politique couarde, on bien qu'il ait lâchement abandonné et détrôné un prince qu'il avait choisi pour son gendre. Il sépara sa fille du mari qu'il lui avait donné et aida à déshériter son petit-fils, issu d'un mariage qu'il avait approuvé et, à ce que je crois, sérieusement recherché. Pour éloigner de l'esprit de cette même fille le souvenir de son époux détrôné et exilé, mais dont la conduite envers elle était irréprochable, on prétend qu'il encouragea et même combina lui-même les moyens de la rendre infidèle... (Souvenirs diplomatiques de lord Holland.)

[23] La chasteté, disait l'Empereur, est pour les femmes ce que la bravoure est pour les hommes. Je méprise un lâche et une femme sans pudeur.

[24] BAUSSET, t. III.

[25] L'empereur d'Autriche devançait les désirs de Joseph de Maistre, qui écrivait le 22 mars 1815, à propos du retour de Napoléon : L'archiduchesse Marie-Louise et son fils seront très embarrassants dans cette occasion. Il faudrait que l'empereur d'Allemagne eût le courage de les mettre (surtout le jeune prince) hors de la puissance de Napoléon. (Lettres, t. I.)

[26] MÉNEVAL, t. III. — Elle avait suivi, malgré les dégoûts dont elle était entourée, le prince dont elle était la gouvernante. La meilleure mère ne peut pas montrer un plus grand attachement que celui dont elle fit preuve. (L'île d'Elbe et les Cent-jours.) Il n'y a rien à ajouter à ce juste hommage rendu par l'empereur Napoléon à Mme de Montesquiou.

[27] MÉNEVAL, t. III.

[28] On a dit aussi que le lieutenant-colonel Monge, des grenadiers de la garde, avait été chargé, par Napoléon, d'enlever Marie-Louise et son fils. Je n'ai pu vérifier ce bruit. — Le prétendu enlèvement du roi de Rome à cette même date par la comtesse de Mirepoix et Mme de Croy-Chanel n'est qu'une fable.

[29] MÉNEVAL, t. III, p. 429.

[30] La comtesse de Montesquiou écrivait à M. de Talleyrand : Je me sens assez de forces physiques et morales pour soutenir une plus longue captivité, et je vous avoue que, lorsque je souffrirai seule, je souffrirai avec plus de constance. Mais de voir ce jeune malheureux regrettant tout, excepté les marques d'amitié qu'il m'a données en faisant tant de chemin pour venir me voir, se sentant appelé en France par ses affaires, sa femme, son fils, sa fortune même — son absence depuis quatre mois empêche de pouvoir rien terminer — toute la contrariété qu'il éprouve, me désespère et me rend de plus en plus pénible ma triste retraite. Ce ne fut que dans les premiers jours de juin que Talleyrand obtint les passeports demandés. (France, vol. 1801. Archives des Affaires étrangères.)

[31] MÉNEVAL, t. III.

[32] Mme Soufflot, la sous-gouvernante qui restait encore auprès du roi de Rome, écrivait à ses enfants, à la date du 8 avril : Votre pauvre mère est malheureuse d'être séparée de vous dans des moments si pénibles. Hélas ! où l'amour de mon devoir et mon bon cœur m'ont-ils conduite ? Dans le chemin de l'honneur le plus sévère, mais aussi dans celui de tous les chagrins. Après avoir déjà fait tant de sacrifices à ce cher enfant, je n'ai pu me résoudre à l'abandonner dans une crise aussi pénible que délicate, celle où on le séparait de celle qui lui était si chère à tant de titres. Je continuerai, tant que cela me sera permis, de veiller sur lui et de suppléer aux sages leçons qu'il a toujours reçues... (Collection Amédée Lefèvre-Pontalis.)

[33] Voir la Revue de Paris du 2 février 1895.

[34] Talleyrand, qui avait adhéré à la quadruple Alliance le 27 mars, croyait pouvoir affirmer au Roi, le 29, que le traité de Chaumont était uniquement fait dans le but de soutenir la France, quoique, au fond, il sût le contraire. Il avait, en effet, confidentiellement écrit à M. de Jaucourt, le 16 mars : Songez bien à ceci : c'est que cette même Europe qui a été amenée à faire la déclaration que je vous ai envoyée, est en pleine jalousie de la France, du Roi et de la maison de Bourbon. Elle le prouva bien, pou de temps après.

[35] On verra le contraire au chapitre suivant, ce qui prouve combien chacun était sincère.

[36] Mémoires de Talleyrand, t. III.

[37] D'après les Mémoires de Napoléon, Montrond devait fournir à Talleyrand l'occasion d'écrire en France et au gouvernement français la possibilité de découvrir le fil de ses trames, gagner l'ambassadeur de Louis XVIII, porter une lettre à Marie-Louise et rapporter sa réponse. Montrond n'obtint en réalité que des réponses évasives de Talleyrand et ne l'intimida guère. Je ne crois pas, d'ailleurs, qu'il en eût l'intention. Toujours est-il que les menaces de séquestre sur ses biens et d'un grand procès qu'allait lui faire la Haute Gour n'aboutirent qu'a éloigner Talleyrand de l'Empire. Une note de Napoléon définissait ainsi la mission exacte de Montrond : Voir M. de Talleyrand et le renseigner sur la véritable disposition Jeu esprits. Suivant pignon, la mission de Montrond, qui jouait double rôle et était auprès de Talleyrand l'agent confidentiel de Fouché aussi bien que celui de l'Empereur, fut plus nuisible qu'utile à la cause française. (Voyez BIGNON, Histoire de France sous Napoléon, t. XIV.)

[38] Mémoires, t. III.

[39] Archives des Affaires étrangères, vol. 1801, France. — Marie-Louise avait reçu directement de Napoléon, et à la même date, ce petit billet : Ma bonne Louise, je suis maitre de toute la France. Tout le peuple et toute l'armée sont dans le plus grand enthousiasme. Le soi-disant Roi est passé en Angleterre. Je t'attends pour le mois d'avril ici avec mon fils. Adieu, mon amie. — NAPOLÉON. (Collection de M. Antonin Lefèvre-Pontalis.)

[40] Le petit prince était représenté avec un gracieux costume rose que traversait le grand cordon de Saint-Etienne. Sa figure souriante rappelait les traits de Napoléon et de Marie-Louise.

[41] Archives des Affaires étrangères, France, vol. 1801.

[42] Document inédit.

[43] Document inédit.

[44] Archives des Affaires étrangères, France, vol. 1801.

[45] Archives des Affaires étrangères, France, vol. 1801, et Mémoires, t. III.

[46] Telle était cette nature frêle, timide, rêveuse, née pour la vie privée et pour les tendresses du foyer allemand. (LAMARTINE, Histoire de la Restauration, t. I.)

[47] Pour prix d'obéissance à leurs volontés, les alliés stipulèrent, dans un protocole séparé des conférences et daté du 23 mars, que les duchés de Panne, Plaisance et Guastalla ; à l'exception des' parties situées sur la rivé gauche du Pô, seraient possédés en toute souveraineté par elle, mais qu'ils retourneraient, après elle, à l'infant, don Carlos, fils de S. M. Marie-Louise d'Espagne. L'empereur d'Autriche renonçait pour sa fille à toute pension à laquelle elle et les siens pourraient prétendre à la charge de la France. (Archives des Affaires étrangères, Vienne, vol. 683.)

L'art. 99 de l'Acte final du Congrès de Vienne, en date du 9 juin 1815, ne devait ratifier que la possession des duchés par Marie-Louise. Quant à la réversion elle fut ajournée. Elle ne fut décidée en faveur de l'infante d'Espagne, Marie-Louise, de son fils et de ses descendants, que par le traité spécial du 10 juin 1817.