LA GUERRE DE 1870

CAUSES ET RESPONSABILITÉS — TOME SECOND

 

CHAPITRE XII. — NAPOLÉON À CHISLEHURST ET THIERS À VERSAILLES.

 

 

Comment Napoléon III, l'impératrice et le parti impérialiste avaient-ils apprécié tous ces événements ? Quelle avait été leur action pendant cette période de novembre 1870 à la mi-janvier 1871 ?... Nous allons le voir.

Dans les premiers moments de la captivité, Napoléon avait paru se résigner à son sort, tout en cherchant à se défendre contre les accusations dont il avait été l'objet, après la capitulation de Sedan. Il avait écrit à l'impératrice que ce qui aggravait son chagrin, c'était l'état dans lequel allait se trouver la France, en proie à l'invasion et à l'anarchie. Je suis bien de ton avis, disait-il, de ne rien faire, si ce n'est de réfuter les calomnies dont nous sommes abreuvés. Il tenait à protester hautement contre l'accusation d'avoir livré Sedan et l'armée pour sauver sa vie et sa couronne, d'avoir forcé Mac-Mahon à modifier ses plans, et d'avoir prélevé des millions sur les crédits de la guerre pour les placer en Angleterre et en Amérique, alors qu'il n'avait emporté avec lui que 200.000 francs. Il louait l'impératrice du courage et de la fermeté qu'elle avait montrés dans ces terribles épreuves. Il était d'accord avec elle quand elle écrivait à Mme Vandal : Que Dieu donne une victoire à l'armée de la Loire et je serai consolée de toutes mes douleurs ! Aussi, l'impératrice mérite-t-elle que le général Ducrot, dans le procès Bazaine, ait loué en elle à cette époque le patriotisme élevé d'une femme qui avait bien compris la loi du devoir et de l'honneur, et son abnégation devant les intérêts du pays.

En présence des exigences de l'Allemagne, au moment de la chute de Metz, Napoléon III se redressait. Il repoussait, lui aussi, les conditions draconiennes de l'ennemi pour le traité de paix et dans une lettre à l'impératrice, il disait : Mille fois plutôt rester dans l'oubli et la misère que de devoir son élévation à un oubli de sa dignité et des intérêts du pays ! C'est en vain que Bismarck fit miroiter à ses yeux, comme à ceux de la régente, la restauration de l'Empire, il refusa d'accéder à des propositions qui démembraient la France. Il pensait, sans aucun doute, que c'était déjà trop d'avoir voulu une guerre qui avait épuisé le pays, et c'est avec un remords réel qu'il disait : Quand je pense à tous les braves gens que j'ai vus mourir inutilement, cela me fend le cœur[1].

Il avait eu un moment l'idée que Bazaine saurait se tirer d'affaire et par des manœuvres habiles retrouverait un prestige qui rejaillirait sur le gouvernement impérial et il avait écrit au général Fleury à ce sujet[2]. Il semble certain que l'empereur eût accepté l'intervention de l'armée du Rhin dans les affaires politiques pour restaurer son pouvoir, et en cela il était d'un autre avis que l'impératrice qui voulait avant tout que la Défense nationale chassât les Allemands du territoire. Si, comme je l'ai indiqué dans le chapitre précédent, le roi Guillaume eût permis à la Garde de venir à Cassel et si la Garde eût accepté, avec l'autorisation du roi, de mettre ses forces au service de l'empereur, une sorte de coup d'État eût été tenté, mais à quels périls il eût exposé ceux qui l'eussent entrepris et la France elle-même !

Abstraction faite des nouvelles douleurs causées aux vrais patriotes par ces agitations politiques auxquelles l'ennemi eût pris part, quel était l'homme qui aurait été capable de faire réussir un tel dessein ? Ce n'était certes pas l'empereur qui, accablé par le mal physique et discrédité par ses revers, eût pris la direction du mouvement. Étaient-ce des maréchaux ou des généraux qui, malgré leur bravoure et leur dévouement incontestables, n'avaient à avouer que des défaites, si glorieuses qu'elles fussent ? Étaient-ce les hommes politiques de l'Empire qui avaient conduit ce gouvernement à sa perte par leur légèreté et leur maladresse ? Comment aurait-on pu admettre que les Roulier, les Pietri, les Jérôme David, les Clément Duvernois revinssent au pouvoir ?

Et cependant, ces hommes s'agitaient. Ils avaient des pourparlers fréquents avec Wilhelmshöhe et couraient la France, la Suisse et l'Angleterre. Ils allaient et venaient chez l'empereur. Le général de Monts a constaté au château de fréquentes visites du général Fleury, du comte Clary, de Pietri et de nombreuses dames de la noblesse française, très actives propagandistes du parti impérial. C'était naturellement Napoléon III qui faisait les frais de toutes ces négociations, et ils étaient fort élevés. Malgré le zèle apparent de tout ce monde, l'empereur n'avait pas grande confiance dans la réussite de leurs plans et de leurs intrigues. Il laissait entendre à Monts que le sort de la France était désespéré et que c'était chose peu souhaitable que de vouloir revenir au pouvoir. Mais lorsque je fis allusion à la destinée du prince impérial, rapporte le général, sa physionomie prit un caractère d'une gravité extrême, comme s'il entrevoyait déjà tous les dangers auxquels le jeune empereur pouvait être exposé. Et cependant, avec cette rapidité d'impressions qui distinguait sa nature si variable et si capricieuse, Napoléon reprenait bientôt confiance pour lui-même comme pour les siens.

Les revers de Chanzy au Mans, ceux de Bourbaki dans l'Est et de Ducrot à Paris, accablèrent le pays, et la guerre, si bravement conduite, parut toucher à sa fin. Bismarck, qui n'abandonnait pas encore la pensée de traiter avec l'empereur prisonnier et avec la régente en exil, espérant d'eux une paix qui répondrait à toutes ses exigences, faisait reproduire dans le Moniteur prussien de Versailles, le jour même de Noël, un extrait important d'un journal bonapartiste paru à Londres, la Situation. Il y était dit que la plus grande erreur que pourrait commettre la Prusse, ce serait de ne pas ressaisir avec l'Empire une alliance qu'elle n'aurait jamais dû rompre. Seul l'Empire, disait le journal, peut dispenser la Prusse de la conquête et lui permettre de réduire ses prétentions à une rectification de frontières, parce que seul l'Empire peut aviser avec la Prusse aux grands remaniements de la carte d'Europe que la conduite des Neutres a rendus indispensables, aussi bien à la tranquillité de l'Allemagne qu'à la reconstitution de la France. Le chancelier laissait imprimer cet article pour faire bien comprendre aux membres du gouvernement de la Défense nationale qu'il pourrait s'entendre encore avec l'ancien gouvernement, et à l'Europe qu'il saurait à l'occasion troubler la quiétude de certaines puissances qui ne lui avaient pas témoigné une neutralité très bienveillante. Mais, au fond, il n'était pas plus disposé à faire des concessions à l'Empire déchu qu'à la République.

Jules Valfrey[3] s'est étonné que le gouvernement de la Défense nationale n'ait pas vu, dans les menaces réitérées de M. de Bismarck de traiter avec l'Europe, un simple artifice destiné à l'effrayer. N'y avait-il là vraiment qu'un artifice ? Le chancelier n'avait-il pas eu, pendant un certain temps, la pensée qu'il trouverait plus de facilité à négocier avec les agents de Napoléon III qu'avec les républicains ? En tout cas, il joua assez bien son rôle pour arriver à inquiéter des hommes qui cependant se méfiaient de toutes ses intrigues.

Le chancelier osera faire encore la même menace à la veille même de la signature du traité de paix. Était-ce par une tactique dont il croyait le succès toujours assuré, ou par des raisons particulières qui lui semblaient déterminantes ? Toujours est-il qu'il recommençait à parler de l'Empire. La régente n'avait point fait de démarches depuis le 23 octobre 1870 ; mais elle n'était pas seule à agir ou à vouloir intervenir. Il n'est point douteux que des personnalités bonapartistes s'agitaient de plus en plus, depuis que la guerre semblait toucher à sa fin. Le comte d'Espagney, secrétaire intime de M. de Persigny, affirme que son maître était parvenu à obtenir des conditions inespérées qui, si elles eussent obtenu l'assentiment de l'impératrice, nous auraient épargné la perte de deux provinces, moins Strasbourg, et de quatre milliards. Malheureusement, la résistance aussi obstinée qu'inexplicable de celle-ci fit échouer cette combinaison[4]. Cela n'est pas vraisemblable ; car M. de Bismarck, dès les premières victoires, demandait l'Alsace, et, après Sedan, les deux provinces et quatre milliards. Il est possible toutefois qu'il demandât alors beaucoup plus qu'il n'entendait obtenir, ainsi que cela se fait dans toutes les tractations diplomatiques, mais ses exigences n'en étaient pas moins manifestes. M. de Persigny, outré de la résistance de l'impératrice, se permit, à son égard, quelques mots malséants qui lui firent perdre son crédit auprès de l'empereur. Il avait voulu négocier lui-même avec Bismarck et s'était attiré cette lettre, partie de Wilhelmshöhe le 7 janvier 1871, où le blâme n'était guère dissimulé : J'ai reçu votre lettre du ter janvier et vous remercie de vos prières pour un avenir meilleur. Sans vouloir discuter avec vous les idées que vous exprimez, je dois vous dire que rien de bon ne peut sortir de la confusion qui est le résultat d'efforts individuels faits sans discrétion et sans autorité. En fait, je trouve assez singulier que quelqu'un s'occupe de l'avenir de mon fils sans tenir compte de mes propres intentions. Je sais que vous avez écrit à M. de Bismarck qui, naturellement, m'a demandé si vous l'aviez fait avec mon consentement et en plein accord avec moi. J'ai répondu que je n'ai autorisé personne à s'occuper de mes intérêts et de ceux de mon fils sans avoir préalablement obtenu mon consentement. Le chancelier conversant, à cette époque, -avec Busch et Holstein, leur disait que le nombre considérable des prisonniers français allait être, pour l'Allemagne, un embarras véritable à la conclusion de la paix. Il ne nous restera plus qu'à les donner à Napoléon, qui a besoin de 200.000 prétoriens pour se maintenir. — Pense-t-il réellement ressaisir le pouvoir ? demanda Holstein. — Oh ! beaucoup ! énormément !... Il y songe jour et nuit, et les Anglais également[5].

Vers la même date, le prince Napoléon alla voir le général Changarnier à Bruxelles et lui proposa, de son propre mouvement, plus que le maréchalat dont avait parlé Napoléon III, c'est-à-dire la situation de régent. Le prince impérial devait être proclamé empereur et le général seul était en état de soutenir le nouveau gouvernement impérial. Vous seul, répétait le prince Napoléon, pouvez sauver la France et terminer cette guerre. Soyez régent de France et ramenez le petit prince ! Je garantis l'assentiment du roi de Prusse et de M. de Bismarck. Vous réunirez sur la frontière 130.000 de nos prisonniers commandés par des généraux dé votre choix. Si vous consentez, un agent va aller trouver tout de suite M. de Bismarck[6]. Quel était cet agent ? On ne l'a jamais su. Mais ce qui est connu, et ce qui est vrai, c'est que Changarnier, d'abord favorable à la restauration de l'Empire, refusa le rôle qui lui était offert.

Le 23 janvier, Jules Favre, reprenant à Versailles les pourparlers de Ferrières, entendit Bismarck lui redire ce qu'il avait dit quatre mois auparavant : a Vous arrivez trop tard, nous avons traité avec votre empereur. n Cela était faux. Si l'on en croit le journal de Fidus (M. Loudun), le chancelier aurait alors demandé à Napoléon III de lui envoyer un intermédiaire. Tout porte à croire que ce fut Clément Duvernois. Mais les conditions. du chancelier parurent trop rigoureuses à Napoléon qui n'osa y accéder. Cela n'empêcha pas Bismarck d'annoncer la venue d'un plénipotentiaire impérialiste pour intimider Jules Favre et l'amener à composition. Le chancelier ne se résignait pas facilement à renoncer à tout contact avec l'Empire, car il y trouvait un appui utile à ses desseins. A une boutade de son cousin Bismarck-Bohlen, qui lui rappelait une caricature du Kladderatasch représentant Napoléon III attendant à Cassel le train de Paris : Oui, disait-il, il y pense, il a peut-être raison, mais je crains qu'il n'arrive trop tard pour y monter. En somme, ce serait peut-être la seule solution possible... Mais Napoléon aura toujours besoin de la moitié de l'armée pour se maintenir. Il dit fallu, pour soutenir le relèvement de l'Empire, toute l'armée française, et l'empereur n'y comptait plus que de rares partisans.

Redoutant la formation d'un foyer asti-républicain, Gambetta crut pouvoir décréter à Bordeaux l'inéligibilité des familles ayant régné sur la France, des ministres, sénateurs, conseillers d'État ou candidats officiels du régime déchu, et cette mesure inattendue amena aussitôt une protestation en règle de M. de Bismarck. Si celui-ci s'élevait contre le décret des inéligibilités rendu par Gambetta, ce n'était pas tant par le souci de la légalité que par la crainte de l'élection d'une Assemblée hautement intransigeante, résolue à la guerre à outrance. D'après Moritz Busch, Clément Duvernois avait, à ce moment même, demandé à négocier au nom de l'impératrice qui admettait le principe de la cession d'une partie du territoire. Elle aurait, suivant lui, proposé que les départements à céder à l'Allemagne eussent la superficie de la Savoie et de Nice. Elle aurait consenti au payement d'une indemnité de guerre et à l'occupation de quelques départements jusqu'à complet payement. Enfin, elle aurait accepté de n'entamer aucun pourparler avec une puissance autre que l'Allemagne. M. Duvernois, affirmait Busch, était d'avis que, quoique l'impératrice ne fût pas populaire en ce moment, elle pourrait nous offrir plus de garanties qu'aucun homme politique élu, car celui-ci dépendrait facilement de ses électeurs. Cette considération visait Thiers, dont on parlait déjà comme du seul homme capable de tirer la France de la situation affreuse où elle se trouvait engagée. Quoi qu'il en soit de ces assertions suspectes, il n'en est pas moins vrai que le comte de Bismarck a été alors assailli par les impérialistes et qu'il y avait quelque réalité dans les propos tenus par lui. Ce qui est indiscutable, c'est que le chancelier interrogea Clément Duvernois sur les conditions légales dans lesquelles une Assemblée pouvait être convoquée en France, soit qu'on en revint au Corps législatif, soit qu'on élût une Chambre nouvelle. A peine eut-il connu le décret des inéligibilités qu'il télégraphia à Gambetta le 3 février : Au nom de la liberté des élections stipulées par la convention d'armistice, je proteste contre les dispositions émises en votre nom pour priver du droit d'être élues à l'Assemblée des catégories nombreuses de citoyens français. Des élections faites sous un régime arbitraire ne pourront pas conférer les droits que la convention d'armistice reconnaît aux députés librement élus. Gambetta fit aussitôt publier cette protestation et y ajouta ces mots : L'insolente prétention qu'affiche le ministre prussien d'intervenir dans la constitution d'une Assemblée française est la justification la plus éclatante des mesures prises par le gouvernement de la République.

Mais le gouvernement de la Défense nationale, séant à Paris, n'admit pas le décret qu'il considérait comme illégal, et Jules Favre s'empressa de déclarer à Bismarck que les mesures prises par Gambetta allaient être annulées. Le chancelier avait insisté à ce sujet dans une lettre au ministre des Affaires étrangères où il lui disait, en rappelant les négociations qui précédèrent la convention du 28 janvier : Dès le début, j'exprimai la crainte qu'il serait difficile d'assurer la liberté entière des élections. Et, confirmant alors ses premières déclarations : Inspiré par cette appréhension, j'ai posé la question de savoir s'il ne serait pas plus juste de convoquer le Corps législatif qui représente une autorité légitimement élue par le suffrage universel. Sur les instances de Jules Favre, qui rappelait le discrédit où cette assemblée était tombée et sur sa promesse formelle de maintenir partout et en tout la légalité, Bismarck n'insista pas. Il parut même assez conciliant dans les premiers pourparlers, cachant sous cette apparente modération les plus graves exigences et dissimulant des pièges odieux où tomba Jules Favre, si ignorant de la situation précise des armées de province et surtout de celle de l'armée de l'Est, qu'il fut réduit à accepter à Versailles des lignes arbitraires de démarcation, n'étant pas instruit de l'état des choses par les hommes compétents[7].

Les conditions définitives de la paix furent laissées à la discrétion de la future Assemblée nationale et de ses délégués. Le comte de Bismarck fit dire par ses agents diplomatiques qu'elles étonneraient l'Europe par leur modération. On sait en effet quel étonnement elles ont causé, non par la modération, mais par l'exagération qui les caractérisait. Il est bon de rappeler aussi que le nombre des troupes régulières à Paris fut limité par la Prusse à seize mille hommes, ce qui était dérisoire pour contenir trois cent mille gardes nationaux bien armés. Le général Clément Thomas, qui allait être une des premières victimes de la Commune, protestait vainement contre cette réduction des troupes régulières qui devait fatalement assurer le triomphe des irréguliers et des révolutionnaires. Évidemment, la Prusse ne faisait rien pour empêcher une insurrection de succéder à la guerre, et c'est ainsi qu'avec son appui, la Commune, qui avait été réprimée le 31 octobre 1870, put se redresser victorieusement dix-sept jours après les préliminaires de paix votés par l'Assemblée nationale.

 

Pendant que l'empereur Guillaume remerciait la Russie d'avoir facilité par une attitude très amicale les succès de l'armée allemande et que le tsar lui répondait par des éloges sans réserves et par des veaux affectueux, le président des États-Unis, Grant, s'associait officiellement à cette satisfaction. Dans son message au Sénat et aux représentants, le 7 février, il disait que l'union des États de l'Allemagne, sous une forme de gouvernement semblable en beaucoup de points à celui de l'Union américaine, était un événement qui ne pouvait manquer d'éveiller les sympathies du peuple des États-Unis. Il s'en réjouissait, ainsi que de la cordialité des relations entre lui et l'Allemagne. Il constatait que l'intimité des deux peuples était accrue par le flot continuel d'émigration qui amène les Allemands vers l'Amérique. Aussi, croyait-il devoir demander au Parlement de placer dorénavant le ministre de Berlin sur le même pied que ceux de Londres et de Paris. Cette demande fut agréée avec le plus vif empressement.

Le 23 février, Bancroft énumérait complaisamment les revers qui avaient mis fin à la dictature de Gambetta et forcé la France à admettre les conditions de paix qui étaient presque une capitulation. Le 27, il disait : L'indemnité pécuniaire pèsera lourdement sur la France, car l'argent doit être trouvé et payé en trois ans et la guerre a causé dans le crédit de la France un ébranlement dont elle ne se relèvera pas de sitôt. On sait quel foudroyant démenti le crédit de la France donna à une prédiction aussi impertinente. Il dut causer à cet Américain, plus impitoyable pour nous qu'un Allemand, une très désagréable surprise. Du reste, Bancroft était habituellement porteur de nouvelles fausses, puisqu'il al ait osé écrire à Fish qu'il y avait eu cinquante mille morts par le bombardement dans Paris ; que les morts gisaient sans sépulture dans les rues et qu'il n'y avait aucun secours pour les blessés[8] !

Washburne ne croyait pas à la durée de la paix et déclarait que, pour le présent, il existait dans toute la France un sentiment de haine contre les Prussiens tel qu'il n'y en a eu aucun exemple dans l'histoire des peuples. Après le bombardement de Paris, après la soustraction de l'Alsace et de la Lorraine qui allaient être la rançon forcée de la paix, après l'indemnité de 5 milliards, y avait-il lieu de s'en étonner ? Mais, seul, Bancroft espérait que les hommes d'État français seraient plus raisonnables et plus éclairés et qu'ils fonderaient une République sur des bases semblables à celles des États-Unis. L'Angleterre, l'Autriche, l'Italie et les autres États avaient salué le nouvel Empire raisonnable allemand en lui souhaitant tonte prospérité. N'était-ce pas chose naturelle ?

J'ai dit que Bismarck et Thiers devaient se revoir, mais dans quelles conditions ! Paris, cédant enfin aux angoisses et aux étreintes implacables de la famine, avait capitulé. Nos armées de province, privées pour la plus grande partie de leurs cadres et de leurs officiers, étaient réduites à un petit nombre d'hommes, étant donnée l'immense supériorité numérique de l'ennemi auquel ne manquaient ni les cadres ni les approvisionnements de toute nature et que des succès inespérés avaient profondément enorgueillis. Devant Bismarck triomphant, et à qui la Prusse était redevable en grande partie de ses victoires, le seul avantage de Thiers, chef du pouvoir exécutif, était d'avoir été élu par vingt-six départements, ce qui attestait la confiance du pays dans ses lumières en même temps que sa reconnaissance pour les services déjà rendus.

Le mardi 21 février, à une heure et quart, Thiers arrive chez Bismarck, rue de Provence, à Versailles. Venant à sa rencontre, le comte lui dit : Ce n'est pas à tous que devait incomber une pareille biche ! Je ne sais si la France vous a fait du bien, mais je sais qu'elle s'en est fait beaucoup à elle-même en vous confiant ses destinées. Le compliment fait, il passe aussitôt à la question de la prolongation de l'armistice et parait s'y opposer. Thiers fait observer que l'armistice expire dans quarante-huit heures et que ce délai est insuffisant -pour conclure un traité de paix. Il refuse de se prêter à ce qu'il considère comme une véritable violence. La convocation de la nouvelle Assemblée, sa réunion, sa constitution, la formation du Cabinet, tout cela avait été fait en deux jours, et lui, une heure après avoir présenté ses ministres à l'Assemblée, était parti immédiatement pour Paris, puis à peine arrivé dans la capitale, s'était rendu presque aussitôt à Versailles. Cette rapidité n'était-elle pas la preuve de sa bonne volonté ? Pouvait-il faire davantage ? Et, d'autre part, avait-on la prétention de l'enfermer dans un cercle d'heures aussi étroit ? C'était là une oppression intolérable à laquelle il ne se soumettrait pas.

Bismarck, embarrassé plutôt que convaincu, lui dit : Je ne suis pas le maître. On me reproche d'être trop faible. On recommence la campagne dirigée contre moi à Prague (en 1866) et qui me fit tant de mal ; on dit que je ne puis vous réduire. Quoi ! vous, l'auteur de la grandeur de la Prusse, vous n'êtes pas le maître ?C'est pourtant ainsi ; il faudra donc que je vous quitte pour aller prendre les ordres du roi. Il y avait quelque chose de vrai dans ces assertions du chancelier. Alors Thiers demanda à voir lui-même le souverain pour essayer d'émouvoir son cœur ; mais Bismarck, devenu soucieux, lui répondit : Sans doute, il faut le voir, mais ne le poussez pas trop. Les rois, voyez-vous, ne sont pas habitués à une vie aussi laborieuse que la nôtre. A son âge, il a besoin qu'on ménage ses forces. D'ailleurs, il n'aime pas à parler d'affaires hors de la présence de ses ministres. — Eh bien ! reprit Thiers, arrivons maintenant aux conditions de la paix. — Je m'en suis déjà expliqué avec vous, repartit Bismarck. Je ne ceux pas maquignonner, car ce serait peu digne. Je pourrais vous parler de l'Europe et vous demander en son nom de rendre la Savoie et Nice à qui elles appartiennent. Je n'en ferai rien et ne vous parlerai que de l'Allemagne et de la France. Je vous ai demandé déjà l'Alsace et certaines parties de la Lorraine. Je vous rendrai Nancy, quoique le ministre de la guerre veuille le garder ; mais nous conserverons Metz pour notre sûreté. Dominant son émotion, Thiers répondit froidement : Vous n'avez parlé que de la partie allemande de la Lorraine ?Sans doute, mais il nous faut Metz ; il nous le faut pour notre sûreté. — Continuez !Quand je vous ai vu, en novembre, je vous avais demandé quatre milliards ; il nous en faut six aujourd'hui. Six milliards ! mais personne au monde ne pourrait les trouver. Ce sont des militaires qui vous ont suggéré ces chiffres. Comment ! l'Alsace, Metz et six milliards ! Tout cela, c'est impossible. Nous discuterons, et, pour discuter, il nous faut du temps ; prorogeons d'abord l'armistice. Je ne maquignonnerai pas plus que vous ; mais je vous ferai connaître mes conditions... et puis, si vous me demandez l'impossible, je me retirerai et vous gouvernerez la France ! C'est sous l'impression de ces paroles que Bismarck quitta son interlocuteur pour aller demander au roi la prolongation de l'armistice. Elle fut accordée jusqu'au dimanche 26 à minuit. Puis Thiers fut informé que le roi le recevrait le lendemain.

Il est facile de se représenter les angoisses que dut éprouver le négociateur français après cette première entrevue et la nuit terrible qu'il dut passer. Céder Strasbourg, Metz, l'Alsace et la Lorraine et consentir à une indemnité de six milliards, tel était le prix d'une guerre folle qu'il avait en vain cherché à éviter à son pays ; tel était le prix de ses efforts infatigables pour nous concilier une Europe indifférente, jalouse ou complice ! Amitié à l'âge de soixante-quatorze ans, après une vie de labeurs sans pareils, en être réduit à assumer sur sa tête la plus douloureuse et la plus écrasante des responsabilités ! Si encore, dans le naufrage où sombrait la patrie, il pouvait sauver quelques débris de sa gloire passée et garder quelques lambeaux des provinces menacées ! Mais comment l'espérer, en face de vainqueurs âpres et farouches enfiévrés par toutes les ambitions et toutes les exigences, infatués de leurs victoires et ne rencontrant devant eux aucune puissance capable de les modérer ? Si un sentiment ardent et patriotique du devoir à accomplir ne l'avait soutenu, qui aurait pu s'étonner que Thiers, trouvant le fardeau trop lourd pour ses épaules, se fût retiré tout à coup et eût laissé à d'autres la responsabilité d'une paix aussi redoutable ?... Il a été dit et répété que Thiers manquait des aptitudes et de l'expérience d'un vrai et habile négociateur, qu'il n'avait pas su lire dans le jeu de ses adversaires et qu'il s'était montré trop prêt aux plus grands sacrifices. Ces reproches sont injustes. Nous avons vu, dans la première partie de ce livre, avec quel zèle, quelle intelligence, quelle ardeur Thiers avait tour à tour supplié lord Granville, Gladstone, de Beust, Gortschakov, Visconti-Venosta et les souverains eux-mêmes d'intervenir en faveur de la France. Si l'Europe avait été pour lui introuvable, elle l'eût été encore davantage pour d'autres, et ce n'est vraiment pas quelque adroit diplomate de carrière qui eût pu faire mieux que lui.

On se plaint encore que Thiers, au lieu d'avoir les allures froides d'un négociateur de profession, ait été vif, ouvert et un peu trop verbeux. Mais Bismarck lui-même, dont on vante l'observation attentive, l'audition patiente et le parler discret, ne se gênait pas pour converser sans cesse avec Thiers de choses et d'autres, prenant tour à tour le ton de la confiance et de la bonhomie et, au moment le plus décisif et le plus urgent des négociations, se répandant en anecdotes intarissables sur le roi, le prince royal, M. de Moltke, les courtisans, la Cour, etc. Il est élident que c'était un rude adversaire, habile à ourdir des pièges, à circonvenir et à surprendre ceux qui avaient la prétention de jouter mec lui. Mais, encore une fois, au mois de février 1871, où était le diplomate plus fort et plus autorisé que Thiers pour rivaliser avec Bismarck ? Où était l'homme d'État plus rompu que lui aux affaires, possédant mieux que lui la connaissance des souverains, des ministres et des pays étrangers, ayant autant de réputation que lui comme politique, économiste, historien et penseur ? Qui donc avait plus que lui le sentiment de la nécessité de la reconstitution de la France et de ses forces vitales ? Les courages et les bonnes volontés ne manquaient pas, mais, en ces heures de périls et d'angoisses, il fallait y ajouter le tact et l'expérience. Ces qualités maîtresses, Thiers les possédait au suprême degré. Quant au reproche d'avoir voulu faire la paix quand même, il ne porte pas. En effet, le pays, aux élections du 8 février 1871, avait très nettement manifesté sa volonté d'en finir avec une guerre néfaste qui, malgré le dévouement héroïque de ses enfants, n'avait abouti qu'à des désastres. Ce sont les efforts pacifiques, tentés par Thiers dès le mois de septembre 1870, qui avaient attiré la juste attention de la France sur lui et lui avaient mérité les suffrages spontanés de vingt-six collèges. La lutte de la France contre la Prusse avait été longue et opiniâtre. L'honneur était sauf. Il fallait maintenant préserver ce qui restait de la fortune du pays, restaurer les ruines et assurer l'avenir. C'est cette tâche effrayante que le nouveau chef du pouvoir exécutif accepta résolument, et l'histoire doit lui en être reconnaissante.

 

Mais examinons de près le grief fait à Thiers d'avoir agi imprudemment, sans bien connaître les sentiments secrets du chancelier et les dispositions de l'Europe, et sans mettre, dans ses réclamations la force et l'opiniâtreté nécessaires.

Suivant le dernier historien de l'empereur Guillaume, le docteur Ottokar Lorenz, le chancelier allemand s'était réservé de statuer à la dernière heure sur les conditions définitives de la paix et cela d'après les dispositions de la France et de son nouveau gouvernement. Bismarck aurait dit, à plusieurs reprises en 1871 et plus tard, qu'il ne tenait pas à garder Metz qui ne rentrait pas dans ses calculs politiques personnels. C'est possible, mais le 7 septembre 1870, Guillaume avait écrit à la reine Augusta qu'il n'admettait pas, pour les conditions de la paix future, l'intégrité territoriale de la France et qu'il fallait réclamer l'Alsace et la Lorraine. C'est, disait-il, la voix unanime de l'Allemagne. Le 14 septembre, le chef du Cabinet royal, Wilmowski, affirmait qu'il était projeté de séparer de la France l'Alsace et la Lorraine. Ces deux provinces étaient déjà placées sous le gouvernement du comte de Bismarck-Bohlen, cousin du chancelier et d'accord avec lui en toutes ses ambitions. A cette date, la carte de l'état-major prussien annexait Strasbourg et Metz à la Prusse. Le 6 novembre, Guillaume mandait encore à Augusta qu'il ne pouvait abandonner l'Alsace et la Lorraine réclamées par l'Allemagne entière. Le négociateur français se trouvait donc en face d'un fait. Le souverain et toute l'Allemagne voulaient l'Alsace et la Lorraine et n'entendaient pas y renoncer. Enfin, Bismarck, auquel on reprochait encore sa modération à Nikolsbourg, eût, s'il avait voulu s'opposer à ces exigences, été sacrifié sans rémission.

Maintenant, est-il vrai que l'Europe était animée à notre égard de sentiments bienveillants et commençait à redouter pour elle-même les dangers de l'hégémonie allemande ? Hélas ! au début de 1871, l'Europe se trouvait dans une trop fâcheuse position pour agir en notre faveur. L'Autriche était paralysée par ses embarras intérieurs et par l'attitude menaçante de la Russie. Celle-ci était entièrement d'accord avec la Prusse qui lui avait accordé la révision du traité de 1856. La Russie se contentait de dire qu'elle espérait bien que la paix ne serait pas arrêtée pour une triste question d'argent. L'Italie se bornait à quelques vaux timides et l'Angleterre attendait que les autres voulussent agir. Tout, en somme, se bornait à de l'indifférence ou à des sympathies indécises. Le voyage de Thiers à travers l'Europe lui avait prouvé que l'Europe était introuvable et ce n'était ballent pas sa faute s'il ne l'avait pas trouvée.

Les élections du 8 février auraient-elles pu se faire autrement que sur la question de la guerre ou de la paix ? Non. L'Assemblée nationale aurait-elle pu s'opposer à la lecture de la motion de M. Keller ? Non, et d'autre part Thiers aurait-il pu cacher, dès le 31 octobre, ses intentions pacifiques ? Non. Enfin, Bismarck aurait-il pu ignorer le désir général, en France, de faire la paix après une lutte acharnée de sept mois ? Non encore.

Car, si la France désirait la paix, la Prusse la voulait avec une même ardeur. Donc, le vainqueur savait naturellement ce qu'il pouvait exiger du vaincu. L'Assemblée n'avait qu'à s'en remettre à la sagesse et au patriotisme de ses négociateurs, car la continuation de la guerre en février 1871 était devenue chose absolument impossible. Si Thiers alla discuter avec Bismarck, c'est que le rôle pacifique, joué par lui avant et pendant la guerre, et la désignation non équivoque du suffrage universel lui avaient imposé cette tâche. Il ne se rendit pas à Versailles avec une sorte d'infatuation personnelle, mais avec une profonde douleur, se disant que la Liche serait rude, mais sans perdre toutefois l'espérance d'arracher quelques concessions au vainqueur. On veut bien reconnaître à Thiers une rare intelligence et une profonde connaissance des affaires, mais on voudrait lui dénier les aptitudes d'un diplomate. Or, au mois de février 1871, il ne s'agissait pas de discuter méthodiquement et à l'aise, dans un Congrès paisible, autour d'un tapis vert, en face de diplomates patients et courtois. Il fallait discuter au plus vite, et sans avoir le temps de se mirer dans son encrier, avec un chancelier pressé et rude à la besogne, et terminer coûte que coûte une négociation dont le moindre retard causait les plus vives angoisses à un pays vaincu, ruiné, désespéré et prêt à faire succéder la guerre civile à la guerre étrangère.

Cette tâche-là, Thiers sut s'en acquitter. Sans doute, il y apporta sa personnalité, c'est-à-dire sa vivacité et son éloquence méridionales, ainsi que sa nervosité naturelle. Mais cela ne l'empêcha pas de débattre les moindres conditions en les discutant et les pénétrant une à une. La mousse de la pensée, écrivait Bismarck à sa femme, déborde sans arrêt de lui comme d'une bouteille débouchée, et cela lasse la patience, parce qu'il empêche d'arriver au liquide qu'il s'agit de boire. Avec cela, c'est un brave petit gaillard, chenu, respectable et aimable, avec de bonnes manières de la vieille France, et il m'a été très pénible d'être aussi dur envers lui que je l'ai dû. Les vauriens le savaient bien et c'est pour cela qu'ils l'ont mis en avant ! Il faut croire cependant que Thiers avait quelques qualités de négociateur, car s'il n'émut pas Bismarck, il en obtint plus que ne l'auraient voulu les Allemands qui l'accusaient de circonvenir le chancelier et de lui faire perdre le profit des batailles gagnées par M. de Moltke. On a affirmé qu'il a cru obtenir une satisfaction suffisante en faisant réduire d'un milliard l'indemnité de guerre. Je l'ai entendu dire à lui-même qu'il n'avait abordé la question d'argent qu'après avoir, malgré son obstination ardente, été obligé de céder sur la question de Metz. Un négociateur, qui eût été plus que lui de la carrière et qui eût abordé M. de Bismarck avec plus de raideur et d'impassibilité, n'aurait pas obtenu davantage. Peut-être moins, étant données les circonstances. Sans doute, le chancelier qui, à Nikolsbourg et ailleurs, avait fait preuve de sens pratique, n'aurait peut-être pas voulu garder Metz, puisqu'il reprochait aux officiers de l'état-major, aux demi-dieux qui le détestaient, leur rage d'annexion. Il le disait à Busch. Il le dit, surtout après la paix. Mais il ajoutait : Je dois tenir compte des dispositions d'en haut et d'en bas qui, elles, ne calculent pas.

Et encore : Les militaires ne voudront guère entendre parler de l'abandon de Metz. Ceux-ci d'ailleurs ne se gênaient pas pour lui rappeler que, dans sa circulaire du 27 septembre 1870 aux agents diplomatiques de la Prusse, il avait revendiqué la cession de Metz, et que le 29 janvier 1871, il avait écrit au chancelier Gortschakov : Nous devons nous en tenir strictement au programme qu'il y a cinq mois nous avons communiqué à Saint-Pétersbourg. La réalisation de ce programme est indispensable à notre sécurité, et l'Allemagne ne tolérerait pas une minute qu'on en changeât une virgule. Il nous faut Metz et la Lorraine. Est-ce assez clair ? Est-ce assez net ?... Bismarck savait aussi que Moltke avait déclaré que la possession de Metz pour l'Allemagne valait une armée de cent mille hommes et il n'ignorait pas que l'empereur était absolument de son avis. Il l'a dit plus tard au Reichstag avec cette bonhomie terrible qui était une des formes de son talent oratoire, et cela aux applaudissements de toute l'Assemblée.

Sans doute, on avait parlé de trouver un équivalent dans la cession de quelques colonies françaises et de la moitié de notre flotte. Mais Bismarck avait écarté cette proposition comme inopportune et inacceptable par nous. Sans doute, le grand-duc de Bade avait mis en avant l'annexion du grand-duché de Luxembourg, mais Bismarck, qui connaissait à cet égard l'opposition de l'Angleterre, ne trouvait pas que ce fût une compensation sérieuse et il écarta également cette proposition. Aussi, sachant bien que, quand même il le voudrait, l'empereur et l'état-major allemand n'abandonneraient pas Metz, Bismarck exposa brutalement, et d'un seul coup, les prétentions de la Prusse : Strasbourg et toute l'Alsace, Metz et le département de la Moselle, G milliards d'indemnité et l'occupation des territoires français jusqu'à paiement intégral. Il laissa entendre encore que l'état-major exigeait Nancy et que l'Italie pourrait bien revendiquer, avec son appui, Nice et la Savoie. La consternation de Thiers fut immense, et tout autre à sa place eût été aussi surpris et aussi désolé. Mais celui qu'on accuse d'avoir été prêt à tous les sacrifices se reprend aussitôt, proteste contre des conditions draconiennes et discute opiniâtrement. Bismarck répond que ses conditions paraissent insuffisantes à plus d'un Allemand qui aurait voulu douze et même quinze milliards... La discussion fut très violente. Il échappa à Thiers de dire : C'est une indignité ! Alors, Bismarck furieux se mit à parler allemand pendant une demi-heure. Il menaça ensuite de rompre les négociations et réclama un interprète. Puis, ayant cru qu'il avait produit son effet de terreur, il revint à la question. Thiers, qu'il n'avait pas ébranlé, lui rappela qu'en octobre 1870, il n'avait pas été question de Metz. Il nous faut Metz aujourd'hui, répliqua brusquement le chancelier ; notre sécurité est à ce prix. La discussion s'arrêta et le seul avantage que Thiers obtint dans ce premier entretien fut la prolongation de l'armistice pour cinq jours.

Le 22 février, après quelques paroles échangées avec Bismarck sur le seuil de la rue de Provence, et au moment où il le quittait pour aller voir l'empereur Guillaume, Thiers fit allusion aux sympathies de l'Europe pour la cause française. Le chancelier lui dit alors avec impatience : Si vous me parlez de l'Europe, je vous parlerai de Napoléon ! Thiers riposta que celui-ci n'était plus à craindre. Alors, Bismarck le pria de songer au plébiscite, aux paysans et aux soldats. La Garde ne peut reconquérir que sous l'Empire sa position d'autrefois. Il ne sera pas difficile à Napoléon de gagner cent mille des soldats internés en Allemagne. Nous n'avons qu'à laisser partir ces hommes tout armés et la France est à lui. Si les conditions que nous exigeons ne sont pas accordées, nous interviendrons,ce que nous avons évité jusqu'à présent,et nous vous imposerons Napoléon. En face de telles menaces, la situation du chef du pouvoir exécutif était devenue affreuse. Dans ses Mémoires, le général de Stosch, intendant général en 1870, et qui se trouvait alors à Versailles, écrivait à la date du 23 février, à sa femme : Thiers est ici, l'armistice est prolongé de deux jours et ceci implique la conclusion de la paix à très brève échéance. Thiers n'a pu s'engager aussi longtemps que ses quinze conseillers — les commissaires de l'Assemblée nationale — n'étaient pas arrivés. D'ici peu de jours nous assisterons à des événements décisifs, et c'est précisément pour cela que nous n'entendons parler de rien. Dans les grandes circonstances, Bismarck, habituellement si expansif, ne desserre plus les lèvres. On dit que Thiers est très humilié. Il ne se sent appuyé par personne et cherche des alliés. Mais Bismarck avait prévu la chose ; il a éloigné d'ici tous les diplomates étrangers. Napoléon a aussi, près de nous, un émissaire, qui doit éventuellement prendre part aux négociations. Thiers sera reçu, cet après-midi, en audience intime ; il veut faire appel au cœur du roi. J'espère que Bismarck se tiendra derrière la portière et saura empêcher notre vieux souverain de se laisser attendrir... Le kronprinz m'a invité à l'accompagner en voiture à Saint-Germain, dès que Thiers aura été congédié. Je suppose qu'il veut me parler de l'entrevue... Stosch écrivait encore, le 23 février : Thiers a donc été reçu hier par le roi et le kronprinz. Il se montre excessivement modeste, rejette sur Napoléon toute la responsabilité de la guerre et demande que l'on ménage la France. Le roi et son fils lui ont déclaré qu'ils souhaitaient la paix, mais que les négociations relatives à sa conclusion étaient du ressort exclusif du comte de Bismarck. Thiers a soulevé aussi la très grosse question de notre entrée à Paris. Il dit que la chose en elle-même n'était pas difficile, mais qu'elle était agaçante pour les Parisiens. Bismarck restait fidèle à son ancienne tactique et témoignait toujours la même brutalité. Attristé et inquiet, Thiers se rendit à la Préfecture et fut reçu très courtoisement par l'empereur qui se borna à regretter les obligations, terribles pour nous, que lui dictaient les événements et auxquelles il ne pouvait se soustraire. Le négociateur français avait été d'ailleurs si ému par l'idée qu'on pourrait céder Metz, que Bismarck avait été obligé de le calmer et de lui dire que ce n'était là qu'un simple pourparler. Et à l'un de ses intimes le chancelier disait presque aussitôt : On me couperait le cou, ainsi qu'à mon souverain, si nous revenions à Berlin sans l'Alsace et la Lorraine.

Thiers savait d'avance que l'entretien roulerait plus particulièrement sur l'entrée des Prussiens à Paris. Bismarck, en effet, lui en avait parlé la veille, ce qui l'avait beaucoup effrayé. Comment, avait dit Thiers, pour une satisfaction d'amour-propre vous vous exposeriez à une catastrophe ? Car si Paris était saccagé, nous en souffririons sans doute ; mais vous seriez déshonoré et, après une pareille tragédie, la paix serait impossible !Si vous avez à compter avec la dignité du peuple de Paris, riposta Bismarck, j'ai, moi aussi, à compter avec la gloire de l'année prussienne et à prendre garde qu'on ne puisse dire, comme vos journaux le font tous les jours, que cette armée, venue aux portes de Paris, n'a pas osé y entrer. Et, faisant allusion à des lettres publiées par le général Trochu, il ajouta que l'empereur était très offensé de ce que lui, souverain militaire, eût été mis au défi de braver un coup de pistolet. Toutefois, Bismarck suggéra à son interlocuteur, comme un expédient propre à tout concilier, de laisser occuper un quartier éloigné dans Paris, tel que les Champs-Élysées. Thiers donna lui-même à Guillaume toutes les raisons contre l'entrée à Paris ; il eut soin naturellement d'écarter l'idée d'un attentat contre sa personne, mais il insista sur la possibilité d'une collision qui amènerait peut-être le sac de Paris. L'empereur lui répondit de la discipline de son armée, disant que ses soldats avaient besoin d'être ménagés et que leur interdire. l'entrée de la capitale était bien dur.

Le chef du pouvoir exécutif alla ensuite trouver le prince royal qui le pressentit sur les conditions de la paix, et cela avec une bienveillance qui lui donna quelque espoir. A-t-il laissé espérer à Thiers qu'il y aurait moyen de sauver Metz ? Des écrivains allemands l'ont dit, et c'est à ce propos que M. flans Delbrück, professeur à l'Université d'Iéna, se fiant un peu trop aux assertions du docteur Lorenz, a cru pouvoir écrire récemment : Lors des négociations en 1871, l'Allemagne était déjà disposée à renoncer à Metz. Les Français ont faibli et, cela étant, Bismarck naturellement a tenu bon. Or, les Français n'ont pas faibli du tout, et l'on peut affirmer que, pas plus que le chancelier, le kronprinz n'aurait obtenu de son père et de l'état-major l'abandon de Metz. La rage de l'annexion, plus encore qu'en 1866, l'emportait sur les calculs politiques les plus justes. Et, comme l'a justement dit Thiers, en rappelant ses vains efforts pour réduire les exigences du vainqueur :

J'ai fait valoir ces considérations de l'avenir, ces haines implacables qu'on allait soulever dans le cœur d'une grande nation. Mais je dois aussi le dire : la victoire n'est pas toujours beaucoup plus sensée que la défaite. n Thiers revint ensuite chez Bismarck. La journée fut orageuse. Les deux interlocuteurs sortirent des généralités pour préciser les faits. De là des discussions ardentes. Thiers réserva ses efforts pour sauver ce qui pouvait l'être encore, et il affirma que les Français 'ne sauraient renoncer à aucune partie de la Lorraine. Metz fut l'objet d'une longue discussion de sa part, ce qui prouve, une fois de plus, l'erreur de ceux qui l'accusent de n'avoir fait aucun effort pour sauver cette malheureuse ville. Thiers rappela à Bismarck qu'en novembre il était moins exigeant. Ce qui était possible en novembre, répondit le comte, ne l'est plus aujourd'hui, après trois mois d'effusion de sang. Et il ajouta sèchement que si notre résolution était de ne pas céder Metz, il fallait rompre sur-le-champ la négociation. Nous verrons bien si nous devons rompre, répliqua Thiers qui comprit alors que son obstination à ce sujet ne servirait à rien et aborda le chiffre de l'indemnité de guerre. Six milliards paraissaient à Bismarck une somme très modérée. Thiers n'eut pas de peine à prouver que sur six milliards il y aurait au moins trois milliards de bénéfice au profit de la Prusse, ce qui convertirait l'indemnité en une véritable spéculation financière. Le comte, qui semblait tenir singulièrement à l'argent et qui suivait à notre égard la conduite âpre et avide de ses prédécesseurs en 1815, prétendit avec humeur que le chiffre de l'indemnité lui venait de Prusse et qu'il ne pouvait rien décider avant d'avoir télégraphié à Berlin. Il fut alors convenu que, dès qu'il aurait reçu la réponse de Berlin, il enverrait à Paris des hommes spéciaux pour traiter de ce sujet avec Thiers.

Le lendemain, 23 février, de Henckel et Bleichröder, représentants financiers de Bismarck, vinrent docilement répéter à Thiers ce que leur maître lui avait dit la veille. Le chef du pouvoir exécutif démontra qu'une telle opération financière était impossible et qu'on ne pourrait pas tirer aisément des capitalistes de l'Europe une somme aussi énorme. Bleichröder, le premier banquier de l'Allemagne, en convint à peu près ; seul, de Henckel, aventurier politique et financier d'occasion, lit quelques difficultés pour admettre ce fait. L'un et l'autre, paraissant à la fin compatir à notre situation, offrirent avec obséquiosité leurs services pour régler cette indemnité, à la condition qu'on laissât à la Prusse le soin de percevoir les impôts en France. Thiers repoussa naturellement cette offre intéressée et répondit avec une juste fierté que la France saurait se suffire à elle-même.

Le même soir, le chef du pouvoir exécutif, à qui l'on a reproché de n'avoir pas consulté les représentants qui l'accompagnaient, réunit les quinze membres de la commission parlementaire que l'Assemblée lui avait donnés pour acolytes à Versailles. C'étaient Benoist d'Azy, Teisserenc de Bort, le comte de Mérode, Deseilligny, Victor Lefranc, Laurenceau, le baron Lespérut, Saint-Marc-Girardin, Barthélemy-Saint-Hilaire, Vitet, Batbie, le général d'Aurelle de Paladines, l'amiral La foncière Le Noury et l'amiral Saisset, tous patriotes, tous compétents, tous au courant des été-liements, tous disposés à agir dans le seul intérêt de la France. Je les ai entendus plusieurs fois parler de ces douloureux événements, et je puis attester que tout ce qui suit et qui forme le récit de Thiers est entièrement conforme à la vérité. Thiers, très ému, leur lit un exposé complet des négociations. A son émotion répondit celle de ses collègues. Les conditions de la Prusse étaient tellement effroyables ! Il est vrai que nous conservions la plus grande partie de la Lorraine, mais Metz était perdu !... Thiers laissa ses collègues dans l'inquiétude où il était lui-même à l'égard de la frontière de l'Est, surtout à l'égard de Belfort, le point le plus important de cette frontière. Arriverait-il maintenant à sauver cette ville héroïque qui pendant cinq mois avait résisté aux efforts acharnés des Prussiens, qui résistait encore et qui, comme Bitche, avait prouvé que là où se trouvent des hommes résolus à se défendre par tous les moyens et jusqu'à la mort, l'ennemi le plus opiniâtre est forcé de reculer ? Après la perte de Strasbourg, après la perte de Metz, il fallait coûte que coûte garder Belfort. C'est à quoi Thiers consacra une ténacité sans pareille. Quant à la question financière, il déclara à la Commission qu'il n'accepterait pas le chiffre de six milliards. Ses collègues convinrent, en effet, qu'il était excessif ; mais tous, en lui témoignant la plus grande confiance, pensèrent et dirent qu'il fallait signer la paix, car rien ne serait plus désastreux que de recommencer la guerre dans les conditions déplorables où se trouvaient les forces militaires et économiques du pays. Cette décision de la Commission parlementaire prouve, contrairement à ce qui a été dit, que la Commission a été consultée en temps utile et qu'elle a pris sa large part des responsabilités dans la grave question des préliminaires de la paix.

Le 24 février fut l'une des journées les plus dramatiques de cette douloureuse négociation. Kern, ministre de la Confédération helvétique, était allé parler à Bismarck de l'intérêt qu'il y avait pour la France de conserver ses communications avec la Suisse, et il l'avait fait avec les meilleures intentions du inonde. Que venez-vous faire ici ? lui avait dit brutalement le chancelier. De quoi vous mêlez-vous ? C'est là une question qui doit se vider entre la France et nous ! Et vous, Neutres, vous n'avez pas à vous en mêler ; nous avons donné des conditions, elles sont irrévocablement fixées et nous ne les changerons pas. Si elles ne sont pas acceptées, la guerre recommencera ! Kern épouvanté vint, aussitôt rentré à Paris, raconter cette scène à Thiers et lui fit entendre qu'il devait renoncer à tout espoir de convertir Bismarck à la modération et qu'il fallait se hâter de tirer la France du précipice où elle était tombée. Ce rapport n'était guère encourageant et Thiers partit fort inquiet pour Versailles. Là il revint une dernière fois sur la question de Metz, la tille française par excellence, et en demanda, avec les plus lites supplications, le maintien à la France. Bismarck daigna reconnaître qu'il était très impolitique de pousser notre pays au désespoir et ajouta qu'il aurait voulu lui-même modérer les exigences du parti militaire ; mais il déclara formellement qu'il n'y avait pas moyen de nous abandonner Metz. En Allemagne, dit-il à ce propos, on m'accuse de perdre les batailles que M. de Moltke a gagnées. Ne me demandez donc pas l'impossible ! Cette journée si rude est ainsi décrite dans les Mémoires du général de Stosch :

Bismarck secoua fameusement ses deux interlocuteurs. Dès le début de la séance, il fut obligé de s'absenter une minute. Thiers en profita pour ouvrir la fenêtre. Rien que pour dire quelque chose, je déclarai qu'il faisait très chaud. Oh ! oui, s'écria Thiers, surtout quand on est traité comme nous le sommes !

Les deux Français étaient très prolixes et, à l'occasion de chaque observation ou proposition, faisaient d'interminables discours. Finalement, Bismarck dit :

Cela ne peut pas aller ainsi. Nous piétinons sur place. Je vous prie instamment de ne plus nie répondre que par de simples contre-propositions.

Thiers. — Encore faut-il que nous les motivions !

Bismarck. — Nullement. Il faut vous en rapporter à moi du soin de peser leur valeur. D'une façon générale, je vous prie de mesurer davantage vos paroles et de vous abstenir de discours blessants. Vous êtes les maîtres de la France, vous êtes absolument indépendants. Or, ce n'est pas mon cas, attendu que je suis lié par mes instructions et obligé d'exécuter strictement les ordres de mon souverain. Vous savez que nous ouvrirons le feu lundi, si nous n'avons pu nous mettre d'accord avec vous avant ce terme. J'espère que vous comprendrez ce langage. D'ailleurs, voilà déjà sept heures que nous discutons aujourd'hui sans aboutir à une solution, et ma santé ne me permet pas de continuer ainsi.

Cette philippique impressionna au plus haut point les deux Français, et Thiers s'écria à deux reprises :

Mais, monsieur le comte, mais, monsieur le comte !...

Finalement, ils déclarèrent ne pouvoir faire d'autres concessions et rentrèrent chez eux. Ils sont revenus aujourd'hui et j'ai appris qu'ils allaient signer.

Les pauvres gens n'aboutissent point, parce que, à chaque instant, Bismarck introduit de nouvelles clauses dans les préliminaires. Il veut en finir complètement avec les Français, avant que d'autres aient le droit de fourrer le nez dans les négociations et je suis persuadé qu'il y réussira...

Telles étaient les difficultés auxquelles il fallait faire face et voilà comment il étai facile de garder à la France la capitale de la Lorraine !

Cette fois, il était évident pour Thiers que le parti des Allemands était irrévocablement pris et qu'il fallait réserver tous ses efforts pour sauver la frontière de l'Est. C'est alors, dit-il, que j'ai commencé au sujet de Belfort une lutte dont je me souviendrai toute ma vie. Belfort, c'est la frontière de l'Est ; en effet, si les troupes prussiennes peuvent venir par Verdun et Metz, les troupes de l'Allemagne du Sud viendront toujours par Belfort, surtout si la neutralité de la Suisse est violée. J'ai donc parlé de Belfort. Bismarck répondit que cette place était en Alsace et qu'il avait été décidé que l'Alsace, tout entière, devait passer à l'Allemagne. Pendant de longues heures, tantôt menaçant, tantôt priant, M. Thiers déclara que jamais il ne céderait Belfort. Non, jamais, s'était-il écrié, jamais je ne céderai à la fois Belfort et Metz. Vous voulez ruiner la France dans ses finances, la ruiner dans ses frontières ! Eh bien ! qu'on la prenne, qu'on l'administre, qu'on y perçoive des impôts ! Nous nous retirerons et vous aurez à la gouverner, en présence de l'Europe, si elle le permet ! Il prononça ces paroles avec un tel accent de désespoir que Bismarck, ému lui-même, lui prit les mains et lui dit : Croyez-moi, j'ai fait tout ce que j'ai pu... Mais quant à vous laisser une partie de l'Alsace, c'est impossible. Mais Thiers ne cédait pas. Je signe à l'instant même, déclara-t-il, si vous me laissez Belfort. Sinon rien, rien que les dernières extrémités, quelles qu'elles soient !

Devant une telle décision qui paraissait, ou plutôt qui était indomptable, c'est le vainqueur qui est épuisé ; c'est le vainqueur qui va être vaincu. Vous le voulez ! s'écrie M. de Bismarck. Je vais faire une tentative auprès du roi, mais je ne crois pas qu'elle réussisse. Aussitôt il écrit deux lettres, l'une qu'il fait porter chez le roi, l'autre chez de Moltke. Puis s'adressant à Thiers : Je demande Moltke, dit-il, car il faut le mettre avec nous ; sans lui nous n'obtiendrons rien. Cette scène tragique est racontée en quelques mots de la façon la plus saisissante : Une demi-heure s'écoule ; tous les bruits de pas dans l'antichambre nous faisaient battre le cœur... Enfin la porte s'ouvre. On annonce que le roi est à la promenade et que M. de Moltke est absent de chez lui. Le roi ne rentrera qu'à quatre heures ; M. de Moltke, on ne sait quand. Nous nous décidons à attendre, car partir sans avoir résolu la question, ce serait la perdre. M. de Bismarck nous quitte pour aller dîner, et nous passons une heure, M. Jules Favre et moi, dans une anxiété inexprimable. M. de Bismarck reparaît. Le roi est rentré, mais on ne veut rien décider sans avoir vu M. de Moltke. Celui-ci arrive. M. de Bismarck nous quitte pour aller l'entretenir. Nous attendons. L'entretien nous parait long. M. de Bismarck rentre, le visage satisfait : Moltke, dit-il, est des nôtres ; il va convertir le roi. Nouvelle attente de trois quarts d'heure. On rappelle M. de Bismarck qui va s'informer de ce que rapporte M. de Moltke. Après un entretien assez long avec lui, il revient et, la main sur la clé de la porte, il nous dit : J'ai une alternative à vous proposer. Que préférez-vous : Belfort ou la renonciation à notre entrée dans Paris ?Je n'hésite pas, et, jetant un regard sur M. Jules Favre qui devine mon sentiment et le partage : Belfort ! Belfort ! m'écriai-je.

Et Thiers ajoute ces nobles paroles : L'entrée des Allemands dans Paris devait être une souffrance pour notre orgueil ; un danger pour nous, gouvernants ; mais la patrie avant tout ! Le deuil de Paris sera la rançon de Belfort !

Voici comment le général de Stosch appréciait alors les deux hommes d'État français :

Thiers est habile et pénétré du sentiment de ses devoirs. Il reconnaît franchement toutes les lacunes et on voit qu'il n'existe nulle part de base solide sur laquelle on puisse édifier un nouveau gouvernement ; néanmoins, il ne jette pas le manche après la cognée et ne néglige aucun moyen de remédier à cette situation et de l'améliorer. Il a toutes les apparences du médecin à la mode : habilement irréprochable, manières distinguées, langage aimable, avec, par-ci par-là, une parole mordante ou une fine plaisanterie. Quand un de ses malades est irrémédiablement perdu, il n'abandonne point la partie et s'arrange de manière à le prolonger au delà du terme. En revanche, il ne veut pas entendre parler d'opérations au cours desquelles les patients risqueraient de mourir entre ses mains. En pareil cas, il passe les malades à un confrère...

Jules Favre est avocat des pieds à la tête. C'est un homme trapu et d'aspect rude. Il a derrière lui un passé de travail acharné, et ne doit qu'à lui-même tout ce qu'il possède. Pour l'instant, il déploie tous ses artifices et ses roueries, afin de gagner le procès en cours, parce qu'il n'éprouve aucune envie de partager le sort de sou client, au cas où ce dernier serait envoyé à la potence. D'autre part, il n'est pas homme à suivre l'exemple d'autres ministres, ses prédécesseurs, je veux dire à spéculer sur l'achat ou la vente de la corde...

Tel était le jugement humoristique d'un officier allemand sur ceux qui avaient la pénible mission de négocier les terribles préliminaires de la paix.

Parti de Paris à onze heures du matin, Thiers quitte Versailles à neuf heures et demie du soir, ayant enfin conservé Belfort à la France. De dix heures à minuit, il s'entretient avec la Commission parlementaire ; il lui raconte avec émotion tout ce qui s'est passé et elle le remercie de ses vaillants efforts. Le lendemain, Bismarck fit à M. Thiers, qui était revenu le voir, un surprenant accueil. Il lui reprocha, au cours de la conversation, de revenir sur des points déjà débattus et de chercher à reprendre sous une autre forme les avantages qu'il nous avait arrachés. Thiers avait seulement essayé de réclamer la compensation avec le montant de la contribution de guerre, réduite sur ses instances à cinq milliards, de la fraction du capital de la dette publique proportionnelle à l'importance des impôts affectant les territoires cédés. Ce que Bismarck n'avouait pas, c'est qu'il avait reçu de lord Granville un télégramme qui protestait contre le chiffre de l'indemnité. Le chancelier furieux nous accusait, dans un langage acerbe, d'inventer des prétextes pour traîner les négociations en longueur et nous préparer à recommencer la guerre. Vous n'avez d'autre but, dit-il enfin, que de rentrer en campagne ; cous y trouverez l'appui et les conseils de vos bons amis, messieurs les Anglais ! Puis, s'échauffant davantage : Je suis bien bon de prendre la peine à laquelle vous me condamnez ; nos conditions sont des ultimatums ; il faut les accepter ou les rejeter. Je ne veux plus m'en mêler. Amenez demain un interprète ; désormais je ne parlerai plus français ! Alors il se mit à parler et à discourir en allemand avec une volubilité furieuse, tandis que Thiers gardait un silence attristé. L'arrivée d'Alphonse de Rothschild mit fin à cette pénible scène. Dès ce moment, Bismarck changea du tout au tout, se montrant prévenant et même gracieux. Thiers reçut froidement ses politesses et le quitta vers onze heures du soir, sans avoir fait les concessions in extremis sur lesquelles comptait Bismarck. Chaque article des préliminaires avait été discuté un à un ; il ne s'agissait plus que de les transcrire en double.

Le rendez-vous avait été donné pour la signature, le dimanche 26, à une heure. Thiers et Jules Favre y furent exacts, niais, soit par lenteur administrative, soit par un calcul prémédité, on les fit attendre plus de trois heures. Lorsque le texte des préliminaires fut lu et collationné devant les ministres de Bavière, de Wurtemberg et de Bade, Bismarck qui ne dissimulait pas sa joie, fit chercher pompeusement une plume d'or que les dames de Berlin lui avaient envoyée pour la circonstance. Sans laisser voir la douleur qui le déchirait, Thiers s'approcha d'une petite table à jeu où l'on avait déposé les actes et y écrivit lentement son nom. Jules Favre, gardant la même attitude, l'imita, puis tous deux se retirèrent silencieux.

Remontés en voiture, a écrit Jules Favre, nous ne trouvâmes pas une parole à échanger pendant tout le trajet. Mon cœur était si oppressé qu'il m'étouffait. Immobile et comme foudroyé, Thiers succombait à son émotion. De Versailles jusqu'à Paris, ses yeux ne cessèrent de se mouiller de larmes. Il les essuyait sans dire un mot, mais il était facile de voir à l'expression de ses traits bouleversés qu'il était en proie à l'une des plus ineffables douleurs qu'il soit donné à l'homme de ressentir. Les notes de Thiers ne contiennent à cet égard qu'une ligne ; mais elle est significative : Journée la plus cruelle de ma vie !...

La première partie de la tâche immense entreprise par le chef du pouvoir exécutif était terminée, Dieu sait au prix de quels sacrifices et de quels efforts ! La seconde partie, c'est-à-dire la libération du territoire, allait, comme nous le verrons bientôt, être accomplie par Thiers en moins de trois ans. C'est assez pour illustrer à jamais sa mémoire.

Il semble, après ce récit, qu'il est permis de dire que Thiers a agi en bon Français et en homme de sagesse et de cœur. Il convient aussi de rappeler que ses efforts n'ont pas été inutiles, puisqu'avec le maintien de Belfort, il a obtenu la réduction d'un milliard sur l'indemnité de guerre et écarté la question de Nancy, de Nice et de la Savoie. Enfin il avait, malgré de terribles sacrifices, sauvegardé le principal, c'est-à-dire l'avenir. Les Prussiens avaient cru briser notre puissance financière et par cela même nous achever. On sait quelle fut, en peu de temps, la réponse de la France à d'aussi insolentes prétentions, et en cela notre patrie justifiait la confiance inébranlable de Thiers.

 

C'est dans ces instants effroyables que Jules Favre écrivait à Jules Simon les lettres qui suivent et qui complètent ces scènes historiques que nous ne pourrons jamais oublier.

26 février 1871.

Mon ami, nous sommes bien malheureux ; nous avons passé hier une journée affreuse à Versailles, et il nous a fallu le sentiment amer de la faiblesse absolue de notre malheureux pays, en même temps l'ardent amour qu'il nous inspire et la nécessité de le protéger jusqu'au bout, pour ne pas rompre vingt fois avec cet insolent vainqueur, qui s'est montré dur, arrogant, exigeant jusqu'aux dernières extrémités. Nous avons bu le calice jusqu'à la lie, et la Commission nous a approuvés à l'unanimité. Nous n'avons pu prendre sur nous la responsabilité d'une reprise d'hostilités, qui aurait amené la ruine complète de la France, et peut-être sa disparition politique. Nous subissons donc les horribles conditions qui nous sont faites. On nous prend Metz, la Lorraine allemande et un peu de l'autre !

En réalité, moins Metz, qui est une perte cruelle, la Lorraine française nous reste. Nous avons arraché Belfort qu'on ne voulait pas nous rendre, mais en échange on nous impose l'humiliation de l'entrée dans Paris. Cette entrée ne sera que partielle et courte. C'est le salut de la cité, peut-être la paix du monde jouée par pur orgueil monarchique et féodal. Le roi veut déjeuner aux Tuileries et passer une revue au Champ de Mars. Je ne sais encore si cette fantaisie n'amènera pas les plus grands malheurs, et je reste avec Paris pour subir son sort.

M. Thiers ira seul à Bordeaux présenter nos préliminaires. J'oubliais le coup de grâce, l'acte sans nom par lequel on nous impose cinq milliards : on nous en demandait six. Nous n'avons pu obtenir que cette réduction qui nous laisse encore une charge écrasante. Nous ne sommes rentrés hier de Versailles qu'à dix heures et demie ; nous n'avions rien mangé depuis le matin. Vous dire le courage et la véritable grandeur d'âme de M. Thiers est impossible ; je l'admire et je l'aime tous les jours davantage.

Il a supporté les insolences du vainqueur avec un calme et une dignité incomparables. C'est à lui que nous devons Belfort. Je ne l'aurais pas certes obtenu. Il me soutient dans mes défaillances, car vous savez que j'y excelle. — Paris a été agité hier ; des bataillons de garde nationale veulent recommencer des mouvements. On n'est pas sans inquiétude sur la journée d'aujourd'hui, et rien ne peut assurer qu'il n'y ait pas quelque acte de folie au moment de l'entrée des Prussiens. Ils occuperont les Champs-Élysées jusqu'aux Tuileries et resteront jusqu'à la ratification des préliminaires — il faudra donc que cette ratification soit prompte. Au reste, à quoi bon discuter ! Qui n'a son avis ? Étaler les malheurs de la patrie, n'est-ce pas une impiété ? Y ajouter le spectacle des dissensions civiles, n'est-ce pas un crime ?

L'Assemblée le comprendra ; le cœur de nos collègues saigne avec le nôtre ; ils auront la même pensée que nous.

Je ne sais, mon bien cher ami, si et quand je vous reverrai...

Mille amitiés à nos amis. Tous, vous verrez demain les membres de la Commission et probablement M. Thiers. Permettez-moi de vous embrasser.

JULES FAVRE.

Le lendemain, le ministre des Affaires étrangères retraçait en ces termes saisissants la triste scène de la signature :

Paris, le 27 février, 4 heures de l'après-midi, 1871.

Vous êtes en droit de m'accuser, mon bien cher ami ; je m'accuse moi-même, je manque tout à fait de courage et je sens que plus je vais, plus ma défaillance intérieure s'aggrave. Vous ne pouvez avoir aucune idée de ce que j'ai souffert et de ce que je souffre encore. Ces négociations ont été horribles. Jamais vaincus n'ont été ainsi écrasés, humiliés, outragés dans, leur impuissance. Eh bien ! ces tortures se prolongeant des journées entières n'étaient rien auprès de la dernière. Quand il a fallu mettre le sceau à cette exécution, j'ai cru que j'allais mourir. J'ai entendu avec un sentiment d'horreur la lecture de ce prolixe traité, puis la signature est venue. Ce n'est rien et c'est tout. C'est la pelletée de terre jetée sur le cercueil de l'être chéri auquel on souriait la veille et qu'on descend dans la tombe glacée. Je me suis pris à la fois en pitié et en mépris.

L'Alsace et la Lorraine étaient devant moi ; il me semblait que je les vendais à la Prusse. C'était assurément fort absurde, et néanmoins, je ne pouvais m'en défendre. Les Allemands étaient rayonnants. Je souffrais tant que leur joie avait cessé d'être une insulte. M. Thiers a supporté cette épreuve héroïquement ; mais quand nous sommes remontés en voiture, il a fondu en larmes. Nous sommes venus ainsi jusqu'à Paris, lui pleurant toujours ; moi, étouffant et foudroyé. L'après-midi était superbe, la route couverte de gens qui nous saluaient. J'aurais voulu être au cercueil. Le soir, Paris a été en pleine insurrection. Des agents ont payé de leur vie l'impopularité que leur ont value les sergents de ville. Nous avons veillé toute la nuit dans d'assez grandes transes. A chaque instant, des dépêches nous annonçaient que des bataillons de gardes nationaux s'armaient et marchaient à la rencontre des Prussiens.

C'est qu'on croyait qu'ils devaient entrer la nuit même. Nous avons essayé de dissiper cette erreur par un avis envoyé aux mairies. Nous n'y avons pas réussi. L'affolement et l'exaltation n'ont pas diminué. Ainsi s'est passée la nuit, et ce matin nous nous attendions à de graves désordres. Nous n'en avons pas eu de sérieux. Beaucoup d'agitations, des réunions violentes, des menaces, des rassemblements armés, mais le tout sans caractère bien défini. M. Thiers ne s'est pas couché une minute et a pourvu à tout. Nous ne savons pas comment finira la journée et ce que sera cette nuit, non plus que demain. C'est qu'en effet tout l'être se révolte, quand on pense que, par une vanité puérile, cet état-major arrogant joue le sort de Paris et peut-être de la France. J'avais dit que je ne verrais pas les Prussiens à Paris — et ils viennent ! — et j'ai signé leur carte d'introduction !... — Mon cher ami, j'ai le cœur brisé et je ne crois pas que je puisse porter longtemps la douleur qui l'étreint. Cependant j'ai voulu rester ; souffrir avec Paris est une sorte d'amère volupté que je ne puis pas ne pas goûter. — C'est la réponse de mon for intérieur aux abominations dont on me couvre.

J'ai été interrompu dans ce triste récit et ne sais plus comment le reprendre. Le trouble de mon cœur est tel que je n'y vois plus clair en y regardant au fond. D'ailleurs, je puis finir là, puisque le courrier m'attend. Vous allez voir M. Thiers qui lotis parlera de nous, de nos angoisses. Si nous échappons à d'affreux malheurs, ce qui est douteux pour moi, nous subirons de cruelles tortures, et je m'indigne quand je pense que c'est sans nécessité politique et militaire, par pure gloriole et pour nous infliger une immonde souillure, qu'on nous expose à ces périls et à ces chagrins. Tâchez de les abréger. J'ai supplié M. Thiers d'avoir égard à notre situation, je vous répète la même prière.

Je ne voudrais pas que la discussion fût étouffée ; il me semble qu'elle peut être écourtée. Elle sera horrible. Étaler à la face de l'Europe nos misères et nos impuissances, c'est un crime. Pensez-y ! — Abrégez ! abrégez ! Ce sera un moyen de nous délivrer si nous vivons encore ; je vous recommande mes enfants. S'il m'arrive malheur, vous les protégerez et les aiderez à rentrer à Paris. — Je vous écrirai demain. — J'ai reçu vos lettres et vous en remercie...

Sur ce, mon cher ami, je vous embrasse, le cœur bien malade, mais toujours plein d'affection pour vous.

JULES FAVRE.

Pendant que Thiers allait débattre à Versailles pour la France une question de vie ou de mort, il ne faudrait pas croire que Napoléon III se résignât à voir le gouvernement de la Défense nationale traiter avec l'Allemagne. Il entendait se mêler à l'affaire et, dès le 4 février, il intervenait. Pour porter à l'empereur Guillaume des propositions, il avait fait choix d'une femme très intelligente, la comtesse de Mercy-Argenteau, née de Caraman-Chimay, petite-fille de Mme Tallien. Cette personne, fort instruite et des mieux douées, avait eu jadis des succès de beauté et d'esprit à la Cour des Tuileries. Son mari, le comte Eugène de Mercy-Argenteau, sujet autrichien, était devenu Français par un décret de naturalisation en date du 7 novembre 1869. Il était en relations avec le inonde diplomatique et très répandu dans la société parisienne. C'est à sa femme, dont il connaissait la finesse et les capacités, que l'empereur adressa une correspondance qui attestait bien son désir de ressaisir le pouvoir, et qui nous a été révélée par M. Paul Lindenberg, il y a quelques années[9].

Le 4 février 1871, Napoléon mandait à la comtesse de Mercy-Argenteau que l'empereur d'Allemagne était l'arbitre de la situation, et que l'Assemblée nationale qu'allaient former les élections du 8 février, étant incapable de fonder un gouvernement, Guillaume Ier ne pouvait traiter qu'avec le gouvernement légitime, c'est-à-dire l'Empire. Il chargeait donc la comtesse de porter à Berlin, comme la colombe, un message de paix. Celle-ci, sous le voile de l'incognito, traversa les lignes allemandes, vit, à Versailles, le comte de Bismarck qui voulut bien lui faciliter une audience de Guillaume Ier. Elle remit à l'empereur allemand une lettre de l'ex-empereur des Français. Nous n'avons pas cette lettre, mais voici celle qu'écrivait Napoléon à la comtesse de Mercy-Argenteau : L'état de la France est déplorable, disait l'ancien souverain, et je ne vois pas d'où peut venir le salut. L'empereur d'Allemagne ne fait pas preuve de cet esprit chevaleresque que tout le inonde lui reconnaît. Aujourd'hui que nous sommes complètement vaincus, les intérêts de l'Allemagne se confondent cependant avec les nôtres. Rétablir l'ordre, comprimer l'esprit révolutionnaire, faire renaître la prospérité qui seule peut permettre de payer les frais de la guerre et assurer la paix, tels sont les résultats qu'on doit désirer dans les deux pays... Si j'étais à la place de l'empereur et roi et que l'Assemblée eût accepté la paix, j'exigerais que le peuple fût consulté pour établir un gouvernement assez fort pour remplir les engagements contractés.

Ainsi, Napoléon III proposait un nouveau plébiscite, comptant bien qu'il lui serait personnellement favorable. Mais si l'Assemblée repoussait la paix, que devait faire Guillaume Ier ? J'entrerais à Paris, écrit Napoléon en se mettant par la pensée à la place de l'empereur allemand. J'en chasserais les démagogues qui ont usurpé le pouvoir ; je déclarerais ne traiter qu'avec le gouvernement légitime. Je proposerais à ce gouvernement une paix moins onéreuse que celle offerte à l'Assemblée et une alliance basée sur une appréciation équitable des intérêts des deux pays. Mais le gouvernement allemand ne songeait nullement à faire des conditions moins onéreuses à l'ancien gouvernement impérial, ainsi que le démontraient ses précédentes et formelles déclarations. Quant aux compensations à donner, Napoléon III ne les indiquait pas, mais il laisse entendre qu'elles seraient faciles à trouver pour le vainqueur, arbitre de l'Europe. Rien ne manque à la gloire de l'empereur et roi, si ce n'est de faire une grande paix, et j'entends par ces mots une paix qui, au lieu de laisser comme traces de son passage la ruine, le désespoir et l'anarchie, fasse reconnaître la grandeur de son caractère et les profondeurs de ses vues politiques. Tout cela était exprimé en termes sonores, mais ne devait pas avoir d'écho. On sait, et je tiens à le redire, que la modération de Bismarck à Nikolsbourg et à Prague lui avait été imputée à crime par l'état-major allemand. Aujourd'hui, M. de Moltke, appuyé par la Cour, n'ai ait nulle envie, traitant avec la République ou avec l'Empire, de renoncer à Strasbourg et à Metz. L'empereur Guillaume, lui aussi, avait pris goût aux conquêtes, et quand même son chancelier eût, par impossible, conseillé des concessions inattendues, il n'eût certainement pas consenti à l'écouter. La démarche de la comtesse de Mercy-Argenteau n'eut d'ailleurs aucun résultat. L'empereur allemand n'était pas d'humeur à modérer ses conditions et à agir comme l'empereur français qui, après la première victoire, se fût probablement contenté d'une paix à la Villafranca.

A la même date, Napoléon avait adressé aux Français une proclamation qui ne produisit pas l'effet espéré. Trahi par la fortune, il disait avoir gardé, depuis sa captivité, ce profond silence qui est le deuil du malheur. Tant que les armées avaient été en présence, il s'était abstenu de toutes paroles qui auraient pu diviser les esprits. Il s'était seulement écrié : Qu'importe la dynastie, si la patrie peut être sauvée ! Il avait formé des vœux pour le succès de la Défense nationale et admiré le dévouement patriotique de tous les enfants de la France. Mais les hostilités finies, il se croyait en droit de demander compte à ceux qui avaient pris le pouvoir, du sang répandu sans nécessité et des ressources du pays gaspillées. Lui qui avait consenti à la guerre la plus imprudente, il semblait prendre, vis-à-vis des hommes dont il avait loué la résistance patriotique, les allures d'un juge. Cependant, il ne réclamait pas des droits que la France lui avait conférés par trois fois, mais il n'y renonçait pas non plus et il disait à la nation : Tout ce qui est fait sans votre participation directe est illégitime. Il espérait donc que, réunie dans ses comices, elle manifesterait nettement sa volonté. La France le fit, et n'exprima alors d'autre pensée, sans toucher à la forme de gouvernement que les événements avaient amenée, que de confier à une Assemblée librement élue la noble et difficile mission de payer sa rançon, de libérer son territoire et de réparer les désastres qui l'avaient surprise et accablée.

A cette même époque, le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, conversait dans cette ville avec le général de Manteuffel au sujet de la paix prochaine. Le cardinal proposait de réunir les anciennes Chambres et, sur sa demande, le général allait à Versailles en conférer avec le chancelier. Celui-ci répondait qu'il était trop tard et qu'il ne se souciait pas de soulever l'opposition d'un pays où les électeurs étaient déjà convoqués pour élire une nouvelle Assemblée. D'ailleurs, Bismarck ne pardonnait pas au cardinal de Bonnechose l'échec de ses tentatives précédentes auprès de son clergé en faveur .d'une paix prématurée. Le cardinal essaya en même temps d'obtenir une intervention de l'Allemagne pour assurer le pouvoir temporel du Pape, mais il ne fut pas plus heureux dans cette tentative que dans l'autre, car on en voulait au Saint-Siège de ses tentatives d'intervention en faveur de la France.

Il est à supposer que Napoléon III, à Wilhelmshöhe, ne connaissait pas encore les dernières exigences de l'Allemagne, pour avoir loué, comme il le faisait, l'esprit chevaleresque de son souverain. Qu'importait, encore une fois, à Bismarck le régime avec lequel il négociait ? Il eût, répétait-il, traité avec le diable lui-même, pourvu qu'il eût obtenu toutes les cessions de territoire et tout l'argent qu'il demandait. D'autre part, une Assemblée, librement élue, pouvait seule rétablir l'ordre, comprimer l'esprit révolutionnaire, rétablir la prospérité et payer les frais de la guerre ? C'est ce que fit l'Assemblée nationale de 1871, car c'est avec son intelligent et patriotique concours que Thiers put opérer toutes ces grandes choses à la stupéfaction, il est vrai, d'une Europe d'abord hésitante, puis admiratrice. Maintenant, comment Napoléon osait-il imiter Guillaume à se mêler directement des affaires de la France, à prendre part à sa politique intérieure ? En repoussant la paix, comme en l'acceptant, est-ce que l'Assemblée n'était pas dans sou droit ? Dans sa proclamation aux Français, Napoléon III déclarait qu'il avait gardé le silence tant que les armées étaient en lutte, et dans la lettre à la comtesse de Mercy-Argenteau, il avouait que ses idées personnelles auraient déjà été communiquées au comte de Bismarck ; ce qui prouve bien que des agents, comme Clément Duvernois, étaient venus à Versailles pour toute autre chose que pour des renseignements relatifs au mode électoral de l'Assemblée nouvelle. Quand l'empereur demandait que le peuple fût consulté, il allait avoir une prompte réponse.

Sur les instances et sur l'ordre du gouvernement de Paris, après une résistance de la part de la Délégation qui avait fait éprouver de telles difficultés et de telles craintes à Jules Simon, que, rencontrant alors le conseiller d'État Silvy sur le pont de Bordeaux, il lui avait dit : Ah ! mon cher Silvy, si ce n'était ma foi philosophique, je me jetterais dans la Gironde !, Gambetta se décida à retirer le décret des inéligibilités et à démissionner, car il ne se sentait plus en communion d'idées ni d'espérances avec le gouvernement de la Défense nationale. Les élections du 8 février, dégagées de toutes entraves, envoyèrent à Bordeaux des représentants vraiment soucieux de pacifier, de libérer, de régénérer le pays, de lui donner un gouvernement et une administration sages. Alors que six impérialistes étaient élus sur sept cent soixante-trois représentants, l'homme d'État qui avait tout fait pour empêcher une guerre néfaste, entreprise sans alliance et sans préparatifs, était élu par vingt-six départements. Peu de temps après, Thiers acceptait le pouvoir, et, dès le lendemain, son élection, ratifiée par le pays tout entier, était reconnue par l'Allemagne et par toutes les puissances..

Au moment où l'infatigable chef du pouvoir exécutif discutait une à une les âpres exigences de Bismarck, Napoléon continuait ses démarches et ses intrigues. Il demandait avec impatience, le 23 février, à la comtesse de Mercy-Argenteau, des nouvelles de l'endroit où elle avait été. Je crains, disait-il, qu'on n'accepte ce qui se présente, sans songer à l'avenir. L'empressement qu'ont mis les Neutres à reconnaître la royauté de M. Thiers est une preuve du peu de dignité qui anime les Cours étrangères. Comment pouvait-il reprocher aux puissances d'admettre le choix fait par une Assemblée souveraine ? C'est lui-même qui avait sollicité la consultation du pays et la réponse, comme on le sait, avait été décisive.

Le 25 février, Napoléon III avouait que sa situation personnelle n'était pas favorable. Les choses prennent une mauvaise tournure. Il faudra encore subir les d'Orléans qui comptent de nombreux partisans dans la classe moyenne, et puis on ne peut pas pardonner d'avoir été si mal servi et si malheureux ! Il s'étonnait avec son parti que la capitulation de Paris n'eût pas été suivie de la chute du gouvernement de la Défense nationale. Ceci entravait ses plans. Cependant, le parti croyait toujours que l'Allemagne voudrait s'entendre pour une paix définitive avec l'empereur Napoléon. Celui-ci trouvait que les élections avaient surtout une couleur orléaniste et critiquait la proclamation du duc d'Aumale qu'il trouvait très vague, peut-être à dessein, a car elle pourrait, disait-il à Monts, s'adapter à toutes les circonstances n. L'ancien secrétaire de Napoléon, Conti, ayant été élu représentant de la Corse, avait dû quitter la direction du Drapeau et la remettre à l'écuyer Raimbeaux qui possédait de grandes propriétés en Belgique. Celui-ci se plaignait des personnalités bonapartistes qui, après avoir poussé à la guerre, avaient hésité à accorder à l'armée les crédits nécessaires et pris ainsi une part de responsabilité dans les suites néfastes de la guerre. Cet écuyer politique ne se gênait pas, lui non plus, pour blâmer Thiers qui, à son avis, avait injustement combattu l'empereur et l'Empire.

Le 1er mars 1871 devait être une journée des plus dramatiques de notre histoire, puisqu'elle fut à Bordeaux la journée de la déchéance impériale et à Paris celle de l'entrée des troupes allemandes.

L'Assemblée, en proie aux angoisses les plus cruelles, discutait les préliminaires de paix. Après l'exposé de la situation du pays faite en toute franchise, par Victor Lefranc, après le discours d'Edgar Quinet qui protesta hautement contre la cession de l'Alsace-Lorraine, vint le discours de M. Bamberger. Ce député de la Moselle et Strasbourgeois de naissance, allait, dès ses premiers mots, soulever un tumulte formidable où devait s'écrouler le peu qui restait de l'ancien gouvernement. Ce traité, dit-il, constitue, selon moi, une des plus grandes iniquités que l'histoire des peuples et les annales diplomatiques auront à enregistrer. Un seul homme, je le déclare tout haut, un seul homme devait le signer : cet homme, c'est Napoléon III ! Aussitôt de nombreux représentants se lèvent et crient : Oui, oui, vous avez raison !... Deux salves d'applaudissements retentissent. M. Galloni d'Istria, rouge de colère, se dresse et riposte : Napoléon III n'aurait jamais signé un traité honteux ! Alors l'orage, qui grondait depuis la veille, éclate. Haentjens, Conti et Gavini cherchent à excuser l'empereur. Jules Simon se lève à son tour et dit à Conti : Parlez ! Parlez ! Osez défendre l'auteur de toutes nos catastrophes ! Bamberger veut continuer, mais l'agitation a pris des proportions telles qu'il descend de la tribune. Conti s'y précipite. A sa vue, les cris, les huées, les vociférations redoublent. Des mains crispées, des poings fermés sont tendus vers lui. L'Assemblée tout entière est debout, dans un bruit qui ressemble à celui du tonnerre. J'ai vu, depuis, bien des tempêtes parlementaires ; je n'ai pas assisté deux fois à un pareil tumulte. Il faut, pour le comprendre, se dire que plus de six cent cinquante représentants réunis, auxquels on imposait la douleur de voter un traité monstrueux, se débattaient, sous un fardeau qu'ils n'auraient pas voulu supporter. Tout à coup, l'homme responsable de la guerre si imprudemment déclarée, l'auteur de tant de maux semble leur apparaitre dans la personne de l'un de ses plus intimes serviteurs, et l'on n'aurait pas voulu pie ces hommes donnassent libre cours aux récriminations, aux colères qui les étouffaient ?

Malgré les objurgations et les invectives qui pleuvaient sur lui de toutes parts, Conti demeurait intrépide à la tribune. Il buvait lentement un verre d'eau sucrée, puis s'adossait à la boiserie. Sa figure longue et pâle restait, en apparence du moins, impassible. Le colonel Langlois, les cheveux au vent et avec des gestes furieux, se dirigeait vers la tribune comme pour en arracher l'orateur et l'on était obligé de le ramener de force à sa place. Le général Ducrot protestait avec une extrême vivacité. Jules Simon, blanc de colère, invitait l'orateur à parler : J'ai été provoqué... dit enfin Conti. De nouvelles clameurs couvrirent sa voix. Vous avez poussé M. Conti à la tribune, remarquait Gavini, laissez-le donc parler !Oui, oui, répétait Jules Simon, qu'il dise donc quelque chose que les honnêtes gens puissent entendre ! Le tumulte redoublait. Le président, qui était très ému lui-même et ne possédait plus son sang-froid, suppliait vainement ses collègues de vouloir bien écouter l'orateur. Enfin, Bamberger ayant consenti à céder provisoirement son tour de parole à Conti, celui-ci put dire quelques mots. Il affirma qu'il avait été provoqué et qu'il n'hésitait pas à renouveler, avec courage et avec conviction, sa protestation contre les paroles de Bamberger. Des interruptions bruyantes éclatèrent de nouveau. Conti, sans se déconcerter, déclara que le pays tout entier lui rendrait justice. Alors les clameurs devinrent plus violentes. Est-ce qu'il n'y a pas ici, demanda ironiquement Conti, beaucoup de nos collègues qui, connue moi, ont prêté serment à l'Empire, qui, comme moi l'ont servi avec dévouement, et qui certainement ne veulent pas renier leur passé ?

A ces mots, un grand nombre de représentants se lèvent et apostrophent l'orateur. Dufaure est l'un des plus indignés. Le duc de Marinier proteste énergiquement. Gavini cherche à défendre l'orateur. Le président maintient, malgré les réclamations, la parole à Conti. La majorité s'indigne et crie : Assez ! assez ! Elle trouve que Grévy préside mal et elle le lui fait entendre. Conti s'étonne qu'on veuille l'empêcher d'attester ses convictions. On lui crie de descendre de la tribune. Il s'y cramponne et continue : Je viens défendre mon pays, tout ce qu'il a honoré. N'est-ce pas assez d'avoir à voter la mutilation de son pays ? Faut-il encore retrancher de son histoire quelques années glorieuses et dont la prospérité ne sera pas oubliée ? Sur un grand nombre de bancs, on souffrait réellement d'entendre cette défense et certains ne parlaient rien moins que de forcer Conti à quitter la tribune. Les cris Assez ! assez ! redoublaient, mais le président semblait ne pas les entendre. Puisqu'on refuse de vous écouter, disait Gavini à Conti, protestez et descendez ! Ne prolongez pas davantage un douloureux incident ! Mais Conti ne l'entendait pas : En attaquant le gouvernement que je défends, disait-il, vous incriminez la France elle-même qui l'a fondé et soutenu par une série de plébiscites. M. de Francien irrité lui criait : Descendez de la tribune ! Les bourreaux n'ont pas le droit d'insulter leurs victimes. — Je n'en descendrai pas, répondait Conti. Je ne subirai pas cette violence. Je dirai toute ma pensée. Alors Bamberger perd patience. Il était au pied de la tribune. Il remonte les degrés et se place à côté de Conti. On l'acclame. Le président l'invite à se retirer. Victor Hugo le remplace. La présence de l'auteur des Châtiments auprès du défenseur de l'Empire soulève des applaudissements et des bravos furieux. Dans les tribunes, les spectateurs sont debout ; quelques-uns même mêlent leurs cris aux clameurs des représentants. Dufaure, habituellement impassible, était furieux. Il reprochait au président de laisser parler Conti. Jules Grévy répondait qu'on avait poussé l'orateur à la tribune. Ce n'était pas pour faire un discours et une apologie, répliquait Dufaure. — Je ne puis répondre à toutes les interpellations, disait Conti. — Ne nous faites pas perdre notre temps ! criait Dufaure. M. Bamberger ne vous a pas cédé la parole pour cela !Levez la séance ! demandait Schœlcher à Grévy. Mais celui-ci laissait la parole à Conti, à la condition qu'il se renfermerait dans la question. L'orateur répondit que ce reproche s'adressait à ceux qui avaient rappelé des faits qui n'étaient pas en cause ? Ce fut un nouvel orage. Comment ! qui n'étaient pas en cause ? criait Vitet. Ils sont bien la cause de la guerre ! Pendant que Conti persistait à défendre l'Empire, on voyait un groupe de représentants se concerter pour une motion. Le comte de Douhet demanda la clôture de l'incident. Et à Conti qui s'étonnait d'une pareille intolérance, Dufaure répliqua justement : Quand M. Thiers vous recommandait la paix, vous avez été sur le point de l'arracher de la tribune !

Tout à coup on entendit ces mots répétés de toutes parts : La déchéance ! la déchéance ! Target monta à la tribune pour lire une motion, mais sur l'invitation du président, il descendit aussitôt. Jules Grévy invita Conti à quitter la tribune, ses explications personnelles ayant été données. Celui-ci se retira enfin en protestant contre l'intolérance de l'Assemblée, et pendant qu'il retournait à sa place, il fut l'objet des plus violentes interpellations. Les représentants étaient toujours debout, criant à tue-tête : La déchéance, la déchéance ! L'agitation était effrayante. Jules Grévy, à bout de forces et de patience, se couvrit et suspendit la séance. Il était deux heures moins dix minutes. On se répandit dans les couloirs, et la résolution de voter la déchéance de l'Empire fut immédiatement adoptée dans tous les groupes. A deux heures et quart, la séance fut reprise. Le président invita gravement ses collègues à ne plus se départir de la dignité et du calme nécessaires qui devaient signaler cette délibération, puis il donna la parole à Target qui, au nom de vingt-deux représentants pris dans la droite et dans la gauche, lut cette motion : L'Assemblée nationale clôt l'incident, et dans les circonstances douloureuses que traverse la patrie, en face de protestations et de réserves inattendues, confirme la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie, déjà prononcée par le suffrage universel, et le déclare responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France[10]. A ces mots les membres de l'Assemblée se levèrent presque tous et d'une même voix crièrent : Très bien ! Très bien !Bravo ! Bravo ! applaudissant à tout rompre.

Aussitôt Gavini s'élança à la tribune et protesta de toutes ses forces. Suivant lui, le suffrage universel seul pouvait détruire l'œuvre qu'il avait édictée par quatre plébiscites solennels. Le peuple a prononcé en nous envoyant ici, dit le marquis de La Rochejaquelein. Comme Conti et Gavini continuaient à protester, Thiers s'écria : Qu'ils justifient les fautes de l'Empire !Oui ! oui ! ajoutaient plusieurs membres, qu'ils le fassent, s'ils l'osent ! Puis Thiers monta à la tribune, salué par les applaudissements les plus vifs. Il fit remarquer qu'il avait proposé à l'Assemblée une politique de conciliation et qu'il avait espéré que tout le monde comprendrait sa réserve et son silence à l'égard du passé. Mais, lorsque ce passé se dressait devant le pays, lorsque ce passé semblait se jouer des calamités dont il était l'auteur, il était impossible de ne pas l'en rendre responsable. Conti, au pied de la tribune, cherchait à interrompre l'orateur. Il fut contraint d'aller reprendre sa place. Vous avez méconnu la vérité, dit Thiers. Elle se dresse aujourd'hui devant vous, et c'est une punition du Ciel de vous voir ici obligés de subir le jugement de la nation qui sera le jugement de la postérité ! Après ces paroles qui furent couvertes d'applaudissements et de bravos, l'Assemblée vota la clôture de l'incident. Il y avait six cent soixante-huit membres présents. Plus de six cents se levèrent pour prononcer la déchéance. Six à la contre-épreuve se levèrent contre ; quelques-uns seulement s'abstinrent de voter. Cet incident, le plus tragique de tous ceux qui signalèrent le passage de l'Assemblée nationale à Bordeaux, était terminé.

Il fallut un certain temps pour que l'Assemblée reprît son calme. Lorsqu'elle parut apaisée, Bamberger remonta à la tribune au milieu des applaudissements, mais cette petite ovation faite, on ne prêta plus qu'une médiocre attention à son discours.

L'orateur conclut en affirmant que les peuples s'appartenaient et ne pouvaient être livrés. La République n'avait pas le droit de porter atteinte à l'unité de la France. Si elle le faisait, elle compromettrait les droits imprescriptibles de la morale et de la justice. M. Thiers se borna à répondre à l'orateur comme à Edgar Quinet : Et les moyens ? Bamberger ne répliqua pas. Victor Hugo lui succéda. Il monta majestueusement les degrés de la tribune et fit l'éloge de Paris et de sa résistance admirable. Il dit que ce Paris stoïque avait donné à ses représentants le mandat de voter contre le démembrement de la patrie, d'avertir l'Europe que si l'œuvre violente à laquelle on donnait le nom de traité s'accomplissait, c'en serait fait du repos de l'Europe. Il y a désormais, dit-il, deux nations qui seront redoutables : l'une, parce qu'elle sera victorieuse, l'autre, parce qu'elle sera vaincue. Thiers et Dufaure l'interrompirent pour l'approuver ainsi : C'est vrai ! C'est très vrai ! Puis, donnant libre cours à son imagination de poète, il vit la nation victorieuse ayant de par son empereur despote la consigne à l'état de dogme, le sabre fait sceptre, la parole muselée, la pensée garrottée, la conscience agenouillée !... L'autre nation, au contraire, aurait la tribune libre, la presse libre, la conscience libre, l'âme haute. Et pendant que la nation victorieuse, l'Allemagne, baisserait le front sous son lourd casque de horde esclave, la vaincue sublime, la France, porterait sur la tête sa couronne de peuple souverain. On disait que l'Allemagne allait avoir deux provinces de plus. C'était une erreur. Prendre, ce n'est pas posséder. Possession suppose consentement. Est-ce que la Turquie possédait Athènes ? Est-ce que l'Autriche possédait Venise ? Est-ce que la Russie possédait Varsovie ?... De fait, oui. De droit, non... Messieurs, il y a dans Strasbourg deux statues élevées à Gutenberg et à Kléber. Eh bien, nous sentons en nous une voix qui s'élève et qui jure à Gutenberg de ne pas laisser étouffer la civilisation, et à Kléber de ne pas laisser étouffer la République ! Comme l'orateur se laissait aller à quelques digressions, il se produisit du bruit dans la salle et l'attention de l'Assemblée, un moment excitée, parut se lasser. Victor Hugo s'en offensa et faillit descendre de la tribune[11].

Mais il reprit la parole et ajouta qu'il ne voterait point le traité, parce qu'une paix honteuse était une paix terrible, parce qu'une telle paix, c'était la haine. L'heure de la revanche sonnerait tôt ou tard, et l'on verrait la France reprendre la Lorraine et l'Alsace, saisir Trèves, Mayence, Cologne, Coblentz, toute la rive gauche du Rhin... Et l'on entendrait la France dire à l'Allemagne : Je t'ai tout repris et je te rends tout : à une condition, c'est que nous ne ferons plus qu'un seul peuple, qu'une seule famille, qu'une seule République... Et maintenant, serrons-nous la main, car nous nous sommes rendu service l'une à l'autre : tu m'as délivrée de mon Empereur et je te délivre du tien !... C'était parler en humanitaire, en poète, et non pas en homme politique. Tachard, député du Haut-Rhin, se borna à relever dans ce discours le passage relatif à la conquête possible de Mayence et de Coblentz : Ces deux noms, dit-il, nous ont perdus ; c'est pour eux que nous subissons le triste sort qui nous attend. Eh bien, nous ne voulons plus souffrir pour cette idée. Nous sommes Français, messieurs, et pour nous il n'y a qu'une patrie : la France, sans laquelle nous ne pouvons pas vivre ; mais nous sommes justes, parce que nous sommes Français, et nous ne voulons pas que l'on fasse à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'il nous fût fait. Ces quelques paroles, pleines de bon sens, furent acclamées. Vacherot parla à son tour. Son discours peut se résumer en ces quelques mots : La seule chose dont il s'agit aujourd'hui, c'est de sauver la France : comment la sauverons-nous ? Ma conviction profonde est que nous ne la sauverons que par la paix. Je le dis franchement. Si je croyais que les chances fussent non pas égales seulement, mais sérieuses, pour une résistance, un dernier effort, un effort à outrance après lequel il n'y eût pas le désastre complet de la France, je serais pour cet effort. Il tint ensuite à faire, au nom du parti républicain qui allait voter la paix, cette déclaration pour rassurer le patriotisme de ceux qu'une telle paix troublait et attristait : Il est un droit que nous philosophes, nous Français, nous professons et pratiquons, c'est qu'on ne dispose pas d'un peuple, d'une province comme on ferait d'un troupeau... Ce qu'il est impossible de reconnaître comme juste, tout en le subissant, c'est le droit de conquête appliqué, en pleine civilisation moderne, au dix-neuvième siècle... Le gouvernement déchu, le gouvernement impérial lui-même n'avait jamais songé à une annexion sans le vote des populations à annexer... Encore une fois, il ne s'agit pas de retenir sur ce qui est fait... il s'agit seulement de maintenir dans l'opinion publique ce principe que la Prusse viole en ce moment. Louis Blanc le remplaça et fit une sorte d'historique de la guerre. Il rappela, en citant des textes, qu'à la veille de la guerre, le roi de Prusse, Bismarck et le Reichstag avaient reconnu que la France, pri dans son ensemble, ne voulait pas la guerre. Il affirma que ni les bourgeois, ni les ouvriers, ni les paysans n'en voulaient et que la presse indépendante avait dit que cette entreprise funeste n'avait pour but que de cimenter l'édifice de la dynastie napoléonienne et de donner à l'héritier présomptif du trône ce que les ravageurs de province appellent le baptême de la gloire[12]. Il ne fallait pas que l'enseignement qui résultait de cette page funèbre de notre histoire fût perdu, car un peuple qui se livre à la domination d'un seul homme, se rend coupable d'un tort dont il est juste qu'il porte la peine. Maintenant, l'orateur reconnaissait que si la Prusse, après Sedan, avait voulu se contenter des frais de la guerre, elle eût été dans son droit. Mais déjà cette puissance cherchait à nous imposer les conditions les plus dures. Il y avait chez elle parti pris de déshonorer la France ou de la détruire. La France résista. La lutte reprit implacable. La justice changea de camp. Elle vint avec la France. Mais la victoire ne suivit pas la justice. L'Europe, devant tant de ruines et tant d'horreurs, n'eût d'autre sentiment que celui qui, à la représentation d'une tragédie émouvante, anime les spectateurs blasés, puis elle laissa faire. Il est généralement admis, dit l'orateur, qu'un peuple vaincu doit expier ses revers, absolument comme si c'étaient des crimes. Il espérait cependant, et l'avenir a justifié cet espoir, qu'un jour viendrait où la monarchie prussienne effrayerait l'Europe par ses prétentions et par son accroissement démesuré. Quant aux Alsaciens-Lorrains qu'il fallait sacrifier aujourd'hui, il ne pontait se résoudre à une telle cruauté.

Disposer d'eux comme des esclaves, eux qui sont nos frères ! Les céder comme un bétail à nous appartenant, eux qui n'ont pas dans les veines une goutte de sang qu'ils ne nous aient offerte et qu'ils ne se soient montrés ardents à verser pour nous ! Jamais, jamais, jamais !...

Jusque-là l'orateur s'était fait applaudir pour son éloquence vibrante et ses sentiments d'une rare élévation. Il perdit de ses avantages quand il parla d'un nouveau système de défense nationale, c'est-à-dire d'une guerre de parti succédant à la grande guerre. On se souvint des rêves insensés du siège de Paris, de la sortie torrentielle, et l'on n'écouta plus.

Changarnier lui succéda et crut servir une fois de plus la patrie en conseillant respectueusement la paix. Il remerciait le gouvernement et les commissaires de n'avoir pas désespéré de l'avenir de la France. Oui, dit-il, oui, j'en ai le ferme espoir, nous reverrons des jours meilleurs ; nous mériterons le respect de l'histoire, si dans notre infortune imméritée où notre honneur n'a pas péri, nous restons unis, calmes et dignes. La grande majorité de l'Assemblée acclama le vieux général qui, en quelques mots, avait su définir si nettement la situation qui s'imposait. Buffet, en son nom et au nom de Ravinel, Constant et Maurice Aubry, députés des Vosges, lut ensuite une déclaration où il reconnaissait la nécessité pour l'Assemblée nationale de subir les conditions imposées par la violence. Dans sa conviction un tel traité ne créait, en ce qui concernait les cessions territoriales, aucun lien pour l'avenir, car ce lien ne pouvait résulter que du libre assentiment des populations. Il dit qu'en votant ce traité, ses collègues et lui paraîtraient y apporter leur adhésion. Ils étaient donc forcés de s'abstenir, sans chercher d'ailleurs à se soustraire à la responsabilité d'une décision dont ils avaient constaté la nécessité cruelle. Varroy et George déclarèrent au contraire qu'ils repousseraient le traité, espérant que l'Assemblée ferait de même. M. Buffet fit de nouveau envisager l'impossibilité d'une lutte efficace, car un homme qui avait toujours eu à un degré éminent le sentiment français, l'honorable M. Thiers, était là pour l'attester. Si la continuation des hostilités eût été possible, il n'eût jamais mis sa signature au bas de ce traité douloureux.

Thiers monta à la tribune. L'attention redoubla. Un grand silence se fit. Le chef du pouvoir exécutif commença par remercier M. Buffet d'avoir si bien compris son attitude. En effet, s'il y avait eu une seule chance de soutenir la lutte, il ne se serait jamais imposé une douleur qui avait été l'une des plus grandes de sa vie. Il supplia ses collègues de ne pas l'obliger à donner les motifs de sa résolution. Mon silence, dit-il, est un sacrifice que je fais à la sûreté et à l'avenir de mon pays... A ce moment, il fut pris d'une telle émotion qu'on le vit pâlir, s'arrêter comme suffoqué et répandre des larmes. L'Assemblée impressionnée éclata en bruyants applaudissements.

Un des représentants, Martial Delpit, écrivait à ce sujet : Il a dignement parlé de ses efforts, de sa vieillesse, de ses douleurs patriotiques. A un moment, les larmes l'ont gagné. Il a été obligé de s'arrêter et l'Assemblée tout entière, émue à son tour, l'a applaudi à outrance. Thiers se ressaisit et conclut ainsi : Pas de faux patriotisme, pas de faiblesse ! Ayons tous le courage de ce que nous faisons. Je ne conseille rien à l'Assemblée. Je ne puis la conseiller que par mon exemple. Jean Brunet dit alors quelques mots que l'on n'écouta pas. Minière, froid et mauvais, fit incidemment l'éloge de Garibaldi, qui avait oublié les hostilités de la France contre son propre pays. Il conseilla sans succès la création d'armées nationales, car incontestablement avec elles il ne sortirait pas un Prussien de France. Emmanuel Arago protesta bruyamment contre le reproche de fausse popularité adressé à ceux qui refuseraient de voter un pareil traité. Avec Keller la discussion reprit son animation. L'honorable représentant du Haut-Rhin émut aussitôt ses collègues par quelques paroles simples et fières. Il commença ainsi : Celui qui devrait parler à ma place, le maire de Strasbourg, le doyen de notre députation, à l'heure où je parle, se meurt de douleur et de chagrin. Son agonie est le plus éloquent des discours[13]. Keller répéta, au nom des Alsaciens, ce qu'il avait dit le 17 février, qu'ils voulaient être Français et rester Français, que nulle puissance au monde ne pourrait les empêcher de l'être et de le rester. Il déclara que la paix n'était pas honorable, parce que c'était manquer à l'honneur que de céder des populations qui voulaient demeurer françaises. Pour lui, cette paix était un mensonge. On y disait que l'on cédait à perpétuité la propriété et la souveraineté de l'Alsace. Et cependant chacun, au fond du cœur, ne demandait qu'à la reconquérir le plus tôt possible. On parlait des dangers que devait amener la reprise des hostilités. Quant à moi, déclara-t-il, je suis convaincu que si la France avait été plus fermement résolue à l'avance de ne pas sacrifier son territoire, si la Prusse, qui désire la paix, avait été certaine de trouver sur ce point des barrières infranchissables, elle nous aurait fait d'autres conditions. Puis s'indignant et renouvelant dans les âmes troublées la colère contre un traité aussi désastreux : Si l'Assemblée, dit-il, devait le ratifier, j'en appelle à Dieu, vengeur des justes causes ! J'en appelle à la postérité qui nous jugera les uns et les autres ! J'en appelle à tous les peuples qui ne peuvent pas se laisser vendre indéfiniment comme un vil bétail ! J'en appelle enfin même à l'épée de tous les gens de cœur qui, le plus tôt possible, déchireront ce détestable traité ! L'accent, la conviction, le geste étaient si puissants que l'Assemblée tout entière frémit, comme au jour où avait été lue la protestation, et que Thiers, voyant l'effet produit, dut remonter à la tribune. Lorsque Keller passa dotant lui, il lui avait dit : Donnez-nous les moyens ; ce ne sont pas des paroles, ce sont des moyens qu'il faudrait nous donner ! Keller n'avait rien répondu. Mais Tirard, qui était à quelques pas de Thiers, s'était levé, et avait dit, avec exaltation : La levée en masse ! Vous demandez les moyens : on peut vous les indiquer... Que les 750 représentants se mettent à la tête de la France et vous sauverez la France !

Alors Thiers posa nettement la question et fixa les responsabilités. La guerre avait eu deux périodes : celle qui avait suivi cette fameuse déclaration que l'Assemblée venait de punir et celle qui avait succédé au 4 Septembre. Quant à lui, il avait été étranger à ces deux périodes. Si la guerre n'avait pas réussi, on ne pouvait l'en accuser. Il avait seulement conduit les négociations avec tout le patriotisme dont il était capable. Si vous croyez, dit-il, pouvoir obtenir de meilleures conditions, envoyez d'autres négociateurs, vous me rendrez un grand service... vous me soulagerez d'un poids accablant. Si vous croyez avoir des moyens militaires, venez ici-même les exposer ! Il se fit aussitôt un grand silence, et tous les yeux se portèrent sur le général Chanzy, qui avait dans son bureau protesté contre le traité et conseillé la reprise de la guerre. Le général resta muet à sa place. Puis Thiers s'indigna contre les reproches qu'il venait d'entendre : Ne parlez pas d'honneur devant des sens qui en ont autant que vous, mais qui mettent leur honneur à ne pas risquer de perdre leur pays pour une fausse popularité qu'on veut courtiser à cette tribune ! Cette observation si juste fut accueillie par plusieurs salves d'applaudissements. L'orateur encouragé continua : Pour ma part, je ne doute pas de la puissance de mon pays, quand je dis que nous ne pouvons pas lutter aujourd'hui. Non, je ne doute pas de la puissance de la France, et l'ennemi n'en doute pas plus que moi. Ce traité même est tout entier empreint des craintes que la France inspire, et quand il vous demande une si grande partie de vos ressources, c'est dans l'espoir de vous affaiblir. Oui, c'est la crainte même qui se manifeste par l'énormité du chiffre. Ce n'est donc pas de la France que je doute. Oui, cette puissance de notre pays est une consolation dans nos douleurs actuelles. Oui, je crois à son avenir, mais à la condition que nous aurons enfin du bon sens, que nous ne nous payerons plus de mots, que sous les mots nous voudrons mettre des réalités, et que nous aurons non seulement du bon sens, mais un bon sens courageux !

Il fit connaître brièvement la triste réalité. L'organisation militaire de la France était brisée. Sur cent vingt régiments, il y en avait eu cent seize faits prisonniers à Sedan et à Metz. Les cadres étaient rompus. Plus d'anciens officiers ; très peu de sous-officiers instruits. Le rapport de l'amiral Jauréguiberry, publié en février 1871, constatait qu'on ne pouvait opposer aux Allemands que 220.000 hommes solides. Le reste ne pourrait fournir de soldats dignes de ce nom que dans plusieurs mois. Qu'avait-on en face de soi ? 612 bataillons, 522 escadrons, 2.300 pièces de canon à tir rapide appartenant à des armées aguerries, encouragées par d'étonnants succès. Tout en rendant hommage à l'héroïsme de nos troupes qui, quoique mal armées et presque nues, avaient su se faire respecter de leurs adversaires plus nombreux et mieux équipés, l'amiral avait engagé ses collègues à repousser toute illusion et à ne céder à aucun entraînement dangereux. Il avait dit cela au moment où l'ennemi était maître de la plus riche moitié de la France, au moment où de sourds grondements dans la capitale faisaient prévoir une guerre plus lamentable que la première. Il l'avait dit d'accord avec le général Frébault, le général de Chabaud La Tour, le général Chabron, le général Martin des Panières, le colonel Carron, le colonel de Chadois, membres de la même commission et qui s'étaient fait remarquer par leur vaillance au cours des hostilités.

Était-ce dans une telle situation qu'on devait reprendre la guerre ? Thiers répéta alors son défi, que nul n'osa relever. S'il y a des hommes du métier qui croient pouvoir dire le contraire, qu'ils viennent le déclarer ici du haut de la tribune, et je leur répondrai. Il rendit hommage à la vaillance de Faidherbe, de Chanzy, de Bourbaki, mais il constata qu'ils n'avaient pu obtenir des résultats efficaces. Eh bien, que dans cette situation quelqu'un vienne nie dire que nous pouvons résister à une armée régulière de 500.000 hommes, je lui répondrai que non. Vous feriez détruire la France, vous l'appauvririez, vous feriez disparaître ses dernières ressources et vous lui ôteriez les moyens d'arriver à cet avenir que vous souhaitez pour elle et que, moi, j'entrevois avec la seule satisfaction que je puisse ressentir aujourd'hui... Vouloir continuer la lutte, c'était ruiner la France, c'était anéantir son avenir. M. Thiers avait dit la vérité à l'Assemblée, comme il l'avait dite à l'ennemi. Dans un beau mouvement qui transporta ses auditeurs, il s'écria : Je vous ai représenté auprès de l'ennemi en lui disant la vérité. J'ai fait valoir les considérations de l'avenir, ces haines implacables qu'on allait soulever dans le cœur d'une grande nation, mais je dois le dire aussi : la victoire n'est pas toujours beaucoup plus sensée que la défaite. Cette réflexion si juste, si profonde, mais émise hautement en face du vainqueur, fut comme une consolation dans ces heures terribles. La France semblait parler par la voix de Thiers. Un de ceux qui l'avaient entendu, M. Delpit, écrivait au lendemain de cette mémorable séance : Quelle merveilleuse netteté de pensées ! Quelle clarté, quelle simplicité de langage ! Il arrive aux plus grands effets avec les mots les plus naturels et les moins recherchés. Aujourd'hui, il nous a émus par le fond et par la forme.

Le chef du pouvoir exécutif sentait plus que tout autre sa responsabilité. Il avait trop blâmé la politique inconsidérée et néfaste de l'Empire pour commettre la moindre imprudence. Il montrait la situation sous son jour réel, espérant qu'on le croirait. A mes derniers jours, dit-il en terminant, je ne changerai pas de conduite et je ferai tous mes efforts pour faire entendre à mon pays la vérité tout entière. On ne l'a pas écoutée, il y a six mois ; on ne l'a pas écoutée à des époques plus récentes, mais je ne me décourage pas. Si, à votre tour, vous ne voulez pas l'écouter, vous me rendrez bien malheureux pour mon pays ; je serais peut-être heureux moi-même de n'être pas cru. Je serais déchargé du fardeau que vous m'avez confié et je vous remercierais, mais en pleurant sur mon pays infortuné. Messieurs, entendez la vérité ! Si vous ne savez pas où elle est, si vous ne voulez pas l'écouter et la croire, vous pourrez vanter l'avenir de notre nation, mais bien vainement : vous le perdez au moment même où vous le vantez ! Des applaudissements nombreux et plusieurs fois répétés saluèrent cette émouvante et patriotique improvisation qui conseillait la paix pour assurer l'avenir. L'heure fatale venait de sonner. Il fallait voter maintenant. Un des représentants de la majorité résumait ainsi l'opinion de tous en écrivant le lendemain : Le devoir m'imposait le rude sacrifice de souscrire à cet abominable traité, d'abandonner un membre bon, cher et héroïque pour ne, pas sacrifier, pour ne pas abandonner mon pays tout entier. Oh ! c'est quand il faut mutiler de sa main le pays, qu'on sent ce que c'est que l'amour de la patrie ! C'est l'épreuve la plus rude, la plus cruelle que j'aie subie de ma vie !

Le vote eut lieu sur le texte du projet relatif aux préliminaires de paix qui commençait ainsi : L'Assemblée nationale, subissant les conséquences des faits dont elle n'est pas l'auteur, ratifie les préliminaires de paix dont le texte est ci-annexé et qui ont été signés à Versailles le 26 février 1871... Chaque représentant monta ensuite à la tribune pour déposer publiquement son bulletin blanc ou bleu dans l'urne auprès de laquelle se trouvait un secrétaire qui contrôlait le nombre des votants. Ce nombre fut de six cent cinquante-trois. Cinq cent quarante-six représentants votèrent pour ; cent sept contre. Vingt-deux furent considérés comme s'étant abstenus ; mais il faut en défalquer le duc de Broglie, retenu comme ambassadeur à Londres, le docteur Küss agonisant ; le duc d'Aumale, le prince de Joinville, le colonel Denfert, Jules Favre et Ernest Picard, forcément absents. Il y avait sept membres en congé régulier, MM. Christophe, Dumarnay, Jules Ferry, de Limairac, de Puiberneau, Puvis de Chavannes et Steinheil. Parmi les opposants, on retint les noms des généraux Billot, Chanzy, Loysel, Mazure, et du lieutenant de vaisseau Farcy. Mais on faisait remarquer, parmi les votants pour, les noms des généraux d'Aurelle de Paladines, de Chabaud la Tour, de Chabron, Changarnier, Chareton, Ducrot, Frébault, Le Flô, Martin des Pallières, Pellissier, Du Temple, et des amiraux Fourichon, Jauréguiberry, La Roncière le Noury, de Montaignac, Pothuau et Saisset, sans compter des officiers supérieurs, comme le colonel Chaper et le colonel de Chadois. Le résultat du vote fut proclamé au milieu du plus grand silence.

Ce fut dans un silence plus grand encore qu'on entendit les adieux des représentants alsaciens-lorrains, lus par M. Jules Grosjean. Ceux-ci déclaraient nul et non-avenu un pacte qui disposait de leurs concitoyens sans leur consentement. Ils affirmaient que la revendication de leurs droits restait à jamais ouverte à tous et à chacun, dans la forme et dans la mesure que leur conscience leur dicterait. Au moment de quitter cette enceinte où notre dignité ne nous permet plus de séjourner, disaient-ils, et, malgré l'amertume de notre douleur, la pensée suprême que nous trouvons au fond de nos cœurs est une pensée de reconnaissance pour ceux qui, pendant six mois, n'ont pas cessé de nous défendre, et d'inaltérable attachement à la patrie dont nous sommes violemment arrachés. Nous vous suivrons de nos vœux et nous attendrons, avec une confiance entière dans l'avenir, que la France régénérée reprenne le cours de sa grande destinée. Vos frères d'Alsace et de Lorraine, séparés en ce moment de la famille commune, conserveront à la France, absente de leurs foyers, une affection filiale jusqu'au jour où elle viendra y reprendre sa place. Les vingt-huit signataires de cette déclaration quittèrent aussitôt la salle des séances au milieu des protestations émues de leurs collègues, qui les suppliaient vainement de rester avec eux. De cette dramatique séance qui avait duré six longues heures, ce fut le dernier incident et non le moins douloureux. La foule, massée aux environs du théâtre, accueillit le résultat du vote avec une véritable stupeur, et dans la soirée plusieurs journaux partirent encadrés de noir. Il en fut de même le lendemain. La. France était véritablement en deuil, mais elle gardait ses espérances, grâce à l'énergie et à la sagesse de M. Thiers et de ceux qui l'avaient suivi[14].

L'Europe laissa faire. L'Angleterre avait esquissé une petite intervention au sujet de l'indemnité de guerre, mais elle n'insista pas. La Russie approuva hautement le traité. L'Autriche et l'Italie conservèrent une attitude très prudente. Les autres puissances s'effacèrent. La sympathie qu'on avait un moment témoignée à nos malheurs était restée platonique. La France n'avait eu à compter que sur elle-même. Elle se montra ce qu'elle devait être : une nation ayant droit à de meilleures destinées. Elle imposa à ses ennemis l'admiration par son calme au milieu de nouvelles et cruelles épreuves qui allaient bientôt l'assaillir chez elle et menacer encore une fois son existence.

Le même jour, trente mille soldats de l'armée allemande entraient à Paris. C'était, comme l'avait dit Thiers, la rançon de Belfort. La capitale était en deuil et montrait par son attitude douloureuse combien elle souffrait d'une telle épreuve. Grâce à la promptitude de l'Assemblée nationale à voter les préliminaires de paix, les deux autres échelons de troupes allemandes, soit soixante mille hommes, qui s'apprêtaient à entrer les jours suivants, durent rester à Versailles et le roi de Prusse lui-même, qui comptait figurer au milieu d'eux, fut forcé, le traité étant signé, de renoncer à un projet auquel il tenait tant. La surprise du chancelier fut grande. Celle de l'état-major allemand plus grande encore.

Le 2 mars, disent les Souvenirs intimes de Guillaume Ier, fut une journée agitée et pleine de surprises désagréables. On apprit par Bismarck que l'Assemblée avait ratifié les préliminaires de paix en un seul jour. Nous perdions ainsi le droit de faire séjourner plus longtemps nos troupes dans Paris. Grande déception pour tout le monde.. Thiers avait prétendu qu'il lui faudrait une semaine pour faire ratifier par l'Assemblée nationale ses calculs. Le roi crut que toutes les troupes allemandes pourraient passer un jour au moins dans Paris et il voulait les passer en revue chaque jour aux Champs-Elysées. Mais tonte cette combinaison fut déjouée par la ruse du futur président de la République. Il obtint en un jour ce qu'il déclarait ne pouvoir obtenir qu'en une semaine. Le chagrin qu'on éprouva à cette fatale nouvelle, tous ceux qui ont pris part à la campagne le savent. Les sentiments du roi et de sa brave armée furent alors soumis à une cruelle épreuve. Un seul échelon de trente mille Allemands avait occupé les Champs-Elysées et les quartiers environnants.

Le prince royal mentionne ainsi le fait dans son journal à la date du 2 mars : La ratification eut lieu. Jules Favre avait déjà télégraphié de bonne heure et était même venu à Versailles, lorsque Bismarck était encore au lit. On ne le laissa pas entrer et il fut obligé de répéter sa communication par écrit. On répondit par la demande du document original. L'empereur regretta qu'il ne fût pas permis seulement à la Garde de venir dans la ville. Le prince royal entra avec le grand-duc de Bade à Paris et passa quelques instants aux Champs-Élysées où il remarqua que toutes les femmes étaient en deuil et que des fleurs avaient été placées au pied de la statue de Strasbourg. Il signale dans son journal, à la même date, un fait touchant. L'impératrice Eugénie télégraphia, dit-il, à l'empereur, au nom de toutes les mères et de leurs enfants, pour qu'il empêchât l'entrée des troupes à Paris et évitât ainsi l'effusion fatale de sang qui devait s'ensuivre.

La résolution de l'Assemblée, après six heures de discussion, avait stupéfié les Allemands. Ils avaient espéré des récriminations, des violences, des débats interminables. Et voici qu'après avoir fixé les responsabilités de l'Empire, les représentants avaient accepté, le cœur déchiré de tristesse, les conditions de l'ennemi.

Ce n'est pas sans une surprise pénible que j'ai lu dans un ouvrage de MM. Paul et Victor Margueritte, les Tronçons du Glaive, de violents reproches contre le chef du pouvoir exécutif et contre l'Assemblée nationale au sujet du vote du 1er mars. C'est à l'un des héros de leur livre que les romanciers ont fait dire : Si vous les aviez vus ces députés de la terre et de l'âme françaises, ces hobereaux de la réaction, ces bourgeois apeurés, ces loups-cerviers de l'industrie ! Avec quelle impatience, ils supportaient les discours de ceux qui avaient encore un peu de cœur au ventre !... M. Thiers s'est bien gardé de dire que si l'Assemblée, au lieu de discourir, se mettait à la tête de la nation, la nation marcherait. Non, des phrases ! Prudhomme vieilli, il se lamentait sur la difficulté de faire entendre la vérité au peuple, comme si tant de honte était la vérité ! Et vite on a voté. Cinq cent quarante-six Français ont décidé l'abaissement de la France ! Eh bien, non, cela ne s'est point passé ainsi, car le vote qui ratifia les préliminaires de paix fut littéralement arraché aux représentants par les nécessités inéluctables de la situation même.

Mais, dit-on, des généraux ont voté contre les préliminaires de paix et notamment le général Chanzy. Ce dernier, comme représentant des Ardennes, pays qui avait extrêmement souffert de l'invasion, était presque dans l'impossibilité de voter autrement, quoiqu'il eût reconnu à la dernière heure à Paris, devant le gouvernement de la Défense nationale, que la situation de nos forces était devenue par trop précaire. Il déclara lui-même plus tard, le 18 mai, tout en regrettant le traité de Francfort, parce qu'il aggravait à ses yeux les préliminaires du 1er mars, que la paix, si chèrement achetée par nous, était une paix nécessaire. Il admettait bien qu'il fallait respecter les engagements pris de part et d'autre, mais il repoussait les conditions nouvelles imposées par l'insatiable ambition de l'Allemagne. Les généraux Billot, Loysel et Mazure avaient voté contre les préliminaires de paix en toute liberté de conscience, et nul ne peut s'étonner du vote de ces officiers qui avaient bravement tenu tête à l'ennemi, mais ce vote n'infirme pas le vote contraire de leurs dix-sept camarades qui avaient combattu avec une vaillance au moins égale. En réalité ; ce fut une nécessité impitoyable et patriotique qui força les membres de l'Assemblée nationale à accepter un aussi terrible traité ; mais ils savaient qu'au prix d'un immense et douloureux sacrifice, ils sauvegardaient l'avenir et d'indestructibles espérances.

Pendant que nos représentants à Bordeaux acceptaient, la mort dans l'âme, les conditions si rigoureuses de l'ennemi, pendant que Paris frémissait de rage à la pensée que cet ennemi foulait son sol, l'ambassadeur des États-Unis tenait à assister à l'entrée des Allemands dans la capitale de la France et puis s'empressait de télégraphier à Fish ces mots triomphants : Sir, ils sont entrés ! Du haut du balcon de M. Cobden, dans l'avenue des Champs-Élysées, Washburne avait regardé complaisamment. Ce prétendu ami de la France fait le récit détaillé le cette entrée sinistre et il admire la belle garde royale de Prusse qui s'était massée autour de cet Arc de Triomphe renommé dans le monde entier, et élevé — avec quel sarcasme amer, on peut le dire maintenant — à la gloire de la Grande Armée !... Il ose ajouter, confondant le rebut de la canaille interlope avec la population parisienne, qu'il a vu des Français fraterniser avec des soldats allemands !... Le dernier mot, dans ces tristes souvenirs que je ne rappelle qu'avec une profonde émotion, appartient encore à Bancroft qui écrivait à Fish, le 29 mai 1871, que l'avenir était très triste pour la France, mais que les hommes les plus intelligents de l'Allemagne souhaitaient que la France se relevât, car son action particulière dans la civilisation ne peut être remplacée par aucune nation[15]. Vœu peu sincère, sans nul doute, de la part de cet homme, mais juste cependant pour un pays qui a montré son profond amour de la civilisation en secondant l'indépendance des États-Unis et en favorisant l'unité de l'Italie. Que la. France conserve néanmoins sa fière attitude et ses nobles sentiments ; qu'elle reste ce qu'elle a toujours été dans le inonde, la nation loyale, sûre et généreuse par excellence ! La droiture et la vaillance, quoi qu'on dise, l'emporteront toujours chez elle sur ce que certains peuples appellent dans leur langage d'affaires l'esprit d'initiative et l'esprit pratique.

 

Le 2 mars, Napoléon qui ne connaissait pas encore les votes de l'Assemblée nationale, raconta au général de Monts que Bismarck s'était étonné que l'empereur ne lui eût pas exposé ses désirs à l'occasion des préliminaires de la paix. Quels désirs, dit Napoléon, pouvais-je encore exprimer ? Je ne puis rien faire maintenant, sinon attendre ce que votre maitre, l'empereur Guillaume, désirera. — Votre Majesté, répondit Monts, aura du moins l'avantage de n'avoir pas signé la paixOui, et quelle paix ! Quelles conditions et surtout la perte des deux provinces ! Napoléon avait déjà dit à Mels qu'il ne pourrait les accepter et que son refus délierait les mains de Bismarck pour lui permettre de traiter avec la Défense nationale. Monts voulut faire observer que les deux provinces avaient été allemandes, mais Napoléon l'interrompit et rappela le fait suivant : M. de Bismarck m'avait dit à Sedan que la paix qui suivrait la guerre serait une paix faite pour durer. Or, l'expérience a assagi les Français. Seules, des conditions rigoureuses et une volonté de ne point les adoucir sont incapables d'assurer une paix durable. Napoléon ajouta qu'il eût été préférable pour Guillaume Ier et les intérêts de l'Allemagne, de renverser la République, de rétablir l'Empire et de lui rendre son armée. Monts pensa de son côté que l'armée délivrée aurait été grossir les troupes de Gambetta et aurait rendu les derniers mois de la campagne plus difficiles encore pour l'armée allemande. Il aurait pu ajouter que jamais les Français n'auraient accepté la restauration de l'Empire imposée par l'ennemi. Le même soir, Napoléon III confiait à la comtesse de Mercy-Argenteau ses plaintes au sujet des conditions draconiennes de l'Allemagne. Voici sa lettre tout entière :

Comment ne pas être découragé en présence des conditions de paix imposées à la France ? Je reconnais que nous avons été les agresseurs ; je reconnais que nous avons été vaincus ; partant, que nous étions obligés de payer les frais de la guerre ou d'abandonner une partie de notre territoire ; mais nous condamner aux deux sacrifices à la fois, c'est bien dur ! Quel est le gouvernement qui pourra se soutenir avec une telle charge matérielle et morale sur les épaules ? Dans des conditions semblables, ce n'est pas une paix que conclut l'empereur d'Allemagne, c'est nous tuer, et, au lieu de rétablir la paix, il sème pour l'avenir la haine et la méfiance. Est-ce un bon calcul même pour l'Allemagne ? Je ne le crois pas. L'état de civilisation dans lequel se trouve l'Europe fait que les nations sont liées entre elles par une foule d'intérêts communs, de sorte que la ruine de l'une d'elles réagit sur toutes les autres.

Le travail de la France arrêté pour bien des années, 38 millions d'hommes livrés à l'anarchie et n'ayant dans le cœur que le désir de la vengeance, c'est maintenir une plaie ouverte sur un des membres principaux du corps social. Si l'empereur d'Allemagne et M. de Bismarck avaient sûrement réfléchi à l'état de l'Europe ; si, au lieu de se laisser éblouir par le succès extraordinaire qu'ils ont eu, ils avaient voulu fermer l'ère des révolutions et de la guerre, ils auraient déclaré que, tant qu'il n'y avait pas en France de gouvernement stable et par conséquent légitime, ils n'admettaient la suspension des hostilités que comme une trêve et qu'alors ils prenaient leurs mesures pour être dans une position militaire plus favorable si la lutte devait recommencer ; mais que, dès qu'il y aurait un gouvernement reposant sur le droit et accepté par toute la nation, ils respecteraient bien plus la paix dans l'avenir que la possession de quelques départements mécontents, détachés d'une nation profondément troublée.

C'eût été là de la grande politique. La haine contre l'Allemagne eût disparu comme par enchantement ; la paix se fût trouvée consolidée pour bien des années ; la confiance renaissait, des transactions commerciales reprenaient tout de suite leur essor, et l'empereur d'Allemagne obtenait une gloire plus grande que celle qu'il acquerra par la possession de Metz et de Strasbourg.

Napoléon III terminait ainsi cette lettre attristée : Je vous écris comme si vous étiez mon ministre des Affaires étrangères, mais c'est une consolation pour moi, au milieu des préoccupations qui m'assiègent, de vous parler à cœur ouvert.

L'empereur s'apercevait un peu tard que le réel objectif de l'Allemagne était une formidable indemnité de guerre et deux provinces avec Metz et Strasbourg. Il disait même que nous avions été les agresseurs et, dans son émotion, il dépassait les bornes, car la candidature de Léopold de Hohenzollern avait été une réelle provocation venue directement de la Prusse, et la vraie faute de l'Empire avait été de ne pas se contenter du retrait de cette candidature. L'empereur, en effet, n'a pas déclaré la guerre sans motifs évidents, mais il est tombé dans les pièges tendus par ses ennemis ; il a cru pouvoir, au dernier moment, poussé par l'impératrice, le duc de Gramont et M. Émile Ollivier, formuler des exigences pour l'avenir telles que l'Europe a mis la provocation à son actif. Rien n'effacera la perfidie de M. de Bismarck, ni son initiative rusée. Rien n'effacera la conduite impolitique de Napoléon III et de ses conseillers. Telle est la vérité.

Enfin, l'empereur se rendait compte que Guillaume 1er se souciait peu de relever l'Empire français. L'Allemagne avait devant elle une Assemblée élue en toute liberté et en toute conscience par la nation, un chef du pouvoir exécutif librement choisi et officiellement désigné qui se résignaient à accepter les conditions de paix. Que lui fallait-il de plus ? Quant à la gloire que Napoléon III offrait à Guillaume fer en échange d'une politique large et généreuse, il aurait dû savoir que cette gloire, comme l'avouait M. de Bismarck, n'était pas une valeur cotée en Allemagne. A des phrases pompeuses, à des motifs humanitaires, le chancelier et son maître préféraient des avantages certains et des conquêtes définitives.

Le lendemain de sa lettre à la comtesse de Mercy-Argenteuil, l'empereur entendit le canon tonner et les cloches sonner à Cassel, saluant la conclusion des préliminaires de paix. Un grand et noble sentiment pénétrait tous les cœurs allemands, écrit le général de Monts, et l'on comprenait que l'Empereur Guillaume avait excellemment rendu la pensée de tous en disant : Dieu a fait parmi nous de grandes choses ! C'est cette pensée que reproduisent les bas-reliefs d'un arc de triomphe que j'ai vu à Cassel à l'entrée du parc de l'Aue. Dans le premier, on aperçoit des soldats qui se séparent de leurs familles attendries en disant : Gott sei mit uns ! ; dans l'autre, on les voit revenir triomphants avec cette devise : Gott war mit uns ! C'est à tout moment que les Allemands associent la Divinité à leur triomphe. Sur les champs de bataille après leur succès ils chantaient en chœur l'hymne : Danket alles Gott ! et leurs casques portent une devise qui résume toutes leurs croyances : Mit Gott und Kœnig für Vaterland ! Ne dédaignons pas ces sentiments qui font les peuples forts. Le sceptique peut en sourire. Le libre penseur peut n'en pas tenir compte. Le sourire et le dédain ne sont pas des raisons. L'homme qui sait combien, dans les terribles épreuves de la guerre, le soldat a besoin de lever les yeux vers Celui qui seul peut donner une force et des consolations qui ne trompent pas, doit envier les hommes qui mettent leur confiance résolue en un Dieu protecteur et rémunérateur.

A la nouvelle du vote des préliminaires de paix, Napoléon dit à fiels : Tant pis pour la Prusse ! La Révolution est comme une tache d'huile, rien ne pourra l'empêcher de s'étendre. Eu mettant son nom à côté de celui de Jules Favre, M. de Bismarck a donné droit de cité à la Révolution en Allemagne. Il l'a fait pour affaiblir la France, il verra comme cela réagira sur son pays... Cette guerre avancera de dix ans une question qui, tôt ou tard, ne peut manquer de prendre une importance extrême dans notre Europe si vieille et si peuplée. Je veux parler de la question sociale. M. de Bismarck ne s'en est jamais occupé. Il y sera forcé... mais le chancelier y songera trop tard, vous le verrez, et alors seulement on pourra juger si M. de Bismarck est un homme de génie ou un diplomate habile favorisé par la fortune !...

Et comparant son sort avec celui du chancelier : Sa grande force, dit-il, est de n'être que ministre. Quelle terrible différence de succomber comme ministre ou d'être vaincu connue souverain ! Le ministre, dont les entreprises échouent, se retire et souvent observe avec une joie maligne son successeur qui doit réédifier la maison écroulée, tandis que le souverain doit réparer son erreur lui-même ou laisser cette Liche aride à son fils... M. de Bismarck a le bonheur de n'être que ministre. Possédant la confiance de son souverain à un degré vraiment extraordinaire, il peut tout risquer et n'a rien à craindre. Si la guerre de 1866 avait eu des résultats contraires à la Prusse, votre chancelier chasserait maintenant des lièvres en Poméranie : il ne lui serait rien arrivé de plus. Une responsabilité couverte par la Majesté royale, nu grand talent diplomatique, un bonheur presque sans pareil dans l'histoire, avec cela on peut tout oser. Napoléon oubliait que Bismarck avait juré que si Kœniggraetz eût été une défaite, il se fût brûlé la cervelle sur le champ de bataille... Mais eût-il tenu son serment ? Il est incontestable toutefois que le chancelier prussien, fort de son génie diplomatique et de son opiniâtreté, a été secondé par les circonstances et appuyé par son roi. Faut-il ajouter qu'il a eu la chance de trouver en face de lui des hommes d'État aussi orgueilleux qu'insuffisants et un prince qui se fiait aux assurances de ses conseillers, sans les avoir contrôlées lui-même ou fait contrôler par des autorités indiscutables. Si Guillaume se décida à accepter une guerre que son chancelier préparait depuis longtemps, c'est qu'il savait que cet homme était sûr d'avoir une armée toute prête et comptait sur la neutralité ou l'effacement de l'Europe. La fortune favorise les audacieux, il est vrai, mais plus encore ceux qui ont su d'avance capter ses faveurs.

Le 4 mars, Napoléon III apprit le vote de déchéance prononcé par l'Assemblée nationale et il adressa deux jours après au président Jules Grévy cette protestation :

 Wilhelmshöhe, le 6 mars 1871.

Monsieur le Président,

Au moment où tous les Français, profondément attristés par les conditions de la paix, ne pensent qu'aux malheurs du pays, l'Assemblée nationale a prononcé la déchéance de ma dynastie et a affirmé que j'étais seul responsable des calamités publiques.

Je proteste contre cette déclaration injuste et illégale.

Injuste, car, quand la guerre a été déclarée, le sentiment national, surexcité par des causes indépendantes de ma volonté, a produit un élan général et irrésistible.

Illégale, puisque l'Assemblée, nommée à seule fin de conclure la paix, a outrepassé ses pouvoirs en décidant les questions hors de sa compétence et, fût-elle un corps constituant, elle serait encore sans pouvoir pour substituer sa volonté à celle de la nation.

L'exemple du passé est là pour le prouver. L'hostilité de l'Assemblée constituante en 1848 échoua devant les élections du 10 décembre et, en 1851, le peuple me soutint par plus de 7 millions de suffrages contre l'Assemblée législative.

Les pouvoirs politiques ne peuvent prévaloir contre le droit, et le droit public français pour la fondation de tout gouvernement légitime est le plébiscite. De toute manière, il n'y a qu'usurpation d'un côté, oppression de l'autre.

C'est pourquoi je suis tout prêt à m'incliner devant la libre expression de la volonté nationale, mais seulement devant elle.

En présence des malheureux événements qui imposent à tous l'abnégation et le désintéressement, j'aurais voulu garder le silence ; mais la déclaration de l'Assemblée me force à protester au nom de la vérité outragée et des droits de la nation méprisés.

Recevez, monsieur le Président, l'assurance de ma haute estime.

NAPOLÉON[16].

A la principale objection formulée par cette lettre, c'est-à-dire à l'incompétence de l'Assemblée, la nation avait déjà répondu, comme je l'ai dit, en déléguant ses pouvoirs aux représentants élus librement par elle et chargés de libérer le territoire, d'effacer les maux de la guerre et de constituer un gouvernement.

Napoléon croyait avoir gardé quelque influence dans l'armée, parce qu'une pétition de certains officiers en captivité, adressée au peuple français, avait demandé le rétablissement de l'Empire comme le seul moyen de rendre au pays épuisé ses forces et sa prospérité. Cette pétition avait été rédigée par Pietri, Mels-Cohn et l'industriel Pommier. En vain, le Drapeau en fit-il les plus pompeux éloges, soutenant, lui aussi, (pue l'empereur seul pourrait rétablir la confiance et l'ordre en France. Cette pétition n'eut pas d'écho. On savait d'ailleurs que les conditions posées à notre pays par le gouvernement allemand seraient au moins aussi rigoureuses pour l'Empire que pour la République ; on redoutait même que le chancelier, malgré ses insinuations, ne les accentuât à l'égard de Napoléon III qu'il détestait. La conduite ambiguë qu'il tenait à l'égard de Thiers, pouvait tout faire croire. Harcelé par l'état-major qui ne lui pardonnait pas d'avoir cédé Belfort en échange d'une entrée dérisoire à Paris, Bismarck se répandait en menaces à la moindre demande d'atténuation des sacrifices imposés ou au moindre retard. Continuant sa tactique perfide, il se laissait interroger encore par les agents impérialistes et s'en targuait afin de redoubler les anxiétés du chef du pouvoir exécutif.

Il avait été question d'une visite du prince impérial à Wilhelmshöhe, mais l'empereur s'y était opposé, objectant qu'il allait bientôt lui-même passer en Angleterre. Cependant, le gouvernement allemand hésitait encore à le lui permettre. Un télégramme de l'empereur Guillaume informa le général de Monts que si Napoléon III et les officiers de sa suite demandaient à connaître la date exacte de leur mise en liberté, il devait se tenir sur la réserve et éviter toute initiative. En lui-même, Monts s'étonnait que l'empereur fût traité plus durement que le plus simple soldat. Il ne réfléchissait pas que l'Empire allemand, ayant enfin traité avec la République française, avait décidé de ne lui susciter aucun embarras. On ne voulait pas que Napoléon III pût reparaître en France comme Napoléon Ier en 1815.

Ce ne fut que le 13 mars que le général de Monts prédit sa délivrance prochaine à l'empereur. Celui-ci l'en remercia et se plaignit doucement que Bismarck eût, à son égard, tenu une attitude si ambiguë qu'il avait été difficile de suivre sa véritable pensée. Il comprenait maintenant que le chancelier était arrivé à obtenir la paix qu'il voulait et n'avait plus besoin de lui. Sa seule consolation était de revoir son fils qui lui avait écrit : Ma pensée est avec vous. Je vous remercie de votre bonne lettre, mais elle ne me console pas d'être loin de vous.

Monts, appelé le 15 mars à Francfort auprès de l'empereur Guillaume qui venait d'y faire une entrée solennelle, apprend de la bouche du souverain qu'il aurait bien voulu délivrer Napoléon au lendemain même des préliminaires de paix, mais que le chancelier s'y était opposé. Toutefois, Guillaume était d'anis maintenant que l'empereur pouvait partir et il lui remit une lettre amicale pour lui. Monts rapporta cette lettre à Napoléon qui la lut sans émotion et demanda à réfléchir au sujet de la date de son départ. Il choisit enfin le dimanche 19 mars, à trois heures de l'après-midi, mais en laissant croire à la gare de Cassel que le départ aurait lieu à quatre heures. Monts, qui redoutait pour l'empereur des incidents fâcheux, demanda la permission de l'accompagner jusqu'à la frontière belge. Le matin du 19, après la messe, Napoléon remit à Monts sa brochure sur l'Organisation militaire de l'Allemagne du Nord, un des travaux qu'il avait élaborés lui-même pendant sa captivité, en lui disant amicalement : Vous y trouverez sans cloute bien des fautes. Or, le général assure que l'empereur était parfaitement maître du sujet et avait jugé avec sagesse toute l'organisation allemande[17]. Au moment du départ, les gens du château offrirent des fleurs à Napoléon qui les remercia avec sa bonne grâce accoutumée. L'empereur monta avec Monts, Castelnau et Murat dans la première victoria, tandis que la garde d'honneur présentait les armes et qu'une foule paisible saluait silencieusement. Un wagon-salon avait été réservé pour Napoléon dans le train qui le ramenait par la Belgique. En cours de route, à Giessen, on apprit l'insurrection du 18 mars[18] ; sans perdre son sang-froid, Napoléon dit simplement : Ainsi, la populace est maîtresse de la butte Montmartre qui domine Paris ! Son entourage eut moins de calme et manifesta hautement ses inquiétudes. A la guerre étrangère succédait donc la guerre civile. Quelles en seraient les suites ?... Il était dit, d'ailleurs, que ce voyage serait profondément douloureux. A toutes les stations, les Français voyaient, à cause du retour des troupes allemandes, d'immenses drapeaux déployés avec les noms des victoires : WŒRTH, WISSEMBOURG, METZ et SEDAN. A Cologne, on entendit des sifflets et des huées. A Herbesthal, une femme tout en larmes se précipita dans le wagon-salon et se jeta impétueusement au cou de l'Empereur. C'était la princesse Mathilde, émue et exubérante. A ses démonstrations, Napoléon opposait la plus grande froideur et ce contraste formait une scène étrange. A la frontière belge, le général de Monts prit congé de l'empereur qui le remercia vivement de ses attentions et le chargea de ses compliments pour l'empereur et l'impératrice d'Allemagne. Le voyage continua par Verviers et Ostende. Napoléon débarqua à Douvres où l'impératrice et son fils l'attendaient[19]. Il laissait, dans le cercle de Cassel où il avait passé plus de six mois, une impression favorable en raison de son attitude paisible et des générosités qu'il avait répandues autour de lui. Résumant, à la fin de ses notes, son jugement sur la personne de l'empereur, Monts se dit convaincu que ce prince, malgré tontes ses fautes, avait eu en vue le bien de la France. Mais le général était anxieux de savoir qui pourrait gouverner maintenant ce pays d'une façon durable. Deux ans après ces événements, le libérateur du territoire cédait la place au maréchal de Mac-Mahon et chacun répétait ce mot de Louis Bonaparte, quand il comparut devant le juge d'instruction : Il n'y a rien de perpétuel en France !

 

 

 



[1] Napoléon intime, par F. GIRAUDEAU, 1895, in-8°.

[2] Cf. Busch, Mémoires de Bismarck.

[3] Histoire de la diplomatie du gouvernement de la Défense nationale, t. II, p. 62.

[4] Mémoires de Persigny, p. 504.

[5] Le Comte de Bismarck et sa suite.

[6] Courrier de la Gironde du 8 janvier 1871.

[7] Voyez la Vérité sur les désastres de l'armée de l'Est, par Mme Jules Favre (Plon, 1883, in-8°), et le rapport Perrot sur l'armée de l'Est, ainsi que l'ouvrage du colonel Secrétan.

[8] Archives diplomatiques. — Cette attitude déplorable de Bancroft inspira à Victor Hugo des vers vengeurs qu'on peut lire dans l'Année terrible.

[9] Verlagen und Klasing Monatsheft. — Voyez aussi le Temps du 25 août 1906.

[10] Il y avait un autre ordre du jour ainsi conçu : L'Assemblée nationale, subissant les désastreuses conséquences d'une situation léguée par l'Empire, fait remonter à l'ex-empereur Napoléon III la responsabilité de la guerre, de l'invasion, de la ruine et du démembrement de la France ; en présence de l'impossibilité matérielle de continuer la lutte, ratifie le traité proposé par le chef du pouvoir exécutif et passe à l'ordre du jour. Cet ordre du jour était signé par MM. Target, Jules Buisson, Louis Viennet, Baragnon, de Brettes-Thurin, Ch. Rolland, Ch. Rivet, Farcy, Ch. Alexandre, F. Dupin, Marcel Barthe, H. Wallon, Léon Say, E. Talion et d'Osmoy.

[11] Quelques jours après, le 8 mars, Victor Hugo souleva un orage dans l'Assemblée à propos du général Garibaldi qu'il appelait le seul général qui n'eût pas été vaincu ! Comme il était l'objet des plus vives interpellations, il rédigea au pied de la tribune sa démission en ces termes : Il y a trois semaines, l'Assemblée a refusé d'entendre Garibaldi : aujourd'hui elle refuse de m'entendre. Je donne ma démission. L'autographe, écrit d'une main fébrile, contient une grosse tache d'encre.

[12] C'est ce que dit le général du Barail dans le troisième volume de ses Souvenirs, pp. 144 et 145.

[13] Deux jours après, M. Küss était mort. L'Assemblée s'associa par un vote unanime aux regrets que causait à la France entière la perte de ce bon patriote. M. Küss avait été le premier il signaler la protestation émouvante des députés de l'Alsace-Lorraine contre la cession de ces provinces à la Prusse, protestation lue à l'Assemblée par Keller. (Voir le texte aux Pièces justificatives).

[14] Le chef du pouvoir exécutif avait prié la Présidence de l'Assemblée de lui remettre l'expédition en règle de la loi relative au traité, dès le vote terminé, ce qui eut lieu. M. Delaroche-Vernet la porta aussitôt secrètement à Paris. M. Jules Favre put la donner le 2 mars à M. de Bismarck, qui parut très surpris. Il échappa manie au chancelier cette exclamation : Si nous avions prévu que votre Chambre pût examiner et ratifier le traité en vingt-quatre heures, nous aurions pris d'autres dispositions. Mais, grâce à cette patriotique promptitude, les Allemands quittaient Paris le 3 mars au matin. (Voir Jules FAVRE, Gouvernement de la Défense nationale, t. III.)

[15] Jules Valfrey rappelait que l'ancien ambassadeur des États-Unis à Paris, M. Eustis, avait publié eu 1897, dans une revue de New-York, ses impressions sur la France et son avenir. M. Eustis prophétisait à brève échéance notre chute définitive comme grande puissance, mais admettait, lui aussi, avec quelque regret, que ce serait une perte pour la civilisation. (Voir le Figaro du 30 avril 1898.)

[16] Archives diplomatiques, 1873, t. Ier p. 50.

[17] A Wilhelmshöhe, Napoléon III écrivit, outre cette brochure, deux autres brochures sur les Causes de la capitulation de Sedan et sur les Relations de la France et de l'Allemagne sous l'Empire. (Cf. MONTS et les articles publiés par moi dans la Revue des Deux Mondes des 1er et 15 avril 1910.)

[18] Mels se vante de l'avoir annoncée lui-même à Napoléon à la gare. (Ch. XXI, Souvenirs sur Wilhelmshöhe.)

[19] Voir sur l'arrivée de Napoléon III en Angleterre les Mémoires du docteur Evans, p. 392 et 393.