HISTOIRE DES CAROLINGIENS

 

CHAPITRE IX. — LES DERNIERS CAROLINGIENS.

 

 

§ 1. CHARLES LE SIMPLE.

Après la mort de Charles le Gros, 12 janvier 888 le royaume d’Occident revenait de droit à Charles dit le Simple, fils posthume de Louis le Bègue. Mais ce prince était encore enfant : né le 17 septembre 879, il avait huit ans et quelques mois ; Foulques, archevêque de Reims, prenait soin de son éducation et lui servait, pour ainsi dire, de père. Le pays était trop agité pour permettre à un roi aussi jeune de monter paisiblement sur le trône. Les princes du royaume, dit Richer, poussés par la cupidité, se disputèrent le pouvoir. Chacun cherchait par tous les moyens augmenter sa fortune ; personne ne songeait à protéger le roi ou de défendre l’empire. Acquérir le bien des autres était pour tous la grande affaire, et celui qui n’ajoutait rien à son patrimoine, aux dépens d’autrui, semblait n’avoir rien fait pour ses intérêts. C’est ainsi que le bon accord dégénéra en une implacable discorde, qui amena l’incendie, le pillage, la dévastation[1].

Les Normans profitèrent de ces divisions entre les grands pour envahir la Neustrie ; ils s’y livrèrent aux plus horribles ravages, jusqu’à, ce que les seigneurs francs, ayant reconnu la nécessité de se réunir autour d’un chef, élevèrent au trône le duc Ode ou Eudes, fils de Robert le Fort ; celui-ci était, selon Richer, fils d’un Saxon nommé Witichin, et selon l’Art de vérifier les dates, arrière-petit-fils de Childebrand, frère de Charles Martel. Robert avait été nommé duc de France en 861 ; et Eudes, qui lui avait succédé en 866, fut élu roi des Francs le 15 février 888.

Cependant Charles le Simple n’entendait pas renoncer au trône de ses pères. A peine approchait-il de l’adolescence que déjà il exprimait amèrement à ses amis et aux gens de sa maison ses regrets d’avoir perdu la couronne. Foulques attendait l’occasion de tenter une restauration en sa faveur ; il en préparait les moyens avec les partisans de la dynastie carolingienne qui étaient presque tous en Belgique. Tous les princes de Belgique et quelques-uns de la Celtique, dit Richer en parlant de Charles, lui étaient entièrement favorables : leur adhésion fut déposée, sous serment, entre les mains de l’archevêque de Reims[2].

L’occasion que Foulques attendait se présenta enfin. Eudes s’était rendu en Aquitaine, pour réduire les seigneurs de ce pays qui lui refusaient obéissance. A un jour donné, la basilique de Saint-Remi de Reims vit se réunir sous ses voûtes, pour la Belgique, les métropolitains de Cologne, de Trèves et de Mayence, avec leurs évêques suffragants ; pour la Celtique, l’archevêque de Reims et quelques-uns seulement de ses suffragants, savoir : les évêques de Laon, de Châlons et de Thérouanne. Introduit dans cette auguste assemblée, Charles y fut sacré et couronné roi des Francs le 28 janvier 893. Les Annales de Metz désignent, comme ayant contribué à cet acte, Herbert comte de Vermandois et Pépin comte de Senlis, qui l’un et l’autre étaient issus du sang de Charlemagne. Il paraît que le comte de Flandre aussi n’y fut pas étranger ; mais nous ne voyons point que ces partisans de Charles aient rien fait pour le mettre en possession de son royaume.

Ce jeune roi fut bientôt obligé de prendre la fuite ; il chercha un refuge dans la Lotharingie d’abord, et puis dans la Bourgogne. Arnulphe, dont il avait espéré d’obtenir du secours, intervint, mais ce fut pour assurer à son fils Zwentibold la couronne de Lotharingie. Il convoqua Eudes et Charles à une assemblée générale à Worms, comme s’il voulait les réconcilier. Charles, qui était un jeune homme de seize ans, s’y fit représenter par des députés ; Eudes y vint en personne et fut reçu avec beaucoup d’honneurs. Il obtint, disent les chroniques, tout ce qu’il souhaitait, c’est-à-dire sa reconnaissance comme roi de Neustrie ; mais on le lit assister à l’élévation de Zwentibold au trône de Lotharingie.

Nous avons déjà dit quelques mots de la folle expédition du nouveau roi des Lotharingiens, pour s’emparer de la ville de Laon, et du reste de la France si le succès avait couronné ses armes. Le prétexte de cette expédition était de rétablir Charles le Simple sur le trône de ses pères. Nais les partisans de celui-ci, qui ne se méprenaient pas sur le but réel de Zwentibold, saisirent assez habilement cette occasion d’obtenir en faveur de Charles une sorte de transaction : ils envoyèrent des députés à Eudes pour lui demander la cession d’une partie quelconque du royaume. Eudes y consentit, et dans un plaid tenu au printemps de l’an 896, une fraction de territoire — probablement le comté de Laon et le pays Rémois — fut adjugée à Charles le Simple. Le roi Eudes mourut le 3 janvier 898 ; alors Charles entra en possession du royaume entier. Robert, frère du feu roi, fit sa soumission au roi légitime, et celui-ci le créa duc de la Neustrie, c’est-à-dire du pays compris entre la Seine et la Loire.

Charles le Simple régnait donc sur la France depuis quatorze ans, lorsque, à la mort de Louis l’Enfant, en 912, il fut appelé à recueillir la couronne de Lotharingie. A quelle influence faut-il attribuer cette nouvelle réunion de deux pays qui s’étaient séparés à la satisfaction de l’un et de l’autre ? Est-ce à celle des évêques ou à celle des vassaux les plus puissants, tels que Regnier, comte de Hainaut ? Ou bien sont-ce les intrigues de Charles le Simple qui produisirent ce résultat ? On ne trouve pas de réponse précise à ces questions dans les sources historiques. Un passage des Annales de Lobbes, reproduit dans plusieurs autres chroniques, dit simplement : Karolus jam tandem Occidentalium rex, regnum etiam Lothariense recepit[3]. Nous avons vu plus haut la part que les évêques de Belgique prirent au sacre de Charles en 893, et ce que dit Rucher des partisans de ce prince. Dewez pense que Regnier, comte de Hainaut, contribua puissamment à donner cette belle couronne à Charles : ce fut, dit-il, pour le récompenser de son zèle et de son attachement que celui-ci le créa duc de Lotharingie, et qu’après sa mort il conféra la môme dignité à son fils Gislebert[4]. M. Borgnet nous semble approcher beaucoup de la vérité, lorsqu’il s’exprime ainsi :

On doit croire que l’avènement, de Charles fut populaire ; sans nul doute, l’attachement à la famille de Charlemagne contribua à la réussite du mouvement. Il ne faut pas cependant exagérer l’influence de ce sentiment. A cette époque, le peuple était dépouillé de toute participation aux affaires publiques ; les possesseurs de fiefs, qui s’étaient attribué, avec l’autorité, le monopole de l’opinion publique, et qui dirigèrent cette insurrection en faveur de la légitimité, n’étaient guère susceptibles d’autre passion que de celle d’augmenter leurs possessions et leur influence. Il faut donc chercher encore ailleurs un motif qui nous explique leur conduite... Le successeur de Louis l’Enfant, Conrad, avait eu pour adversaire, dans la guerre de Bamberg, plusieurs vassaux de Lotharingie et surtout deux comtes, Gerhard et Mattfried, puissants entre la Meuse et la Moselle. Gerhard et Mattfried étaient liés d’amitié avec Ragenaire (Regnier), qui déjà avait pris leur parti dans leur lutte avec Zwentibold. Il n’est donc pas impossible qu’un sentiment de rancune personnelle ait contribué à la réussite du mouvement qui donna la Lotharingie à Charles[5].

Un autre sentiment encore que celui de la rancune nous semble avoir dû exercer son influence sur l’esprit des Lotharingiens et particulièrement sur celui du comte Regnier. Conrad, roi de Germanie, était fils de ce Conrad qui avait été tué dans la guerre de Bamberg. Regnier et tous les seigneurs qui avaient pris part à cette guerre étaient perdus, s’il parvenait à rétablir sur les vassaux de la Lotharingie les droits de suzeraineté que lui avaient transmis ses prédécesseurs. C’est là probablement le grand motif qui les détermina à se tourner du côté de la France et à se jeter dans les bras de Charles le Simple, qui n’était pas un étranger pour leur pays.

Avant d’entrer plus profondément dans l’examen des faits qui concernent Charles dit le Simple, nous nous permettrons d’emprunter au travail si remarquable et trop peu connu de M. Borgnet ses recherches sur l’origine de celte épithète avilissante :

Il importe de faire remarquer que les dénominations de simplex, hebes, insipiens, stultus, sollus, follus, car il y a vraiment luxe d’expressions pour avilir le malheureux roi, n’appartiennent qu’au onzième siècle, à l’époque où la dynastie capétienne, solidement établie, commençait à avoir ses Batteurs, où l’on voulait dissimuler leur usurpation, relever le mérite des fondateurs de cette nouvelle race royale au détriment de leurs adversaires. Le point nous a paru valoir quelques recherches, et nous l’avons soigneusement vérifié. Nous ne citerons pas les Annales de Saint-Bertin, qui s’arrêtent à 889, peu d’années après la naissance de Charles, et dont on s’explique le silence ; mais les Annales de Saint-Vaast et de Fulde, qui vont jusqu’au commencement du dixième siècle et fournissent la plupart des faits que nous connaissons sur la première partie de ce règne, ne renferment également aucune trace d’un de ces avilissants sobriquets. Le moine Anon a composé, sur le siège de Paris par les Normands, un poème qui peut passer pour un panégyrique d’Ode, le premier roi de la famille des Capet ; il célèbre avec emphase le triomphe de son héros sur Charles, dont le nom revient à plusieurs reprises sous sa plume sans accompagnement d’épithète. Ce n’est pas, chez le moine neustrien, reste de ménagement pour la race déchue, car il rappelle avec une intention évidemment malveillante le surnom de Louis, le père de Charles.

Nous avons encore trois chroniqueurs contemporains : Reginon, Flodoard et Richer. Sous ce rapport, tous trois sont également inoffensifs ; parfois même leurs expressions sont bienveillantes, loin de favoriser la réprobation qui s’est si injustement, croyons-nous, attachée a l’infortuné monarque. Thietmar est le premier chroniqueur où apparaisse, jointe au nom de Charles, une qualification outrageante ; on y lit : Fuit in occiduis partibus quidam rex, ab incolis Karl sot, id est stolidus, ironice dictus[6]. Mais Thietmar est mort en 1018, et ses paroles nous attestent qu’alors, dans cette partie de l’empire franc à laquelle on peut déjà donner le nom de France, commençaient à prévaloir les expressions désobligeantes pour les Carlovingiens. A ce propos, le savant éditeur des Monumenta Germaniæ historica signale une circonstance assez curieuse : deux manuscrits appartenant l’un à la bibliothèque royale de Dresde, l’autre à celle de Bruxelles, furent à sa disposition pour la publication de cette chronique ; de la phrase que nous venons de citer, les mots : ab incolis Karl sot, id est solidus, ironice dictus, ne se trouvent que dans le second manuscrit, dont l’écriture est du quinzième siècle ; dans le premier, qui est réputé autographe, ces mots ont été raturés, sans nul doute par un partisan des Carlovingiens dont nous ne pouvons que présumer l’intention bienveillante.

La dénomination de simplex, ou quelque autre expression équivalente, se rencontre accolée au nom de Charles, chez la plupart des chroniqueurs du onzième siècle, surtout chez ceux qui appartiennent à la partie méridionale et occidentale de l’empire franc, à la Bourgogne, à l’Aquitaine, à la Neustrie, provinces où la dynastl2 carlovingienne fut constamment impopulaire, en sa qualité de dynastie imposée à la suite d’une violente réaction. A peine en avons-nous trouvé un qui appartienne à l’Austrasie, la patrie des Pippins. Et même parmi les chroniqueurs occidentaux, il en est qui cherchent à expliquer d’une manière favorable ces dénominations injurieuses : simplex clients, lisons-nous dans la chronique de Saint-Bénigne de Dijon, ob benignitatem animi ; sanctus nunc recte potest vocari, quoniam injuste ab infidelibus suis et per juris longa custodia carceris afflictus est[7]. On sent qu’au onzième siècle le clergé neustrien n’a pas encore perdu le souvenir de ce qu’avait fait pour lui, aux temps de sa splendeur, la famille de Charlemagne ; plus tard tout ménagement disparaît, l’Église française a mis en oubli les libéralités passées, et les chroniques de Saint-Denis traitent impitoyablement en vaincus les derniers descendants de cette illustre race[8].

Les premières années qui suivirent l’avènement de Charles au trône de Lotharingie ne furent marquées que par les tentatives de Conrad pour s’emparer de ce pays. Charles le Simple, résidant en Neustrie, avait confié le gouvernement bénéficiaire de son nouveau royaume, avec le titre de duc, à Replier, comte de Hainaut. Celui-ci se montra digne de la haute confiance de son souverain, et repoussa les attaques du roi de Germanie, en 912 et 913[9]. Quelques chroniqueurs rapportent que Conrad conquit l’Alsace, mais c’est avec raison que ce fait est révoqué en doute par M. Borgnet ; on est même autorisé à le nier absolument, lorsqu’on passe en revue les actes gouvernementaux du roi Charles en Alsace, postérieurs à l’année 913[10].

Regnier mourut en 916, au palais de Meersen, près de Maëstricht. Charles, qui assista à ses obsèques, en fut tellement affligé qu’il versa des larmes abondantes. Richer rapporte qu’en présence des grands du royaume, qui s’étaient réunis, il investit le fils de Regnier des fiefs et dignités de son père[11]. L’assemblée dans laquelle cet acte solennel fut accompli est probablement celle dont il est fait mention dans le diplôme du 19 janvier 916[12], et qui eut lieu clans l’antique palais des Carolingiens à Herstal.

Il paraît que Gislebert, en succédant au duc Regnier, n’avait pas hérité des vertus de son père : car peu de temps après, cédant à l’esprit de l’époque, il voulut se rendre indépendant de celui à qui il devait sa haute position. Il chercha à se créer un parti, en faisant une large distribution de bénéfices. Charles était en Neustrie, lorsqu’il fut informé de ces symptômes de trahison. La position de ce roi couronné de deux couronnes était vraiment singulière. Tous ses États se trouvaient partagés entre ses grands vassaux ; il n’avait de souveraineté immédiate et directe que sur la ville et le comté de Laon en Vermandois, qui lui avait été rendu par Eudes. Hors du territoire de ce petit comté, son autorité ne pouvait s’exercer que par l’intermédiaire de ses vassaux, quand ils voulaient bien s’y prêter. La Lotharingie, la Neustrie, la Bretagne, la Bourgogne et l’Aquitaine avaient leurs ducs particuliers ; la Flandre et le Vermandois avaient leurs comtes. Tous ces feudataires visaient à une indépendance absolue, et le roi n’avait d’autre moyen de les réduire qu’en les faisant marcher les uns contre les autres, ou en soulevant contre eux leurs arrière-vassaux.

Aussi longtemps que Regnier avait vécu, Charles avait trouvé dans la Lotharingie un point d’appui, qui lui faisait défaut sous Gislebert. La Neustrie lui échappait également, le duc Robert ayant des prétentions à la couronne de feu son frère Eudes. En Bourgogne, le duc Richard avait toujours loyalement défendu la cause du suzerain ; mais son fils Rodolphe, qui lui succéda, prit parti pour Robert et devint son gendre ; bien plus, après la mort de son beau-père, il fut choisi pour roi et sacré dans l’Église de Saint-Médard à Soissons. En Flandre, le comte Baudouin, dont la politique, dit M. Borgnet, consistait à passer sans cesse d’un camp à l’autre, selon que ses intérêts le lui conseillaient, figura d’abord au nombre des partisans déclarés de la dynastie Carolingienne, mais il finit par prêter serment de fidélité au roi Eudes. Quant au comte de Vermandois, il n’est que trop célèbre par sa félonie.

Bicher attribue des conséquences très graves à un fait qui, au point de vue des idées modernes, paraît assez insignifiant. Il rapporte que Charles avait voué une affection particulière à un homme de naissance obscure nommé Haganon ; que cet homme avilissait la dignité royale en se posant en conseiller du prince, comme s’il y avait faute de noblesse ; que les grands indignés s’en plaignirent au roi, menaçant, s’il ne renonçait pas à une telle familiarité, de se retirer entièrement de son conseil. Charles, dit-il, ne tint compte de ces remontrances et n’éloigna point son favori[13]. Richer et Flodoard[14] attribuent à ces circonstances une conspiration qui nous semble avoir des causes beaucoup plus profondes.

Henri l’Oiseleur, qui avait succédé, comme nous l’avons déjà dit, à Conrad, roi de Germanie, en avril 920, parait avoir repris, dès son avènement, le projet de son prédécesseur de réunir de nouveau la Belgique à l’Allemagne. C’est ce qui le détermina sans doute à accueillir les propositions .de Robert, et entrer dans une conspiration qui avait pour but de détrôner le roi de France et de Lotharingie. Une entrevue que Charles avait eue avec lui à Worms avait fini par une mêlée sanglante. On ne connaît pas les détails de cette affaire, mais on trouve dans Richer des renseignements précieux sur le parti que les ennemis de la dynastie carolingienne surent en tirer. Robert, dit-il, avait appris que Henri s’était trouvé forcé de fuir, poursuivi par les gardes du roi, et il l’avait aussitôt assuré de son dévoilement. Fort de l’adhésion de Henri, le tyran (le duc) se mit sans retard en devoir de s’emparer du royaume ; il fit dans ce but de nombreuses largesses et des promesses infinies. Enfin il sollicita ouvertement les princes déjà portés à la trahison ; il leur représenta le roi vivant à Soissons en homme privé, et les Belges, un très petit nombre excepté, déjà rentrés dans leurs foyers. L’occasion était favorable, leur disait-il ; il leur assurait de plus que le roi pouvait être pris facilement, et cela avec justice, s’ils se rendaient tous au palais pour se concerter avec lui. Il fallait le saisir au milieu même de la délibération et le retenir dans sa chambre. Presque tous les grands de la Celtique approuvent ce projet et jurent entre les mains du tyran de consommer le crime. Ils arrivent donc au palais, entourent le roi comme pour délibérer avec lui, l’emmènent dans sa chambre, ainsi qu’ils l’ont raconté à quelques personnes, s’emparent de lui et le retiennent prisonnier.

Ils se disposaient déjà à emmener le roi, quand l’archevêque Hervé[15] entre tout à coup dans Soissons avec des troupes. Il veillait en effet sur le roi, et il avait pressenti les projets des transfuges. Il s’était introduit dans la place avec un petit nombre d’hommes, que d’autres suivirent bientôt, grâce aux soins de Rieur, évêque de la ville. Ainsi entouré d’hommes armés, Hervé se présenta devant les transfuges, qui tous restèrent confondus et frappés de terreur : Où est le roi mon seigneur ? leur dit-il d’une voix terrible. De tant d’hommes présents, très peu eurent la force de répondre, car ils virent qu’ils étaient vendus ; cependant ils reprirent courage et ils répondirent : Il tient conseil là dedans. Le métropolitain brise les serrures, enfonce la porte, et trouve le roi assis avec quelques personnes seulement, car après s’être emparé de lui, on le tenait prisonnier et on lui avait donné des gardes. Le métropolitain lui prit la main, en lui disant : Viens, mon roi, sers-toi plutôt de tes serviteurs, et il l’entraîna ainsi du milieu des transfuges. Le roi monta à cheval, sortit de la ville avec quinze cents hommes d’armes et se rendit à Reims. Après son départ, les transfuges, couverts de honte, se montrèrent furieux d’avoir été joués ; ils retournèrent confus vers Robert et racontèrent au traître le mauvais succès de leur entreprise. Pour le roi Charles, il regagna l’intérieur de la Belgique avec l’archevêque et un petit nombre d’hommes, qui d’abord l’avaient abandonné, mais que de sages conseils avaient ramenés à lui, et il se retira dans la ville de Tongres[16].

Quand on se représente la situation du roi Charles, si injustement appelé le Simple, on ne comprend pas que l’histoire ait pu lui faire un reproche d’avoir reçu au nombre de ses vassaux le chef normand Hrolff, et de lui avoir concédé le duché de Normandie qu’il possédait déjà, et dont le roi était tout à fait incapable de l’expulser. Hrolff nous parait être un feudataire tout aussi estimable, plus estimable peut-être que Robert et Gislebert, qui, au mépris de leurs serments, ne cessaient de conspirer contre leur suzerain. Les historiens qui Minent la conduite de Charles ne se sont pas rendu un compte bien exact de son isolement ; ils n’ont pas assez remarqué cette scène de Soissons, où le roi, surpris par les partisans de Robert qui se disposait à le détrôner, est sauvé par un prêtre, par Hervé, archevêque de Reims. Il n’y a pas un de ses vassaux qui vole à son secours ou qui prenne son parti ; au contraire, le duc Gislebert parait être associé au complot, non dans l’intérêt du frère d’Eudes, mais pour se faire à lui-même une souveraineté indépendante dans la Lotharingie. Il faut que ce soit un prêtre qui délivre le roi des mains de ses ennemis ; et lorsqu’il est délivré, c’est encore chez ce prêtre seul qu’il peut trouver un asile. En effet, Charles séjourna à Reims pendant plusieurs mois ; il ne passa en Belgique que lorsqu’il eut réuni assez de forces pour aller chercher Gislebert et les autres insurgés de ce pays.

Ce Gislebert a une physionomie assez originale dans le portrait qui nous en a été laissé par Richer : Il se livrait étourdiment, dit-il, à une insolente témérité ; à la guerre, son audace était telle qu’il ne craignait pas d’entreprendre l’impossible. Il était de taille médiocre, mais gros ; ses membres étaient très forts ; il avait le cou roide, les yeux méchants, hagards, et tellement mobiles que nul n’en connaissait bien la couleur. Ses pieds remuaient sans cesse ; son esprit était léger, son langage obscur, ses questions fallacieuses, ses réponses équivoques ; il y avait rarement de la suite et de la clarté dans ce qu’il disait. Excessivement prodigue de son bien, il convoitait avidement celui des autres[17].

Ce dernier trait explique la conduite de Gislebert. Il avait distribué aux seigneurs presque tous ses biens : aux plus considérables il avait donné des terres, des bénéfices ; les petits, il les avait gagnés par de fortes sommes d’or et d’argent. Lorsque Charles entra dans le pays avec une armée, les conjurés n’osèrent pas lui résister en pleine campagne, mais ils se retranchèrent dans leurs châteaux et dans leurs villes. Le roi fit dire à chacun d’eux par des messagers qu’il leur conférerait par un acte royal et solennel tout ce qui leur avait été donné par Gislebert en terres et en maisons, et qu’il prendrait leur défense contre Gislebert même, si celui-ci voulait leur reprendre les bénéfices qu’il leur avait concédés. Ce moyen réussit merveilleusement. Tous abandonnèrent le parti de Gislebert, se rallièrent fermement au roi et marchèrent avec lui contre le duc. Gislebert s’était retranché avec un petit nombre d’hommes dans un endroit appelé Harburc, au confluent de la Gheule et de la Meuse[18]. Il s’enfuit quand les troupes du roi s’approchèrent, et alla chercher un refuge au delà du Rhin.

Parmi les Lotharingiens qui avaient déserté le parti du roi figure l’abbé de Lobbes, Hilduin. La conduite de ce prélat est exposée dans un document qui jette beaucoup de jour sur la moralité des révolutionnaires de ce temps. Le capitulaire de Charles III ou le Simple, intitulé Tungrensis episcopatus controversia, de l’an 921[19], est une espèce de circulaire adressée à tous les archevêques et évêques (lu royaume, pour leur annoncer la déposition de ce prélat et l’élection de ficher, abbé de Prum, au siège épiscopal de Liége. On y voit que la conduite d’Hilduin a fait l’objet d’une enquête à laquelle ont assisté seize archevêques et plusieurs vassaux, proceres, marquis, comtes et grands, optimates, du royaume. Les faits constatés par cette enquête sont des plus curieux. Le roi raconte d’abord, en termes généraux, que plusieurs de ses leudes ont trahi leurs serments de fidélité à son égard, qu’ils ont conspiré contre sa vie et sa couronne ; qu’ils ont pactisé avec ses ennemis, et qu’ils sont allés leur demander les bénéfices et les évêchés de son royaume. Hilduin en particulier est allé trouver les ennemis du roi au delà du Rhin ; oubliant tous ses serments et foulant aux pieds toutes ses promesses, il a sollicité du roi Henri, inimico nostro, l’épiscopat de l’église de Tongres, et pour l’obtenir, il a donné à Henri et à ses leudes, proceres, plusieurs livres d’or et d’argent qu’il avait volées à l’église de Tongres. Il s’est rendu également auprès de l’archevêque de Cologne Herman ; lui a juré faussement que le roi lui avait donné l’évêché de Tongres et a fait prêter le même serment par quelques clercs et laïques. Il a employé les menaces et la violence à l’égard d’Herman, pour le forcer par la peur à le sacrer évêque. Celui-ci a déclaré que, s’il n’y avait pas consenti, Hilduin l’aurait privé de la vie et des biens ecclésiastiques, et qu’il aurait massacré toute sa familla. Après avoir obtenu son ordination par la teneur, Hilduin est allé prendre possession des biens de l’église de Tongres ; il a ravi les trésors de cette église et ceux de l’église d’Aix-la-Chapelle, qui étaient cachés auprès du corps de saint Lambert, et il les a distribués aux évêques et aux comtes, ses complices.

Ce document confirme, dans sa partie principale, le récit de Richer. Le roi Henri y est nominativement signalé comme un des ennemis de Charles le Simple, et l’on voit clairement que les conjurés comptaient sur son appui. Cependant les deux rois finirent par comprendre qu’entourés d’aussi malhonnêtes gens, ce qu’ils avaient de mieux à faire était de s’entendre et de se réconcilier. Le traité de Bonn, qui nous a été conservé et dont on peut lire le texte dans Miræus[20], nous apprend qu’étant campés sur les deux rives du Rhin, ils se réunirent dans un bateau amarré au milieu du fleuve, le 7 novembre 821, et qu’ils y sanctionnèrent par un serment réciproque les conventions arrêtées entre leurs ambassadeurs. Charles, roi des Francs occidentaux, jure d’être l’ami de Henri, roi des Francs orientaux, à condition que celui-ci lui fasse le même serment et qu’il tienne sa promesse. Henri jure, dans les mêmes termes, d’être l’ami de Charles. Les évêques et les comtes, de part et d’autre, ajoutent à ce traité la garantie de leurs serments et de leurs signatures. On remarque que parmi eux ne se trouve pas l’évêque de Liége.

C’est probablement à l’occasion de ce traité que le roi Henri obtint de Charles la grâce et la réintégration de Gislebert. On trouve à ce sujet quelques détails assez intéressants dans Richer. Rappelé de son exil, dit ce chroniqueur, Gislebert obtint grâce auprès du roi par la médiation de Henri, mais à la condition cependant qu’il laisserait aux possesseurs actuels, tant qu’ils vivraient, les bénéfices qu’il avait aliénés contre toute raison, et que le roi lui rendrait seulement ceux dont les possesseurs étaient morts pendant ces années. Il reçut donc tout ce que la mort des possesseurs avait laissé vacant, c’est-à-dire la plus grande partie de ses biens : Maëstricht, Herstal, Meersen, Littoy, Chèvremont[21].

Richer ajoute qu’à peine rentré en possession de son duché, Gislebert se mit à tourmenter par ses gens et à maltraiter à outrance ceux qui avaient obtenu du roi la possession de ses bénéfices. Il faisait tuer les uns secrètement, il violentait les autres sans relâche pour leur faire abandonner ce qu’ils possédaient. Il réussit à la fin, dit Richer, et rentra dans tous ses biens ; mais ce ne fut que pour comploter contre le roi plus furieusement que jamais. Il alla donc trouver son beau-père[22], et s’efforça de l’éloigner de Charles. La Celtique, lui disait-il, doit suffire au roi ; la Belgique et la Germanie ont absolument besoin d’un autre chef ; il l’excitait enfin par de fréquentes instances à ne pas repousser la couronne. Mais Henri, fermant l’oreille à ces criminelles suggestions, résista à tout ce que put dire Gislebert, et lui fit entendre à son tour tout ce qu’il jugea propre à le détourner de ses coupables projets[23].

Ce qui suit est extrêmement obscur. Rucher rapporte que le roi Charles, après avoir réintégré Gislebert dans la plus grande partie de ses bénéfices, ce qui implique sans doute le gouvernement bénéficiaire de la Lotharingie, s’en retourna dans la Neustrie pour repousser les incursions des Normans, et qu’ensuite il vint résider à Tongres. Mais, d’autre part, M. Borgnet allègue, d’après Flodoard, que Charles passa tout l’hiver de 921 à 922 à combattre pour le maintien de son pouvoir en Lotharingie ; qu’il revint ensuite à Laon, où il se vit assiégé par le fils de Robert, Hugues plus tard surnommé le Grand ; que, trop faible pour lutter, Charles ne voulut pas tomber au pouvoir de ses ennemis, et abandonna Laon ; que Hugues le poursuivit jusqu’à la Meuse ; que lit il fit la rencontre de Gislebert qui l’accompagna à une conférence oit fut arrêté le couronnement de Robert[24].

Suivant le même auteur, Charles parvint à rallier une petite armée, à la tète de laquelle il rentra en Neustrie. Flodoard donne un récit plus ou moins circonstancié des faits de cette campagne ; il représente le malheureux roi luttant avec résolution et déployant une activité qui contraste avec les reproches dont il a été l’objet. Cependant le nombre de ses ennemis ne cessant de croître, Charles fut obligé de rentrer dans la Lotharingie, pour y disputer à Gislebert les restes de son autorité dans ce pays. Quoiqu’il en soit de cette campagne, dont Bicher ne parle pas, les chroniqueurs sont d’accord en ce point, que Charles se trouvait dans la Lotharingie au mois de juin 922. Robert, enhardi par son absence, convoqua à Soissons les grands de la Celtique, pour s’entendre avec lui sur les moyens de détrôner le roi. Gislebert ne manqua pas d’y venir, dit Bicher, et sans attendre la délibération, il allait criant de tous côtés que Robert devait être mis sur le trône. Par la volonté unanime de tous les seigneurs présents, Robert fut donc élu et, au grand triomphe de son ambition, conduit à tenus, oit il relut le titre de roi dans la basilique de Saint-Remi, le 29 du mois de juin. Il paraît que la théorie des faits accomplis était déjà connue à cette époque : car peu de temps après, le roi Henri eut une entrevue avec Robert sur la Roer, et malgré la convention de Bonn, il lui promit son amitié, ou tout au moins il se prêta à un accommodement[25].

Cependant Charles, qui résidait à Tongres[26], avait toujours ses partisans dans la Lotharingie. Tous les seigneurs de ce pays ne devaient pas désirer le retour de Gislebert, qui agissait eu roi absolu, disposant des bénéfices, des évêchés, des abbayes[27]. Le roi fit un appel à ceux de ses vassaux dont les intrigues de Gislebert n’avaient pas ébranlé la fidélité. Bientôt, dit Richer, sur l’ordre du roi, arrivèrent tous ceux d’entre les Belges qui n’avaient pas déserté la cause royale. On évaluait leur nombre total à dix mille hommes tout au plus ; mais, autant qu’on l’avait pu, on n’avait admis que des individus propres à la guerre, des hommes robustes, résolus au combat, et tous également animés coutre le tyran Robert. Entouré de son armée, le roi marcha à l’ennemi par le Condroz et la Hesbaie ; il pénétra clans le royaume qu’on lui avait enlevé et lit son entrée dans son ancienne résidence d’Attigny[28].

Après avoir pris quelques jours de repos, l’armée se dirigea sur Soissons, oit elle devait rencontrer les Neustriens. Charles disposa ses troupes pour le combat : il les divisa en deux corps ; il donna six mille hommes des plus vigoureux à Fulbert, qui devait marcher en avant, et se réserva le commandement des quatre mille autres, formant la réserve. il parcourut ensuite les diverses légions, et fit tout ce qu’il put pour les exciter à combattre vaillamment. Quand l’armée eut traversé l’Aisne, elle se trouva en présence de l’ennemi. La bataille de Soissons est un des grands événements de l’époque. Nous avons déjà dit que Charles n’avait que dix mille combattants ; l’armée neustrienne était forte de vingt mille hommes[29] ; néanmoins Charles disposait tout pour l’attaque, lorsque les évêques qui l’accompagnaient demandèrent qu’il ne prît pas lui-même part au combat, de crainte que la race royale ne vint à s’éteindre avec lui. Sollicité de tous côtés, le roi mit à la tête des quatre mille hommes qu’il conduisait le comte Hagrald ; puis après avoir adressé une allocution à ses défenseurs, après les avoir engagés à mettre toute leur confiance en Dieu, l’ennemi du parjure et de l’usurpation, il se retira avec son clergé sur une montagne voisine, oh s’élevait une église dédiée à sainte Geneviève, et y attendit le résultat du combat.

L’armée belge marcha résolument à la rencontre de Robert, qui s’avançait avec un égal courage. Lorsque les deux armées ennemies se virent rapprochées, elles s’élancèrent l’une sur l’autre ; la bataille s’engagea au milieu d’horribles clameurs, et de nombreuses victimes ne tardèrent pas à tomber des deux côtés. Les partisans de Charles avaient choisi cinquante d’entre eux pour former une sorte de conjuration contre Robert : ils devaient le chercher dans la mêlée, le saisir et le nier. On ne savait où il combattait ; mais les conjurés voyant un guerrier qui parcourait le champ de bataille, et distribuait de terribles coups, lui demandèrent s’il était, bien Robert. Sans hésiter, il se fit connaître en découvrant sa longue barbe, et frappant en même temps le comte Fulbert. Celui-ci, quoique mortellement blessé, eut encore la force de porter à l’usurpateur un coup de lance qui lui traversa la poitrine. Entouré par les conjurés, Robert tomba aussitôt, blessé é’’ sept autres coups de lance, à côté de Fulbert qui combattit jusqu’au moment où la vie l’abandonna. Après la mort de Robert, les deux armées luttèrent avec un tel acharnement que, de son côté, au rapport de Flodoard, périrent onze mille hommes, et plus de sept mille du côté de Charles.

Les chroniqueurs parlent de l’intervention du jeune Hugues, qui serait arrivé avec du renfort au secours des Neustriens ; mais ils ne disent pas que le combat ait recommencé. Toutefois on rapporte qu’il resta maître sans opposition du champ de bataille, et qu’il s’y arrêta quelques instants comme pour s’emparer des dépouilles de l’ennemi ; en sorte qu’il semble s’être attribué la victoire. Mais Charles se regarda aussi comme vainqueur à cause de la mort de Robert[30]. Nous ne voyons pas cependant qu’il ait après cela fait un pas en avant ; au contraire, il reprit bientôt le chemin de la Belgique.

Après la bataille de Soissons, le roi Charles essaya vainement de former une nouvelle armée et de rallier autour de lui quelques vassaux. Il s’adressa à Herbert, comte de Vermandois, au nouvel archevêque de Reims, Séulfe, qui était une créature de Robert, à Rollon, duc des Normans. Celui-ci fut le seul qui se montrât disposé à prendre les armes pour son suzerain ; les autres aimaient mieux donner la couronne à un des leurs, avec qui ils pussent partager les avantages de la royauté. D’autre part, Rodolphe, fils de Richard, duc de Bourgogne, et beau-frère d’Hugues accourut au secours des Neustriens et les aida à empêcher les Normans de traverser l’Oise. Ce fut sur Rodolphe que se portèrent les vues des ennemis de Charles : il fut choisi pour roi et sacré dans l’église de Saint-Médard à Soissons, le 13 juillet 923.

Rodolphe, plus connu sous le nom de Raoul, paya les services d’Herbert en lui abandonnant Péronne ; il donna le Mans comme indemnité à Hugues, et puis il s’en retourna en Bourgogne, s’occupant à peine du gouvernement du royaume. Les comtes Hugues et Herbert en administraient la plus grande partie. Du reste, la Gaule n’était plus qu’une fédération de princes indépendants, dont plusieurs n’entendaient pas se soumettre eu nouveau roi. Les comtes de Toulouse, de Rouergue, d’Auvergne, et le duc d’Aquitaine n’avaient pas reconnu l’autorité de Robert ; ils ne voulurent pas davantage reconnaître celle de Raoul.

Cependant l’œuvre de la félonie n’était pas complète. Charles avait perdu une de ses couronnes, mais l’autre lui restait. Il s’était retiré dans son royaume de Lotharingie, et lit, malgré le triste état de l’ordre social, ses ennemis n’étaient pas assez forts pour aller le chercher. Ils n’imaginèrent rien de mieux que de l’attirer dans un guet-apens. Ce fut le comte Herbert qui se chargea de la lèche odieuse de le faire tomber dans le piége. Malgré la réputation de simplicité qu’on e voulu faire à Charles, il n’était pas si facile à surprendre ; mais la trame s’ourdit avec une adresse à tromper le caractère le plus méfiant. M. Borgnet, à qui nous empruntons cette observation, a parfaitement éclairci les faits, en comparant le récit de Flodoard avec ceux de Richer et de Glabert Rodolf. Voici comment il les expose :

Herbert feignit (dans un message envoyé au roi) d’être mécontent du gouvernement de Rodoir ; il avait paru y consentir, opprimé qu’il était par le grand nombre des ennemis de Charles. Maintenant une occasion se présentait de remédier au mal, et il invitait le roi à se rendre à une conférence sur la Somme ; l’entrevue devait avoir lieu en présence d’un petit nombre de témoins, afin de ne pas s’exposer à une rixe entre leurs hommes ou donner l’éveil à Rodolf. Une conversion aussi subite excitait la méfiance, et on engagea Charles à se tenir sur ses gardes ; mais sa détresse ne lui donnait pas le droit de se montrer exigeant, et comme il ne s’agissait encore que des préliminaires, il se contenta d’un serment que lui prêtèrent les émissaires du comte de Vermandois. Herbert vint au lieu du rendez-vous avec une suite peu nombreuse, ainsi qu’il l’avait promis, et quand il parut devant son souverain, il se prosterna pour recevoir le baiser royal. Son fils, peu façonné à la dissimulation, tenait une contenance moins respectueuse, et le comte, s’en étant aperçu, frappa violemment le jeune homme à la nuque : Apprends ! lui dit-il, à ne pas recevoir debout le baiser du roi ton seigneur. Cette colère dissimulée trompa môme les fidèles de Charles ; les protestations d’amitié que le traître ne ménagea point, achevèrent de dissiper la méfiance, et le monarque consentit à suivre son vassal dans son château de Saint-Quentin. Tout alla bien le premier jour ; mais le lendemain survinrent des hommes apostés, et l’escorte de Charles, écrasée sous le nombre, fut obligée de prendre la fuite, laissant plusieurs des siens morts ou captifs. Le Carlovingien fut de là transporté à Château-Thierry, une des forteresses du comte de Vermandois, et ce dernier se rendit aussitôt auprès de Rodolf, pour recevoir la récompense due à sa trahison[31].

De Château-Thierry, Charles III fut transporté à Péronne, oit il mourut de chagrin le 7 octobre 929. Ce prince, qu’on a sottement qualifié de simple, et qui, suivant l’expression d’Ernst, supporta des revers capables d’ébranler un héros, avait alors accompli sa cinquantième année. Richer nous en a laissé un portrait qui doit être fidèle, car il se concilie assez bien avec les actes connus de sa vie : Il était, dit-il, d’une extrême bienveillance, d’un cœur aimant et ouvert, beau de corps, peu lait aux exercices guerriers, assez versé dans les lettres, donnant volontiers, parfois avec prodigalité, et joignant à ces qualités deux défauts : trop de facilité à céder à l’attrait du plaisir, un peu d’indolence à exécuter ses projets[32]. Ceux des écrivains français qui applaudissent à la chute du roi Charles, lui reprochent surtout d’avoir été assez faible, assez simple pour céder une partie de territoire aux Normans ; mais ils ne remarquent pas qu’au moment même oit ce prince était victime de la perfidie de ses vassaux, des bandes de Normans envahissaient l’Artois, et que Raoul, de l’usurpation duquel ils se glorifient, incapable de les repousser, battu et blessé par eux, au mois de janvier 926, était réduit à acheter la paix, au prix d’un tribut levé sur la France et sur la Bourgogne[33]. C’est à cette époque aussi qu’un chef normand, appelé Sigefrid s’empara d’une partie du littoral de la Flandre. Arnoul Ier, comte de Flandre, qui n’a jamais passé pour simple, fit alors exactement ce qu’avait fait Charles III : il donna aux Normans la main de sa fille Elstrude, et lui céda le comté de Guines, à charge d’hommage, pour assurer la tranquillité du reste de ses États[34].

Charles III, surnommé le Simple, avait régné sans opposition sur le France pendant vingt-deux ans ; personne alors ne songeait à mettre en doute son aptitude et son intelligence. Les difficultés ne commencèrent à naître sous ses pas que lorsqu’il eut réuni à la couronne de Neustrie celle de Lotharingie. Cette réunion, qui aujourd’hui serait pour les Français un sujet de gloire, n’était pas envisagée de la même manière à cette époque. Les grands vassaux de la Neustrie ne visaient qu’à se rendre indépendants et n’avaient aucune prétention sur les États de leurs voisins du Nord. Au contraire, ils craignaient que ceux-ci ne prêtassent au pouvoir royal l’appui dont il avait besoin pour les soumettre. D’autre part, Gislebert poursuivait le même but que Robert : il voulait se rendre maître et souverain de son duché. Sa connivence avec Robert et Rodolphe n’avait pas pour objet de changer de suzerain, mais de supprimer la suzeraineté même. C’est ce qui explique toutes les tribulations de Charles III, et les intrigues dont il fut victime, à partir du jour oit il rentra en possession de la Lotharingie.

La Belgique a conservé du règne de Charles le Simple un assez bon nombre de diplômes. Voici l’énumération de ceux qui sont parvenus à notre connaissance :

1° Diplôme donné à Attigny en octobre 89 r, par lequel Charles fait restituer à Francon, évêque de Liége, un domaine dont il avait été violemment dépouillé[35]. Ce diplôme, dont la date est singulièrement rapprochée de l’époque du sacre, paraît être un de ces actes auxquels Richer fait allusion comme destinés à constater la royauté de Charles : Carolum quindennem regem creant ac in urbe purpuratum, more regio, edicta dare constituunt[36].

2° Diplôme de l’an 910, par lequel Charles le Simple donne à l’évêque de Liége, Etienne, l’abbaye d’Hastière, Hasteriensem Mosam, dans le comté de Couvin, et celle de Saint-Rombaut à Malines[37].

3° Diplôme du 9,0 décembre 911, dans lequel Charles le Simple confirme aux chanoines de Cambrai des possessions dont la charte, émanée de Zwentibold, a été détruite lors de l’incendie de cette ville[38].

4° Charte du 12 avril 912, donnée au palais de Nimègue, par laquelle Charles le Simple cède à Fulrade, prêtre et moine (de Stavelot ?), sur la demande des comtes Réginaire et Berenger, certains biens pour en jouir sa vie durant, à la condition qu’après sa mort ces biens passent en propriété à l’abbaye de Stavelot[39].

5° Diplôme du mois de juillet 913, daté de Bladel, dans la Campine brabançonne (Pladella villa) contenant donation de plusieurs biens et de l’église d’Egmont, à Théodoric, comte de Hollande[40].

6° Diplôme de l’an 914, par lequel Charles le Simple confirme la fondation de l’abbaye de Brogne, dans le comté de Namur, faite par le vénérable abbé Gerard[41].

7° Diplôme du 25 août 915 par lequel le roi Charles donne à la cathédrale de Saint-Lambert de Liége la forêt appartenant au fisc royal de Theux, que Zwentibold s’était réservée lorsqu’il fit donation de ce fisc[42]. Cette forêt s’étendait jusqu’au delà de la frontière actuelle de Prusse.

8° Charte de restitution de l’abbaye de Susteren (donnée par Zwentibold à l’abbaye de Prum), en vertu d’une décision du plaid tenu à Herstal, le 19 février 916, dont nous avons fait mention plus haut[43].

9° Diplôme daté d’Herstal 9 avril 916, par lequel Charles le Simple confirme l’immunité et les possessions du couvent de Bannioles dans le pagus Bisuldinensis[44].

10° Autre diplôme daté d’Herstal, le 13 juin 919, qui ordonne, en vertu (l’un jugement des grands de la cour, la restitution à l’église de Saint-Pierre à Trèves, de l’abbaye de Saint-Servais de Maëstricht, enlevée ladite église de Trèves par la violence du comte Regnier et de son fils Gislebert[45].

11° Diplôme daté d’Herstal, 8 septembre 920, par lequel Charles le Simple fait donation de l’abbaye de Maroilles, en Hainaut, à l’évêché de Cambrai[46].

12° Deux diplômes du mois de janvier 921, portant donation et confirmation de biens à l’abbaye de Maroilles[47].

13° Diplôme portant donation de la jouissance d’une villa située à Saint-Amand[48].

 

§ 2. LOUIS D’OUTRE-MER.

Entre le moment où Charles III fut détrôné et l’avènement de Louis IV, dit d’Outremer, il y eut un intervalle de plusieurs années, pendant lequel les Carolingiens disparurent entièrement de la scène politique. Dès que la reine Ethgive, qui était sœur d’Athelstan, roi d’Angleterre, fut informée de l’arrestation de Charles, elle s’enfuit avec son fils encore enfant, et chercha un refuge à la cour de son frère. La Lotharingie se trouva alors dans une position assez difficile à définir. Le moment semblait être venu pour Gislebert de s’approprier ce royaume ; mais il lui aurait fallu pour cela l’appui de Rodolphe ou Raoul, devenu roi de France. Or la bonne harmonie n’avait pas régné longtemps entre ces deux anciens conjurés ; elle avait été rompue par Gislebert, à la suite de l’assassinat de son oncle Ricuin par Boson, frère de Raoul, et bientôt après l’on trouve Gislebert à la cour du roi de Germanie.

Plusieurs chroniques contiennent à ce sujet une histoire peu vraisemblable. Il y est dit qu’un guet-apens avait été tendu à Gislebert par un de ses amis nominé Chrétien ; que cet ami, l’ayant attiré seul dans son château, l’avait livré à Henri l’Oiseleur comme rebelle[49]. Mais comprend-on qu’il ait pu être considéré comme rebelle vis-à-vis du roi de Germanie dont il n’était pas le vassal ? Et d’ailleurs Henri aurait-il reçu en ami et comblé d’honneurs un homme qui se serait rendu coupable de trahison à son égard ? Nous sommes plutôt portés il croire qu’il y avait en Belgique un fort parti pour le roi de Germanie, et que Gislebert fut en quelque sorte contraint d’aller offrir à ce prince la couronne de Lotharingie. Suivant Flodoard, Henri Ier avait été reconnu roi par les grands du pays de Trèves dès l’année 923 ; il le fut par les autres Lotharingiens en 9E15, à l’époque même où les chroniques nous montrent Gislebert parmi les seigneurs de sa cour[50]. On sait du reste que le duc bénéficiaire de Lotharingie fut maintenu dans sa position par le nouveau roi, qui peu de temps après lui donna un témoignage éclatant de sa bienveillance, en lui accordant la main de sa fille Gerberge.

Le roi Raoul étant mort le 15 janvier 936, les grands du royaume se réunirent sous la présidence du duc Hugues, pour procéder à l’élection d’un roi de Neustrie. Les vieux se portèrent de divers côtés ; il y avait partage d’opinions et conflit d’ambitions. Après en avoir délibéré longuement, l’assemblée finit par adopter le parti le plus sage, celui qui seul pouvait imposer silence aux ambitions déréglées : c’était d’offrir la couronne à Louis, dit d’Outremer, fils de Charles le Simple. On résolut donc d’envoyer une députation en Angleterre pour engager le jeune prince, au nom du duc des Gaules et des autres grands, à revenir parmi eux ; elle devait se porter garante de sa sûreté pendant le voyage et lui annoncer que les grands viendraient au-devant de lui jusqu’au bord de la mer. Les envoyés s’embarquèrent à Boulogne et furent reçus par le roi Athelstan au milieu des siens, dans la petite ville d’Evervich (York). Il paraît que la reine Ethgive ne consentit à envoyer son fils en France que sous la condition que les grands du royaume s’engageraient par serment à respecter sa liberté et sa vie, et qu’ils fourniraient des otages pour la garantie de cet engagement. Ces conditions ayant été acceptées, les envoyés partirent chargés de présents, se remirent en mer et revinrent dans la Gaule, apportant au duc les remerciements d’Athelstan et l’assurance d’une vive amitié de la part de ce roi, pour avoir rappelé Louis au trône. Ici nous laisserons parler Bicher, car il y a dans son récit des détails trop intéressants pour âtre omis ou abrégés.

Le duc et les princes des Gaules, dit-il, vinrent donc à Boulogne pour y attendre le roi, leur seigneur. Il se réunirent sur le bord de la mer et mirent le feu à des cabanons, pour annoncer leur présence à ceux qui étaient sur le rivage opposé. Le roi Athelstan s’y trouvait avec sa cavalerie royale, disposé à envoyer son neveu aux Gaulois qui l’attendaient ; quelques maisons incendiées par son ordre montrèrent aux nôtres qu’il était arrivé... Athelstan envoya donc en ambassade aux Gaulois placés à l’opposite l’évêque Odon, qui fut plus tard archevêque de Cantorbéry, homme juste et éloquent ; il leur faisait dire qu’il leur accorderait Louis volontiers, si l’on devait lui rendre dans les Gaules autant d’honneurs que lui-même en avait reçu chez lui, les Gaulois ne pouvant moins faire en effet ; et il demandait qu’on s’y engageât par serment ; que si l’on s’y refusait, Louis recevrait de lin une partie de ses royaumes, oit il vivrait content au milieu de ses sujets, sans être importuné de sollicitations étrangères. Le duc promit, ainsi que les autres seigneurs des Gaules, qu’il ferait ce qu’on demandait, si Louis, devenu roi, consentait à suivre ses conseils ; en conséquence, il ne refusa point le seraient. L’envoyé s’en retourna vers le roi, qui l’attendait, et lui rapporta tout cela. Athelstan rassuré fit embarquer, avec un grand déploiement de pompe, son neveu Louis, accompagné des hommes les plus puissants du pays. Ils se mirent en nier par un vent propice qui enfla les voiles, et les rames écumeuses les conduisirent paisiblement à terre. Les vaisseaux étant bien attachés au rivage, Louis en sortit, et, faisant accueil au duc et aux autres personnes venues au-devant de lui, il se les attacha par les liens du serment.

Le duc s’empressa de lui amener un cheval couvert des insignes royaux ; mais lorsqu’il voulut le disposer à se laisser monter, le cheval impatient commença à se jeter de côté et d’autre ; alors Louis s’élance avec agilité et, sans employer l’étrier, se place d’un seul bond sur le coursier hennissant, ce qui lui valut des applaudissements et des éloges de la part de tous. Le duc, prenant alors les armes du roi, lui servit d’écuyer jusqu’au moment où il reçut ordre de transmettre ces mêmes armes aux grands des Gaules. C’est ainsi que Louis fut conduit à Laon, entouré de guerriers se disputant l’honneur de le servir. Là, quinze seigneurs l’investirent de l’autorité royale ; et, à la satisfaction générale, il fut créé roi par le métropolitain Artold, assisté de vingt évêques[51]. Il fut ensuite conduit dans les villes voisines, où il reçut un favorable accueil ; tout le monde s’applaudissait, tout le inonde se montrait joyeux, tous les sieurs étaient unanimes[52].

Ces faits prouvent évidemment combien est imaginaire l’influence qu’Augustin Thierry attribue à une prétendue réaction de la race indigène. Les grands feudataires qui rétablirent Louis IV sur le trône de ses ancêtres n’appartenaient pas, il est vrai, à cette race indigène ; mais seuls ils étaient maîtres des destinées du pays, et leur politique avait l’approbation des évêques qui représentaient le peuple gaulois.

Hugues, comte de Paris, était le plus puissant des seigneurs de France ; il gouvernait tout le pays situé entre la Loire et la Seine, jusqu’aux frontières de la Normandie et de la Bretagne ; de plus, il était abbé laïque de Saint-Martin de Tours, de Saint-Denis et de Saint-Germain-des-Prés. On l’appelait Hugues l’Abbé ou Hugues le Grand, à cause de l’étendue de ses possessions et de son pouvoir ; mais il était loin rie mériter le titre de grand par ses actions et son caractère. Fils du roi Robert, neveu du roi Eudes et beau-frère du roi Rodolphe, il aspirait ÉI ceindre le diadème à son tour, et il semblait assez puissant pour réussir ; mais il n’avait pas le courage de s’emparer de la couronne. Il aida à faire remonter le fils de Charles le Simple sur le trône, tout en nourrissant l’espoir de le renverser par ses intrigues et de prendre sa place. Il voulait provisoirement jouer le rôle des anciens maires du palais, s’emparer du pouvoir et l’exercer sous le nom du roi. Mais Louis n’était pas un Mérovingien ; il avait été élevé virilement par sa mère, qui était elle-même une femme énergique.

Hugues emmène d’abord le jeune prince en Bourgogne, pour visiter le pays. Ils y sont reçus avec honneur ; les commandants des villes s’empressent de venir à la rencontre du roi, et, à sa demande, lui prêtent serment de fidélité. En seul, appelé Hugues, frère du feu roi Raoul, se montre peu disposé à se soumettre. Il tenait la ville de Langres, et en refusa l’entrée au roi. Indigné de cette rébellion, Louis fit avancer des troupes contre la ville, qu’il attaqua vigoureusement. La garnison sortit pendant la nuit et prit la fuite ; dès lors il n’y eut plus qu’à ouvrir les portes, ce qui fut fait par les habitants. Le roi, maître de Langres, reçut des otages de l’évêque et des autres seigneurs, et prit avec le duc son chemin vers Paris.

Cette tournée décida de l’attitude réciproque du roi et du duc pendant le reste du règne. Soit que Louis se fût aperçu du désir de dominer qui animait Hugues, soit qu’il se crût capable de gouverner sans le concours d’un mentor, il s’éloigna incontinent du duc. Il vint à Laon et confia la garde de la ville à sa mère Ethgive. Tous les historiens représentent le jeune roi Louis comme supérieur à ses prédécesseurs. Il avait une grande activité d’esprit, une intelligence peu commune, beaucoup de bravoure, tout ce qu’il fallait enfin pour relever la puissance royale de l’abaissement où elle était tombée. Mais cette entreprise était devenue de plus en plus difficile ; les conditions de la royauté ne s’étaient pas améliorées depuis la captivité et la mort de Charles le Simple ; elles étaient, au contraire, devenues plus mauvaises que jamais. Même le comté de Laon n’était plus intact ; un comte du nom de Roger en avait été investi sous le règne de Raoul, et Herbert de Vermandois avait élevé une citadelle sur les remparts mêmes de la ville.

Dès que le duc s’aperçut que le roi l’écartait des affaires, il se rapprocha du comte Herbert, dont il connaissait les mauvais instincts, et se concerta avec lui pour travailler à la ruine de leur suzerain. Herbert commença par s’emparer de Château-Thierry, en corrompant l’officier qui avait le commandement de cette place. Une invasion de Hongrois qui eut lieu dans ce moment fut sans doute ce qui empêcha le roi de réprimer cette usurpation. Après le départ des Hongrois, Louis lit marcher une cohorte contre Montigny, clans le Soissonnais. Cette place servait de retraite à une sorte de brigand nommé Serins : elle fut prise et rasée. Le roi se rendit ensuite dans les contrées maritimes de la Belgique ; il y fut reçu par Arnoul, comte de Flandre, et s’occupa avec lui des moyens de reconstruire la forteresse de Wissant. Pendant qu’il était en Flandre, Herbert envahit et prit par trahison le château de Causoste, ou de La Chaussée, qui appartenait à l’église de Reims. Il rançonna les habitants, ravagea les champs d’alentour, mit une garnison dans la place, et se porta lui-même sur un autre point. Quand Louis revint, un danger plus pressant appelait son attention : sa ville même de Laon était menacée. Il fallut faire le siège de la citadelle qui Herbert y avait élevée et que ses gens occupaient. Ce ne fut qu’après un siège assez long et pénible que le roi parvint à s’en rendre maître. Pendant ce temps le comte de Flandre taisait la guerre à Erluin, comte de Ponthieu, qui appelait à son secours le duc de Normandie, et qui à l’aide des troupes de Guillaume, reprenait le château de Montreuil.

Est-il étonnant que, dans cette situation, Louis d’Outremer ait accueilli l’offre de rentrer en possession de la Lotharingie, où il espérait trouver des auxiliaires dévoués à sa famille ? Après la mort du roi Henri (5 juillet 936), ce royaume était échu à son fils et successeur Othon Ier, mais toujours sous le gouvernement bénéficiaire du duc Gislebert. Celui-ci n’avait pas renoncé à ses vues ambitieuses ; il n’attendait que l’occasion de les réaliser. Othon avait un frère plus jeune que lui, nommé Henri, qui prétendait que la couronne lui était due parce qu’il était né quand son père était roi de Germanie, tandis que la naissance d’Othon remontait à l’époque où son père n’était que duc de Saxe. Cette prétention fut encouragée par Eberhard, duc de Franconie, qui amena le jeune Henri à Gislebert. C’était l’occasion que le duc de Lotharingie attendait. La conspiration fut bientôt organisée. Les trois conjurés, ayant pris les armes, unirent leurs forces et se disposèrent à marcher contre le roi. Mais Othon ne les attendit point ; il se porta rapidement avec une armée sur le Rhin. Une bataille sanglante eut lieu à Rurick, dans le pays de Clèves. Vainement les insurgés voulurent-ils empêcher l’armée du roi de traverser le Rhin, ils furent vaincus et mis en fuite. Othon les poursuivit ; il entra en vainqueur dans la Lotharingie, et vint mettre le siège devant le château de Chèvremont sur la Vesdre, où Gislebert s’était réfugié[53].

Ce fut alors que les partisans de Gislebert vinrent offrir à Louis d’Outremer la couronne de Lotharingie. Louis céda trop facilement peut-être à leurs suggestions, et consentit à unir ses armes aux leurs. Cependant, comme il ne possédait pas de forces suffisantes pour aller attaquer l’armée d’Othon, il se borna à tenter une diversion en envahissant l’Alsace. Othon, dès qu’il en fut informé, leva le siège de Chèvremont et se mit à la poursuite de ce nouvel ennemi ; mais Gislebert délivré se hâta de rejoindre le duc Eberhard pour marcher avec lui au secours du roi. Il paraît que l’archevêque de Mayence, l’évêque de Strasbourg et l’évêque de Metz s’étaient associés à l’entreprise de Louis d’Outremer ; leurs gens occupaient le château de Brisach qui appartenait à Eberhard[54]. Othon n’eut pas beaucoup de peine à expulser Louis de l’Alsace : les armées de la Germanie étaient à cette époque beaucoup supérieures à celles de la Gaule. Gislebert et Eberhard, qui s’avançaient avec des forces assez considérables le long du Rhin, furent surpris dans leur camp près d’Andernach, par les généraux d’Othon. Le duc de Franconie fut tué en se défendant ; Gislebert se jeta avec son cheval dans le Rhin qu’il espérait traverser, mais il y périt[55].

Loin d’abuser de sa victoire, Othon Ier se montra plein de clémence et de modération. L’archevêque de Mayence, Frédéric, fut envoyé temporairement à l’abbaye de Fulde, et Rudhard, évêque de Strasbourg, au monastère de Corbie. On ne dit pas ce que devint l’évêque de Metz, qui avait persisté le plus longtemps dans sa rébellion[56]. Othon ne rentra dans la Lotharingie que pour y rétablir la paix et la concorde ; tous les seigneurs lotharingiens se soumirent ; et pour que rien ne manquât à la réconciliation, le roi Louis épousa Gerberge, veuve de Gislebert et sœur d’Othon. Peut-être espérait-il par ce moyen remonter sur le trône de ses ancêtres ; mais il paraît qu’Othon réservait la dignité de duc de Lotharingie à son neveu Henri, fils mineur de Gerberge et de Gislebert. Il entendait bien en conserver la suzeraineté, car le jeune Henri étant mort en 944, il nomma successivement d’autres ducs, qui ne purent se maintenir dans le pays, et finit par confier le gouvernement à son frère Bruno, archevêque de Cologne.

Force fut donc à Louis d’Outremer de se contenter du royaume de France, quelles que fussent les difficultés de sa position vis-à-vis des grands vassaux. Les prétentions d’Herbert sur le territoire rémois et sur le siège épiscopal de Reims, où il voulait placer un de ses fils appelé Hugues, furent la première cause de ses embarras. L’archevêque Artold voulut reprendre le fort de La Chaussée, qui lui avait été enlevé par Herbert, en 938. Celui-ci, de concert avec Hugues, le duc, marcha contre l’archevêque et s’empara de la ville de Reims. L’évêque de Soissons conféra la prêtrise au jeune Hugues, qui fut proclamé archevêque en remplacement d’Artold.

Enhardis par le succès, Herbert et Hugues le Grand portèrent leurs vues sur la place même de Laon, qui était la résidence du roi. Louis d’Outremer n’avait pas assez de forces pour leur résister. Il prit le parti d’aller en Bourgogne lever une armée. On le vit bientôt reparaître dans les plaines de la Champagne, avec tout ce qu’il avait pu recruter de combattants. Quoiqu’il eût peu de monde avec lui, il se disposait à marcher à l’ennemi ; mais bientôt les conjurés quittent le siée de Laon, se portent au-devant du roi, tombent t l’improviste sur son armée et la mettent en déroute. Louis, entraîné par les siens, put à peine échapper à une mort imminente, en se sauvant avec deux de ses comtes dans la place de Hautmont.

La situation du roi était des plus critiques : il se retira, semble-t-il, par la Bourgogne au midi de la Loire, où il avait quelques partisans. Cependant le pape Étienne VIII prit parti pour la royauté ; il envoya dans la Gaule un légat chargé de lettres apostoliques qui menaçaient d’excommunication les vassaux infidèles. Le roi, de son côté, fit faire des démarches auprès de Guillaume, duc des Normans, qui consentit à entrer dans son parti. L’exemple de Guillaume entraîna les ducs des Aquitains et des Bretons : ils vinrent trouver le roi et s’engagèrent à combattre pour sa cause. Louis, les ayant ainsi ralliés, s’avança vers Herbert et Hugues, qui étaient campés de l’autre côté de l’Oise. Des pourparlers s’établirent d’une rive l’autre ; ils aboutirent à une trêve ; des otages furent donnés, et l’on se sépara[57].

Il paraît que le roi Othon ne fut pas étranger il cet essai de conciliation ; Flodoard en parle comme s’il se fut trouvé sur l’Oise avec Hugues, son beau-frère[58]. Richer dit aussi qu’Othon fit tous ses efforts pour réconcilier Hugues avec Louis. Une assemblée fut tenue à Attigny, mais elle n’eut d’autre résultat que de brouiller le due des Normans avec Hugues et Arnoul, comte de Flandre. Ceux-ci, peu de temps après, se débarrassèrent de leur ennemi en le faisant assassiner.

Hugues et Arnoul espéraient sans doute pouvoir s’emparer du duché de Normandie ; mais Louis ne laissa pas échapper cette occasion naturelle et fort légitime, quoi qu’on en ait dit, de faire revivre ses droits de suzeraineté sur cette partie du royaume. II investit Richard, fils de Guillaume, de la terre des Normans, et reçut des grands qui l’accompagnaient le serment de fidélité. Richard Ier, surnommé sans peur, n’avait alors que dix ans. Sa soumission au roi excita le mécontentement des hommes du Nord de la dernière émigration. Leur chef, Setrich, était entré dans la Seine avec une flotte considérable ; il y avait été rejoint par Thurmod, qui déjà était établi en Normandie, mais qui, revenu au culte des païens, voulait forcer le fils de Guillaume à l’imiter. Louis d’Outremer rassembla des troupes pour les combattre, et marcha contre eux avec huit cents hommes... Ici nous devons laisser parler Richer, dont le récit est extrêmement intéressant.

Comme le roi avait peu de monde, il ne put étendre son armée sur plusieurs points, de manière à envelopper l’ennemi ; mais, entouré des siens, il les lit marcher, enseignes hautes, en colonne serrée. Les gentils, de leur côté, s’avancèrent à pied, en ordre de bataille ; dès le premier engagement, ils jetèrent leurs épées en avant, selon leur usage national, et pensant que les pointes serrées allaient effrayer et percer la cavalerie du roi, ils se précipitèrent sur elle avec leurs boucliers et leurs lances. Mais ce nuage d’épées dissipé, la cavalerie royale, couverte de fer, entame et traverse leurs rangs, fond sur les fantassins unis en corps épais, les traverse et les laisse sur place ; puis, revenant sur ses pas, les enfonce de nouveau et les disperse. Le roi Setrich, qui avait été forcé de fuir au fort de la mêlée, fut bientôt découvert dans les broussailles et percé de trois coups de lance. Pour Thurmod, il combattait encore de toutes ses forces, lorsque le cheval du roi Louis, lancé à la charge, le frappa de son poitrail et le renversa. Le roi, continuant sa course, passa outre sans le reconnaître ; mais bientôt, assailli par l’ennemi, il s’arrêta pour combattre ; alors Thurmod, appuyé des siens, l’attaque par derrière, et lui enfonce sa lance sous l’épaule droite, par le défaut de la cuirasse, presque jusqu’à l’hypocondre gauche. Cette blessure força le roi à s’arrêter un moment au milieu du carnage ; il regarde celui qui l’a frappé, et, d’un coup porté obliquement sur le côté droit, il coupe à l’agresseur la tète et l’épaule gauche. Il y eut un tel carnage de gentils, qu’il périt là neuf mille d’entre eux, à ce qu’on rapporte[59].

Après cette victoire, le roi confia la ville de Rouen à Erluin, qui avait été l’ami du duc Guillaume, et en faveur duquel celui-ci s’était attiré la haine du comte de Flandre. Louis était revenu à Compiègne, lorsqu’il apprit un événement qui n’était pas moins heureux pour sa cause : Herbert, comte de Vermandois, venait de mourir, frappé d’apoplexie foudroyante. Ses fils s’empressèrent d’aller faire hommage au roi, qu les accueillit avec bonté, oubliant les injures de leur père. Tout semblait être favorable, dans ce moment, à la restauration du pouvoir royal. Louis d’Outremer aurait pu profiter de la circonstance, pour reprendre à Hugues, fils d’Herbert, le siège épiscopal de Reims qu’il n’avait acquis que par la violence : il aima mieux employer les moyens de conciliation. Une sorte d’arrangement fut conclue entre les prélats concurrents ; on concéda à Artold quelques domaines situés dans le pays rémois, et le jeune Hugues demeura en possession de son évêché. La même politique prévalut il l’égard du comte de Paris : le roi, voulant s’attacher Hugues le Grand par ses bienfaits, le pria d’être le parrain d’un de ses enfants et le nomma, à cette occasion, duc de toutes les Gaules. Il partit ensuite, avec la reine Gerberge, pour l’Aquitaine ; il reçut à Nevers le duc des Goths, Raymond, et les principaux des Aquitains, qui étaient venus au-devant de lui. Il s’occupa avec eux du gouvernement des provinces, et se les lit remettre, dit Richer, afin qu’ils parussent bien tenir de lui toute leur autorité. Mais il ne refusa point de leur en conférer de nouveau l’administration. Il les constitua donc et les établit gouverneurs en son nom[60].

Dès son retour à Laon, il voulut, afin de compléter son œuvre de pacification, réconcilier Arnoul, comte de Flandre, avec Erluin. Comme Arnoul aurait été exposé à faire de trop grandes restitutions, parce que Erluin, par son fait, avait subi de très grandes pertes, le roi donna à celui-ci, à la décharge d’Arnoul, la ville d’Amiens, pour l’indemniser de ses pertes. Tous deux furent ainsi réconciliés, de sorte que l’ordre et la paix semblaient devoir se rétablir dans tout le royaume.

Mais des événements imprévus eurent bientôt rallumé le feu de la discorde. Un fort parti de Normans vint fondre sur la Bretagne ; la ville de Nantes fut prise et saccagée. Les Bretons essayèrent de se défendre, mais ils furent vaincus par les Normans, qui en tuèrent un grand nombre et réduisirent le reste en servitude. Dès que le roi fut informé de cette agression, il convoqua les comtes Arnoul et Erluin, et fit un appel à quelques évêques de la Bourgogne ; lui-même se mit en campagne avec les troupes qu’il put réunir sous ses drapeaux. Arrivé à Rouen, il y fut reçu par ceux qui étaient restés fidèles à leurs serments ; mais il vit bientôt que les forces des insurgés étaient plus considérables que les siennes. Il envoya demander du renfort à Hugues, et pour le décider à venir lui-même avec des troupes suffisantes, il lui donna la ville de Bayeux, à condition qu’il s’en emparerait avec le surplus de ses forces. Le duc accepta le don, et promit de venir au secours du roi. En effet, il traversa la Seine avec ses troupes, et arriva devant Bayeux ; mais là il s’arrêta pour attaquer la ville et la presser par de nombreux assauts. Pendant ce temps, les Normans avaient fait leur soumission au roi. Celui-ci en informa le duc et lui ordonna de lever un siège qui n’avait plus de raison d’être. Cet ordre, au lien d’être exécuté, ne fit qu’enflammer l’ardeur de l’assiégeant. Le roi fut obligé de lui faire dire que, s’il ne se retirait pas, il allait marcher contre lui avec ses troupes. Hugues céda enfin, mais il conserva de cette humiliation un ressentiment qui eut les plus funestes conséquences.

La guerre civile éclata peu de temps après. Instigués par Hugues, Bernard de Senlis et Teutbold de Tours envahirent et saccagèrent la ville de Montigny, qui appartenait au roi. Ils pénétrèrent dans la résidence royale de Compiègne, y enlevèrent les insignes de la royauté et s’y livrèrent à toutes sortes de déprédations. Louis d’Outremer, qui était encore à Rouen, se mit la tête d’une armée normande, et se transporte, d’abord dans le Vermandois, qui était le foyer de toutes les insurrections. Il ravagea entièrement le comté, et puis ayant mandé les comtes Arnulphe, Erluin, Bernard le Danois et Théoderic, il voulut se rendre à Reims ; mais l’archevêque Hugues, qui occupait cette ville, lui en fit fermer les portes. Le roi irrité voulut faire le siège de Reims. Alors Hugues, le dur, intervint non par la force, mais par l’intrigue. Il ouvrit des négociations interminables ; tous les moyens furent mis en œuvre pour les prolonger jusqu’à ce qu’une occasion se présente de faire tomber le roi dans le piége.

Un armistice ayant été conclu, Louis d’Outremer, qui était sans méfiance, retourna à Rouen avec Erluin et un petit nombre des siens, ne craignant pas d’y séjourner avec peu de monde, comme il avait l’habitude de le faire. Ce fut le moment opportun pour ses ennemis. Hagrold, comte de Bayeux, l’engagea à visiter cette ville. Le roi ne fit aucune difficulté de s’y rendre avec peu de monde, croyant aller chez un de ses fidèles dont il n’avait pas à suspecter la loyauté ; mais à peine y était-il, qu’il se vit assaillir par une troupe d’hommes armés. Il ne dut son salut qu’à la vigueur de son bras et à la rapidité de son cheval. Il rentra seul à Rouen. Là de nouvelles trahisons l’attendaient : les habitants s’emparèrent de sa personne et le jetèrent dans une prison (945).

Nous allons voir maintenant se déployer le caractère d’Hugues le Grand, que le célèbre Augustin Thierry n’a pas craint de glorifier comme le chef du parti national en France[61]. Dès que le duc eut appris que le roi, son suzerain, et à qui il avait prêté serment de fidélité, était prisonnier des Normans, il songea aux moyens non de le délivrer, mais de se le faire livrer, afin d’en obtenir sans combat et sans danger la place de Laon, qui le gênait dans ses projets ambitieux. Il se rendit à cet effet à Bayeux, auprès de cet honnête comte Hagrold, qui, à son instigation, avait dressé le premier guet-apens. Là, feignant d’agir dans l’intérêt du roi, il demanda sa mise en liberté aux Rouennais, dont la réponse lui était probablement connue d’avance. Ceux-ci ne refusaient pas ce qu’on leur demandait, mais ils y mettaient pour condition que tous les enfants de Louis d’Outremer leur fussent livrés comme otages. Hugues, se posant en intermédiaire officieux, fit connaître à la reine Gerberge les exigences des Normans. Cette princesse, qui avait deux enfants, ne consentit à livrer que le plus jeune de ses fils ; elle refusa formellement de se séparer de l’aîné. Les Normans finirent par transiger : ils acceptèrent comme otage le plus jeune des fils de Louis, à condition qu’il têt accompagné de l’évêque de Soissons, qui était un des personnages les plus considérables du parti royaliste[62].

Mis en liberté, le roi s’attendait à être reconduit à son palais ; mais alors Hugues jeta le masque. Ce fut lui qui s’empara du prisonnier, et il le confia à la garde de Teutbold, comte de Tours[63]. Les historiens français n’ont pas un mot pour flétrir cette infamie ; Augustin Thierry se borne à dire que le roi ne sortit de la tour de Rouen que pour être livré aux chefs du parti national qui l’emprisonnèrent à Laon[64]. Nous savons bien que la morale des partis politiques ne s’élève pas ordinairement plus haut ; mais celle de l’histoire au moins devrait avoir d’autres proportions. Et d’ailleurs le parti national que rêve Augustin Thierry est excessivement problématique ; on ne le voit apparaître nulle part. Hugues le Grand figure seul sur le théâtre de l’intrigue, et son ambition personnelle domine toute la scène. Un parti vraiment national ne s’efface pas derrière des intérêts aussi peu avouables.

Quand la reine Gerberge fut informée de la trahison du duc, elle implora l’assistance de son frère Othon et celle d’Edmond, roi d’Angleterre. Othon envoya une députation à Hugues pour l’engager fortement à mettre le roi en liberté. Edmond lui fit témoigner son indignation, et le menaça de l’attaquer par mer et par terre. C’eût été le moment pour un parti national de se révéler par une démonstration énergique ; mais que voyons-nous ? Hugues repousse avec énergie les menaces du roi d’Angleterre, mais il s’efforce de fléchir Othon ; il lui fait demander une entrevue et ne peut l’obtenir. II s’en va ensuite trouver Louis d’Outremer dans sa prison, lui reproche d’avoir dédaigné ses services, les lui offre de nouveau ; il consent à ce que Louis remonte sur le trône ; il promet d’être son soutien, son défenseur, de lui garder fidèlement sa foi... pourvu qu’à titre de récompense, le roi lui concède la ville de Laon[65] !

Louis fut obligé de consentir. Après avoir ainsi payé sa liberté, il se retira à Compiègne, où il fut bientôt rejoint par la reine Gerberge, quelques évêques de Belgique et plusieurs grands de ce pays. La situation qui lui était faite avait beaucoup d’analogie avec celle des derniers Mérovingiens. Hugues voulait jouer le rôle des maires du palais de la famille des Pépins ; mais il était loin de pouvoir leur être comparé sous quelque rapport que ce fût ; et Louis d’Outremer n’était pas un roi de l’espèce de celui qui en 752 avait été jugé par tout le monde, par les Francs, par les évêques gallo-romains et par le pape lui-même, indigne de porter la couronne. Le Mérovingien serait entré dans un cloître, et dépouillé de sa longue chevelure, il se serait résigné. Louis n’était pas d’humeur aussi bénévole ; son premier soin fut de chercher les moyens de se venger et de récupérer tout ce qu’on lui avait pris. Il fit exposer sa situation à son beau-frère, le roi Othon, et à Conrad, roi de Bourgogne ; l’un et l’autre promirent de lui venir en aide.

Cette promesse ne tarda point à être suivie d’exécution. En 946 Othon, ayant franchi le Rhin avec une armée, traversa la Belgique et marcha au-devant de Conrad qui, parti des Alpes, accourait au secours du roi Louis. Celui-ci se joignît bientôt à ses auxiliaires, et les trois rois se dirigèrent ensemble d’abord sur Laon, ensuite vers Reims. L’archevêque Hugues, qui occupait toujours cette dernière ville, fut si effrayé qu’il l’abandonna et s’enfuit avec les siens. On vit alors Artold remonter sur le siège épiscopal de Reims, d’où il avait été expulsé quelques années auparavant. Après avoir pris Reims, les rois laissèrent cette ville à la garde de la reine Gerberge assistée de quelques fidèles, et se mirent à la poursuite du duc Hugues, qui s’enfuit à Orléans ; ils traversèrent la Seine et dévastèrent tout le pays jusqu’à la Loire ; ils passèrent ensuite sur les terres des Normans, où les mêmes ravages furent exercés.

Bien que le duc de France n’eût pas été personnellement atteint dans cette campagne, il paraît cependant qu’elle eut pour effet d’affaiblir considérablement sa puissance et de relever l’autorité du roi. Nous en trouvons la preuve dans un fait assez significatif qui eut lieu l’année suivante (917). Louis étant venu en Belgique, Othon se porta à sa rencontre, et les deux souverains se rendirent à Aix-la-Chapelle où fut célébrée la fête de Pâques. C’était pour Hugues une occasion de se montrer ; du moins il le pensait, car il profita de l’absence du roi pour tâcher de reprendre la ville de Reims. Déjà le siège de cette place était commencé ; un camp, entouré de fossés et de palissades, avait été formé devant la ville, lorsqu’on apprit que le roi revenait furieux. Les assiégeants se Mitèrent de disparaître, et le roi entra clans la place sans même les avoir rencontrés[66].

Cependant Louis d’Outremer et beaucoup de grands, tant ecclésiastiques que laïques, désiraient de voir mettre un terme aux maux résultant de cette guerre civile. Plusieurs synodes se succédèrent dans les années 947 et 948. Le plus important est celui qui fut tenu à Ingelheim, au mois d’août 948, et auquel assistèrent les rois Louis et Othon. On y délibéra sur les périls de la chose publique, sur les mauvais traitements que le roi avait eu à subir et sur la nécessité de rétablir la puissance royale. Louis prononça un discours qui résume admirablement la longue histoire des intrigues et des indignités du duc.

À quel point, dit-il, je suis forcé de me plaindre des mauvaises dispositions et de la conduite de Hugues, il le sait celui par la grâce duquel, ainsi qu’on vient de le dire, vous êtes ici rassemblés. Le père de Hugues, pour remonter an commencement, le père de Hugues, convoitant le trône du roi mon père, qu’il aurait dû servir et au palais et à la guerre, priva cruellement le roi de ce trône, et demanda que jusqu’à la lin de ses jours il fût renfermé dans une prison. Pour moi, jeune enfant, je fus caché par les niions dans une botte de foin, et il me força de me réfugier au delà des mers, et jusqu’auprès des monts Riphées[67] ; après la mort de mon père et durant mon exil, ce même Hugues, se rappelant l’exemple de son père, dont la présomption avait causé la mort, craignit de se charger du royaume ; mais par haine pour nous, il donna le trône à Raoul. Enfin la Divinité, disposant de celui-ci comme des autres, mit fin à sort règne quand il lui plut. Le trône devenant donc vacant, il me rappela de la terre d’exil, par le conseil des gens de bien, et, du consentement de tous, m’éleva sur le trône, ne me laissant rien autre chose que. la ville de Laon. Lorsque ensuite j’ai cherché à rentrer en possession des droits qui me paraissaient appartenir au roi, il en conçut une profonde envie. Il devint alors mou ennemi secret : si j’avais quelques amis, il les séduisait par de l’argent ; de mes ennemis il réchauffait la haine. Enfin, poussé par l’envie, il engagea les pirates (les Normans) à me prendre par trahison, pensant que si la chose avait lieu, il pourrait faire passer la couronne sur sa tète. L’effet répondit à l’artifice ; je fus pris et confié aux murs d’une prison. Hugues alors, feignant de m’arracher de leurs mains, demanda que mes fils leur fussent donnés en otages. Mais ceux qui m’étaient restés fidèles s’opposèrent à ce que tous mes enfants leur fussent livrés ; ils en reçurent un seulement et me remirent entre les mains du duc. Comptant déjà sur la liberté, je voulais aller partout où il me conviendrait, mais on sait qu’il en fut autrement : car bientôt Hugues me jeta dans les fers et me garda en prison l’espace d’un an. Enfin, lorsqu’il vit qu’il allait être attaqué par mes parents et mes amis indignés, il m’offrit la liberté en échange de Laon. Cette place était mon seul rempart, c’était mon seul asile, celui de nia femme et de mes enfants. Que faire ? Je préférai la vie à une forteresse ; pour une forteresse j’acquis la liberté. Et voilà que privé de tout, j’implore le secours de tous. Si le duc ose démentir ces faits, il ne nous reste plus que le combat singulier[68].

Hugues le Grand se garda bien de relever cette provocation : Il ne se présenta, comme on pouvait le croire, dit Augustin Thierry, ni avocat ni champion de la partie adverse pour soumettre un différend national au jugement du roi de Germanie[69]... Cette manière de présenter les choses est évidemment fausse ; il ne s’agissait ni de différend national ni d’un jugement a prononcer par le roi de Germanie. Le différend entre Louis et Hugues était essentiellement personnel ; il pouvait fort bien se vider par un duel ; cela était conforme aux usages du temps. Le même auteur n’est pas plus exact, quand il dit que l’assemblée se composait des évêques de la Germanie. Richer cite parmi les assistants le métropolitain de Reims, les évêques de Toul, de Metz, de Verdun, de Cambrai, de Laon, de Tongres, de Strasbourg et de Bâle. L’assemblée était présidée non par le roi de Germanie, mais par un légat du saint-siège ; elle n’avait aucun caractère national ; elle n’était ni germaine ni gauloise, mais chrétienne et cosmopolite comme l’Église.

Les délibérations de cette assemblée ont un cachet de sagesse fort remarquable. On y constate d’abord que le duc s’étant emparé de presque tous les droits du trône, le synode se trouve impuissant pour lui résister à force ouverte ; on reconnaît ensuite qu’il vaut mieux essayer de moyens plus doux et tâcher, avec l’aide de Dieu, de ramener à la règle, par la raison et par des considérations puisées dans les choses mêmes, celui qui n’a ni crainte de la Divinité, ni respect humain. On décide enfin que si, après un avertissement amiable, le duc refuse de venir à résipiscence, il sera frappé d’un anathème général. Voilà, dit le légat du saint-siège, tout l’appui que nous pouvons lui prêter (au roi Louis). Maintenant n’en a-t-il pas à recevoir d’ailleurs ? En terminant sa plainte, il demande le secours de tout le monde : nous sommes venus à son aide ; que recevra-t-il à présent du seigneur et roi Othon ?

A cette interpellation Othon répondit : Il y a, mes pères, des avantages que vous pouvez procurer au seigneur et sérénissime roi Louis ; car, si vous attaquez ses ennemis par les armes divines, ou ils succomberont promptement dans ce combat, ou s’il reste quelque chose il faire, nos armes l’effectueront plus facilement, ainsi donc, comme le veut le légat du seigneur pape, employez les armes qui vous sont propres, et percez du glaive de l’anathème les ennemis d’un si grand roi. S’ils osent ensuite relever la tête, et ne craignent pas de résister à l’excommunication, alors ce sera à nous d’agir[70].

Le synode écrivit effectivement au duc Hugues, pour l’exhorter à donner satisfaction au roi : Nous t’avertissons, disait-il, de revenir à d’autres sentiments, nous t’exhortons rentrer au plus vite dans une humble soumission envers ton seigneur. Que si tu méprises nos admonitions, sans aucun doute, avant de nous séparer, nous te frapperons d’anathème, jusqu’à ce que tu aies donné satisfaction, ou que tu sois allé à Home pour t’expliquer devant notre seigneur le pape[71].

Il ne paraît pas que le duc ait tenu grand complu de cette menace : car l’anathème fut réellement prononcé Trèves, où le synode s’était transporte. Le roi Louis reçut alors du roi Othon quelques troupes, avec lesquelles il prit successivement la place de Mouzon et le fort de Montaigu ; il fit une vaine tentative pour rentrer dans sa ville de Laon, et puis il se retira à Reims. Il y vivait assez paisiblement, lorsque le duc, bravant l’anathème, vint avec une armée de Normans attaquer Soissons, qu’il ne put prendre, et marcha ensuite sur Reims. Alors le roi envoya Gerberge vers Othon, son frère, pour l’engager à lui envoyer au plus vite des troupes en nombre suffisant. Othon ordonna à Conrad, duc de Lotharingie, de lever une armée en Belgique. Mais dans l’intervalle, le roi Louis s’empara par surprise de la ville de Laon, sauf la citadelle qu’il ne put emporter, quelque effort qu’il fît.

Au mois de juillet suivant (949), nous voyons le duc Conrad arriver de Belgique avec son armée. Le roi se met à la tète des Belges, entre sur les terres du duc Hugues, incendie le faubourg de Senlis, assiège la ville et ravage sans pitié tout ce qu’il rencontre appartenant au duc, jusqu’à la Seine[72]. Les évêques interviennent et négocient une trêve ; le pape, de son côté, approuve les actes du concile tenu l’année précédente à Ingelheim, et excommunie de nouveau le duc. Les évêques gaulois, encouragés par cet acte du pape, font au duc de sévères remontrances et finissent par le décider à la soumission. Hugues demande t se réconcilier avec le roi, et promet de lui donner entière satisfaction. Une conférence eut lieu entre eux près de la Marne. Le duc se reconnut par les mains et par le serment l’homme du roi, lui rendit la citadelle de Laon, qu’il fit évacuer, et promit de lui garder dorénavant une parfaite fidélité[73].

Ces faits sont de la fin de l’année 949 et du commencement de 950. Louis d’Outremer régna paisiblement depuis cette époque. Nous avons de lui un diplôme donné Reims, le 20 août 950, par lequel il confirme une donation faite à l’abbaye de Saint-Pierre de Gand[74] Mais en 954 il fit une chute de cheval en poursuivant un loup dans une partie de chasse. Cet accident occasionna sa mort, qui eut lieu le 9 septembre de la même année. Il fut enseveli dans le monastère de Saint-Remi près de Reims.

 

§ 3. LOTHAIRE ET LOUIS V.

Deux fils étaient nés du mariage de Louis d’Outremer avec Gerberge. L’aîné, du nom de Lothaire, était figé de douze ans au moment de la mort de son père. Il fut élevé sur le trône dans une assemblée composée d’un grand nombre de seigneurs et d’évêques de Belgique, de Germanie, de Bourgogne, d’Aquitaine, de Gothie, et à laquelle assistait avec Hugues, duc de France, l’archevêque Brunon, nominé duc de Lotharingie par son frère Othon depuis l’année précédente. Le jeune Lothaire fut sacré roi, du consentement de tous, par Artold, archevêque de Reims, dans la basilique de Saint-Remi, le 19, novembre 954. Dès lors Hugues chercha à l’envelopper de sa tutelle, comme il avait fait à l’égard de Louis ; mais le véritable tuteur de Lothaire fut Brunon, son oncle, frère d’Othon et de Gerberge. Au reste, Hugues ne vécut plus longtemps ; après une campagne assez heureuse en Aquitaine contre Guillaume, il tomba malade et mourut à Paris, le 16 juin 956. Il laissait trois fils en bas âge ; celui qui fut connu sous le nom d’Hugues Capet n’avait alors que dix ans. Leur mère, Hedwige, qui était sœur de Gerberge, se plaça comme celle-ci, avec ses enfants, sous la protection de leur frère commun, l’archevêque duc Brunon ; de sorte que les fils d’Hugues le Grand ou l’Abbé furent, pour ainsi dire, élevés avec les fils du roi Louis, dont ils étaient cousins germains.

Brunon se trouva ainsi à la tête du gouvernement des deux royaumes. S’il y avait eu en France, comme le suppose Augustin Thierry, un parti national et anti-germain, c’eût été le moment pour ce parti de se lever, lorsque les rênes du char de l’Etat étaient tenues par un évêque allemand. Or, la seule opposition sérieuse que Brunon ait eue à combattre fut celle de Regnier II, comte de Hainaut, qui prétendait à la succession de son parent Gislebert, et qui s’était mis en possession des biens donnés en dot par Gislebert à Gerberge. Regnier fut vaincu, et obligé non seulement à restituer les domaines qu’il avait envahis, mais encore à quitter la Belgique. Son comté de Hainaut fut donné à un nommé Ricaire, qui le transmit à ses deux fils Garnier et Rainolde.

Une autre tentative de rébellion fut celle de Robert de Trèves, fils d’Herbert de Vermandois et frère de l’évêque déposé, Hugues. Il convoitait la forteresse de Dijon ; ne pouvant s’en emparer par force, il tacha de corrompre l’officier qui la commandait, et se fit livrer la place par trahison. Brunon, avec deux mille soldats belges, s’empara des terres de Robert et mit le siège devant la ville de Troyes. De leur côté, le roi et sa mère conduisent des forces contre la place de Dijon ; Robert se soumet, implore l’indulgence du roi, lui donne des otages et se lie à lui par serment. On l’oblige à livrer le traître, qui est décapité.

La destruction du château de Chèvremont, qu’une légende liégeoise attribue à l’évêque Notker[75], doit être de la même époque. Cette forteresse était, dit-on, habitée par un guerrier farouche nommé Immon, qui répandait la terreur et la désolation dans le pays. L’évêque appelé au château pour administrer le baptême à un enfant nouveau-né, y introduisit, sous l’habit religieux, des hommes d’armes qui, à un signal donné, égorgèrent le châtelain et ses gens. Cette histoire est peu vraisemblable ; mais le personnage d’Immon n’est pas fabuleux ; il figure dans la chronique de Widukind, comme ancien compagnon d’armes de Gislebert. On y rapporte qu’il trahit son seigneur, et qu’il s’empara par surprise du château de Chèvremont[76]. Peu de temps après il y fut attaqué par Brunon, et il est très probable, quoique la chronique ne le dise pas[77], que c’est dans cette guerre que le château fut démoli et rasé.

On voit qu’il ne s’agit dans toutes ces affaires que d’intérêts privés. Les voleurs, latrones, comme dit Widukind, doivent être réprimés ; la nation indomptable des Lotharingiens a besoin d’être mise à la raison ; mais de Gaulois, de mouvement national gaulois, il n’y a pas d’apparence. Évidemment M. Michelet est dans le vrai, lorsqu’il dit : Gouvernée, défendue par des étrangers, la Neustrie n’avait depuis longtemps de force et de vie que dans son clergé... Il semble qu’elle ne présentait guère que des esclaves épars sur les terres immenses et à moitié incultes des grands du pays[78]. Quant à ceux-ci, aux grands, nous les voyons accourir de toutes parts à Laon, dès qu’ils sont informés du retour du roi dans cette ville. Deux des fils du feu duc, Hugues et Othon, s’y rendent aussi, dit Richer, et, en présence de tous, jurent au roi de le servir fidèlement. Lothaire, voulant reconnaître leur dévaluent, donna à Hugues le titre de duc qu’avait porté son père et ajouta à sa principauté le pays de Poitiers ; il donna à Othon la Bourgogne[79].

L’archevêque Brunon présida pendant près de douze ans aux destinées des deux royaumes. Il s’efforça de maintenir la paix et la concorde, dans la Neustrie, entre ses neveux, le roi Lothaire et les fils d’Hugues[80]. Afin d’assurer la défense de la Lotharingie, il forma de ce pays deux duchés, et confia à Frédéric, comte de Bar, le duché de haute Lotharingie, correspondant au pays qui depuis fut appelé Lorraine, à Godefroid, duc de Verdun ou d’Ardenne, la basse Lotharingie, qui est la Belgique actuelle. Brunon mourut en 965[81]. Aucun événement grave ne vint troubler l’ordre qu’il avait établi, jusqu’à la mort de l’empereur Othon[82], qui eut lieu en 973.

Mais à peine Othon II eut-il succédé à son père, que la discorde reprit son empire. Lothaire n’avait pas oublié que la Lotharingie était la patrie de ses aïeux ; il voyait sans doute à regret que ce royaume fût sorti de la succession des Carolingiens ; mais la pensée de le reprendre ne lui serait pas venue, si elle ne lui avait été suggérée par les événements. Il y avait à la cour de Lothaire deux jeunes princes dont nous avons déjà parlé, Regnier et Lambert, qui étaient fils de Regnier, comte de Hainaut, et qui aspiraient à rentrer en possession de leur comté. Ce sont ces jeunes guerriers qui commencèrent les hostilités. Godefroid, duc de basse Lotharingie, venait de mourir de la peste en Italie (en 964) ; ils crurent que l’occasion était favorable, et en effet ils parvinrent à expulser du Hainaut les comtes Garnier et Rainold, qui avaient succédé à Ricaire. Il y eut entre eux un combat sanglant à Péronne, près de Binche ; la victoire resta aux fils de Regnier ; leurs rivaux furent vaincus et tués[83]. Mais peu de temps après[84] Othon II marcha contre les vainqueurs ; il vint les attaquer dans le château de Boussoit[85], sur la Haine, et les força à repasser en France. Le comté de Hainaut fut alors donné à Arnoul[86], qui se fixa à Valenciennes, et à Godefroid, qui établit sa résidence à Mons.

Chassés de leur pays pour la seconde fois, privés de leur patrimoine, dépouillés de leurs dignités, Regnier et Lambert firent éclater des plaintes légitimes et cherchèrent à se créer des partisans en France. Leurs efforts ne furent pas infructueux ; ils trouvèrent de l’appui dans Othon, fils du comte de Vermandois, dans Hugues Capet, et dans Charles, frère du roi Lothaire, qui, ne possédant que son épée, recherchait toutes les occasions de guerroyer. Une expédition fut résolue et tentée en 976 ; l’attaque fut dirigée sur Mons ; on n’en connaît pas les détails ; tout ce qu’on sait, d’après les chroniques, c’est que Godefroid fut blessé. Arnoul prit la fuite, et nonobstant, la place de Mons qu’ils défendaient résista aux efforts des assiégeants[87]. Cette expédition n’en eut pas moins des résultats considérables. Pour mettre un terme aux hostilités, Othon II se prêta à un arrangement qui semblait concilier tous les intérêts. Charles de France fut créé duc de basse Lotharingie, sous la suzeraineté du roi de Germanie, auquel il prêta serment de fidélité[88] ; on rendit à Regnier le comté de Hainaut, et Lambert eut le comté de Louvain[89].

Il parait que ces concessions ne répondaient pas à tous les vœux, à toutes les espérances. Autour du roi Lothaire s’agitaient des passions, des ambitions pour qui l’état de paix n’était qu’un obstacle. Hugues Capet et d’autres grands de la cour entraînèrent le roi Lothaire dans une expédition sans but et sans raison contre Aix-la-Chapelle, où se trouvait le roi Othon avec sa femme Théophanie[90]. Cette équipée n’eut d’autre résultat que de brouiller les deux souverains et d’engager Othon à faire, l’année suivante, une expédition semblable contre Paris[91]. Quand Lothaire ouvrit enfin les yeux, il comprit que ses véritables ennemis étaient ceux qui le poussaient à la guerre contre le roi de Germanie, afin de l’isoler compléter ment et d’avoir meilleur marché de l’autorité royale. Il envoya à Othon des députés, dont le discours est précieux à recueillir, car il éclaire parfaitement la situation : Jusqu’ici, dirent-ils, les fauteurs de discorde, de haine, de guerre, ont triomphé ; ceux, en effet, qui se complaisaient dans la discorde, parce qu’ils pensaient que près de rois en désaccord il y avait pour eux à gagner, ont tenu une place élevée entre deux nobles princes. Ils désiraient le malheur commun, afin d’acquérir près de rois brouillés entre eux plus de gloire et plus d’honneur[92]....

Les deux rois eurent donc une entrevue, et la paix fut rétablie entre eux en 980[93]. Quand Hugues en fut informé, son dépit éclata de manière à ne point laisser de doute sur ses desseins. Il courut il Home, oit le roi Othon s’était rendu 21 la demande du pape, Benoît VII. Il espérait le détacher de Lothaire, ou tout au moins s’assurer son amitié pour l’empêcher de soutenir Lothaire, contre ses puissants vassaux. Le résultat de cette négociation fut bien différent. Soit par l’effet de la volonté d’Othon, soit par l’intervention des hommes raisonnables des deux partis, une réconciliation générale eut lieu, pour quelque temps du moins ; Hugues lui-même se rapprocha de Lothaire et les deux princes s’unirent par les liens d’une apparente amitié. Cette amitié fut scellée par le couronnement du fils de Lothaire, Louis, proclamé roi par le duc et les autres grands du royaume, dans une assemblée tenue à Compiègne, en 981.

La situation du roi Lothaire se trouvait notablement améliorée par ces arrangements ; mais la royauté en elle-même n’y avait gagné aucune garantie nouvelle. Ce qui lui manquait, c’était un territoire à elle propre et non inféodé à quelque duc ou comte assez puissant pour se rendre indépendant. L’occasion parut se présenter d’atteindre ce but si désirable, à la mort de Raimond, duc des Goths. En faisant épouser sa veuve par Louis, on espérait faire passer sous l’autorité directe du roi toute l’Aquitaine et la Gothie. Ce mariage fut négocié ; les deux rois partirent pour l’Aquitaine avec une suite nombreuse ; ils furent reçus par Adélaïde, dite aussi Blanche, au château de Vieux-Brioude sur l’Allier, dans la basse Auvergne. Après quelques conférences, Louis épousa solennellement la veuve de Raimond, la fit couronner, conjointement avec lui, par les évêques et l’éleva sur le trône. Mais cette union ne dura pas longtemps. Louis était trop jeune et Blanche trop âgée, pour que des habitudes et des goûts différents ne les missent bientôt en désaccord. Leurs caractères étaient d’ailleurs si opposés qu’au bout de cieux ans de mariage un divorce devint nécessaire. Blanche se maria ensuite à Guillaume d’Arles[94].

Vers la même époque, le 7 décembre 983, Othon II mourut, n’étant figé que de vingt-huit ans. II laissait un fils né en 980 et qui par conséquent n’avait que trois ans d’âge. Cet événement eut pour résultat de rompre de nouveau le lien qui unissait la dynastie carolingienne à la maison de Saxe, et de rapprocher de celle-ci la dynastie future des Capets. La veuve d’Othon II, Théophanie, qui était une princesse grecque, se vit disputer la tutelle de son fils Othon III par Henri le Querelleur, parent de l’empereur décédé ; et non seulement Charles, duc de la basse Lotharingie, s’engagea dans le parti de cet Henri, mais le roi Lothaire saisit cette occasion d’envahir la haute Lotharingie. Il fit le siège de Verdun, et finit par se rendre maître de cette place. A dater de cette époque, la perte de la dynastie carolingienne paraît avoir été résolue dans les conseils de l’impératrice Théophanie. L’archevêque de Reims, Adalbéron, aidé de quelques vassaux dévoués à la maison de Saxe, parvint à lui faire rendre la tutelle de son fils ; on calma les appétences d’Henri le Querelleur, en lui donnant le duché de Bavière, et le roi Lothaire abandonna bénévolement la ville de Verdun.

La paix semblait donc être rétablie ; mais peu de temps après, le 2 mars 986, Lothaire mourut à Laon avec tous les symptômes d’un empoisonnement[95]. Richer ne le dit pas, mais il décrit la maladie à laquelle le roi succomba en termes qui ne laissent guère de place au doute : Attaqué de ce mal que les médecins appellent colique, dit-il, il éprouvait au côté droit, au-dessus des parties naturelles, une douleur intolérable. Il ressentait aussi des douleurs atroces depuis le nombril jusqu’à la rate, et de là jusqu’à l’aine gauche, et de même à l’anus. Les reins et les intestins étaient aussi quelque peu attaqués. Il avait un ténesme continuel et une évacuation sanguine ; la voix était parfois voilée, quelquefois il était glacé par le froid de la fièvre ; ses intestins faisaient entendre des rugissements. Il éprouvait un dégoût continuel. Il faisait pour vomir des efforts sans effet, son ventre était tendu, son estomac brûlant[96].

Des soupçons planèrent sur la reine Emma, qui était fille de l’impératrice Adélaïde, veuve d’Othon Ier, et par conséquent alliée à Théophanie. On l’accusait de complicité avec Adalbéron, jeune prélat que Lothaire avait élevé au siège épiscopal de Laon. Le fils de Lothaire, Louis V, paraît avoir partagé l’opinion publique sur les relations coupables d’Adalbéron avec sa mère. Cela résulte d’une lettre d’Emma à l’impératrice Adélaïde : Mes douleurs se sont encore aggravées, dit-elle, depuis que j’ai perdu mon mari. Mon espérance était dans mon fils ; ce fils est devenu mon ennemi. Mes amis les plus chers se sont éloignés de moi, pour me plonger dans l’ignominie avec toute ma race. On a inventé d’atroces calomnies contre l’évêque de Laon : ils le persécutent et ils veulent le priver de ses honneurs, pour me couvrir d’une honte éternelle. Ô ma mère ! venez à mon secours[97].

Le roi Louis n’en voulait pas moins à l’autre Adalbéron, l’archevêque de Reims, le conseil et l’appui de la reine Théophanie. A peine monté sur le trône, il réunit les grands du royaume, et leur tint un discours fort significatif, dans lequel il exprime franchement sa pensée : Adalbéron, dit-il, archevêque de Reims, l’homme le plus scélérat de tous ceux que la terre supporte, méprisant l’autorité de mon père, favorisa en toutes choses Othon, l’ennemi des Français ; il l’aida à conduire une armée contre nous ; il l’aida à ravager les Gaules, et, en lui fournissant des guides, il lui donna les moyens de rentrer chez lui sain et sauf, ainsi que son armée. Il me paraît juste et utile d’arrêter ce misérable, pour lui infliger la peine d’un si grand crime, et pour porter en même temps la crainte au cœur des méchants qui voudraient suivre ses traces[98].

Le premier mouvement du roi fut de marcher sur Reims et d’enlever de force la métropole ; mais cédant aux conseils de son entourage, il envoya des députés à l’archevêque, pour lui demander s’il entendait résister à son roi ou se purger, en temps convenu, des charges portées contre lui. Adalbéron répondit qu’il ne refusait pas de se soumettre aux ordres du roi et de lui donner les otages qu’il demandait, ne redoutant nullement les charges qu’on lui opposait. Des conférences s’ouvrirent, et le roi s’éloigna avec son armée. Il était à Senlis, lorsqu’au mois de mai de l’année suivante, 987, on apprit sa mort. Plusieurs chroniques disent qu’il fut empoisonné comme son père. Si l’on en croit Richer, il mourut d’une chute de cheval, étant à la chasse[99]. Il avait à peine vingt ans. C’est ce prince dont on a cherché à flétrir la mémoire en lui donnant le surnom de Fainéant.

Le procès d’Adalbéron se trouva terminé par cet événement. Dans une assemblée qui eut lieu après les obsèques du roi, on lit pour la forme une sorte d’appel à toute personne qui voudrait soutenir l’accusation à la place du défunt ; mais personne ne s’étant présenté, le duc Hugues, qui était d’accord avec Adalbéron, prit la parole et dit : Si le procès est fini parce qu’il n’y a personne pour le soutenir, il faut reconnaître dans le métropolitain un homme noble et doué d’une haute sagesse. Écartez donc de lui tout soupçon et rendez honneur au grand évêque ; révérez-le comme tel, et proclamez hautement quelle est sa vertu, sa prudence et sa noblesse[100]. Nous verrons bientôt qu’en s’exprimant ainsi, Hugues n’était pas désintéressé, et qu’il attendait d’Adalbéron des services pour lesquels la réhabilitation de celui-ci était indispensable.

 

§ 4. CHARLES ET OTHON.

Nous approchons du dénouement de ce grand drame qui doit finir par la chute de la dynastie carolingienne et par l’avènement de celle des Capets. Pour apprécier le véritable caractère de cette révolution, il faut commencer par se rendre compte de la situation des deux compétiteurs- qui se trouvèrent en présence. Louis étant mort sans enfant, il n’y avait pas d’héritier direct de la couronne. Le prince qui, en ligne collatérale, y était appelé par sa naissance, Charles, frère de Lothaire et oncle du dernier roi, se trouvait à l’étranger, étant duc de la basse Lotharingie. Il n’avait guère d’autres partisans dans la Neustrie qu’Herbert III, comte de Vermandois, Arnoul II, comte de Flandre, et quelques vassaux du Midi qui se bornaient à faire des vœux pour les Carolingiens ; tandis que tous les personnages les plus puissants étaient ses ennemis. Sans parler d’Hugues Capet, son compétiteur, il avait contre lui la veuve de Lothaire, Emma, et tout le parti des Othon, y compris le métropolitain de Reims, Adalbéron, qui avait défendu les intérêts de Théophanie à la mort d’Othon II, plus le fameux Gerbert, qui fut élevé sur le siège apostolique par Othon III[101]. Hugues Capet, au contraire, avait resserré les liens qui l’attachaient à ses cousins de Germanie, en allant trouver Othon II à Rome en 980 ; il s’y était concilié les bonnes grâces de l’impératrice Théophanie, qui paraît avoir dès lors promis de seconder son ambition[102]. Nous venons de voir aussi comment il avait acquis des droits à la reconnaissance du métropolitain de Reims, dont l’influence était considérable.

Hugues Capet &appuyait donc sur le parti germanique, qui était opposé à l’élection de Charles. C’est précisément le contraire de ce qu’a supposé Augustin Thierry pour fonder son système.

Hugues se hâta de profiter des avantages de sa position. Avant que Charles eût fait valoir ses droits, il se fit proclamer roi par les grands réunis à Senlis sous la présidence d’Adalbéron, et dès le 1er juin[103], il était couronné à Noyons par cet archevêque qu’il venait de sauver d’une accusation grave. De son côté, Charles réunit quelques troupes, entra en Neustrie et parvint à s’emparer de la ville de Laon. Il y trouva la reine Emma et son protégé, l’évêque Adalbéron, qu’il ne faut pas confondre avec le métropolitain de Reims.

M. Henri Martin raconte, d’après Richer, que Charles, avant de tenter cette entreprise, était venu trouver l’archevêque Adalbéron à Reims, le priant de l’aider à faire valoir son droit héréditaire ; qu’Adalbéron lui reprocha de n’être entouré que de parjures, de sacrilèges, de gens sans aveu, etc. C’est une fable évidente, Charles n’alla point trouver Adalbéron à Reims ; il se borna à lui écrire, non pas avant de s’être emparé de la place de Laon, mais après y avoir fait prisonniers la reine et l’évêque. Cela est constaté par la réponse d’Adalbéron, dont on trouve une traduction dans Sismondi[104]. Voici ce document, qui donne un démenti à la chronique de Richer :

Comment arrive-t-il que vous me demandiez conseil, vous qui m’avez rangé parmi vos pires ennemis ? Comment m’appelez-vous votre père, vous qui avez voulu m’arracher la vie ? Je ne l’avais point mérité, il est vrai ; mais j’ai toujours fui et je fuirai encore les conseils trompeurs des hommes pervers. Ce n’est pas pour vous que je le dis. Vous qui me demandez d’avoir de la mémoire, souvenez-vous des conférences que nous avons eues ensemble sur votre sort, du conseil que je vous ai donné de rechercher les grands du royaume (primates) ; car qui étais-je pour donner à moi seul un roi aux Français ? ce sont là des déterminations publiques et non privées. Vous me supposez de la haine pour la race royale, mais j’atteste mon Rédempteur que je ne nourris point de haine. Vous me demandez ce que vous devez faire ; la chose est difficile à dire ; je ne le sais point, et si je le savais je n’oserais point le dire. Vous me demandez mon amitié ; plaise à Dieu que le jour arrive où je puisse avec honneur vous servir ! car, quoique vous ayez envahi le sanctuaire du Seigneur, que vous ayez arrêté la reine après les serments que nous savons que vous lui aviez faits, que vous ayez jeté en prison l’évêque de Laon, que vous ayez méprisé les anathèmes des évêques, sans parler de mon seigneur (Hugues Capet), contre lequel vous avez formé une entreprise qui dépasse vos forces, je n’ai cependant point oublié votre bienfait, quand vous m’avez soustrait au fer de mes ennemis. Je vous en dirais davantage ; je vous dirais surtout que vos partisans vous trompent, et que vous éprouverez bientôt que, sous votre nom, ils ne s’occupent que de leurs seuls intérêts ; mais le moment n’est pas venu ; cette crainte même m’a empêché de répondre à vos précédentes lettres. Nous avons lieu de nous défier de tous. Mais si (un nom en chiffres) peut venir jusqu’à nous, et donner des otages tels que nous puissions lui accorder confiance, nous pourrons traiter de toutes ces choses et les examiner à fond ; autrement nous ne pouvons et ne devons rien faire de semblable[105].

Il y a loin du ton de cette lettre à celui de la réponse que Richer prête à Adalbéron. On y chercherait vainement d’ailleurs la moindre allusion au fameux grief, également inventé par Richer et répété par tous les écrivains français, de s’être fait le vassal d’un souverain étranger. Cette imputation ne peut pas avoir été sérieusement articulée à l’époque dont il s’agit. Othon Ier auquel on décerna le titre de Grand, avait en quelque sorte restauré l’empire de Charlemagne. Ses deux sœurs gouvernaient la Neustrie ; son frère Brunon, la Lotharingie ; son beau-frère Conrad le Pacifique, la Bourgogne. L’Occident était redevenu une seule monarchie ; tous les princes reconnaissaient la suprématie de l’empereur. Othon II, qui lui succéda, n’était donc pas un souverain étranger pour les fils de Gerberge et d’Hedwige. Hugues Capet et Conrad l’avaient suivi dans sa campagne d’Italie, à peu près comme des vassaux suivent leur suzerain. Qu’y avait-il d’extraordinaire à ce que Charles, qui ne possédait que son épée, acceptât de sa main le duché de basse Lotharingie ? Personne n’avait songé à lui en faire un crime, et s’il est vrai que plus tard on lui reprocha cette acceptation, comme un acte indigne de celui qui voulait occuper le trône de Neustrie, ce ne put être qu’un prétexte allégué par ceux qui voulaient l’en écarter.

Le caractère de Charles est peint sous les plus fâcheuses couleurs dans les chroniques favorables aux Capets, et surtout dans les lettres du célèbre Gerbert, qui sont les principales sources de l’histoire de ce temps. On lui reproche sa perfidie, son ingratitude, etc. Dewez fait cependant remarquer qu’on lui donne aussi quelquefois des éloges. Son grand crime est d’avoir conspiré contre un enfant, Othon III, fils de son bienfaiteur. Mais le témoignage de Gerbert n’est pas à l’abri de suspicion quand il s’agit des Carolingiens ; les faits que nous allons rapporter nous semblent autoriser certaine méfiance à son égard.

Le roi Lothaire avait laissé un fils naturel, du nom d’Arnulphe, qui fut ordonné clerc. Il était protégé par Hugues Capet, son cousin ; selon quelques chroniques, celui-ci l’aurait même adopté pour son fils. A la mort d’Adalbéron, en 988, Arnulphe, sur la recommandation d’Hugues, fut nommé archevêque de Reims, bien qu’il eût contribué à mettre Charles en possession de la ville de Laon. Mais en 990 il abandonne le parti d’Hugues, livre Reims à Charles, ou le lui fait livrer. Il est ensuite obligé de fuir et se rend à Laon, où en 991 il est fait prisonnier avec son oncle. lin synode tenu à Reims, en 992, le condamne et le force, comme jadis Ebbo, à se démettre de sa dignité. Gerbert, qui avait été secrétaire d’Adalbéron, est élu à sa place.

Le pape Jean XVI regarda la condamnation d’Arnulphe comme contraire aux canons, et ordonna la révision du jugement[106]. Dans un concile auquel n’assistaient que des évêques d’Allemagne et de Lotharingie, entre autres Notker, évêque de Liége, Arnulphe fut déclaré innocent. On le rétablit sur le siège de Reims, que Gerbert fut obligé d’abandonner[107]. Le pape Grégoire V, allemand de naissance, confirma celte décision ; il déclara la destitution d’Arnulphe absolument contraire au droit et partant nulle. Gerbert se réfugia, en 99b, à la cour d’Othon III ; il fut nommé archevêque de Ravenne, en 998, par le pape Grégoire, qui mourut le 18 février 999. Alors Gerbert, protégé par l’empereur, fut élu pape sous le nom de Sylvestre II.

On doit comprendre, d’après cela, combien il est difficile que le témoignage de Gerbert à l’égard de Charles soit tout à fait exempt de partialité. Il avait à se plaindre du Carolingien Arnulphe, par qui il avait été supplanté sur le siège de Reims ; il avait vécu à la cour d’Othon III, qu’il reprochait à Charles d’avoir trahi, et puis enfin il devait à l’empereur Othon son élévation au trône pontifical.

Les chroniqueurs ont voulu justifier l’usurpation d’Hugues Capet en assimilant la descendance des Carolingiens à celle des Mérovingiens, et en représentant Charles comme dépourvu des qualités qui font l’homme de cœur. Bicher lui-même dit, en parlant de ce prince : quem fides non regit, torpor enervat[108]. Cependant nous l’avons déjà vu décidé à faire valoir ses droits par les armes ; nous l’avons vu s’emparer de la place de Laon. La manière dont il défendit cette place et l’énergie avec laquelle il sut se maintenir dans le royaume de Neustrie, malgré tous les efforts d’Hugues Capet pour l’en chasser, prouvent combien sont injustes les chroniqueurs qui représentent les derniers Carolingiens comme une race dégénérée.

Dès qu’il fut maître de Laon, il s’occupa de fortifier cette place et de la rendre inexpugnable. Il surmonta de hauts créneaux la tour qui était peu élevée, et l’entoura de tous côtés de larges fossés. Il eut soin de procurer des vivres à ses troupes ; à cet effet, il fit apporter du blé de tout le Vermandois. Il arrêta que cinq cents hommes armés feraient chaque nuit des patrouilles par la ville et garderaient les remparts. Il construisit aussi des machines contre l’ennemi, et fit apporter des bois propres à la construction d’autres machines. On aiguisa des pieux et l’on forma des barricades ; on fit venir des forgerons pour fabriquer des projectiles et pour garnir de fer tout ce qui en avait besoin. Si nous en croyons Bicher, il se trouvait là des hommes qui maniaient les balistes avec tant d’adresse qu’ils atteignaient les oiseaux au vol[109].

Le roi nouvellement élu envoya des députés dans toutes les directions ; il fit un appel aux Gaulois qui habitaient de la Marne à la Garonne. Quand leurs forces furent réunies et formèrent une armée, on marcha sur Laon, pour en faire le siège. Un camp fut établi sous les murs de Laon ; on l’entoura de fossés et de chaussées. Il paraît que l’armée d’Hugues Capet passa l’été dans cette position ; et quand l’hiver s’approcha, quand les nuits devenues longues fatiguaient les sentinelles par leur durée[110], le roi tint conseil avec ses lieutenants, les principaux chefs de l’armée ; tous décidèrent qu’il fallait se retirer, sauf à revenir au printemps prochain. Cette résolution fut exécutée sans délai. Après leur départ, Charles ne resta point inactif ; il parcourut tous les dehors de la ville, examina les lieux, les positions stratégiques, augmenta ses moyens de défense, lit restaurer les murs, agrandir et fortifier la tour par des constructions plus solides eu dedans et en dehors.

Dès que l’hiver fut passé, et que la belle saison permit de se remettre en campagne sans trop d’inconvénients, le roi rassembla une nouvelle armée et vint camper avec huit mille hommes devant la place de Laon. Il fit entourer son camp de fossés et de chaussées, comme il l’avait fait l’année précédente. Il semblait craindre l’ennemi plutôt que de vouloir l’attaquer. Cette précaution ne le préserva point d’une défaite par une belle nuit du mois d’août, les assiégés firent une sortie de la place et tombèrent à l’improviste sur les assiégeants endormis ; ils portèrent l’incendie et la mort dans leur camp ; la confusion fut telle que le roi épouvanté s’enfuit avec les grands qui l’entouraient ; son armée n’avait pas attendu ce signal pour se mettre en déroute.

L’année suivante, 990, fut marquée par des événements des plus favorables à la cause du Carolingien. L’archevêque Adalbéron étant mort au mois de janvier, Arnulphe, fils naturel de Lothaire, fut élevé sur le siège archiépiscopal de Reims, et peu de temps après, Charles, son oncle, se rendit maître de la métropole. Hugues Capet furieux marcha contre lui avec une armée de six mille hommes. Charles n’en avait que quatre mille ; mais quand Hugues les vit rangés en bataille, il jugea prudent de retourner sur ses pas. Richet attribue cette retraite honteuse à une sorte de remords de conscience : Le roi, dit-il, ne se dissimulait pas qu’il avait agi criminellement et contre tout droit, en dépouillant Charles du trône de ses pères pour s’en emparer lui-même[111]. Mais la manière dont Hugues se conduisit par la suite à l’égard de Charles prouve bien qu’il était aussi inaccessible à de pareils scrupules qu’incapable d’un sentiment généreux.

Depuis près de quatre ans que le Carolingien avait mis le pied sur le sol de la Neustrie, il n’avait pas essuyé une seule défaite, et il venait de faire des progrès menaçants pour la dynastie nouvelle. Déjà il se trouvait en possession des villes de Laon, de Reims et de Soissons. Il était temps qu’Hugues Capet avisât au moyen de défendre sa couronne. Ce n’était point par les armes qu’il pouvait espérer de vaincre son ennemi ; il eut recours à la ruse, à la trahison. L’évêque Adalbéron, de Laon, le même homme que la voix publique accusait naguère d’avoir empoisonné Lothaire, de complicité avec la reine Emma, semblait avoir à cœur de prouver qu’il était capable d’une mauvaise action. Ce fut lui qui se chargea de s’emparer de la personne de Charles et de le livrer à son rival, sans que celui-ci fût obligé de tirer l’épée.

Pendant la nuit, lorsque Charles et son neveu Arnulphe dormaient profondément dans la même chambre, Adalbéron y introduisit quelques hommes vigoureux, qui se ; jetèrent sur les cieux princes désarmés et les firent prisonniers. Les cris des femmes et des enfants, dit Richer, les gémissements des serviteurs, frappent le ciel, épouvantent et réveillent les citoyens clans toute la ville. Les partisans de Charles se hâtent de s’enfuir, ce qu’à peine ils peuvent exécuter ; car tout au plus étaient-ils sortis lorsque Adalbéron ordonna de s’assurer à l’instant de toute la ville, afin de saisir tous ceux qu’il regardait comme opposés à son parti[112]. Bientôt le roi entra dans la ville de Laon et en prit possession. Il fit conduire les prisonniers à Senlis, où lui-même alla tenir conseil avec les siens. Il fut résolu que Charles, sa femme, son fils, ses deux filles et son neveu Arnulphe seraient confinés dans une prison.

Tels sont les exploits par lesquels la dynastie des Capets se substitua aux descendants de Charlemagne. Et l’on ose dire aux Français que cette révolution fut le produit d’un mouvement national ; que leur histoire ne commence qu’à partir de l’époque glorieuse où la race gauloise triompha, avec Hugues Capet, de la race des Francs ! C’est à un peuple essentiellement brave qu’on représente le plus lâche des attentats comme un fait héroïque, et le plus ignoble des usurpateurs comme le chef de la première dynastie nationale. Il faut que la connaissance de l’histoire vraie soit bien peu répandue, pour qu’un cri d’indignation ne se soit pas fait entendre d’un bout de la France à l’autre. Nous croyons inutile, après avoir exposé les faits qui précèdent, d’insister davantage sur ce que nous avons déjà dit de l’erreur dans laquelle est tombé, de bonne foi sans doute, Augustin Thierry. Pour attribuer à la nation gauloise ce qui ne fut qu’une lutte d’intérêts dynastiques, une révolution exclusive de toute idée de nationalité, il faut que le célèbre historien ait perdu de vue les personnages de la scène. Il doit avoir oublié que les Capets étaient proches parents des derniers Carolingiens et au moins aussi Germains que ceux-ci ; qu’ils étaient non seulement parents, mais amis et protégés des Othons de Saxe, et qu’enfin, si l’influence germanique se fit sentir dans les événements dont il s’agit, ce fut plutôt en haine des Carolingiens et pour les faire tomber du trône, qu’en leur faveur. Quant à une prétendue influence de l’esprit gaulois, tout ce que nous pouvons dire c’est qu’il n’y en a point de trace dans l’histoire de cette époque.

Charles, d’abord détenu à Senlis, fut transféré dans la tour d’Orléans, où, d’après la plupart des chroniqueurs, il serait mort peu de temps après. Aujourd’hui encore presque tous les historiens répètent qu’il est mort en prison dans la première année de sa captivité, c’est-à-dire en 991. Un monument découvert à Maëstricht en 1666 ne s’accorde pas avec cette tradition : c’est une pierre sépulcrale trouvée dans un souterrain de l’église de Saint-Servais, et qui porte une inscription en caractères du onzième siècle[113]. Quelques lettres étaient effacées ; mais le savant Paquot les a rétablies de la manière suivante :

KAROLI COMITIS GENEROSÆ STIRPIS

FILII LOTHWICI FRATRIS LOTHARII FRANCORUM REGUM

ANNO DOMINI MI.

On n’a pas contesté l’authenticité de ce monument, bien que l’inscription donne à Charles, non la qualité de duc, mais celle de comte : car les ducs sont souvent désignés sous la qualification de comtes. Le titre de duc se rapportait à une dignité militaire et n’empêchait pas d’être comte en même temps. Mais comment expliquer la sépulture de Charles à Maëstricht, et la date de mil un ? Aurait-il été mis en liberté avant de mourir ? Lesbroussart et Dewez sont de cet avis[114]. Ils supposent la possibilité d’une renonciation par Charles au trône de France, comme condition de sa sortie de prison ; mais toutes les chroniques disent le contraire. La conjecture qui paraît la plus vraisemblable, c’est que le corps de Charles aura été transféré à Maëstricht en 1001, à la demande de son fils Othon, alors son successeur dans le duché de Lotharingie. Cette translation aurait été faite secrètement et serait demeurée inconnue des chroniqueurs.

Il est assez probable d’ailleurs que Charles n’est pas décédé en 991, mais plus tard, comme il est dit dans la chronique du moine Richard de Cluni : Genuit autem Karolus in custodia de uxore sua duos filios, Ludovicum et Carolum, et ipse in carcere post plura tempora mortuus est[115]. Le fait de la naissance de deux fils de Charles dans sa prison à Orléans, rapporté par presque tous les chroniqueurs, ne peut être mis en doute. Or, s’il était mort en 991, il faudrait nécessairement que ces fils fussent nés jumeaux. Quelques chroniques le disent ; mais la plupart ne font pas mention de cette particularité, et Louis est appelé l’aîné dans quelques-unes. Suivant l’Art de vérifier les dates, Charles serait mort le 21 mai 992 ; Ernst dit avoir eu communication du nécrologe de la cathédrale de Liége, oit sa commémoration était fixée au 22 juin[116].

Charles laissa une postérité assez nombreuse : car outre les deux enfants nés pendant sa captivité à Orléans, il en avait trois autres nommés Othon, Gerberge et Hermangarde. Ceux-ci, suivant quelques auteurs[117], étaient nés d’un premier mariage avec Bonne, fille de Godefroid d’Ardenne[118], tandis que les deux autres eurent pour mère Agnès de Vermandois, fille d’Héribert III, comte de Champagne[119], ou, suivant Ernst, fille d’Herbert II, comte de Troyes[120].

Othon succéda à son père dans le duché de basse Lotharingie. Si l’on en croit De Vadder, il établit sa résidence à Bruxelles, et habita le château que Charles avait fait construire dans l’île de Saint-Géry. On ignore s’il a été marié[121] ; dans tous les cas, il mourut sans postérité en 1005, suivant la plupart des chroniqueurs[122], en 1006 ou 1007, d’après l’Art de vérifier les dates. Lipsius dit que son corps fut déposé dans l’église de l’abbaye d’Echternach ; Molanus affirme qu’il fut inhumé dans l’église de Sainte-Gertrude à Nivelles[123]. Les anciennes chroniques ne rapportent aucune des actions de ce prince[124]. Après lui le gouvernement du duché fut donné à Godefroid II.

Gerberge, qui hérita du comté de Bruxelles[125], après la mort de son frère Othon, épousa Lambert, comte de Louvain[126]. Cette princesse mourut à un âge avancé. Son corps fut inhumé dans l’église de Sainte-Gertrude à Nivelles. On lisait sur son tombeau l’inscription suivante, qui y était encore au temps de De Klerk, et qui nous a été conservée par a Thymo :

Inclyta Gerberga Bruxellensis comitissa,

Ex Caroli stirpe magni tunc sola remansit :

Cui conjunctus erat sacro nexu maritali

Belliger egregius Lambertus Lovaniensis.

Proh dolor ! his regno spoliatis atque ducatu,

Lovanium tantum necnon Bruxella remansit[127].

C’est une question fort controversée que de savoir si du mariage de Gerberge et de Lambert il naquit un ou plusieurs enfants. Butkens[128], s’appuyant sur la généalogie de saint Arnoul, écrite à la fin du treizième siècle, et sur Jacques de Guise, mort en 1398[129], leur donne pour enfants Henri, Lambert et Mathilde mais d’après Baudouin d’Avesnes, la généalogie de Charlemagne publiée par d’Archery[130], et celle de Charles, écrite au douzième siècle et publiée par Miræus[131], Lambert et Gerberge n’eurent qu’un fils, appelé Henri, lequel fut père de trois enfants : Lambert, Henri et Mathilde. Quoiqu’il en puisse être, Mathilde, fille ou petite-fille de Gerberge et de Lambert, épousa Eustache, comte de Boulogne, et fut l’aïeule du célèbre Godefroid de Bouillon, roi de Jérusalem.

Hermangarde, la seconde fille de Charles, épousa Albert, premier comte de Namur. Elle gouverna ce comté pendant la minorité de son fils et celle de son petit-fils. Elle était parvenue à une extrême vieillesse lorsqu’elle s’éteignit, on ne sait en quelle année. Son corps fut inhumé dans l’église de Notre-Dame à Namur[132].

Quant aux deux fils de Charles, nés pendant sa captivité, on ne sait trop ce qu’ils sont devenus. Les chroniqueurs rapportent qu’ils trouvèrent un refuge à la cour de l’empereur. Ils avaient été chassés du royaume occidental, si l’on en croit Adhémar de Chabannes[133] ; ils s’étaient évadés de prison suivant d’autres auteurs. On attribue à Louis, l’aîné, une longue postérité, qui ne se serait éteinte qu’en 1248 dans la Thuringe[134]. Il résulte des recherches récemment faites par M. Bœttiger sur ce sujet que, vers l’année 1030, il y eut dans la Thuringe proprement dite (Weimar, Gotha, Eisenach, etc.) un comte Louis, appelé le Barbu, qui fonda la dynastie des Landgraves de Thuringe, laquelle finit en 1247 par l’élection de Henri à l’empire, sur la demande du pape, en opposition à l’illustre Frédéric Il de Hohenstaufen. On ignore l’origine de ce comte Louis, qui était venu de la cour de l’archevêque de Mayence. Jusqu’au siècle dernier, plusieurs auteurs se sont prononcés pour sa descendance du duc Charles[135] ; mais cette opinion n’a plus aujourd’hui de défenseur en Allemagne. M. Damberger notamment la considère comme une conjecture émanée de quelque hardi généalogiste.

Cependant les rapports intimes des Landgraves de Thuringe avec la maison de Louvain semblent donner à cette conjecture une certaine apparence de fondement. Adèle, fille de Lambert, comte de Louvain, et petite-fille de Lambert et de Gerberge dont nous avons parlé ci-dessus, épousa, vers l’an 1062, Othon d’Orlamond (Otho de Orlagemund), margrave de Misnie et de Thuringe[136]. De ce mariage naquirent plusieurs enfants, entre autres Adélaïde qui épousa Adalbert, comte de Ballenstedt, et fut mère d’Othon de Ballenstedt et de Sigefrid, comte palatin du Rhin[137]. On voit, par une charte du 21 septembre 1062, que le margrave de Thuringe, Othon, et sa femme Adèle firent donation à l’église de Saint-Servais de Maëstricht des biens qu’ils possédaient à Weert et à Thile en Brabant[138] ; et, par une autre charte sans date, mais qu’on suppose être de l’an 1112, que Sigefrid, comte palatin du Rhin, parlant des abbayes d’Afflighem, près d’Alost, et de Laach, près d’Andernach, dit de l’une et de l’autre qu’elles font partie de son alleu[139], ainsi que Hoverhoffen et Meilen en Brabant[140]. Le domaine de Laach lui était échu par succession d’Henri de Laach, comte palatin du Rhin, qui avait épousé en secondes noces Adélaïde, sa mère ; mais l’alleu d’Afflighem et les terres d’Hoverhoffen et Meilen en Brabant ne pouvaient provenir, comme Weert et Thile donnés à l’église de Saint-Servais par Adèle, que des comtes de Louvain et peut-être des princes carolingiens, par Gerberge, fille du duc Charles.

Il n’est pas sans intérêt de remarquer que le margraviat de Misnie et le landgraviat de Thuringe, dont l’histoire est si intimement liée à celle des derniers Carolingiens, sont passés dans la maison de Saxe et dans la branche Ernestine, dont un membre occupe aujourd’hui le trône de Belgique. Conrad le Pieux, comte de Wettin, que la tradition fait descendre de Wittikind, reçut, en 1126, aux droits de sa mère, l’investiture du margraviat de Misnie, que sa postérité, possède encore ; et quant au landgraviat de Thuringe, il fut recueilli par Henri l’Illustre, de la même maison, dont la mère était sœur de Henri Raspon, dernier landgrave de Thuringe, élu empereur en 1247 et tué en 1248.

 

 

 



[1] Richer, Histor., lib. I, c. 4.

[2] Richer, lib. I, c. 12.

[3] Pertz, Monum. German. histor., t. II, p. 210.

[4] Histoire générale de la Belgique, t. II, p. 243.

[5] Étude sur le règne de Charles le Simple, p. 30, t. XVII des nouveaux mémoires de l’Académie royale de Belgique.

[6] Thietmari chronicon, I, 13, dans Pertz, script., III.

[7] Dom Bouquet, VIII, p. 243.

[8] Etude sur le règne de Charles le Simple, pp. 4-7.

[9] Annales Sangall., ad ann. 912 et 913 ; D. Bouquet, VIII, pp. 101 et 224.

[10] M. Strobel les a rapportés dans son excellente Histoire d’Alsace, en indiquant les sources et en reproduisant autant que possible les textes mêmes. (Vaderlœndische Geschichte des Elsasses., Strasbourg, 1841, t. I, p. 177.) Voyez aussi l’Histoire du Limbourg, par Ernst, t. I, p. 369, note, où se trouve cité un passage de certaine chronique insérée dans le titre de Germaniæ sacræ prodromus, Userman, 1790.

[11] Richer, Histor., lib. I, c. 34.

[12] Ce document est remarquable par les noms des personnages qui assistèrent au plaid général dont il fait mention. Il y est dit : Unde post multas et pene innumeras reclamationes sine effectu, nos cupientes eandem definire rationem, habito generali placito apud Haristallium, in conventu totius regni tam episcoporum quam comitum et procerum as judicum diversarum potestatum, omniumque conventu nobilium, cunctorum fidelium nostrorum, quorum nomina hæc sunt : Rotgarius, archiepiscopus (de Trèves), Herimannus, archiepiscopus (de Cologne), Dado, episcopus (de Verdun), Stephanus, episcopus (de Liège), Widricus, comes palatii,  Richuinus comes, Gislebertus, Matfridus, Berengarius comes (de Namur), Erlebodus comes, Rodolfus comes, Otto comes, Cunradus comes, Walcherus comes, Sigardus comes, Letardus comes (et 17 seigneurs ou échevins désignés par leurs noms) generali judicio decretum et determinatum est, etc. (D. Bouquet, t. IX, p. 526.)

[13] Richer, lib. I, c. 15.

[14] Flodoardi, Hist. eccles. Remens., lib. IV, c. 15.

[15] Hervé avait succédé à Foulques, assassiné en 900 par les gens du comte de Flandre.

[16] Nous avons emprunté ce passage à l’excellente traduction de M. Guadet, Richer, Histoire de son temps, etc., Paris, 1845, lib. I, c. 21 et 22.

[17] Richer, lib. I, c. 35.

[18] Suivant M. Pertz, c’est l’endroit où se trouve aujourd’hui le village de Gheule, entre Meersen et Maëstricht. Mais la situation de ce village permet d’en douter. L’auteur d’un mémoire couronné par l’Académie de Bruxelles place Harburg à Hardestein. (Mémoires couronnés, t. I, p. 41.)

[19] Ce capitulaire se trouve dans Baluze, t. II, p. 295, et dans Pertz, Leges, t. I, p. 563.

[20] Opera diplomatica, t. I, p. 37. Il a été également publié dans la collection de D. Bouquet, t. IX, p. 323, dans Pertz, Leges, t. I, p. 557, et dans Baluze, t. II, p. 293.

[21] Richer, lib. I, c. 39, traduction de M. Guadet.

[22] Ceci est évidemment une erreur : Gislebert n’épousa Gerberge, fille du roi Henri, que vers l’an 928 ou 929.

[23] Richer, lib. I, c. 39.

[24] Étude sur le règne de Charles le Simple, par M. Borgnet, p. 39 et 40.

[25] Borgnet, Étude sur le règne de Charles le Simple, p. 41 : Bœhmer, Regesta Carolinorum, p. 187 ; Waitz, Jabrbuch., p. 51.

[26] Richer, lib. I, c. 41.

[27] Gesta abb. Lobiens., ap. Bouquet, t. VIII, p. 22 ; Giesebrecht, Geschichte der deutschen Kaiserzeid, t. I, p. 213.

[28] Richer, lib. I, c. 44.

[29] Richer, lib. I, c. 45.

[30] Richer, lib. I, c. 46.

[31] Borgnet, Étude sur le règne de Charles le Simple, pp. 48 et 49.

[32] Cette traduction est celle de M. Borgnet.

[33] Voir le tome IX des Historiens des Gaules, p. 561, et H. Martin, Histoire de France, t. II, p. 512.

[34] Histoire de Mardich et de la Flandre maritime, p. 73 par Raymond de Bertrand, Dunkerque, 1852. Voyez aussi Chronique de Guines et d’Ardre, par Lambert, curé d’Ardre, Paris, 1855.

[35] Miræus, Op. dipl., t. I, p. 251.

[36] Richer, Histor., lib. I, c. 12.

[37] Miræus, Op. dipl., lib. II, p. 805.

[38] Miræus, Op. dipl., t. II, p. 937 ; D. Bouquet, t. IX, p. 313 ; Bœhmer, Regesta, p. 182.

[39] Martène et Durand, p. 39 ; Bertholet, p. 75, Liste chronol., p. 8.

[40] Miræus, Op. dipl., t. I, p. 35.

[41] Miræus, Op. dipl., t. II, p. 896. Il existe aussi une charte de Henri l’Oiseleur, donnée à Aix-la-Chapelle en avril 933, qui confirme la fondation et l’immunité de l’abbaye de Brogne. (Miræus, Op. dipl., t. I, p. 38.)

[42] Chapeauville, t. I, p. 169 ; Miræus, Op. dipl., t. I, p. 254 ; D. Bouquet, t. IX, p. 523.

[43] Martène, Collect., t. I, p. 270 ; Hontheim, Hist. Trevir., I, 268 ; Bertholet, II, 76 ; D. Bouquet, IX, 516.

[44] Baluz., Capitul., t. II, p. 1528 ; D. Bouquet, IX, 527.

[45] D. Bouquet, IX, 541 ; Miræus, Op. dipl., I, 255 ; Gallia christ., t. XIII, p. 317.

[46] Miræus, Op. dipl., t. IV. p. 173 ; D. Bouquet, IX, p. 549. Voir aussi le Chron. de Balderic.

[47] Miræus, Op. dipl., t. I. p. 36 ; Bouquet, IX, 550-551.

[48] Martène, t. I, p. 278 ; D. Bouquet, t. IX, p. 532.

[49] Ce récit a été donné même dans l’Art de vérifier les dates, XIII, p. 383, ainsi que Dewez, t. II, p. 258, et par M Waitz. Il est traité de fable par M. Giesbrecht, Geschichte der deutschen Kaiserzeit.

[50] On trouve dans Miræus un diplôme donné à Aix-la-Chapelle en 932 par Henri l’Oiseleur, et portant confirmation de l’abbaye de Brogne, dans le comté de Namur, et de son immunité. (Oper. dipl., lib. I. p. 38.)

[51] M. Guadet fait remarquer que cette assertion n’est pas tout à fait exacte. Mais fut sacré à Laon, le 19 juin 936, à l’âge de 16 ans, par Guillaume, archevêque de Sens, puis une seconde fois à Reims par l’archevêque (Richer, Histoire de son temps, t. I, p. 129, note.)

[52] Richeri histor., lib. II, c. 4, traduction de M. Guadet.

[53] Reginonis Chronic., lib. II, ad ann. 939

[54] Widukind, Res gest. saxon., lib. II, c. 24, ap. Pertz, Mon. Germ. hist., t. II, p. 444.

[55] Dewez, Hist. génér. de Belgique, t. Il, p. 285 ; Giesebrecht, Geschichte der deutschen Kaiserzeit, t. I, p. 265. Les auteurs ne sont pas d’accord sur la date de la mort de Gislebert. C’est en 939 selon Flodoard et le continuateur de Reginon ; en 938 d’après Lambert de Schafnaburg, en 942 si l’on en croit Luitprand et l’annaliste Saxon.

[56] Chron. Regin., t. II, ann. 939.

[57] Richer, lib. II, c. 28.

[58] Chron., ann. 911. On sait que Hugues axait  épousé Hedwigue, sœur du roi Othon et de Gerberge.

[59] Richer, lib. II, c. 35.

[60] Richer, lib. II, c 39.

[61] Lettres sur l’histoire de France, XIV.

[62] Richer, lib. II, c. 48.

[63] Ce Teutbold, que les Français appellent Thibault, était Norman de naissance. Il avait épouse une tille de Robert le Fort, et s’était fait donner le comte de Tours par les rois Louis et Carloman. (Voir les Notes et dissertations de M. Guadet dans son édition de Hucher, t. II, p. 326.)

[64] Lettres sur l’histoire de France, XIV.

[65] Richer, lib. II, c. 51.

[66] Richer, lib. II, c. 62.

[67] Probablement les montagnes d’Écosse.

[68] Richer., lib. II, c. 73. Nous nous sommes servis de la traduction de M. Guadet.

[69] Lettres sur l’histoire de France, XIV.

[70] Richer, t. II, c. 76.

[71] Richer, t. II, c. 77.

[72] Richer, t. II, c. 92 et 93.

[73] Richer, II, c. 77.

[74] Miræus, Oper. dipl., t. I, p. 260 ; D. Bouquet, t. IX, p. 607.

[75] Chapeauville, Gesta pontif. Tungr. ; Traject. et Leod., t. I, c. 50.

[76] Widukind, Res gestæ Saxonicæ, lib. II, c. 23 et 28, ap. Pertz, Monumenta Germ. hist., t. II, p. 444.

[77] Widukind se borne à dire que Brunon purgea le pays des voleurs ou des brigands qui l’infestaient. (Lib. II, c. 36.)

[78] Histoire de France, liv. II, ch. 3.

[79] Richer, lib. III. c. 13.

[80] Ruotgeri, Vita Brunonis, c. 39.

[81] Ruotgeri, Vita Brunonis, c. 45.

[82] Othon Ier avait été sacré empereur par le pape Jean XII, le 2 février 962.

[83] Chron. Balder., lib. I, c. 94 ; Sigeberti, ann. 973.

[84] En 974, d’après Sigebert de Gembloux.

[85] Les chroniqueurs appellent ce château Bussud, Buxudis, Buxus. Plusieurs écrivains ont pensé que c’était Boussu près de Saint-Ghislain. Mais Dewez fait remarquer que le château de Boussu n’a été bâti qu’en 1540 ; tandis que celui de Boussoit, voisin du champ de bataille de Péronne, est très ancien. (Dewez, Histoire générale de la Belgique, t. II, p. 293.)

[86] M. Henri Martin prend cet Arnoul pour le comte de Flandre : c’était le fils d’Isaac, comte de Cambrai et de Valenciennes. (H. Martin, Histoire de France, t. II, p. 536.)

[87] Sigebert. chron., ad ann. 976 ; Contin. Frodoardi, ap. Bouquet, t. VIII, p. 214 ; Dewez, t. II, p. 299 ; H. Martin, t. II, p. 722 ; Jahrbuccher des deutschen Reichs unter dem sæchsischen Stamme, continué par Giesebrecht, t. II, part. 1re, p. 29.

[88] D’après la chronique de Balderic de Cambrai, Charles ne fut nommé duc par Othon II que sous la condition expresse de lui rendre hommage comme vassal, et de s’opposer aux tentatives que pourrait faire son frère pour s’emparer du duché.

[89] Suivant Albéric, ce ne fut qu’en 998 que Regnier et Lambert furent mis en possession de leurs comtés. (D. Bouquet, t. IX, p. 287.) Une charte de l’an 1003 constate que Lambert était comte de Louvain à cette époque, Comite Lovaniæ Lantberto. (Miræus, Opera dipl., t. I, p. 348.)

[90] L’Art de vérifier les dates, t. XIII, p. 356.

[91] Jahrbuccher des deutschen Reichs, l. c., p. 48-55 ; Hugues de Fleury, dans D. Bouquet, t. VIII, p. 323 ; le continuateur de Frodoard, dans Bouquet, t. IX, p. 81.

[92] Richer, lib. III, c. 79.

[93] Les historiens ne sont pas d’accord sur les stipulations de la paix de 980. Les auteurs de l’Art de vérifier les dates, t. V, p. 188, disent, mais en termes dubitatifs, qu’Othon ne conserva la Lorraine que comme fief de la couronne de France. Devrez démontre par les chroniques l’inexactitude de cette assertion. Sismondi (t. II, p. 482) traite de fable cette prétendue inféodation de la Lotharingie. On peut voir aussi la note A de D. Bouquet, t. X, p. 192. Selon l’opinion commune, le traité fut conclu sur les bords du Cher dans l’Ardenne ; d’après l’Art de vérifier les dates, ce serait à Reims.

[94] Richer, lib. III, c. 94 et 95.

[95] On a de Lothaire quatre diplômes, savoir : 1° Charte de confirmation donnée au palais de Laon, le 10 décembre 950, en faveur du monastère de S. Baron de Gand ; 2° Diplôme qui confirme diverses possessions à la même abbaye, donné à Arras en 967 ; 3° Diplôme donné au château de Douai en 970, par lequel il est fait restitution de la villa d’Aisne à Judith, abbesse de Marchienne sur la Scarpe ; 4° Restitution de divers biens à l’abbaye de Maroilles, en 977. (Miræus, Oper. dipl., t. I, pp. 42, 46, 143 et 144.)

[96] Richer, lib. III, c. 109.

[97] Gerberti epist. in persona Hemmæ reg. 97, traduction de Sismondi, Hist. des Français, t. II, p. 3.11, édit. de Bruxelles, 1836.

[98] Richer, lib. IV, c. 2.

[99] Richer, lib. IV, c. 5.

[100] Richer, lib. IV, c. 7.

[101] Vita Mauritii Burdini, c. XVII, ap. Baluz., Miscellan., lib. III, p. 492.

[102] Epist. Hujonis regis ad Theoph. August., ap. Bouquet, t. X, p. 296.

[103] Suivant Richer, liv. IV, ch. 13, Louis V était mort le 22 mai.

[104] Histoire des Français, t. II, p. 346, édit. de Bruxelles, 1836.

[105] Carolo duci Adalbero archiepisc. Remens. in Gesberti Epist., 122 ; ap. Bouquet, t. X, p. 394.

[106] L’histoire de la condamnation et de la réhabilitation d’Arnulphe, dont les principales sources se trouvent dans le tome X de Dom Bouquet, est fort bien racontée dans l’histoire des conciles de M. Hefele, et en abrégé dans l’ouvrage de M. Giesebrecht, t. I, p. 650.

[107] Dynterus parle de ce synode, t. I, p. 312.

[108] Richer, lib. IV, c. 41.

[109] Richer, lib. III. IV, c. 17.

[110] Richer, lib. III. IV, c. 19.

[111] Richer, lib. IV, c. 39.

[112] Richer, lib. IV, c. 47.

[113] Voir le dessin de cette pierre dans le tome 1er des Acta SS. Belg. selecta, p. 216, et dans la chronique de Flandre d’Oudegherst, publiée par Lesbroussart, t. I, p. 449. MM. Henri Martin et Giesebrecht semblent avoir ignoré l’existence de ce monument.

[114] C’est aussi l’opinion de Dynterus, t. I, p. 317-318.

[115] Apud Bouquet, t. X, p. 263.

[116] Histoire du Limbourg, t. I, p. 407, note.

[117] Anselme, t. I, p. 39 ; Dom Calmet, t. II, p. 39 ; De Marne, p. 112 des dissertations.

[118] Chifflet dit, contre toute vraisemblance, que Bonne était sœur de Godefroid d’Ardenne, dit le Vieux. (Vindiciæ Hispanicæ, c. IV.)

[119] L’Art de vérifier les dates.

[120] Histoire du Limbourg, t. I, p. 408.

[121] Leroy, Grand Théâtre sacré du Brabant, p. 5, dit qu’il mourut dans le célibat. Wassenbourg, p. 215, dit qu’il épousa Blanche, fille de Guillaume comte d’Arles.

[122] Sigebert. Gemblac., ad ann. 1005 ; Albericus trium font., ibid.

[123] Militia sacra Brabant., p. 69.

[124] Magn. Chron. belg.

[125] Il serait peut-être plus exact de dire qu’elle hérita d’une partie des domaines de son frère, c’est-à-dire de Bruxelles et de ses environs, de Vilvorde, de Tervueren, et d’une partie de la forêt de Soignes.

[126] D. Calmet, t. II, p. 39 ; De Vadder, p. 106.

[127] Ernst fait remarquer que cette épitaphe n’a pas l’air d’être de l’époque où Gerberge fut inhumée. (Mémoire sur les comtes de Louvain, p. 24.)

[128] Trophées de Brabant, liv. III, ch. 1er, p. 74 et suiv.

[129] V. la préface de l’Histoire du Hainaut par Jacques de Guise, publiée par le marquis de Fortia d’Urban.

[130] D’Archery, Spicilegium, t. II, p. 493.

[131] Miræus, Opera dipl., t. I, p. 363. Ernst cite ce passage décisif : Gerberga genuit Henricum seniorern comitem de Brussella. Henricus senior genuit Lambertum et Henricum fratrem ejus et Mathildem sororem ejus, etc. (Mémoire sur les comtes de Louvain, publié par M. Lavalleye, p. 25.)

[132] Grammaye, Namurcum, p. 84 ; Gaillot, Histoire de Namur, t. I, p. 93.

[133] D. Bouquet, t. X, p. 145.

[134] D. Bouquet, l. c., note a.

[135] Ernst, dans une note de son Histoire du Limbourg, t. I, p. 409, dit : C’est le sentiment de plusieurs écrivains français et même du P. Papi, ann. 990, n° 7, et de l’abbé Longuerue, Opuscul., t. II, p. 213, mais qui a été victorieusement réfuté par plusieurs savants français et allemands nommément par M. Senckenberg, au ch. 2 de ses Flores ad histor. german. et gallic. sparsi, dans les Selecta juris et histor., qu’il a publiés en 1735, t. III, p. 16-48.

[136] Ernst, Mémoire sur les comtes de Louvain, p. 32.

[137] Annal. Sax., ap. Eccard, Corp. histor. medii ævi, t. I, p. 493.

[138] Charte du 21 septembre 1062, rapportée par Butkens, Trophées de Brabant, t. I, p. 27, aux preuves.

[139] Hontheim, Historia Trevirensis diplomatica, t. I, p. 492.

[140] Hontheim, Historia Trevirensis diplomatica, t. I, p. 494. On lit encore dans une charte de confirmation donnée par Henri V en 1112 : De patrimonio suo Meylen scilicet in Brabant, Overhoven et Geneheiden. (Acta academ. Palat., n° 30, p. 126.)