SAINT LOUIS ET SON TEMPS

 

TOME SECOND

CHAPITRE XXII. — HISTOIRE EXTÉRIEURE DU RÈGNE DE SAINT LOUIS. DE SA PREMIÈRE À SA DERNIÈRE CROISADE.

 

 

I. — Affaires de Flandre et de Hainaut. - Interventions pacifiques.

Nous avons fait abstraction du temps pour réunir dans un même tableau les divers traits de l'administration de saint Louis et les progrès des lettres, des sciences et des arts sous son règne. Il nous faut maintenant nous reporter à son retour pour signaler les principaux événements qui ont marqué l'intervalle de ses deux croisades. Le but qu'il se proposait au retour de la guerre sainte, c'était l'affermissement de la paix dans son royaume et dans la chrétienté. C'est la pensée, la sainte passion qui continue de le guider au milieu des troubles auxquels les autres pays sont en proie. Il veut la paix, non-seulement chez lui et pour lui, mais pour tout le monde, et afin d'obtenir ce résultat il ne ménage ni son action ni, au besoin, ses sacrifices : Quand le roi, dit le confesseur de la reine Marguerite, entendoit dire qu'il y avoit guerre entre aucuns nobles hommes hors de son royaume, il envoyoit à eux messages solennels pour les apaiser, mais non pas sans grands despens[1]. Quand le bon roi savoit, dit encore Geoffroi de Beaulieu, et Guillaume de Nangis après lui, qu'il avoit aucun ennemi ou envieux en secret, il les attiroit à soi charitablement par debonnaireté, par bénéfice et par aide, quand ils avoient besoin de lui ; et pour ce que ses voies et ses faits plaisoient à Notre Seigneur, s'il lui arrivoit d'avoir aucun ennemi, il les convertissoit et attiroit, à paix et à concorde. Il savoit si sagement agir, si loyalement, si débonnairement, si miséricordieusement envers tout le monde, tant sujets qu'étrangers, qu'il méritoit d'être honoré et aimé de tous. Et selon ce que dit l'Écriture : Miséricorde et vérité gardent le roi, débonnaireté affermit son royaume ; ainsi le trône du royaume de France fut gardé et affermi au temps de saint Louis, et il resplendissoit au regard de tous les autres royaumes, comme le soleil qui répand partout ses rayons[2].

Cette bienfaisante influence de saint Louis, tant sur ses sujets que sur les étrangers, se manifeste plus encore dans cette dernière partie de son règne. Il devait surtout faire observer la paix à l'intérieur, et cela ne dépendait pas seulement de lui. Les seigneurs féodaux avaient leurs querelles, et le droit de guerre pour les trancher. C'est à les accommoder que saint Louis, indépendamment des obstacles qu'il avait mis aux guerres privées, employait surtout son ascendant. Il le montra dans ce grand différend qu'il avait cru terminer avant de partir pour la croisade, mais qui s'était renouvelé en son absence. Je veux parler des affaires de Flandre et de Hainaut.

On a vu les prétentions rivales des d'Avesnes et des Dampierre au sujet de la succession de leur mère, Marguerite, comtesse de Flandre et de Hainaut, vivante encore. Saint Louis, pris pour arbitre, avait tranché le différend par un partage, assignant pour lot, dans la succession future, aux Dampierre la Flandre et aux d'Avesnes le Hainaut (juillet 1246). Cette décision, ratifiée par eux (1246 et 1248) les maintint en paix jusqu'en 1252, malgré quelques. chicanes. Mais alors Guillaume de Hollande, élu roi des Romains par une partie de l'Allemagne, se mêla de la querelle. Marguerite avait. par avance, investi de la Flandre Guillaume de Dampierre, l'aîné de cette branche. Guillaume, au retour de la croisade, avait péri dans un tournoi, foulé aux pieds des chevaux (1251). On crut que ce n'était pas seulement par accident. On en accusa les d'Avesnes : ils étaient jaloux de voir la branche rivale déjà pourvue de sa part. Ils éclatèrent quand Marguerite fit passer à son second fils Gui la succession de Guillaume[3]. Guillaume de Hollande, prenant parti pour Jean d'Avesnes, son beau-frère, déclara Marguerite déchue du. Hainaut et de la partie de la Flandre qui relevait de l'Empire et les donna à Jean et à Baudoin d'Avesnes (juillet 1252). Ainsi le partage qui, selon l'arbitrage de saint Louis, devait se faire après la mort de Marguerite, s'accomplissait bon gré mal gré de son vivant ; et les populations du Hainaut, qui aimaient Jean d'Avesnes et détestaient les Flamands y donnèrent-la main : ils se fondaient sur la déclaration de Guillaume pour chasser les gens de Marguerite. Marguerite, en l'absence de saint Louis, sollicita l'appui de la reine Blanche, qui la renvoya à ses deux fils les comtes de Poitiers et d'Anjou. Mais comme sans doute elle ne leur offrait rien, elle n'en reçut pas davantage : Elle voulut agir par elle-même ; elle prit même l'offensive, et envoya des troupes sous la conduite de ses deux fils, Gui et Jean de Dampierre, dans l'île de Walcheren dont elle voulait s'emparer : ils y furent vaincus et pris (4 juillet 1253)[4].

Marguerite n'en fut pas abattue. Rebutée du comte de Hollande, rejetant fièrement les soumissions de Jean d'Avesnes, elle s'adressa de nouveau à la France, et cette fois, pour obtenir le secours du comte d'Anjou, elle lui donna le Hainaut : dépouillant sans hésiter son fils rebelle pour arriver à la délivrance de ses deux autres fils prisonniers. Charles d'Anjou ramena Marguerite en Hainaut, et elle le fit reconnaître pour comte à Valenciennes, à Mons et en quelques autres places. Jean d'Avesnes s'adressa à l'évêque de Liège : mais les Liégeois refusèrent de seconder le prélat ; puis à Guillaume de Hollande, invoquant tout à la fois sa parenté et les droits de l'Empire méconnu : car le comte d'Anjou n'avait pas songé à lui faire hommage. Guillaume, avec une armée qu'on porte à cent mille hommes (nombre fort exagéré sans doute), s'avança vers Valenciennes, où Charles avait laissé garnison ; Charles y envoya des renforts et vint avec une armée de cinquante mille hommes, dit-on, jusqu'à Douai. Il n'y eut point de combat. Guillaume, manquant de vivres, offrait la bataille ; les comtes de Blois, de Saint Pol et- autres, parents ou amis des d'Avesnes, ne permirent point à Charles de l'accepter. De part et d'autre on se retira et le pays demeurait ainsi, en grande partie, tenu au nom du comte d'Anjou, quand saint Louis revint de Terre Sainte[5].

Ce fut vers lui que tout le monde tourna les yeux. Il semblait que le saint roi ramenât avec lui la paix et la justice ; et la mort du comte de Hollande, tué par des paysans dans une guerre chez les Frisons, rendit l'arrangement plus facile. Marguerite redemandait ses fils prisonniers. Jean d'Avesnes, le fils rebelle, était prêt à se soumettre pour ravoir le Hainaut. Ce ne pouvait être qu'aux dépens du frère de saint Louis : mais le pieux roi préférait la paix à l'agrandissement de sa famille. Charles d'Anjou dut renoncer au Hainaut, moyennant une somme de cent soixante mille livres tournois (3.242.211 fr.) quarante mille livres dans l'année, et le reste payable, dix mille livres par année. Les d'Avesnes lui en faisaient hommage, pour témoigner qu'ils le recevaient de lui par cession volontaire[6]. Une convention particulière avec le frère de Guillaume de Hollande rendait à Marguerite ses deux fils prisonniers (24 septembre 1256)[7].

Jean d'Avesnes ne jouit jamais de cette terre qu'il avait disputée par les armes à sa mère. Il mourut le 24 décembre. 1257 ; et le Hainaut n'échut à son fils qu'après la mort de Marguerite en 1275.

Saint Louis intervint de la même sorte pour accorder le duc de Bretagne, gendre de Thibaut le Trouvère, comte de Champaigne et roi de Navarre, avec le jeune Thibaut, fils de ce dernier : il s'agissait de la succession de la Navarre que ce jeune prince venait de recueillir et qui avait été promise à sa sœur quand elle s'était mariée[8] :

Le roi de Navarre, dit Joinville, vint au parlement avec son conseil, et le comte de Bretagne aussi. À ce parlement, le roi Thibaut demanda, pour en faire sa femme, Mme Isabelle, la fille du roi. Malgré les paroles que nos gens de Champagne débitoient par derrière moi, pour l'amour qu'ils avoient vu que le roi m'avoit montré à Soissons, je ne laissai pas pour cela de venir au roi de France pour parler dudit mariage. Allez, dit le roi, faites la paix avec le comte de Bretagne, et puis nous ferons notre mariage. Et je lui dis qu'il ne devoit pas pour cela le laisser. Et il me répondit qu'à aucun prix il ne feroit le mariage jusques à tant que la paix fût faite, pour que l'on ne dit pas qu'il marioit ses enfants en déshéritant ses barons.

Je rapportai ces paroles à la reine Marguerite de Navarre et au roi, son fils, et à leurs autres conseillers. ; et quand ils ouïrent cela, ils se hâtèrent de faire la paix. Et après que la paix fut faite, le roi de France donna au roi Thibaut sa fille. (Ch. XXXIV.)

Il sut réconcilier aussi le comte de Châlon avec le comte de Bourgogne, son fils ; le comte de Luxembourg avec le comte de Bar ; le comte de Bar avec le duc de Lorraine[9] ; car les étrangers, comme les sujets du roi, acceptaient volontiers et recherchaient son arbitrage :

Au sujet de ces étrangers que le roi avoit réconciliés, dit Joinville, aucuns de son conseil lui disoient qu'il ne faisoit pas bien de ne pas les,laisser guerroyer ; car s'il les laissoit bien s'appauvrir, ils ne lui courroient pas sus aussitôt que s'ils étoient bien riches. Et à cela le roi répondoit et disoit qu'ils ne parloient pas bien : Car si les princes voisins voyoient que je les laissasse guerroyer, ils se pourroient aviser entre eux et dire : c'est par méchanceté que le roi nous laisse guerroyer. Alors il en adviendroit qu'à cause de la haine qu'ils auroient contre moi, ils me viendroient courir sus et j'y pourrois bien perdre, sans compter que j'y gagnerois la haine de Dieu, qui dit : Bénis soient tous les pacifiques. D'où il advint ainsi, continue l'historien, que les Bourguignons et les Lorrains, qu'il avoit pacifiés, l'aimoient et lui obéissoient tant que je les vis venir plaider par-devant le roi, pour des procès qu'ils avoient entre eux, à la cour du roi à Reims, à Paris et à Orléans. (Chap. CXXXVII.)

Cet esprit de concorde et de paix le dirigeait de même dans ses rapports. avec les plus grands États, et c'est ici qu'il put donner la preuve du rare désintéressement dont toute sa politique était inspirée.

 

II. — Relations avec l'Angleterre. - Traité d'Abbeville.

On a vu la grande position que cette politique avait faite à la France avant son départ pour la croisade. Dès ce moment, saint Louis avait pu, en toute sécurité, quitter son royaume pour cette lointaine campagne. Rien dans la chrétienté ne lui pouvait faire ombrage. Les États du Nord formaient toujours un monde à part. L'Espagne, quoique par la Castille et par l'Aragon elle eût encore des intérêts dans le sud de la France, était principalement occupée de sa lutte contre les Maures. La France se trouvait donc surtout en rapport avec l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie. Mais l'Angleterre était dans la situation équivoque dont nous avons parlé : le roi ne voulait pas faire la paix et il ne pouvait pas faire la guerre, empêché qu'il était non pas seulement par la sauvegarde qu'assurait la qualité de croisés aux pays de ceux qui avaient pris la croix, mais encore par la difficulté d'avoir de l'argent de ses barons. L'Allemagne et l'Italie étaient comme suspendues à la querelle de la papauté et de l'empire. Frédéric II étant mort à la fin de 1250, la question de son remplacement agitait tous les pays germaniques, et le pape ne songeait qu'à une chose : faire qu'il ne survécût pas dans la personne de l'un de ses fils.

Quand saint Louis revint en France, c'est du côté de l'Angleterre qu'on pouvait le plus s'attendre à des hostilités. Son retour faisait cesser le privilège de la croisade, et la trêve conclue entre les deux pays était expirée depuis longtemps. Mais les embarras intérieurs de Henri III n'avaient fait que s'accroître. Loin de pouvoir reprendre ce qu'il avait perdu de ses provinces de France, il était menacé d'y perdre celles qu'il y conservait encore. La Gascogne s'était révoltée dès 1247[10] ; ramenée à l'obéissance par Simon. de Montfort, comte de Leicester, elle avait repris les armes, et plusieurs seigneurs en offrirent la suzeraineté au roi de Castille. Henri dut venir en Gascogne où il fut rejoint par Simon de Montfort, et ce ne fut que par une guerre de dévastation, ruinant le pays, coupant les vignes au pied, qu'il contraignit les rebelles à se soumettre (1254)[11].

Dans cette situation, il ne pouvait en aucune sorte rompre avec saint Louis. Quand il voulut revenir en Angleterre, il lui demanda la faveur de passer par la France, et le roi l'accueillit avec le plus grand empressement. Il vint à sa rencontre jusqu'à Chartres, l'amena à Paris, le logea à Vincennes (décembre 1254) et le reconduisit, toute une journée de chemin, sur la route de Boulogne[12]. Cette visite et le commerce du saint roi ne pouvaient inspirer à Henri III que des sentiments pacifiques. L'année suivante (1255), Simon de Montfort vint à Paris jurer une nouvelle trêve de trois ans[13].

Saint Louis prenait en même temps ses mesures pour faire que la lutte, si elle recommençait, fût limitée aux deux pays, ou du moins pour neutraliser par des alliances sur toute la ligne des Pyrénées celles que le roi d'Angleterre avait pu chercher en Espagne. Nous avons vu que Henri III avait fait épouser à son fils Édouard la sœur d'Alfonse X, roi de Castille (1254). Saint Louis conclut le mariage de son fils aîné Louis (âgé de douze ans), avec la fille aînée du même prince (24 août 1255)[14], convention qui échoua par la mort du jeune Louis (janvier 1260). Il avait donné, quelques mois auparavant (avril 1255), nous l'avons vu, sa fille Isabelle au jeune Thibaud V qui, en 1253, avait succédé à Thibaud le Trouvère, son père, en Champagne et en Navarre ; et cette maison, déjà toute dévouée à la France, sa première patrie, se trouva ainsi rattachée à sa cause par un lien de plus[15]. Enfin, il maria son second fils Philippe, qui devint son héritier, avec Isabelle d'Aragon (11 mai 1258), et ce fut comme la sanction de l'accord qu'il venait de conclure lui-même avec le père de la jeune princesse encore enfant, sur les différends qui divisaient les deux maisons d'Aragon et de France[16]. La France prétendait à la suzeraineté du Roussillon et du comté de Barcelone, comme ayant fait partie de l'empire de Charlemagne ; et jusqu'au règne de Philippe Auguste, on n'avait pas cessé d'y compter les années des rois de France dans les actes publics. D'autre part, les rois d'Aragon faisaient valoir des droits sur une grande partie des provinces qui s'étendent au nord-est des Pyrénées ou le long de la Méditerranée : Limoux, Carcassonne, Narbonne, Béziers, Agde, Nîmes, le Gévaudan, l'Albigeois, le Rouergue, le Quercy, le comté de Foix, et même sur tout le comté de Toulouse[17]. Le roi d'Aragon alla de lui-même au-devant d'un accord, et saint Louis se montra empressé à y souscrire. Le roi de France renonçait à la souveraineté de la Catalogne ; le roi d'Aragon à toutes les prétentions dont il a été parlé tout à l'heure, comme à tous les droits échus ou à échoir sur tout ce qui avait appartenu à l'ancien comté de Toulouse. La transaction fut négociée en même temps que le mariage du fils de saint Louis avec la fille de Jacques Ier, et conclue à Corbeil le même jour (11 mai 1258)[18].

Saint Louis avait, à l'endroit de l'Angleterre, une autre garantie (mais on verra si elle était de celles qu'il recherchait), c'est la situation embarrassée que l'humeur inquiète de Henri III lui avait faite dans son propre royaume.

Henri III avait trouvé sans doute plus d'une difficulté dans l'héritage de Jean, son père, et dans la façon dont il l'avait recueilli ; mais il y avait ajouté beaucoup par sa manière d'agir. Il n'avait su qu'irriter par sa conduite les dispositions des lords, naturellement jaloux du pouvoir qu'ils lui avaient assuré. Ce fut pendant tout son règne une perpétuelle invasion d'étrangers dans les honneurs de la cour : d'abord les Poitevins, puis les Provençaux, à la suite de son mariage avec Éléonore de Provence. Les princes de Savoie, oncles de la jeune reine, eurent tout à discrétion en Angleterre. Le peuple n'était pas plus satisfait : les campagnes malheureuses de Henri III en France l'avaient accablé d'impôts, sans donner rien que des déboires à l'amour-propre national. Et quand la trêve, renouvelée avec saint Louis en 1255, eut tari cette source de mécontentement, il y en eut d'autres. À défaut de la France, l'esprit nubile de Henri III se portait volontiers sur l'Italie et sur l'Allemagne même. Innocent IV, préoccupé de la pensée de ruiner la maison des Hohenstaufen, tant en Italie que dans l'Empire, avait offert le royaume des Deux-Siciles à Edmond, deuxième fils de Henri, et la couronne impériale à Richard, frère du même roi. L'offre fut acceptée ; mais, pour en profiter, il fallait de l'argent : car le pape réclamait de fortes sommes qui lui étaient dues pour la Sicile[19], et ce qu'il offrait ne se pouvait prendre d'ailleurs et se garder que les armes à la main. Or, les barons n'étaient pas disposés à se prêter aux coûteuses fantaisies du roi[20]. Richard alla bien en Allemagne, où on l'avait élu roi des Romains (1257), mais son absence ne fit que rendre plus facile le triomphe des mécontents, à la tête desquels s'était placé Simon de Montfort. Ils imposèrent au roi les provisions d'Oxford (1258). Une commission de vingt-quatre membres, nommés moitié par le roi, moitié par les barons, fut chargée de réformer le royaume. Cette commission, qui était tout entière sous l'influence de Leicester, arrêta, entre autres choses, qu'un parlement serait assemblé trois fois par an ; mais il était dit qu'il pourrait être représenté par douze de ses membres dont les décisions, prises en commun, seraient tenues pour la volonté du parlement[21]. C'était confisquer les pouvoirs du roi et de la nation elle-même au profit d'un parti. Il est vrai que ce parti se croyait la nation et se faisait prêter serment. La famille royale dut, comme les autres, jurer de respecter son œuvre[22]. Henri, fils de Richard, le fit, mais par contrainte. Richard, à son retour (janvier 1259), dut faire de même[23].

On peut voir si un rai, ainsi tenu en bride à l'intérieur, était en mesure de se montrer exigeant au dehors. Et pourtant c'est en ces circonstances que la trêve avec la France expirant, Henri III trouva moyen de la remplacer par une paix où il obtenait beaucoup plus qu'il n'eût pu acquérir de la guerre la plus heureuse.

Il n'avait pas compté en vain sur les scrupules manifestés plus d'une fois par saint Louis à l'égara de la confiscation qui avait réuni à la couronne les domaines du roi Jean. Saint Louis ne contestait pas que le roi Jean n'en eût été légitimement dépouillé ; mais son fils était innocent, et il y avait, à son avis, quelque rigueur à ne lui pas rendre son héritage. Heureusement, Louis n'était pas seulement un saint, il était roi ; ou plutôt l'accomplissement de ses devoirs de roi faisait partie de sa sainteté. Or, il n'était pas roi absolu : il était roi féodal. Il ne devait pas réformer seul une sentence rendue par les pairs, ni prononcer sur l'état du royaume sans le conseil de ses barons. Il pouvait bien renoncer à la couronne, — et il en eut envie dans ce temps même — il l'eût fait si la reine, sans l'aveu de laquelle il ne le pouvait pas faire, y eût consenti[24] ; il aurait donc pu, d'accord avec elle, abdiquer la couronne, mais il ne pouvait pas l'amoindrir sans juste raison. Retenu à la royauté, il en accepta tous les devoirs. Seulement, pour le rétablissement et le maintien plus durable.de la paix, il était disposé à se relâcher d'une partie de ses droits. Il consentit donc à rendre au roi d'Angleterre plusieurs des provinces confisquées, à la condition qu'il renonçât absolument à tout le reste. Il rendait le Périgord, le Limousin, le peu qu'il avait du Quercy, une partie de la Saintonge et l'Agenois ; il devait payer au roi d'Angleterre le revenu de l'Agenois et de la Saintonge, que détenaient le comte et la comtesse de Poitiers, et s'obliger, lui ou ses héritiers, à les rendre au roi d'Angleterre, s'ils venaient à lui échoir par héritage. Pour la Saintonge même, s'il n'en héritait pas, il devait en procurer le retour au roi d'Angleterre par échange. De son côté, le roi d'Angleterre abandonnait tous les droits que lui et ses prédécesseurs avaient jamais eus sur la Normandie, le Maine, l'Anjou, la Tourraine, sur le comté et toute la terre de Poitiers, ou ailleurs en aucune part du royaume de France : ce qui impliquait l'abandon de l'hommage de la Bretagne, de l'Auvergne, de la Marche et de l'Angoumois. En outre, il faillait lui-même hommage au roi de France pour toutes les terres qu'il. recouvrait ainsi, et non pas seulement pour celles qu'il recouvrait, mais aussi — cela est capital — pour celles qu'il possédait dans tout le royaume :

Et ausi de Bordeaux, de Baionne et de Gascoine e de tote la terre q'il tient de ça la mer d'Engleterre en fiez et en demaines, et des illes se aucune en i a, qe li roi d'Engleterre tiegne qe soit dou reaume de France[25].

Il devait les tenir comme pair de France et duc d'Aquitaine, et faire à ce titre tel service qu'il appartiendrait. La paix devait être jurée de part et d'autre par les rois et leurs héritiers. Les villes de la dépendance du roi d'Angleterre étaient en outre tenues de garantir sa fidélité à l'observer, en s'engageant, s'il manquait au traité, à se tourner contre lui, à la requête du roi de France (Paris, 28 mai 1258)[26].

Ces conventions ainsi arrêtées en France entre saint Louis et les envoyés anglais furent soumises à la ratification du roi d'Angleterre, qui les confirma et y fit joindre la ratification tant de son frère que de ses fils ; et une ambassade solennelle vint apporter en France la renonciation du roi et des princes aux provinces qui n'étaient pas rendues (avril 1259)[27]. Il manquait une chose à l'exécution de ce grand pacte : c'est qu'Henri passât lui-même en France pour reconnaître la suzeraineté du roi sur les provinces françaises. Il s'y rendit en effet, fut reçu avec grand honneur et à Paris et à Saint-Denis où il passa un mois, et le 4 décembre il fit hommage à saint Louis dans le jardin du palais, en présence d'une cour nombreuse d'évêques et de barons des deux royaumes[28].

Ce traité a été blâmé, et il doit l'être au point de vue moderne, sans aucun doute. Les peuples ne sont pas des troupeaux dont on puisse trafiquer, et si le conquérant, aujourd'hui encore, ne les consulte pas pour les prendre, c'est bien le moins que le roi dont ils relèvent tienne compte de leurs dispositions avant de les céder volontairement. Or les populations des provinces cédées aux Anglais répugnaient à cet abandon, et, elles ne pardonnèrent pas facilement au prince qui les sacrifia. Quand saint Louis fut canonisé, la Rochelle refusa de célébrer sa fête. Ajoutons que cette cession aurait pu paraître gratuite, car le roi d'Angleterre était dans l'impuissance de rien reprendre en France, même d'y rien garder s'il eût été attaqué. Matthieu Paris l'avoue, même pour la Guyenne : Des pays d'outre-mer dont l'Angleterre s'enorgueillissait, dit-il en 1252, il ne reste plus que la Gascogne vacillante, laquelle ne demeure sous les lois des Anglais que parce que le roi de France dédaigne de s'en emparer, quam rex Francorum contemnit[29]. Mais il faut prendre en considération les idées du temps, et ne pas se tromper sur le caractère de ce sacrifice. C'était plutôt une cession de domaine qu'un abandon de nationalité. Les provinces cédées au roi d'Angleterre ne cessaient pas d'être de la France. Le roi d'Angleterre faisait hommage à saint Louis, non pas seulement pour ce qu'il recouvrait en France, mais encore, nous l'avons vu, pour ce qu'il n'y avait jamais perdu, pour la Guyenne comme pour le Périgord et la Saintonge[30]. Rien donc n'était virtuellement retranché du royaume dans le présent, et pour l'avenir on établissait le fondement d'une meilleure entente ; on prévenait les hasards d'une réaction qui, à un moment donné, aurait pu remettre en péril ce que l'on gardait des provinces réunies. Pour saint Louis, au-dessus de toutes ces questions d'intérêt discutables, il y avait un principe d'équité : ne pas frapper le fils dans la personne du père. Cet esprit de justice est ce qui faisait sa force. En regard du sacrifice qu'il lui imposa en ces circonstances, il faut mettre l'ascendant qu'il lui assura dans le monde : ce sont effets de la même cause. Qui peut hésiter à dire que la puissance de la France a été fortifiée, agrandie par saint Louis[31] ?

La France ne fut donc pas plus faible après cette concession, et l'Angleterre n'en devint pas plus forte ; elle en arriva même au point d'appeler saint Louis à intervenir dans ses querelles : hommage bien éclatant rendu non plus seulement par un roi, mais par un peuple entier à sa vertu.

 

III. — Mort du fils allié de saint Louis. Son fils Philippe et la reine Marguerite.

Peu de temps après la conclusion définitive du traité, saint Louis fut frappé d'un grand malheur. Il perdit son fils aîné, Louis, âgé de seize ans, jeune prince de grande espérance, plein de grâce devant Dieu et devant les hommes. On l'estimait pour son courage, on l'aimait pour sa bonté (janvier 1260)[32]. Henri III, qui était en route pour retourner en Angleterre, revint sur ses pas à cette nouvelle ; il voulut assister aux funérailles du prince français. Le corps, porté d'abord à Saint-Denis, devait être inhumé dans l'abbaye de Royaumont, fondée par saint Louis. Les principaux barons de France se firent un devoir de le porter l'espace d'une demi-lieue sur leurs épaules, et Henri voulut se joindre à eux pour lui rendre ces derniers honneurs[33].

L'héritier du trône fut dès lors Philippe, âgé de près de quinze ans, qui succéda plus tard à son. père. Saint Louis, au milieu de cette affliction, eut-il de nouveau la pensée d'abdiquer la couronne ? S'il l'eut en effet, elle dut être combattue encore par Marguerite, et la reine du reste paraît avoir pris dès ce temps-là ses précautions pour s'assurer la possession du pouvoir, dans le cas où, par une cause quelconque, il échapperait à saint Louis. Par un acte dont l'existence n'a été mise que tout récemment en lumière, elle obtint du jeune Philippe la promesse solennelle de rester sous sa tutelle jusqu'à l'âge de trente ans ; de ne prendre aucun conseiller qui lui fût hostile ; de ne faire aucune alliance avec Charles d'Anjou (nous dirons pourquoi un peu plus tard) ; de lui révéler tout ce qu'on pourrait tramer contre elle ; de ne point faire de largesses au delà d'une certaine limite, et enfin de ne faire connaître à personne cet engagement. Il fut pourtant connu du pape Urbain IV, qui, par une bulle pleine de toutes sortes de ménagements, délie le jeune prince de sou serment téméraire ; et c'est par là que la chose nous.est connue. Le sage pontife n'y veut voir qu'un entraînement de jeunesse, et il rend au fils de saint Louis sa liberté : Assuré, dit-il, qu'il n'en usera pas contre sa mère. Il souhaite que ses actes, dégagés ainsi de toute apparence de contrainte, ne puissent se rapporter qu'à sa vertu, et que, procédant de sa pure volonté, ils soient d'autant plus méritoires devant Dieu (6 juillet 1263)[34].

Marguerite si étroitement tenue en bride, même dans ses droits d'épouse, et si complètement écartée de toute influence politique par la reine Blanche tant que celle-ci vécut, paraît donc avoir voulu s'en dédommager avec son fils, et se réserver auprès de lui un rôle pareil à celui qu'elle avait vu remplir à Blanche auprès de saint Louis. Sans attendre le terme qui était prévu dans cet engagement sitôt annulé, elle ne laissa point, après la mort de Blanche, de faire sentir son action dans les affaires politiques. Sa conduite durant la croisade d'où elle revenait lui avait bien donné, il le faut dire, quelques droits à cette influence. C'est cette princesse, jusque-là si fort effacée, qui, après le désastre de Mansoura, quand on ne se croyait plus en sûreté même dans Damiette, avait, en retenant ceux qui en voulaient fuir, sauvé le roi et l'armée tout entière : car, sans ce gage, ils étaient perdus.

Ses rapports de famille, et des considérations d'intérêt ou d'affection qui en naissaient pour elle, expliquent la part qu'elle prit à des événements graves où la politique de la France fut engagée en ce temps-là.

Les familles royales de France et d'Angleterre se trouvaient liées entre elles par des mariages, et c'est la maison de Provence qui leur avait en quelque sorte servi de lien par ses princesses. Des quatre filles de Raimond Bérenger, l'aînée, Marguerite, avait épousé le roi de France ; la seconde, Éléonore, le roi d'Angleterre ; de plus, la troisième, Sancie, avait épousé Richard, frère de Henri III, et la quatrième, Béatrix, Charles d'Anjou, frère de saint Louis.

Ces unions contenaient bien en soi des causes de division aussi. L'héritage tout entier du père ayant été assuré à la phis jeune, sans que les dots promises aux autres leur eussent même été intégralement payées, les trois aînées se trouvaient unies entre elles contre leur sœur cadette ; et, par exemple la reine de France, Marguerite, témoignait autant d'attachement pour ses sœurs d'Angleterre qu'elle en avait peu pour Béatrix. Elle regardait le litige comme toujours pendant de ce côté. En 1258, lorsque saint Louis traita avec le roi d'Aragon, elle se fit rétrocéder par ce prince, les droits auxquels il était substitué dans le testament du comte de Provence, son père, au défaut de Béatrix et de Sancie, ses deux plus jeunes sœurs[35]. Dans la même année, elle obtenait du Pape qu'aucune bulle accordée par la cour de Rome à Charles d'Anjou, ne lui pût porter préjudice à elle-même ; et on comprend aussi pourquoi, dans l'acte que l'on a vu, elle faisait prendre à son fils, le jeune Philippe, l'engagement de ne faire aucune alliance avec ce prince. Nous en verrons les suites dans l'histoire de Charles d'Anjou. Pour le moment nous avons à noter l'influence de ces relations de famille dans les rapports de la France et de l'Angleterre.

Est-ce l'affection de Marguerite pour sa sœur Éléonore et pour son beau-frère Henri III, qui a contribué à faire conclure, en 1258, la paix entre les deux pays, au prix de tant de sacrifices du côté de la France ? Non assurément. Saint Louis ne dut recevoir d'inspiration que de son amour pour la paix et pour ce qu'il croyait la justice : ce n'est pas la considération de sa femme qui l'eût poussé è. des cessions que sa conscience fie lui eût pas commandées ; mais l'influence de Marguerite se fit sentir au milieu des troubles qui, dans les années suivantes, agitèrent l'Angleterre.

 

IV. — Troubles intérieurs de l'Angleterre. - Médiation de saint Louis.

Le traité d'Abbeville, si mal vu et non sans quelque raison en France, n'avait pas été mieux accueilli en Angleterre : signe bien marqué des dispositions du pays envers le roi. Un prince mal supporté ne fait rien qui ne soit pris en mal. On 'se montrait en Angleterre moins sensible au recouvrement du Quercy, du Périgord, de l'Agenois et de la Saintonge qu'à l'abandon définitif de la Normandie. Tant de provinces restituées contre tout espoir ne semblaient rien au prix de cette chimérique espérance à laquelle il avait fallu renoncer. La paix avec la France avait pourtant reçu sa confirmation au Parlement de février 1260 ; et lorsque le roi revint de France (25 avril) il fut reçu avec honneur. Mais ces marques extérieures de respect étaient une compensation bien faible à tout ce que le prince avait perdu d'autorité dans son pays.

Les provisions d'Oxford n'avaient pu fonder la paix en Angleterre : ce n'était pas un accord, c'était le triomphe d'un parti sur un autre, et par conséquent chose peu durable. Les barons qui avaient triomphé, grâce au mécontentement du pays contre le roi, finirent par perdre eux-mêmes toute popularité. La réforme qu'ils avaient promise n'avançait pas ; les satisfactions qu'ils avaient fait espérer à tant de griefs étaient insuffisantes : et avec cela ils s'entendaient mal. Les deux principaux chefs, Leicester (Simon de Montfort) et Glocester, unis pour conquérir le pouvoir, s'étaient divisés quand il fut question de l'exercer. Henri ayant gagné à lui la commission du gouvernement (cinq exceptés, parmi lesquels Leicester et Glocester), abolit les statuts d'Oxford ; mais les barons se rallièrent autour des cinq (Leicester et Glocester s'étaient rapprochés dans le péril), et le roi, s'étant fortifié dans la Tour de Londres, avait dû appeler à son aide le pape et le roi de France. Alexandre IV le délia de ses serments et saint Louis lui envoya le comte de Saint-Pol, avec plusieurs chevaliers ; mais le fils même du roi, Édouard, paraissait se tourner contre les conseillers de son père ; et Richard, frère de Henri, se tenait au moins à l'écart. Henri qui avait révoqué les officiers nommés par les barons, sans pouvoir faire reconnaître les siens dans les provinces, assiégé dans la Tour de Londres, finit encore par transiger (novembre 1261[36]).

C'est à la France, c'est à Marguerite qu'il avait, dès le commencement de la lutte (mai 1261), confié les joyaux de la couronne[37] ; c'est en France, auprès de saint Louis, qu'on le retrouve l'été suivant, quand l'agitation de l'Angleterre parait un peu apaisée. Il y demeura longtemps, retenu par une maladie, et son rétablissement fut pour Marguerite l'occasion de lui témoigner toute la sollicitude qu'elle avait prise à sa santé[38]. Il en revint, plus porté sans doute à la modération par les bons conseils de saint Louis : car, au retour, il céda aux instances de ses barons, confirma les statuts d'Oxford, et son frère Richard les approuva lui-même de son sceau (fin de 1262)[39]. Néanmoins une longue entente était difficile sur ces bases. Dès le mois de janvier 1263, Henri fit passer en France son trésor. Ceux qui l'apportèrent étaient chargés de voir en même temps saint Louis qui avait promis de s'entremettre entre le roi et le comte de Leicester. Ils visitèrent d'abord la reine Marguerite (5 février), qui leur promit de leur préparer les voies auprès du roi. Le roi les reçut le premier dimanche de Carême, leur promit de parler à Simon de Montfort qui se trouvait alors à Paris, et le jour même ou le lendemain il tint parole. Mais le comte, tout en rendant hommage aux intentions du roi, dit qu'on ne pouvait se fier à ses conseillers et pria saint Louis de ne plus donneras soins à une paix que ces derniers rendaient impossible. C'est le rapport que les envoyés de Henri III lui firent de cette conférence, d'après ce qu'ils en surent à l'audience suivante de saint Louis[40].

Tout se préparait donc pour la lutte. Henri voyait auprès de lui, pour soutenir sa cause, son frère Richard, son fils Édouard et l'oncle de sa femme, Pierre de Savoie ; et il s'enhardissait, ayant vu disparaître quelques-uns de ses adversaires, notamment lé comte de Glocester : il ne voyait pas que la mort du comte, en Ôtant à Leicester un rival, lui donnait plus d'action sur les autres. Leicester revint de France et trouva les barons tout prêts à rejeter un roi qu'ils disaient vassal du pape et de la France. C'était de la France qu'Henri III attendait surtout des renforts. À Paris, on voyait l'archevêque de Canterbury, Boniface de Savoie, oncle de la reine Éléonore, prêcher aux Jacobins et aux Cordeliers pour exciter les esprits en sa faveur, et il y a des lettres qui montrent avec quelle activité la reine Marguerite travaillait à lui procurer des auxiliaires[41].

Ils ne vinrent pas à temps. Le roi et la reine d'Angleterre, pressés par les barons, s'étaient renfermés dans la Tour ; Édouard avait mis une garnison à Windsor, et il était allé à Bristol pour recruter des partisans : avant qu'il pût rien faire, Henri était forcé de capituler. Lui-même, mal reçu à Bristol, étant venu à Kingston pour tenter un arrangement, fut arrêté, et les barons, maîtres du roi et du prince, n'eurent pas de peine à faire confirmer leurs fameux statuts dans une nombreuse assemblée tenue à Londres (8 septembre 1263).

Si les conseils de saint Louis avaient été si mal observés avant la lutte, il était difficile qu'ils fussent mieux accueillis lorsque le résultat avait rompu l'équilibre entre les deux partis ; mais Leicester n'osait pas encore traiter le roi en vaincu. Saint Louis avait invité Henri III et ses barons à une conférence à Boulogne-sur-Mer, pour la quinzaine de la Nativité (22 septembre). Henri, la reine Éléonore, Leicester et plusieurs autres, y vinrent à la Saint-Michel ; mais le roi de France était peut-être le seul qui voulût sincèrement la paix. Ils retournèrent donc en Angleterre, à peu près comme ils étaient venus, avec les chances directement contraires que leur laissaient presque toujours les résultats de la lutte : le roi ne pouvait pas triompher, sans rallier les barons contre lui ; ni les barons, sans se diviser bientôt et rendre au roi l'occasion de ressaisir ses prérogatives. Henri III, assuré du concours de plusieurs d'entre eux, fuit secrètement de Westminster à Windsor, un de ses meilleurs châteaux. Le pape Urbain IV s'était déclaré contre les attentats des barons. Le 22 août, il avait envoyé, comme légat, en Angleterre le Français Gui Fulcodi, évêque de Sabine, renommé par sa science du droit ; et, comme le droit avait besoin d'être appuyé, il s'adressait en même temps à saint Louis : il sollicitait son intervention tant par lui-même que par la reine Marguerite dont il réclamait le concours auprès du prince.

Marguerite n'avait pas attendu cette invitation pour agir. Dès le temps que saint Louis préparait la conférence de Boulogne, elle avait écrit à son beau-frère Alfonse de Poitiers, pour qu'il mit au service du roi d'Angleterre les vaisseaux qu'il avait à la Rochelle, et elle se joignait à la reine Éléonore, après l'entrevue, pour vaincre l'indifférence ou la mauvaise volonté du prince, qui protestait qu'il n'avait pas de vaisseaux[42]. On n'eut pas besoin de recourir pour le moment à ces moyens. L'intervention des évêques d'Angleterre et de France suspendit la lutte à son début et amena les seigneurs à s'en remettre, ainsi que le roi, à l'arbitrage de saint Louis[43].

Cette démarche témoignait d'une bien haute confiance en sa droiture. On savait bien qu'il ne se mêlerait pas des affaires d'Angleterre, comme son père et son aïeul, pour y chercher son intérêt particulier dans l'antagonisme des partis ; on savait qu'il n'aurait en vue que la justice, et le bien du pays dont la confiance faisait appel à son jugement ; et malgré les liens qui l'unissaient à Henri III, malgré les secours qu'il lui avait déjà donnés dans ses querelles précédentes, il se sentait capable d'être impartial. Il invita le roi et les barons à se rencontrer avec lui dans la ville d'Amiens. Il y était lui-même le 13 janvier 1264. Henri III, la reine Éléonore, et plusieurs des seigneurs anglais s'y rendirent. Leicester n'y vint pas : sans révoquer en doute l'impartialité de saint Louis, il pouvait bien présager ce que serait sa sentence.

Entre le roi et les barons, sur le terrain des Provisions d'Oxford, le jugement de saint Louis ne pouvait pas être douteux. Il fut pour le roi, non parce qu'il était roi lui :même, mais parce que les articles d'Oxford lui semblaient destructifs de toute autorité royale. Il rendait au roi la garde des châteaux royaux, la nomination des officiers, des membres du Conseil : c'était dans le régime féodal le droit du roi. Le pieux arbitre eut peut-être le tort de croire que le prince à qui il restituait ses droits saurait aussi comprendre ses devoirs et se comporter dans les deux cas ainsi qu'il l'eût fait lui-même. En révoquant les statuts d'Oxford, saint Louis avait confirmé toutes les constitutions antérieures : mais la charte du roi Jean comptait parmi ces libertés, et les barons prétendirent que les articles d'Oxford n'étaient que les conséquences de cette charte. La sentence de saint Louis, confirmée par le pape, ne fut donc pas ratifiée par les barons, et la guerre qu'il avait voulu éviter allait reprendre beaucoup plus vive[44].

 

V. — Nouveaux troubles d'Angleterre. - Batailles de Lewes et d'Evesham.

Pour le moment le gouvernement du roi triomphait. En France tout le monde y applaudit, et la reine Marguerite surtout partagea le bonheur de sa sœur Éléonore. Elle se serait même volontiers associée encore à elle pour poursuivre, jusque sur les terres d'Alfonse, des habitants de Bayonne qui s'étaient compromis dans la cause des barons. Elle obtint de lui qu'il les fit arrêter. Mais saint Louis réprima l'excès de son zèle. Il manda à son frère de lui envoyer à Paris ses prisonniers, et à la suite d'une enquête il les fit mettre en liberté[45].

Les barons ralliaient leurs partisans par toute l'Angleterre. Leicester avait été rejoint par le jeune comte de Glocester qui lui apportait le nom et l'influence du dernier comte, sans lui faire craindre une rivalité nouvelle. Henri III cherchait des auxiliaires en France. Marguerite, ne craignant plus de contrevenir au rôle d'arbitre qu'avait accepté saint Louis, écrivait à Alfonse pour le prier de mettre l'embargo sur les vaisseaux anglais qui se trouvaient dans le port de la Rochelle, et de les faire servir au transport des volontaires que l'on recruterait pour Henri III sur le continent (7 mai) : acte de violence auquel Alfonse se refusa comme à une infraction au droit des gens. Les succès se balançaient. Le roi même semblait reprendre l'avantage. Il avait occupé Northampton, Leicester et Nottingham où il passa la fête de Pâques (20 avril), et il s'avançait sur Londres où le comte de Leicester avait son principal point d'appui. Il avait pris Kingston, et dégagé Rochester que le comte avait assiégé. Les deux armées se rencontrèrent non loin de Lewes. Les barons se montraient assez disposés à traiter : mais ils prenaient pour base les statuts d'Oxford. Henri refusa. On se battit donc, et le prince Édouard culbuta les habitants de Londres qu'il poursuivit dans leur déroute. Cet excès d'ardeur laissait le roi et Richard exposés à tous les efforts des principales troupes de l'ennemi : ils tombèrent aux mains de Leicester (14 mai 1264). Quand le prince Édouard revint de sa poursuite, il ne put éviter un sort pareil qu'en traitant avec le vainqueur[46].

Après que la victoire eut tranché la question, c'était encore à saint Louis que l'on s'en référa de part et d'autre pour obtenir une décision plus durable. Il fut convenu que le roi d'Angleterre et les barons demanderaient au roi de France de désigner trois pré lats et trois seigneurs français. Ces six personnes, agréées des parties, devaient nommer deux Français qui, venant en Angleterre, feraient choix d'un Anglais, avec lequel ils examineraient tous les points en litige. Tout ce que ces trois arbitres décideraient, tant sur le maintien ou la destitution du roi, que sur tout autre sujet de débats, devait être religieusement observé. Des rois comme Henri et Richard ne pouvaient décemment être tenus pour prisonniers par des barons ; mais d'autre part il était périlleux de les remettre en possession de leurs droits avant qu'on eût réglé le nouvel état du royaume : il fut résolu que jusque-là Édouard et Henri d'Allemagne leurs fils leur serviraient d'otages. Les deux princes se mirent donc entre les mains des barons qui les envoyèrent à Douvres : mais les deux rois n'en furent guère plus libres. Richard fut logé dans la Tour dont il n'eut pas la garde ; quant à Henri il demeura auprès de Leicester qui le menait partout avec lui, le traitant en roi, mais ne le faisant agir que pour. commander la soumission des châteaux dont les capitaines lui restaient fidèles[47].

Le parlement tenu à Londres donna tout pouvoir, sous le nom du roi, aux comtes de Leicester et de Glocester et à l'évêque de Chichester. Quant à la médiation de saint Louis et à cette élection, à trois degrés, de commissaires pour la réforme du royaume, il n'en fut plus question. Le roi Henri avait dû accepter, sous peine de déposition, les résolutions de l'assemblée de Londres ; on fit savoir au roi de France que les deux parties étaient d'accord pour ne pas donner d'autres suites aux stipulations du compromis de Lewes[48], et on invita le légat Gui Fulcodi à confirmer ce qui s'était fait.

Ce légat, envoyé depuis novembre 1263 en Angleterre, se trouvait toujours en France. Bien qu'accompagné par saint Louis jusqu'à Boulogne, il n'avait pas obtenu l'autorisation de passer le détroit : c'est à Boulogne où il l'attendait toujours, qu'il reçut l'invitation de confirmer les actes du parlement de Londres. Il reprit vivement les évêques qui s'étaient faits les patrons de ce message ; il les ajourna devant lui, et comme ils évitaient de comparaître, il les suspendit de leurs fonctions et lança l'interdit contre les comtes de Leicester, de Glocester et leurs adhérents, contre la ville de Londres leur principal soutien, et contre les habitants des Cinq Ports qui, par leurs croisières, avaient fait obstacle à son passage. Mais les Anglais ne tinrent pas compte de l'interdit. Les barons en appelaient au pape, au concile général, à toute l'Église triomphante et 'militante, voire au souverain juge et probablement au jugement dernier. Les évêques n'allèrent pas si loin ; ils vinrent même trouver le légat, et, se faisant relever de l'interdit, se firent porteurs de l'excommunication des autres : mais, on ne sait comment cela se fit, ils ne publièrent pas les bulles. On prétexta qu'elles avaient été saisies à leur arrivée et déchirées en mille pièces. Sur ces entrefaites, Urbain IV mourut (10 octobre 1264), et le légat fut rappelé à Rome. Les Anglais n'y devaient rien gagner. Gui Fulcodi retournait à Rome pour occuper la place, d'Urbain IV, et il allait continuer comme pape, sous le nom de Clément IV, ce qu'il avait commencé comme légat[49].

Toutefois, ce n'était pas de ce coté qu'était le péril pour les barons. Ils avaient beaucoup plus à craindre de l'intervention armée. De grands efforts se faisaient en France pour tirer le roi des mains de Leicester. La reine Éléonore s'y trouvait, et elle était vivement secondée par sa sœur, la reine Marguerite. Le comte de Poitiers et de Toulouse qui s'excusait, n'ayant pas de vaisseaux, ne s'opposait pas à ce que le roi d'Angleterre en louât à la Rochelle. La Bretagne, la Gascogne se montraient prêtes d'ailleurs à le servir, et l'Espagne même n'y était pas défavorable. En France surtout, il semblait que les seigneurs, désintéressés par la conduite de saint Louis à leur égard, n'eussent plus à cœur qu'une seule cause : celle d'un roi contre ses barons révoltés. Une armée considérable se réunit au port de Dam, en Flandre. Éléonore était à Bruges, qui veillait à ces armements ; et le comte de Leicester rassemblait avec inquiétude tout ce qu'il avait de troupes sur le rivage opposé. Mais l'expédition ne se fit pas : trop de rassemblement nuisait à ces campagnes féodales ; avant qu'on fût prêt à partir, le temps obligé du service était passé. L'armée se dissipa donc, sans autre cause apparente, et les princes mêmes de Savoie, les plus ardents fauteurs de cette croisade seigneuriale, s'en retournèrent chez eux[50].

Les tentatives du dehors avaient donc échoué, mais le péril, cette fois encore, fut pour les barons dans leur jalousie et leur rivalité. Leicester, fier de la victoire et appuyé de ses cinq fils, tous en âge de le seconder, ne ménageait pas assez les autres, notamment le jeune comte de Glocester, très-jeune encore, mais qui déjà compagnon de sa victoire, voulait avoir sa part aux dépouilles, et se voyait systématiquement éloigné de toute action dans le gouvernement. Il y avait d'autres mécontents qui tenaient encore pour la cause, du roi, entre autres Roger de Mortemer. Glocester vint se joindre à eux. Cela rendait plus d'importance à leur parti. Leicester sentit la nécessité de les combattre sans retard ; il emmenait avec lui le roi Henri, dont il s'autorisait toujours contre les défenseurs de la cause royale ; il emmenait aussi Édouard, et, pour ôter l'idée qu'il le traitait en prisonnier, il voulut le faire paraître dans un tournoi. Édouard se prêta volontiers à la comédie : il demanda seulement à essayer des chevaux pour la joute, et quand il en eut fait courir plusieurs et lassé ceux de ses gardes, il en monta un dernier très-ardent que Mortemer lui avait secrètement ménagé ; puis s'adressant à ses gardes : Seigneurs, dit-il, il y a assez longtemps que vous me gardez, je vous délivre de votre service ; et, piquant son cheval, il vint rejoindre Mortemer à Hereford[51].

L'arrivée d'Édouard parmi les fidèles du roi fut un signal pour tous ceux qui étaient las de. Simon de Montfort. Un auteur va jusqu'à dire que le prince réunit 200 000 hommes. Leicester rassembla ses partisans ; mais Édouard défit les troupes que Simon, fils du comte, lui amenait, et il rejoignit le comte lui-même près d'Evesham, quand ce dernier marchait vers lui, le prenant pour son fils. Leicester vit bien qu'il était perdu. Il n'en combattit pas moins vaillamment et succomba sous le nombre de ses ennemis avec Henri, son fils aîné. Le roi Henri, mené bon gré mal gré à la bataille, fut blessé lui-même et ne se sauva qu'en se faisant connaître d'un seigneur qui l'allait tuer pour la cause du roi (4 août 1265)[52]. Après la bataille de Lewes, Leicester avait compris que pour assurer l'avenir de ses réformes, il y fallait intéresser la nation, et c'est pourquoi il avait appelé au parlement les représentants des bourgs : origine de la Chambre des Communes. Cela ne lui conserva pas la victoire : la bataille d'Evesham venait d'en décider ; mais le principe qu'il avait introduit dans la composition du parlement lui survécut, et fut, avec la grande Charte, la base de la constitution et le secret de la force de l'Angleterre.

 

VI. — Affaires d'Allemagne et d'Italie.

Saint Louis ne montra pas moins de désintéressement et de modération dans les affaires d'Italie et d'Allemagne[53].

Nous avons dit que le pape ne pouvait avoir dans Rome aucune sécurité, s'il voyait le sud de l'Italie aux mains du prince qui, par l'Empire, avait tant d'influence dans le nord de la péninsule. La maison des Hohenstaufen s'était par là rendue si redoutable, que, même après Frédéric II, il la voulait ruiner des deux côtés à la fois. Elle était représentée par Conrad, et défendue : en Allemagne, par Conrad lui-même, qui tenait tête à Guillaume de Hollande ; en Italie, par Manfred, fils légitimé de Frédéric II, qui occupait le royaume de Naples avec le titre de vice-roi, et par divers seigneurs, comme Eccelino di Romano et autres, élevés par Frédéric, et, par suite, liés à sa cause. Malgré cela, l'avantage était assuré au pape s'il savait répondre à tous les vœux qui le rappelaient en Italie. Innocent IV en avait pu juger par les acclamations qui l'accueillirent à son retour. Malheureusement, il ne se contenta pas de réclamer l'indépendance pour le Saint-Siège et pour l'Italie elle-même : il crut que cette indépendance ne serait pas assurée, s'il n'y joignait un surcroît de domination. Il voulait reprendre Naples, fief du Saint-Siège, pour en faire une possession directe de la papauté, et à Milan même, lors de son passage, il nomma le capitaine de la ville sans consulter les habitants.

Cela produisit à son égard un refroidissement dont l'ennemi devait profiter.

Conrad avait compris que la question capitale était celle qui se débattait avec le pape, et que, par conséquent, elle était à résoudre, non en Allemagne, mais en Italie. Il s'y rendit sans plus d'hésitation, et, avec l'aide des flottes de Gènes et de Pise, il débarqua au pied du Gargano et rentra dans Naples par force. Cette restauration fut un signal pour tous les Gibelins que le triomphe des Guelfes avait consternés. Déjà le contrecoup s'en était fait sentir au nord, et Milan même prenait pour capitaine un seigneur allié de sa famille, quand il mourut, laissant un enfant de deux ans, le petit Conradin (1253)[54].

Cette mort semblait porter un coup fatal à sa maison. En Allemagne on ne pouvait tenir compte de cet enfant. Après Guillaume de Hollande, qui périt, en 1256, dans une guerre contre les Frisons révoltés, on vit les princes allemands chercher un empereur au dehors et se partager entre Richard de Cornouailles, frère de Henri III, et Alphonse X, roi de Castille (1257). En Italie, l'héritage était divisé entre Manfred, qui se portait comme tuteur du jeune Conradin, en Sicile, et les seigneurs du Nord qui, ne reconnaissant plus de chef, se faisaient maîtres dans leurs cités : Eccelino di Romano, Albéric, son frère, les marquis d'Este, de Saint-Boniface, etc. Innocent IV consentait bien à user de quelque ménagement dans le nord ; mais au midi, il voulait toujours Naples, et Manfred, qui l'y avait accueilli comme suzerain, vit qu'un tel maître ne le garderait pas comme lieutenant. Il s'enfuit secrètement, gagna Lucera, et, à la tête des Sarrasins de Frédéric, put prendre quelques places, grossir le nombre de ses partisans, et bientôt revenir contre Naples, où le pape Innocent IV se vit assiégé et mourut en 1254[55].

Alexandre IV, qui n'avait ni le prestige ni l'habileté de son prédécesseur, accepta la lutte engagée et l'étendit même. Il déclara la guerre et à Manfred, et à Eccelino en même temps. Eccelino, après quelques succès, finit par succomber sous l'effort des petits princes du voisinage, effrayés de ses cruautés et désireux de se partager ses dépouilles : le pape n'y gagna pas autre chose que de voir son excommunication suivie d'effet[56]. Quant à Manfred, il repoussa les attaques.des légats pontificaux, et il aspirait à rétablir à son profit la puissance de Frédéric II. Déjà sur un faux bruit que le petit Conradin était mort, il s'était fait couronner à Palerme roi de Sicile (1258)[57] ; et, maître de Naples, il établit sa domination jusque dans Florence, ce boulevard des Guelfes. Les Florentins, attirés dans une embuscade près de Sienne par Farinata degli Uberti, un de leurs exilés, furent battus, et leur ville tomba en la puissance des Gibelins qui mirent en délibération s'ils ne la détruiraient »pas. Elle resta, mais pour obéir à Manfred. Ainsi, Rome se trouvait encore bloquée, pour ainsi dire, au nord et au sud. L'œuvre d'Innocent IV, si fatalement mise en aventure par lui-même, était presque anéantie par la faiblesse de son successeur, quand la tiare échut à un Français, Urbain IV (29 août 1261)[58].

Urbain IV était élevé au Saint-Siège dans des tir constances vraiment critiques. En Italie, la puissance de Frédéric II se relevait sous un fils digne de lui et qui n'avait pas plus de scrupules à l'égard de Rome. En Orient, l'Empire latin avait succombé, et les Grecs, rétablis à Constantinople, rendaient au schisme sa vieille capitale (1261). Urbain IV, réfugié à Civita-Vecchia, sentit qu'il avait besoin de l'appui de l'étranger. Innocent IV et Alexandre IV avaient, l'un après l'autre, offert la couronne de Sicile au roi d'Angleterre, pour son fils Edmond ; et nous avons vu comment cette offre, acceptée par avidité, le prince l'avait laissée tomber par impuissance[59]. Urbain IV s'adressa à la France. Il offrit la couronne à saint Louis qui la refusa pour lui-même, et, sur son refus, à son frère Charles d'Anjou qui l'accepta[60]. Charles devait recevoir le royaume de Naples comme fief du Saint-Siège, lui payer, à ce titre, un tribut annuel de huit mille onces d'or, et mettre huit cents cavaliers au service de l'Église. Le pape gardait en toute souveraineté Bénévent, et Charles s'engageait à ne jamais réunir ni l'empire, ni la Lombardie ou la Toscane à ses nouveaux États : stipulation où se manifestait la politique séculaire de la papauté ; elle sentait son indépendance compromise si le nord et le sud de l'Italie se trouvaient réunis sous la même main[61].

Mais cette précaution manquait de garanties, et le pape ne tarda pas à prendre ombrage du protecteur qu'il venait de se donner. Charles semblait vouloir s'assurer des positions partout. À Milan, Philippe della Torre établissait comme podestat Barral de Baux, un Provençal, un des sujets de Charles ; à Rome, Charles lui-même était pris pour sénateur (c'était pour Rome tout le sénat !). Quand il serait à Naples, n'allait-on pas voir sous une autre forme le renouvellement de la puissance des Hohenstaufen ? Mais le pape était trop engagé pour reculer, et l'Italie avait confiance dans l'intervention française. L'armée de Charles, conduite par Béatrix, sa femme, trouva partout bon accueil, et le nouveau pontife qui succéda à Urbain IV, le pape Clément IV, Français comme lui, continua sa politique, sans partager d'abord ses appréhensions (janvier 1265)[62].

D'un seul côté son entreprise eût pu être un moment contrariée, c'est du côté de la France.

On a vu les dispositions de la reine Marguerite à l'égard de Charles d'Anjou, son beau-frère. Si elle ne réclamait plus la Provence, elle pouvait au moins exiger de lui, comme détenteur de la succession de son père, le complément de sa dot ; et quand il recevait une couronne, il pouvait bien commencer par acquitter les dettes de ses anciens États. Urbain IV, en l'appelant à Naples, avait même stipulé qu'il se réconcilierait avec Marguerite : il sentait bien que, pour le succès de l'expédition, il ne fallait pas qu'il fût entravé dans son propre pays. Mais ce n'était pas au moment où Charles entrait en campagne qu'il pouvait avoir de l'argent à donner ; et saint Louis, qui avait toujours appuyé les justes réclamations de sa femme, finit par ne plus insister davantage, ne voulant pas que des intérêts particuliers fissent obstacle à une entreprise où le nom de la France était engagé[63].

 

VII. — Conquête du royaume de Naples par Charles d'Anjou. Batailles de Bénévent et de Tagliacozzo.

Charles s'embarqua à Marseille avec mille cavaliers, échappa aux croisières ennemies comme à la tempête, et gagna Rome, où il fut solennellement couronné roi de Naples. Clément IV mettait toutes les ressources de Rome à sa disposition ; il faisait de la guerre une croisade contre Manfred, ordonnait, pour les frais de la campagne, la levée d'un décime sur le clergé, et engageait même, pour avoir plus vite de l'argent, les basiliques romaines aux banquiers de Pise, de Gênes et de Florence[64].

Charles entra dans le royaume de Naples avec ses troupes à lui, celles que la croisade lui donnait, et aussi celles que mettaient à son service l'esprit de parti et les ressentiments de l'exil : aux Provençaux et aux Français se joignaient quatre mille croisés de Bologne et quatre cents émigrés florentins. La trahison avait pénétré dans le camp de son adversaire. Le passage du Garigliano lui fut livré, et Manfred, retiré sous Bénévent, périt dans la bataille (26 février 1266)[65].

Le vainqueur ne tarda point à donner à Clément IV lui-même les craintes qu'Urbain IV avait déjà commencé à ressentir. Il avait tout d'abord laissé piller Bénévent qu'il devait ménager comme ville pontificale ; et à Naples même il s'établit en conquérant plus qu'en roi, ne se bornant pas à frapper les partisans de Manfred et à rétablir les exilés, mais faisant la part principale à ses Provençaux. Hors de Naples, le triomphe des Guelfes propageait partout son influence. Guido Novello, qui représentait presque seul le parti gibelin, incapable de retenir Florence, essaya vainement d'un compromis. Il dut se retirer à l'approche de Gui de Montfort, envoyé avec huit cents cavaliers par Charles d'Anjou, et Charles fut proclamé pour dix ans seigneur de la ville[66]. Roi de Naples, seigneur de Florence, sénateur de Rome (titre dont il se démit d'ailleurs), que lui restait-il à faire pour justifier toutes les inquiétudes de la papauté ?

Le pape oublia pourtant ce péril devant un autre qu'il croyait plus grand.

Les Gibelins, proscrits partout en Italie, à Naples, en Toscane, en Lombardie, avaient tourné les yeux vers celui qui leur restait comme dernière espérance : le dernier rejeton de la maison des Hohenstaufen, Conradin, alors âgé de seize ans. Ils le pressèrent de venir réclamer la succession de son père et de son aïeul, et le jeune prince répondit à cette invitation : son ami, le jeune Frédéric d'Autriche, dépouillé comme lui, voulut s'associer à sa fortune. Conradin descendit avec dix mille hommes en Italie et ne trouva pas de résistance : il y avait, en Italie, toute une série de villes foncièrement gibelines ; il ne s'agissait que d'aller de l'une à l'autre pour âtre partout bien accueilli. Il fut acclamé à Pavie, à Pise, à Sienne (1268). À Rome même, le nouveau sénateur don Enrique, le frère d'Alfonse de Castille, ayant forcé le pape à se réfugier dans Viterbe, entraîna le peuple à se prononcer en sa faveur ; et le jeune Conradin était mené déjà comme un triomphateur, par la troupe des jeunes filles, au Capitole. Quant à la Sicile, elle frémissait sous le joug de son nouveau maître ; et la ville de Lucera soulevée attendait le petit-fils de Frédéric[67].

Clément IV effrayé n'épargna plus rien pour conjurer ce danger. Il lança l'excommunication contre le Jeune prince, et nomma Charles d'Anjou vicaire de l'Empire en Toscane (avril 1268)[68].

Le danger, au fond, était moins grand qu'il ne l'avait cru. Les succès de Conradin avaient plus d'apparence que de réalité : on lui avait fait tourner tous les obstacles. C'était peu que de triompher au Capitole, il fallait vaincre l'ennemi : on l'allait rencontrer. Conradin s'avançait vers le royaume de Naples. Il voulait éviter la position du Garigliano, et, se jetant par la voie Valeria dans les Abruzzes, atteindre Lucera où Charles tenait assiégés ses plus sûrs auxiliaires, les Sarrasins. Mais Charles sut le prévenir par sa rapidité ; les deux armées se rencontrèrent auprès du village de Tagliocozzo. Il y avait, dit-on, cinquante mille hommes d'un côté et vingt-cinq mille de l'autre ; mais un stratagème d'Érard de Saint-Valéry racheta l'infériorité que le nombre donnait à Charles. Au moment où le jeune Conradin battait les troupes qui lui étaient opposées, une forte réserve, cachée derrière une colline, vint lui enlever la victoire (23 août 1268). Don Enrique fut pris dans le combat. Conradin et Frédéric, qui avaient pu échapper, furent arrêtés à Astura, quand ils allaient gagner la Sicile. On sait par quelle sorte de. jugement et par quelle impitoyable exécution le vainqueur sanctionna son triomphe[69] : sanction fatale et qui en pouvait présager la fin dernière. Le supplice de Conradin et du jeune Frédéric inaugurait un règne de terreur qui, pour le moment, parut réussir : tout s'inclinait, tout se taisait devant le conquérant. Mais ce silence, qui le trompait sur les véritables dispositions des esprits, devait rendre d'autant plus terrible et plus sûre l'heure des représailles.

Saint Louis ne devait pas voir cette heure-là Mais il pouvait, dès à présent, gémir sur une manière de vaincre et, de gouverner qui était si complètement opposée à son esprit.

Ce coup d'œil, jeté sur les choses du dehors, montre que saint Louis n'avait rien perdu de son influence après l'échec de la croisade. Il est plus que jamais l'arbitre de l'Europe. C'est à lui que l'Angleterre s'adresse pour tenter de prévenir, par un équitable jugement, la guerre civile prête à la déchirer ; c'est à lui que le pape demande secours contre les descendants des Hohenstaufen. S'il a rendu quelques provinces à l'Angleterre, c'est par pur esprit de justice ; s'il s'est refusé à des acquisitions au dehors, ce n'est pas que l'occasion lui ait manqué de s'agrandir : mais il y a un bien qu'il recherchait par-dessus tout, et pour lui et pour les autres : la paix. Par là il assurait à la France une position plus forte qu'il ne l'eût fait par la guerre. Il gagnait en influence infiniment plus que ne lui eût donné la conquête : c'est parce qu'on le savait pacifique, respectant les droits des autres, que tout le monde se montrait prêt à accepter sa loi.

La vie privée de saint Louis et sa manière d'agir à l'égard de son peuple ne servaient pas moins à accroître ces sentiments de vénération qui faisaient sa force au dehors. Nous avons tracé un premier portrait de saint Louis au début de son règne. Il nous faut y revenir au moment où nous touchons au terme, pour marquer à quel degré de perfection, en toute chose, il était arrivé.

 

 

 



[1] Historiens de France, t. XX, p. 88.

[2] Geoffroi de Beaulieu, ch. XX, t. XX, p.13 ; Guillaume de Nangis, ibid., p. 401.

[3] En février 1252, Gui, devenu par là comte de Flandre, confirma toutes les conventions que sa tante, sa mère et son frère Guillaume avaient faites avec le roi. (Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 3981).

[4] Chron. attribuée à Baudoin d'Avesnes, t.XXI, p.174 ; Chron. de Flandres, t. XXII, p. 344 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 391.

[5] Primat, Historiens de France, t. XXIII, p. 11-12, et Guillaume de Nangis, t. XX, p. 555 ; Baudoin d'Avesnes, l. l. Chron. de Flandre, l. l. — La Chronique de Reims, à propos de cet appel du comte d'Anjou par la comtesse de Flandre, raconte la fable de la Chèvre et du Loup, fable fort bien contée, mais trop longuement pour qu'elle trouve place ici (t. XX, p. 316-318).

[6] Péronne, 24 septembre 1256, Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 4290 ; à la même date, Jean et Baudoin d'Avesnes renonçaient devant le roi à tous les droits qu'ils pouvaient avoir sur le comté de Namur et révoquaient la donation qu'ils en avaient faite à Henri, sire de Luxembourg. (Ibid., n° 42921.)

Un nouvel incident surgit à propos de Namur. Les habitants de cette ville s'étaient donnés au sire de Luxembourg pour échapper au ressentiment de la comtesse, impératrice de Constantinople, après avoir tué son bailli. La citadelle seule était restée aux mains d'un officier de leur ancienne dame. Elle invoqua le secours de la comtesse de Flandre, qui lui envoya Baudoin d'Avesnes. Par un acte du 10 juin 1258, elle donnait à l'impératrice une garantie pour l'occupation temporaire du pays, en reconnaissant que l'empereur Baudoin en avait remis les châteaux sous sa garde. (Layettes, t. III, n° 4424.) Mais l'autre Baudoin se conduisit avec tant de mauvais vouloir et de mollesse, que la citadelle, qu'il s'agissait de secourir, finit par succomber (21 janvier 1259). (Voy. Chron. de Reims et Chron. anon. de Flandre dans les Historiens de France, t. XXII, p. 321-323 et 341-343. La reddition du château inspira une chanson à quelque homme du pays, mécontent des Flamands. Voy. A. Dinaux, Trouvères, etc., t. IV, p. 27.) Après cet événement, l'impératrice Marie céda ses droits à Gui de Dampierre, comte de Flandre, fils de Marguerite, qui attaqua Henri de Luxembourg. Cette lutte se termina par un accord et un mariage. Gui épousa la fille d'Henri et obtint le comté. (Art de vérif. les dates, t. III, p. 119.)

[7] Mêmes auteurs et Tillemont, t. IV, p. 24-25.

[8] D'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, t. IV, p. 354-357, et Catalogue, n° 3072 (décembre 1254). Voy. la pièce dans les Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 4132.

[9] Joinville, c. CXXXVII, et Confesseur de Marguerite, Historiens de France, t. XX, p. 88 b.

[10] La Gascogne, soumise au gouvernement de Simon de Montfort contre lequel elle fut presque toujours en lutte, fut donnée ensuite par Henri III à son fils, le prince Édouard (1252) ; mais les révoltes se renouvelaient sans cesse. Voy. sur l'état de ce pays diverses lettres dans le Recueil de Shirley : Royal and other historical letters illustrative of the reign of Henry III, t. II, app. n° II, p. 379 et suiv.

[11] Matthieu Paris, t. VII, p. 256-260, 270, 277-288, 312-316, 390, 407, 455, et t. VIII, p. 1, 33, 65.

[12] Matthieu Paris, t. VIII, p. 65, 78-89.

[13] Tillemont, t. IV, p. 57 et 68.

[14] Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 4192.

[15] Tillemont, t. IV, p. 69 et 52-53 ; D'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, t. IV, p. 356-360 et les auteurs qu'il cite.

[16] En 1257, saint Louis avait encore fiancé sa fille Marguerite à Henri de Brabant, et en 1258, son fils Jean (âgé de huit ans) à Yolande de Nevers. (Tillemont, t. IV, p. 111 et 128.) Pour la dernière convention de mariage, voy. l'acte du comte de Nevers, et la ratification du duc de Bourgogne, grand-père de la jeune princesse, 8 juin 1258. (Layettes, t. III, n° 4421 et 4422.)

[17] Voy. sur ces prétentions, Tillemont, t. IV, p. 138-141.

[18] Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 4411 et 4412, et la ratification du roi d'Aragon (Barcelone, 16 juillet 1258), ibid., n°14433 et 4434. Le lao décembre 1258, Alexandre IV confirma le projet de mariage, nonobstant la parenté (ibid., n° 4457).

[19] Tillemont, t. VII, p. 35.

[20] Voy. une lettre de Henri III au cardinal de Sainte-Marie, in via lata, janvier ou février 1258. Shirley (Royal and other histor. Letters, t. II, p. 126).

[21] Et ceo serra fet pur esparnier le cust del commun. (Ce sera fait pour épargner les frais du peuple.)

[22] Rymer, Fœdera, t. I, part. i, p. 371, reproduit au t. IX, p. 231 de la traduction de Matthieu Paris, Cf. Shirley, l. l., p. 129.

[23] Matthieu Paris, t. IX, p. 1-6.

[24] Geoffroi de Beaulieu, ch. XII, t. XX, p. 7 ; Confesseur de Marguerite, p. 111, a.

[25] Primat insiste avec juste raison sur cette condition ; parlant de la restitution de la terre de Périgord : Et la donna à li et à ses hoirs sur tel condition que toute la Gascongne, avec cele terre, d'ore en avant seroit tenue des roys de France en fieu, et l'en feroit hommage ; car avant la terre de Gascongne ne mouvoit pas des roys de France ne de leur règne. Et avec tout ce il fu ainsi ordené que pour cele terre que le roy li avoit donnée en l'ommage que il li avoit fait de Gascongne, il seroit mis el royaume de France el conte des barons, et d'ore en avant seroit apelé per. (Traduction de Jean de Vignay dans les Historiens de France, t. XXIII, p. 16-17. Cf. Guillaume de Nangis, t. XX, p. 413 et 558.)

[26] Layettes du Trésor des Chartes, t. III, n° 4416 d'après l'original scellé. Le traité se trouve dans les recueils de Dumont et de Rymer : dans Dumont (Corps Diplom., t. I, part. 1, p. 207) avec sa vraie date : dans Rymer (t. I, part 1, p. 383) avec la date de Westminster, 20 mai 1259, date qui ne peut se rapporter qu'à une publication postérieure et non au traité lui-même. — Par un autre acte du même jour (28 mai 1258), les fondés de pouvoir du roi d'Angleterre reconnaissent que le roi de France s'est réservé de ne faire aucune restitution de terre ou payement d'argent, tant que le roi d'Angleterre n'aurait pas fait hommage lige et juré la Paix ainsi que ses fils (Layettes, ibid., n° 4417). — Par une lettre du lendemain, ils annoncent, en attendant la ratification, la prorogation de la trêve jusqu'à la quinzaine de Pâques suivante (Id., n° 4418).

[27] Cette paix, conclue à Paris, le 28 mai 1258, se nomme aussi traité d'Abbeville, avec la date de 1259, du nom de la ville où les derniers arrangements se prirent. Entre autres pièces qui s'y rapportent, les Layettes du Trésor des Chartes contiennent une lettre d'Arnold, fondé de pouvoir de Richard, roi des Romains, jurant la paix au nom de ce prince (8 juin 1258, n° 4423), la ratification de ce serment par Richard (20 juin, n° 4426) ; la ratification de la paix par le même prince (10 février 1259, n° 4462) et par son fils Henri (même jour, n° 4463) ; la ratification par les comtes de Hereford et d'Aumale, procureurs du roi d'Angleterre (Londres, 17 février 1259, n° 4466) ; par Édouard et par Edmond, fils du roi d'Angleterre (Westminster, 25 juillet 1259, nos 4500 et 4501). Sur l'ambassade solennelle qui apporta les ratifications en France et la conférence d'Abbeville qui eut lieu plus tard, voy. Tillemont, t. IV, p. 172-174.

[28] Tillemont, t. IV, p. 176.

[29] T. VII, p. 260.

[30] En 1269, un sénéchal de saint Louis allait saisir des revenus du roi d'Angleterre à Bordeaux. Voy. Shirley, Royal and other histor. letters, t. II, p. 333.

[31] La Chronique de Reims approuve les scrupules de saint Louis : Et la conscience le roi de France fu apaisie, dit-elle. Et bien saciés en vérité, ki est sans conscience k'il vit comme bieste. Et on, dist piécha :

Cui conscience ne reprend

Plus tost au mal c'au bien entend.

(Historiens de France, t. XXII, p. 325.)

[32] La Chronique de Reims nous montre Rigaut, archevêque de Rouen, contant à saint Louis pour le consoler, une fable du Paysan et de la Mésenge. Le sage prélat savait parler à saint Louis un autre langage ; et le chroniqueur aurait pu trouver une meilleure occasion de placer la fable qu'il voulait conter (Voy. Hist. de France, t. XXII, p. 325-326).

[33] Primat dans les Historiens de France, t. XXIII, p. 17 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 413. Chron. de Saint-Denys, t. XXI, p. 119 ; Chron. de Reims, t. XXI, p. 325.

[34] Voy. cette bulle dont l'original est au Trésor des Chartes (Bulles, J, 711, n° 301) et qui a été publiée pour la première fois Par M. Boutaric, dans son intéressante et curieuse notice sur Marguerite de Provence (Revue des questions historiques, 2e année, 6e livraison, 1er oct. 1867, p. 422).

[35] 17 juillet 1258, Layettes du trésor des Chartes, n° 4435.

[36] Cont. de Matthieu Paris, t. IX, p. 91-94. Dans le cours de cette année, Henri III, le comte de Leicester et sa femme avaient pris saint Louis pour arbitre de leurs différends. Henri, III lui écrit comme à son seigneur : quia preces vestras nobis præceptum reputamus... supponimus nos dicto vestro (14 mars 1261) ; — de vobis tanquam de domino nostro potissime confisi (27 mars). Shirley, l. l., p. 170, 171. Le même recueil comprend plusieurs autres lettres sur ce différend, p. 173 et suiv.

[37] L'inventaire en a été conservé ; il est indiqué par M. Boutaric, dans l'ouvrage cité, p. 428.

[38] M. Boutaric, ouvrage cité, p. 429.

[39] Henri III était revenu en Angleterre le 20 décembre 1262 : Quum in vigilia beati Thomas apostoli nos et regina nostra cum comitiva nostra applicuissemus apud Dover (Rymer, t. I, part. 1, p. 423).

[40] Rymer, t. I, 1re partie, p. 416. Shirley, Royal and other historical letters, t. II, p. 242 ; Boutaric, l. l., p. 429.

[41] Voy. sa correspondance avec Alfonse, comte de Poitiers et de Toulouse, en faveur de Gaston de Béarn, prince remuant et ambitieux, qui attaquait alors le comte de Comminges et que Marguerite voulait dégager de ce côté pour lui donner la liberté de passer en Angleterre. Ces lettres sont de celles que M. Boutaric a publiées pour la première fois, ouvrage cité, p. 430 et suiv.

[42] Voy. ces lettres publiées par M. Boutaric, ouvrage cité, p. 433 et suiv.

[43] Shirley, l. l., t. II, p. 251.

[44] Cont. Matthieu Paris, t. IX, p. 96 et suiv.

[45] E. Boutaric, ouvrage cité, p. 438.

[46] Cont. de Matthieu Paris, t. IX, p. 101-116 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 415 ; Baudoin d'Avesnes, t. XXI, p. 176 ; Bernard Guidonis, ibid., p. 699.

[47] Cont. Matthieu Paris, t. IX, p. 117-120. Tillemont, t. IV, p. 315.

[48] C'est le roi lui-même (on devine la contrainte) qui écrit à saint Louis que l'accord est fait, que des armements mettraient en péril les deux otages et pourraient entraîner sa déchéance et celle de sa race : prædictis obsidibus supremum periculum et statua sui subversio, nobisque et heredibus nostris gravis exheredatio posset de facili imminere (10 juillet 1264). Shirley, l. l., p.257 et 258.

[49] Cont. Matthieu Paris, t. IX, p. 121 ; Tillemont, t. IV, p. 316. — Il fut élu le 5 février 1265. On le trouve désigné en français par les auteurs modernes sous les noms de Foulques, Foulquois, Fouquet et Foucault. Entre les quatre le plus probable est peut-être Foulquois (Folcois) nom que l'on trouve donné par erreur, dans un manuscrit, à Grégoire X, pris pour Clément, IV (Historiens de France, t. XXI, p. 709 c) ; mais on pourrait préférer Folquet (Folqueys) forme méridionale du même mot (il était de Saint-Gilles en Languedoc) : c'est le nom qu'il porte en tête d'un chant provençal dont il était l'auteur (les Sept joies Notre-Dame). Voyez Chrestom. provençale par Karl Bartsch (Eberfeld 1868).

[50] Cont. Matthieu Paris, t. IX, p. 118 ; Tillemont, t. IV, p. 318. Henri (c'est-à-dire Leicester) écrit à Balliol, aux hommes de Northumberland, de venir en force repousser l'invasion (18 juillet et 21 août 1264. Shirley, l. l., p. 259 et 269). Il était néanmoins toujours question de négociations à Boulogne sous la médiation de saint Louis (ibid., p. 261-278).

[51] Cont. Matthieu Paris, t. IX, p. 123, 124 ; Tillemont, t. IV, p. 321-324.

[52] Cont. Matthieu Paris, t. IX, p. 124-128 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 417 ; Privat, t. XXIII, p. 18. — Saint Louis intervint encore, pour adoucir en faveur des vaincus les ressentiments de la victoire. Il écrivit à Henri III, le pressant d'affermir par sa modération une paix qui serait si utile à son royaume et lui promettrait d'accomplir son vœu d'aller en Terre Sainte (1er mai 1266. Shirley, l. l., p. 304, 305).

[53] Tillemont a traité avec son érudition ordinaire de la conquête du royaume de Naples dans un appendice à sa Vie de saint Louis, t. VI, p. 1-134.

[54] Guillaume de Nangis, Chron., t. XX, p. 555.

[55] Guillaume de Nangis, l. l., p. 555 ; Tillemont, t. VI, p. 22-24.

[56] Sur Eccelino, vrai suppôt du diable, voy. la chron. de F. Salimbene, p. 75.

[57] Tillemont, t. VI, p. 28.

[58] Jacques Pantaléon, né à Troyes en Champagne, archidiacre de Laon, puis évêque de Verdun, puis patriarche de Jérusalem. Voy. Tillemont, t. IV, p. 238.

[59] Innocent IV s'était aussi adressé à la France d'abord. Déjà pendant le séjour de saint Louis en Palestine, en 1252, il écrivait au comte de Poitiers pour qu'il conseille à son frère Charles, comte d'Anjou et de Provence, d'accepter l'offre du royaume de Sicile. (Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 4020.)

[60] Tanquam Filius obedientiæ, mandatis apostolicis devote obediens. Guillaume de Nangis, t. XX, p. 418 et Chron. an 1264, p. 359, cf. Chroniques de Saint-Denys, t. XXI, p. 121 ; Baudoin d'Avesnes, ibid., p. 172 ; Rinaldi, Ann. Eccles., an 1262, 1263 et 1284, Tillemont, t. VI, p. 39 et suiv.

[61] Spicil., t. IX, p. 224-242 (Éd. 1569), et pour les négociations qui ont précédé, Tillemont, t. VI, p. 39-44.

[62] Tillemont, t. VI, p. 51.

[63] Voy. E. Boutaric, ouvrage cité, p. 441.

[64] Sur l'expédition de Charles d'Anjou et la conquête du royaume de Naples, voy. Chron. de Primat, Historiens de France, t. XXIII, p.23-37 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p.419 et suiv. ; Chron. anon. finissant en 1286, t. XXI, p. 86-90 ; Chron. de Saint-Denys, ibid., p. 121 ; Baudoin d'Avesnes, ibid., p. 172, et Tillemont, t. VI, p. 54 et suiv. — Sur la manière dont Charles d'Anjou avait pris Marseille en 1257 et réprimé l'insurrection des habitants, voy. Guillaume de Nangis, p. 411.

[65] Primat, t. XXIII, p. 26-30 ; Guillaume de Nangis, t. XX, p. 425-427, et les autres auteurs cités plus haut. — L'évêque d'Auxerre, en donnant l'absolution à l'armée, lui imposa pour pénitence de frapper deux fois plus : que il doublassent les coups dessus les anemis de leur dextre vertueusement. (Primat. t. XXIII, p. 27, et Guillaume de Nangis, p. 425.) Ce n'est pas sans raison que Primat, l'appelle : homme sage en armes et prest de sa main, et de hies apporte chevalerie qui estoit couverte souz le vestement de evesque et muciée (cachée). (Ibid., p. 24). Il se rappelait la Chanson de Roland au moins autant que l'Évangile :

Par pénitence les cumendet ferir.

(Ch. de Roland, vers 1138.)

[66] Villani, l. VII, ch. XV, p. 199 (Éd. de Florence, 1587).

[67] Tillemont, t. VI, p. 86, 94, 110, 114, 117.

[68] Saba Malaspina, l. V, ch. VI, ap. Muratori, t. VIII, col. 863.

[69] Guillaume de Nangis, p. 429-439, et les auteurs cités plus haut. Cf. Tillemont t. VI, p. 128-130. Le peuple, dit le chroniqueur de Saint-Denys, avoit grant pitié de Corradin, pour ce qu'il estoit enfes (enfant) le plus bel que l'on pend trouver. — Quant à Henri d'Espagne qui, ajoute-t-il, avoit bien mérité la même mort, » il ne fu pas décolez pour ce que le roy l'avoit promis à l'abbé de Mont de Cassin ; si fu mis en une cage de fer une chaenne à son col, et fu menez par toutes les citez du pals et montrez au pueple. (Historiens de France, t. XXI, p. 123). Primat, tout en disant aussi que Henri fut remis à l'abbé du Mont-Cassin (Don Enrique, arrêté au Mont-Cassin, n'avait été livré à Charles que sous réserve de la vie), ne parle ni de cette cage, ni de cette chaîne, ni de cette cruelle exhibition (ibid., t. XXIII, p. 37).