HISTOIRE DES CAROLINGIENS

 

CHAPITRE VII. — DISSOLUTION DE L’EMPIRE.

 

 

§ 1. DES CAUSES DE LA DISSOLUTION DE L’EMPIRE.

Bien que chacun des trois royaumes formés par le traité de Verdun ait son histoire particulière, l’empire entier qu’ils composent a néanmoins encore pendant longtemps une histoire générale[1]. Un grand nombre de faits politiques, beaucoup d’événements, de calamités surtout se rapportent à l’une comme à l’autre des trois fractions. Les historiens modernes se sont beaucoup occupés des causes du démembrement de l’empire. On reconnaît en général, que sa durée devait nécessairement être éphémère, comme celle de toutes les grandes monarchies créées par la force des armes et la fortune d’un conquérant : car il faut infiniment plus de puissance et de sagesse pour maintenir l’unité dans les États qui ont été fondés de cette manière, que pour les constituer. Ces conditions de sagesse et de force nous avons déjà dit comment elles firent défaut dès le commencement du règne de Louis le Débonnaire ; on voit clairement, à dater de cette époque, que la monarchie va périr. Mais les savants se sont efforcés de préciser les causes de sa décomposition. M. Guizot, entre autres, s’y est spécialement attaché, dans ses Essais sur l’histoire de France et dans son Cours d’histoire moderne.

Après avoir réfuté Augustin Thierry, qui attribue le démembrement de l’empire à l’antagonisme des nationalités[2], M. Guizot tache d’expliquer ce fait par l’absence de tendances unitaires chez les peuples que Charlemagne avait réunis. Il nous semble que cette idée implique une certaine confusion de temps. Certes les peuples que Charlemagne avait réunis devaient avoir des tendances plutôt divergentes qu’unitaires ; mais leurs tendances pesaient fort peu dans la balance de la politique. Ce n’étaient pas les peuples qui étaient appelés à décider du sort de l’empire ; c’étaient les princes et les grands. Or, parmi ceux-ci la plupart étaient d’origine commune, quoique établis dans des contrées différentes, et ils devaient avoir un but commun. Si cependant l’assertion de M. Guizot était vraie ; s’il était démontré qu’il y eût chez eux, comme dans les peuples soumis à leur domination, absence de tendances unitaires, il resterait à savoir par quelles causes ces tendances auraient été anéanties : car il est constant que l’idée d’unité dominait encore les esprits immédiatement après le traité de Verdun. Une foule de circonstances le prouvent : ce sont d’abord les assemblées tenues par les trois frères rois à Juts, Judiacum, près de Thionville, et à Meersen près de Maëstricht ; c’est, ensuite, le recours que prennent les Gallo-Francs à Louis le Germanique, lorsque Charles le Chauve ne peut plus les protéger. L’élévation de Charles le Gros sur le trône impérial démontre encore que les nations[3] autrefois réunies sous le sceptre de Charlemagne et de Louis le Débonnaire se considéraient comme un seul peuple gouverné par plusieurs chefs.

Les guerres des trois fils de Louis ne furent entreprises également que pour rétablir l’unité politique. A cela tendait non seulement la politique de Lothaire, mais plus tard aussi celle de Charles le Chauve. C’était, il est vrai, une politique d’égoïsme et de convoitise ; mais son but était la restauration du grand empire de leur aïeul et de leur père. Les traités d’amitié et de fraternité que, de temps à autre, ils conclurent entre eux, par exemple à Meersen, en 847, n’avaient pas non plus d’autre but que la conservation de l’unité. Leurs tendances, au moins jusqu’à certain point, devaient être celles de leurs leudes, puisque ceux-ci les secondaient dans leurs entreprises et s’associaient à leurs serments d’alliance. Il n’est donc pas exact de dire qu’il n’y avait plus de tendances unitaires ; mais l’ambition de Charles le Chauve, qui passait toutes les bornes, l’entraîna à se servir de moyens mal choisis ; et ses frères et neveux furent obligés de le suivre dans cette voie. Non seulement on employa de part et d’autre, la fausseté, la corruption, la violence ; mais on fit jouer un ressort dangereux pour l’ordre monarchique même. Nous voulons parler de la féodalité naissante, dont les rois croyaient pouvoir se faire un instrument, et qui devint pour eux une cause d’abaissement et de faiblesse : car ils finirent par dépendre du bon vouloir de leurs vassaux, et ceux-ci ne tardèrent pas à sentir que le pouvoir n’était plus à la royauté, mais dans leurs propres mains. Le commencement de la féodalité fut plutôt un effet qu’une cause de la décadence carolingienne ; mais les seigneurs féodaux achevèrent l’œuvre, lorsqu’ils se virent eux-mêmes consolidés.

M. Waitz, le plus récent des auteurs qui ont écrit sur ce sujet, énumère et discute les faits qui, suivant lui, ont occasionné la dissolution de l’empire[4]. Il en trouve une première cause générale dans le caractère toujours persistant de la royauté franque primitive. Quoique fortifiée, cette royauté ne lui parait pas avoir été suffisante pour constituer et consolider un bon gouvernement et pour maintenir l’unité de la monarchie carolingienne. Il indique comme deuxième cause le système de la vassalité et des bénéfices, système qui rendit le chef de l’État dépendant du bon vouloir, c’est-à-dire, de l’intérêt et de l’égoïsme des bénéficiers et des vassaux. Il manquait, dit-il, au gouvernement de Charlemagne ce qu’il y avait de bon dans le principe centralisateur et administratif des Romains. L’élément politique romain était entièrement absorbé par l’élément germanique. L’unité et l’ordre ne reposaient que sur la force de volonté de l’empereur, laquelle était loin d’être despotique.

Cette appréciation peut être exacte relativement aux pays conquis. La condition des Francs s’y était considérablement modifiée ; ces guerriers conquérants, mêlés à l’ancienne aristocratie gallo-romaine, ne formaient plus un peuple libre, divisé par groupes, délibérant sur les affaires publiques dans ses plaids locaux, et apportant au roi ses dons annuels. Chaque individualité était devenue une puissance ou aspirait à l’être. La royauté n’était plus un objet de vénération, mais un sujet d’envie ou un instrument de fortune. Pour se maintenir dans ces conditions, nous sommes portés à croire avec M. Waitz que la royauté germanique était insuffisante, et que l’unité de l’empire exigeait un pouvoir plus fort ; mais, relativement à l’ancienne patrie des Francs, il serait peu juste de reprocher à Charlemagne de n’avoir pas fondé son gouvernement sur le principe centralisateur des Romains ; les instincts politiques de ce pays, qui tendaient à la fédération, ne furent que trop contrariés par l’établissement de l’empire.

La fusion de l’Église et de l’État, dit ensuite M. Waitz, loin de fortifier le pouvoir séculier ne fit que l’affaiblir. L’Église tendait à l’absorption de l’État, ce qui lui était d’autant plus facile qu’elle possédait une grande partie du territoire[5]. On oublie toujours ce que M. Guizot a si bien démontré que les évêques étaient les représentants des populations gallo-romaines. La séparation de l’Église et de l’État eût été, à cette époque, la rupture du lien qui unissait les deux grandes fractions de l’empire. Comment Charlemagne parvint-il à former ce lien et à l’empêcher de se briser ? Ce fut en associant l’Église au gouvernement de l’État. Qu’après cela l’absorption de l’État par l’Église ait été tentée avec plus ou moins de succès par l’aristocratie ecclésiastique, c’était la conséquence d’un ordre de choses inévitable, conséquence dont Charlemagne, tant qu’il vécut, sut empêcher la réalisation.

M. Waitz signale encore comme cause de la dissolution de l’empire les pouvoirs trop étendus accordés aux fonctionnaires publics. Leur double qualité de possesseurs des terres qui leur étaient concédées et de dépositaires des pouvoirs administratif et exécutif, leur donnait un commandement absolu sur leurs administrés ; les populations dépendaient bien plus d’eux que du chef de l’État. Le lien entre celui-ci et le peuple, qui ne le voyait que fort rarement, tendait à se relâcher de plus en plus. Dans les pays d’immunité, on avait entièrement soustrait les habitants au pouvoir du chef de l’État, en aliénant la juridiction aux possesseurs du territoire : les habitants de ces pays n’étaient plus que les sujets de leurs seigneurs. L’institution des missi dominici ne fut qu’un expédient, et ne suffit pas pour maintenir l’ordre et pour assurer l’exécution des lois. Enfin les assemblées nationales étaient mal organisées ; leurs rapports avec le pouvoir royal ou impérial étaient trop vagues et mal définis[6].

Malgré la suppression des duchés, il y avait toujours des seigneurs trop puissants, à cause de la grande étendue des pays gouvernés par les comtes. Dans les moments de crise et de perturbation, ils se conduisaient en souverains, visant à l’indépendance. Il arriva même, sous Louis le Débonnaire, par exemple, qu’ils firent la guerre avec succès au chef de l’empire[7]. Une autre cause de dissolution était l’antagonisme des nationalités, qui se développa en conséquence de la séparation des pays germaniques et gallo-romains, et de la formation des uns et des autres en États distincts. Les moyens employés pour maintenir néanmoins l’unité de l’empire n’étaient pas aussi forts que les tendances à une séparation complète. Enfin les partages qui eurent lieu depuis 817, et les secousses que produisirent les changements essayés par Louis le Débonnaire, achevèrent l’œuvre de destruction, couronnée par le traité de Verdun[8].

Tel est le résumé des opinions émises par M. Waitz sur les causes de la dissolution de l’empire. Suivant nous, la première de toutes les causes politiques de ce désastre fut la loi essentiellement défectueuse des successions. Cette loi fort ancienne, qui autorisait le partage de la monarchie, aurait dû s’entendre dans le sens d’une division gouvernementale et administrative, ne portant pas atteinte à l’unité ; mais elle fut appliquée de manière à diviser la souveraineté même. Il y avait dans la société, depuis Louis le Débonnaire, deux forces qui se combattaient incessamment : l’une, centripète, tendant vers l’unité, partait d’un bon principe, mais elle était toujours exploitée par celui des rois qui croyait pouvoir réaliser l’unité à son profit ; l’autre, centrifuge, recevait son impulsion des autres rois, qui voulaient être indépendants de celui qui portait la couronne impériale. L’intérêt donnait à chacune de ces deux forces des partisans. Du côté de la première se trouva toujours l’Église ; l’unité était son grand principe ; elle y était tellement attachée, qu’elle finit par rétablir l’unité de la société d’une autre manière, par la théocratie dite spirituelle et la hiérarchie.

Après le traité de Verdun, le mouvement de désorganisation prit le grand essor que l’on sait ; il amena la destruction non seulement de l’un des royaumes que ce traité avait créés, mais de tous en même temps. Cette destruction fut ce qu’on appellerait aujourd’hui la logique des faits : car les progrès de la décadence de la monarchie étaient constants et irrésistibles ; les essais de restauration, quand ils n’avortaient pas, ne pouvaient avoir que des résultats passagers. Il y avait une cause morale qui favorisait essentiellement la marche progressive de la dissolution : c’était la cupidité, commune à toutes les classes, cupidité qui elle-même n’était qu’un effet naturel de l’état social.

Quand on considère l’état de la société et de la civilisation dans la monarchie franque, depuis son origine, on conçoit facilement que l’empire de Charlemagne ait dû finir, comme l’histoire nous le montre, par une catastrophe. La population fut divisée dès le principe, et par le fait de la conquête, en deux grandes catégories. La première se composait des guerriers conquérants auxquels furent adjoints les Gallo-romains possesseurs de terres, Romani possessores, et le clergé. Cette catégorie tout entière ne produisait rien. Elle diffère de la seconde en ce que celle-ci vivait de travail matériel et devait en même temps pourvoir à la subsistance des seigneurs tant laïques qu’ecclésiastiques. Les hommes libres de l’un et de l’autre de ces ordres avaient besoin, pour jouir d’une existence réellement libre et confortable, du travail de leurs sujets, c’est-à-dire des serfs, des lètes et des tributaires de leurs domaines. Quant à l’ancienne classe des hommes libres cultivant leurs terres et travaillant pour faire subsister leurs familles, elle se maintint encore pendant quelque temps dans les contrées germaniques, mais elle finit par disparaître partout. Il n’y avait donc plus que des seigneurs et des esclaves, des riches et des pauvres.

La richesse, dans ce temps, consistait dans la possession des terres et des hommes qui y étaient attachés. Il n’y avait guère d’industrie ni de commerce un peu considérable. Les seigneurs propriétaires étaient des consommateurs improductifs, la plupart guerriers ; d’autres ecclésiastiques, voués au service du culte et affranchis par les lois mêmes de travaux matériels. Pour devenir riche, il fallait donc acquérir des terres, mais par quels moyens ? D’abord par la guerre : c’est pur elle, c’est-à-dire par la conquête, que les compagnons de Clovis et les guerriers faisant partie des expéditions de ses fils acquirent leur fortune. Ils devinrent seigneurs fonciers, en recevant leurs lots au partage des pays conquis. Ceux d’entre eux qui avaient fait du butin en argent ou autres choses de valeur, s’en servaient pour acheter des terres, ne fût-ce qu’un mansus. Plus on avait de territoire, plus on était riche et considéré. Le désir d’avoir des possessions étendues devait être un puissant stimulant pour les expéditions guerrières, car nous voyons que les vocations ne manquaient jamais à ces entreprises.

Il y eut des familles, comme celles de saint Arnulphe et des Pépins, qui se trouvèrent ainsi possesseurs de latifundia, c’est-à-dire d’un grand nombre de villæ, curtes, forestæ, etc., tout comme ces anciens Romains dont les latifundia perdirent l’Italie. Ces riches seigneurs formaient la classe des grands, avec les comtes et autres fonctionnaires qui avaient la jouissance des domaines appartenant aux rois. Il y en avait qui étaient propriétaires de villes, et qui y vivaient des ressources que leur procuraient les redevances des artisans, serfs ou demi-libres. On conçoit du reste que cette classe d’hommes libres aspirait à une vie aussi agréable et à une indépendance personnelle aussi large que possible.

Une deuxième source de richesse territoriale était celle des donations. Celle-ci parut d’abord réservée à l’usage exclusif du clergé : les évêchés, les abbayes devinrent par ce moyen de riches établissements fonciers, de véritables seigneuries. Mais les guerres de famille entre les rois Mérovingiens eurent pour effet d’enrichir aussi les partisans de ces rois, leurs leudes, par des actes de libéralité. On a vu que les Mérovingiens, à force de donner, finirent par être tout à fait pauvres ; ils se laissèrent supplanter par les Optimales qu’ils avaient enrichis, et perdirent ainsi jusqu’à leur couronne. Charles Martel et Pépin le Bref ne furent pas aussi imprudents ; ils trouvèrent plus convenable de donner à leurs guerriers la jouissance seulement, non de leurs propres domaines, mais de terres qui appartenaient à l’Église. Quant à Charlemagne, il fut toujours, par l’effet de ses conquêtes, dans le cas de pouvoir enrichir ses fidèles soit par des donations d’alleux, soit par des concessions de bénéfices. Ce genre de possession était presque aussi avantageux que la pleine propriété, car il donnait tous les droits seigneuriaux, au moins pendant la vie du gratifié.

Les guerres que Louis le Débonnaire eut à soutenir contre ses fils, les guerres que ceux-ci se firent entre eux,devinrent des sources de richesses pour ceux qui combattaient dans les rangs du parti vainqueur, mais des causes de ruine pour les vaincus. Nous savons, par exemple, que Charles le Chauve, pour s’attacher des partisans, se dépouilla peu à peu de la majeure partie de ses domaines ; mais d’autre part nous savons aussi que le premier acte d’un roi victorieux était de priver les vaincus de leurs bénéfices, sinon de confisquer leurs alleux. Aussi voyons-nous que beaucoup d’hommes libres étaient peu fortunés, même pauvres. Obligés de vivre sur les terres d’autrui, ils devenaient d’abord colons libres, mais bientôt on les traitait à l’instar des serfs. La plupart se faisaient sujets des monastères, en leur abandonnant leurs propriétés, qu’ils reprenaient à titre de précarie.

La cupidité des chefs militaires était si insatiable que Charlemagne, Louis le Débonnaire, ses fils et petits-fils furent obligés de donner des abbayes en usufruit à leurs comtes et autres seigneurs pour les récompenser ; ils les firent abbés-comtes, abbacomites, malgré les protestations et les récriminations de l’épiscopat. Il est certain que déjà à l’époque du traité de Verdun, le territoire des trois royaumes était en majeure partie dans les mains de grands seigneurs laïques et militaires et dans celles des évêques et des abbés. Quant aux hommes simplement libres, ils avaient fait leur temps, dit avec raison M. Himly, le système des alleux avait de plus en plus fait place à celui des bénéfices. Dans ce naufrage général de l’ordre de choses primitif de la société franque, il n’était resté debout, outre la royauté, que la double aristocratie du clergé et de la noblesse ; qu’il voulût ou non, c’était sur ces deux éléments qu’il fallait que Charlemagne constituât son empire. Il le fit en effet, et toute son administration reposa sur l’emploi simultané des évêques et des comtes. Partout et toujours, pendant son règne, en administration, en justice, en ambassade, en guerre, ces deux immuables serviteurs de la volonté impériale marchent côte à côte et agissent de concert. Nous les trouvons comme missi, chargés d’examiner l’état des peuples, d’entendre leurs plaintes, de vérifier leurs réclamations. Nous les retrouvons comme membres des plaids, éclairant la décision de l’empereur de leurs lumières et de leurs connaissances locales[9].

Cette importance donnée à la double aristocratie militaire et ecclésiastique ne servit qu’à affermir le pouvoir des évêques et des leudes, et fit naître dans les esprits une tendance qui devint bientôt générale et irrésistible vers le morcellement et la décentralisation. La classe vulgaire des hommes libres, abstraction faite des grands, était trop exiguë pour pouvoir soutenir les rois. Ceux-ci se trouvaient par cela même dépendants des chefs militaires qui les suivaient lorsqu’il y avait espoir de s’enrichir par des concessions bénéficiaires ; mais cet espoir, sa réalisation même, leur parurent bientôt insuffisants, ils voulurent conserver ce qu’ils acquéraient ainsi, et le transmettre à leurs héritiers.

L’hérédité des bénéfices s’introduisit peu à peu par la coutume, jusqu’à ce que Charles le Chauve — celui des rois qui fut le plus dépendant de ses leudes à cause de ses entreprises réitérées —, se vit obligé de déclarer les comtés mêmes transmissibles aux héritiers des comtes. En 877, le système féodal fut fait et consolidé pour toujours dans le royaume occidental des Francs. Il s’acheva vers le même temps dans la Lombardie, et puis successivement dans tous les royaumes issus de l’empire carolingien.

Le partage de cet empire fut lui-même, comme nous l’avons démontré, l’élément le plus actif de sa dissolution. Un poète du neuvième siècle, Florus, l’a dit avec raison : Au lieu d’un vrai et grand roi, l’on n’eut plus que des roitelets[10]. Ces monarques, dont la puissance s’affaiblissait de plus en plus, devaient tomber comme avaient fait les Mérovingiens.

Il est assez inutile de s’enquérir des autres causes qui ont pu contribuer à la décadence et à la chute des Carolingiens. La marche naturelle et dissolvante du développement social, telle que nous venons de la décrire, contient à elle seule la solution du problème. Dans tous les cas, les autres causes n’ont pu être que secondaires. Telles furent d’abord les invasions des peuples barbares ; en second lieu les rivalités des Carolingiens entre eux, et surtout l’ambition de Charles le Chauve, toujours enclin à annexer à son royaume l’une ou l’autre partie des États de ses frères. Cette dernière cause deviendra évidente par les récits des événements qui amenèrent la chute de la dynastie. Jetons d’abord un coup d’œil sur les invasions normandes.

 

§ 2. INVASIONS DES NORMANS.

Le tableau que nous venons de tracer de la dissolution de l’empire serait incomplet, si nous omettions d’y faire figurer les invasions des Normans[11]. De toutes les entreprises de cette nature tentées par les barbares, celles des hommes du Nord furent les plus fréquentes et les plus terribles. Sous la dénomination de Normans on désigne en général les Danois, les Suédois, les Norvégiens, tous les peuples scandinaves. C’est cette forte race d’hommes qui aujourd’hui encore fournit les marins les plus robustes et les plus intrépides. Depuis longtemps déjà l’on avait vu les pirates du Nord faire des excursions sur les côtes de la Gaule ; mais ces courses désordonnées commencèrent a prendre un caractère politique vers la fin du règne de Charlemagne.

Les peuples de ces contrées septentrionales avaient conçu une antipathie très vive contre la religion chrétienne que Charlemagne et Louis le Débonnaire avaient voulu leur faire adopter, et surtout contre les prêtres chrétiens, qui avaient essayé de s’introduire dans leur pays. Ce sentiment de haine, joint à la certitude de trouver des richesses dans les couvents et les églises, explique le pillage et la dévastation de tous les établissements religieux qu’ils rencontrèrent sur leur passage.

Il faut se rappeler aussi qu’un grand nombre de Saxons, poursuivis par les Francs, s’étaient enfuis vers le Nord ; Witikind lui-même, le chef illustre de cette nation, avait cherché un refuge chez les Normans. Charlemagne, irrité par des insurrections continuelles, qui avaient leur foyer dans le Jutland, se laissa entraîner au delà de l’Elbe et porta la guerre jusque sur le territoire danois. À dater de cette époque, les princes du Nord semblent avoir pris la résolution de se venger de cet empire qui menaçait d’embrasser l’Europe entière dans ses limites. Ce qui n’était d’abord que piraterie, désir d’aventures et de lucre, se transforma en hostilités implacables. Les Normans ou Danois n’attendirent point que l’empire fût tombé en décomposition pour l’attaquer ; ils commencèrent à le battre en brèche lorsqu’il était encore dans toute sa force et sa splendeur.

Nous ne nous occuperons pas des premières expéditions que firent les pirates Normans sur les côtes de Flandre et même sur les côtes méridionales de France ; rien ne prouve que ces expéditions particulières eussent un rapport direct avec les desseins des princes danois. Cependant Charlemagne, dès l’année 800, y vit un symptôme de danger assez grand, pour se mettre en mesure d’y résister. Il partit d’Aix-la-Chapelle vers le milieu de mars, dit Eginhard, parcourut les rivages de l’Océan gallique, établit une flotte dans ces parages que les Normans infestaient alors de leurs pirateries, et disposa des garnisons sur la côte[12].

La suite des événements prouva que ces précautions n’étaient pas inutiles. Godfrid, roi des Danois, ayant tenté vainement, en 808, d’envahir par la voie de terre le pays des Saxons, qui faisait partie de l’empire, prit le parti d’attaquer ce colosse par les voies maritimes. Charlemagne, qui était à Aix-la-Chapelle, se disposait à aller faire une campagne contre lui, lorsqu’il apprit que les Normans avaient abordé en Frise avec une flotte de deux cents vaisseaux et ravagé toutes les îles du littoral ; que leur armée s’était même avancée sur le continent et qu’ils avaient livré aux Frisons trois combats ; que, vainqueurs, ils avaient imposé un tribut aux vaincus, et que déjà les Frisons avaient, comme tributaires, payé cent livres d’argent ; que, quant au roi Godfrid, il était resté dans ses États[13].

Cette expédition est un événement extrêmement grave dans l’histoire des Francs ; les historiens n’y ont pas attaché assez d’importance, nous semble-t-il. C’était au cœur même de l’empire que les Normans venaient porter la guerre ; ils se disposaient à marcher sur Aix-la-Chapelle. Le roi Godfrid, dit Éginhard, allait jusqu’à se promettre l’empire de toute la Germanie ; il regardait la Frise et la Saxe comme des provinces qui lui appartenaient. Déjà, après avoir soumis les Abodrites ses voisins, il les avait rendus ses tributaires et il disait même hautement qu’Aix-la-Chapelle, où le roi tenait sa cour, le verrait bientôt arriver avec une armée formidable. Quelque vaines que fussent ces menaces, ajoute le même auteur, on n’était pas entièrement éloigné d’y croire, et l’on pensait même qu’il aurait tenté quelque chose de semblable s’il n’eût été prévenu par une mort prématurée[14].

Ce qui prouve combien l’invasion de la Frise par les Dormans était sérieuse, c’est que Charlemagne partit immédiatement d’Aix-la-Chapelle et passa de l’autre côté du Rhin, où il attendit que ses troupes fussent arrivées. Lorsque son armée se trouva réunie, il se porta à marches forcées sur l’Aller, dressa son camp au confluent de cette rivière avec le Weser, et attendit l’effet des menaces de Godfrid, qui se targuait de vouloir combattre l’empereur en bataille rangée[15].

Cette affaire si grave se termina d’une manière bien simple et bien imprévue, si l’on en croit les chroniques. Godfrid fut assassiné par un des siens, et la flotte normande se retira des côtes de Frise. Mais il est évident que nous ne savons pas tout. Une pareille entreprise ne se dissipe pas ainsi comme un brouillard du matin. La mort violente du roi Godfrid indique seule l’existence d’une intrigue politique, dont on chercherait vainement aujourd’hui à ressaisir le fil. Ce qui se passa après la mort de Godfrid le prouve également. Ce fut un de ses neveux qui lui succéda au détriment de ses fils, qui furent exilés. Hemming, fils de son frère, dit Éginhard, le remplaça sur le trône et fit la paix avec l’empereur[16]. Remarquons que la paix était arrêtée entre Charlemagne et Hemming, lorsque des conférences furent ouvertes sur les bords de l’Eyder, entre douze comtes de la nation des Francs et douze des principaux personnages danois[17]. Parmi ces derniers se trouvaient les frères de Hemming, et pas un des fils de Godfrid. Il s’agissait, dans cette réunion, de confirmer la paix suivant les formes usitées à cette époque, et d’en régler définitivement les conditions.

Charlemagne, qui veillait à la sécurité de l’empire avec autant d’intelligence que d’activité, continua les préparatifs de défense qu’il avait commencés dès avant l’expédition de Godfrid. Il avait ordonné, l’année précédente, de construire une flotte ; voulant l’inspecter lui-même, il se rendit à Boulogne, où les vaisseaux étaient rassemblés. Il restaura le phare qui avait été autrefois établi dans ce port et fit allumer au sommet un fanal nocturne[18]. De là il se dirigea vers les bords de l’Escaut, et vint à Gand, où il inspecta également les navires construits pour la même flotte[19]. Si l’on en croit les annales de Metz[20], Charlemagne aurait vu de Gand les vaisseaux des Normans, et l’on en a conclu que cette ville devait être à cette époque un port de mer. Bien certainement les eaux de l’Escaut étaient alors beaucoup plus considérables qu’elles ne sont aujourd’hui, et l’effet de la marée montante devait être plus sensible. Il n’est donc pas invraisemblable que des pirates danois aient pu remonter le fleuve et se trouver en vue de Gand, lorsque Charlemagne visita ce port ; mais Eginhard, qui raconte aussi cette visite de Charlemagne à Gand, n’en dit pas un mot ; ce qui permet de penser que, si le fait est vrai, il était considéré comme étant sans importance.

Au reste, la paix avec le nouveau roi des Danois était parfaitement établie et consolidée. Charlemagne, en rentrant à Aix-la-Chapelle, y trouva les députés d’Hemming, qui vinrent à sa rencontre, lui apporter les présents de leur maître[21]. Mais peu de temps après, le roi Hemming cessa d’exister. Il y eut alors eu Danemark une guerre intestine pour la succession au trône, entre les neveux du roi Godfrid et ceux du roi Hériold ; ces derniers l’emportèrent. Hériold et Reginfrid, proclamés rois des Danois, envoyèrent une ambassade li l’empereur, pour demander la paix et le prier de leur rendre leur frère Hemming. L’empereur accéda il leur désir ; il envoya quelques personnages de distinction, choisis parmi les Francs et les Saxons, vers les limites du pays des Normans. Les Danois, de leur côté, envoyèrent au lieu désigné un nombre égal des principaux de leur nation ; on prêta serment de part et d’autre ; la paix fut confirmée et le frère des rois danois leur fut rendu par les Francs[22].

Hériold et Reginfrid ne régnèrent pas longtemps. Lis fils du roi Godfrid, de celui qui avait entrepris de faire la guerre à Charlemagne, s’étaient retirés en Suède. Ils profitèrent d’un moment où les nouveaux rois s’étaient rendus avec une armée dans le Westerfulde[23], la contrée la plus reculée de leurs États, pour rentrer dans le royaume. Les habitants de toutes les parties du Danemark accoururent en foule sous leurs drapeaux ; ils marchèrent contre les deux rois et n’eurent pas de peine à les chasser du pays.

L’année suivante, Hériold et Reginfrid rassemblèrent de nouvelles forces pour aller reconquérir la couronne qu’ils avaient perdue. Reginfrid perdit la vie dans cette entreprise ; l’aîné des fils de Godfrid fut également tué.

Hériold, resté seul prétendant, s’adressa à l’empereur pour lui demander des secours. Il se recommanda entre ses mains, c’est-à-dire qu’il abdiqua son indépendance et devint le fidèle du maître[24]. Charlemagne n’existait plus alors ; mais sa politique lui avait survécu, quoique avec des allures moins vives, moins décidées. Louis le Débonnaire reçut l’acte de soumission du prince danois, et l’année suivante il envoya une armée contre les Normans, pour le rétablir sur le trône de Danemark. Cette armée parvint jusqu’à l’extrémité du Jutland ; mais elle ne put atteindre les fils de Godfrid, qui s’étaient retirés avec leurs troupes dans une des îles scandinaves, sous la protection d’une flotte de deux cents navires.

Cette guerre dura plusieurs années. En 817, les fils de Godfrid, fatigués de la lutte, envoyèrent une ambassade à l’empereur pour lui demander la paix, promettant de l’observer fidèlement. Leur proposition fut rejetée, et l’on envoya de nouveaux secours Hériold. De leur côté, les Danois firent entrer leur flotte dans l’Elbe ; elle remonta le fleuve jusqu’au château d’Essefeld, aujourd’hui Itzehoe, dans le Holstein, et ravagea toute la rive de la Stoer. Se voyant dans l’impossibilité de l’emporter par la force, Hériold eut recours à l’intrigue. Il s’entendit avec deux des fils de Godfrid, pour partager l’autorité et expulser les deux autres, qui occupaient le trône. Eginhard, qui fait mention de cette intrigue, rapporte que, sur l’ordre de l’empereur, Hériold fut reconduit jusqu’à ses vaisseaux, et qu’il se dirigea par mer vers son pays, dans l’espoir d’en reprendre le gouvernement[25] ; mais il ne dit pas quel fut le résultat de l’expédition.

Il est vraisemblable qu’Hériold commença par échouer dans son entreprise, car nous voyons, en 820, treize vaisseaux de pirates, partis du pays du Nord, essayer de piller les côtes de Flandre. Ils furent repoussés, dit Eginhard, par ceux qui tenaient garnison dans le pays ; cependant la négligence des gardes fut cause qu’ils bridèrent quelques chaumières et enlevèrent un peu de bétail. Ils firent les mêmes tentatives à l’embouchure de la Seine, et sur les côtes de l’Aquitaine, oh ils ravagèrent entièrement le bourg de Bouin, dans l’île de ce nom. Ils retournèrent dans leur pays, chargés d’un butin considérable[26].

Cependant un arrangement intervint entre Hériold et les fils de Godfrid ; il fut admis à partager l’autorité avec eux, c’est-à-dire qu’ils lui cédèrent une partie de Jutland[27]. Eginhard attribue à cet arrangement la paix qui s’établit en 821 ; nous voyons en effet que, l’année suivante, des ambassadeurs normands viennent, au nom d’Hériold et des fils de Godfrid, se présenter à l’empereur, dans l’assemblée générale tenue à Francfort. Mais en 823, Hériold lui-même et seul se rend à l’assemblée de Compiègne pour solliciter des secours contre les fils de Godfrid, qui menaçaient de le chasser de ses États. La bonne harmonie était donc rompue, et il n’est pas difficile d’en pénétrer la cause, quand on voit revenir en même temps du Danemark le célèbre archevêque Ebbo, frère de lait de l’empereur Louis.

On s’était flatté d’introduire le christianisme en Danemark, à la suite du prince qui s’était soumis à la suzeraineté de l’empereur. Ebbo était allé à Rome, en 822, prendre une commission du pape pour prêcher l’évangile aux Normans[28] ; il s’était ensuite rendu dans le Jutland avec Hériold ; il avait converti et baptisé un certain nombre d’habitants de ce pays. Mais les espérances qu’on avait fondées sur ses prédications et sur la conversion de quelques-uns des Danois, ne tardèrent pas à s’évanouir ; la haine du christianisme se réveilla plus forte que jamais dans la masse de la population ; Ebbo fut chassé, et Hériold lui-même obligé de prendre la fuite.

Cependant il ne paraît pas que la guerre fût immédiatement reprise contre les fils de Godfrid. Leurs ambassadeurs figurent à l’assemblée générale d’Aix-la-Chapelle en 825 ; Éginhard dit même que l’empereur leur donna audience, et qu’au mois d’octobre suivant il fit ratifier, sur la marche de leur territoire, la paix qu’ils avaient demandée. L’année suivante, 826, nous retrouvons encore les ambassadeurs des fils de Godfrid à l’assemblée d’Ingelheim ; et cette fois Éginhard dit qu’ils venaient demander à l’empereur un traité de paix et d’alliance. La paix n’était donc pas définitivement conclue ; mais il n’y avait pas non plus d’hostilités flagrantes ; on négociait. Il est remarquable que pendant toute la durée de cette espèce d’amnistie, les chroniques ne font mention d’aucun acte de piraterie exercé par les Normands sur les côtes de l’empire ; ce qui prouve bien qu’à peu d’exceptions près, les expéditions qu’on a attribuées à des pirates normands, étaient, dans le principe, des actions de guerre. Les pillages, les incendies, les excès de toute espèce dont ces actions furent accompagnées n’en changent pas la nature. La guerre ne se faisait pas autrement à cette époque ; c’est ainsi qu’avaient opéré Charlemagne et ses prédécesseurs, Charles Martel et autres. La seule différence qui distingue, sous ce rapport, les Normans des Francs, c’est que ceux-ci envahissaient par terre les pays voisins, tandis que les Normans y venaient par mer.

Au mois d’octobre de cette année 826, Hériold qui n’avait plus guère de chance de rentrer en Danemark, se décida à embrasser le christianisme. Il se rendit à Mayence avec sa femme et une suite nombreuse de Danois ; ils y furent tous baptisés en grande pompe dans l’église de Saint-Alban, comme nous l’avons déjà dit plus haut. A cette occasion Hériold fut comblé de présents par l’empereur, qui lui donna le comté de Rustringen, sur la rive gauche du Weser, dans la Frise orientale. C’était une retraite que Louis le Débonnaire voulait lui assurer, pour le cas où il ne parviendrait plus à remonter sur le trône du Danemark. Plus tard Hériold eut, en outre, le gouvernement de Dorestadt, Wyk- te-Duurstede ; son frère Hemming eut celui de eut de Walcheren, et son autre frère Roric, le gouvernement du pays de Kennemar[29]. Les trois frères devaient défendre les côtes de cette partie de l’empire.

En 827, l’empereur alla tenir une assemblée générale à Nimègue, tout exprès pour y recevoir Horik, l’un des fils de Godfrid, qui avait promis de s’y présenter. Il espérait sans doute en obtenir un consentement à la restauration d’Hériold ; mais le prince danois ne vint pas, et l’on apprit que les fils de Godfrid persistaient dans leur résolution de ne plus admettre Hériold au partage du royaume. Cependant les négociations ne furent pas encore rompues ; on se borna à les faire appuyer par des préparatifs menaçants. Au printemps de l’an 828, les comtes de presque toute la Saxe se réunirent aux comtes des marches sur la frontière du Danemark ; un traité de paix fut conclu et même garanti par des otages ; mais Hériold, soit qu’il fût trop pressé d’agir, comme dit Éginhard[30], soit qu’il fût mécontent des clauses du traité, porta le pillage et l’incendie dans quelques villages danois. A cette nouvelle, les fils de Godfrid rassemblent des troupes à la hâte, s’avancent dans la marche, et traversant l’Eider, attaquent à l’improviste les Francs et les Saxons, campés sur les rives de ce fleuve, les chassent de leurs retranchements et les mettent en fuite.

Après cet exploit, qui avait été provoqué par la conduite d’Hériold, les fils de Godfrid s’empressèrent d’envoyer une ambassade à l’empereur pour lui exposer les faits, et lui offrir les réparations qu’il croirait juste d’exiger d’eux, protestant de leur désir de conserver la paix avec les Francs[31]. Aucune résolution ne fut prise... On a déjà pu voir combien Louis le Débonnaire affectionnait la politique d’atermoiement ; mais l’année suivante, 829, on apprit que les Normans s’apprêtaient à envahir les contrées de la Saxe situées au delà de l’Elbe, et que l’armée qu’ils avaient réunie dans ce but s’approchait des frontières. Alors l’alerte fut donnée ; l’empereur envoya des émissaires dans toutes les parties de ses États, et ordonna à toute la nation des Francs de lui fournir des hommes d’armes, annonçant qu’il traverserait le Rhin à Neuss, vers le milieu de juillet. Mais on sut bientôt que cette prétendue invasion des Normans n’était qu’un vain bruit, et la politique de Louis rentra dans son ornière.

Ici se termine la série des renseignements donnés par Éginhard. Il est à regretter qu’elle n’aille pas plus loin, car ces renseignements jettent un grand jour sur l’origine et la nature des invasions normandes. On a trop généralisé, lorsqu’on a représenté ces invasions comme n’ayant d’autre but que la piraterie ; elles furent,en premier lieu, une suite naturelle de la guerre entreprise par le roi Godfrid et continuée par ses fils. Leur but était de jeter la terreur au sein de l’empire et de le rendre incapable de poursuivre son mouvement d’extension vers le nord. Que plus tard ces expéditions aient dégénéré en piraterie, on ne saurait guère le contester ; ce fut une conséquence des succès obtenus par les Normans, de l’état de décomposition dans lequel tomba l’empire, et de cette circonstance particulière que les rois Danois n’avaient pas entendu faire une guerre de conquête, et qu’ils ne fondèrent point d’établissements dans la Gaule.

Après les Annales d’Éginhard, nous n’avons plus pour nous guider que des chroniques d’abbayes, rapportant les faits locaux avec exactitude, mais pleines d’erreurs et de fables sur les faits généraux et surtout sur les choses politiques. Nous n’essayerons pas de les suivre dans des détails dont l’importance relative est minime et qui d’ailleurs ont été recueillis par Depping[32]. Nous nous bornerons à constater les principaux résultats des opérations de guerre proprement dites. C’est en 830 seulement, après la rupture de toutes les négociations de l’empereur avec les fils de Godfrid, que les hostilités commencent d’une manière sérieuse. Les Normans descendent alors sur la côte de Frise et dans l’île de Noirmoutier, vers l’embouchure de la Loire. En 841, ils entrent dans la Seine ; en 844, dans la Garonne.

Les premières expéditions des Normans furent dirigées vers les pays gouvernés par Hériold et ses frères, ces anciens ennemis de la famille de Godfrid. Ils vinrent débarquer, en 837, dans l’île de Walcheren ; Eggihard, comte du pagus, et Hemming, frère d’Hériold, voulurent s’opposer à leur débarquement, mais l’un et l’autre furent tués dans le combat. Les Normans ravagèrent le pays d’Utrecht, Dorestadt, Anvers et Wilta, La Brielle, à l’embouchure de la Meuse[33].

Ceux qui étaient descendus dans l’île de Noirmoutier entrèrent dans la Loire ; ils prirent d’assaut la ville de Nantes, et étendirent leurs ravages au loin, sans rencontrer d’obstacles. Mais les Normans qui pénétrèrent dans la Garonne eurent à combattre le duc de Gascogne, Tortile, qui marcha contre eux. La victoire resta de leur côté, et Tortile fut mis en fuite. Ils parcoururent toute la Gascogne, et poussèrent leurs excursions jusqu’à Tarbes et Toulouse. La première de ces villes avait une forteresse, résidence des ducs de Bigorre ; la ville était d’ailleurs entourée de murs et de fossés ; cela ne l’empêcha point d’être prise et saccagée. Toulouse et Périgueux eurent le même sort. Les Normans remontèrent le cours de la Charente jusqu’à Limoges ; puis revenant dans la Garonne, ils pillèrent Bordeaux de fond en comble et la livrèrent aux flammes.

C’est dans la Seine que se passèrent les plus grands événements de cette époque. Déjà en 841 une flotte de Normans était entrée dans ce fleuve, avait surpris et saccagé Rouen et détruit tous les monastères établis sur les deux rives depuis Rouen jusqu’à la mer. En 845, cent vingt navires Norvégiens, conduits par le célèbre Ragner-Lodbrog, remontent le cours de la Seine d’abord jusqu’à Charlevanne, et puis jusqu’à Paris. Les troupes du roi viennent les attaquer dans le premier de ces lieux ; elles sont battues[34], et s’en vont couvrir l’abbaye de Saint-Denis, où Charles le Chauve est fort heureux de trouver un refuge. Si l’on en croit Depping, cette abbaye était la place la plus forte du royaume, et les faits viennent à l’appui de son assertion : car les Normans prirent Paris, pillèrent la cité, ainsi que les monastères de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain, et ils ne firent aucune tentative contre Saint-Denis. Il est vrai que le péril fut conjuré à prix d’argent. Le roi Charles entra en négociation avec le chef des Normans, qui vint à Saint-Denis, accompagné de ses lieutenants. Il fut convenu qu’on lui payerait une somme de sept mille livres pesant d’argent, moyennant quoi il consentait se retirer[35].

Quand Lodbrog rentra dans son pays, rapportant les dépouilles de la Neustrie, étalant des débris du toit de Saint-Germain et jusqu’aux serrures des portes de Paris, il y eut Pète à la cour du roi Horik[36], ce qui prouve une fois de plus qu’il y avait dans ces expéditions autre chose que de la piraterie ; que c’était, comme nous l’avons déjà dit, une guerre de puissance à puissance. Les pirates ne prennent pas des villes d’assaut, ne livrent pas des batailles, ne défont pas des muées. Cette lutte est d’ailleurs caractérisée par un acte solennel, le conventus apud Marsnam : les rois Francs réunis à Meersen, en 847, y décident qu’ils enverront des députés au roi Horik, pour lui demander la paix[37]. On voit que depuis Charlemagne les temps étaient bien changés. Horik ne répondit à la proposition des petits-fils de ce grand homme, qu’en envoyant une flotte dans l’Elbe pour déraciner le christianisme, brûler les églises bâties par saint Anschaire et expulser les missionnaires chrétiens[38].

Les Normans qui participèrent à la dévastation de la Gaule n’étaient pas tous sujets du roi Horik. Plusieurs expéditions eurent lieu sous le commandement d’Hériold et des princes de sa famille, qui avaient été expulsés du Danemark. Ces expéditions étaient parties des contrées maritimes que l’on confond habituellement sous le nom de Frise. Cependant la Frise elle-même paraît avoir été pillée et ravagée plusieurs fois pendant la période normande. C’est une partie de l’histoire sur laquelle il règne une obscurité que Depping n’a pas réussi à dissiper ; niais de l’ensemble des données historiques qu’il a recueillies on peut, nous semble-t-il, déduire les faits suivants :

Hériold et son frère Borie, à qui Louis le Débonnaire avait cédé une partie de la Frise, voulurent profiter du désordre général de l’empire, pour étendre leur domination sur les contrées voisines, notamment sur le littoral de la Flandre. Dès l’an 846, les abbayes de Saint-Pierre et de Saint-Bavon à Gand furent menacées de leurs incursions, et les religieux durent chercher un refuge à Saint-Omer, qui était une place fortifiée. Le monastère de Saint-Bavon fut détruit et brûlé en 861[39]. Ce sont probablement ces expéditions qui indisposèrent contre la famille d’Hériold le roi Lothaire. Il la fit chasser du pays et remplacer par des comtes francs. Hériold fut tué ; mais Roric et un fils d’Hériold, nommé Godfrid, parvinrent à armer quelques navires et à rassembler des forces suffisantes pour rentrer dans leurs possessions. Cette espèce de guerre civile fut nécessairement funeste aux habitants ; Dorestadt, qui était la localité principale, fut prise et reprise plusieurs fois ; le pays entier fut ravagé.

Mais là ne se bornèrent point les exploits des successeurs d’Hériold. Roric entre dans la Loire, en 851 : Nantes est reprise et saccagée pour la seconde fois ; Angers succombe ensuite. Il va assiéger le Mans et envoie un gros détachement contre Tours ; cette ville n’est sauvée que par l’effet d’un débordement subit de la Loire et du Cher. L’année suivante Godfrid entre dans la Seine ; Lothaire et Charles réunissent leurs forces pour le chasser, mais vainement ; il y reste jusqu’au mois de juin 853[40], et il n’en sort que pour aller rejoindre borie dans la Loire. La dévastation s’étendit alors dans la haute Bretagne, l’Anjou, le Maine, le Poitou, la Touraine. Nantes, Angers et Tours furent livrées aux flammes.

Après la mort de Lothaire, son fils Lothaire II, cédant à la nécessité, renonça, en faveur de borie et de Godfrid, à la partie de la Frise qu’ils occupaient, y compris sans doute les annexions qu’ils y avaient faites[41]. Mais alors revinrent les Normans, qui étaient toujours les ennemis de la famille d’Hériold. Ils envahirent la Frise à leur tour ; Dorestadt fut encore une fois saccagée ; Utrecht et la province de Hollande eurent également à souffrir de cette incursion. Ils allèrent ensuite porter la terreur dans d’autres pays, sur les rives de la Seine ou de la Loire.

Cette concurrence entre les Normans du Nord et les Normans de la Frise, qui se combattaient mutuellement, jette une confusion étrange dans les récits des chroniqueurs. La confusion augmente encore après la mort du roi Horik, qui fut détrôné et tué, à ce qu’il paraît, par une faction ennemie. Ou ne distingue plus, à dater de cette époque, le but politique de la guerre ; les chefs des diverses expéditions paraissent agir pour leur propre compte, abstraction faite des intérêts de leur pays, et ne chercher qu’à acquérir des richesses ; en un mot la qualification de pirates, que l’histoire leur a donnée, devient une vérité.

Nous ne pousserons pas plus loin, pour le moment, le récit des expéditions normandes, le cadre de ce mémoire ne nous permettant pas de nous étendre longuement sur ce qui est étranger à l’histoire de la Belgique. Toutefois, nous aurons occasion de revenir à ce sujet, lorsque nous parlerons de la grande invasion de l’an 879, de l’occupation de notre pays, pendant plusieurs années, par les hommes du Nord, et enfin de leur expulsion et de la bataille de Louvain de 891.

 

§ 3. GUERRES INTESTINES.

Nous avons indiqué comme causes secondaires de la décadence de l’empire, outre les invasions des Normans, les rivalités des fils de Louis le Débonnaire et surtout l’ambition de Charles le Chauve. Il nous suffira d’exposer brièvement les faits pour faire voir combien leur coïncidence avec les invasions normandes dût contribuer à la catastrophe.

On se rappellera sans doute qu’en 839, Louis le Débonnaire avait donné l’Aquitaine à son fils Charles, et que la majorité des seigneurs du pays prêta serment au jeune roi[42]. Mais les fils de Pépin (Pépin II et Charles) y avaient toujours leurs partisans. A la mort de Louis, avant la bataille de Fontenai, Pépin avait essayé de s’emparer de l’Aquitaine. Bien qu’il ne réussit pas tout à fait, il demeura néanmoins en possession d’une partie du pays. Vainqueur de Charles le Chauve au siége de Toulouse, en 844, il obtint de celui-ci , l’année suivante, qu’il lui abandonnât le royaume d’Aquitaine, à l’exception du Poitou, de la Saintonge et de l’Angoumois, que Charles fit gouverner par un duc[43].

Pépin s’étant rendu odieux aux Aquitains, Charles est rappelé en 848, mais abandonné deux ans après. Pépin rétabli s’associe aux Normans et même aux Sarrasins d’Espagne. Cela ne l’aide guère à se consolider, car déjà en 852, les Aquitains retournent sous la domination de Charles le Chauve. Pépin se réfugie alors auprès de Sanche, duc de Gascogne ; mais il est livré à son ennemi, qui le fait enfermer au couvent de Saint-Médard, à Soissons[44]. Son frère Charles avait subi le même sort dès l’an 848 : retenu d’abord à la cour de Lothaire d’où il s’était évadé, il avait été tonsuré et enfermé à Corbie.

En 8133, les Aquitains sont déjà fatigués de Charles le Chauve ; ils appellent Louis, fils du Germanique, qu’ils abandonnent aussitôt. Les deux fils de Pépin Ier, échappés de leur prison, reparaissent dans le pays, et y sont reçus favorablement ; c’est en vain que Charles veut les chasser. Cependant, en 855, les Aquitains reviennent à lui, et reconnaissent pour roi son fils Charles ; mais dans l’année même ils rappellent Pépin, l’abandonnent de nouveau, recherchent encore une fois la protection de Louis le Germanique, et voyant celle-ci leur faire défaut, ils redemandent le fils de Charles qui, à peine restauré est supplanté par Pépin.

Après sept années de guerre, en 865, Pépin est fait prisonnier et enfermé définitivement ; il meurt en prison peu de temps après. Le jeune Charles étant mort aussi, en 866, son père reprit la couronne d’Aquitaine et la conserva ; il eut le bonheur de transmettre le royaume à son successeur naturel. Tous ces changements avaient fait naître dans le pays un esprit d’anarchie qui en rendait le gouvernement fort difficile. Il fut, dans la suite, administré par des comtes dits de Toulouse[45].

Outre ces luttes avec les fils de son frère Pépin, Charles le Chauve eut encore des contestations et des brouilles avec ses propres fils[46]. D’abord, en 862, Louis et Charles, qui s’étaient mariés sans son consentement, furent excités à la révolte par les comtes d’Auvergne et de Bourges, parents de leurs femmes. Louis alla rejoindre Salomon, roi de Bretagne et ennemi de son père ; attaqué et battu par Robert le Fort, il fit sa soumission dans l’année même. Charles implora et obtint son pardon en 863[47]. Une dissension plus grave éclata entre Charles le Chauve et son fils Carloman, qu’il avait voué depuis sou enfance à l’état ecclésiastique et qui plus tard fut fait diacre malgré lui. Carloman, ordonné prêtre en 854 dans la riche abbaye de Saint-Médard, devint abbé de ce monastère ; mais son père le chargea, en 868, de conduire une troupe de gens de guerre contre les Normans ; l’abbé prit goût à la vie militaire, il paraît même qu’il mena une vie assez licencieuse.

Accusé, en 870, d’avoir conspiré contre son père, il fut arrêté, destitué de ses bénéfices et enfermé à Senlis. Mis en liberté, il s’enfuit et alla vivre de brigandage, tantôt, paraît-il, en Belgique, tantôt en Lorraine. Lui et ses compagnons furent excommuniés par les évêques de la province de Senlis, qui l’avaient ordonné prêtre. Revenu auprès du roi, en 871, il fut de nouveau mis en prison à Senlis. Alors le pape Adrien II intervint en sa faveur et écrivit au roi, pour l’engager à le réintégrer dans ses charges et bénéfices jusqu’à ce qu’il eût été jugé par le saint-siège[48] ; il défendit aux évêques de l’excommunier. Mais ni le roi ni les évêques ne tinrent aucun compte de cette intervention : dans un synode réuni en 873, Carloman fut dégradé de la prêtrise, et dans un second synode il fut condamné à la peine de mort. Cette condamnation ne reçut pas d’exécution ; mais le roi, lui ayant fait arracher les yeux, le fit détenir dans un couvent à Corbie[49]. Délivré de prison par ses partisans en 874, il s’enfuit chez son oncle Louis le Germanique[50], qui lui donna l’abbaye d’Epternach[51], dans le diocèse de Trèves, aux frontières de la Belgique. Il y mourut peu de temps après.

Les dissensions des rois Carolingiens entre eux, depuis l’an 843, furent en grande partie les effets de la politique à la fois déloyale et insensée de Charles le Chauve. Insatiable de conquêtes, évidemment poussé par le désir de réunir tout l’empire carolingien sous son sceptre, il fit ce qu’avait fait longtemps son frère Lothaire. Cependant plusieurs assemblées des trois frères eurent lieu dans le but de conserver et de fortifier l’union entre eux, ainsi que l’unité de l’empire. La première se tint à Juts près de Thionville en 844[52] ; il y en eut deux autres à Meersen, en 847 et 851. Lothaire et Charles tinrent des réunions à Coblence, en 848, et se jurèrent amitié, en 849, à Péronne. Lothaire fut parrain d’une fille de Charles, en 853, et eut à Liége, en 854, une conférence avec ce dernier, qui s’était méfié des intentions de leur frère Louis le Germanique. Enfin l’on connaît l’assemblée de Coblence où les trois frères se réunirent en 860.

Ces démonstrations de bienveillance mutuelle n’empêchèrent pas que Charles, au grand mécontentement de Lothaire, ne donnât asile en 84G au comte Gislebert ou Gisalbert[53], qui avait enlevé la fille de ce dernier, et plus tard à Teutberge, épouse répudiée de Lothaire II. Baudouin Bras de Fer, fuyant avec Judith, chercha également un refuge en Lotharingie ; Carloman, fils de Charles le Chauve, en trouva un près de Louis le Germanique (874). Il y eut des réconciliations entre Lothaire II et Charles le Chauve ; mais à peine le premier avait-il fermé les yeux, que Charles occupa son royaume, qui revenait de droit à l’empereur Louis II, et se fit couronner roi de Lotharingie (9 septembre 869). Il parvint ensuite à annexer à ses États la partie du royaume de Provence qui avait appartenu à Lothaire[54]. Forcé de renoncer à la Lotharingie, il la partagea, le 8 août 870, avec Louis le Germanique ; mais six ans après il tenta de reprendre la part de ce dernier à Louis de Saxe, fils du Germanique qui venait de décéder. Cette entreprise lui devint funeste : son armée fut détruite par les Allemands près d’Andernach ; lui-même n’échappa à la mort ou à la captivité qu’en s’enfuyant à Liége et de là à Antenai, dans le diocèse de Reims. La reine Richilde, sa seconde femme, était restée au palais d’Herstal, en attendant ses couches ; mais, obligée de fuir également, elle s’accoucha dans un bois et rejoignit son mari à Antenai[55].

Ce même esprit de cupidité qui entraînait Charles le Chauve dans des guerres continuelles avec ses frères et ses neveux, régnait parmi les grands du royaume, tant ecclésiastiques que laïques. On comprend facilement qu’il devait y avoir une grande rivalité entre les évêques et abbés, d’une part, et les vassaux militaires, de l’autre. Une masse de biens ecclésiastiques se trouvait toujours en la possession de ces derniers, malgré la sanction si solennelle et si souvent répétée de l’inviolabilité du patrimoine de l’Église. Dans les plaids généraux il y avait sans doute un parti clérical et un parti laïque ou féodal, et ce devait être pour les rois une grande difficulté que de concilier les prétentions réciproques de ces deux partis. Louis le Germanique semble avoir assez bien réussi à Mayence en 851 ; ce que prouvent, suivant nous, les actes émanés de ce prince. Mais l’entreprise était plus difficile dans le royaume de Charles le Chauve, où en général le parti du clergé était plus influent que le parti militaire.

La politique de Charles ne fut pas toujours la même. En 844 et 846, il protégea l’Église, comme le prouvent ses nombreuses donations, faites pendant ce laps de temps ; cependant la restitution des biens ecclésiastiques, si instamment demandée et si souvent promise, ne devait pas être de son goût ni de celui des vassaux. Il embrassa donc, au plaid d’Épernai, tenu en juin 846[56], le parti de ces derniers, et les évêques virent rejeter la plupart de leurs demandes[57]. Mais il revint certainement, en 853, au premier parti[58]. Le clergé était plus riche que les vassaux, plus intelligent, et avait plus d’influence sur le peuple. C’est là sans doute ce qui détermina le roi à passer du côté de l’Église. Les vassaux furent peu satisfaits de ce changement ; en Aquitaine, une fraction de leur parti eut recours à Louis le Germanique, qui leur envoya son fils, comme nous l’avons déjà dit plus haut.

Si l’on s’en rapporte à M. Luden, l’historien du peuple allemand, ce fut contre son gré que Louis intervint dans les affaires des Aquitains, en 853. Son fils se hâta d’ailleurs de terminer cette campagne et de ramener ses troupes dans leurs foyers[59]. M. Gfrœrer est d’une opinion diamétralement opposée : suivant lui, Louis excita les Aquitains, parmi lesquels il avait un parti, contre son frère Charles, et ce fut de connivence avec lui qu’ils lui envoyèrent, en 853, la députation aux vœux de laquelle il eut l’air de céder. Louis était le plus perfide des trois frères, toujours d’après cet auteur ; c’était un roi aristocratique, chef d’une conspiration de nobles, dont le but était de renverser ses deux frères et d’anéantir le traité de Verdun[60]. M. Wenck a fait justice de ces accusations, en rappelant que Louis le Germanique manifesta à l’égard de ses frères les meilleurs sentiments, aux réunions de Juts et de Meersen, en 847 et 851 ; qu’il avait tenté, en 846 de réconcilier Charles avec Lothaire, qui était irrité contre lui à cause de l’asile donné à Gisalbert, ravisseur de sa fille[61]. L’opinion de M. Wenck est conforme au témoignage de l’annaliste de Fulde[62].

L’appel fait à Louis le Germanique par les Aquitains, en 853, et renouvelé par les Neustriens, en 858, parait avoir été une manifestation de cet antagonisme des deux aristocraties que nous venons de signaler. Suivant les Annales de Fulde[63], les députés des Neustriens demandèrent à Louis de secourir par sa présence un peuple en danger et qui était dans un état d’angoisse. S’ils ne le voyaient pas arriver promptement, et s’ils devaient renoncer à l’espoir qu’ils avaient mis en lui pour leur délivrance, ils seraient forcés de demander aux païens, au péril de toute la chrétienté, ces secours qu’ils n’auraient pu obtenir de leurs seigneurs légitimes et orthodoxes. Ils attestaient qu’ils ne pouvaient supporter plus longtemps la tyrannie de Charles. Personne ne s’opposant aux païens du dehors, ou ne les couvrant de son bouclier, ceux-ci pillaient, tuaient, brûlaient, vendaient toutes les propriétés ; et le peu qu’ils avaient laissé aux Francs, Charles le détruisait avec un mélange de ruse et de cruauté. Dans tout son peuple il ne restait plus personne qui ajoutât la moindre foi à ses promesses ou à ses serments, personne qui se flattât encore de trouver aucune bonté en lui.

Louis céda aux instances des Neustriens qui l’avaient appelé à leur secours. Il partit après une conférence tenue à Worms avec ses leudes en 858. Arrivé à Ponthion, il reçut l’hommage de la plupart des grands du royaume, qui étaient venus à sa rencontre. Il fut également reconnu à Orléans, puis à Attigny, même par une partie du clergé à la tète de laquelle se tenait Wenilon, archevêque de Sens. Il exerça momentanément la souveraineté, car on a de lui un diplôme daté du 7 décembre 858, première année de son règne dans la France occidentale[64]. Mais à peine se fut-il emparé des rênes du gouvernement, qu’on se mit à crier contre lui : ses troupes, disait-on, pillaient, elles-mêmes le pays, au lieu de le protéger. L’épiscopat surtout se montra fort mécontent de cette invasion de Germains sous la conduite de Louis ; il s’efforça d’exciter l’antipathie du peuple contre l’étranger.

Louis le Germanique, abreuvé de dégoûts, abandonna le pays à son triste sort ; il se retira au mois de janvier ou de février 859. Cette entreprise avortée lui valut les reproches de l’empereur Louis H, et du pape. Les prélats du parti de Charles allèrent jusqu’à le citer devant le jugement de l’Église à Metz. Un synode fut tenu dans cette ville, les 28 mai et 1er juin 859 ; on y résolut, d’accord avec Charles et Lothaire, d’envoyer une députation à Louis pour le blâmer. Les actes de ce synode, imprimés en dernier lieu dans la collection de Pertz (t. I, p. 458), sont écrits dans un langage fort sévère, même irritant. Louis reçut la députation à Worms, et dut souffrir que Hincmar, archevêque de Reims, lui adressât une réprimande extrêmement violente.

La réconciliation des trois frères eut lieu à Coblence en juin 860[65]. Le clergé devint de nouveau tout-puissant ; le célèbre Hincmar, archevêque de Reims, l’homme le plus éminent de son siècle, acquit une telle prépondérance que M. Michelet ne craint pas de l’appeler le vrai roi de France[66]. Un plaid général eut lieu à Piste en 862 ; Hincmar le dirigea entièrement[67] Les synodes se succédèrent ; Hincmar déploya une grande activité, au nom de l’Église et au grand déplaisir du pape Nicolas Ier[68]. Dans la plupart des plaids généraux, on peut dire des synodes, qui furent tenus depuis celui de Piste, on s’occupa, sinon exclusivement, au moins de préférence, d’affaires ecclésiastiques. C’est ce qui eut lieu notamment à Soissons, en 862 ; à Verberie, en 863 ; à Piste, en 864 ; à Soissons, en 866 ; à Piste, en 869 ; à Attigny, en 874. Les tendances de l’aristocratie des abbés et des évêques devaient conduire l’Europe, si elles n’avaient été contrariées par l’aristocratie militaire, à un régime théocratique semblable à celui que les Francs avaient trouvé établi dans la Gaule romaine. Sous ce rapport, les invasions des Normans eurent des conséquences considérables, car elles aidèrent au développement de la féodalité, et donnèrent un contrepoids à la théocratie, en entretenant la concurrence de l’élément militaire.

On ne peut pas se dissimuler, d’autre part, que c’est à l’esprit d’indépendance de l’aristocratie, plus qu’à toute autre cause, qu’il faut attribuer la facilité avec laquelle les Normans firent leurs trop nombreuses invasions dans le royaume occidental. Il est vrai que la fleur des hommes de guerre avait été moissonnée dans les champs de Fontenai ; mais la génération nouvelle n’était pas dépourvue de valeur militaire. Elle avait suivi Charles le Chauve dans ses expéditions coutre les Aquitains et contre ses frères et ses neveux. Ce qui empêchait les seigneurs francs de se rallier autour du roi pour marcher contre les Normans, c’étaient l’absence d’intérêt commun, le mépris de la royauté décline et peut-être aussi la crainte de la relever de sa déchéance. Ils savaient bien, à l’occasion, se défendre isolément dans leurs châteaux, tout en laissant les Normans dévaster les abbayes voisines et expulser les moines des domaines qu’ils espéraient s’approprier. Si Charles le Chauve, au lieu de combattre les Normans fut obligé de recourir à des offres d’argent pour les éloigner, c’est qu’il s’agissait particulièrement de sauver les églises et les monastères, et que l’aristocratie guerrière, loin de protéger ces établissements, enviait leurs richesses.

En Belgique spécialement, les invasions des hommes du Nord réagirent d’une manière directe et permanente sur les destinées d’une partie du pays. Pour protéger la frontière septentrionale de son royaume, Charles en donna la garde, en 863, au guerrier Baudouin, bientôt surnommé Bras de Fer, qui avait enlevé sa fille Judith. Baudouin, s’étant réconcilié avec Charles le Chauve, par l’intervention du pape Nicolas Ier, fut établi en 870 comte ou marchio des pays situés entre la Somme, l’Escaut et la mer. Il devint le fondateur de la dynastie si célèbre de nos comtes de Flandre[69]. Sa nomination par Charles est donc un des actes de ce Carolingien qui intéressent au plus haut point la Belgique. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails de cet événement, dont on trouve le récit dans toutes les histoires de Flandre. Nous nous bornerons à faire remarquer que si le pape intervint en faveur de Baudouin, ce fut principalement parce qu’on craignait qu’il ne se liguât avec les Normans[70] ; ce qui prouve tout à la fois combien les invasions normandes contribuèrent à l’élévation de l’aristocratie guerrière, et combien peu celle-ci se croyait solidaire des intérêts de l’Église. L’esprit de dissension régnait dans toutes les classes de la société ; il semble que ce soit le trait caractéristique de l’époque.

La controverse agitée entre Dewez et Raepsaet[71] sur la question de savoir si Baudouin fut le premier comte héréditaire de la Flandre, nous paraît oiseuse : les fiefs des comtés et marquisats, comme on appelait les comtés de frontières, étant devenus héréditaires en 877, celui de la Flandre dut le devenir également. Au reste nous examinerons cette question dans le paragraphe suivant.

 

§ 4. GOUVERNEMENT ET LÉGISLATION.

Il est impossible que la législation et les formes gouvernementales aient été étrangères au mouvement qui entraînait l’empire des Francs vers sa ruine. Si l’on ne peut pas les ranger au nombre des causes de la dissolution, elles n’en sont pas moins intéressantes à étudier comme symptômes ou comme effets.

Les documents relatifs au gouvernement et à la législation de l’empire, depuis 843, appartiennent presque tous au royaume de Charles le Chauve. Ceux-ci sont assez nombreux ; on en trouve les textes fidèles dans l’édition des capitulaires publiée par M. Pertz[72]. Les actes de Lothaire sont au nombre de trois seulement : ce sont les synodes d’Aix-la-Chapelle, de janvier et février 860, contenant le procès de Teutberge, sa condamnation, et un synode de l’an 865, relatif à la réhabilitation de cette princesse[73]. De Louis le Germanique nous n’avons qu’un seul capitulaire en vingt-cinq articles, qui fut publié à la suite d’un plaid ou plutôt d’un synode, tenu à Mayence le 3 octobre 851[74]. Outre ces documents propres à chaque royaume en particulier, nous possédons un assez bon nombre d’actes communs soit aux trois royaumes, soit à deux de ces États : ces documents sont ceux qu’on appelle des actes de congrès.

L’objet le plus important des capitulaires de Charles le Chauve, c’est le maintien de la paix intérieure, la répression des actes de violence de toute espèce, tels que le rapt, le meurtre, le brigandage, l’incendie, etc. Ses lois tendent, sous ce rapport, au même but que les trêves de Dieu du onzième siècle, les paix des rois, ducs et comtes des douzième et treizième siècles, et les statuts des villes et comtés, par exemple, les keuren de la Flandre. Cette analogie semble prouver que l’état social était au neuvième siècle aussi misérable qu’il fut dans les siècles suivants. Les capitulaires qui jettent quelque jour sur ce sujet sont : le Conventus Silvarensis, de l’an 853[75], et les instructions données en même temps aux missi[76] ; les Capitula omnibus observanda de l’an 860[77], ceux du congrès de Coblence, a Confluentibus[78] ; le grand édit de Piste de l’an 864[79] ; l’instruction des missi de l’an 865[80], et le capitulaire de Kierzy, de l’an 873[81].

A propos des capitulaires de l’an 860, nous devons relever une assertion de M. Kervyn de Lettenhove, qui ne nous parait pas fondée. Cet auteur semble dire que les Gildes de la Flandre furent condamnées par Charles le Chauve, qui aurait renouvelé l’arrêt de proscription porté par Louis le Débonnaire contre les conjurationes servorum in Mempisco et in Flandris. Il cite dans une note, mais pas textuellement, l’article 6 d’un capitulaire de l’an 860, inséré dans le recueil de Baluze et de Pertz[82]. Cette disposition nous parait avoir une tout autre portée et s’adresser plutôt aux grands et aux hommes puissants, qui se livraient à toutes sortes d’excès et de déprédations, qu’à des associations de serfs. Il ne s’agit pas d’ailleurs de la Flandre dans cet acte, mais de tout l’empire des Francs. On peut s’en convaincre en lisant avec attention l’article 4 du capitulaire, dans Pertz, et en le comparant avec les autres articles des capitulaires de cette année, qui ne font que dire et répéter ce qui avait été convenu au congrès de Coblence.

M. Kervyn dit aussi que les Gildes saxonnes furent proscrites par Carloman, et il cite en note une ligne de l’article 14 du capitulaire de Verneuil de l’an 884. S’il a cru y trouver quelque rapport avec le capitulaire de Louis le Pieux qui défend les conjurations des serfs dans la Flandre et le Mempiscus, il nous paraît être encore tombé dans l’erreur. La disposition a eu sans doute son application dans la Flandre, ce que semble démontrer l’emploi du mot gelda pour expliquer le mot collectæ ; mais quand on lit le texte entier de l’article 44, on reconnaît sans peine qu’il a un sens tout différent[83]. Les Gildes qu’il défend de former sont des associations ayant pour but de poursuivre les voleurs et les brigands, et peut-être de leur appliquer une sorte de loi de Lynch, comme en Amérique. Ce genre de poursuite est défendu ; il est ordonné que toutes les causes seront portées devant les ministres des comtes et des évêques, lesquels auront à prendre contre le brigandage les mesures qu’ils jugeront prudentes et raisonnables.

Quoique le système des lois personnelles subsiste encore en France, sous le règne de Charles le Chauve[84], nous trouvons néanmoins que celui des lois territoriales commence à se produire ; car il est dit, dans l’édit de Piste, article 20 : in illis regionibus in quibus secundum legem romanam judicantur judicia. Le même édit contient aussi, à l’article 6, une définition rigoureusement exprimée de la loi : Lex consensu populi fit et constitutione regis[85]. Les dispositions de droit pénal, civil et de procédure, qu’on trouve dans les quelques capitulaires qui ne s’occupent pas exclusivement d’affaires ecclésiastiques ou politiques, nous font voir que Charles le Chauve voulut maintenir et faire observer la législation de son père et de son aïeul, telle qu’elle se trouve dans la collection d’Ansegise. Il s’y rapporte fort souvent, et confirme tantôt un article, tantôt un autre de ce code qu’il semble considérer comme la loi générale de l’empire.

La partie principale de la législation est celle qui concerne les affaires ecclésiastiques. Il résulte des capitulaires de Charles le Chauve, que le régime établi du temps de son père fut continué sous son gouvernement. La sphère d’action du pouvoir spirituel fut respectée ; les comtes devaient exécuter les décisions des juges ecclésiastiques, lorsqu’il y avait lieu ; la législation canonique sur le mariage ne subit point d’altération ; le principe de l’élection libre des évêques et des abbés resta également en vigueur, mais plutôt en théorie qu’en pratique, de même que celui de l’inviolabilité des biens ecclésiastiques. De fait, le roi Charles, autant que ses frères et ses neveux, continua à donner des abbayes et même des évêchés à ses partisans, mais rarement à des laïques ; ceux-ci étaient, dans ce cas, soumis à l’obligation de se faire ordonner prêtres. Bien des possessions de l’Église durent être conférées, à titre de précarie, aux guerriers qu’on voulait récompenser ; mais, d’autre part, les hommes puissants qu’on avait vaincus, fussent-ils même fils de rois, étaient tonsurés et confinés dans des monastères.

Les rois se croyaient toujours obligés d’exercer ou de faire exercer une surveillance sur les mœurs du clergé et la discipline ecclésiastique ; ils chargeaient de ce soin les missi, dont un au moins était évêque ou abbé. En un mot, l’ordre politico-ecclésiastique, tel qu’il avait été réglé sous Charlemagne, n’était pas changé. Les papes mêmes avaient besoin du consentement de l’empereur, sinon pour être élus, au moins pour être intronisés. Souvent les conciles étaient en même temps des plaids nationaux ; les capitulaires servaient de sanction à leurs décrets. Les rois avaient donc toujours le droit de placet. Les rapports entre l’Église et l’État n’avaient pas cessé d’être fondés sur ce principe que l’Église est dans l’État, et non l’État dans l’Église : ce qui n’empêche pas qu’on regardait les préceptes de la religion et de l’Église comme sacrés, et le pouvoir spirituel en lui-même comme indépendant.

Mais un grand mouvement, qui avait déjà commencé vers la fin du règne de Louis le Débonnaire, se manifesta dans le soin de l’Église, par plusieurs tendances. Il s’agissait d’abord d’affranchir l’Église, autant que possible, du pouvoir politique, et à cet effet de réaliser le principe de l’inviolabilité des biens ecclésiastiques, afin qu’il fût une vérité. Les hommes d’État qui dirigeaient les affaires de l’Église voyaient bien que, malgré tous leurs efforts, l’empire carolingien, qui déjà n’existait plus que de nom, allait se démembrer définitivement. L’unité de l’Église ne pouvant plus s’appuyer sur l’unité de l’empire, ils songeaient aux moyens de sauver la première en la rendant indépendante de la seconde. Il fallait pour cela donner à l’organisation hiérarchique plus de solidité et au centre de l’Église plus de puissance ; il fallait aussi fortifier les dogmes contre les tentatives des novateurs[86].

Les évêques, pour sauvegarder leur indépendance, voulaient empêcher les synodes nationaux ou provinciaux de prononcer leur déposition, et les archevêques, de les suspendre. Pendant la lutte entre Louis le Débonnaire et ses fils (833-835), un certain nombre d’évêques, et même d’archevêques, comme Ebbo et Agobard, avaient été condamnés à perdre leurs bénéfices ; il y en eut même qui furent incarcérés. Dorénavant, le pape seul devait être considéré comme le grand protecteur des évêques et des abbés, que les archevêques suspendaient volontiers. En diminuant le pouvoir archiépiscopal, c’est-à-dire la juridiction métropolitaine, on l’empêchait de se rendre indépendante, ce qui n’eût pas été sans danger pour l’unité. Au reste, depuis des siècles toutes les grandes affaires devaient être jugées par le pape. La loi du concile de Sardique de l’an 347, qui attribuait à la juridiction du souverain pontife les causes majeures (causæ majores), existait toujours ; il ne s’agissait que de la faire remettre en vigueur.

Le pouvoir des évêques, dans leur administration diocésaine, était souvent contrarié par celui des chorévèques, qui au fond étaient de simples curés, ayant cependant le droit de conférer les ordres. Cette dignité ne s’accordant pas avec l’organisation hiérarchique, telle qu’on se proposait de la régler, il y avait lieu de l’abolir[87]. On voulait rendre aussi difficile que possible les condamnations des clercs, et ne pas admettre contre eux le témoignage des laïques. Il fallait aussi une norme de procédure qui protégeât les évêques et les abbés contre les actes de spoliation, de manière à empêcher la reconnaissance du fait accompli. On formula à cet effet la règle spoliatus ante omnia restituendus, et l’on menaça les spoliateurs de Farine alors terrible de l’anathème.

Les germes de tous ces principes canoniques existaient depuis longtemps, soit dans les décrets des conciles, soit dans les lettres décrétales, si multipliées depuis le pape Siricius (384 à 397), auteur des plus anciennes lettres de cette espèce que l’on connaisse. Depuis longtemps le droit canonique était codifié dans diverses collections, notamment dans celle de Denys le Petit, de la fin du cinquième siècle, augmentée et transcrite dans le célèbre Codex Hadrianus, que le pape Adrien avait donné à Charlemagne en 774, et que celui-ci parait avoir adopté, en 789, à Aix-la-Chapelle, comme code ecclésiastique de l’empire[88]. Un très grand nombre d’articles des capitulaires, ceux, par exemple, du capitulare ecclesiasticum de 789, ne sont que des ordonnances d’exécution de ce droit. Il suffisait d’en assurer l’observation rigoureuse, pour que l’indépendance de l’Église fût garantie. Si l’on parvenait à donner force de loi à une collection canonique dans laquelle tous ces principes seraient clairement et catégoriquement exprimés, on était sûr d’arriver au grand but qui était dans les vœux de la majeure partie de l’épiscopat, sinon de la généralité.

Cette collection fut faite et publiée : c’est celle des fausses décrétales, plus connue sous le titre de Collection pseudo-Isidorienne. Depuis plus de trois siècles, la science de l’histoire et du droit ecclésiastiques s’est occupée de ce célèbre monument de droit canon. Les fausses pièces qu’il contient ont fait, pendant mille ans, partie de la législation reconnue de l’Église ; aujourd’hui encore elles se trouvent dans le Corpus juris canonici. Il y a longtemps cependant que les savants théologiens les plus catholiques reconnaissent que cette collection renferme près de trois cents décrétales ou autres articles fabriqués ; on ne nie plus l’existence de ces fausses lois, c’est-à-dire la fausseté des articles altérés ou interposés ; mais on a élevé à leur égard diverses questions de la plus haute importance, sur lesquelles on nous permettra de nous arrêter un moment.

On s’est demandé quand, où et par qui les fausses décrétales avaient été rédigées ; quel était le but de leur fabrication, et quelle fut leur influence sur le développement du pouvoir hiérarchique et sur la forme finale de la constitution de l’Église. Ces questions font, depuis la fin du dernier siècle, le sujet d’un si grand nombre d’écrits, qu’il ne nous est pas possible de rapporter ici les noms de tous les auteurs qui s’en sont occupés[89]. Nous ne citerons que les plus célèbres jurisconsultes, tels qu’Eichhorn, Philipps, Walter, Richter ; les historiens Luden et Gfrœrer ; les théologiens Mœhler, Theiner et Hefele. Très récemment, en 1860, un jeune historien, M. Waitzsæcker, a publié dans la Revue historique de M. de Sybel à Munich[90], une notice historique et littéraire de l’état actuel de la question pseudo-Isidorienne. Il résulte de ses recherches, basées sur celles de ses prédécesseurs, que les fausses décrétales n’ont pas été rédigées à Rome[91], et que les papes n’ont eu connaissance du recueil qui les contient que vers l’an 865 ; qu’elles ont été faites dans l’empire franc ; que l’époque probable de leur rédaction est de 840 à 850, et que l’achèvement de la collection doit avoir eu lieu entre 845 et 853[92].

Quant à l’auteur du recueil et probablement des fausses pièces elles-mêmes, on l’avait cherché jusqu’en dernier lieu à Mayence. On soupçonnait Benoît, le diacre ou le lévite, qui est l’auteur de la continuation du Recueil des capitulaires, publié par Ansegise[93] : car dans cette collection se trouvent quelques-unes des fausses décrétales du pseudo-Isidore. Et comme Benoît dit dans sa préface qu’il s’est servi de documents extraits des archives archiépiscopales que l’archevêque Otgar, si compromis en 833, lui avait communiqués, on en concluait que Benoît avait composé ou réuni les fausses décrétales par ordre d’Otgar, qui paraissait ainsi être le grand coupable[94]. Mais déjà M. Philipps avait émis quelques arguments pour prouver que l’auteur de l’œuvre frauduleuse devait appartenir, non au royaume oriental, mais celui de l’occident de l’empire, et probablement à la province métropolitaine de Reims. Cette opinion vient maintenant d’être exposée et appuyée sur des preuves assez concluantes par M. Waitzsæcker, qui, ainsi que M. Philipps, pense que l’évêque Rothad, de Soissons, est probablement l’auteur des fausses décrétales et de la collection pseudo-Isidorienne. M. Gfrœrer lui associe l’archevêque Wenilon, de Sens, condamné sur l’accusation de Charles le Chauve.

Il est certain que l’ouvrage fut conçu et exécuté dans l’intérêt des évêques condamnés en 835, et spécialement de l’archevêque Ebbo, de Reims, qui, restauré en 840, avait été de nouveau démis de sa dignité. Nous ne pouvons pas reproduire tous les arguments accumulés par M. Waitzsæcker en faveur de son opinion ; mais jusqu’ici elle nous semble préférable à toutes celles qu’on a émises sur la question. L’auteur de la fraude voulait, par ce moyen, non seulement faire réintégrer dans leur dignité les évêques destitués, mais encore prévenir à jamais le renouvellement de pareilles procédures. Le pape seul, d’après lui, aurait pu faire ce que les archevêques avaient fait, sur l’ordre du roi.

Le moyen employé est certainement blâmable : car on attribue, dans cette collection, à des papes même du premier siècle, des décisions qui ne sont pas émanées d’eux, et qui n’ont pu l’être, attendu que la papauté n’avait pas à cette époque la haute position qu’elle obtint seulement depuis le concile de Sardique, de l’an 347. On y trouve soixante et une lettres décrétales attribuées aux papes, depuis Clément Ier, deuxième successeur de saint Pierre jusqu’à Melchisédec, c’est-à-dire depuis l’an 77 jusqu’à 314, et trente-cinq fausses décrétales des temps postérieurs. Il y a, en outre, dans ce recueil des décrets de conciles contenant des passages falsifiés. Dans plusieurs on parle, comme de choses existantes au premier siècle, de ce qui n’a commencé que deux ou trois siècles plus tard.

On comprend très bien le but de la collection pseudo-Isidorienne et les motifs de son auteur, qui sans doute n’agissait pas isolément, mais de connivence avec d’autres plus intéressés que lui. De tous les pouvoirs ecclésiastiques, sauf la puissance papale, un seul est traité favorablement dans le recueil : c’est celui des primates et par conséquent le pouvoir des archevêques de Reims et de Mayence : ce qui prouve bien qu’Ebbo et Otgar étaient de connivence avec l’auteur, et ce qui semble indiquer en même temps que si la collection pseudo-Isidorienne servit à consolider le pouvoir du pape, ce n’est pas précisément dans ce but qu’elle avait été composée.

On explique facilement aussi la raison pour laquelle l’auteur aima mieux insérer les fausses pièces dans un recueil nouveau que dans la collection de Denys le Petit, qui était le code canonique en vigueur dans l’empire. Le plus célèbre recueil de droit canon, à côté de celui-ci, était la vraie collection Isidorienne, composée par l’évêque Isidore de Séville[95], au milieu du septième siècle, et augmentée postérieurement. Peu connue au commencement, elle avait pénétré dans l’empire franc au neuvième siècle ; mais on n’en avait encore qu’un petit nombre d’exemplaires. En remaniant le code d’Isidore, et en y plaçant les fausses pièces, on pouvait facilement faire croire à leur authenticité ; car la collection pseudo-Isidorienne devait se confondre avec la collection vraie d’Isidore de Séville. C’est ce qui arriva effectivement ; des extraits du pseudo-Isidore furent déjà produits en 857, au plaid de Kierzy. Cependant le pape Nicolas Ier, à qui l’on avait cité, vers l’an 865, des passages faux, n’eut garde de les reconnaître pour vrais[96]. C’est plus tard qu’on s’est appuyé, à Rome, sur cette collection, et ce sont les auteurs des recueils postérieurs qui, en y plaçant les fausses pièces, alors réputées authentiques, leur ont procuré la force de loi qu’elles ont encore dans le Corpus juris canonici.

La connaissance exacte de la vraie collection Isidorienne ne date que de notre siècle ; on la doit à un savant de notre pays, à Laserna Santander, conservateur de la bibliothèque de Bruxelles[97]. Il possédait plusieurs manuscrits de ce recueil, lesquels malheureusement, à sa mort, ont disparu[98] ; mais le gouvernement espagnol a fait faire, en 1808 et 1821, une belle édition du recueil d’Isidore, de sorte que tout le monde peut aujourd’hui le comparer avec la compilation pseudo-Isidorienne. Celle-ci a été récemment (en 1853) publiée de nouveau par M. Denzinger fils, professeur de théologie à l’université de Wurzbourg, dans la collection patrologique de l’abbé Migne, vol. 130.

La dernière question à laquelle la controverse sur les fausses décrétales a donné lieu est celle de savoir si le pouvoir théocratique du saint-siège, et toute la constitution hiérarchique de l’Église, telle qu’elle existait au moyen âge, fut l’œuvre du pseudo-Isidore. On trouve encore un bon nombre d’auteurs qui sont de cet avis, et suivant lesquels on pourrait mettre en question la légitimité de l’organisation de l’Église catholique. D’autre part, M. Walter et les partisans des doctrines dites ultramontaines soutiennent que la collection pseudo-Isidorienne n’a en rien contribué à fonder ou à consolider le principe monarchique de l’Église ; de sorte que la théocratie papale du moyen âge se serait établie lors même que les fausses décrétales n’auraient jamais existé.

Les deux opinions nous semblent erronées. Ce que nous croyons fondé en vérité, c’est que les fausses décrétales ont aidé à la consolidation de l’ordre hiérarchique du moyen âge, ordre dont les fondements existaient longtemps avant la composition du recueil pseudo-Isidorien. Telle est aussi l’opinion de M. Laurent : Il n’y aurait pas eu de fausses décrétales, dit-il, que la papauté n’en eût pas moins dominé le moyen tige. Les décrétales hâtèrent seulement et consolidèrent une révolution dont les germes existaient et se seraient développés sans elles[99].

Nous avons trouvé dans l’histoire des Carolingiens de Gfrœrer[100] une singulière assertion relative à l’histoire des fausses décrétales. Cet auteur expose longuement, mais sans l’appuyer de preuves décisives, que le clergé de l’empire franc fut scindé en deux grandes fractions, l’une pseudo-Isidorienne, l’autre d’opinion contraire. Il suppose de la part de la première un complot contre l’ordre établi, tant ecclésiastique que politique ; il y rattache le célèbre procès intenté au moine Godeschalck, à cause de sa théorie sur la prédestination, condamnée par plusieurs conciles. Il fait même remonter l’origine de la scission aux dernières années du huitième siècle. Ce système a été victorieusement réfuté par M. Wenek, dans son ouvrage sur l’empire franc depuis le traité de Verdun.

L’hérédité des fiefs, qui date de la même époque, est encore un sujet qui a donné lieu à de vives contestations. La question nous paraît cependant facile à résoudre, quand on se rend compte des faits historiques et de la situation du moment.

Le dernier des fils de Lothaire, l’empereur Louis II, étant mort sans enfant mâle, le 13 août 875, sa succession revenait de droit à son oncle, Louis le Germanique, qui était le frère puîné de Lothaire. Mais Charles le Chauve partit immédiatement pour l’Italie, et se fit couronner empereur par le pape Jean VIII, le jour de Noël 875. Il revint ensuite dans la Gaule et lit connaître son élection à l’empire par les évêques et seigneurs réunis à Ponthion au mois de juin 876. Louis le Germanique, qui avait envoyé deux de ses fils en Italie pour lui disputer la couronne impériale, mourut la même année, le 28 août ; mais son fils aîné, Carloman, à qui il avait cédé ses droits, envahit bientôt les domaines italiens de l’empereur. Ce fut alors qu’eut lieu la célèbre assemblée de Kierzy, où fut sanctionnée, le 18 des calendes de juillet 877, l’hérédité des honneurs et des offices.

Avant d’entreprendre une campagne au delà des Alpes, Charles le Chauve voulut assurer, en son absence, le maintien de son pouvoir et le repos de ses États. Il n’imagina rien de mieux que de donner une entière satisfaction aux exigences des deux aristocraties, militaire et ecclésiastique. Les premiers articles du capitulaire de Kierzy[101] sont rédigés sous forme de propositions faites par le roi à ses leudes et auxquelles ceux-ci ont répondu. Ainsi l’article 8 est conçu en ces termes : Si avant notre retour quelques honneurs viennent à vaquer, comment en sera-t-il disposé ? La réponse des leudes ecclésiastiques, qui suit immédiatement, est celle-ci : Si pendant votre absence, un archevêque vient à mourir, l’évêque voisin, d’accord avec le comte, administrera le diocèse, jusqu’à ce que sa mort ait été portée à votre connaissance. Si un évêque vient à mourir, l’archevêque déléguera un visiteur qui, d’accord avec le comte, veillera à l’administration de l’Église, jusqu’à ce que la mort de cet évêque parvienne à votre connaissance. Si un abbé ou une abbesse vient à mourir, l’évêque dans la paroisse duquel se trouve le monastère surveillera cet établissement avec le comte, jusqu’à ce que vous en ayez disposé autrement.

La réponse des leudes laïques se trouve dans l’article suivant. Le roi, qui sans doute l’avait reçue, écrit lui-même, en parlant à la première personne : S’il vient à mourir un comte dont le fils soit avec nous, que notre fils, conjointement avec nos autres fidèles, choisisse parmi les amis et les proches du décédé quelqu’un qui, de concert avec les officiers du comté et l’évêque, administre le comté, jusqu’à ce que le fait nous soit annoncé. Si ce comte décédé a un fils encore petit, que ce fils, conjointement avec les officiers du comté et l’évêque dans le diocèse duquel il demeure, gouverne le comté jusqu’à ce que nous soyons informés. Si le comte décédé n’a point de fils, que notre fils à nous, avec nos leudes, désigne quelqu’un qui, conjointement avec les officiers du comté, gouverne ce comté jusqu’à ce que nous en ordonnions. Et que personne ne se fiche s’il nous plait de donner ce même comté à quelque autre que celui qui l’aura jusque-là administré. Il sera fait de même pour nos vassaux.

On a contesté la portée de ces dispositions. Quelques interprètes soutiennent qu’elles n’ont rendu héréditaires que les fiefs des seigneurs qui devaient faire partie de l’expédition[102]. M. Fauriel pense qu’elles ne contiennent rien qui puisse être pris pour une concession de l’hérédité des offices, des dignités politiques. Il y a plus, dit-il, le contraire y est clairement énoncé : dans tous les cas prévus comme exigeant ou comportant le remplacement provisoire d’un comte décédé, le roi se réserve expressément la nomination définitive ; et pour prévenir toute surprise, toute incertitude à cet égard, il déclare et justifie d’avance la liberté qu’il se réserve de nommer définitivement aux comtés vacants d’autres hommes que ceux qui y auraient été nommés provisoirement[103].

Ces objections ne sont pas tout il fait exactes. Si le roi se réserve la nomination définitive du comte décédé, lorsque le fils de ce comte se trouve avec lui dais son expédition, ou que ce fils est trop jeune pour gouverner lui-même le comté, c’est parce qu’il ne veut pas qu’on profite de l’absence ou de la minorité de ce fils pour l’en déposséder ; et quand il se réserve de nommer définitivement aux comtés vacants d’autres hommes que ceux qui y auraient été nommés provisoirement, cette disposition ne s’applique qu’au cas où le comte décédé n’a point laissé de fils.

Mais il est un autre document qui nous semble ne laisser aucun doute sur la question. Les trente-trois articles du capitulaire de Kierzy sont suivis, dans Baluze, d’un appendice en quatre articles, dans lesquels Charles le Chauve lui-même a fait insérer les dispositions les plus importantes en termes clairs et précis. Voici comment les articles précités sont rendus dans ce texte : S’il vient à mourir un comte de ce royaume, dont le fils soit avec nous, que notre fils, conjointement avec nos fidèles, choisisse parmi les plus amis et les plus proches du comte, quelque personne qui , de concert avec les officiers du comté et avec l’évêque dans le diocèse duquel se trouvera le comté vacant, administrera ce comté, jusqu’à ce que nous soyons informé du fait, afin que nous fassions honneur an fils du comte décédé, qui se trouvera avec nous, des honneurs de son père[104].

Si le comte défunt a un fils encore petit, que ce fils, conjointement avec les officiers du comté et l’évêque du diocèse dans lequel est situé le comté, administre le comté, jusqu’à ce que la nouvelle de la mort du comte nous parvienne, et qu’en vertu de notre concession son fils soit honoré de ses honneurs[105].....  Il en sera de même de nos vassaux.

Ce second texte ne laisse aucun doute sur le sens de la disposition ; on sait d’ailleurs que tous les fiefs furent héréditaires à dater de cette époque. Il est donc certain que Charles le Chauve, dans son capitulaire de Kierzy, donna à la féodalité une base constitutionnelle qui demeura inébranlable pendant plus de dix siècles ; mais il laissa le trône sans autorité et sans force. Lorsqu’il mourut, le 6 octobre 877, la royauté n’était plus qu’un vain titre, servant à donner date aux actes publics, comme dit M. Borgnet.

 

 

 



[1] Les sources se trouvent réunies dans le VIIe volume du Recueil de Dom Bouquet. Les auteurs les plus récents qui ont traité l’histoire de cette époque sont : Luden, Geschichte des teutschen Volkes, t. VI, p. 134 ; Gfrœrer, die Karolinger, t. I, p. 158, et t. II, p. 1 et suiv. ; Wenck, Das frankische Reich nach dem Vertrage von Verdun, Leipzig, 1851 ; Damberger, Synchronistische Geschichte des Miltelalters, t. III, p. 1 et suiv. L’ouvrage de Zimmermann, über die politischen Verhœltnisse des frankischen Reichs nach dem Vertrage von Verdun, Berlin, 1830, n’est guère qu’un ensemble de chroniques de chaque royaume, travail de peu de valeur.

Les auteurs français sont : Sismondi, Histoire des Français, t. III ; Michelet, Hist. de France, t. I, p. 3-27 et suiv. ; Henri Martin, Histoire de France, t. II, p. 441 et suivantes ; voyez aussi les Réflexions générales du t. V, de M. Laurent, Les Barbares et le catholicisme, p. 251.

[2] Lettres sur l’histoire de France, XI et XII.

[3] Quand nous nous servons des mots peuple ou nation, nous entendons parler des classes qui participaient aux affaires publiques.

[4] Deutsche Verfassungsgeschichte, t. IV, p. 535 et suiv.

[5] Verfassungsgeschichte, t. IV, p. 542.

[6] Verfassungsgeschichte, t. IV, p. 544-547.

[7] Verfassungsgeschichte, t. IV, p. 549.

[8] Verfassungsgeschichte, t. IV, p. 554 et suiv.

[9] Wala et Louis le Débonnaire, p. 22.

[10] Guizot, Cours d’histoire moderne, 24e leçon ; extrait dans D. Bouquet, t. VII, p. 302 et suiv.

[11] Les sources principales sont les annales d’Éginhard et celles de Pitheanus, de Sigebert de Gembloux, de Saint-Bertin, de Fulde, de Metz et de Saint-Bavon. Nous avons consulté aussi Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands, et M. H. Martin, Histoire de France.

[12] Einhardi, Annales, ann. 800.

[13] Einhardi, Annales, ann. 800. Nous nous servons de la traduction de M. Teulet.

[14] Einhardi, Vita Karoli imp., c. 14.

[15] Einhardi, Annales, ann. 810

[16] Annales, ann. 810.

[17] Annales, ann. 811.

[18] Ce sont les expressions d’Eginhard.

[19] Einhardi, Annales, ann. 811.

[20] Pertz, t. I, p. 199.

[21] Einhardi, Annales, 811.

[22] Einhardi, Annales, ann. 813.

[23] La Norvège, suivant Eckhart, le Jutland méridional, suivant M. Pertz, t. II, p. 200, note.

[24] Einhardi, Annales, ann. 814.

[25] Einhardi, Annales, ann. 819.

[26] Einhardi, Annales, ann. 820.

[27] H. Martin, Hist. de France, t. II, p. 382, édit. de 1861.

[28] H. Martin, Hist. de France, t. II, p. 369.

[29] Depping, Hist. des expéditions maritimes des Normands, t. I, p. 108.

[30] Einhardi, Annales, ann. 828.

[31] Einhardi, Annales, ann. 828.

[32] Histoire des expéditions maritimes des Normands, Paris, 1826, 2 vol.

[33] Annales Pitheani, ann. 837. Sigeb. Gemol., ibid. ; Annales Fuld., etc.

[34] Depping, t. I, p. 136.

[35] Annales de Saint-Bavon.

[36] H. Martin, t. I, p. 431.

[37] Conventus apud Marsnam, t. VII, des Historiens de France.

[38] Annales de Metz, citées par Depping, t. I, p. 145.

[39] V. les Annales de Saint-Bavon, dans Pertz, Script., t. II, p. 185 et suiv.

[40] H. Martin, t. I, p. 441.

[41] Annales de Saint-Bertin, ann. 855.

[42] L’Histoire du Languedoc par Dom Vaissette, 5 vol. in-f°, dont on a publié une nouvelle édition enrichie de notes et d’additions, et le principal ouvrage qui traite de l’histoire d’Aquitaine. Il a servi de base à l’excellent abrégé publié par M. Fauriel dans son Histoire de la Gaule méridionale. On trouve dans le 4e volume, p. 113 et suiv., la narration raisonnée des événements dont ce pays fut le théâtre depuis la mort de Louis le Débonnaire. L’Art de vérifier les dates contient aussi un bon aperçu de l’histoire de cette époque (t. IX, p. 323). Les sources spéciales pour l’histoire des guerres de Charles en Aquitaine sont les Annales de Fulde et de Saint-Bertin.

[43] Fauriel, l. c., p. 277-282.

[44] Fauriel, l. c., p. 284-290.

[45] L’Art de vérifier les dates, t. IX, p. 366.

[46] Nous suivons Sismondi (t. III, p. 161, 188, 197), qui indique, dans les notes, les sources dont il a fait usage.

[47] Annales Bertini, ad ann. 862 et 863.

[48] La lettre du pape est fort curieuse ; on en trouve, dans Sismondi, Histoire des Français, t. II, p. 151 à 155, une traduction ainsi conçut : Adrien, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Charles, roi. En même temps que tu crois t’être approprié les biens d’autrui que tu usurpes, ou range aussi au nombre de tes excès, que surpassant la cruauté des brutes elles-mêmes, tu ne redoutes point de sévir contre tes propres entrailles, contre ton fils Carloman : tu imites donc l’autruche, ainsi quo nous l’apprenons du saisi livre de Job ; tu endurcis comme elle ton cœur contre ton fils, comme n’était point à toi. Non seulement tu l’as privé de la faveur paternelle et de ses bénéfices, mais tu l’as chassé des limites de ton royaume, et tu as recherché, ce qui est plus impie encore, de le faire soumettre à l’excommunion. Mais Carloman a recouru au siège apostolique par ses députés ; il nous a interpellé, par les lettres qu’il nous a adressées ; aussi, en vertu de l’autorité apostolique, nous mettons un frein à tes entreprises ; nous t’exhortons ensuite, pour ton propre salut, à ne pas provoquer la colère de ton fils contre l’apôtre lui-même. Rends-lui plutôt ta faveur, comme il convient à un pire ; reçois-le avec une affection paternelle, comme ton propre fils ; remets-le en possession des bénéfices et honneurs dont il jouissait, du moins jusqu’à ce que les messagers de notre siége apostolique se soient rendus auprès de toi, et qu’ils aient ordonné et disposé, sauf votre honneur à toits deux, ce qui paraîtra plus salutaire à cet égard. Garde-toi d’ajouter péché sur péché ; amende-toi de tes précédentes usurpations et de ton avarice ; efforce-toi, de toute ta puissance, d’obtenir le pardon apostolique, en faisant voir que tu te perfectionnes sous la correction ; ruminais enfin jusqu’au bout, pour ne pas périr tout entier. Alors le terme de tes forfaits sera aussi le terme de mes reproches ; et avec l’aide de Dieu, tu atteindras en même temps la fin de la coulpe et celle de la peine. (Labbe, Concil. gener., t. VIII, p. 929.)

[49] Annales Bertini, ad ann. 873 ; Essai sur l’histoire de la civilisation en Italie, par Auguste Boullier, Paris, 1861, t. II, p. 240.

[50] V. la Chronique de Reginon, ann. 870 (Pertz, t. II, p. 583), et les Annales de Metz (D. Bouquet, t. VII, p. 198).

[51] M. Pertz, l. c., dit Efternach ; Dom Bouquet, Ecternach.

[52] Cette assemblée est connue sons le titre de Contentus ad Theodonis villam. Ses actes sont insérés dans le recueil de Baluz et dans celui de Pertz, Leges, t. I, p. 380.

[53] Nithard l’appelle Comes Mansuariorum. (Pertz, Monumenta, t. II, p. 663.) M. Gfrœrer pense qu’il était comte du Masgau, et qu’ainsi il résidait dans le voisinage d’Aix-la-Chapelle. Dans la description des pagi, nous avons dit ce qu’était la Mansuarie.

[54] L’Art de vérifier les dates, t. II, p. 470.

[55] Annales Bertin. et Fuld., ad ann. 876 ; Sismondi, III, 803.

[56] V. les actes de ce plaid dans Pertz, Leges, t. I, p. 388 et 410.

[57] Gfrœrer a bien exposé ce changement de la politique de Charles, t. I, p. 127 et suivant ; toutefois, à la page 142, son jugement nous parait un peu outré. M Wenck est en général du même sentiment (p. 141), et M. Damberger partage aussi cet avis (t. III. p. 259).

[58] Damberger, t. III, p. 286.

[59] Luden, Geschichte des teutschen Volkes, t. VI, p 39.

[60] Gfrœrer, die Carolinger, t. I, p. 159 et suiv.

[61] Wenck, p. 55-56.

[62] Annales Fuldenses, p. 167.

[63] Rudolphi, Annales Fuldenses, ad ann. 858, ap. Bouquet, t. VIII, p. 166 ; Pertz, t. I, p. 371 ; Sismondi, Histoire de Français, t. II, p. 128 ; Henri Martin, Histoire de France, t. II, p. 599 ; Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale, t. IV ; Gfrœrer, die Carolinger, t. I, p. 265.

[64] Boehmer, Regesta Carolorum, p. 81.

[65] Damberger, l. c., p. 353, V. les actes dans Perle, Leges, t. I, p. 469.

[66] Michelet, Histoire de France, t. I, p. 384 et 510.

[67] V. les actes dans Pertz, l. c., p. 478.

[68] Damberger, l. c., p. 400-412.

[69] Voyez, entre autres, pour l’histoire de Baudouin Ier, l’Histoire de Flandre, de M. Kervyn de Lettenhove, 2e édit., t. I, p. 75 et suiv.

[70] Flodoardi, Hist eccles. Rem., n. 258 et 282, édit de 1611, Paris. Voyez aussi la lettre d’Hincmar au pape Nicolas, dans Miræus, Oper. diplom., t. I, p. 25.

[71] Nouveaux Mémoires de l’Académie de Bruxelles, t. II ; Raepsaet, Droit des Belges, part. 1re, sect. 3 et 55 ; Dewez, Histoire générale de la Belgique, 2e édit., t. II, p. 231 suiv.

[72] Monumenta Germanicæ historica, t. I des Leges.

[73] Pertz, l. c., p. 465 et 503.

[74] Pertz, l. c., p. 510.

[75] Pertz, Leges, t. I, p. 423.

[76] Pertz, Leges, t. I, p. 424.

[77] Pertz, Leges, t. I, p. 470.

[78] Pertz, Leges, t. I, p. 473.

[79] Pertz, Leges, t. I, p. 488.

[80] Pertz, Leges, t. I, p. 501.

[81] Pertz, Leges, t. I, p. 518.

[82] Pertz, Leges, t. I, p. 475 ; Baluz., t. II, p. 148.

[83] Baluz., t. II, col. 296 et Pertz, p. 553.

[84] Le fait est indiqué par Agoard, archevêque de Lyon. (D. Bouquet, t. VI, p. 355.)

[85] Pertz, Leges, t. I, p 490.

[86] Guizot, Histoire de la civilisation moderne, t. II, p. 356 et suiv. La plus grande controverse dogmatico-théologique était relative à la doctrine de la prédestination émise par le moine Gotschalk. Elle a été de nouveau longuement exposée dans l’Histoire des conciles, par M. Hefele, t. IV.

[87] Voyez, pour ce qui se rapporte à leur suppression, Benoît Levite, liv. II, c. 21, et liv. III, c. 260. Hincmar avait écrit un mémoire contre eux. V. ses lettres, Epist., c. 16. Mansi, Concil., XVI.

[88] Nous croyons en voir la preuve dans le grand capitulaire ecclésiastique de l’an 789 (Pertz, I, 53). Au commencement du neuvième siècle, le Codex Hadrianus fut considéré comme tel dans l'empire. V. Annales Louviss. chron. Moisiac., dans Pertz, Monumenta, I, p. 39 et 306.

[89] Les écrits les plus récents qu’on ait publiés sur la collection pseudo-Isidorienne, sont : Wasserschleben, Beitræge zur Geschichte der falschen Decretalen, Breslau, 1844 ; Hefele, Liber den gegenwærtigen Stand der pseudo-isidorischen Frage, dans le Theologische Quartalschrift, Tubingen, 1847, p. 533 et suiv. ; Gfrœrer, Unstersuchungen weber Alter, Ursprung, und Zweck der falschen Decretalen, Freiburg, 1846 ; H. Denzinger, les prolégomènes de son édition de Isidorii Mercatoris decretalium collectio, Paris, 1853 ; J. Waitzsæcker, Die pseudo-isidorische Frage in ihrem gegenwærtigen Stande, dans V. Sybel, Historische Zeitschrift, t. III, p. 42-96. En France les auteurs qui se sont récemment occupés des fausses décrétales sont MM. Laferrière, Hist. du droit français, t. III, p. 475 ; Ozanam dans ses Études germaniques, t. II, et H. Martin, Hist. de France, t. II, p. 303-306.

[90] Historische Zeitschrift, t. III, p. 42-96.

[91] Cette opinion était généralement admise au dernier siècle. Elle a été défendue plus récemment par M. Eichhorn.

[92] Il nous semble que le recueil existait déjà vers l’an 847, Benoît le diacre de Mayence, doit ravoir connu.

[93] Ce soupçon parait avoir été partagé par M. Guizot, Cours d’histoire moderne, t. II, p. 325. H. Martin attribue encore la rédaction des fausses décrétales à Benoît le Diacre à Mayence.

[94] C’est l’opinion qui fut soutenue et développée en 1845, dans un écrit publié par M. le professeur Wasseischleben.

[95] Il y a des auteurs qui ne considèrent pas Isidore de Séville comme l’auteur de cette collection, bien qu’elle ait une préface de lui. (Richter, 5e édition, de 1858, p. 71.)

[96] Walter, Kirchenrecht, 12e édition, de 1836, p 176.

[97] Voyez son écrit intitulé : Prœfatio historica-critica in veram et genuinam collectionem veterum canonum ecclesiœ hisponiensis. Bruxelles, an. VIII.

[98] On nous a assuré que des ecclésiastiques, poussés par un zèle religieux malentendu, avaient déterminé la veuve de Laserna à leur remettre ces manuscrits, qu’ils ont sinon détruits, du moins cachés jusqu’à ce jour.

[99] Études sur l’histoire de l’humanité, t. V, p. 411.

[100] Die Carolinger, t. I, p. 71, t. II, p.75, t. III, p. 224 et 284.

[101] Baluze, t. II, p. 259 ; D. Bouquet, t. VI, p. 699 ; Pertz, Leges, t. I, p. 533.

[102] L’Art de vérifier les dates, t. V, p. 471 ; Laurent, t. V. p. 241, note 3.

[103] Histoire de la Gaule méridionale, t. IV. p. 374.

[104] Baluze, t. II, p. 270.

[105] Baluze, l. c.