SAINT LOUIS ET SON TEMPS

 

TOME SECOND

CHAPITRE XXIV. — DERNIÈRE CROISADE.

 

 

I. — État des chrétiens d'Orient. - Prise d'Antioche.

Depuis que saint Louis avait pris la croix, son âme ne s'était plus détachée de la croisade. Depuis qu'il avait vu la Terre Sainte, il avait conçu l'ardent désir de la relever de ses ruines ; et en la quittant, rappelé en France par la mort de sa mère, il ne l'avait pas abandonnée. Il songeait à elle au milieu des soins qu'il dut consacrer aux affaires intérieures du royaume ; il y songeait encore, lorsqu'il travaillait avec tant de zèle à terminer les querelles, à rétablir la paix entre toutes les parties de la chrétienté. Il veillait à lui faire envoyer des secours. Il encourageait ceux qui se montraient disposés à refaire ce pieux pèlerinage. Il aurait voulu, on n'en peut douter, que son frère, le comte de Poitiers, après son retour, reprît le projet d'expédition qu'il avait formé avant que lui-même fût rappelé en France par la mort de sa mère. Un mémoire rédigé dans la chancellerie d'Alfonse, vers 1256, et dont la minute seule est restée, exposait les points divers qu'Alfonse désirait voir régler en sa faveur avant que de partir[1] ; et l'on voit dans la même année le pape Alexandre IV lui attribuer, comme l'avait fait un peu auparavant Innocent IV, toutes les ressources disponibles de l'Église en France : les legs faits en vue de la croisade, les sommes payées en rachat de leurs vœux par les croisés qui n'étaient point partis, les restitutions pour usure[2], etc.

Mais une circonstance pressa le roi de s'y tourner plus directement lui-même.

On se rappelle l'état des chrétiens d'outre-mer, lorsque saint Louis les avait quittés. Ils retenaient, avec la principauté d'Antioche, un très-petit nombre de places en Palestine que le roi s'était appliqué à mettre en défense, et la discorde affaiblissait encore ceux qui devaient s'y consacrer.

Les deux républiques italiennes, intermédiaires nécessaires de l'Occident avec le Levant, les Vénitiens et les Génois, pour qui, à la différence du reste de la chrétienté, la croisade n'avait que des bénéfices, se firent une guerre terrible à l'occasion d'un lieu (Saint-Sabas) attribué successivement par concession du pape aux premiers, puis aux derniers (1256-1258) ; et en Palestine même, une rivalité d'autre nature, dont nous avons signalé déjà les conséquences funestes, celle des Templiers et des Hospitaliers, se traduisit en conflits où beaucoup périrent. Ainsi les défenseurs naturels de la chrétienté en Palestine s'entre-tuaient les uns les autres. C'est de la sorte qu'ils employaient les loisirs que leur faisait une trêve de dix ans conclue en 1255 avec l'Égypte[3].

Les musulmans, il est vrai, n'étaient guère moins divisés. On a vu la rivalité qui existait entre la Syrie et l'Égypte ; mais en ce temps, un événement qui supprima la principauté d'Alep allait laisser les chrétiens exposés, sans diversion, à la puissance des Égyptiens.

Les Tartares s'étaient de nouveau tournés vers la Syrie. Houlagou, frère de Mangou, khan des Tartares, avait commencé par marcher sur Bagdad. Le calife Mostacem-Billah, trahi par son vizir, lui fut livré, et la ville abandonnée à un épouvantable massacre : ce fut la fin du califat (10 février 1258)[4]. Dans la suite de cette année et l'année suivante ; Houlagou subjugua la Mésopotamie, prit Carres et Rohas (l'ancienne Édesse), passa l'Euphrate et se répandit dans la Syrie, ravageant tout sur une largeur de quarante lieues ; il prit Hamah, Émèse, Damas, et partout il massacrait les musulmans ; car il semblait que le vainqueur du califat voulût en exterminer la race. Les chrétiens y auraient applaudi ; quelques-uns y aidèrent même d'abord. On dit que Héthoum Ier, roi de la petite Arménie, mandé par le conquérant, était venu le rejoindre à Rohas avec des troupes[5]. Le prince d'Antioche avait aussi fait sa soumission, et le bruit courut en Occident que Houlagou était venu le visiter. Ce qui est plus sûr, c'est qu'il vint en personne mettre le siège devant Alep, dont le sultan, Nacer, avait refusé de se rendre à son appel, connaissant la perfidie des Tartares. Nacer, qui était allé lever des troupes au dehors, ne put secourir sa capitale. La ville fut prise et ruinée (25 janvier 1260)[6], et Nacer, qui d'abord s'était réfugié en Égypte, livré par un autre ou se livrant lui-même, ne tarda point à être mis à mort. La même main avait fait périr le dernier descendant de Saladin et le dernier successeur de Mahomet. Tout le pays fut occupé jusqu'à Gaza, et l'Égypte même eût été en péril si la mort de Mangou n'avait rappelé Houlagou en Mésopotamie[7].

Il faut bien le dire, les chrétiens eux-mêmes ne croyaient pas tellement les Tartares attachés à la perte des musulmans qu'ils ne craignissent pour leur propre salut.

Ils avaient résolu de résister ; et l'évêque de Bethléem avait jeté l'anathème contre ceux qui feraient leur soumission. Les Arméniens qui l'avaient faite ont, pour se justifier, exagéré probablement les bonnes dispositions qu'aurait eues le chef des Tartares à l'égard des chrétiens dans cette invasion de la Palestine[8]. Ce qui est sûr, c'est qu'en ruinant, à la grande joie de ces derniers, leur ennemi le sultan d'Alep, il contribua plus que personne à les ruiner eux-mêmes. La domination de l'Égypte, demeurant sans contrepoids, les allait écraser[9].

L'Égypte n'appartenait plus à ceux qui y dominaient au temps de saint Louis. Aïbec avait fait tuer son ancien compagnon Acte, le chef des mamelouks bahrites et l'un des principaux meurtriers de Tonrân-Chah ; et, débarrassé de ce rival, il s'était fait nommer sultan, dépouillant de ce titre Achref-Moussa qui n'avait jamais eu qu'une autorité nominale en facis de ses deux puissants subordonnés, l'atabek et le djemdar. Il avait voulu relever son pouvoir en épousant Chedjer- eddor (1255). Chedjer-eddor le tua, mais elle périt elle-même en châtiment de son crime, et le fils d'Aïbec, Nour-eddin-ali, qui n'avait que quinze ans, fut proclamé sultan sous le nom d'El-Malec el Mansour (le prince aidé de Dieu). Il n'y avait là qu'un compromis entre les deux principaux corps de mamelouks. Ce, n'était pas ce jeune homme qui pouvait donner sécurité à l'Égypte dans le péril où tous les États musulmans se trouvaient à l'approche des Tartares, vainqueurs du califat. En 1259, un des chefs des mamelouks de son père Aïbec, nommé Kotoz, le déposa et prit sa place sous le nom d'El-Malec el-Modaffer (le prince victorieux), et il justifia son élévation en remportant, avec les chrétiens d'Acre, sur le lieutenant de Houlagou, une grande victoire qui rejeta les Tartares au delà de l'Euphrate[10] ; mais cela ne le sauva pas lui-même. L'usurpation est le propre des gouvernements militaires. Il en était des mamelouks ainsi que des prétoriens. Comme Kotoz revenait triomphant vers l'Égypte, il fut tué par un de ses lieutenants, Bibars Bondocdar, celui qui jadis avait frappé le premier le sultan Tourân-Chah. Cette fois il comptait bien jouir du fruit de son crime. Lorsque, dit Aboulféda, il arriva suivi de ses complices à la tente impériale, le lieutenant de Kotoz dans le sultanat, qui se trouvait auprès, leur dit : Lequel d'entre vous l'a tué ?Moi, répondit Bibars. — Mon seigneur, reprit le lieutenant, veuillez vous asseoir sur le siège du sultanat. Bibars s'y plaça, continue l'historien arabe, et l'armée, obéissant aux ordres qu'elle reçut, vint lui prêter le serment de fidélité (24 octobre 1260)[11].

Bibars poursuivit son chemin, ayant hâte d'occuper la capitale. Le Caire et le vieux Caire avaient été ornés pour l'arrivée de Kotoz ; ces préparatifs servirent pour l'entrée de Bibars.

C'est lui qui allait détruire les établissements chrétiens de Palestine.

Les chrétiens, dès son avènement, pouvaient le pressentir. C'est sous le prétexte que Kotoz ne voulait pas rompre avec les Francs d'Acre, ses alliés contre les Tartares, que Bibars l'avait fait périr. Le nouveau sultan prétendit que les chrétiens avaient manqué à la trêve en retenant leurs prisonniers (les Templiers et les Hospitaliers avaient en effet des esclaves qu'ils refusaient de rendre) ; et avec une armée de trente mille hommes, il envahit la Palestine (1263), rasant l'église de Nazareth, le monastère de Bethléem, tous les sanctuaires les plus vénérés des chrétiens, et se vengeant sur les campagnes des résistances

qu'il trouvait dans les châteaux et dans les villes (Acre, Montréal et Crak)[12]. L'année précédente, Antioche avait dû son salut aux Tartares qui, appelés par le roi d'Arménie, en firent lever le siège (1262)[13].

Bibars n'avait plus rien à craindre des Tartares. Houlagou était mort (1265) comme il s'apprêtait à se joindre aux princes chrétiens pour rejeter les Égyptiens hors de la Syrie ; et son fils, qui lui succéda, avait assez de peine à se défendre contre les peuples du voisinage. Le sultan d'Égypte résolut donc de pousser plus loin ses succès en Palestine. Il surprit Césarée (27 février 1265) et il en rasa les murs, prit et ruina de même Arsur (ou Arsouf) (30 avril). La ville d'Acre était le dernier boulevard des chrétiens. Son salut ou sa perte devait décider de l'avenir de la Palestine. Bibars se mit en mesure de l'assiéger par terre et par mer[14].

Les habitants d'Acre, justement effrayés, firent appel à l'Occident, et Eudes, comte de Nevers, fils du duc de Bourgogne, vint en Palestine, amenant cinquante chevaliers. Mais que pouvait-il faire avec une pareille troupe ? et il mourut l'année suivante. Le secours le plus assuré était encore celui des chrétiens d'Orient : l'Arménie, Antioche. Mais Bondocdar, tout en menaçant la ville d'Acre, songeait à lui ôter ces appuis. Un de ses lieutenants, établi à Émèse, battit Bohémond, prince de Tripoli et d'Antioche (18 ou 19 novembre 1265) ; un autre envahit la Petite Arménie, défit les Arméniens dans une sanglante rencontre et prit le fils du roi (22 août 1266). On raconte que le prince, désespéré de la perte de son fils, offrait tout à Bibars pour qu'il le remît en liberté. Bibars n'y voulut d'autre condition que la délivrance d'un de ses amis, prisonnier des Tartares : le roi d'Arménie députa donc au successeur de Houlagou son allié. Mais où trouver le prisonnier dans l'empire des Tartares ? On le trouva, et Bibars, charmé de revoir son ami, renvoya le prince arménien avec une suite magnifique[15].

Après cette défaite, l'Arménie fut en quelque sorte hors de cause. Antioche, attaquée cette fois par Bibars lui-même, fut prise d'assaut et saccagée ; dix-sept mille hommes y périrent, cent mille habitants furent emmenés en captivité (27 mai 1268)[16].

 

II. — Prédication et préparatifs de la croisade.

Les papes n'avaient pas attendu cette catastrophe pour faire appel à l'Occident, ni saint Louis pour répondre à cet appel. Dès 1260, à l'annonce de la nouvelle invasion des Tartares, Alexandre IV en avait écrit au roi de France ; et le pieux roi avait envoyé de l'argent en Palestine. L'Occident même était menacé par les Tartares. En 1261, le dimanche de la Passion (10 avril), il se tint une assemblée des évêques, des princes et des chevaliers du royaume à Paris. On résolut de fléchir la colère du ciel par le jeûne et par la prière ; de supprimer toute superfluité dans la table et dans les habits, de s'abstenir, pendant deux ans, de tournois et de jeux, à l'exception de l'arc et de l'arbalète qui rentraient dans les exercices militaires. Le pape qui succéda à Alexandre IV était encore plus zélé pour la Terre Sainte : c'était le patriarche de Jérusalem, le français Jacques Pantaléon, élu pape sous le nom d'Urbain IV, comme. il venait en Occident solliciter pour elle les secours de la chrétienté. Il ordonna la levée d'un centième pendant cinq ans, sur tous les revenus ecclésiastiques de l'Occident, ordre qui fut mal accueilli en France[17], mais qu'il renouvela et qui finit par être exécuté. Saint Louis, qui devait diriger l'emploi de ces fonds, put ainsi fournir à son lieutenant Geoffroi de Sargines le moyen de rester dans le pays qui avait tant besoin de sa vaillance[18].

Mais les Tartares, on l'a vu, n'étaient pas le plus grand danger pour les chrétiens de Palestine. Ils leur avaient nui bien moins par eux-mêmes que par le contrecoup de la ruine du sultan d'Alep, et par la prépondérance que leur retraite laissait, après cette ruine, aux. Égyptiens. Ce fut aussi contre les Égyptiens que la croisade fut prêchée, après que Bibars eut rompu la trêve. Urbain IV écrivit à saint Louis une lettre dans laquelle il lui dépeignait avec éloquence l'état de la Terre Sainte (20 août 1263)[19] et le légat reçut ordre de tenir un concile à Paris (25 août 1264). Bouchard, comte de Vendôme, le comte de Blois, et Érard de Valery, un des anciens compagnons de saint Louis en Égypte, prirent la croix. Le pape voulut qu'un prélat de Palestine, l'archevêque de Tyr, vînt lui-même exposer aux fidèles les misères et les besoins des chrétiens d'Orient ; cette mission, donnée par Urbain IV à l'archevêque, lui fut maintenue, malgré ses excuses, par Clément IV. La mort seule put l'en décharger. On avait cru trouver un moyen excellent pour subvenir aux besoins d'argent de la Terre Sainte on promettait l'absolution aux usuriers, à la condition qu'ils donnassent pour la croisade ce qu'ils avaient acquis par leurs usures : c'était compter beaucoup sur la foi des usuriers. On en avait imaginé un autre pour faire arriver en Palestine des soldats : c'était de ne plus prêcher la croisade pour la conquête de la Sicile (14 avril 1266). Mais c'était trop se fier à la vertu des indulgences. Ceux que tentait la Sicile n'avaient pas la même ardeur pour les saints lieux[20].

Saint Louis se prêtait de grand cœur à toutes les mesures réclamées à cette fin par le Saint-Siège. Il ne voulait pas seulement y faire servir tout ce qu'il pouvait donner ; il s'y voulait consacrer lui-même : grave résolution qui n'intéressait pas seulement sa personne et qui ainsi obligeait sa conscience. Aussi voulut-il prendre l'avis du pape, et il députa un messager sûr à Clément IV. La chose était de si grande conséquence, en effet, que le pape n'osa d'abord lui en donner le conseil : il prit du temps pour en délibérer. On dit même que par une première lettre il l'en détourna, considérant le bien que saint Louis avait à faire dans son propre royaume. Mais l'intérêt de la chrétienté ne parlait-il pas plus haut ? Le pape se demandait donc s'il ne reviendrait pas sur sa réponse, quand un nouveau message de saint Louis mit un terme à ses hésitations. Saint Louis lui faisait savoir que de lui-même il inclinait pour le voyage : et le pape regarda cette détermination comme un signe de la volonté de Dieu[21].

Le roi, fort de l'assentiment que Clément IV lui envoya par plusieurs lettres, manda près de lui les barons et les prélats du royaume. Ils se rendirent à Paris, le jeudi de la mi-carême 24 mars 1267, sans savoir de quoi il s'agissait. Le lendemain, jour de l'Annonciation, tous étant réunis en présence du légat, saint Louis apporta de la Sainte-Chapelle la Couronne d'épines, et devant cette relique insigne de la Passion, il pressa l'assemblée de prendre la croix. Le légat parla ensuite et quand il eut fini, le roi, le premier, reçut la croix de sa main, et après lui ses trois fils aînés, Philippe, Jean et Pierre ; puis le comte d'Eu, le comte de Bretagne, Marguerite, comtesse de Flandre, et la plupart de seigneurs présents. Alfonse, comte de Poitiers, s'était croisé avant son frère. Plusieurs autres, qui n'étaient pas à l'assemblée, cédant à l'exemple ou aux exhortations de saint Louis, firent de même : Thibaut, roi de-Navarre, son gendre, Robert, comte d'Artois son neveu, Gui, comte de Flandre, Jean, fils du comte de Bretagne, les comtes de Saint-Pol, de la Marche, etc. On n'y compta point, quoi qu'en disent certaines listes, le sénéchal de Champagne, Joinville, le fidèle compagnon de saint Louis[22]. En vain, le saint roi et le roi de Navarre qui avait autorité sur lui par la Champagne essayèrent-ils de l'y déterminer. Il s'y refusa, alléguant les souvenirs de la première croisade ; et plût à Dieu que saint Louis eût, de son côté, mieux goûté ses raisons[23] !

La page où le sire de Joinville raconte cette lutte et ses appréhensions est une des plus touchantes de son livre :

Après ces choses dessus dites, il advint que le roi manda tous ses barons à Paris en un carême (1267). Je m'excusai près de lui pour une fièvre quarte que j'avois alors, et le priai qu'il me voulût bien dispenser. Et il me manda qu'il vouloit absolument que j'y allasse ; car il avoit là de bons médecins qui savoient bien guérir de la fièvre quarte. de m'en allai à Paris. Quand je vins le soir de la vigile de Notre-Dame en mars, je ne trouvai ni roi ni autre qui me sût dire pourquoi le roi m'avoit mandé. Or il advint, ainsi que Dieu le voulut, que je m'endormis à matines, et il me fut avis en dormant que je voyois le roi devant un autel à genoux, et il m'étoit avis que plusieurs prélats en habits d'église le revêtaient d'une chasuble vermeille en serge de Reims. J'appelai après cette vision monseigneur Guillaume, mon prêtre, qui étoit très-savant, et lui contai la vision. Et il me dit ainsi : Sire, vous verrez que le roi se croisera demain. Je lui demandai pourquoi il le croyoit ; et il me dit qu'il le croyoit à cause du songe que j'avois songé ; car la chasuble de serge vermeille signifioit la croix, laquelle fut vermeille du sang que Dieu y répandit de son côté, et de ses mains et de ses pieds. Quant à ce que la chasuble étoit en serge de Reims, cela signifie que la croisade sera de petit profit, ainsi que vous verrez si Dieu vous donne vie.

Quand j'eus oui la messe à la Magdeleine à Paris, j'allai à la chapelle du roi, et trouvai le roi qui étoit monté sur l'échafaud des reliques, et faisoit apporter la vraie croix en bas. Pendant que le roi venoit en bas, deux chevaliers qui étoient de son conseil commencèrent à parler l'un à l'autre, et l'un dit : Ne me croyez jamais, si le roi ne se croise ici. Et l'autre répondit : Si le roi se croise, ce sera une des douloureuses journées qui jamais fût en France. Car si nous ne nous croisons pas, nous perdrons l'affection du roi ; et si nous nous croisons, nous perdrons celle de Dieu, parte que ce ne sera pas pour lui que nous nous croiserons, mais par peur du roi.

Or il advint ainsi que le roi se croisa le lendemain, et ses trois fils avec lui ; et depuis il est advenu que la croisade fut de petit exploit, selon la prophétie de mon prêtre. Je fus beaucoup pressé par le roi de France et le roi de Navarre de me croiser. A cela je répondis que, tandis que j'avois été au service de Dieu et du roi outre-mer, et depuis que j'en revins, les sergents du roi de France et du roi de Navarre m'avoient détruit et appauvri mes gens, tellement qu'il ne seroit jamais un temps où moi et eux n'en valussions pis ; et je leur disois ainsi que si je voulois agir au gré de Dieu, je demeurerois ici pour aider et défendre mon peuple ; car si je mettois mon corps dans les aventures du pèlerinage de la croix, là où je verrois tout clair que ce seroit pour le mal et le dommage de mes gens, je courroucerois par là Dieu, qui mit son corps pour sauver son peuple.

Je pensai que tous ceux-là firent un péché mortel qui lui conseillèrent le voyage, parce que au point où il étoit en France, tout le royaume étoit en bonne paix à l'intérieur et avec tous ses voisins ; et depuis qu'il partit l'état du royaume ne fit jamais qu'empirer. Ils firent un grand péché ceux qui lui conseillèrent le voyage, dans la grande faiblesse là où son corps étoit ; car il ne pouvoit supporter d'aller en char ni de chevaucher. Sa faiblesse étoit si grande, qu'il souffrit que je le portasse dans mes bras depuis l'hôtel du comte d'Auxerre, là où je pris congé de lui, jusques aux Cordeliers. Et pourtant, faible comme il étoit, s'il fût demeuré en France, il eût pu encore vivre assez et faire beaucoup de bien et de bonnes œuvres (ch. CXLIV).

Le pape, qui usa de l'exemple de saint Louis pour entraîner les princes, fut ému lui-même et comme effrayé de cet entier abandon avec lequel le roi se consacrait, lui et tous les siens, même l'aîné de ses fils, à la guerre sainte[24]. Que deviendrait le royaume en cas de revers ? Le pontife déclinait toute part de responsabilité dans cette, résolution[25]. Mais saint Louis avait foi en Dieu. Dès ce moment, et en attendant qu'il pût accomplir son vœu en personne, il s'occupa de faire passer des secours aux chrétiens d'Orient ; il donna par deux fois pouvoir d'engager son nom pour un emprunt qui permit de retenir quelques chevaliers en Terre Sainte[26]. On avait surtout besoin du concours des villes maritimes d'Italie, et l'on a vu comment la croisade avait divisé, loin de les unir, les deux plus puissantes, Gênes et Venise, Saint Louis fit les plus grands efforts pour les réconcilier ; mais l'obstination de Gènes les fit échouer. Le roi voulut au moins traiter avec Venise pour avoir des vaisseaux ; et les Vénitiens s'y refusèrent d'abord, convaincus qu'il s'agissait d'une nouvelle campagne en Égypte, et ne voulant pas ruiner leur commerce avec Alexandrie. Ils rougirent pourtant de pareils sentiments, et rédigèrent un projet de convention ; mais ce fut avec Gênes que saint Louis traita[27].

Il ne fallait pas seulement des hommes et des vaisseaux : il fallait de l'argent. Le clergé était communément invité à y contribuer en pareille circonstance. Le pape accordait décimes et douzièmes. Urbain IV, on l'a vu, avait ordonné de lever pendant cinq ans, sur tous les ecclésiastiques, le centième de leurs revenus : et cette levée qui devait finir en 1268, durait encore en 1270. Quand saint Louis fut sur le point d'accomplir son voyage, il lui fallut un secours plus considérable. Clément IV ordonna que tout le clergé lui payât, non plus un centième, mais un dixième pendant trois ans, n'exceptant que les ordres engagés eux-mêmes dans la défense de la Terre Sainte, les Templiers, les Hospitaliers et les chevaliers Teutoniques. Les Églises de Liège, de Metz, de Toul et de Verdun, quoique étrangères au royaume, étaient soumises à la même taxe. Le clergé murmura, députa à Rome, mais le pape reçut fort mal les délégués[28], et écrivit à ceux qui lès envoyaient plus durement encore[29].

Saint Louis ne voulait pas seulement combattre avec le bien de l'Église : il y voulait d'abord employer le sien ; et pour que personne n'en souffrit plus que lui-même, il commença par diminuer les dépenses de sa maison[30]. Comme la coutume féodale l'y autorisait dans les circonstances graves, il mit une taille sur ses vassaux et les sujets de ses domaines[31] ; et du reste, il en avait une autre raison encore : il armait son fils aîné Philippe chevalier. Il arma chevaliers avec lui beaucoup d'autres seigneurs, et il voulut faire, pour tous, les frais de la cérémonie[32].

Saint Louis travaillait encore d'une autre manière au succès de la guerre sainte. Il déployait plus de zèle que jamais à régler et apaiser les différends entre ses vassaux ou ses voisins, à terminer par les voies pacifiques ce qu'on était trop habitué à trancher par les armes. C'est ce que l'on peut voir dans le différend du comte d'Armagnac, Géraud, avec la ville de Condom (29 novembre 1267) ; dans la querelle du sire de Bourdeille avec la vicomtesse de Limoges (1267-1268) ; dans la petite guerre du comte de Bar et du comte de Luxembourg (1266-1268)[33] ; et c'est dans la même pensée qu'il faisait renouveler en 1269, la trêve entre l'Angleterre et le Navarre[34]. Il se préparait personnellement à la pieuse entreprise en faisant droit à tous ceux qui pouvaient avoir des réclamations contre lui : il aimait, on l'a vu, à charger de ces enquêtes, non des agents de son administration, trop portés peut-être à prendre ses intérêts, mais des religieux qui jugeassent en conscience ce qui pour saint Louis était affaire de conscience[35]. Cette sorte de démarche était une garantie que dans les besoins d'argent nécessités par son entreprise, le roi n'excéderait jamais ses droits : et ce fut sans doute pour préserver ses sujets d'exactions plus dommageables en son absence qu'il crus devoir vers cette époque (janvier 1269) expulser les Caorsins et les usuriers[36].

Dans un parlement tenu à Paris le 9 février 1268, saint Louis fixa son départ au mois de mai de la seconde année qui suivrait (1270). Les seigneurs qui avaient déjà pris la croix s'engagèrent à passer la mer avec lui en ce temps-là, et l'annonce qui en fut faite partout réveilla dans quelques âmes encore le zèle de la croisade. Le roi de Portugal, le roi d'Aragon prirent la croix ; mais le roi d'Aragon rencontra un obstacle inattendu. Être en paix avec soi-même et avec Dieu paraissait toujours la première condition du succès dans la guerre sainte, la première chose à faire avant de s'y engager. Au milieu des nécessités les plus pressantes des saints lieux, les papes ne se départirent jamais de cette règle. Le roi d'Aragon eut beau mettre sa personne et sa flotte an service des croisés, Clément IV refusait son concours, s'il ne commençait par rompre une liaison criminelle, parce que, disait-il, le Christ ne reçoit pas ce devoir d'un homme qui, se souillant par un commerce incestueux, le crucifie pour la seconde fois. Jacques partit néanmoins, mais il fut arrêté par une tempête et revint en Aragon, rejeté ainsi par la mer, et aussi, dit-on, rappelé par sa dame[37].

Saint Louis désirait beaucoup avoir également dans sa compagnie Édouard, fils du roi d'Angleterre ; mais le pape y répugnait pour un autre motif : il craignait que le roi d'Angleterre ne sût pas tenir contre une nouvelle révolte de ses barons en l'absence de son fils. Édouard pourtant prit la croix ainsi que son frère Edmond et plusieurs seigneurs du pays, et il vint trouver saint Louis en 1269 pour concerter avec lui son départ. Il ne devait partir qu'après le roi de France[38].

Saint Louis, comme s'il avait le pressentiment qu'il ne reverrait pas son royaume, voulut, avant de partir, pourvoir à l'établissement de tous ses enfants. Il avait déjà réglé l'apanage de son fils aîné, Philippe, en l'armant chevalier. Il lui avait donné Orléans, Montargis, Château-Landon, etc. Il donna à Jean le comté de Valois, à Pierre les comtés du Perche et d'Alençon[39]. Il maria sa fille Blanche à Fernand, fils aîné d'Alphonse, roi de Castille[40], renonçant à l'idée qu'il avait eue de la consacrer à Dieu. Il avait accordé sa fille Marguerite à Henri de Brabant (1257) : mais ce jeune prince, faible de corps et d'esprit, avait abandonné son duché à son frère pour se retirer dans un couvent ; ce fut aussi à ce frère que la jeune princesse fut mariée en février 1270[41]. Il prit enfin des dispositions plus générales sur la distribution des biens du monde qu'il laisserait après lui en rédigeant son testament[42]. Il recommandait en premier lieu d'acquitter ses dettes, de réparer ses torts, de restituer ce qu'il pourrait avoir sans droit. Il léguait à sa femme Marguerite quatre mille livres ; aux frères prêcheurs et aux frères mineurs de Paris, à l'abbaye de Royaumont et aux frères prêcheurs de Compiègne, par portion égale, les livres qu'il avait réunis et qu'il laisserait à son décès. L'abbaye de Royaumont, et un grand nombre d'autres convents d'hommes et de femmes de divers ordres, prêcheurs, mineurs, chanoines réguliers, mathurins, chartreux, carmes, ermites de Saint-Guillaume et de Saint-Augustin, béguines, Filles-Dieu, une foule d'hospices ou d'institutions charitables, les pauvres écoliers de Saint-Thomas du Louvre et de Saint-Honoré, les Bons-Enfants de Paris, etc., étaient l'objet de ses libéralités. Il n'oubliait ni ses serviteurs, ni les clercs de sa chapelle, ni ses pauvres ordinaires, ni les pauvres filles à marier, ni les baptisés, musulmans convertis qu'il avait ramenés jadis de la Terre Sainte ; et ne croyant pas pouvoir faire assez par lui-même, il recommandait à son héritier de leur continuer ses bienfaits. Ses fils, Jean-Tristan, Pierre et Robert, sa fille Agnès, ne venaient qu'après les autres ; et c'est avec le soin d'accomplir ces legs qu'il attribuait tout le reste à Philippe, son fils aîné (février 1270)[43].

Cependant on approchait du terme fixé pour la croisade. Dès le mois de juin 1269, le légat avait pris des mesures pour que les croisés fussent avertis de ne point manquer au rendez-vous donné par le saint roi ; et le prince avait fait réunir à Aigues -Mortes des vaisseaux et des vivres. Avant de partir, quoique sa femme, la reine Marguerite, dût cette fois demeurer en France, le roi, écoutant plus le bien de l'État que sa tendresse, donna la régence, non point à elle, mais à deux hommes renommés pour leur habileté dans l'administration et pour leurs vertus : Matthieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et Simon, comte de Nesle[44]. Il leur remit le pouvoir, leur fit prêter serment par ceux de son conseil, et par surcroît de précaution désigna ceux qui les devaient remplacer en cas de mort : l'évêque d'Évreux pour l'abbé de Saint-Denis, et le comte de Ponthieu pour Jean de Nesle[45].

Le 14 mars 1270, il se rendit à Saint-Denis, y reçut de la main du légat le bourdon de pèlerin, et prit l'oriflamme des mains de l'abbé : c'était le commencement de sa croisade. Il revint à Paris, et le jour suivant, 15 mars, il se rendit nu-pieds de son palais à Notre-Dame, accompagné de son fils aîné, Philippe, de Pierre son. troisième fils, du comte d'Artois son neveu, et de plusieurs autres. Le soir, il vint coucher à Vincennes, et le lendemain il prenait congé de Marguerite. La pauvre reine le quitta tout en pleurs : elle le voyait pour la dernière fois.

Saint Louis prit sa route par la Champagne et la Bourgogne : différents actes marquent son itinéraire par Villeneuve-Saint-Georges, Melun, Sens, Auxerre, Vézelay, jusqu'à Cluny où il passa peut-être la fête de Pâques. De là, il gagna Mâcon, Lyon, Vienne, Beaucaire, et arriva enfin à Aigues-Mortes où était encore le rendez-vous[46]. Mais les vaisseaux n'étaient pas tons réunis ; et pendant ce retard la bonne intelligence pouvait bien ne pas se maintenir entre les hommes de toute origine qui se trouvaient là rassemblés. Il y eut entre les Provençaux et les Catalans une querelle sanglante dans laquelle plus de cent périrent. Le roi, qui était allé célébrer la fête de la Pentecôte à Saint-Gilles, revint en toute hâte et punit les coupables.

 

III — Expédition de Tunis.

Ce fut le mardi après la Saint-Pierre (1er juillet 1270) qu'il monta sur son vaisseau. Où allait-on ? Le but de la croisade était toujours la délivrance des Saints Lieux ; mais depuis le commencement de ce siècle, ce n'était pas toujours là qu'on se portait immédiatement. Dans sa première expédition, saint Louis était allé en Égypte. Cette fois, il se dirigea vers Tunis[47].

Il espérait convertir le roi de Tunis. On lui avait dit que ce prince musulman avait envie de se faire chrétien ; qu'on l'y amènerait facilement, s'il en trouvait une occasion favorable, s'il le pouvait faire l'honneur sauf et sans avoir rien à redouter de ses peuples : et cette pensée avait entièrement subjugué saint Louis. Oh ! si je pouvais devenir parrain d'un tel filleul ![48] s'écriait-il. Dans cet espoir, il avait même eu le projet de se rapprocher de lui en s'en allant comme pour visiter ses provinces de Carcassonne et de Narbonne. Il y avait eu dans ces derniers temps des messages échangés entre les deux États. Tout récemment, à la fête de Saint-Denis, comme le roi tenait sur les fonts de baptême, avec plusieurs des grands, un Juif fameux qui se faisait baptiser dans l'église du saint, il invita à la solennité les députés du roi de Tunis qui se trouvaient alors à Paris, et, les appelant après la cérémonie, il leur dit avec chaleur : Dites de ma part à votre maître que je désire tant le salut de son âme que je voudrais être dans les prisons des Sarrasins jusqu'à la fin de ma vie, sans plus jamais voir la clarté du jour, pourvu que votre roi et tout son peuple se fissent chrétiens du fond du cœur. Ô parole vraiment catholique, s'écrie son confesseur, Geoffroi de Beaulieu, parole pleine de foi et de charité ! Il souhaitait dévotement, ce roi catholique, que la foi chrétienne qui, au temps de saint Augustin et des antres docteurs orthodoxes, florissait avec tant d'éclat dès l'antiquité en Afrique et surtout à Carthage, y refleurît et s'y répandît pour l'honneur et la gloire de Jésus-Christ[49].

Saint Louis se figurait que, s'il abordait tout à coup avec une grande armée à Tunis, le roi ne pourrait trouver une meilleure occasion de recevoir le baptême sans risquer sa vie ni sa couronne. On faisait d'ailleurs entendre au pieux roi que si le prince refusait absolument de se faire chrétien, la ville de Tunis était facile à prendre, et par suite tout le pays. On lui insinuait en outre que cette ville était pleine d'or et d'argent et d'une infinité de richesses, attendu que, depuis fort longtemps, elle n'avait été conquise par personne ; que si on la prenait, ses trésors seraient une grande ressource pour reconquérir et restaurer la Terre Sainte. Enfin on prétendait que le sultan de Babylone (le Caire) en recevait de grands renforts en cavalerie, en armes et en soldats, au grand dommage des chrétiens d'Orient. On croyait donc que si cette fatale racine était extirpée, la Terre Sainte et la chrétienté tout entière y trouveraient le plus grand bien[50].

Toutes ces raisons étaient de pures chimères : le seule véritable, c'est que Tunis, rendu tributaire de la Sicile depuis le temps du roi Roger II, avait cessé de payer, depuis la conquête française, le tribut à Charles d'Anjou[51]. Bien plus, le sultan de Tunis avait favorisé l'expédition de Conradin. Tandis que le duc d'Autriche et Frédéric Lanza faisaient appel aux Gibelins de Lombardie et de Toscane, Henri et Frédéric de Castille, qui s'étaient mis au service du sultan, avaient organisé, évidemment de son aveu, un corps de troupes pour débarquer en Sicile[52] ; et quand la bataille de Tagliacozzo eut arrêté leurs projets, c'est à Tunis que les partisans de Conradin avaient cherché un refuge : c'est de Tunis que pouvaient donc venir quelque tentative de revanche de la part des vaincus[53]. Charles d'Anjou devait être de la croisade. On peut voir sûrement sa secrète influence dans la direction qui fut imprimée à l'expédition, comme on retrouvera sa main dans le traité qui la termina. Mais ces motifs ne se produisirent pas dans le conseil. On ne fit valoir que les raisons d'intérêt général, et, pour en cacher la faiblesse, celles qui pouvaient avoir le plus de prise sur l'âme, trop crédule ici, du saint roi.

A peine fut-on en mer, qu'une tempête dispersa la flotte. Le roi recourut à la prière. Il fit célébrer quatre messes devant lui en l'honneur de Notre-Dame, des Saints Anges, du Saint-Esprit, et, pour terminer, des morts : messes plus faciles à entendre qu'à dire ; c'est à grand'peine si l'on pouvait se tenir de pied ferme sur le vaisseau. La tempête s'apaisa, et le lendemain on était en vue de la Sardaigne, non loin de Cagliari. On y aborda le mardi (8 juillet), mais on y reçut un fort mauvais accueil. C'est à peine si on y put prendre de l'eau douce et obtenir un peu de pain et d'herbe verte pour de l'argent. Les habitants redoutaient ces étrangers et emportaient leurs biens dans les lieux les moins accessibles. Le roi envoya le lendemain un de ses chevaliers au commandant du château. Il demandait qu'on y reçût ses malades et qu'on lui vendit des vivres au prix où ils étaient avant l'arrivée de sa flotte. On lui répondit que ses malades seraient bien reçus dans la ville, mais que le château appartenait aux gens de Pise et que défense était faite d'y admettre personne. Quant aux vivres, on promettait de les vendre à prix raisonnable. Le roi ordonna que les malades fussent conduits au château : car les maisons de la ville étaient de pauvres cabanes en terre, presque inhabitables : ils furent reçus non au château, mais dans un couvent de frères mineurs, situé assez loin de la place, et pour les vivres, on en trouva fort peu que l'on vendait très-cher. Une poule, qui ne valait pas auparavant plus de 4 deniers de Gênes, se vendait 2 sous tournois et plus, et ainsi du reste ; et les deniers tournois, dont 12 valaient 18 deniers de Gênes, n'étaient plus pris que pour deniers de Gênes[54]. Le roi fit faire des remontrances aux habitants qui, par crainte plus que par amour, s'engagèrent à lui donner satisfaction et offrirent de le recevoir avec quelques-uns des siens au château, pourvu qu'il les garantît contre les Génois qui étaient ses mariniers[55] : car les Génois étaient ennemis des Pisans, leurs seigneurs. Saint Louis répondit qu'il n'avait cure de leur château, ni de leur forteresse ; qu'il voulait seulement que ses malades fussent courtoisement traités et qu'on lui donnât à juste prix ce qui était à vendre. Ils promirent, mais tinrent peu ; et les Français irrités ne demandaient qu'une parole du roi pour exterminer cette ville et cette gent, la plus mauvaise qu'ils eussent jamais rencontrée. Mais le bon roi, if doux et paisible, n aima mieux fermer les yeux sur ces griefs que de combattre des chrétiens, disant qu'il n'était pas venu pour les détruire, quoiqu'ils l'eussent bien mérité[56].

Le vendredi suivant (11 juillet) le roi vit arriver à Cagliari les autres vaisseaux partis de Marseille ou d'Aigues-Mortes. Il réunit ainsi autour de lui le roi de Navarre son gendre, le comte de Poitiers son frère, le comte de Flandre, Jean de Bretagne, et beaucoup d'autres. Il tint conseil sur son vaisseau, et on s'y affermit dans la résolution d'aller à Tunis avant de passer en Égypte et en Terre Sainte. Au moment où l'on allait mettre à la voile, les gens du château et de la ville vinrent offrir au roi vingt tonneaux de très-bon vin grec, comme ils disaient. Mais saint Louis ne voulut pas de leur présent et leur fit dire d'avoir soin des malades qu'il laissait en leur ville, que ce lui serait le don le plus précieux[57].

On partit le mardi 15 juillet, et le surlendemain on était devant le port de Tunis. L'amiral, envoyé pour explorer le lieu, y trouva quelques vaisseaux marchands, et deux autres vides qui étaient aux Sarrasins. Il s'empara de ces deux vaisseaux, occupa le port et descendit à terre ; puis le manda au roi pour qu'il lut fit passer des renforts. Le roi ne s'attendait pas à cette prise de possession. Il fit appeler sur son vaisseau ceux des barons qui étaient les plus proches. Le conseil fut partagé d'opinions. L'abandon sans défense d'un tel port qui ouvrait le pays tout entier pouvait cacher un piège. Plusieurs pourtant étaient d'avis de s'y établir, puis qu'on y avait abordé sans dommage. On finit par se résoudre à y envoyer frère Philippe de Glès (de Eglis) et le maître des arbalétriers avec pouvoir de faire ce qu'ils jugeraient le plus profitable : ou ramener l'amiral, ou débarquer des troupes pendant la nuit[58].

Ils revinrent avec l'amiral ; ce qui souleva bien des murmures. On demeura toute la nuit dans les vaisseaux. Le matin, on vit les Sarrasins accourir à pied et à, cheval autour du port. Le roi tint conseil, et à la vue de l'ennemi toute hésitation se dissipa ; on résolut de débarquer sans plus attendre. Le vaisseau du roi marchait en tête des autres. On prit terre au lieu où était descendu l'amiral, et on n'y trouva pas plus d'opposition (vendredi 18 juillet). Au lieu de se jeter sur les envahisseurs, les Sarrasins épouvantés s'étaient retirés à l'angle d'une petite île. On s'établit donc à terre et on dressa les tentes dans une sorte d'île, longue d'une lieue sur une largeur de trois portées d'arbalète. Elle offrait une issue à ses deux extrémités ; pas d'eau douce, si ce n'est au point le plus éloigné, et les valets de l'armée qui s'y étaient portés pour en puiser tombèrent en partie sous les coups des Sarrasins placés en embuscade. Il y avait vers cette extrémité une tour dont les Sarrasins étaient maîtres. On les en chassa ; mais ceux qui les remplacèrent y furent assiégés eux-mêmes par une plus grande troupe d'ennemis, et ils y eussent été brûlés, si saint Louis n'était venu les dégager[59].

On quitta cette île, où l'eau douce était d'ailleurs insuffisante et l'on se dirigea vers le château de Carthage. Sur la route, on occupa la tour dont il a été parlé (elle demeura à nos troupes tant que dura le siège de Tunis), et l'on campa dans une vallée sous Carthage, où l'on trouvait, avec le libre accès du port et des vaisseaux, l'avantage d'avoir de l'eau en abondance ; car chacun de ceux qui y possédaient un champ avait mi puits pour l'arroser[60].

Quand les tentes y furent dressées, ceux de la flotte vinrent trouver le roi et lui dirent que s'il voulait leur donner des arbalétriers, ils prendraient le château. Le roi leur dit de faire les préparatifs de l'attaque ; et quand ils furent prêts il leur fit donner cinq cents arbalétriers à pied et à cheval et quatre corps de chevaliers étrangers, puis, avec ses barons, se mit en bataille et maintint si bien les Sarrasins qu'ils ne purent secourir le château. Pendant ce temps, les gens de la flotte avaient dressé leurs échelles et, sans perdre plus d'un seul homme, escaladé les murs où ils firent flotter leur bannière. A cette vue, le roi et les barons se jetèrent sur les Sarrasins, qu'ils mirent en déroute. Plusieurs se réfugièrent dans les cavernes. Le feu les y fit périr, au nombre de deux cents environ, ou les en délogea. Plusieurs en effet s'échappèrent, chassant leurs troupeaux devant eux, et ne furent pas poursuivis : défense avait été faite de combattre hors des rangs, sous peine d'être laissé sans appui. Le château étant pris, le roi y envoya pour le garder des chevaliers et, des arbalétriers et nombre de fantassins ; il en fit enlever tous les cadavres afin qu'on y pût recevoir les femmes, les malades et ceux qui seraient blessés dans la bataille. Dans le château et autour des murs on trouva beaucoup d'orge en cavernes et fossés (silos), mais rien des autres objets que le nom de Carthage pouvait faire rêver aux imaginations enflammées des conquérants[61].

Les Sarrasins étaient loin d'être vaincus. Le vendredi qui suivit la bataille, ils s'étaient retirés vers le soir, par aventure pour ce qu'ils vouloient garder leur sabbat, dit Guillaume de Nangis ; mais le lendemain ils revinrent à l'attaque si brusquement que les croisés durent quitter leur repas pour crier aux armes. Ce même jour, deux chevaliers de Catalogne vinrent du camp des Sarrasins faire leur soumission à saint Louis, et ils lui dirent que le roi de Tunis avait fait prendre tous les mercenaires chrétiens qui étaient dans son armée, menaçant de leur faire couper la tête si les Français venaient jusqu'à Tunis[62].

Peu de temps après une soumission d'une autre sorte, que saint Louis, dans la disposition d'esprit où il était, devait prendre au sérieux, mit le camp en émoi.

Un jour qua le comte d'Eu et son frère Jean d'Acre, bouteiller de France, faisaient le guet, trois guerriers sarrasins se présentèrent au second et lui dirent qu'ils voulaient se faire chrétiens. Ils portèrent leurs mains à leur tête en signe d'hommage et baisèrent les mains des nôtres comme pour se placer dans leur dépendance. Le bouteiller, à qui ils s'étaient rendus, les mena dans son pavillon et vint en avertir le roi qui ordonna de les bien garder. Comme il était retourné à son poste, cent autres Sarrasins vinrent à lui, déposèrent leurs armes, et, avec les mêmes signes que les premiers, demandèrent le baptême. Mais tandis que le bouteiller et ses hommes étaient occupés avec eux, une multitude d'autres Sarrasins accoururent, lance en arrêt, se jetèrent sur les nôtres, en tuèrent soixante environ et prirent la fuite : trahison qui n'eut d'égale que la crédulité de ces chrétiens ; et l'on s'en prit au bouteiller qui n'avait pas été plus vigilant dans sa garde. Jean d'Acre, revenu dans sa tente, reprocha vivement à ses trois Sarrasins la perfidie dont il les supposait complices. Celui des trois qui paraissait le plus considérable s'en excusa avec larmes ; et le bouteiller, touché de ses paroles, le rassura en lui disant que, puisqu'il s'était placé sous la bonne foi des chrétiens ; il trouverait fidélité en eux. L'autre, abusant de sa simplicité, lui fit alors toute une histoire. Ils étaient deux grands seigneurs à la cour du roi de Tunis. C'est son rival qui, le voyant se soumettre aux chrétiens, avait imaginé cette attaque pour le perdre ; mais aucun de ses soldats n'avait pris part à la trahison, et si l'on voulait renvoyer un de ses compagnons vers eux, il se faisait fort d'en faire venir plus de deux mille qui apporteraient des provisions et se mettraient au service des chrétiens. Jean d'Acre le vint dire encore au roi qui ne fut pas dupe de ces paroles. Néanmoins il ordonna qu'on laissât ce prétendu chef rejoindre avec ses deux compagnons les autres Sarrasins ; et ce furent le bouteiller et le connétable qui reçurent la mission de les conduire sains et saufs, hors du camp, au grand murmure des soldats qui voyaient en eux les premiers auteurs du guet-apens ; et ils ne se trompaient point. Le Sarrasin qui avait promis d'accomplir le lendemain tout ce qu'il avait annoncé, ne reparut pas. Il fut reçu avec grande joie par les autres qui le croyaient tué[63].

Ce ne fut pas la seule fois que les chrétiens furent surpris dans leur camp. Saint Louis, pour attaquer Tunis, attendait l'arrivée de son frère le roi de Sicile. Charles lui-même l'avait prié de ne pas combattre avant son arrivée[64]. On l'attendait de jour en jour ; mais cette inaction enhardissait les Sarrasins qui ne cessaient pas de harceler leurs adversaires. Pour se couvrir contre leurs assauts, saint Louis fit faire des fossés autour de son armée ; et à peine l'ouvrage était-il commencé, qu'ils tentèrent une grande attaque. On disait que le roi de Tunis les commandait. Leurs escadrons, parfaitement ordonnés, s'étendaient jusqu'à la mer, jusque près des vaisseaux, comme s'il eussent voulu envelopper nos gens. Mais on rompit leur dessein, on les mit en fuite ; seulement, on s'abstint de les poursuivre, le roi voulant attendre l'arrivée de son frère avant de rien engager[65].

 

IV. — Maladies dans l'armée. - Mort de saint Louis.

Ces délais devaient être funestes aux. Chrétiens pour d'autres raisons encore. On était au plus fort de l'été, sous le soleil d'Afrique. La dysenterie se mit dans l'armée. Une des premières victimes fut le comte de Nevers, fils de saint Louis, Jean-Tristan, nom qu'il reçut, en naissant, à Damiette, après le désastre de Mansoura, et qu'il devait justifier trop bien en mourant sur cette autre terre d'Afrique (3 août). Sa vie s'était écoulée tout entière d'une croisade à l'autre, entre la captivité et la mort du saint roi. Le légat du pape mourut quelques jours après (7août) : saint Louis et son fils aîné Philippe étaient eux-mêmes atteints de la maladie[66].

On cacha pendant quelques jours au roi la mort du jeune comte de Nevers ; mais le roi en était inquiet, et il requit un frère qui était de l'hostel de son fils, de lui dire la vérité : Et adoncques, dit Primat, commença frère Geoffroy à pleurer moult tendrement et à soupirer très fort ; et après il lui dit toute la vérité de la mort du comte de Nevers son fils. Et adoneques le roy eut moult grand pitié de la mort de son fils, comme père, et fut parfaitement triste dedans le cœur ; et comme ceux qui étoient là présents le témoignèrent, il dit un peu après une parole de patience comme Job ; laquelle parole fut telle : Nostre Seigneur me l'a donné, qui me l'a aussi osté ; et ainsi l'a fait comme il lui plait : le nom de Nostre Seigneur soit béni[67].

Au milieu de ces difficultés et de ces épreuves et quand peut-être il sentait déjà lui-même ses forces défaillir, saint Louis voulut assurer de nouvelle§ ressources à ceux qu'il avait engagés dans cette entreprise et les mettre en mesure de la continuer heureusement. Il décréta un emprunt de 100.000 livres tournois (2.026.382 fr.) remboursable sur le produit de la décime ecclésiastique et sur les revenus du royaume ; et comme il pouvait bien n'avoir pas le temps de le réaliser lui-même, il chargeait son successeur de parfaire la somme par des emprunts successifs et de la consacrer tout entière à la croisade : c'était comme un dernier gage de s' on dévouement à la guerre sainte à la quelle il était près de donner sa vie[68].

Aux premiers signes du mal qui l'atteignit, saint Louis, pressentant sa fin, voulut laisser à son fils ses dernières instructions, et c'est ainsi comme en présence du tribunal de Dieu, qu'il lui traça la règle de ses devoirs comme chrétien et comme roi[69].

Cher fils, la première chose que je t'enseigne c'est que tu mettes tout ton cœur à aimer Dieu. Garde-toi de faire chose qui à Dieu déplaise et spécialement de faire péché mortel. Mais tu devrois souffrir toutes manières de tourments, [plutôt] que faire sciemment péché mortel. Si Dieu t'envoie adversité, souffre-la en bonne patience [et rends-lui en grâces] ; et pense que tu l'as bien desservi (mérité), et que cela tournera tôt à ton profit. S'il te donne prospérité, remercie l'en humblement en sorte que tu n'en sois pas pire ou par orgueil ou par autre manière de ce dont tu dois mieux valoir, car l'on ne doit pas Dieu de ses dons guerroyer (s'armer contre Dieu de dons qu'on en reçoit).

Confesse-toi souvent, et élis des confesseurs prud'hommes qui te sachent enseigner ce que tu dois faire et de quoi tu dois te garder. Tu te dois en telle manière comporter et avouer que ton confesseur et tes autres amis t'osent sûrement ré-prendre et te montrer tes défauts. Assiste au service de sainte Église doucement, sans railler ni plaisanter, et sans regarder çà et là ; mais prie Dieu ou 'de bouche ou de cœur, ne pensant à lui doucement, et spécialement à la messe, à l'heure que la consécration est faite [du corps et du sang de N. S. Jésus-Christ] et un peu avant.

Aie le cœur doux et miséricordieux aux pauvres et à ceux qui souffrent de [cœur ou de corps] et les conforte et leur aide selon ce que tu pourras.

[Maintiens les bonnes coutumes de ton royaume et les mauvaises abaisse. Ne convoite pas sur ton peuple, ne le charge pas de toltes (impôts), ni de tailles, si ce n'est pas trop grand besoin[70].]

Si tu as quelque trouble de cœur, dis-le tantôt à ton confesseur ou à quelque prud'homme : tu le supporteras plus légèrement.

Garde que tu aies en ta compagnie tous prud'hommes, soit religieux, soit séculiers ; aie souvent parlement (conférence) avec eux et fuis la compagnie des mauvais. Et écoute volontiers les sermons (la parole de Dieu) et en public et en particulier, et recherche volontiers prières et pardons.

Aime tout bien et hais tout mal en quoi que ce soit. Nul ne soit si hardi qu'il dise devant toi parole qui attire ou excite à péché ni ne médise d'autrui par derrière ; ne souffre que l'on dise devant toi nulle vilenie de Dieu ni de ses saints, que tu n'en fasses tantôt vengeance.

Rends grâces à Dieu souvent de tous les biens qu'il t'a faits, afin que tu sois digne encore de plus avoir.

Sois rigide et loyal à tenir justice et droiture envers tes sujets, sans tourner à droite ou à gauche, mais toujours tout droit, et [si un pauvre a querelle contre un riche], soutiens le pauvre [plus pie le riche] jusques à tant que la vérité soit éclaircie. Si quelqu'un a affaire ou querelle contre toi, sois toujours pour lui et contre toi, jusqu'à ce que l'on sache la vérité, car ainsi tes conseillers jugeront plus hardiment selon droiture et selon vérité.

Si tu retiens rien d'autrui, ou par toi ou par tes devanciers, dès que la chose est certaine, rends sans tarder ; Si c'est chose douteuse fais faire enquête par sages hommes promptement et diligemment.

Tu dois mettre toute ton attention à ce que tes gens et tes sujets vivent en paix et en droiture sous toi, [mêmement les bonnes villes et les bonnes cités de ton royaume ; et les garde en l'état et en la franchise où tes devanciers les ont gardées. Et s'il y a aucune chose à amender, amende-le et le redresse et les tiens en faveur et en amour. Car par la force et par les richesses de tes bonnes cités et de tes bonnes villes, les particuliers et les étrangers redouteront de se mal conduire envers toi, spécialement les pairs et les barons. Il me souvient de Paris et des bonnes villes de mon royaume qui m'aidèrent contre les barons quand je fus nouvellement couronné[71]].

[Honore et aime] particulièrement les religieux et toutes personnes de sainte Église. On raconte du roi Philippe (mon ayeul) qu'une fois un de ses conseillers lui dit que la sainte Église lui faisoit beaucoup de tort et de dommage en ce que les clercs lui ôtoient de son droit et empiétoient sur sa justice, et que c'étoit grand merveille qu'il le souffrit. Et le bon roi répondit qu'il le croyoit volontiers ; mais quand il regardoit les bontés et les courtoisies (faveurs) que Dieu lui avoit faites, il aimoit mieux laisser son droit aller (se relâcher de son droit) que susciter contestation à sainte Église.

A ton père et à ta mère tu dois porter honneur et révérence et garder leurs commandements.

 [Aime tes frères et veuille toujours leur bien et leur bon avancement et sois-leur en lieu de père pour les enseigner en tout bien, mais garde-toi que par amour pour eux tu ne te détournes de faire droit et que tu ne fasses à autrui chose que tu ne dois[72]].

Les bénéfices de sainte Église donne-les à personnes bonnes et dignes, et d'après le conseil de prud'hommes, et doline à ceux qui n'ont rien de sainte Église [plutôt qu'à d'autres].

Garde-toi d'exciter guerres sans très-grand conseil et particulièrement contre homme chrétien ; et s'il le convient faire, garde sainte Église et ceux qui n'ont méfait en rien de tout dommage. Apaise au plus tôt que tu pourras les guerres et querelles soit de toi, soit de tes sujets, comme aussi saint Martin faisoit.

[Car au temps que par Notre Seigneur il savoit qu'il devoit mourir, il alla pour mettre paix entre des clercs de son archevêché et il lui fut avis qu'en ce faisant à. sa vie il mettoit bonne fin[73]].

Sois diligent d'avoir bons prévôts et bons baillis, et fais souvent enquête sur eux et sur ceux de ton hôtel comme ils se conduisent.

[Cher fils, je t'enseigne que tu sois toujours dévêt à l'Église de Rome et au Souverain Pontife, notre père, et que tu lui portes révérence et honneur, ainsi que tu dois à ton père spirituel[74]].

Travaille-toi à empêcher tout péché et principalement vilain serment, et fais détruire et supprimer les hérésies selon ton pouvoir.

Je te requiers encore que tu reconnaisses les bienfaits de Notre Seigneur et que tu lui en rendes grâces et merci. Prends garde que les dépenses de ton hôtel soient raisonnables et modérées.

Enfin, doux fils, je te conjure et requiers que si je meurs avant toi, tu fasses secourir mon âme, en messes et oraisons, par tout le royaume de France et que tu m'accordes une part spéciale et plénière en tout le bien que tu feras.

En dernier lieu, cher fils, je te donne toutes les bénédictions que bon père et miséricordieux peut donner à un fils : que la benoîte Trinité et tous les saints te gardent et te défendent de tout mal, et Dieu te donne sa grâce de faire sa volonté tous les jours, en sorte qu'il soit honoré par toi ; et que nous puissions après cette vie mortelle être ensemble avec lui et le louer sans fin. Amen.

Après cela, il se donna tout à Dieu. Sa tente était devenue une maison de prières. On y célébrait la messe et les offices ordinaires de l'Église. La croix était dressée au pied de son lit, devant ses yeux ; et ce n'était pas assez pour lui de la voir : souvent, il la baisait, et bénissant Dieu en toutes choses, il le remerciait de sa maladie. Il avait alors près de lui comme confesseur Geoffroi de Beaulieu, témoin intime de sa vie pieuse et de ses vertus, et à ce titre, un de ses principaux historiens. Il usa plusieurs fois de son ministère dans le cours de cette maladie et reçut la communion. Un jour qu'on lui apportait la sainte hostie, il se jeta hors de son lit tout faible qu'il était, se prosterna et voulut la recevoir à genoux. On dut le reporter sur sa couche[75]. Quand il reçut l'extrême-onction, il pouvait à peine se faire entendre ; mais au mouvement de ses lèvres, dit le confesseur de la reine Marguerite, on voyait qu'il s'unissait aux prières de la cérémonie. Geoffroi de Beaulieu dit qu'il répondait aux psaumes et que dans la litanie il prononçait lui-même le nom des saints, invoquant leurs suffrages[76]. A la fin il fut quatre jours sans parler : mais il avait toujours l'esprit présent. Son regard se tournait souvent vers le ciel ; il se reportait aussi sur ceux qui l'entouraient et semblait leur sourire. Dans cette faiblesse extrême, la veille de sa mort, quand Geoffroi de Beaulieu lui apporta le viatique, il voulut encore se lever pour le recevoir : et ce fut aux pieds de son lit, à genoux et les mains jointes, qu'il se confessa et communia. La parole ne lui avait donc pas fait encore absolument défaut. La nuit de sa mort on l'entendit dire : Nous irons en Jérusalem[77]. C'est vers la Jérusalem céleste que sa pensée se portait désormais ; néanmoins il n'oubliait pas ce pour quoi il était venu en Afrique, et s'attachant jusqu'à la fin à ce rêve qui avait séduit son âme pieuse, il disait : Pour Dieu ! tâchons que la foi puisse être prêchée dans Tunis qui pourrait bien remplir une telle mission ? et il nommait un frère prêcheur qui avait déjà été dans cette ville. Quand ses forces achevaient de s'épuiser, et qu'on recueillait à peine un léger murmure sur ses lèvres, il invoquait encore les suffrages des saints. Geoffroi de Beaulieu devinait à quelques mots qu'il récitait cette fin de l'oraison de saint Denis : Seigneur, accordez-nous de mépriser pour votre amour les biens du monde et de ne point redouter ses maux, ou le commencement de l'oraison de saint Jacques : Soyez, Seigneur, le sanctificateur et le gardien de votre peuple. Entre neuf heures et midi, comme il avait paru dormir environ une demi-heure, il ouvrit les yeux et les levant au ciel d'un air serein, il prononça les paroles du psalmiste : J'entrerai dans votre maison, j'adorerai dans votre saint temple et je confesserai votre nom. Introibo in domum tuam, adorabo ad templum sanctum tuum et confitebor nomini tuo. Au dernier moment il se fit coucher sur la cendre, les bras en croix, et rendit l'âme ; c'était l'heure où notre Seigneur Jésus-Christ était mort sur la croix (25 août 1270)[78].

 

V. — Arrivée de Charles d'Anjou. - Traité de Tunis.

A l'heure où il expirait, le roi de Sicile, qui l'avait jeté dans cette entreprise et s'était fait si longtemps attendre, débarquait en Afrique[79]. Ce fut, au milieu du deuil général, une consolation pour l'armée. Elle retrouvait au moins un chef qui avait fait ses preuves et qui saurait la tirer du péril. Ce sentiment du salut espéré domina tout. Dès.la première nouvelle de son approche, le peuple avait couru à sa rencontre vers le rivage, criant : Vive le roi ! Vive ! et de toutes parts on le saluait de ces acclamations : Bien venu est notre roi, notre conditeur et meneur, notre espérance, notre joie et notre force ! C'est au milieu de cette réception enthousiaste qu'il reçut la nouvelle de la mort de son frère. Si c'est lui qui l'avait poussé vers cette terre meurtrière, quel retour dut-il faire sur lui-même ! Au moins fut-il vivement ému. Il contint son émotion devant la foule, alla voir son frère le comte de Poitiers, puis son neveu le nouveau roi Philippe qu'il tâcha de consoler. Mais quand il entra sous la tente où saint Louis venait de mourir : Aussitôt, dit Primat, il s'étendit à terre auprès du corps et fit son oraison avec larmes et sangle ; et il s'en alla jusques aux pieds du mort qui là gisoit et baisa ses pieds à grands sanglots et à grandes larmes ; et donc il n'en fût levé que par la force de ceux qui là étoient. Et on lui donna une toile et de l'eau, et il lava ses mains et son visage et essuya ses yeux qui étoient amottis de larmes : si l'on peut croire que tant noble cœur et tant nelble et puissant corps, qui avoit vertu de géant, prit un peu en pleurant la manière de femme ; mais il est à croire que oui, par mouvement de pitié et nature de sang. Et donc il sortit dé la chambre sans qu'il apparût sur son visage nul signe de tristesse, ou s'il y apparut ce fut très-peu[80].

Il fallait en effet faire bon visage à, l'armée et soutenir la confiance qui succédait à l'abattement. Il ne fallait pas laisser aux Sarrasins le temps de s'exalter par cette mort funeste ; et Charles trouvait parmi eux des adversaires personnels : Frédéric de Castille, Frédéric Lanza, qui étaient venus, après la défaite du jeune Conradin, se mettre, avec une troupe nombreuse de chrétiens indignes, à la solde du roi de Tunis, et qui l'avaient aidé à défendre la ville contre saint Louis[81]. Il aurait donc voulu se mesurer avec l'ennemi sans retard. Il n'était retenu que par les instances du jeune roi, trop faible encore pour s'armer et qui eût voulut prendre part à la bataille. Toutefois, comme ces délais rendaient l'ennemi plus téméraire, et qu'il venait insulter les chrétiens jusque dans leurs retranchements, le roi de Sicile, le lion de Sicile, comme dit Primat, ne se contint plus ; il ordonna à ses barons de sortir du camp et de se mettre en bataille. Lui-même s'était placé comme en réserve. Mais quand l'ennemi, fort de son nombre, eut engagé le combat, il se précipita avec ses gens la lance en arrêt, et ils en tuèrent tant, dit l'historien, que la terre en estoit toute couverte jusques à deux lieues tout autour, et estoit toute poudrée de charoignes (cadavres) de ces Sarrasins[82].

Les Sarrasins ne furent sauvés d'une entière défaite, ajoute-t-il, que par une forte rage de vent et des tourbillons de poussière qui aveuglèrent les vainqueurs dans leur poursuite. Quelques jours après, un nouvel échec acheva de les décourager. Le jeune roi, se sentant assez fort pour monter à cheval, vint leur présenter la bataille. Quand ils virent les chrétiens en si belle ordonnance, ils n'osèrent l'accepter et se replièrent au delà de leur propre camp, où les nôtres entrèrent, mettant tout au pillage. Les murs mêmes de Tunis ne leur parurent plus dès lors un abri assuré. Le mal qui décimait l'armée chrétienne se faisait d'ailleurs sentir également dans Tunis. Les musulmans l'attribuaient à la corruption da l'air, et si l'on en croit nos historiens, le roi de Tunis n'osait plus respirer à ciel ouvert : il ne vivait plus que dans des cavernes[83]. C'est dans ces circonstances qu'il s'adressa au roi de Sicile pour lui faire des ouvertures de paix.

La chose étant portée au conseil, les avis se trouvèrent partagés ; mais pourtant on se dit que l'armée était fort diminuée par la maladie ; que les Sarrasins ne paraissaient pas vouloir tenter le sort des. batailles, et que, les forçât-on dans Tunis, il faudrait occuper la ville : or l'armée par là fort réduite serait d'autant plus empêchée d'aller en Syrie[84] (c'était assez reconnaître qu'on aurait beaucoup mieux fait de ne point songer à Tunis). Tel fut l'avis qui prévalut.

Les conditions de la paix et de l'évacuation, dit M. de Mas-Latrie, furent, à ce qu'il semble, déterminées dans deux actes successifs, analogues au fond et quant aux stipulations générales, mais différentes dans l'expression et assez éloignées par la date : 1° un premier traité, qui parait avoir été rédigé en français dès le jeudi 30 octobre 1270, et que nous n'avons pas ; 2° une version ou rédaction arabe du 5 de Rebi second, 669 de l'hégire (21 novembre 1270), conservée encore aux Archives de l'Empire, traduite et publiée par S. de Sacy[85]. Ce dernier texte contient des dispositions de deux sortes : les unes générales et durables ; les autres particulières et transitoires. Chacune des parties contractantes accordait chez soi toutes garanties aux sujets de l'autre. Tous les musulmans des États de l'émir des croyants, voyageant dans les États des princes chrétiens, étaient placés sous la sauvegarde de Dieu et sous la protection des princes ; ils ne devaient être maltraités ni sur terre ni sur mer, et s'ils souffraient quelque dommage, la réparation devait suivre (art. 1er) ; s'ils faisaient naufrage dans les eaux des Chrétiens, ils devaient être respectés dans leurs personnes et leurs propriétés (art. 3). Réciproquement les marchands chrétiens venant sur les terres de l'émir devaient trouver protection pour leur personne et sécurité pour leur commerce : ils étaient autorisés à vendre et acheter librement aux conditions du pays (art. 4 et 5), c'est-à-dire en se soumettant aux taxes locales. Mais on ne stipulait pas seulement pour les marchands, et ici la pensée de saint Louis survivait à lui-même. Un article portait :

Les moines et les prêtres chrétiens pourront demeurer dans les États de l'émir des croyants qui leur donnera un lieu où ils pourront bâtir des monastères et des églises, et enterrer leurs morts ; lesdits moines et prêtres prêcheront et prieront publiquement dans leurs églises, et serviront Dieu selon les rites de leur religion et ainsi qu'ils ont coutume de le faire dans leur pays.

Guillaume de Nangis dit dans sa chronique qu'ils pourroient donner le baptême à ceux qui voudroient se faire baptiser, l'entendant sans aucun doute des musulmans[86] ; et cela pouvait être regardé comme une conséquence logique de la permission de prêcher. Mais il est douteux que l'émir ait consenti à pousser la tolérance jusque-là ; toujours est-il que le texte arabe n'en dit rien, et le texte français n'en devait rien dire davantage. Guillaume de Nangis lui-même passe cette clause sous silence dans sa Vie de saint Louis[87], et Primat qui, à voir les détails où il entre et sa conformité avec le texte connu, paraît avoir eu le traité français sous les yeux, se borne aussi à dire que les prêtres et les religieux auroient églises, édifices et cimetières et habiteroient ès dits lieux solennellement et en paix, sonneroient communément leurs cloches et célébreroient le divin service, feroient en commun l'office de prédication et feroient et administreroient les sacrements de l'Église aux chrétiens qui habiteroient là[88] : énonciation dont le sens est évidemment restrictif.

Une autre clause générale était de ne point secourir les ennemis des uns ou des autres, de ne leur point donner asile (art. 2, 8 et 17), et cette clause, dans le texte français, avait peut-être une application plus précise. Primat dit que Frédéric d'Espagne (de Castille) et Frédéric Lance (Lanza) (dont il a été parlé plus haut), et les autres ennemis et traîtres du roi de Sicile et de ses hoirs présents et à venir, seroient boutés hors du royaume et de toute la terre sujette du roi de Tunis, et que s'ils revenoient, ils seroient tenus en prison[89].

Cette disposition ainsi conçue touche déjà aux clauses spéciales. Dans cet ordre de stipulations, on se rendait réciproquement les prisonniers et on se restituait les marchandises confisquées (art. 9 et 7). De plus, les chrétiens s'obligeaient à évacuer le royaume de Tunis dans un délai qui d'ailleurs n'était pas déterminé ; ils s'obligeaient et pour eux et pour ceux qui, ayant aussi pris la croix, n'étaient pas encore arrivés, Comme le prince Édouard d'Angleterre. Ceux qui seraient empêchés par une cause particulière devaient demeurer dans un lieu qui leur serait désigné, jusqu'au retour de leurs vaisseaux (art. 10).

Pour prix de cette retraite, l'émir s'engageait à payer aux chrétiens 210.000 onces d'or : l'once équivalant à 50 pièces d'argent de leur monnaie pour le poids et pour le titre[90]. La moitié devait être payée comptant ; l'autre en deux termes égaux, à la fin de chacune des deux années suivantes. L'émir donnait des cautions, prises parmi les négociants chrétiens, pour le payement de sa dette. Nous avons signalé l'esprit de saint Louis dans la clause relative au culte chrétien ; nous retrouvons la main de Charles dans cette stipulation d'une autre nature sur le tribut dont l'émir était tenu envers la Sicile. Le sultan s'engageait à payer à Charles l'arriéré de cinq ans qui était dû, et à lui donner désormais chaque année le double de ce qui était payé à l'empereur (art. 20).

Le traité, fait au nom de tous les barons présents, comprenait spécialement dans ses stipulations l'empereur de Constantinople Baudoin (chassé alors de son empire et pour toujours), les comtes de Poitiers, de Flandre et de Luxembourg (art. 14). Les moines, prêtres et évêques étaient pris, comme les seigneurs, à témoin de la paix jurée (art. 18).

Le but de l'expédition se trouvait-il atteint ? Nul sans doute n'était en droit de se le dire ; mais on ne pouvait raisonnablement pousser plus loin une entreprise qui, dans cette voie, était vraiment si contraire à la raison : la maladie décimait l'armée des chrétiens, et l'on pouvait douter qu'en cet état, et malgré les renforts de Charles d'Anjou, elle fût capable d'emporter la ville. Charles d'Anjou fut pourtant blâmé par quelques contemporains d'avoir ainsi fini la guerre. On l'accuse de n'avoir fait la paix que par l'appât du tribut. Ce tribut ne fut pas sans doute étranger aux causes secrètes de l'entreprise ; mais si on peut reprocher au roi de Sicile d'avoir, dans un intérêt tout particulier, poussé à cette guerre, on ne peut lui imputer à crime de l'avoir terminée. Dans la situation présente, il n'y avait pas autre chose à faire. Pour ne point paraître abandonner, dès les premiers pas, la croisade, on se lia par un nouveau serment : on jura d'aller plus tard, dans la Terre Sainte, combattre les Sarrasins, et on se prépara à retourner en France par la Sicile et l'Italie. Quand les croisés auraient refait leurs forces, le roi de France étant couronné, ils devaient reprendre valeureusement les armes pour exterminer les ennemis de la foi[91].

 

VI. — Retour en France. - Canonisation de saint Louis.

On n'avait pas attendu jusque-là pour rendre à saint Louis les derniers devoirs : ses soldats avaient été admis à le contempler sur son lit de mort. Son âme en sortant de son corps avait laissé sur son visage comme l'empreinte d'une beauté céleste. Ce fut en quelque sorte une profanation de plus que de traiter ses restes selon l'usage pratiqué à l'égard des grands personnages : pour séparer les os des chairs et préserver celles-ci d'une trop prompte corruption, on faisait bouillir le corps ; le corps était cuit[92], selon l'expression brutale du temps. Ses os furent déposés dans le cercueil et devaient être transportés à Saint-Denis ; mais l'armée ne voulut pas s'en séparer ; elle les retint comme un gage de la protection divine tant qu'elle aurait à combattre l'ennemi : car c'étaient pour elle de saintes reliques ; elle devait même au retour leur faire escorte jusqu'à leur dernière demeure. Les intestins et le cœur furent donnés à Charles d'Anjou, qui les déposa à Montreal, près de Palerme. C'est là que jusqu'aujourd'hui on n'a pas cessé de les vénérer[93].

On quittait Tunis avec tous les honneurs de la guerre ; mais le retour fut désastreux. Une tempête dispersa la flotte, et beaucoup allèrent périr au port de Trapani, en Sicile ; plusieurs, après avoir regagné la terre, moururent des fatigues et de la fatale influence de l'expédition : le roi de Navarre et sa femme Isabelle, fille de saint Louis, la reine Isabelle, femme du jeune roi Philippe III, le comte de Poitiers et sa femme, qui, mourant sans enfants, laissaient ainsi à la couronne le grand héritage du midi de la France, Toulouse avec Poitiers[94], etc.

Les historiens du temps qui nous ont raconté à divers points de vue la vie de saint Louis, ajoutent au récit de ses actes privés ou publics l'histoire de ses miracles, qui continuaient son action bienfaisante parmi les peuples, et amenèrent bientôt sa canonisation[95] : l'enquête, ordonnée déjà par Grégoire X peu après sa mort, préparée dans les années suivantes et décidément ouverte en 1282 par Martin IV, aboutit au décret de canonisation rendu par Boniface VIII le Il août 1287[96]. L'historien moderne doit se contenter de raconter ses vertus. Son éloge est dans le tableau que nous avons essayé d'en tracer. Une chose le caractérise comme roi. L'impression qu'il avait faite demeura si vive parmi les générations qui suivirent, que dans toutes les crises du royaume, quand un roi voulait ramener la confiance du peuple, quand le peuple souhaitait quelque remède à ses maux, les regards ne se portaient pas vers l'avenir, ils se retournaient vers le passé. On ne promettait ou ne demandait qu'une chose : c'était le rétablissement de ce qui existait sous saint Louis. Il avait mérité que son règne demeurât comme un idéal au-dessus duquel on ne voyait plus rien. Exemple plus admiré des peuples que suivi par ses successeurs. Et pourtant que pouvaient-ils ambitionner de plus ? Saint Louis avait montré que pour être fort à l'intérieur le pouvoir royal n'avait pas besoin d'absorber en soi tous les droits, de supprimer toutes les franchises : il les avait consacrés jusqu'à reconnaître le droit de prendre les armes contre lui, droit dont on cessa d'user, tant il mettait de scrupule dans l'administration de la justice. Il avait montré que pour faire de la France la première puissance de la terre, il n'était pas besoin de l'esprit de conquête : c'était assez du désintéressement et de l'équité. Saint Louis n'avait qu'à choisir entre les dépouilles de la maison des Hohenstaufen, soit en Allemagne, soit en Italie. Il n'en prit rien, et sa voix fut l'arbitre du monde.

 

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.

 

 

 



[1] Layettes du Trésor des Chartes, t. III, n° 4310. — Le 22 septembre 1257, il reçoit l'hommage lige de Hugues, comte de la Marche et d'Angoulême, bien que le jeune seigneur n'eût pas encore atteint l'âge légal : le jeune comte promettait de lai livrer ses châteaux à la première réquisition ; et Gui de Lusignan, seigneur de Cognac, son oncle, se portait sa caution par un autre acte (ibid., n° 4372 et 4373). C'était une garantie s'il venait à s'éloigner.

[2] 28 janvier et 28 février, 8 mai, 12 juillet 1256. Layettes du Trésor des Chartes, n° 4229, 4232, 4233, 4249, 4271.

[3] Marino Sanuto, p. 220, l'Estoire de Eracles, l. XXXIV, ch. III, et Continuation de Guillaume de Tyr dite du Mt de Rothelin, ch. LXXIX, Historiens occidentaux des croisades, t. II, p. 443 et 633-635 ; Tilleront, t. IV, p. 421.

[4] Voy. le récit qu'en fait Aboulféda, Historiens arabes des croisades, t. I, p. 136-137. Joinville en parle (ch. CXIV), rapportant par erreur l'événement au temps du séjour de saint Louis en Palestine.

[5] Sur les rapports des Arméniens avec les Mongols, voy. Dulaurier, les Mongols d'après les historiens arméniens, fragments traduits sur les textes originaux, dans le Journal asiatique, février-juin 1858. — Un prince arménien, Héthoum, comte de Gorigos, retiré à Poitiers dans l'abbaye des Prémontrés, moine lui-même, écrivit en français le récit des guerres des Mongols contre les musulmans, guerres auxquelles il avait pris part dans les rangs des Mongols auprès de son parent le roi Héthoum II : son récit fut ensuite traduit en latin, et du latin remis en français (Voy. Historiens armén. des croisades, préface de M. Dulaurier, p. 12, et sa notice sur Héthoum, en tête d'une table chronologique du même auteur, qu'il a publiée dans ce recueil, p. 469).

[6] Houlagou, dit Aboulféda, ayant traversé l'Euphrate avec son armée, vint prendre position devant cette ville et envoya à Tourin-Chah, lieutenant du sultan à Alep, un ambassadeur chargé de lui communiquer le message suivant : Vous êtes trop faible pour résister aux Mongols ; quant à nous, c'est contre Ela Malec en-Nacer et son armée que nous marchons. Installez donc chez vous, dans la ville, un chihna nous appartenant, et recevez dans la citadelle un autre chihna ; nous irons alors à la rencontre des troupes de l'islamisme. Si la fortune se déclare contre elles, le pays sera à nous, et vous aurez épargné le sang des musulmans ; si elle tourne contre nous, vous traiterez ces deux chihsnas comme il vous plaira ; vous les chasserez ou vous les tuerez à votre volonté. Tourân-Chah repoussa cette proposition et ajouta : Nous n'avons rien pour vous, excepté l'épée. L'envoyé, qui était le prince d'Erzeroum, fut étonné de cette réponse et en ressentit une vive douleur, sachant qu'elle serait la perte des habitants d'Alep. Le 2 du mois de safer (18 janvier 1260) les Tartares cernèrent la ville, et le lendemain ils occupèrent de vive force les postes de la douane et tuèrent nombre de musulmans. Ils resserrèrent Alep si étroitement que, le dimanche 9 safer, ils pénétrèrent du côté des bains de Hamdân, établissement situé au pied du château appelé Kala't es-Chérif. Les musulmans furent passés au fil de l'épée ; mais une multitude énorme était montée jusqu'à la citadelle (afin de s'y réfugier). Le massacre et le pillage durèrent jusqu'au vendredi 14 safer, quand Houlagou fit arrêter le carnage et proclamer une amnistie générale. De toute la population d'Alep il ne se sauva que les personnes auxquelles certains édifices avaient servi d'asile. Ces édifices étaient ceux de Chéhab ed-Din Ibn Amrân, de Nedjm ed-Din, frère de Mezdiktn ; d'El Bazyar, d'Alem ed-Din Kaissar de Mosul ; le couvent où demeurait Zen ed-Din le soufi, et la synagogue des juifs. Ce fut à des firmans (émanés de Houlagou et dont ces hommes étaient porteurs) que les réfugiés durent leur salut. On dit que le nombre des personnes qui échappèrent ainsi à la mort dépassa cinquante mille. Les Tartares mirent alors le siège devant la citadelle, et y tinrent étroitement bloqués El-Moaddem Tourin-Chah et les troupes qui s'y étaient retirées. (Historiens arabes des croisades, t. I, p. 140, 141).

[7] Marino Sanuto, p. 221 ; l'Est. de Eracles, l. XXXIV, ch. III, Hist. occid. des croisades, t. II, p. 444 et les historiens orientaux cités plus haut.

[8] V. Tillemont, t. IV, p. 439.

[9] Tillemont, ibid., p. 441.

[10] Continuateur de Guillaume de Tyr. ch. LXXXI (Mt de Rothelin) dans les Historiens occid. des croisades, t. II, p. 637. Aboulféda, dans les Historiens arabes des croisades, t. I, p.135-143, et Dulaurier, Journal asiat., (1858), t. LXXII, p. 498. Les Arméniens combattaient dans les rangs des Tartares. — C'est alors que Nacer, l'ancien sultan d'Alep et de Damas, fut immolé par son vainqueur. Houlagou, à qui il avait été conduit, l'avait traité d'abord avec humanité, lui faisant espérer qu'il le rétablirait dans ses États. Mais quand les Tartares furent vaincus et rejetés de la Syrie, le khan s'en prit à son captif : Tu prétendais que l'armée de la Syrie obéissait à tes ordres, mais voilà qu'elle m'a trahi et a tué mes Mongols. En-Nacer répondit : Si j'avais été en Syrie, personne n'aurait tiré l'épée contre tes troupes, et comment celui qui se trouve sur le territoire de Tauris peut-il se faire obéir en Syrie ? Houlagou, que Dieu maudisse ! saisit alors une flèche avec laquelle il frappa El-Malec en-Nacer. Ce prince s'écria : Grâce, mon seigneur ? Mais son frère Ed-Daher lui imposa silence et lui dit : L'heure prédestinée est arrivée. » Houlagou lui lança alors une seconde flèche et le tua ; puis il fit décapiter El-Malec ed-Daher, El-Malec es-Saleh, fils du prince d'Émèse, et toutes les personnes qui étaient avec eux (Aboulféda, dans les Historiens arabes des croisades, t. I, p. 147).

[11] Aboulféda, ibid., p. 144. Il s'appela d'abord Malec-Caher (prince terrible) nom qu'il échangea contre celui de Malec-Daher (prince victorieux).

[12] Voy. Marino Sanuto, p. 221 ; l'Estoire de Eracles, I. XXXIV, ch. IV (Historiens occid. des croisades, t. II, p. 447) ; la lettre d'Urbain IV à saint Louis : Duchesne t. V, p. 867, et Rinaldi, Ann. eccl., an 1263, n° 1.

[13] Clément IV en parle dans une lettre adressée plus tard au roi d'Arménie. Voy. Rinaldi, an 1287, art. 68 et Tillemont, t. IV, p. 449.

[14] Aboulféda, dans les Hist. arabes des croisades, t. I, p. 150, et Reinaud, Bibl. des croisades, t. IV, p. 491. Sur Bibars et la terreur qu'inspiraient aux chrétiens son caractère perfide et cruel, son implacable ambition et son mépris de la foi jurée, voy. une lettre adressée par Guillaume de Tripoli à Théalde (Visconti), archidiacre de Liège, qui fut Grégoire X : Duchesne, t. V, p. 432 et suiv.

[15] Voy. le récit de Tchamitch, Histoire d'Arménie, reproduit par M. Dulaurier en tête d'un chant populaire sur la captivité de Léon, fils du roi d'Arménie. Le chant populaire suppose que Héthoum l'a recouvré par la force des armes (Hist. arméniens des croisades, t. I, p. 536-537). Voyez encore sur cette défaite des Arméniens, la Table chron. de Héthoum, comte de Gorigos, et la Chron. du roy. de la Petite Arménie (ibid., p. 487 et 652) ; cf. l'Estoire de Eracles, l. XXXIV, ch. IX et XI : Historiens occid. des croisades, t. II, p. 455, 457, et Reinaud, l. l., p. 500-502 ; Tillemont, t. IV, p. 458-460.

[16] Aboulféda, Historiens arabes des croisades, t. I, p. 152 ; Reinaud p. 505 et suiv. et Tillemont, t. IV, p. 461 et suiv. Voy. en particulier la lettre insultante d'orgueil et d'ironie par laquelle Bibars fit annoncer en son nom la prise d'Antioche au comte de Tripoli qui en était prince (Reinaud, p. 507). La cruauté et la perfidie de Bibars s'étaient surtout signalées à la prise de Safed en 1266. Voy. Makrîzi et les autres auteurs cités par Reinaud p. 496 et suiv. Jaffa avait succombé avant Antioche, le 7 mars (Est. de Éracles, l. XXXIV, ch. XI : Hist. occid. des Croisades, t. II, p.458). — On dit qu'après la prise d'Antioche Bibars aurait pu prendre sans peine les villes de Palestine, Sidon, Bérythe, Biblis (Zibelet), Antarade (Tortose). On suppose d'autre part que le peu d'efforts qu'il fit alors pour accabler les chrétiens était une ruse pour les endormir et s'emparer plus facilement de leurs forteresses, notamment d'Acre. Acre ne succomba que le 18 mai 1291. (Voy. Tillemont, t. IV, p. 465.) — Sur les constructions militaires des Chrétiens en Terre Sainte et les ruines qui en sont restées, voy. le beau travail de M. G. Rey, Études sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans file de Chypre, Paris, imp. nat. 1871, in 4°.

[17] On opposait que les chrétiens d'Orient n'avaient pas tant besoin d'argent ; qu'ils avaient traité (trêve de 1255) avec les infidèles.

[18] Tillemont, t. V, p. 1-5. Voy. l'article de M. G. Servois, sur les Emprunts de saint Louis en Palestine et en Afrique (Bibl. de l'École des Chartes, 4e série, t. IV (1858), p. 113).

[19] C'est la lettre à laquelle nous avons renvoyé plus haut (Duchesne. t. V, p. 867, et Rinaldi, an 1263, n° 1-10).

[20] Tillemont, ibid., p. 4-8.

[21] Geoffroi de Beaulieu, chap. XXXVII, t. XX, p. 20 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 439. Voy. les lettres du pape à saint Louis, résumées par Tillemont, t. V, p. 11-13.

[22] Geoffroi de Beaulieu, chap. XXXVIII, t. XX, p. 21 ; Guillaume de Nangis, p. 441 ; Tillemont, t. V, p. 15.

[23] Sur les efforts de saint Louis pour y attirer les seigneurs par dons ou promesses, voy. Geoffroi de Beaulieu, chap. XXXIX, t. XX, p. 21. — Deux listes fort intéressantes donnent les noms des barons ou chevaliers qui se croisèrent avec saint Louis, le nombre de chevaliers que les plus considérables devaient emmener avec eux et les conditions de leur contrat : subvention ou solde, manger ou non à l'hôtel du roi, etc. (Historiens de France, t. XX, p. 305 et XXIII, p. 732).

[24] Les exhortations de saints ouis touchoient d'autant plus, dit Tillemont, résumant les auteurs contemporains, qu'on voyoit qu'il n'épargnoit ni la foiblesse de son corps, ni l'âge si tendre de ses enfants, dont l'aîné avoit près de vingt-deux ans, et les deux autres dix-sept ou dix-huit ans. Et si Robert, qui étoit le quatrième, n'eût été encore trop jeune, n'ayant que dix ou onze ans, il l'eût emmené, comme les autres, ne croyant pas devoir épargner ses enfants, puisque Dieu n'avoit pas épargné son fils unique. (t. V, p. 17).

[25] Tillemont, t. V, p. 17.

[26] En 1265, il envoya à Acre l'autorisation d'emprunter en ses nom 4000 livres, qui devaient être remises à Geoffroy de Sargines et à Olivier de Termes : les sommes levées en Palestine devaient être remboursées par le roi de France sur le produit de l'impôt du clergé. En 1267, un nouvel emprunt de 4400 livres fat fait en la même forme par l'intermédiaire d'une société de Pise. Voy. Servois, Bibl. de l'École des Chartes (1858), p. 118 et suiv. — Le brave Geoffroi de Sargines, mourut le Il avril 1269 (L'Estoire de Eracles, l. XXXIV, ch. XII : Hist. occid. des Croisades, t. II, p. 457).

[27] Ann. Genuenses, an. 1268, ap. Pertz, t. XVIII, p : 264 ; Tillemont, t. V, p. 21 et suiv., et Rinaldi, Ann. eccl., an. 1268, n° 52 et 53. Voy. le projet de traité avec Venise, donné par Duchesne (t. V, p. 435), et reproduit par A. Jal avec corrections et commentaire (Archéol. navale, t. II, p. 355). Voy. aussi les traités avec Gènes, publiés par le même auteur dans ce même mémoire (p. 383 et suiv.)., et postérieurement dans les Documents extraits des Bibliothèques (Coll. des Documents inédits de l'histoire de France), t. I, p. 514 et t. II, p. 50.

[28] Extrait d'une chron. de Normandie, Historiens de France, t. XXIII, p. 219-220.

[29] Rinaldi, Ann. eccl., 1267, art. 57-59 ; et pour le tout, Tillemont, t. V, p. 24-32.

[30] Geoffroi de Beaulieu, chap. XXXVII, t. XX, p. 20.

[31] Exemple que devaient suivre aussi les autres seigneurs croisés sur leurs propres terres.

[32] Tillemont, t. V, p. 34, et les documents qu'il cite.

[33] Tillemont, t. V, p. 46, 54-61.

[34] 24 septembre. Tillemont, t. V, p. 80.

[35] Voy. Tillemont, t. V, p. 54 et 70. On a encore des parties de cette enquête, notamment pour le Vermandois. Voy. une note de M. Boutaric dans les Comptes rendus de l'Acad. des inscriptions (1868), p. 81.

[36] Ordon., t. I, p. 96, et Tillemont, t. V, p. 71.

[37] Tillemont, t. V, p. 65.

[38] Continuateur de Matthieu Paris, t. IX, p. 159, et 166 de la trad. Tillemont, t. V, p. 68.

[39] Jean avait été marié à l'âge de huit ans avec Yolande de Bourgogne (1250) ; Pierre, avec Jeanne, fille unique de Jean de Châtillon, comte de Blois et de Chartres (1264). Ibid., p. 335.

[40] Guillaume de Nangis, t. XX, p. 441. Le mariage était convenu depuis 1266. Tillemont, t. V, p. 94.

[41] Voy. sur les divers établissements des enfants de saint Louis et sur leurs apanages, Tillemont, t. IV, p. 128, 335 ; t. V, p. 36, 76, 95 et 113.

[42] Il est ennuyant, dit assez irrévérencieusement Tillemont, mais il y a de bien belles choses. (T. V, p. 120.)

[43] Duchesne, t. V, p. 438-440. Une copie du temps (elle n'est pas scellée) se trouve aux Archives nationales, J. 403, n° 5.

[44] Voy. la lettre où saint Louis fait ses recommandations aux deux régents, lettre datée d'Aigues-Mortes, 25 juin 1270. (Ordonnances, t. I, p. 104 : le texte porte par erreur 1269.)

[45] L'original est aux Archives, J. 353, n° 1 ; cf. Guillaume de Nangis. p. 441.

[46] Chronique de Primat. Historiens de France, t. XXIII, p. 40 ; G. de Nangis, t. XX, p. 441. Voy. Tillemont, t. V, p. 132 et suiv. ; et comparez, pour plus d'exactitude, la notice intitulée : Regum mansiones et itinera, dans le Recueil des historiens de France, t. XXI, p. 423.

[47] Geoffroi de Beaulieu, ch. XXXIX, XL, t. V, p. 21.

[48] O si possem videre quod fierem tanti filioli compater et patrinus ! (Geoffroi de Beaulieu, c. XLI, ibid.)

[49] Geoffroi de Beaulieu, c. XLI. Ibid., p. 22.

[50] G. de Beaulieu, c. XLI, ibid.

[51] Il n'est pas question de ce tribut dans le traité de Frédéric II avec le prince de Tunis (20 avril 1231). Cependant il existait toujours. Suspendu après la mort de Manfred, il fut réclamé par Charles d'Anjou en 1269. Voy. Huillard-Bréholles, Intr. aux docum. dipl. du règne de Frédéric II, p. 370 et suiv. Un acte de la chancellerie de Charles d'Anjou montre qu'en 1268 le tribut était dû depuis trois ans. Il avait donc cessé d'être payé immédiatement après la conquête. (L. de Mas-Latrie, Traités de paix et de commerce avec les Arabes de l'Afrique septentrionale, intr., p. 135, et Documents, t. I, p. 156.)

[52] Saba Malaspina, l. III, c. XVII, et l. IV, c. II, ap. Muratori, t. VIII, col. 833 et 838, et L. de Mas-Latrie, l. l. Introd., t. I, p. 137.

[53] Saba Malaspina, l. IV, ch. XIX, ap. Muratori, t. VIII, col. 857 ; et L. de Mas-Latrie, p. 135.

[54] Guillaume de Nangis, p. 441. Primat ne rapporte pas cette particularité, l. l., p. 41 Les 2 sous tournois valent 2 fr. 2 c., somme qui assurément n'aurait rien d'exagéré, si l'on ne tenait compte du pouvoir de l'argent en ce temps-là.

[55] Selon une chronique italienne, on ne comptait pas moins de 10.000 génois sur la flotte de saint Louis. Ils s'étaient nommé deux consuls pour les gouverner et les juger. (Oberti Stanconi, etc., annales, dans Pertz, t. XVIII, p. 267). A Gênes dit la même chronique, on eut une grande douleur quand on sut que saint Louis s'était dirigé vers Tunis. On n'espérait point qu'il pût par là délivrer la Terre Sainte.

[56] Guillaume de Nangis, ibid. Primat dit ici : O se (si) Kalles Martel, c'est-à-dire Kalles, roi de Secile, fust venu à un tel chastel, et il eust trouvé tel chose et si rebelle pueple, si comme je cuide, il eust détruit en un seul moment et gent et chaste tout ensemble. Mes celi Loys roy debonnaire, paisible, etc. (Historiens à France, t. XXIII, p. 43, 44.)

[57] Primat, l. l., p. 44 ; Guillaume de Nangis, p. 447, 449.

[58] Primat, p. 45 ; G. de Nangis, p. 451.

[59] Primat et Guillaume de Nangis, ibid.

[60] Primat, p. 46 ; Guillaume de Nangis, p. 451 ; cf. Geoffroi de Beaulieu, c. XLII, p. 231, qui attribue les maladies à la température et à !a pénurie d'eau douce pendant les quatre mois que l'on fut là.

[61] Primat, p. 47 ; Guillaume de Nangis, p. 453.

[62] Primat, p. 48 ; Guillaume de Nangis, p. 453.

[63] Primat, p. 48, 49 ; Guillaume de Nangis, p. 455.

[64] Chronique anonyme française dans le Recueil des historiens de France, t. XXI, p. 85.

[65] Primat, p. 50 ; Guillaume de Nangis, p. 457. Les Sarrasins se faisaient un mérite de violer le droit des gens à l'égard des chrétiens. En voici un exemple à joindre à ce que l'on a vu plus haut : Le samedi (2 août) trois Sarrasins vinrent à un serjant d'armes et fichièrent les pointes de leurs glaives en terre, et en signe de sureté ifs Cenoient leurs mains sur leurs têtes et l'appelèrent à parler à eulz de plus prez. Et ce serjant avoit nom Raoul l'Escot, et parlèrent moult longuement à li... Et quand ils orant longuement parlé ensemble, ils firent signe de aller s'en amère ; mais l'un d'iceulz qui avoient fichié saiance en terre, feri celi qui estoit tout désarmé et ne s'en doubloit point et le perça tout oultre parmi les costes. (Primat, p. 51.)

[66] Primat, p. 51 ; Guillaume de Nangis, p. 457 ; Geoffroi de Beaulieu, c. XLIII, p. 23.

[67] Primat, Historiens de France, t. XXIII, p. 52. J'ai un peu rajeuni la version de Jean du Vignay.

[68] Voy. Servois, article cité ; Bibl. de l'école des Chartres (1858) p. 122.

[69] Les enseignements de saint Louis ont donné lieu à une discussion des plus intéressantes entre M. N. de Wailly et M. P. Viollet, archiviste paléographe. Les deux auteurs ont cherché à établir quels sont les textes qui nous reproduisent le plus fidèlement le texte original de saint Louis, et ils ont été amenés à distinguer :

I. Les grands textes qui dérivent du texte latin emprunté par l'anonyme de Saint-Denys (Gilles de Pontoise) (Historiens de France, t. XX, p. 47) à l'enquête faite pour la canonisation de saint Louis ; ce sont : 1° la version publiée par le registre Noster de la Chambre des comptes, par Theveneau en 1627, et par Moreau dans le tome XX de ses Discours sur l'histoire de France ; 2° le texte du Confesseur de la reine Marguerite (Historiens de France, t. XX, p. 84).

II. Les textes abrégés : en première ligne, le texte que Geoffroi de Beaulieu dit avoir traduit, en l'abrégeant, du texte original de saint Louis. (Horum documentorum manu sua scriptorum post mortem ipsius ego copiam habui et, sicut radius et brevius potui, transtuli de gallico in latinum. ibid., p. 8.)

2° Le texte français que l'on trouve à la suite du récit de Beaulieu dans plusieurs manuscrits et que l'on croit de l'auteur lui-même. (Ibid., p. 26.)

3° Texte latin de Guillaume de Nangis, qui n'est notoirement que le texte de Beaulieu. (Hist. de France, ibid., p. 458.)

4° Texte français du même G. de Nangis. (Ibid., p. 459. ;

5° Texte de Primat, traduit par Jean du Vignay. (Ibid., t. XXIII, p. 59.)

6° Texte des Grandes chroniques de Saint-Denys, conservé dans le ms. 2615 de la Bibliothèque nationale, et qui est antérieur à la canonisation de saint Louis (1297).

7° Autre texte des Grandes chroniques dit manuscrit de sainte Geneviève (ms. français, n° 2813).

8° Texte français de Joinville, tiré comme il le dit, d'un romani c'est-à-dire d'une histoire en langue vulgaire, qui ne peut être que l'une des formes de la chronique de Saint-Denys.

Le différend entre M. N. de Wailly et M. P. Viollet consiste en ce point : M. Viollet croit que tous les textes abrégés dérivent de l'abrégé de Geoffroi de Beaulieu et que, par conséquent, s'il se trouve quelque trait qui n'est ni dans les grands textes ni dans Beaulieu, comme par exemple le conseil sur la conduite à tenir envers les bonnes villes, on doit le considérer comme apocryphe ; tandis que M. N. de Wailly signale comme un texte indépendant de Beaulieu le texte des chroniques de Saint-Denys contenu dans le ms. 2615 et dans le ms. de Sainte-Geneviève, texte où l'on trouve le passage incriminé de Joinville, et il croit que ces textes peuvent dériver, comme celui de l'enquête, de l'original français de saint Louis. Je ne donne que les grands traits de ce débat ; je n'ai garde de toucher au détail : la fameuse question des synoptiques, comme on dit en Allemagne, c'est-à-dire des trois premiers évangélistes et de leurs rapports, n'a pas suscité un plus grand nombre de comparaisons. (Voy. les deux mémoires de M. P. Viollet, Bibl. de l'École des chartes, 6e série, t. V (1869) et t. XXXV (le la collection (1874), et ceux de M. N. de Wailly, ibid., t. XXXIII (1872) et t. XXXV (1874).

M. N. de Wailly, après avoir discuté la valeur de ces sources, en a tiré les éléments d'une restitution du texte français primitif dans les formes les plus probables et dans l'orthographe du temps, en prenant pour base le texte capital de l'enquête, sans se refuser d'y ajouter ou d'y substituer ce qui lui parait plus sûrement dérivé de l'original. On trouvera ce travail important à la suite de son premier mémoire. (Bibl. de l'École des chartes, t. XXXIII.) Nous nous bornerons ici à donner sous une forme plus moderne le texte français de Geoffroi de Beaulieu, tout en y introduisant quelques corrections fournies par les autres textes, et en y insérant à leur place, avec l'indication d'un signe particulier, les principaux passages qu'il a omis.

[70] Joinville et les textes du ms. 2615 et de Sainte-Geneviève.

[71] Joinville, ms. 2615 et ms. de Sainte-Geneviève.

[72] Textes dérivés de l'Enquête.

[73] Textes dérivés de l'Enquête.

[74] Textes dérivés de l'Enquête.

[75] Confesseur de Marguerite, t. XX, p. 121.

[76] Chap. XLIV, ibid., p. 23.

[77] Guillaume de Chartres, t. XX, p. 37.

[78] Lettre du roi Philippe III, du camp devant Carthage, 12 septembre 1270 : Duchesne, t. V, p. 440 ; Geoffroi de Beaulieu, chap. XLIV, t. XX, p. 23 ; Guillaume de Chartres, ibid., p. 37 ; Guillaume de Nangis, p. 463 et 563 ; Girard de Fracheto, t. XXI, p. 3 ; Primat, t. XXIII, p. 59 ; Chron. de F. Salimbene, p. 255 ; Lettre du roi de Navarre à l'évêque de Tusculum, du camp devant Tunis, 24 septembre 1270. Voy. la Dissert. de M. Letronne, Mém. de l'Acad. des inscr., t. XVI, part. II, p. 406.

[79] Primat et Baudoin d'Avesnes parlent de trois messages adressés à saint Louis, et qui arrivèrent après sa mort au jeune roi Philippe : le premier de Paléologue, le deuxième des Tartares, le troisième des Arméniens. On peut douter de l'authenticité de ce récit, au moins pour les Tartares. (Hist. de France, t. XXIII, p. 73 et t. XXI, p. 177.)

[80] Primat, Historiens de France, t. XXIII, p. 58. Ici encore j'ai ramené la version de Jean du Vignay à des formes plus modernes.

[81] Chron. de rebus in Italia gestis, p. 322, éd. Huillard-Bréholles.

[82] Primat, t. XXIII, p. 75. Cf. Guillaume de Nangis, t. XX, p. 469, 471 ; Baudoin d'Avesnes, t. XXI, p. 177 ; et la lettre de Thibaud, roi de Navarre, à l'évêque de Tusculum, Mém. de l'Acad. des inscr., t. XVI, part. 2, p. 407.

[83] Primat, t. XXIII, p. 79 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 476 (texte latin).

[84] Primat, t. XXIII, p. 80.

[85] Voy. Mém. de l'Académie des inscriptions, nouvelle série, t. IX, p. 474.

[86] Scilicet ut omnes Christiani qui in regno Thunicii captivi tenebantur libere redderentur, et quod monasteriis ad honorem Christi per omnes civitates regni illius constructis, fides Christiana per quoscumque prædicatores catholicos prædicaretur et baptizarenter volentes pacifice baptizari. (Guillaume de Nangis, Chron., an 1270, t. XX, p. 563.)

[87] Historiens de France, t. XX, p. 479.

[88] Historiens de France, t. XXIII, p. 81 c.

[89] Historiens de France, t. XXIII, p. 81, f g.

[90] Si, comme il est probable, cette pièce d'argent est le gros tournois ou sou tournois (1 fr. 01,319) les 210.000 onces d'or équivaudraient à 10.638.495 fr.

[91] Primat, t. XXIII, p. 82 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 63 ; Cf. Baud. d'Avesnes, t. XXI, p. 177. On trouve dans la Grande chronique de Limoges (l'apis chronicon Lernovicense) cette assertion, qu'on aurait pu prendre Tunis, mais que l'avarice, dont les rois mêmes, dit l'auteur, ne se gardent pas, y fit obstacle ; car, ajoute-t-il, le roi de Tunis donna beaucoup d'argent au roi de France pour qu'il se retirât, et rendit au roi de Sicile le tribut qu'il lui devait et qu'il ne lui payait pas. (Hist. de France, t. XXI, p. 176). Le roi de France c'est Philippe le Hardi : mais même à ion égard l'assertion est contestable. Cette accusation est plus généralement reproduite contre Charles d'Anjou (voy. Chron. anonyme française, dans les Historiens de France, t. XXI, p. 86) ; mais elle est réfutée par Primat, avec toute la chaleur qu'il a pour la cause de ce prince : Et adonc commença tel murmure à estre el pueple contre le roy de Secile, et sans cause ; car quant la simplesce commune se consent à l'opinion du commun, elle entent moult de fois choses non certaines, et si ne set pas quel chose il appartient au négoce du fait des armes ne quel peril il y puet avoir. Et si n'est pas legière chose à croire que si loyal prince corrompist son courage de la fraude de nul malvais malice, ne que il vousist decevoir en nulle manière la chevalerie du royaume de France qui avoit esprouvé la loyauté de li en tant de bons et souverains fais, et auquel la divine vertu avoit ottroié et donné grace d'avoir vaincu et eu victoire sus ses anemis en deux très grièves batailles par l'aide et par la vertu de la dite chevalerie. (Ibid., t. XXIII, p. 80-81.)

[92] Douquel li cors fu apparilliés et cuis. (Guillaume de Nangis, ibid., t. XX, p. 457.)

[93] La discussion sur le cœur de saint Louis, soulevée au sein de l'Académie des inscriptions par la découverte d'un cœur sous une dalle de la Sainte-Chapelle, il y a déjà plusieurs années, est définitivement tranchée dans le sens qu'avait soutenu M. Letronne, par le texte fort explicite de Primat, qui va paraître pour la première fois dans le tome XXIII des Historiens de France. Après avoir raconté, comme l'ont dit aussi ou répété les autres historiens, que les entrailles du roi furent portés à Palerme en Sicile, il ajoute : Et le couvent de celle abbaye vint sollempnellement l'encontre et reçurent le cuer et les autres entrailles de celui très devot roy pour grant don et précieux. (p. 58). Et plus loin, en parlant des miracles opérés par l'intercession de saint Louis, en Sicile : Quand le saint cuer et les entrailles de celi saint roy furent portées en Secile en la devant dite abbaye de Mont-Royal... : un chevalier reçoit dans son hôtel ceux qui apportaient les reliques ; et le miracle s'opère en la chambre et en la place où le saint cuer et les entrailles avoient geu. (p. 68). C'est la confirmation explicite de ce qu'avait déjà dit le témoin le plus compétent, le confesseur de saint Louis mourant, Geoffroi de Beaulieu, chap. XLVII, t. XX, p. 24. Voy. le Mém. de M. Letronne sur la lettre de Thibaut, roi de Navarre. Mém. de l'Acad. des inscr., t. XVI, part. 2, p. 293 et suiv.

[94] Primat, t. XXIII, p. 82-88 ; Guillaume du Puy-Laurens, t. XX, p. 775, etc.

[95] Geoffroi de Beaulieu, chap. L, t. XX, p. 25 ; Guillaume de Chartres, p. 3841 ; Miracles de saint Louis, dans les Historiens de France, t. XX, p. 121 et suiv. ; Guillaume de Nangis, ibid., p. 462-464 ; Chron. lat. anon., ibid., t. XXI, p. 200 ; Primat, t. XXIII, p. 68-72. Le traducteur du texte latin de Primat y ajoute sur ce sujet un chapitre en son propre nom : chap. XLVIII : Les miracles que frère Jehan du Vignay vit avenir en Normandie de monseigneur saint Louis, ibid., p. 72. Cf. Salimbene, Chron., p. 352.

[96] Voy. la bulle de canonisation, publiée par Boniface VIII, Historiens de France, t. XXIII, p. 149.